Exposition Mamlouks
1250-1517
Musée du Louvre
jusqu'au 28 juillet 2025
|

Qui étaient donc les Mamlouks ? Ce nom, à la fois familier et énigmatique
pour bien des Occidentaux, désigne pourtant l’une des civilisations les
plus fascinantes du monde islamique médiéval. Le musée du Louvre propose
aujourd’hui une exposition remarquable, aussi érudite qu’esthétique, qui
plonge son visiteur dans l’univers de cet empire égypto-syrien dont la
puissance s’étendit du milieu du XIIIe siècle jusqu’au début du XVIe.
Dès les premières salles, le visiteur est saisi par la richesse du
parcours imaginé par Souraya Noujaïm et Carine Juvin, commissaires de
cette exposition qui redonne vie à un empire au raffinement insoupçonné.
Un dispositif immersif transporte d’emblée le visiteur au cœur du complexe
monumental du sultan Qalawun (1279-1290) au Caire.

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser
Grâce à cette reconstitution numérique, ce joyau architectural déploie ses
trésors et marbres polychromes, témoins du goût aiguisé de ses
commanditaires. Ce faste artistique demeure indissociable de l’histoire
singulière des Mamlouks : esclaves d’origine turque ou caucasienne,
achetés ou capturés pour servir dans les armées musulmanes, ils accédaient
souvent à la liberté, gravissaient les rangs militaires jusqu’à, parfois,
devenir sultans. |
Cette élite guerrière écrasa Croisés et Mongols, avant de s’effacer face à
l’Empire ottoman en 1517. Leur prestige demeure immense, et Napoléon,
admiratif, intégra même un régiment de Mamlouks dans sa propre armée.
Au-delà de leur force militaire, les Mamlouks ont su bâtir une société
d’une grande richesse culturelle aux multiples échanges.

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser
L’exposition, dans une scénographie feutrée des plus réussies, parvient à
mettre en lumière – et en espace - cette mosaïque de peuples, de langues,
de traditions et d’arts qui composaient ce vaste empire. Loin de se
refermer sur eux-mêmes, les Mamlouks favorisèrent, en effet, échanges
artistiques et commerciaux, depuis l’Europe jusqu’à l’Inde et la Chine.
Une ouverture que reflètent notamment les calligraphies majestueuses, les
bois incrustés de nacre, les verres émaillés et pièces d’orfèvrerie
précieuses rivalisant de finesse et présentés tout au long du parcours.

©Musée du Louvre/Nicolas Bousser
Tant pour la beauté des œuvres réunies que pour la richesse du regard
porté sur une civilisation méconnue et pourtant essentielle à la
compréhension du monde méditerranéen, cette exposition fait revivre une
page d’histoire vibrante, traversée par l’éclat des arts et le souffle des
grands empires.
Catalogue d'exposition Mamlouks Skira/Editions
du Louvre, 2025 |
|
« Andrea Appiani - Le peintre de
Napoléon en Italie »
Exposition Jusqu’au 28 juillet 2025
Musée National des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau |

C'est la première fois que la France honore la mémoire du peintre Andrea
Appiani qui connut son heure de gloire, non seulement auprès de
l'aristocratie milanaise, mais surtout en devenant Premier Peintre de
l'empereur Napoléon en 1805. Le musée national des châteaux de Malmaison
et Bois-Préau a conçu un riche parcours permettant de (re)découvrir ce
peintre majeur du néoclassicisme du nord de l’Italie, certaines de ses
œuvres étant conservées dans ce lieu même.
Mais, avant l’ascension sociale et artistique d’Appiani résultant de sa
reconnaissance officielle par le régime impérial, le jeune artiste fit ses
armes à Milan à l’académie ambrosienne, puis à celle de Brera, nourri de
références antiques et religieuses dont il retint les thèmes essentiels
avec des commandes d’église et de palais pour la noblesse milanaise.
Bientôt, ses voyages à Rome, Parme et Bologne enrichiront sa palette, tout
en renforçant sa maîtrise du dessin. Chaque époque apportera ses
influences dans l’art d’Appiani qui sut accueillir ces références avec
habileté, qu’il s’agisse de ses commandes d’art sacré ou de ses
décorations profanes.
La rencontre déterminante dans le parcours du peintre sera bien entendu
celle avec l’empereur Napoléon Bonaparte qui sut rapidement se saisir de
l’opportunité des talents du peintre prêt à le servir sur ces terres
fraîchement conquises au-delà des Alpes. Appiani devint alors
portraitiste, non seulement de Napoléon (Portrait de Napoléon du
Kunsthistorisches, museum de Vienne), mais également de ses généraux et du
personnel politique italien le plus en vue. Malgré le caractère formel de
cet art répondant à des codes bien établis, Appiani saura souvent en
infléchir la rigueur, adoucissant certains traits et nuançant délicatement
les couleurs, usant ici ou là du non finito, guère usuel en ce domaine.
Appiani innove et atténue ainsi le néoclassicisme dont il demeure, en ce
début de XIXe siècle italien, l’un des représentants les plus illustres.
L’exposition réserve également des sections à ses nombreux décors qui,
pour un grand nombre d’entre eux, furent détruits lors des bombardements
de la Seconde Guerre mondiale. Cette part non négligeable du catalogue de
l’artiste, souvent méconnue, est ainsi retracée à partir de dessins
préparatoires et de quelques rares cartons nous étant parvenus et
aujourd’hui exposés, permettant ainsi au visiteur de s’immiscer dans
l’atelier de l’artiste. |
De la peinture a fresco, délaissée à l’époque en France, Appiani réussit
ainsi à insuffler un élan plus naturel à ses représentations souvent
formelles. Les thèmes retenus, leur transposition dans les lieux auxquels
ils étaient destinés, sans oublier leur commanditaire sont unis
harmonieusement par l’artiste qui se voulait l’héritier de Léonard de
Vinci et de Bernardino Luini qu’il vénérait plus que tout. L’habileté de
ce peintre ne suffira pourtant pas à éviter un relatif oubli jusque dans
les années 1980 et la redécouverte du néoclassicisme.
Pour aller plus loin…
« Appiani – Le peintre de Napoléon en
Italie » catalogue de l’exposition sous la direction scientifique
d’Elisabeth Caude et Rémi Cariel, Grand Palais Rmn Editions, 2025.

Il était nécessaire de réserver une publication d’ampleur sur ce peintre
méconnu en France et dont l’exposition qui lui est consacrée à Malmaison
révèle les nombreuses facettes. L’ouvrage dévoile ainsi les différents
aspects de l’art d’Appiani, un artiste aussi habile dans des compositions
intimistes que pour le plus grand faste impérial… Le catalogue retrace
tout d’abord la riche carrière de l’artiste de ses débuts à l’avènement de
Napoléon, puis dans le Milan occupé par l’empereur (1796-1813). Mais ce
qui aurait pu déjà nourrir une longue carrière d’artiste sera complété par
de nombreuses facettes plus méconnues, notamment ses activités de
commissaire des Beaux-Arts et, longtemps ignorée, son activité de
collectionneur et conseiller en art… L’ouvrage étudiera enfin la destinée
de l’œuvre d’Appiani entre la dispersion de son corpus de dessins, la
destruction de nombre de ses œuvres lors de la Deuxième Guerre mondiale et
l’oubli relatif dans lequel son héritage sombra jusqu’à sa redécouverte à
partir des années 1980. Un catalogue servi par une riche et abondante
iconographie permettant d’approfondir les connaissances sur cet artiste
majeur du XIXe s. italien. |
|
« Eugène Boudin, le père de
l’impressionnisme : une collection particulière »
Musée Marmottan Monet jusqu’au 31 août 2025
 |
Contrairement à une idée reçue, Eugène Boudin n’a pas peint que les plages
de Normandie. Et si, bien entendu, ce « père de l’impressionnisme » a
rendu ces vues incontournables grâce à son art incomparable à saisir la
lumière et les couleurs de ces rivages sur ses toiles, l’exposition du
musée Marmottan démontre avec brio que le maître avait plus d’un atout sur
sa palette…

Eugène Boudin Le Havre, l’avant-port 1885
Huile sur toile 41,5 x 55,5 cm Collection Yann Guyonvarc’h
© Studio Christian Baraja SLB
Eugène Boudin, de seize ans l’aîné de Claude Monet, eut très tôt cette
intuition appelée à un bel avenir de saisir la nature sur le motif, une
attitude qui influencera grandement par la suite le peintre des nymphéas,
qui règne en maître dans les collections permanentes du musée Marmottan.
Ainsi que le rappelle Érik Desmazières, Membre de l’Académie des
beaux-arts et Directeur du musée Marmottan Monet : « Nous devons cet
ensemble exceptionnel au collectionneur français Yann Guyonvarc’h qui a
réuni avec passion cette collection unique. Nous lui sommes
particulièrement reconnaissants d’avoir choisi notre institution pour la
faire découvrir au public parisien et au-delà ».
Il faut avouer que cette réunion de quatre-vingts œuvres du peintre - né à
Honfleur en 1824 et décédé non loin de là à Deauville en 1898, force
l’admiration. |
Et ce, non seulement en raison de la profusion de peintures rarement
réunies et exposées ensemble, mais surtout par leur diversité, une
diversité de lieux et de thèmes révélant de nombreuses facettes souvent
méconnues du peintre grâce au parcours admirablement conçu par Laurent
Manœuvre, commissaire de l’exposition. Eugène Boudin, célèbre en effet
pour ses vues des plages normandes, a également su saisir variations et
impressions lors de ses nombreux voyages au-delà de la Normandie,
notamment en Bretagne avec des vues marines plus tourmentées et intimes,
dans le sud de la France, à Bordeaux également, mais aussi en Hollande ou
encore Venise…

Eugène Boudin Camaret, la pointe du Toulinguet 1873
Huile sur toile 54,5 x 89,5 cm
Collection Yann Guyonvarc’h © Studio Christian Baraja SLB
Si le peintre privilégie le thème marin qui lui était cher, il n’hésite
pas à poser également sa palette au cœur d’un verger aux environs
d’Honfleur, lors d’une fête religieuse en Bretagne ou aux abords d’un
champ de courses à Deauville. Mais l’artiste qui avait travaillé dans sa
jeunesse comme mousse sur un bateau revient, de manière récurrente, à ses
premières amours, les ondes se confondant avec les nuées jusqu’à ce point
de tension ultime où les couleurs s’entrecroisent. Boudin, toute sa vie
durant, fut épris d’une quête éternelle, celle des liens entretenus par la
lumière et les ombres, et les effets fugitifs suscités par les couleurs,
comme à Venise, qui fut le chant du cygne de ce peintre impressionniste ;
Eugène Boudin parfaitement mit aujourd’hui à l’honneur par cette
exposition du Musée Marmottan Monet. |
|
«
Artemisia – Héroïne de l’art "
Musée Jacquemart-André
19 mars – 3 août 2025 |

Il fallait une maison d’une femme peintre, celle de Nélie, épouse d’André
Jacquemart, pour accueillir Artemisia Gentileschi, cette audacieuse
artiste italienne du XVIIe siècle, ainsi que le souligne d’emblée Pierre
Curie, commissaire de l’exposition et conservateur du musée
Jacquemart-André. Une exposition qui permet aujourd’hui au public, de par
les prêts exceptionnels et la qualité des œuvres exposées, de découvrir
toute la valeur et la place de cette artiste quelque peu injustement
oubliée jusqu’au XXe siècle et dont les toiles, recherches et attributions
continuent d’être, et ce, encore très récemment, découvertes ou affinées.
À ce titre, Artemisia Gentileschi (1593- vers 1656) méritait bien un tel
écrin.
Artemisia, née à Rome en 1593, suivra très jeune les enseignements de son
père, Orazio Gentileschi (1563-1639), peintre originaire de Pise,
largement reconnu de son vivant et disciple du Caravage. Pour autant,
Artemisia n’est pas, contrairement à quelques préjugés tenaces, « la fille
de son père ». Pour s’en convaincre, il suffit de regarder son portrait
par Simon Vouet qui ouvre le parcours de cette exposition sous le
commissariat de Patrizia Cavazzini et Maria Cristina Terzaghi et Pierre
Curie, pour voir combien sa personnalité sut s’affirmer.
Il faut avouer qu’Artemisia devint une femme instruite, fréquentant les
meilleurs peintres, mais aussi les cercles littéraires ou encore savants
de son époque ; également bonne musicienne, elle se représentera
d’ailleurs elle-même sur une célèbre toile jouant du luth (La « Joueuse de
luth » 1614-1615 du Wadsworth Atheneum Museum of Art d’Hartford).

Artemisia Gentileschi, Autoportrait en joueuse de luth,
1614-1615,
Huile sur toile, 77,5 x 71,8 cm, Hartford CT.,
Wadsworth Atheneum Museum of Art, Charles H. Schwartz Endowment Fund.
Crédit : Allen Phillips/Wadsworth Atheneum
Artemisia, dont la jeunesse fut marquée par un drame puisqu’elle fut en
effet violée en 1611 par un ami peintre de son père, Agostino Tassi ;
n’ayant pas tenu sa promesse de mariage qui eût été en quelque sorte
réparatrice, l’affaire donna lieu à un procès aussi bouleversant que
traumatisant pour la jeune artiste… Artemisia sut cependant faire preuve
de courage et de résilience et s’imposer en tant qu’artiste femme,
n’hésitant pas à parcourir l’Italie, de Rome à Venise, Pise, Florence
jusqu’à Naples, ou à voyager jusqu’en Angleterre à la cour de Charles Ier
en 1638 pour aider, à sa demande, son père alors âgé à terminer le plafond
dans la Maison des Délices de Greenwich (dont le visiteur retrouvera une
copie multimédia au plafond de la première salle).
Nourrie ainsi des plus grandes influences de son époque, elle conquit une
belle notoriété internationale et reçut elle-même, à l’instar de son père,
de prestigieuses commandes provenant des plus grandes cours princières
européennes ainsi que de riches aristocrates et collectionneurs.
|
Influence, en premier lieu, bien sûr, de son père ; une influence que le
visiteur découvrira dès la première salle avec des toiles en regard de
grand format, notamment cette œuvre d’Artemisia de 1615, « Judith et sa
servante » ayant appartenu aux Médicis, aujourd’hui conservée à la Galerie
des Offices de Florence. Orazio était fier de sa fille et n’hésitait pas à
vanter son talent ; un talent précoce que révèle également admirablement «
Suzanne et les vieillards » (Pommersfelden, Schloss Weissenstein),
première œuvre datée et signée d’Artemisia âgée seulement de dix-sept ans
en 1610.

Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante avec la tête
d’Holopherne, v.1615,
Huile sur toile, 114 x 93,5 cm, Florence, Gallerie degli
Uffizi,
Galleria Palatina. Crédit : Su concessionne del
Ministera della Cultura
Mais aussi influences caravagesques, influences marquées qu’elle partagera
avec son père et son époque, et qu’elle contribuera elle-même à diffuser
dans toute l’Europe avec de très belles œuvres notamment « Danaé » (1612)
ou « David et Goliath », une œuvre exposée pour la première fois en
France. Des toiles retenant des thèmes bibliques ou historiques, on songe
également à cette toile de grand format « Esther et Assuérus » de 1628 du
Museum of Art de New York, ou encore à « Ulysse reconnaissant Achille
parmi les filles de Lycomède » de 1640.

Artemisia Gentileschi, Suzanne et les Vieillards, 1610,
Huile sur toile, 170 x 119 cm, Pommersfelden,
Kunstsammlungen Graf von Schönborn.
Crédit : akg-images / MPortfolio
À cela s’ajoutera aussi l’atmosphère artistique de Venise inspirée de
Véronèse, mais aussi des influences florentines ou encore napolitaines ;
Naples où elle tissera des liens étroits avec les artistes napolitains
lors de ses deux séjours et où elle mourra probablement en 1656 de la
peste.
Mais, au-delà de ces influences, Artemisia saura marquer son œuvre d’une
réelle signature, notamment par son souci extrême du raffinement ; finesse
des détails que l’on retrouve jusque dans la représentation du pavage sur
sa toile, pourtant de jeunesse, « Judith et sa servante ». Artemisia
excelle aussi dans l’art du portrait avec des portraits en pied prisés de
son vivant, pour certains redécouverts récemment, et où le visiteur
retrouvera au cœur de l’exposition ce souci du raffinement. Mais, la
singularité et l’audace de cette artiste femme du XVIIe siècle résident
probablement dans son extrême sensualité, y compris dans des œuvres à
thème religieux, n’hésitant pas à représenter avec une sensualité
troublante pour l’époque le corps dénudé des femmes, y compris son propre
corps. Sa magnifique « Madeleine pénitente » provenant de la cathédrale de
Séville en témoigne.
Ce sont toutes ces influences, ces facettes et cette incontestable
richesse que met aujourd’hui en valeur le parcours de cette exposition
offrant ainsi à Artemisia Gentileschi une des plus belles mises à
l’honneur qui soit. |
|
Galerie Campana - Aile Sully
Musée du Louvre
|

©Musée du Louvre
La Galerie Campana du musée du Louvre consacrée à la céramique grecque
antique a récemment rouvert après une vaste campagne de rénovation. Tout
en préservant son esthétique muséographique héritée du XIXe s. sa
lisibilité et présentation ont en revanche bénéficié des dernières
innovations contemporaines, tables multimédias, etc.
Rappelons que cette collection unique au monde est le fruit d’une passion
folle, celle du marquis Giampietro Campana (1809-1880) qui rechercha toute
sa vie les antiquités grecques les plus précieuses alors qu’il était
directeur du Mont de Piété à Rome. Mais l’homme n’était pas infaillible et
fut également accusé de malversations financières causant sa perte et
condamnation. Le sort de sa collection échut alors notamment à Napoléon
III qui s’en porta en partie acquéreur, collection qui vint enrichir le
musée du Louvre avec un nombre de vases et de terres cuites faisant de la
Galerie Campana l’une des plus riches au monde.

©Musée du Louvre
Bien que celle-ci fut - et est encore - avec ses neuf salles aux fenêtres
donnant directement sur la Seine, considérée également comme l’une des
plus belles du Louvre, cette vénérable Galerie depuis 1863, date à
laquelle elle fut inaugurée sous le Second Empire, avait cependant besoin
d’une rénovation afin de préserver cet héritage et cette esthétique à
nulle autre pareille. |
Avec son parquet à chevron et ses vitrines antiques, sans oublier les
somptueux plafonds peints entre 1825 et 1833, eux-mêmes restaurés pour
l’occasion, ce lieu singulier au cœur du musée retrouve ainsi après
rénovation son lustre. Mais la modernité s’invite également avec un
parcours repensé, notamment sur le plan chronologique, des cartels et
dispositifs multimédias, ainsi que des tables de consultation proposées
aux chercheurs souhaitant étudier certaines pièces. Trois espaces
distincts sont aujourd’hui organisés : une salle thématique introductive
par laquelle le visiteur a fort intérêt à débuter afin de se familiariser
avec la chronologie du IXe au Ier s. av. J.-C. et la géographie de ces
antiques artefacts. Trois salles d’études concerneront plus les
spécialistes et chercheurs, alors que le parcours chronologique occupant
les autres salles familiarisera le visiteur avec les différents styles et
techniques de la céramique grecque dont les plus illustres représentants
sont présentés avec une plus grande visibilité.

©Musée du Louvre
Qu’il s’agisse des nombreuses scènes inspirées directement de la
mythologie ou de la vie quotidienne, la Galerie Campana offre des instants
de vie incomparables de la société grecque antique faisant écho de manière
idéale aux sources littéraires classiques.

©Musée du Louvre
Le visiteur de la Galerie Campana découvrira, dans l’atmosphère unique et
intimiste de ces salles préservées du temps, l’une des plus belles
collections de céramiques archaïques et géométriques, à figures noires ou
rouges, pour un voyage immédiat dans cette riche et incomparable
civilisation antique. |
|
« Revoir Cimabue – Aux origines de la
peinture italienne »
Musée du Louvre
jusqu’au 12 mai 2025 |

L’exposition du musée du Louvre consacrée au peintre Cimabue est
assurément un évènement en ce début d’année, et ce à plus d’un titre ! En
premier lieu et surtout, celle-ci nous invite à découvrir une figure
déterminante de la peinture italienne du XIIIe siècle, et néanmoins
méconnue du grand public. Pourtant, l’œuvre de Cimabue, bien
qu’aujourd’hui fragmentaire marque une rupture avec les codes quelque peu
figés de l’art byzantin et anticipera une nouvelle ère picturale.
L’exposition réalisée sous le commissariat de Thomas Bohl propose ainsi au
visiteur de s’immerger dans cet univers artistique du XIIIe s. et à
découvrir l’œuvre d’un artiste se révélant majeur par sa modernité dans le
contexte de l’Italie de cette époque.

Peu d’éléments biographiques nous sont parvenus sur Cimabue ; né sous le
nom de Cenni di Pepo vers 1240 à Florence, nous n’en savons guère plus.
Cependant, son œuvre, bien que restreinte aujourd’hui à une quinzaine de
compositions connues, témoigne de sa singularité et de sa modernité. Son
art, loin des schémas hiératiques hérités de Byzance, introduit en effet,
une approche novatrice tant de l’espace que du volume, amorçant ainsi une
transition décisive vers le naturalisme.
 |
L’actualité a remis Cimabue sous le feu des projecteurs avec la
restauration récente et spectaculaire de la Maestà, ainsi que
l’acquisition de La Dérision du Christ par le Louvre en 2023, un panneau
inédit redécouvert en France en 2019.
Dans cette œuvre exceptionnelle, le peintre donne aux figures une
expressivité saisissante et intègre des éléments propres à son époque,
accentuant l’impact émotionnel de la scène. Son approche, en rupture avec
la rigidité traditionnelle, confère en effet une intensité nouvelle, très
perceptible notamment dans le Crucifix de Santa Croce, où la
douleur et la gravité du Christ se traduisent par un modelé plus subtil et
une gestuelle plus expressive. Cette émouvante évocation se trouve
associée le temps de l'exposition aux deux autres panneaux de ce diptyque
provenant de la National Gallery de Londres et de la Frick Collection de
New York.

Travaillant pour les Franciscains, Cimabue a assimilé leur vision
spirituelle empreinte d’humanité qu’il a su intégrer dans ses œuvres. Ses
compositions épurées, alliées à une vibrante palette colorée, insufflent
une nouvelle vie aux sujets sacrés. Cet élan novateur culminera chez son
élève Giotto, dont le Saint François recevant les stigmates, également
présenté dans le parcours de l’exposition, témoigne de l’héritage direct
de son maître.
Soulignons, enfin, que l’influence de Cimabue s’étendit
bien au-delà de son cercle immédiat. Ainsi, Dante lui rend-il hommage dans
La Divine Comédie, tandis que Vasari souligna très tôt son rôle de
précurseur. L’œuvre de Cimabue témoigne de son génie et de sa volonté de
représenter le monde de manière plus réaliste et vivante, une rupture
préfigurant la Renaissance et en écho aux mutations philosophiques et
scientifiques de son siècle. Avec cette rétrospective d’exception, le
Louvre redonne à Cimabue la place qui lui revient, celle d’un grand
artiste, d’un artiste ayant initié l’un des plus grands tournants de
l’histoire de la peinture occidentale.
Pour prolonger l’exposition :
* Documentaire de Juliette Garcias De Cimabue à Giotto, les premiers
maîtres italiens diffusion ARTE Dimanche 16 mars 17h55
* Catalogue de l’exposition paru aux
éditions Silvana Editoriale
(lire notre
chronique)
 |
|
Exposition « Faire parler les pierres
Sculptures médiévales de Notre-Dame »
Musée de Cluny Paris
Jusqu’au 16 mars 2025 |

Le musée de Cluny, parallèlement à l’achèvement de la restauration de
Notre-Dame de Paris, explore le riche patrimoine sculpté de la cathédrale.
Cette exposition unique éclaire grâce à une mise en l’espace judicieuse la
richesse de l’art gothique et de la vie du célèbre édifice avant les
grandes transformations opérées par l’ère moderne.
En partenariat avec l’INRAP et le Centre de recherche et de restauration
des musées de France, l’exposition rassemble environ 120 œuvres issues de
fouilles, de restaurations récentes et de collections historiques.

Mais l’intérêt de cet évènement ne réside pas seulement dans la simple
présence de ces témoins uniques de l’ère médiévale de la cathédrale, mais
aussi et surtout dans leur mise en perspective à la fois didactique et
esthétique avec le contexte de ces siècles qui ont vu naître ce joyau du
gothique, sans oublier l’impressionnant travail réalisé sur l’analyse et
la restauration de ces œuvres souvent parcellaires. |
La première impression qui ressort de ce parcours habilement conçu par
Damien Berné, commissaire et conservateur en chef au musée de Cluny, est
en effet cette beauté ineffable de ces fragments du jubé du XIIIᵉ siècle,
récemment découverts lors des fouilles préventives de 2022 et exposés pour
la première fois.

Le regard et l’intérêt du visiteur s’arrêtera également sur ces célèbres
têtes des rois de la Galerie des Rois, trouvées en 1977 sous un hôtel
particulier, sans oublier cette reconstitution convaincante et éloquente
des éléments polychromes des portails Sainte-Anne et du Jugement dernier,
ainsi que de la statue d’Adam, chef-d’œuvre de la sculpture gothique. Ces
œuvres, associant calcaire brut et traces de polychromie, subliment la
richesse du décor médiéval intérieur et extérieur de Notre-Dame avant les
trop nombreuses destructions apportées par les siècles suivants.

Cette exposition, inscrite dans le cadre du label « Notre-Dame de Paris :
vers la réouverture », permettra au visiteur de redécouvrir ce patrimoine
en renaissance, par le truchement de pièces inspirées par la spiritualité
médiévale avant sa traduction par les artisans les plus virtuoses. Une
visite indispensable avant ou après pour redécouvrir la richesse et beauté
de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Catalogue « Faire parler les Pierres – Sculptures médiévales de
Notre-Dame » Editions Faton, 2024. |
|
Exposition « Ribera – Ténèbres et
Lumière »
Petit Palais - Paris
Une rétrospective saisissante
Jusqu'au 23 février 2025 |

Jusqu’au 23 février 2025, le Petit Palais met en lumière l’œuvre intense
et dramatique de Jusepe de Ribera (1591-1652), un peintre espagnol certes
moins reconnu que son maître, Le Caravage, mais dont la puissance
artistique mérite indéniablement d’être redécouverte. À travers cette
exposition, le Petit Palais offre une immersion dans l’univers de
l’artiste, dont le réalisme frappant et les jeux de lumière ont marqué son
époque. Né à Játiva, près de Valence, Ribera s’installe en Italie dès son
adolescence, où il est surnommé Lo Spagnoletto et s’imprègne de
l’art du Caravage. Bien qu’il n’ait peut-être jamais croisé le maître,
l’influence de ce dernier sur son œuvre demeure incontestable.

Le Jugement de Salomon
Jusepe de Ribera 1609-1610.
Huile sur toile, 153 x 201 cm.
Galleria Borghese, Rome.
© Galleria Borghese.
Le clair-obscur et le réalisme – si caractéristiques du Caravage –
marqueront son propre style. Tout au long de sa carrière, Ribera
bouleversera, en effet, les codes artistiques en introduisant une vision
plus crue et plus intime de la réalité, un réalisme captivant qui séduit
les plus grands mécènes de l’époque.
L’exposition, pensée par les commissaires Annick Lemoine et Maïté Metz,
permet de redécouvrir ce génie baroque à travers une scénographie qui
sublime ses chefs-d'œuvre présentés pour la première fois en France. À
l’instar de son modèle caravagesque, Ribera maîtrise l'art du contraste,
qu’il applique aussi bien à ses scènes religieuses qu’à ses
représentations de la vie quotidienne. |
Sa capacité à rendre les émotions humaines fait de lui un maître du
Baroque, et ses portraits, souvent saisissants de vérité, sont marqués par
une approche directe et sans artifice, typique de son époque. Le réalisme
de Ribera ne se limite pas aux simples représentations de figures pieuses
; il va jusqu'à sublimer des scènes de misère et de souffrance, comme dans
le poignant « Portrait d’un mendiant » de la Galleria Borghese. Son regard
acéré et son utilisation de la lumière transforment des sujets simples en
drames visuels, amplifiant l’intensité émotionnelle de chaque œuvre.

Le Reniement de Saint-Pierre Jusepe de Ribera
1615-1616.
Huile sur toile, 163 x 233 cm.
Galerie Corsini, Rome.
© Gallerie Nazionali di Arte Antica, Ministero della Cultura
Dans un contexte religieux marqué par le Concile de Trente, Ribera trouve
sa place en réinterprétant les prescriptions morales de l’Église pour
toucher les âmes. Ses œuvres, imprégnées de mysticisme et de piété, sont
des appels à la dévotion. Son « Saint Jérôme pénitent » ou encore « Saint
Jérôme et l’Ange du Jugement dernier » témoignent de cette quête
spirituelle. La tension entre la vie et la mort, la souffrance et la
rédemption sont au cœur de son œuvre, notamment dans ses scènes de la
Passion du Christ, à la fois poignantes et théâtrales.
Loin de se contenter d’une simple présentation chronologique, cette
exposition invite le visiteur à comprendre l’évolution de l’artiste en
mettant l’accent sur ses thèmes majeurs, et à découvrir à travers l’œuvre
de Ribera, une vision personnelle du monde baroque dans lequel chaque
toile devient un théâtre de la condition humaine. À ne manquer sous aucun
prétexte.

Catalogue « Ribera, Ténèbres et lumière »
sous la direction d'Annick Lemoine, conservatrice générale, directrice du
Petit Palais et Maïté Metz, conservatrice des peintures anciennes au Petit
Palais, 23,5×30,5 cm, 304 pages, relié, 180 illustrations, Editions Paris
Musée, 2024. |
|
Naissance et Renaissance du dessin italien
La Collection du Museum Boijmans Van
Beuningen, Rotterdam
Fondation Custodia,
jusqu’au 12 janvier 2025 |

La fondation Custodia propose de découvrir le fonds de dessins réuni par
le grand collectionneur néerlandais Franz Koenigs au siècle passé en une
exposition aussi virtuose qu’inspirante. Virtuose, car les feuilles
présentées proviennent des plus grands artistes du XVe au XVIe siècle, ces
120 dessins étant pour la plupart d’une remarquable qualité non seulement
d’exécution, mais également de conservation. Ces feuilles prestigieuses,
essentiellement d’origine italienne, offrent ainsi en une belle
scénographie épurée dans la cadre intimiste de la Fondation Custodia une
rencontre inspirante avec le visiteur.

Léonard de Vinci (1452-1519), Léda et le
cygne, vers 1505-1507
Pierre noire, plume et encre. – 128 × 109 mm
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum
Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 466
Dès la première salle, nous nous trouvons face à la délicatesse de cette
Tête d’ange de Giovianni Antonio Boltraffio, actif à Milan dans la
deuxième moitié du XVe s., ou encore face à cette émouvante esquisse du
thème bien connu chez Léonard de Vinci de Léda et le cygne à la pierre
noire, plume et encre… Aucune barrière de sécurité, une affluence toujours
raisonnable permettent de littéralement entretenir un dialogue intime avec
ces œuvres anticipant des réalisations définitives ou fruits de séances de
travail. Pisanello, Spinelli, Gozzoli et bien d’autres artistes laissent
une somptueuse idée de ce que pouvaient être les principaux foyers
artistiques de l’époque au nord de l’Italie entre Florence et Venise.
|
Un grand nombre de dessins réunis de Fra Bartolomeo sont présentés un peu
plus loin, des études délicates de jeune homme ou plus enlevées pour ce
saint Georges terrassant le dragon. Là, une émouvante étude de saint
Jean-Baptiste agenouillé signée Raphaël ou encore ce fastueux Buste
d’homme esquissé à traits vifs par le grand Michelangelo aux côtés de
feuilles tout aussi réussies de Corrège, Parmesan, Primatice, Sebastiano
del Piombo…

Federico Barocci (1535-1612), Étude pour la
Mise au tombeau, vers 1579-1582 Pierre noire, craie blanche, mise au
carreau pour transfert, sur papier bleu. – 259 × 374 mm
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Prêt de la Stichting Museum
Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs), inv. I 428
En fin de parcours, alors que le vertige d’une telle profusion gagne,
l’exposition annonce la génération des dessinateurs actifs à la fin du
XVIe s. préfigurant le baroque et le classicisme, le visiteur pourra ainsi
encore s’émerveiller des dessins remarquables du Cavalier d’Arpin ou des
Carrache, une expérience des plus intenses et fertile à découvrir et
redécouvrir jusqu’au 12 janvier 2025.

L’exposition pourra être complétée avec profit par le catalogue (en
anglais) édité à cette occasion et proposant l’état le plus abouti des
recherches sur ces dessins et cette période essentielle de l’histoire de
l’art : Italian Renaissance Drawings from Museum Boijmans Van Beuningen,
un catalogue officiel sous la direction de Maud Guichané et Rosie Razzall,
296 p. 200 illustrations couleur, 28 × 22,6 cm, broché, en anglais,
Londres, Paul Holberton Publishing, 2024. |
|
Exposition « Chefs d’œuvre de la Galerie
Borghèse »
Musée Jacquemart André
jusqu’au 5 janvier 2025.
|

Le musée Jacquemart André fait une rentrée plus qu’en beauté ! Car, outre
la réouverture attendue après rénovation de sa collection permanente,
c’est en effet à une promenade inspirée au cœur du parc de la ville
Borghèse à laquelle le musée convie le visiteur parisien de l’exposition «
Chefs d’œuvre de la Galerie Borghèse ». Impossible pour celles et ceux qui
connaissent l’un des plus beaux musées de la Ville Éternelle de ne pas se
sentir dépaysé en retrouvant tous ces chefs d’œuvre dans l’écrin intimiste
restauré et repensé du musée parisien. Le lieu romain ouvrant ses bras de
verdure à la contemplation romantique de ces heures où Byron, Goethe,
Victor Hugo et tant d’autres louèrent les charmes de ces jardins nés d’une
folie d’un cardinal du XVIIe - le fameux Scipione Borghese - sur ce qui
n’était jusqu’alors que des vignes, se trouve en effet transposé, le temps
d’une exposition, dans la capitale parisienne.

Raphaël, Dame à la licorne, vers 1506,
huile sur toile appliquée sur bois, 67 x 56 cm,
Galleria Borghese, Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
Le cardinal Scipione Borghese, prélat tout puissant et neveu du pape Paul
V (1550-1621), eut à cœur de réaliser en ces lieux romains une véritable
ambassade des arts les plus en vogue de son temps, ne ménageant ni sa
fortune immense, ni ses efforts – parfois guère charitables – pour
parvenir à réunir l’une des plus belles collections d’art du XVIIe s.
Magies des siècles et des lieux, aujourd’hui, alors que la Villa Borghèse
est en restauration, c’est une quarantaine de ses trésors qui ont pu de
manière exceptionnelle faire l’objet d’un prêt accordé au musée Jacquemart
André, ainsi que le souligne avec une délectation compréhensible le
commissaire Pierre Curie en collaboration avec Dr Francesca Cappelletti,
Directrice de la Galerie Borghèse. Et quel autre musée, mieux que
Jacquemart André pouvait effectivement de par son esprit accueillir en son
sein pour quelques semaines ces chefs-d’œuvre de la collection Borghèse ?
Anticipant les musées modernes, la Galerie Borghèse dépasse le cadre de la
collection privée tant son commanditaire sut non seulement composer cet
ensemble selon un goût très sûr, mais également en concevant un dialogue
des arts et des œuvres unique en son genre, ce qu’a souhaité rappeler
l’exposition parisienne dès son ouverture avec ces sculptures de Lorenzo
Bernini, dit le Bernin, présentées en prélude inspiré. |
« Entre 1620 et 1625, Scipion Borghèse va donner à cet artiste tous les
moyens afin de réaliser les grandes sculptures monumentales qui demeurent
les chefs-d’œuvre incontournables du musée romain » souligne Pierre Curie.
Des sculptures qui n’ont pas pu, pour des raisons pratiques bien sûr, être
dans leur ensemble transportées, mais dont le musée donne néanmoins la
nostalgie avec la fameuse « Chèvre Amalthée » qui a fait le voyage et est
présente pour l’occasion entourée de deux autres sculptures du Bernin.
Après ce prélude, en réminiscence du faste de Borghèse, la première salle
de l’exposition donne la tonalité de ce goût sûr du cardinal en présentant
le célèbre « Garçon à la corbeille de fruits » de Caravage, éblouissant de
fraîcheur et de virtuosité, probablement le premier autoportrait du
peintre introduisant le naturalisme à Rome à cette époque et chef d’œuvre
incontournable de la collection Borghèse. Quelle merveille de le retrouver
ainsi le temps d’une exposition à Paris !

Sandro Botticelli, Vierge à l’Enfant avec saint Jean Baptiste enfant et
des anges, XVe siècle, tempera sur panneau, diam. 170 cm, Galleria
Borghese, Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
Puis, les signatures les plus célèbres se succèdent salle après salle, le
Cavalier d’Arpin et cet admirable tableau « L’Arrestation du Christ » qui
aiguisa la convoitise du cardinal au point d’ourdir une saisie guère
charitable, mais aussi Bernin, Botticelli, Raphaël, Le Dominiquin, Lotto
et bien d’autres prestigieux maîtres en un étourdissant panorama de ce que
la Villa Borghèse et la peinture italienne de la Renaissance comptent de
plus précieux… Venise, Florence, Bologne, Milan, Rome forment les ateliers
les plus actifs et créatifs de cette époque où Scipion Borghèse puisera
les trésors qui enrichiront sa galerie, galerie qui continuera à
s’embellir au fil du temps en un rayonnement non seulement romain, mais
également international, ainsi que le souligne le parcours de
l’exposition.

Titien, Christ flagellé, vers 1568, huile sur toile,
87 x 62,5 cm, Galleria Borghese,
Rome, © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen
Plus étonnant encore, le goût du cardinal pour la beauté et l’esthétisme
s’exprimera de manière contrastée puisque ses choix iront de l’art sacré
le plus dramatique avec « La Flagellation du Christ » du Titien jusqu’aux
plus voluptueuses représentations des Vénus en des connotations plus
érotiques que mythologique ; Six Vénus qui viendront refermer avec bonheur
cette incroyable exposition restituant la magie d’un lieu et d’un goût de
l’un des plus beaux musées, véritable regard transversal au sein de la
collection de la Galerie Borghèse …
Catalogue « Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse » Fonds Mercator,
2024. |
|
Nouveau Musée National de Monaco – Villa
Sauber
Pasolini en clair-obscur exposition
jusqu’au 29 septembre 2024
|

Guillaume de Sardes consacre une exposition originale sur les liens
unissant le grand poète et cinéaste italien, Pier Paolo Pasolini, aux arts
et plus précisément à l’art des grands maîtres dont il se servira
directement comme source d’inspiration pour ses films. Vient, bien
entendu, à l’esprit l’influence de Caravage qui donne le sous-titre de
cette exposition, tant la figure même du célèbre écrivain peut se
rapprocher sur bien des points du peintre baroque italien. L’art comme
source d’inspiration du cinéma – et de bien d’autres domaines – de
Pasolini, tel est le fil directeur de cette passionnante exposition du
Nouveau Musée National de Monaco qui trouve son prolongement dans le très
complet catalogue-livre paru aux éditions Flammarion.
Extraits de films, peintures, dessins, installations et photographies
allant du XVIe siècle à nos jours sont non seulement la preuve de la
justesse d’un tel angle d’analyse mais également de la fertilité de cette
approche artistique totalisante réalisée par Pasolini.
Quel autre personnage que l’intellectuel italien pouvait en effet
conjuguer avec tant de réussite des tableaux aussi vivants inspirés de «
La Déposition de Pontormo à son film « La Riccotta » ou encore des œuvres
contemporaines de Francis Bacon évoquées dans cet autre film culte «
Théorème » ? |
Contrairement à bien d’autres « créations » du 7e art, Pasolini n’a point
recours à l’héritage de la peinture comme décor mais bien en tant que
partie intégrante même de son langage artistique ou politique.
L’exposition et le catalogue retracent également ses années de formation,
des années essentielles pour Pasolini, étudiant brillant à Bologne qui
suivra les cours du grand historien de l’art Roberto Longhi si essentiels
pour ses nombreuses références ultérieures aux artistes du Moyen Âge et de
la Renaissance italienne sans oublier le Caravage.
Chaque salle met en évidence ce réseau riche et fertile de liens entre 7e
art et peinture, qu’il s’agisse de la dénonciation récurrente de la fin
d’une époque traditionnelle broyée par le libéralisme ou encore d’une
sensibilité exacerbée à partir de plans sublimes rejoignant la poésie du
réalisateur. L’exposition prolonge, enfin, cette étude avec une trentaine
d’artistes contemporains ayant rendu hommage au travail de Pier Paolo
Pasolini, démontrant ainsi la pertinence de cette démarche du grand
intellectuel italien.

Catalogue « Pasolini en clair-obscur » de Guillaume de Sardes, Editions
Flammarion, 2024. |
|
Exposition Pline
l'Ancien -Côme / Italie
“Il catalogo del mondo: Plinio il Vecchio e
la Storia della Natura”
Como, Ex Chiesa di San Pietro in Atrio e Palazzo del Broletto
3 maggio – 31 agosto 2024 |

C’est dans la ville de Côme en Lombardie, région où vécut Pline l’Ancien
(23-79 av. J.-C.) qu’est consacrée actuellement une exposition à
l’illustre hôte pour fêter le bimillénaire de sa naissance dans cette même
ville. Cette évocation de l’un des plus importants auteurs d’études sur la
nature et les sciences de son époque explore non seulement l’originalité
de cette source antique en son temps, mais également son influence
déterminante au fil des siècles jusqu’à notre époque. Gianfranco Adornato,
professeur d’archéologie à la Scuola Normale Superiore de Pise, signe ce
beau parcours qui met en avant les rapports de l’homme avec la nature
selon le regard de l’auteur antique.

L’exposition se répartit sur différents sites de la ville de Côme,
notamment dans l’ancienne église San Pietro in Atrio et le Palazzo del
Broletto, ainsi que différentes étapes scénographiées par l’architecte
Paolo Brambilla en plein air au coeur même de la ville et incluant
notamment le nouvel espace multimédia Vis Commensis qui ouvre pour la
première fois ses portes au public cette année. |
Pas moins de 40 oeuvres ont été réunies pour cet événement, des oeuvres
provenant des plus grands musées italiens ainsi que des créations
d’artistes contemporains internationaux tels Luigi Spina, Fabio Viale,
Giulio Paolini, Andy Warhol e Cy Twombly, tous inspirés par le personnage
de Pline l’Ancien. Ainsi que le relève le commissaire de l’exposition
Gianfranco Adornato : “À travers une galerie de portraits impériaux et
des reconstitutions de certains lieux emblématiques de la Rome de l'époque
flavienne, le visiteur est invité à comprendre le rôle de Pline dans la
société de son temps, sa carrière politique et militaire, son rapport avec
le pouvoir, ses nombreux voyages en Europe”.

Et surtout, sa célèbre “Histoire naturelle”, une oeuvre de Pline l’Ancien
qui a rayonné au fil du temps et des siècles dans la culture européenne,
ainsi que l’attestent les nombreuses pièces réunies pour cette exposition,
ces gemmes magnifiques provenant des Offices de Florence témoignant des
merveilles de la nature soulignées par Pline dans son ouvrage.
L’exposition met ainsi en rapport les oeuvres présentées et les propos de
l’auteur antique afin d’en souligner toute la modernité, mais aussi sa
place privilégiée dans l’imaginaire contemporain, une place encore bien
présente si l’on songe à l’art conceptuel de Cy Twombly ou aux sculptures
de Fabio Viale également exposées.
Pour
aller plus loin...
- Le site de l’exposition :
https://plinio23.it/
- Le catalogue (en italien) : “Il catalogo del mondo: Plinio il Vecchio
e la Storia della Natura” a cura di Gianfranco Ardornato, ORE Cultura
Milano, 2024.
|
|
Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia
Musée du Louvre
Jusqu’au 11 novembre 2024
|

Le Louvre accueille cette année les chefs d’œuvres de l’une des plus
prestigieuses collections de marbres antiques, celle de la Collection
italienne Torlonia exceptionnellement à Paris et dialoguant avec les
propres collections du musée parisien. En un cadre somptueux venant d’être
restauré – les appartements d’été d’Anne d’Autriche commandés aux plus
grands artistes de l’époque par son fils Louis XIV – les trésors de la
Collection romaine Torlonia se dévoilent ainsi pour la première fois à
Paris. Les commissaires de l’exposition ont souhaité pour cet évènement à
la fois familiariser le plus grand nombre de visiteurs à l’art romain
fortement influencé par l’art grec antique, mais également mettre en
évidence l’origine des grandes collections privées, puis publiques à
l’origine de nos musées modernes.

La scénographie particulièrement réussie de cette exposition accompagne le
visiteur dans sa découverte des plus belles œuvres gravées dans le marbre,
comme si cette matière pourtant résistante fondait sous le ciseau de
l’artiste ainsi qu’en témoigne l’éblouissant Il Caprone du début du
IIe siècle après J.-C. restauré par le grand Bernin au XVIIe s. Ne
semble-t-t-il pas d’ailleurs que le fameux sculpteur baroque pourrait être
également l’auteur de cet étonnant Buste de Satyre ivre plus moderne
encore dans cette pause marquant son abandon?
La plus grande collection privée de sculpture antique romaine recèle bien
des trésors fort heureusement partagés grâce à ces initiatives
d’expositions en Europe, rendant ainsi justice à ce goût pour l’antique si
prisé naguère et quelque peu délaissé depuis. En parcourant les salles
successives de cette exposition-écrin, nous réaliserons combien ces œuvres
glorifiant la culture antique reposant à la fois sur le legs grec –
classique et hellénistique - mais aussi sur une spécificité romaine
affinée au fil du temps ont pu être déterminantes pour notre propre
culture. Alors même que le musée aménagé par Alessandro Torlania en 1876 a
fermé ses portes au milieu du XXe s., cette passion perdure tout de même
grâce à des expositions évènements qui permettent d’en apprécier la
richesse. |
Archéologie et esthétique entament ainsi un dialogue fructueux, chaque
œuvre révélant en effet non seulement le goût antique, mais également la
culture et de l’histoire de ces époques reculées.

Mythologie, passions, valeurs morales, art funéraire suscitent ainsi
autant de questionnements que de rapprochements, une découverte de « notre
» histoire qui s’invite cet été dans l’un des plus beaux musées du monde !
Pour
aller plus loin...
Catalogue officiel de l’exposition «
Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia » ; Sous la direction de Martin
Szewczyk, Carlo Gasparri et Salvatore Settis ; 190 ill. ; 340 p., 24 x 28
cm, Coédition Louvre éditions/ Le Seuil, 2024.

A exposition d’envergure, catalogue d’importance,
avec ces 340 pages signées des meilleurs spécialistes de l’art romain
antique sous la direction de Martin Szewczyk, Carlo Gasparri et Salvatore
Settis aux éditions du Louvre et Le Seuil. Le caractère unique de la
collection italienne Torlonia réunie au début du XIXe s. méritait en effet
qu’une étude détaillée lui soit consacrée à l’occasion de l’exposition-évènement
qui vient d’ouvrir au musée du Louvre avec le prêt d’une soixantaine de
chefs-d’œuvre de l’art romain. Le lecteur de ce superbe catalogue – ainsi
que le visiteur de l’exposition - pourra constater le degré d’excellence
atteint par ces œuvres patiemment acquises par le prince Alessandro
Torlonia et sa famille. Égalant en effet les plus grandes collections
mondiales
|
|
Exposition Grands décors restaurés de
Notre-Dame
Mobilier National
jusqu'au 21 juillet 2024
|

Le terrible incendie d’avril 2019 a fort heureusement épargné un certain
nombre d’œuvres d’art. C’est notamment le cas des superbes Mays de
Notre-Dame de Paris sauvées du désastre et objet aujourd’hui d’une
exposition au Mobilier National avec d’autres décors précieux de la
cathédrale. Ainsi que le souligne Laurent Roturier, directeur de la DRAC
d’Île de France : « La restauration de Notre-Dame constitue une aventure
collective. Les tableaux ont bénéficié d’une restauration minutieuse et
exemplaire qui permettra de les redécouvrir comme aux premiers jours de
leur installation ».

C’est en effet selon une scénographie très bien conçue, qu’il sera
possible aux visiteurs de (re)découvrir ces œuvres quelque peu ignorées
alors qu’elles témoignent d’un art et d’une époque pourtant essentielle de
la foi et de l’art français. Cet ensemble composé de treize Mays – au
XVIIe s., la cathédrale en comptait 76 – trouve son origine avec la
Confrérie des orfèvres parisiens qui offrit tout au long du XVIIe s. le
1er mai de chaque année (mois marial par excellence) un tableau de grand
format honorant la Vierge Marie, d’où leur nom de May.
Ces peintures du Grand Siècle viennent, ainsi qu’il vient d’être souligné,
de faire l’objet d’une impressionnante restauration, une restauration
présentée lors du parcours de l’exposition grâce à des dispositifs
multimédias, et qui a révélé des détails et couleurs jusqu’alors occultés
par la patine laissée par les siècles passés. L’habile scénographie
replace ces œuvres comme si elles étaient accrochées dans la cathédrale et
même si nous les découvrons bien entendu au même niveau, alors qu’elles
avaient été conçues pour être admirées en hauteur, cette véritable Bible
en images déploie ses pages de manière éclairante. |
Les scènes évoquées – pour la plupart d’entre elles tirées des Actes des
Apôtres et des Évangiles – témoignent, en effet, de cet art de la
Contre-Réforme conçu afin de mobiliser la foi des fidèles catholiques face
à la vague réformée ayant déferlé alors sur l’Europe.

Il s’agissait dès lors de présenter les Écritures dans toute leur
magnificence, par opposition au retrait relatif des images dans le
protestantisme, cet élan spirituel ayant été confié aux plus grands
artistes du XVIIe s. tels Charles Le Brun, Eustache Le Sueur, Laurent de
la Hyre, Aubin Vouet, etc.

C’est ce renouvellement de l’iconographie servi par ces grands maîtres de
la peinture que le visiteur découvrira grâce à cette mise en valeur
proposée par cette exposition aussi didactique qu’esthétique. À noter,
enfin, la présentation en deuxième partie de l’exposition – à l’étage – de
la magnifique restauration du tapis de chœur de Notre-Dame de Paris
déployé sur toute sa longueur en compagnie des 14 autres tapisseries
tissées de 1638 à 1657.
Pour approfondir encore la visite de l’exposition, on se reportera au
catalogue « Grands décors restaurés de Notre-Dame de Paris » paru aux
éditions Silvana Éditoriale sous la direction de Caroline Piel et
d’Emmanuel Pénicaut, commissaires de l’exposition.
|
|
« Les Tiepolo, invention et virtuosité à
Venise »
Beaux-Arts de Paris jusqu’au 30 juin 2024
|

C’est au pluriel qu’il faut décliner dans l’art le patronyme Tiepolo, ce
dont fait la brillante démonstration une passionnante exposition dans le
cadre toujours aussi intimiste et inspirant du Cabinet des dessins et des
estampes Jean Bonna aux Beaux-Arts de Paris. Quel autre lieu en effet dans
la capitale offre une aussi grande intimité entre le visiteur et de
prestigieuses œuvres d’art ? Pour ce printemps, les commissaires Hélène
Gasnault et Giulia Longo ont souhaité présenter cette famille si
prolifique non seulement à Venise mais également bien au-delà de la
lagune. Point de départ : le « patriarche », Giambattista Tiepolo né en
1696 et mort en 1770. Si ce maître exceptionnel signera les plus grandes
fresques virtuoses ornant palais et églises avec son style inimitable, son
art du dessin forcera également l’admiration ainsi qu’en témoignent les
feuilles remarquables réunies pour l’exposition à partir du fonds des
Beaux-Arts, deuxième collection publique de dessins de l’artiste.

Non présentés depuis plus de trente ans, ces dessins mis en regard avec
ceux de ses deux fils, Giandomenico (1727-1804) et Lorenzo (1736-1776),
ainsi que d’artistes aussi renommés que Rembrandt, Piazzetta, Canaletto
Guardi ou encore Novelli dressent un panorama unique de l’art des Tiepolo
pour appréhender des scènes du quotidien avec la même virtuosité que
celles de l’art sacré… |
L’attention se portera par exemple sur ces esquisses si spontanées de
pied, tête et flacons témoignant de l’art déjà abouti du jeune
Giambattista à se saisir avec sagacité du quotidien. L’art de l’estampe
également présenté dans le parcours permettra également de constater
combien l’artiste témoigne de cette même habileté pour des scènes plus
officielles telle cette Apparition de la Vierge du Carmel à saint Simon
Stock dans laquelle l’artiste met en œuvre un véritable tourbillon de
personnages renforcé par le chaos des pierres à l’antique au premier plan.
Variantes et variations serviront d’essais et d’études à cette virtuosité
qui se déploie dans le mouvement et les positions les plus improbables,
comme si les Tiepolo avaient découvert l’art de s’abstraire de la
gravitation…
Les deux fils de l’artiste Giandomenico et Lorenzo recueillent et
prolongeront encore cet héritage avec des œuvres de qualité tel cet
admirable pastel de Lorenzo représentant avec force les traits d’un vieil
homme barbu ou encore cet inattendu effroi de la Vierge lors de
l’Annonciation évoqué par Giandomenico.

Pour aller plus loin… Le catalogue...
Catherine Loisel, Hélène Gasnault et Giulia Longo signent un remarquable
catalogue venant complèter idéalement la visite de l’exposition et qui
permettra d’en prolonger les développements. Ce 58e Carnet d’études édité
par les Beaux-Arts de Paris témoigne, en effet, de l’importance de la
présente exposition ainsi que le souligne en préface Alexia Fabre,
directrice des Beaux-Arts de Paris : « C’est aussi la force du dessin qui
s’exprime dans cette exposition et cette publication, avec des feuilles
décorrélées d’autres projets, assumées dans leur réalité, non assignées au
statut d’œuvres préparatoires : le dessin par lui-même et pour lui-même
est au cœur de ce voyage dans la Venise rococo… ».
La présente publication approfondit effectivement l’étude de cet art du
dessin appréhendé par cette famille unique des Tiepolo, qu’il s’agisse de
l’art de l’estampe en vogue à cette époque ou du pur exercice de style. Si
cette créativité débridée préludera aux plus grandes œuvres peintes, le
dessin en tant que tel concourt à cette apothéose graphique qui sera le
trait distinctif des Tiepolo en ce XVIIIe siècle vénitien.
catalogue avec des textes de Catherine
Loisel, conservatrice honoraire du musée du Louvre et spécialiste du
dessin italien ancien, Hélène Gasnault, conservatrice des dessins et
Giulia Longo, conservatrice des estampes et photographies aux Beaux-Arts
de Paris. Carnet d’études n°58, 112 pages.
|
|
« Paris 1874
– Inventer l’impressionnisme »
Musée d’Orsay
jusqu’au 14.07.24
|

Comment considérer le mouvement de l’impressionnisme au titre
d’avant-garde alors que de nos jours les œuvres de ces artistes nous
semblent devenues des classiques ? C’est la question centrale d’une belle
exposition au musée d’Orsay qui nous invite à redécouvrir l’originalité et
la modernité de ces peintres en marge du XIXe siècle académique qui en
1874 marquèrent leurs différences par rapport à leurs confrères. Le musée
d’Orsay et la National Gallery of Art de Washington ont osé bousculé nos
habitudes en rappelant combien des artistes comme Monet, Degas, Renoir,
Morisot, Pissaro, Sisley, et Cézanne firent irruption dans de ce dernier
tiers du siècle de la Révolution industrielle. 1874 fait en effet figure
de date charnière ainsi que le rappellent Sylvie Patry et Anne Robins,
commissaires de l’exposition, et la réunion d’une trentaine d’artistes qui
eut lieu en cette année entre le 15 avril et le 15 mai dans les anciens
ateliers de Nadar marqua un point d’ancrage à la fois mythique et méconnu.

Claude Monet (1840-1926) Coquelicots 1873 Huile sur toile
50 x 65,3 cm Paris, Musée d'Orsay
©
RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé
Lewandowski
La présente exposition invite justement le visiteur à redécouvrir période
et pose un regard neuf sur cet évènement essentiel pour la destinée du
mouvement impressionniste. Dans ce laboratoire en marge des Salons
officiels se croisent toutes les influences et les peintres que l’on
affublera du qualificatif Impressionnistes s’avèrent bien minoritaires
ainsi que le soulignent les premières salles du parcours du Grand espace
d’exposition du musée d’Orsay. Il faut souligner la richesse – parfois
quelque peu déconcertante – des œuvres réunies en un accrochage
vertigineux mais souhaité et des plus fructueux afin de rappeler le
contexte de l’évènement de 1874. Ce parcours rappelle en effet combien
cette période de mutation s’inscrivit dans un climat d’après-guerre et à
la veille de l’instauration de la IIIe République. Parmi ces trente
artistes, seuls sept d’entre eux seront considérés par la suite comme «
impressionnistes ». L’originalité de la présente exposition du musée
d’Orsay est justement de nous convier à revoir le regard, notre regard
porté sur ce mouvement, ce qui en marqua l’originalité mais aussi les
liens avec la société de son époque, des rapports plus complexes qu’il n’y
paraît de prime abord et que le parcours éclaire avec brio. |
« Paris 1874– Inventer l’Impressionnisme »
; Catalogue officiel de l’exposition éponyme au Musée d’Orsay – RMN,
Paris.

C’est un beau et riche catalogue qui accompagne l’exposition éponyme «
Paris 1874 – Inventer l’impressionnisme » au musée d’Orsay. Avec son
format allongé et ses 289 pages, il comblera autant ceux qui ont eu la
chance de découvrir cet événement que ceux n’ayant pu à regret s’y rendre.
Sous la direction de Sylvie Patry et d’Anne Robbins, toutes deux
commissaires de l’exposition, l’ouvrage offre une succession de
contributions qui sont autant de tableaux, de repères et d’analyses pour
appréhender au mieux cette période qui a vu naître l’un des mouvements
majeurs – et probablement le plus connu – de l’histoire de l’art :
l’impressionnisme.

Camille Pissarro (1830-1903) Matinée de juin, Pontoise
1873 Huile sur toile 55 x 91 cm inv. 2539
Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe
Photo Staatliche Kunsthalle
Mais si son apogée a donné lieu aux plus grandes expositions et ouvrages
de référence, sa naissance entre Salons officiels et volonté
d’indépendance des artistes dans ce Paris du dernier quart du XIXe siècle
marqué par la guerre de 1870 et la Commune demeure paradoxalement plus
ignorée, ainsi que le soulignent d’emblée les commissaires en leur préface
: « La manifestation de 1874 est en effet à la fois mythique et inconnue
».
Et si cette date a été effectivement et classiquement donnée comme l’acte
fondateur de l’impressionnisme, bien des malentendus ou du moins
flottements demandent aujourd’hui à être levés. C’est en ce sens que ce
catalogue entend parallèlement à l’exposition au Musée d’Orsay « revisiter
» par une féconde analyse s’articulant autour de quatre chapitres majeurs
ce « Paris de 1874 » dans lequel s’inscrivit l’invention de
l’impressionnisme. Un catalogue incontournable et idéalement
complémentaire de la visite de l’exposition. |
|
Exposition « Théodore Rousseau – La voix de
la forêt »
Petit Palais
jusqu’au juillet 2024 |

Le Petit Palais de Paris accueille actuellement une exposition consacrée
au peintre Théodore Rousseau (1812-1867), l’un des porte-paroles de cette
nature tant questionnée par les artistes au XIXe siècle, anticipant sur
les Impressionnistes et s’immergeant littéralement dans l’élément naturel.
C’est la « voix de la forêt » que tente de transmettre le peintre en des
œuvres non point démonstratives sur le plan académique – même si la
technique irréprochable force l’admiration – mais puissamment inspirées
par cette osmose avec la nature, une osmose atteinte après de longues
études, immergé dans cette dernière.
En une scénographie particulièrement réussie évoquant sous-bois et autres
futaies, le parcours nous invite à découvrir toutes les facettes de l’art
de Théodore Rousseau, un art alliant vivacité du trait puisé à la
chlorophylle des arbres chéris et couleurs traduisant cette vie
protéiforme parfois bouleversée malheureusement par l’irruption de
l’homme.

Cette école du paysage plus tard admirée par les jeunes impressionnistes
et autres photographes ne recueillit pourtant pas l’assentiment général de
ses contemporains choqués de ce refus par l’artiste de suivre la voie
académique imposée. Il ressort cependant du choix artistique retenu pat
Théodore Rousseau une vision, non plus dominatrice de la nature telle
qu’elle prévalait jusqu’alors, mais une vision plus intimiste, témoignant,
de l’intérieur, des multitudes organiques qui s’offraient à son regard.
Rousseau ne cherche pas en effet à embellir la nature – elle n’en a guère
besoin – mais bien à en percevoir les dialogues intimes y compris avec
l’homme et le peintre qu’il fut. |
Les forêts de Fontainebleau, les paysages de Normandie, d’Auvergne, des
Landes ou du Bery sont alors prétexte à cette ode d’amour avec la vie
intrinsèque du végétal, ainsi que sut également l’exprimer en son temps le
poète Charles Baudelaire: « C’est un naturaliste entraîné sans cesse vers
l’idéal ». Une liberté marquée notamment tant sur le plan formel – avec de
nombreuses esquisses hybrides avec le tableau – que sur le fond, et qui
nous permet au XXIe siècle d’apprécier l’approche novatrice d’une âme
éprise d’absolu ouvrant bien des portes à ses successeurs.
Pour aller plus loin… Le catalogue

« Théodore Rousseau – La voix de
la forêt » catalogue sous la direction de Servane Dargnies-de-Vitry,
Éditions Paris Musées, 2024.
Servane Dargnies-de-Vitry, commissaire de l’exposition, ouvre le catalogue
en rappelant cette confession de Théodore Rousseau : « J’entendais aussi
les voix des arbres ; les surprises de leurs mouvements, leurs variétés de
formes et jusqu’à leur singularité d’attraction vers la lumière m’avaient
tout d’un coup révélé le langage des forêts ». C’est cette grammaire de la
nature que tente de saisir l’artiste qui souhaitait « surprendre la nature
chez elle ». Servane Dargnies-de-Vitry rappelle combien la grande
préoccupation de Rousseau fut de peindre au-delà des arbres et de la forêt
« la manifestation de la vie », une attitude de tous les instants qui
s’observe dans le réalisme extrême de ses œuvres, sans exclure pour autant
un idéal à rapprocher d’un panthéisme certain.

Cet angle complexe et novateur à l’époque fait en ces pages l’objet de
riches études articulées autour des quatre pôles de l’exposition : «
révolutionner la peinture du paysage » ; « Le grand refusé » ; «
Fontainebleau et Barbizon » ; « La voix des arbres ». L’ouvrage
abondamment illustré par les œuvres de l’artiste ainsi que de nombreux
documents permettra de mieux se plonger encore dans la création du peintre
et de son œuvre, un atelier à l’air libre d’une modernité qui étonne
encore de nos jours où notre rapport à la nature est plus que jamais
questionné. |
|
Exposition Revoir van
Eyck
rencontre avec un chef d’œuvre – La vierge
du chancelier Rolin
Musée du Louvre
du 20 mars au 17 juin 2024.
|

C’est un bijou d’exposition que nous propose actuellement le musée du
Louvre, une exposition tournant autour d’une magnifique œuvre, une toile
de Jan van Eyck – la Vierge du chancelier Rolin - seul tableau de
l’artiste conservé en France au Louvre et qui vient de faire l’objet d’une
restauration. A l’occasion de cette dernière ayant révélé un revers peint
en trompe-l’œil d’un faux marbre vert probablement de la main de l’artiste
ont été réunies autour de cette Vierge afin de mieux la mettre en
perspective d’autres œuvres d’artistes tout aussi prestigieux : Roger van
der Weyden, Robert Campin ou encore de Jérôme Bosch, des prêts
exceptionnels de musées internationaux, mais aussi cinq autres œuvres de
Jan van Eyck dont La Vierge et L’Enfant dite Vierge de Lucques prêtée pour
la première fois par le Museum de Francfort.
L’exposition sous le commissariat de Sophie Caron, conservatrice au
département des peintures du musée du Louvre, a été conçue pour offrir au
public l’occasion unique de mieux connaître et appréhender cette œuvre
exceptionnelle ( initialement tableau de dévotion mobile), destinée à
Nicolas Rolin, chancelier du duché de Bourgogne. Personnage aussi sévère
qu’énigmatique que le visiteur découvrira ou plutôt rencontrera sous
différents angles et portraits dans le parcours de l’exposition. Visage du
chancelier par van Eyck dans La Vierge de Rolin, bien sûr, mais aussi des
visages signés van der Weyden sur ce panneau du polyptyque du Jugement
dernier des hospices de Beaune ou encore dans cette enluminure du
manuscrit des Chroniques de Hainaut de la Bibliothèque royale de Belgique.
|
L’attention sera également happée par la splendeur et richesse du paysage
d’arrière-plan de la Vierge du chancelier Rolin, un paysage d’une
profondeur et ampleur inouïes presque uniques dans l’œuvre de Jan van Eyck,
et révélant, ainsi que le souligne Sophie Caron, avec notamment son jardin
et ses petits personnages tout le talent de miniaturiste de l’artiste. «
Il ne s’agit pas, en effet, d’un lieu réel mais seulement vraisemblable,
qui permet une immersion presque hypnotique, favorable à la prière. »
Comment ne pas imaginer devant la richesse et splendeur de cette Vierge,
le chevalier Rolin en prière ? Le visiteur pourra d’ailleurs grâce à une
installation haute-résolution s’immerger littéralement dans ce paysage
unique. S’imposera également au regard du visiteur la splendeur des
architectures retenues et imaginées par Jan van Eyck avec ces colonnes
pour la Vierge du chevalier Rolin ou encore avec cet intérieur d’église
pour cette splendide toile – L’Annonciation – provenant du Courtesy
National Gallery of art de Washington.

© Musée du Louvre / Michel Urtado - Nicolas Bousser
Tournant autour de cette Vierge du chancelier Rolin, six sections sont
ainsi proposées soulignant l’usage privé de ce tableau de dévotion mais
aussi peut-être sa vocation d’épitaphe, décomposant le paysage
d’arrière-plan avec ses personnages ou analysant encore les liens entre
cette Vierge et l’art de l’enluminure ou de certains bas-reliefs. Plus
qu’une rencontre, c’est véritablement un dialogue entre la Vierge du
chancelier Rolin, l’art de ce premier tiers du XVe siècle et le visiteur
pleinement immergé qu’instaure cette exposition tel un écrin de choix. |
|
«
D’un monde à l’autre »
Autun, de l'antiquité au Moyen Âge
Musée d’Archéologie nationale à
Saint-Germain-en-Laye
jusqu’au 17 juin 2024.
|

Le Musée d’Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye propose de
redécouvrir le passé prestigieux de l’une de nos communes de France,
Autun, qui fut à l’origine une importante cité antique romaine en plein
cœur de l’actuelle Bourgogne. Avant d’être nommée Autun, c’est en effet
sous le nom d’Augustodunum, fondée par Auguste, qu’est connue cette grande
cité où réside le peuple des Éduens alliés des Romains.
Dès la première salle de l’exposition, le visiteur pourra découvrir la
maquette de l’antique rempart qui protégeait la cité, rempart emblématique
de l’importance de la cité à l’époque.

C’est cette place déterminante en
Gaule de la cité d’Augustodunum que soulignent les premières salles avec
notamment ces structures d’enseignement supérieur ou Écoles méniennes qui
avaient pour mission de former les futures élites de l’Empire. Ainsi, il
ne sera pas rare de retrouver de jeunes éduens dans des fonctions
importantes de l’administration voire même au sein du pouvoir central à
Rome. C’est dès lors tout le processus de diffusion de la culture «
gréco-romaine » qui se déploie sous nos yeux par ces structures éducatives
au cœur de la Gaule dont de nombreux restes archéologiques ont été
dévoilés à Autun lors de fouilles. Le visiteur sera surpris des pièces -
parfois exceptionnelles – présentées notamment ce vase diatrète du IVe
siècle révélant toute la virtuosité des maîtres verriers romains.
 |
Mais cet essor n’aura qu’un temps, avec les IIIe et IV° s. la cité
se rétractera au point de perdre près de 50 % de sa surface occupée, une
tendance que l’on retrouvera d’ailleurs dans de nombreuses autres cités. À
partir du IVe s. l’exposition montre combien l’apparence de la ville se
transforme avec le démantèlement de certains monuments antiques
réemployés, la distinction d’une ville haute siège de l’évêque et d’une
ville basse.
Les fouilles de la nécropole de Saint-Pierre-l’Estrier installée en
périphérie livreront de précieuses informations sur les différents
procédés d’inhumation selon les différentes religions qui cohabitaient.
C’est notamment dans cette nécropole que les premiers témoignages du
christianisme naissant en Gaule feront jour. Les siècles suivants
également retracés dans cette exposition didactique seront marqués par des
évolutions architecturales qui progressivement abandonnent l’antique pour
annoncer le roman.

C’est à ce voyage dans le temps à partir de la ville d’Autun que convie
l’exposition « D’un monde à l’autre » au Musée d’Archéologie nationale de
Saint-Germain-en-Laye.
Commissariat général
Rose-Marie Mousseaux, conservatrice générale du patrimoine, directrice du
musée d’Archéologie nationale et du Domaine national de
Saint-Germain-en-Laye.
Daniel Roger, conservateur général du patrimoine, adjoint à la directrice,
responsable du pôle scientifique du musée d’Archéologie nationale
Commissariat scientifique :
Carole Fossurier, archéo-anthropologue, responsable scientifique de la
fouille de la nécropole Saint-Pierre-l’Estrier, Inrap
Agathe Mathiaut-Legros, conservatrice en chef, directrice des musées et du
patrimoine, ville d'Autun
Nicolas Tisserand, directeur adjoint scientifique et technique, Inrap

A lire : « Autun antique » sous la direction de Yannick Labaune, Editions
du Patrimoine. |
|
Interview Denis
Raisin Dadre
Paris, le 30/05/19. |
 |
 |
Lexnews
a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie
de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique.
Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique
Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements
internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses
confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien
talentueux !

uelle
a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir
avez-vous gardé de ses œuvres ?
Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde
qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt
vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première
rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son
Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un
Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que
par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si
je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses
contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement
minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi
associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est
apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".
Quels sont les motifs qui vous
ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous
avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il
pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?
Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de
Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas
de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe
siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette
lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre
sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est
intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses
contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien
entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur
et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan
non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan,
lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et
improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement
ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé
avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture
italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas
justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette
façon de peindre très spécifique à Vinci".
_____________
il existait aux XVe et XVIe siècles des
musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des
élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées
_____________
Pouvez-vous revenir sur cette
belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant
à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une
référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe
siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées
à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées.
La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par
Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu
également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour
le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui
explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les
Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa
jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son
commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette
musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique
secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel
Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens
qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux
rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture
de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une
musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point
de départ de cette idée d’enregistrement".
La musique franco-flamande
prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est
ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une
longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée
assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de
Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette
omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule
référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de
Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre,
lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans
ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette
mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".
Le début du XVIe s. voit la
naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de
musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces
nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un
peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?
Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de
frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe
siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de
l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué «
Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources
absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique
née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait
pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de
l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très
sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même «
grande patronne » de la frottole résidant à Milan". |
Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art
proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice
d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et
cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle,
nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto
madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal
dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé
par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a
puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement
dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait.
La lira est un instrument d’expérimentation par excellence
puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches
musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense
que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la
première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo
de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède
grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands
moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est
accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la
polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à
des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la
lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait
littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces
épopées".
La technique du peintre,
notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et
ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?
Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison
– et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un
ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que
la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la
façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet
instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la
musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre,
il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de
l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix
d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec
un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato
sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
_____________
C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous
_____________
Une très grande liberté présidait dans la composition et ses
déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec
les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le
peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?
Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport
intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même
était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle
véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie
a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des
musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période,
vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"
Quel regard portez-vous sur la
dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?
Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très
original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités
comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la
peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous
sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance
de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle
qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette
puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à
mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue
est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce
genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel.
Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et
religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même
âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune
homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière
dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle
quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses
apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son
époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la
Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé
représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette
intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des
musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de
musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours
au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette
distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui
me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à
l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait.
Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi
à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer
Léonard à ce sujet !"
_____________
Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle
omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.
_____________
Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de
l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?
Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été
certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence
! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus
que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais
aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques
de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les
plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la
musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les
reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle | |