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Édition Semaine n°49 /  Décembre 2025

 

« Dessins des Carrache – La fabrique de la Galerie Farnèse »

Exposition jusqu’au 2 février 2026

Musée du Louvre Mezzanine Napoléon

 

Celles et ceux qui ont eu le privilège de pouvoir découvrir la Galerie Farnèse au cœur du palais éponyme se souviennent de la splendeur magistrale qui saisit le visiteur en contemplant cette voûte composée par les Carrache au XVIIe siècle. C’est à cette lente fabrique d’un chef d’œuvre que nous convie la remarquable exposition du musée du Louvre « Dessins des Carrache – La fabrique de la Galerie Farnèse » jusqu’au 2 février 2026 à la Mezzanine Napoléon.

 

©Lexnews


Le commissaire de l’exposition et conservateur Victor Hundsbuckler signe en effet pour celle-ci un parcours éblouissant qui permet de mieux appréhender les étapes successives conduisant à cette œuvre souvent comparée, à juste titre, à la chapelle Sixtine du siècle précédent. Éclatant la célèbre Galerie du palais Farnèse en autant de pièces de puzzles composés par les dessins préparatoires, le visiteur aura l’exceptionnelle opportunité – ces dessins étant rarement exposés - de prendre conscience de la lente élaboration de cette fresque répondant à un strict programme de composition ne laissant rien au hasard. Qu’il s’agisse d’esquisses rapides jetées à la volée ou de dessins soigneusement élaborés, préludes à la grande œuvre, l’esprit de la Galerie Farnèse se façonne peu à peu au fil du parcours avant d’aboutir au grand carton de plusieurs mètres de côté, à l’échelle de la fresque.

Pour cette exposition, le musée du Louvre a le privilège de détenir la première collection au monde de ces dessins, un héritage provenant des anciennes collections royales françaises, sans oublier 25 œuvres prêtées par les collections royales britanniques.

 

©Lexnews

 

L’un des attraits de cette exposition est le contraste entre la magnificence de l’œuvre finale restituée au plafond grâce à une scénographie immersive convaincante et la dimension humaine des Carrache, Annibal, le principal protagoniste, mais également son frère Agostino. Fait touchant, l’art du jeune artiste atteindra avec cette œuvre son acmé. Après son achèvement, Annibal sombrera en effet dans une profonde prostration certainement due à l’extrême fatigue suivant cette réalisation et ne réalisera plus de peintures avant de mourir à l’âge de 48 ans.

 

 

©Musée du Louvre

 


Cette apothéose puise aux sources de la mythologie à partir des « Métamorphoses » d’Ovide et des amours des dieux. Organisé à partir du point de tension entre amour profane et amour sacré, chaque élément du cycle de la fresque développe ainsi tout un langage allégorique soumis à la sagacité des visiteurs de l’époque, jeu de piste intellectuel apprécié au XVIIe siècle et dont l’exposition nous restitue quelques bribes, de la plus belle des manières !


A noter le très précieux catalogue de l’exposition permettant d’anticiper ou d’approfondir sa visite, notamment quant à la mise en scène de la Galerie et les explications détaillées du programme iconographique retenu par les Carrache. « Dessins des Carrache – La fabrique de la Galerie Farnèse » de Victor Hundsbuckler, Louvre/Liénart Éditions, 2025.

 

 

« Fra Angelico »-

Exposition Palazzo Strozzi  - Museo di San Marco, Florence

jusqu’au 25 janvier 2026

 

 

Voici une exposition incontournable pour les amateurs de peintures du Gothique tardif et de la Renaissance florentine. L’exposition « Fra Angelico », de son vrai nom Guido di Piero (1395 circa – 1455), rassemble à Florence, en effet, plus de 140 œuvres de, et autour du, célèbre artiste du Quattrocento, l’un des plus illustres maîtres de l’art italien. Les commissaires de l’exposition ont réussi ce pari de réunir des œuvres rarement exposées ensemble, notamment des retables souvent dispersés aux quatre coins du monde et de nouveau réunis grâce au projet scientifique des spécialistes Carl Brandon Strehlke, Angelo Tartuferi et Stefano Casciu.

 


L’évènement se déroule sur deux espaces prestigieux et emblématiques de Florence : le Palazzo Strozzi et le Museo di San Marco, dernier lieu où l’artiste vécut et où ce dernier réalisa certaines de ses plus grandes œuvres. La scénographie remarquable retenue pour cette exposition met en valeur des œuvres éblouissantes sur fond d’or où les matières précieuses, tel le lapis-lazuli, révèlent et subliment la lumière. Fra Angelico, incomparable notamment dans son art à représenter les anges, se trouve au croisement du Gothique international et de la Renaissance en introduisant certaines novations, notamment quant à la perspective.

L’art du Beato Angelico s’inscrit bien entendu dans le cadre de l’art sacré, ses œuvres évoquant non seulement des thématiques bibliques, mais encourageant, à part entière, la méditation.

 

La Pala di San Marco di Beato Angelico et sa reconstitution

 

Le visiteur pourra ainsi découvrir, et apprécier, la technique du maître, notamment sa manière de penser les rapports entre personnages et espace dans l’esprit de la jeune Renaissance. Suggérant des dialogues entre le « Peintre des anges » et d’autres artistes majeurs tels Lorenzo Monaco, Masaccio, Filippo Lippi, mais aussi avec des sculpteurs incontournables tels Lorenzo Ghiberti, Michelozzo ou encore Luca della Robbia. Une exposition attendue depuis la dernière rétrospective à Florence remontant à 1955 et qui fera date, à n’en pas douter.

 

 

A noter le remarquable catalogue (en italien) paru à cette occasion : « Beato Angelico » a cura di Carl Brandon Strehlke con Stefano Casciu, Angelo Tartuferi, Marsilio Arte, 2025.

 

 

John Singer Sargent - Éblouir Paris

Musée d'Orsay

jusqu'au 11.01.26

 

 

Si le peintre John Singer Sargent (1856-1925) avait fait le choix artistique d’éblouir Paris, la capitale ne lui avait pas pour autant rendu la pareille, oubliant celui qui avait quelque peu bouleversé les cadres figés de la IIIe République… C’est afin de réparer cet oubli du temps que le musée d’Orsay lui consacre aujourd’hui cette première grande rétrospective, une manière pour le public d’apprécier un artiste par ailleurs largement célébré en Angleterre comme aux États-unis. Aussi, en retenant pour cette exposition plus de 90 œuvres revenant pour la plupart d’entre elles sur le territoire qui les vit naître, le parcours ne manquera pas d’éblouir celles et ceux qui n’auraient à l’esprit que son contemporain italien, le fougueux Giovanni Boldini.

 

 

La Vicomtesse de Poilloüe de Saint-Périer 1883
huile sur toile sans cadre H. 159 ; L. 121 cm
Donation sous réserve d'usufruit M. Marie Louis René de Poilloüe, comte de Saint-Périer

 et Mme la comtesse, née Suzanne Raymonde François, 1929
© droits réservés

 

Tous deux apprécièrent, il est vrai, la Belle Époque et ces femmes élégantes ne demandant qu’à être immortalisées sur la toile. Sargent, pour sa part, n’est pas dépourvu d’audace si l’on songe à certains de ses portraits qui transgressèrent les codes de cette fin de siècle balbutiant entre une aristocratie affaiblie et une bourgeoise de plus en plus prospère. Maîtrisant rapidement les codes de cette société, John Singer Sargent n’hésitera pas effectivement à choquer en représentant l’américaine Virginie Gautreau en « femme fatale », preuve s’il en était que cette société encore prude tolérait les écarts de morale à la condition qu’ils demeurent cachés.

 

Mais l’exposition a fait choix de dévoiler également d’autres facettes que ce chef-d’œuvre inexorablement associé à l’artiste en présentant ses peintures « de voyages » privilégiant le réalisme et le naturalisme, notamment ses « instantanés » pris sur le vif à Venise. Et, bien entendu, en présentant nombre de ses portraits puisque c’est, avant tout, en tant que portraitiste que l’artiste s’imposera, peu de temps après être arrivé dans la capitale française.

 

John Singer Sargent, "La Carmencita" (vers 1890)
229 x 140 cm - Musée d’Orsay
© Musée d'Orsay / Laëtitia Striffling-Marcu

 

 

Entre 1877 et 1884, Sargent s’affirme, en effet, en tant que portraitiste de talent dont la virtuosité n’occulte pas pour autant, bien au contraire, le caractère de chacun de ses sujets. Dans cet art toujours difficile entre flatterie et fidélité, Sargent parvient à garder une juste mesure, ces miroirs renvoyés reflétant souvent plus encore le portrait de la société de son époque que celle de ses modèles. Qu’il s’agisse de ces belles insouciantes ou de ces besogneuses femmes du peuple, Sargent excelle dans l’art de rendre chaque sujet unique en son genre, une époque qui retrouve ainsi vie en ce XXIe siècle à Orsay.

 

 

Exposition Jean-Baptiste Greuze

Petit Palais

jusqu’au 25 janvier 2025
 

 

Il est des peintres de nos jours méconnus et pourtant célèbres en leur temps. Le peintre français du XVIIIe siècle Jean-Baptiste Greuze compte parmi eux et l’actuelle exposition que lui consacre le Petit Palais vient réparer cet injuste oubli. Les commissaires de cette rétrospective, Annick Lemoine, Yuriko Jackall et Mickaël Szanto, ont retenu le thème de l’enfance, si important chez l’artiste, en une scénographie inspirée et évocatrice de l’univers du Siècle des Lumières.

 

Jean-Baptiste Greuze, Un enfant qui s’est endormi sur son livre, dit Le Petit paresseux, 1755.

Huile sur toile, 65 × 54,5 cm. Montpellier, musée Fabre.

(© Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / Photo Frédéric Jaulmes)

 

C’est en effet au cœur de l’intimité de ce siècle marqué par tant de philosophes essentiels tels Rousseau, Diderot ou encore Montesquieu que s’inscrit le travail de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) qui connut le succès avec les deux derniers monarques Louis XV et Louis XVI avant de sombrer dans la déchéance et l’oubli. L’homme sut saisir l’esprit de son temps, reléguant le faste à l’arrière-plan pour mieux privilégier l’intimité des caractères de ses sujets.La dimension psychologique inspire manifestement son pinceau, qui délaisse la pompe au profit d’un trait indiscutablement virtuose, mettant en avant l’éclairage et la sensibilité des âmes saisies sur la toile.

L’enfance a sa prédilection car elle se joue des masques et affiche, souvent, une insouciance encore préservée, ainsi qu’il ressort assurément des portraits de ses deux filles, Anne-Geneviève et Louise Gabrielle. Plus proches de la sensibilité de nos instantanés numériques que des portraits officiels, Greuze explore la matière humaine non seulement dans ses formes mais aussi dans sa profondeur.

 

 Jean-Baptiste Greuze, Tête de jeune fille, vers 1773. Sanguine, 31 × 25,5 cm.

Londres, Collection particulière. (© Collection particulière)

 

Sourcil légèrement relevé pour souligner la perplexité, yeux captivés par une autre source de curiosité que le peintre, un certain naturalisme se dégage de l’art de Jean-Baptiste Greuze. Cette approche le conduira notamment à des représentations plus graves comme celle de la perte de l’innocence avec « La Cruche cassée »…

 

Jean-Baptiste Greuze, Jeune Fille à la colombe, vers 1780. Huile sur bois, 64,4 × 53,3 cm.

Douai, musée de la Chartreuse.

(© Musée de la Chartreuse, Douai, France / Photo Daniel Lefevre)


Le parcours habilement dressé par cette exposition permettra au visiteur d’observer et d’apprécier ses différentes facettes, toujours renouvelées en fonction du sujet qui s’impose à l’artiste. Avec Greuze, nous entrons au cœur de l’intimité d’un siècle, celui d’avant la Révolution, une page d’histoire de l’art à redécouvrir au plus vite au Petit Palais !

 

 

« Les Maîtres du Feu - L’âge du Bronze en France 2300 – 800 av. J.-C.»

Exposition jusqu’au 9 mars 2026

Musée d’Archéologie nationale de Saint Germain en Laye.

 

 

Voici présentée au Musée d’Archéologie nationale de Saint Germain en Laye jusqu’au 9 mars 2026, une exposition didactique sur l’âge du Bronze en France. Grâce à un parcours éclairant et détaillé, le MAN propose en effet à ses visiteurs une synthèse particulièrement pédagogique à partir des dernières recherches archéologiques. En collaboration avec l’Inrap et l’Aprab, le célèbre musée dirigé par Rose-Marie Mousseaux fait ainsi la démonstration de l’importance capitale du développement de la métallurgie du bronze dans l’ensemble de l’Europe occidentale sur une période allant de 2300 à 800 avant J.-C.

 


Le bronze, ce nouvel alliage constitué de cuivre et d’étain, allait en effet venir révolutionner non seulement les utilisations agraires et militaires, mais avoir également des répercussions déterminantes sur les échanges commerciaux et les moyens de communication par voie terrestreou maritimes, entre des régions souvent très éloignées les unes des autres, ainsi que l’atteste une carte détaillée dans le parcours de l’exposition.

Ces échanges faciliteront eux-mêmes des brassages culturels qui seront manifestes sur différents artefacts, témoignant ainsi de l’expansion sans précédent de cet âge initié par ces artisans du feu dont le métier est présenté dans le détail.

 


L’exposition rappelle quelles furent les innovations essentielles de cette période préludant le monde moderne : rasoir, outils, pince à épiler, fibule, torque, décorations d’orfèvrerie, soudure, etc.

 

 

La représentation du monde et de ses espaces se trouve également transformée par ces bouleversements, qu’il s’agisse de la cosmogonie et de la mythologie, sans oublier l’organisation sociale. Ces magiciens du feu des 3e et 2e millénaires avant J.-C. jettent des ponts qu’aucune société n’était jusqu’alors parvenue à faire à cette échelle, une étape déterminante dans l’histoire de l’humanité que cette exposition vient souligner et éclairer de la plus passionnante manière !

 


Catalogue « Les Maîtres du feu - - L’âge du Bronze en France 2300 – 800 av. J.-C » Editions Faton, 2025.

 

 

« GEORGES DE LA TOUR – Entre ombre et lumière »
Du 11 septembre 2025 au 25 janvier 2026
Musée Jacquemart-André, Paris

 

À l’évocation de Georges de La Tour (1593-1652), ce sont immédiatement des visions d’une clarté mystérieuse, d’une obscurité habitée par la lumière, qui surgissent à l’esprit. Maître inégalé du clair-obscur, le peintre lorrain a su en effet donner à ses toiles une atmosphère d’intimité et de silence qui en fait toute la singularité. Le musée Jacquemart-André invite aujourd’hui à plonger dans cet univers fascinant à travers une exposition d’une rare intensité.

 

©Lexnews


Si on pourrait croire, trop vite, que Georges de La Tour ne fut qu’un disciple du Caravage, prolongeant la révolution du clair-obscur inaugurée par le génie lombard, l’exposition conçue par Gail Feigenbaum et Pierre Curie démontre au contraire combien l’artiste a su développer un langage personnel, loin d’une simple imitation. Plus qu’une rétrospective – la première depuis un quart de siècle, cette exposition offre aux visiteurs une belle mise en perspective de son œuvre, grâce à des prêts exceptionnels de musées internationaux ; vingt-trois toiles du maître sont ainsi rassemblées, soit plus de la moitié des œuvres du peintre aujourd’hui connues.
 

Dès les premières salles, l’évidence s’impose : chez Georges de La Tour, le sacré et le profane se confondent pour donner naissance à un art de la contemplation. Scènes de genre ou figures de saints, toutes ses toiles semblent traversées par une lumière intérieure. "Le Nouveau-Né", prêté par le musée de Rennes, en donne un exemple bouleversant : ni tout à fait une Nativité, ni simple scène domestique, mais une méditation silencieuse où chaque regard tend vers une clarté invisible, presque surnaturelle.

La spiritualité irrigue également ses représentations de saint Jérôme pénitent, ici réunies dans deux versions différentes, et où se déploie une palette subtile entre dépouillement mystique et intériorité fervente.

 

©Lexnews

 

Les visiteurs pourront aussi contempler les Larmes de saint Pierre provenant du musée de Cleveland ; un vieil homme accablé, figé dans la conscience de sa faiblesse, qui semble inviter chacun à partager ses doutes et son abandon…
Si Georges de La Tour a été largement célébré de son vivant – Louis XIII lui-même aurait exigé de garder dans sa chambre le Saint Sébastien offert par le peintre –, l’artiste sombra ensuite, étrangement, dans un oubli prolongé, avant sa redécouverte au XXe siècle.

 

©Lexnews

 

L’exposition du musée Jacquemart-André nous rappelle toute la puissance tranquille de ce maître français du XVIIe siècle, dont le style se nourrit d’un naturalisme dépouillé, sublimé par la lumière. Ses célèbres compositions à la bougie – de la Madeleine pénitente ou encore le Reniement de saint Pierre – comptent parmi les sommets de la peinture française du XVIIe s. Mais son pinceau sut aussi saisir la réalité la plus humble qu’il s’agisse de la troublante Femme à la puce ou du saisissant Vielleur au chien, des toiles révélant la même acuité à capturer la vérité humaine, entre quotidien et éternité.
Avec cette rétrospective, le musée Jacquemart-André offre bien plus qu’une exposition : une méditation visuelle où l’ombre et la lumière se répondent, révélant l’intensité secrète d’un artiste intemporel.

 

« GEORGES DE LA TOUR Entre ombre et lumière » catalogue d’exposition Cultures Espaces / Hazan Editions, 2025.

 

 

 

« Le Génie et la Majesté – Louis XIV par Le Bernin »

exposition Château de Versailles

jusqu’au 28 septembre 2025

 

 

Lorsque le plus virtuose des ambassadeurs de l’art italien en la personne du Bernin rencontra l’incarnation même de la souveraineté absolue, ces instants uniques de génie et de majesté furent cristallisés dans le marbre, sujet de la présente exposition au château de Versailles. Louis XIV fut immortalisé en effet dans le marbre par le grand sculpteur Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin (1598-1680); cette œuvre admirée de tous est devenue depuis ce XVIIe siècle un chef-d’œuvre incontournable dont la présence dans le salon de Diane du royal château a su s’imposer, bien que les millions de visiteurs qui s’y pressent finissent souvent par l’ignorer.

 

© Christophe Fouin

 

Un injuste oubli que l’exposition entend justement réparer grâce à cette présentation écrin qui replace l’importance de ce buste quant à la rencontre de deux mondes : le génie du baroque et le solaire représentant de l’absolutisme royal. A l’occasion des travaux du salon de Diane, l’évènement entend faire redécouvrir ainsi ce chef-d’œuvre du Bernin né d’une rencontre unique entre le monarque phare de l’Europe du XVIIe siècle et le génial sculpteur égalant la virtuosité de Michel-Ange dans ses œuvres les plus célèbres (Apollon et Daphné, Le Baldaquin de Saint-Pierre, L’Extase de Sainte Thérèse sans oublier la Colonnade de Saint-Pierre).

Les mémoires de ces quelques mois où l’artiste vint en France saisir l’âme et la physionomie du plus grand personnage du royaume ont également immortalisé des instants uniques durant lesquels ces deux esprits nourris des arts dialoguèrent et saisirent l’importance de cette commande.

 

© EPV / Thomas Garnier

 

 

Manifestement ému, Le Bernin pourtant habitué à répondre aux plus prestigieuses commandes, notamment celles d’Urbain VIII et d’Alexandre VII, a bien eu conscience que, plus que de servir la grandeur d’un puissant, il inscrivait son œuvre dans l’Histoire de l’art et de l’Histoire.
Le buste du Bernin ainsi exposé pour la première fois à hauteur d’homme depuis sa présentation par l’artiste à Louis XIV est replacé dans son contexte, éclairé par des peintures et autres sculptures soulignant l’esprit unique inspirant le ciseau du Bernin lorsqu’il sculpta ce marbre royal. Une exposition éclairante et intimiste à découvrir avant que le buste ne retrouve son prestigieux écrin habituel…
 


Catalogue "Louis XIV par Le Bernin Le génie et la majesté" sous la direction de Lionel Arsac, 24 x 28 cm, 128 pages, Coédition Château de Versailles - Silvana, Editoriale, 2025.

 

 

« Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin »

Exposition Musée Guimet

Paris, jusqu’au 8 septembre 2025
 


C’est à un évènement auquel nous convie cet été le musée Guimet (jusqu’au 8 septembre). Le célèbre musée des arts asiatiques présente en effet, le temps d’une exposition, les plus beaux trésors des bronzes royaux d’Angkor, dont certains - notamment l’exceptionnel Grand Vishnou couché du Mebon occidental d’Angkor - sont venus tout spécialement du Cambodge à cette occasion, ce que confirme la présidente du musée Yannick Lintz : « L’organisation de l’exceptionnelle exposition Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin s’inscrit dans l’histoire profonde des relations de coopération et d’amitié qu’entretient le musée Guimet avec le ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge, le Musée national du Cambodge et l’ensemble des institutions patrimoniales de ce pays ». Cette confiance et cette collaboration ont ainsi conduit et permis des prêts inédits d’œuvres inestimables associées au fond déjà plus que complet du musée parisien.
Ce sont des années de recherche et de restaurations qui ont préludé cette exposition évènement qui ne doit pas pour autant intimider le visiteur, tant le parcours didactique cherche à le familiariser avec les nombreuses divinités de l’hindouisme et du bouddhisme au cœur de la culture cambodgienne.

 

© Musée national du Cambodge, Phnom Penh / photo Thierry Ollivier pour le musée Guimet
Personnage féminin agenouillé, support de miroir (?), art khmer, époque angkorienne, première moitié du 12e siècle, Prasat Bayon, Angkor Thom, province de Siem Reap, Cambodge, bronze
 

 

Ces chefs-d’œuvre de bronze sont, pour la plupart d’entre eux, d’autant plus précieux que rares, les pillages et les refontes pour remploi ayant eu raison des autres trésors disparus à jamais. L’exposition parvient ainsi non seulement à faire entrer le visiteur au cœur même du long processus de la métallurgie des bronzes d’Angkor, mais également à lui faire percevoir la complexité de cet art inextricablement lié à la culture et aux croyances de cette civilisation khmère.


Servie par une scénographie intimiste privilégiant l’éclat de ces œuvres aux formes délicates, l’exposition rappelle les prémices de cet art angkorien dès l’époque protohistorique qui s’étirera sur une période de six siècles (9e-14e/15e s.). Au fil des salles, nous découvrirons ainsi un véritable panthéon d’alliage de cuivre et d’étain aux reflets incomparables. L’influence de l’Inde dès les premiers siècles de notre ère sera déterminante tant sur le plan religieux qu’artistique ainsi que l’attestent ces statues présentées de l’époque préangkorienne. Rapidement, cet art prendra son autonomie pour devenir une pratique à part entière au service des rois du Cambodge ancien, avant d’atteindre son apothéose à l’âge d’or au cours du 11e siècle.

Parallèlement aux œuvres de pierre honorant les dieux du bouddhisme et de l’hindouisme, les œuvres métalliques demeuraient au cœur des processus rituels où elles avaient une place de choix lors du culte rendu. Le visiteur se familiarisera ainsi avec les plus belles représentations de Vishnou et de Shiva, méditera sur les multiples représentations de Bouddha aux poses intimant sagesse et éveil à son observateur…

 

Buste de Vishnou Anantashayin Cambodge, province de Siem Reap, district de
Puok, Angkor, Mebon occidentalÉpoque angkorienne,seconde moitié du 11e siècle
Bronze, dorure au mercure, argent, plomb,cinabre Phnom Penh, Musée nationaldu Cambodge, versement Conservation d’Angkor, 1950,Ga.5387


Point d’orgue de ce riche parcours, le rez-de-chaussée du musée, qui par ailleurs abrite une collection permanente de référence de l’art khmer, accueille le temps de cette exposition le trésor le plus inestimable : Le Vishnou du Mébon occidental restauré et présenté pour la première fois de la manière la plus complète avec ses fragments réassociés au buste, une merveille à découvrir et à ne pas manquer au musée Guimet !

 

« BRONZES ROYAUX D’ANGKOR Un art du divin », Catalogue d’exposition, collectif, Reliure Cartonnée contrecollée, ill. 274, 22 x 28,5 cm, 304 p., In Fine Editions, 2025.

 


Pour accompagner l’exposition actuellement au Musée Guimet de Paris, exposition aussi essentielle quant à la thématique des bronzes khmers d’Angkor, il fallait un catalogue d’envergure, ce qu’ont réalisé avec brio les éditions In Fine et les auteurs de cette remarquable publication. Se focalisant sur une problématique souvent négligée, parce que longtemps ignorée, cette publication fait, en effet, la démonstration de la place importante tenue par les bronzes et autres objets de culte fondus en métaux précieux dans la civilisation de l’Empire khmer. Nous avons tous à l’esprit les monumentales constructions enchâssées, et menacées, par la végétation luxuriante de la forêt cambodgienne, mais qui connaît véritablement la place et l’importance tenues par cet art du divin que sont les bronzes royaux d’Angkor en dehors de quelques spécialistes ?
Cette publication fait la brillante démonstration, parallèlement à l’exposition en la complétant idéalement, que le bronze est à l’origine au Cambodge du développement d’un art de la statuaire à part entière influencé essentiellement par l’hindouisme et le bouddhisme prédominants. L’ouvrage s’attache ainsi à montrer comment cette activité s’est rapidement spécialisée en tant que technique sacrée limitée à une petite élite d’artisans dans les ateliers royaux. La publication souligne également combien nos connaissances sur ce sujet resté longtemps confidentiel ont fait l’objet d’avancées spectaculaires avec les fouilles récentes rappelées en ces pages abondamment illustrées à travers 200 œuvres remarquables.
Le point d’orgue est bien entendu constitué par l’impressionnant Vishnou couché du Mebon occidental, trésor national du Cambodge et plus grand bronze jamais retrouvé à Angkor. Qu’il s’agisse des prémices de l’âge du bronze à l’époque préangkorienne jusqu’à la description détaillée de la fonderie royale d’Angkor, techniques et arts se conjuguent au service du pouvoir afin d’en souligner la magnificence telle qu’il ressort de ces somptueux chefs-d’œuvre de la statuaire de bronze dans l’art khmer.

 

 

 Exposition « Une passion chinoise : la collection de Monsieur Thiers »

Musée du Louvre

jusqu’au 25 août 2025

 

Nous connaissions Adolphe Thiers en tant que premier président de la IIIe République ou encore au titre de journaliste, avocat, historien, mais sa passion pour la Chine demeurait, en revanche, plus confidentielle jusqu’à ce que Jean-Baptiste Clais, conservateur en chef au département des Objets d’Art du musée du Louvre, ait l’heureuse idée de consacrer une exposition venant éclairer à cette sinophilie méconnue. Autant dire que le parcours invite plus largement à de multiples découvertes dépassant le caractère personnel du fameux homme politique dont l’ambition légendaire servit à Balzac pour l’inspiration du personnage de Rastignac…

 


Malgré ces critiques acerbes sur cet ambitieux caractère, son intérêt pour les arts de l’Asie et plus précisément pour ceux de la Chine débute très tôt, dès l’adolescence. A cet âge précoce, le jeune homme n’hésite pas, en effet, à rassembler toutes sortes d’œuvres et d’ouvrages qu’il ne cessera dès lors de collectionner.

Même s’il ne se rendra pas dans le pays tant admiré, Thiers cherchera par tous les moyens à reproduire une vision de la Chine au cœur même de son cabinet de travail place Saint-Georges à Paris, cabinet évoqué dans l’exposition par le truchement de gravures anciennes et reconstitution.

Alors que la Chine s’était ouverte à l’Europe au XVIIIe siècle, une véritable réflexion débute sur les arts et les religions parallèlement à un important commerce des compagnies des Indes. Soieries, porcelaines et toutes sortes d’objets venus de Chine débarquent alors sur le continent européen et fascinent un public toujours plus avide d’exotisme.

 

 

Mais ces relations ne seront pas toujours aussi sereines, notamment au temps d’Adolphe Thiers avec les guerres de l’opium et les campagnes militaires de 1860 entraînant la France et l’Angleterre à piller et incendier le Palais d’Été dans la banlieue de Pékin…

 


Le parcours de l’exposition évoquent ces grandes, et plus sombres, heures des relations franco-chinoises sous le filtre d’une passion sincère et prenante qui conduit l’homme politique à accumuler une véritable collection dont notamment une superbe bouteille à décor de fleurs et d’oiseaux de la Dynastie Qing Période Qianlong ainsi que de rares manuscrits et rouleaux, collection dont le musée du Louvre héritera en partie, une autre partie sera malheureusement saccagée lors de la Commune de Paris.

 

 

 Corps et âmes

Bourse de Commerce

Pinault Collection

jusqu’au 25.08.25

 

La Bourse de Commerce propose en une exposition ambitieuse sous le commissariat d’Emma Lavigne d’explorer avec les meilleurs artistes contemporains les rapports toujours complexes entretenus avec le corps et l’esprit. Depuis l’aube des temps, l’homme a interrogé son rapport au corps et à son environnement, des fameuses mains négatives de l’art pariétal jusqu’aux créations de Georg Baselitz, d’Ana Mendieta, Duane Hanson et bien d’autres artistes réunis dans cet écrin inspirant de l’ancienne Bourse de Paris.

 

© Pinault Collection

 

Le visiteur pourra, par les différents médias retenus pour ce parcours (peinture, dessin, sculpture, vidéo, photographie) faire directement l’expérience dans son propre corps de ces questionnements. Ainsi, l’autoportrait saisissant de Duane Hanson ne pourra laisser indifférent tant la détresse de l’artiste induit un désenchantement manifeste du monde dans lequel il s’inscrit.

Ces rapports entre corps et esprit – l’exposition ose même le mot âme… - révèlent toute la complexité de la modernité, ainsi qu’il ressort de ces œuvres souvent tourmentées, parfois plastiques (Kerry James Marshall), se faisant toujours l’écho de ces carrefours entre réalité et fiction.

 

© Pinault Collection

 

Qu’il s’agisse du corps exposé avec Diane & Allan Arbus, Richard Avedon, Niki de Saint Phalle ou du corps fantasmagorique avec Marlene Dumas (Birth), ces artistes explorent les corps comme une carte géographique parvenue aux confins de contrées inconnues.

 

© Pinault Collection

 

Évanescences et tombeau floral (Ana Mendieta) ponctuent ce riche parcours avant de parvenir au point d’orgue de cette exposition avec le monumental accrochage de huit tableaux de Georg Baselitz (Avignon 2014) en un polyptyque spectral impressionnant du corps vieillissant de l’artiste…

Commissariat général : Emma Lavigne, directrice générale de la Collection, conservatrice générale

 

 

Exposition Mamlouks 1250-1517

Musée du Louvre

jusqu'au 28 juillet 2025

 

 

Qui étaient donc les Mamlouks ? Ce nom, à la fois familier et énigmatique pour bien des Occidentaux, désigne pourtant l’une des civilisations les plus fascinantes du monde islamique médiéval. Le musée du Louvre propose aujourd’hui une exposition remarquable, aussi érudite qu’esthétique, qui plonge son visiteur dans l’univers de cet empire égypto-syrien dont la puissance s’étendit du milieu du XIIIe siècle jusqu’au début du XVIe.
Dès les premières salles, le visiteur est saisi par la richesse du parcours imaginé par Souraya Noujaïm et Carine Juvin, commissaires de cette exposition qui redonne vie à un empire au raffinement insoupçonné. Un dispositif immersif transporte d’emblée le visiteur au cœur du complexe monumental du sultan Qalawun (1279-1290) au Caire.

 

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser

 

Grâce à cette reconstitution numérique, ce joyau architectural déploie ses trésors et marbres polychromes, témoins du goût aiguisé de ses commanditaires. Ce faste artistique demeure indissociable de l’histoire singulière des Mamlouks : esclaves d’origine turque ou caucasienne, achetés ou capturés pour servir dans les armées musulmanes, ils accédaient souvent à la liberté, gravissaient les rangs militaires jusqu’à, parfois, devenir sultans.

Cette élite guerrière écrasa Croisés et Mongols, avant de s’effacer face à l’Empire ottoman en 1517. Leur prestige demeure immense, et Napoléon, admiratif, intégra même un régiment de Mamlouks dans sa propre armée. Au-delà de leur force militaire, les Mamlouks ont su bâtir une société d’une grande richesse culturelle aux multiples échanges.

 

 

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser

 

L’exposition, dans une scénographie feutrée des plus réussies, parvient à mettre en lumière – et en espace - cette mosaïque de peuples, de langues, de traditions et d’arts qui composaient ce vaste empire. Loin de se refermer sur eux-mêmes, les Mamlouks favorisèrent, en effet, échanges artistiques et commerciaux, depuis l’Europe jusqu’à l’Inde et la Chine. Une ouverture que reflètent notamment les calligraphies majestueuses, les bois incrustés de nacre, les verres émaillés et pièces d’orfèvrerie précieuses rivalisant de finesse et présentés tout au long du parcours.

 

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser


Tant pour la beauté des œuvres réunies que pour la richesse du regard porté sur une civilisation méconnue et pourtant essentielle à la compréhension du monde méditerranéen, cette exposition fait revivre une page d’histoire vibrante, traversée par l’éclat des arts et le souffle des grands empires.

 

Catalogue d'exposition Mamlouks Skira/Editions du Louvre, 2025

 

 

« Andrea Appiani - Le peintre de Napoléon en Italie »
Exposition Jusqu’au 28 juillet 2025
Musée National des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau

 

C'est la première fois que la France honore la mémoire du peintre Andrea Appiani qui connut son heure de gloire, non seulement auprès de l'aristocratie milanaise, mais surtout en devenant Premier Peintre de l'empereur Napoléon en 1805. Le musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau a conçu un riche parcours permettant de (re)découvrir ce peintre majeur du néoclassicisme du nord de l’Italie, certaines de ses œuvres étant conservées dans ce lieu même.
Mais, avant l’ascension sociale et artistique d’Appiani résultant de sa reconnaissance officielle par le régime impérial, le jeune artiste fit ses armes à Milan à l’académie ambrosienne, puis à celle de Brera, nourri de références antiques et religieuses dont il retint les thèmes essentiels avec des commandes d’église et de palais pour la noblesse milanaise. Bientôt, ses voyages à Rome, Parme et Bologne enrichiront sa palette, tout en renforçant sa maîtrise du dessin. Chaque époque apportera ses influences dans l’art d’Appiani qui sut accueillir ces références avec habileté, qu’il s’agisse de ses commandes d’art sacré ou de ses décorations profanes.
La rencontre déterminante dans le parcours du peintre sera bien entendu celle avec l’empereur Napoléon Bonaparte qui sut rapidement se saisir de l’opportunité des talents du peintre prêt à le servir sur ces terres fraîchement conquises au-delà des Alpes. Appiani devint alors portraitiste, non seulement de Napoléon (Portrait de Napoléon du Kunsthistorisches, museum de Vienne), mais également de ses généraux et du personnel politique italien le plus en vue. Malgré le caractère formel de cet art répondant à des codes bien établis, Appiani saura souvent en infléchir la rigueur, adoucissant certains traits et nuançant délicatement les couleurs, usant ici ou là du non finito, guère usuel en ce domaine. Appiani innove et atténue ainsi le néoclassicisme dont il demeure, en ce début de XIXe siècle italien, l’un des représentants les plus illustres.
L’exposition réserve également des sections à ses nombreux décors qui, pour un grand nombre d’entre eux, furent détruits lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Cette part non négligeable du catalogue de l’artiste, souvent méconnue, est ainsi retracée à partir de dessins préparatoires et de quelques rares cartons nous étant parvenus et aujourd’hui exposés, permettant ainsi au visiteur de s’immiscer dans l’atelier de l’artiste.


De la peinture a fresco, délaissée à l’époque en France, Appiani réussit ainsi à insuffler un élan plus naturel à ses représentations souvent formelles. Les thèmes retenus, leur transposition dans les lieux auxquels ils étaient destinés, sans oublier leur commanditaire sont unis harmonieusement par l’artiste qui se voulait l’héritier de Léonard de Vinci et de Bernardino Luini qu’il vénérait plus que tout. L’habileté de ce peintre ne suffira pourtant pas à éviter un relatif oubli jusque dans les années 1980 et la redécouverte du néoclassicisme.

Pour aller plus loin…
 

« Appiani – Le peintre de Napoléon en Italie » catalogue de l’exposition sous la direction scientifique d’Elisabeth Caude et Rémi Cariel, Grand Palais Rmn Editions, 2025.

 

 

Il était nécessaire de réserver une publication d’ampleur sur ce peintre méconnu en France et dont l’exposition qui lui est consacrée à Malmaison révèle les nombreuses facettes. L’ouvrage dévoile ainsi les différents aspects de l’art d’Appiani, un artiste aussi habile dans des compositions intimistes que pour le plus grand faste impérial… Le catalogue retrace tout d’abord la riche carrière de l’artiste de ses débuts à l’avènement de Napoléon, puis dans le Milan occupé par l’empereur (1796-1813). Mais ce qui aurait pu déjà nourrir une longue carrière d’artiste sera complété par de nombreuses facettes plus méconnues, notamment ses activités de commissaire des Beaux-Arts et, longtemps ignorée, son activité de collectionneur et conseiller en art… L’ouvrage étudiera enfin la destinée de l’œuvre d’Appiani entre la dispersion de son corpus de dessins, la destruction de nombre de ses œuvres lors de la Deuxième Guerre mondiale et l’oubli relatif dans lequel son héritage sombra jusqu’à sa redécouverte à partir des années 1980. Un catalogue servi par une riche et abondante iconographie permettant d’approfondir les connaissances sur cet artiste majeur du XIXe s. italien.

 

 

« Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme : une collection particulière »

Musée Marmottan Monet jusqu’au 31 août 2025

Contrairement à une idée reçue, Eugène Boudin n’a pas peint que les plages de Normandie. Et si, bien entendu, ce « père de l’impressionnisme » a rendu ces vues incontournables grâce à son art incomparable à saisir la lumière et les couleurs de ces rivages sur ses toiles, l’exposition du musée Marmottan démontre avec brio que le maître avait plus d’un atout sur sa palette…

 

Eugène Boudin Le Havre, l’avant-port 1885
Huile sur toile 41,5 x 55,5 cm Collection Yann Guyonvarc’h
© Studio Christian Baraja SLB


Eugène Boudin, de seize ans l’aîné de Claude Monet, eut très tôt cette intuition appelée à un bel avenir de saisir la nature sur le motif, une attitude qui influencera grandement par la suite le peintre des nymphéas, qui règne en maître dans les collections permanentes du musée Marmottan. Ainsi que le rappelle Érik Desmazières, Membre de l’Académie des beaux-arts et Directeur du musée Marmottan Monet : « Nous devons cet ensemble exceptionnel au collectionneur français Yann Guyonvarc’h qui a réuni avec passion cette collection unique. Nous lui sommes particulièrement reconnaissants d’avoir choisi notre institution pour la faire découvrir au public parisien et au-delà ».

 

Il faut avouer que cette réunion de quatre-vingts œuvres du peintre - né à Honfleur en 1824 et décédé non loin de là à Deauville en 1898, force l’admiration. Et ce, non seulement en raison de la profusion de peintures rarement réunies et exposées ensemble, mais surtout par leur diversité, une diversité de lieux et de thèmes révélant de nombreuses facettes souvent méconnues du peintre grâce au parcours admirablement conçu par Laurent Manœuvre, commissaire de l’exposition.

Eugène Boudin, célèbre en effet pour ses vues des plages normandes, a également su saisir variations et impressions lors de ses nombreux voyages au-delà de la Normandie, notamment en Bretagne avec des vues marines plus tourmentées et intimes, dans le sud de la France, à Bordeaux également, mais aussi en Hollande ou encore Venise…
 

Eugène Boudin Camaret, la pointe du Toulinguet 1873
Huile sur toile 54,5 x 89,5 cm
Collection Yann Guyonvarc’h © Studio Christian Baraja SLB

 

Si le peintre privilégie le thème marin qui lui était cher, il n’hésite pas à poser également sa palette au cœur d’un verger aux environs d’Honfleur, lors d’une fête religieuse en Bretagne ou aux abords d’un champ de courses à Deauville. Mais l’artiste qui avait travaillé dans sa jeunesse comme mousse sur un bateau revient, de manière récurrente, à ses premières amours, les ondes se confondant avec les nuées jusqu’à ce point de tension ultime où les couleurs s’entrecroisent. Boudin, toute sa vie durant, fut épris d’une quête éternelle, celle des liens entretenus par la lumière et les ombres, et les effets fugitifs suscités par les couleurs, comme à Venise, qui fut le chant du cygne de ce peintre impressionniste ; Eugène Boudin parfaitement mit aujourd’hui à l’honneur par cette exposition du Musée Marmottan Monet.

 

Catalogue Laurent Manoeuvre "Eugène Boudin, le père de l'impressionnisme, Une collection particulière" 248 pp. In Fine Éditions D'art, 2025.

 

 

« Artemisia – Héroïne de l’art "
Musée Jacquemart-André
19 mars – 3 août 2025

 

Il fallait une maison d’une femme peintre, celle de Nélie, épouse d’André Jacquemart, pour accueillir Artemisia Gentileschi, cette audacieuse artiste italienne du XVIIe siècle, ainsi que le souligne d’emblée Pierre Curie, commissaire de l’exposition et conservateur du musée Jacquemart-André. Une exposition qui permet aujourd’hui au public, de par les prêts exceptionnels et la qualité des œuvres exposées, de découvrir toute la valeur et la place de cette artiste quelque peu injustement oubliée jusqu’au XXe siècle et dont les toiles, recherches et attributions continuent d’être, et ce, encore très récemment, découvertes ou affinées. À ce titre, Artemisia Gentileschi (1593- vers 1656) méritait bien un tel écrin.


Artemisia, née à Rome en 1593, suivra très jeune les enseignements de son père, Orazio Gentileschi (1563-1639), peintre originaire de Pise, largement reconnu de son vivant et disciple du Caravage. Pour autant, Artemisia n’est pas, contrairement à quelques préjugés tenaces, « la fille de son père ». Pour s’en convaincre, il suffit de regarder son portrait par Simon Vouet qui ouvre le parcours de cette exposition sous le commissariat de Patrizia Cavazzini et Maria Cristina Terzaghi et Pierre Curie, pour voir combien sa personnalité sut s’affirmer.

Il faut avouer qu’Artemisia devint une femme instruite, fréquentant les meilleurs peintres, mais aussi les cercles littéraires ou encore savants de son époque ; également bonne musicienne, elle se représentera d’ailleurs elle-même sur une célèbre toile jouant du luth (La « Joueuse de luth » 1614-1615 du Wadsworth Atheneum Museum of Art d’Hartford).

 

 

Artemisia Gentileschi, Autoportrait en joueuse de luth, 1614-1615,

 Huile sur toile, 77,5 x 71,8 cm, Hartford CT., Wadsworth Atheneum Museum of Art, Charles H. Schwartz Endowment Fund.

Crédit : Allen Phillips/Wadsworth Atheneum

 


Artemisia, dont la jeunesse fut marquée par un drame puisqu’elle fut en effet violée en 1611 par un ami peintre de son père, Agostino Tassi ; n’ayant pas tenu sa promesse de mariage qui eût été en quelque sorte réparatrice, l’affaire donna lieu à un procès aussi bouleversant que traumatisant pour la jeune artiste… Artemisia sut cependant faire preuve de courage et de résilience et s’imposer en tant qu’artiste femme, n’hésitant pas à parcourir l’Italie, de Rome à Venise, Pise, Florence jusqu’à Naples, ou à voyager jusqu’en Angleterre à la cour de Charles Ier en 1638 pour aider, à sa demande, son père alors âgé à terminer le plafond dans la Maison des Délices de Greenwich (dont le visiteur retrouvera une copie multimédia au plafond de la première salle).

Nourrie ainsi des plus grandes influences de son époque, elle conquit une belle notoriété internationale et reçut elle-même, à l’instar de son père, de prestigieuses commandes provenant des plus grandes cours princières européennes ainsi que de riches aristocrates et collectionneurs.

Influence, en premier lieu, bien sûr, de son père ; une influence que le visiteur découvrira dès la première salle avec des toiles en regard de grand format, notamment cette œuvre d’Artemisia de 1615, « Judith et sa servante » ayant appartenu aux Médicis, aujourd’hui conservée à la Galerie des Offices de Florence. Orazio était fier de sa fille et n’hésitait pas à vanter son talent ; un talent précoce que révèle également admirablement « Suzanne et les vieillards » (Pommersfelden, Schloss Weissenstein), première œuvre datée et signée d’Artemisia âgée seulement de dix-sept ans en 1610.

 

 

Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne, v.1615,

Huile sur toile, 114 x 93,5 cm, Florence, Gallerie degli Uffizi,

 Galleria Palatina. Crédit : Su concessionne del Ministera della Cultura

 

Mais aussi influences caravagesques, influences marquées qu’elle partagera avec son père et son époque, et qu’elle contribuera elle-même à diffuser dans toute l’Europe avec de très belles œuvres notamment « Danaé » (1612) ou « David et Goliath », une œuvre exposée pour la première fois en France. Des toiles retenant des thèmes bibliques ou historiques, on songe également à cette toile de grand format « Esther et Assuérus » de 1628 du Museum of Art de New York, ou encore à « Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède » de 1640.

 

Artemisia Gentileschi, Suzanne et les Vieillards, 1610,

Huile sur toile, 170 x 119 cm, Pommersfelden, Kunstsammlungen Graf von Schönborn.

Crédit : akg-images / MPortfolio

 

À cela s’ajoutera aussi l’atmosphère artistique de Venise inspirée de Véronèse, mais aussi des influences florentines ou encore napolitaines ; Naples où elle tissera des liens étroits avec les artistes napolitains lors de ses deux séjours et où elle mourra probablement en 1656 de la peste.
 

Mais, au-delà de ces influences, Artemisia saura marquer son œuvre d’une réelle signature, notamment par son souci extrême du raffinement ; finesse des détails que l’on retrouve jusque dans la représentation du pavage sur sa toile, pourtant de jeunesse, « Judith et sa servante ». Artemisia excelle aussi dans l’art du portrait avec des portraits en pied prisés de son vivant, pour certains redécouverts récemment, et où le visiteur retrouvera au cœur de l’exposition ce souci du raffinement. Mais, la singularité et l’audace de cette artiste femme du XVIIe siècle résident probablement dans son extrême sensualité, y compris dans des œuvres à thème religieux, n’hésitant pas à représenter avec une sensualité troublante pour l’époque le corps dénudé des femmes, y compris son propre corps. Sa magnifique « Madeleine pénitente » provenant de la cathédrale de Séville en témoigne.
Ce sont toutes ces influences, ces facettes et cette incontestable richesse que met aujourd’hui en valeur le parcours de cette exposition offrant ainsi à Artemisia Gentileschi une des plus belles mises à l’honneur qui soit.

 

 

 

« Revoir Cimabue – Aux origines de la peinture italienne »

Musée du Louvre

jusqu’au 12 mai 2025

 

L’exposition du musée du Louvre consacrée au peintre Cimabue est assurément un évènement en ce début d’année, et ce à plus d’un titre ! En premier lieu et surtout, celle-ci nous invite à découvrir une figure déterminante de la peinture italienne du XIIIe siècle, et néanmoins méconnue du grand public. Pourtant, l’œuvre de Cimabue, bien qu’aujourd’hui fragmentaire marque une rupture avec les codes quelque peu figés de l’art byzantin et anticipera une nouvelle ère picturale. L’exposition réalisée sous le commissariat de Thomas Bohl propose ainsi au visiteur de s’immerger dans cet univers artistique du XIIIe s. et à découvrir l’œuvre d’un artiste se révélant majeur par sa modernité dans le contexte de l’Italie de cette époque.

 


Peu d’éléments biographiques nous sont parvenus sur Cimabue ; né sous le nom de Cenni di Pepo vers 1240 à Florence, nous n’en savons guère plus. Cependant, son œuvre, bien que restreinte aujourd’hui à une quinzaine de compositions connues, témoigne de sa singularité et de sa modernité. Son art, loin des schémas hiératiques hérités de Byzance, introduit en effet, une approche novatrice tant de l’espace que du volume, amorçant ainsi une transition décisive vers le naturalisme.

 

L’actualité a remis Cimabue sous le feu des projecteurs avec la restauration récente et spectaculaire de la Maestà, ainsi que l’acquisition de La Dérision du Christ par le Louvre en 2023, un panneau inédit redécouvert en France en 2019.

Dans cette œuvre exceptionnelle, le peintre donne aux figures une expressivité saisissante et intègre des éléments propres à son époque, accentuant l’impact émotionnel de la scène. Son approche, en rupture avec la rigidité traditionnelle, confère en effet une intensité nouvelle, très perceptible notamment dans le Crucifix de Santa Croce, où la douleur et la gravité du Christ se traduisent par un modelé plus subtil et une gestuelle plus expressive. Cette émouvante évocation se trouve associée le temps de l'exposition aux deux autres panneaux de ce diptyque provenant de la National Gallery de Londres et de la Frick Collection de New York.

 

 

Travaillant pour les Franciscains, Cimabue a assimilé leur vision spirituelle empreinte d’humanité qu’il a su intégrer dans ses œuvres. Ses compositions épurées, alliées à une vibrante palette colorée, insufflent une nouvelle vie aux sujets sacrés. Cet élan novateur culminera chez son élève Giotto, dont le Saint François recevant les stigmates, également présenté dans le parcours de l’exposition, témoigne de l’héritage direct de son maître.

 

Soulignons, enfin, que l’influence de Cimabue s’étendit bien au-delà de son cercle immédiat. Ainsi, Dante lui rend-il hommage dans La Divine Comédie, tandis que Vasari souligna très tôt son rôle de précurseur. L’œuvre de Cimabue témoigne de son génie et de sa volonté de représenter le monde de manière plus réaliste et vivante, une rupture préfigurant la Renaissance et en écho aux mutations philosophiques et scientifiques de son siècle. Avec cette rétrospective d’exception, le Louvre redonne à Cimabue la place qui lui revient, celle d’un grand artiste, d’un artiste ayant initié l’un des plus grands tournants de l’histoire de la peinture occidentale.

Pour prolonger l’exposition :


* Documentaire de Juliette Garcias De Cimabue à Giotto, les premiers maîtres italiens diffusion ARTE Dimanche 16 mars 17h55

 

* Catalogue de l’exposition paru aux éditions Silvana Editoriale (lire notre chronique)

 

 

 

Interview Denis Raisin Dadre

Paris, le 30/05/19.

Lexnews a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique. Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien talentueux !

 

 

 

 

uelle a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir avez-vous gardé de ses œuvres ?

Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".

Quels sont les motifs qui vous ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?

Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan, lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette façon de peindre très spécifique à Vinci".
 

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il existait aux XVe et XVIe siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées

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Pouvez-vous revenir sur cette belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?

Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées. La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point de départ de cette idée d’enregistrement".

La musique franco-flamande prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?

Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre, lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".


Le début du XVIe s. voit la naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?


Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué « Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même « grande patronne » de la frottole résidant à Milan".

Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle, nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait. La lira est un instrument d’expérimentation par excellence puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces épopées".


La technique du peintre, notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?

Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison – et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre, il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
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C’est une époque d’une extraordinaire complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous

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Une très grande liberté présidait dans la composition et ses déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?

Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période, vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"


Quel regard portez-vous sur la dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?


Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel. Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait. Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer Léonard à ce sujet !"

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Je crois que nous avons retrouvé cette immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.

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Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?

Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence ! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle