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Édition Semaine n° 12 / Mars 2024

 

 

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Philippe Sollers

(1936-2023)

Un an après...

 

Philippe Sollers : « La Deuxième Vie » roman, Gallimard, 2024.
 


Il ne s’agit pas d’un roman d’outre-tombe, mais bien du souffle encore perceptible d’un écrivain qui fut amoureux de la vie. Délaissant la mort pour l’éternel état, les passions tristes pour la lumière, la vivacité au lieu de l’atermoiement, Philippe Sollers offre avec « La Deuxième Vie » un témoignage sensible d’un apôtre de la lumière, celle irradiant toute vie mais dont, selon lui, nous nous écartons si souvent…
Avec ce dernier témoignage fragmentaire, à la manière des antiques dont il goûtait la pensée, et une sagacité aiguisé aux philosophies et poètes des temps modernes, Philippe Sollers émeut encore une fois avec ce relais, d’un œil à la fois railleur et sérieux, celui-là même qu’était le sien lorsqu’il évoquait les idées essentielles qui l’animaient. Ainsi que le souligne son épouse Julia Kristeva en un texte poignant placé en contrepoint du roman, c’est un Sollers inconnu ou méconnu qui se dévoile dans ces pages tenant du combat spirituel.
L’amoureux de Tiepolo et autres architectures baroques vénitiennes a compris combien il était essentiel de réaliser que « La vraie vie consiste à vivre sa propre mort. Non LA mort, mais SA mort. C’est une révélation tardive, une révolution radicale. » La narration s’estompe, les fulgurances épurées s’immiscent de plus en plus au fil des dernières heures avant le passage, Sollers gardant précieusement le cahier vert du manuscrit de « La Deuxième Vie » tout au long de son dernier parcours médical…
Il faudra lire et relire ces pensées ultimes qui, à la manière des stoïciens bien que différemment, nous invitent à méditer sur notre mort, non point en un autocentrage morbide mais bien au contraire afin d’éclairer notre vie, celle présente et à venir.

« Philippe Sollers entre les lignes » de Pascal Louvrier, 260 pages, Le Passeur Éditeur, 2024.
 

 

Pascal Louvrier avait déjà marché dans les pas de Philippe Sollers en 1996 avec une « psychographie », ainsi qu’il dénomme ses biographies (Sagan, Bataille…) qui avait été déjà remarquée. Moins d’un an après la disparition de l’écrivain, l’auteur a repris ses archives et livre une nouvelle version augmentée d’une cinquantaine de pages notamment de témoignages inédits. « Philippe Sollers entre les lignes » convie ainsi le lecteur à suivre ce papillon des lettres que fut Sollers, une personnalité souvent difficile à saisir mais toujours attirée par l’art. Louvrier cherche pourtant à démêler l’apparent écheveau de l’écrivain qui toute sa vie s’ingénia à brouiller les pistes en une guerre stratégique permanente qu’il érigea en ligne de conduite (ses grands écarts par exemple de Mao à Jean-Paul II).
Ces cartes en main, l’essayiste ne se décourage pourtant pas et emprunte les lieux sollersiens incontournables : Paris, l’Île de Ré, Venise… Si la littérature fut toujours au centre de la vie de Philippe Sollers, la musique (Mozart, Haydn et bien d’autres) et les arts – la peinture notamment avec du Tintoret à Manet, sont autant de sources d’inspiration pour son œuvre protéiforme si l’on considère des ouvrages aussi différents que Paradis, Femmes ou encore La Guerre du goût
Le rythme de l’essai de Pascal Louvrier volontairement calqué sur celui de Sollers laisse une impression vivifiante à la fois de légèreté et de profondeur, une vivacité malicieuse toujours à l’œuvre jusqu’aux derniers jours de l’écrivain. Sollers agace, Sollers séduit, Louvrier a choisi de montrer combien cette dernière image est celle à retenir.

Philippe Sollers en Folio…


« Agent secret » Mercure de France (2021) Folio 2070 Gallimard, 2022. Paru initialement au Mercure de France, « Agent secret » dévoile une partie - une partie seulement - de l’identité de l’écrivain. Cet apôtre de la clandestinité livre en effet en ces pages quelques conseils pour faire métier d’agent secret, ne pas tout dire, ne pas tout écrire et surtout cet avertissement « Des personnages heureux n’ont pas intérêt à se faire remarquer » sicut dixit. Philippe Sollers nous donne en conclusion un rendez-vous, celui de l’essentiel, « Être là, en effet, voilà la question. La seule. Entrez, parlez, écoutez, soyez présent à vous-même, ne lâchez rien. Soyez là ». « Mouvement » Folio 6457, Gallimard, 2016. Avec « Mouvement » Sollers entre au cœur de la philosophie, celle de Hegel qu’il ne cessa d’explorer ainsi qu’en témoigne cette phrase du philosophe allemand placée en exergue du livre : « La vérité est le mouvement d’elle-même en elle-même ». En ces pages, l’écrivain part à la rencontre des thèmes déterminants de la pensée hégélienne, l’Absolu, l’Idée, la logique, le temps aboli de ses frontières, la beauté, la mort… pour les confronter à sa propre créativité romanesque.

 

 

« Désir » folio 6916, Gallimard, 2020. Avec « Désir » le lecteur découvrira «Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), dit «le Philosophe inconnu», ce penseur français, figure centrale de l’Illuminisme européen. Ce livre alerte comme à l’accoutumée avec Sollers et revisite ce XVIIIe siècle qu’il chérissait tant et à partir duquel il aborde le thème omniprésent du « contre-désir » qui inverse les priorités jusqu’alors acquises… « Légende » Folio 7053, Gallimard, 2021. Avec « Légende », Sollers questionne nos existences, notre quotidien, à l’heure de la robotisation et de la Technique… Et pourtant, selon l’auteur, un nouveau Cycle a débuté, faisant tomber les masques. Véritable éloge de la singularité, il existe d’autres alternatives à la fatalité ! « Le Nouveau » Folio 6777, Gallimard, 2019. Lorsque la généalogie familiale croise les chemins de l’Histoire, cela donne naissance à un récit court et incisif convoquant tout aussi bien Shakespeare que l’infini en une jubilation métaphysique dont seul l’auteur a le secret !
 

 

 

Littérature - Poésie - Romans

 

François de Saint-Chéron : « Malraux devant le Christ », Editions Desclée de Brouwer, 2023.
 


On connaît (certes, plus ou moins bien) l’œuvre, la vie ou la pensée de cette incomparable personnalité éprise de culture et d’art que fut André Malraux, et François de Saint-Cheron a par son talent et fidélité beaucoup contribué et œuvré à cette connaissance. Il demeure cependant un point – plus intime – sur lequel Malraux demeure moins connu, celui de la religion. Si son attrait pour certaines religions notamment extrême-orientales et sa fascination pour l’Inde sont plus familières ou si nous avons tous en mémoire ses fabuleux ouvrages concernant l’art chrétien (« Le Monde chrétien », « Le Surnaturel »), quelle était cependant sa position ou croyance face à la religion chrétienne dans laquelle il était né ? Si Malraux se présentait, ainsi que le souligne l’auteur, comme agnostique, cette seule affirmation n’épuise cependant pas à elle seule toute la question, tant s’en faut !
À la lumière de son œuvre et convoquant de nombreux témoignages (lettres, biographies…), François de Saint-Cheron faisant preuve de pudeur et d’une belle sensibilité révèle, en effet, au lecteur un Malraux bien plus complexe et déconcertant : Son attrait ou attachement à certains saints – on songe à saint Jean l’Evangéliste dont il demandera à une sœur lecture, en 1944, alors qu’il pensait être fusillé au petit matin, mais aussi saint François d’Assise ou Lazare – titre d’un récit autobiographique ; Son respect, ses interrogations ou affirmations à certains de ses amis notamment au Père Bockel, aumônier de la brigade Alsace-Lorraine, à Mauriac ou à Bernanos, parfois appuyées ou reprises dans les pages de ses ouvrages ; Son intérêt, enfin, accordée au Christ, à l’âme, au mal, à la foi ou transcendance… Croyance, quête ou regret ?
C’est un Malraux effectivement plus intime et bien moins péremptoire que certains n’avaient voulu le dire que découvriront les lecteurs de cet ouvrage ; nombre de ses proches ou amis l’avaient pour beaucoup parfaitement pressenti ou senti. Au-delà de sa réelle connaissance de la culture chrétienne, Malraux semble, non pas obsédé, mais « hanté » par la question de la transcendance, « cette part éternelle qui en lui [l’homme] le dépasse. » écrira-t-il au Père Bockel… Ce n’était peut-être pas pour rien que le Général de Gaulle lui avait un jour répondu : « Pourquoi parlez-vous comme si vous aviez la foi, puisque vous ne l’avez pas ? »

 

L.B.K.

 

Chris Offutt : « Les Gens des collines », Coll. « Totem », Éditions Gallmeister, 2023.
 


Mick Hardin est un enquêteur du CID, la division des enquêtes criminelles de l’armée, spécialité homicides, en permission dans sa région natale du Kentucky où vivent sa sœur, Linda, première femme shérif du comté, ainsi que sa femme Peggy, enceinte et proche d’accoucher. Ce pourrait être le début d’une histoire toute simple mais il n’en est rien … Mick aime un peu trop le bourbon et les moments de solitude dans une cabane en bois au milieu des collines, c’est là que Linda le trouve et lui demande de l’aide sur une enquête. Mick a participé aux grands conflits militaires américains et se pose en vétéran respectable mais cela suffira-t-il pour que les habitants les aident à retrouver le témoin de ce crime et dont tous connaissent l’identité de la victime ? Et quand bien même, quelqu’un serait-il prêt à « cracher » le nom du meurtrier... Une course contre la montre et une enquête serrée se profilent car Mick doit aussi reprendre du service même avec pas mal de jours de retard et se débattre avec des différends entre lui et Patty…
Chris Offutt joue sur sa connaissance des gens bruts et méfiants des collines qui cachent leurs non-dits et leurs secrets. Dans les trois premières pages du roman, le scénario s’écrit et une tension s’installe. « …Quelque chose arrêta son regard, une couleur ou une forme qui n’aurait pas dû être là… Il se redressa pour s’étirer le dos et vit une femme allongée dans une position disgracieuse, le corps contre un arbre, la tête pendant vers le bas, le visage tourné. Elle portait une robe élégante. Ses jambes étaient nues et une chaussure manquait à son pied. L’absence de culotte le fit douter qu’il puisse s’agir d’une chute accidentelle. Il s’approcha et reconnut suffisamment ses traits pour savoir son nom de famille. » Une ambiance western policier actuel, un rythme cinématographique, des chapitres comme des plans-séquences et un style clair nous plongent dans les familles du coin et la diplomatie parfois limite que Mick affectionne pour obtenir ce qu’il veut entendre. Mick ne voit plus les choses comme tout le monde, trop d’horreurs de guerre dans son esprit, sans doute, et trop chercher empêcherait de trouver : « …Ne cherche pas les champignons, regarde là où ils poussent. La nuit, ne cherche pas la piste d’un animal, va juste là où il n’y a pas d’arbre. Vois les formes et les couleurs, pas la chose elle-même. » Une porte de sortie pour l’esprit de Mick, le chant des oiseaux, la beauté des arbres et de la nature qui l’entourent et où il aime se réfugier.
Heureusement car pour tenir le coup et mener à bien cette enquête, Mick et Linda vont compter les morts qui jalonneront les routes escarpées des collines du Kentucky, comme l’intervention d’un agent du FBI, pas vraiment le bienvenu dans ce comté. Mais il faudra bien faire avec les susceptibilités de chacune et chacun et les méthodes peu orthodoxes de monsieur Hardin, le passé de tous et trouver qui manipule qui suivant la devise de Mick :
« Fais ce qui doit être fait ».


Sylvie Génot-Molinaro

 

« Je pense à votre destin – André Malraux et Josette Clotis – 1933-1944 » de Françoise Theillou ; 256 p., Coll. « Essai français », Editions Grasset, 2023.
 


La vie et la personnalité de Josette Clotis, deuxième compagne d’André Malraux de 1933 à 1944, sont quelque peu moins connues ; on songe en comparaison, bien sûr, à sa première épouse, Clara Malraux, union dont naîtra Florence Malraux. André et Josette se rencontre avant-guerre à la NRF, Malraux est déjà un écrivain connu et il obtiendra le Prix Goncourt quelques semaines plus tard. Josette, apprenant la nouvelle chez ses parents en province, ne sera pas peu fière de cet amant… mais André Malraux est marié, et Clara enceinte de Florence… L’auteur, Françoise Theillou, s’est appuyée pour écrire cet ouvrage sur de nombreuses archives dont les journaux intimes de Josette Clotis. Elle nous donne ainsi à lire cette liaison faite de séparations, d’absences, d’amour et d’incompréhensions. Heureuse, se morfondant, désespérée, combien de chambres d’Hôtel, d’heures passées à attendre André...
Ils sillonneront ensemble, séparément ou parallèlement durant les années de guerre la France du Nord au Sud et du Sud au Nord. Durant ces années, si Malraux affirme sa personnalité et sa vocation d’écrivain, s’enfermant pour écrire, Josette, elle, y renoncera ; André deviendra également le fameux colonel Berger. Malraux n’aura pas toujours, ni même souvent, sous la plume de Françoise Theillou la part belle. L’auteur, fidèle en cela aux archives en sa possession, n’a pas entendu travestir la réalité. L’ouvrage est d’ailleurs complété par de nombreux inédits issus notamment des papiers personnels de Josette, de billets ou de correspondances d’André Malraux à Josette ou encore d’un Cahier de préparation également inédit d’André Malraux.
De ces années de vie côte à côte, naîtront deux fils que le destin ravira violemment à André lors de leur adolescence dans un tragique accident de voiture, après lui avoir déjà ravi quelques années auparavant dans un non moins tragique accident de train ; leur mère, Josette Clotis ; celle qui durant plus de dix années de 1933 à 1944 n’aura jamais hésité à attendre, à courir et rejoindre sur les quelques mots d’un message celui qu’elle n’aura jamais cessé d’aimer, celui qui signait de chats en fil de fer, André Malraux.
 

L.B.K.

 

« Hommage à Philippe Sollers », NRF, Editions Gallimard, 2023.
 


Comment rendre hommage à Philippe Sollers après sa disparition au printemps 2023 à l’âge de 86 ans ? Qui ne connaît pas Philippe Sollers ? Mais le connaît-on vraiment ? Derrière les clichés trop souvent véhiculés plus vite que la lumière se cache un homme épris de liberté, de beauté et d'amour, éléments d'un ciment imperturbable qui édifia, année après année, une réflexion majeure et innovante dans notre société en crise de fausses certitudes. Si l'homme attire ou agace certains, Philippe Sollers ne laisse assurément pas de glace, mais brûle d'un feu qui jette des éclaircies dans notre quotidien.
Cet « Hommage à Philippe Sollers » publié aux éditions Gallimard réunit ses amis, ses connaissances de longue date en autant de rencontres que l’écrivain suscitait ou accordait toujours avec générosité. Hommage donc non point à un défunt, mais à un éternel amoureux de la vie qui se prolongera encore par ces nombreux témoignages laissés en sa mémoire.

« Francis Ponge , Philippe Sollers - Correspondance. 1957-1982 », Édition de Didier Alexandre et Pauline Flepp, Collection Blanche, Editions Gallimard, 2023.
 


Voici réunis en un seul et fort volume publié aux éditions Gallimard vingt-cinq ans de correspondance entre deux personnalités emblématiques de la littérature du XXe siècle, Francis Ponge et Philippe Sollers. Cette parution établie par Didier Alexandre et Pauline Flepp survenant au lendemain de la disparition de Philippe Sollers, le 5 mai 2023, permettra d’apprécier la richesse et la verve toujours présente chez l’écrivain dialoguant avec le poète, son aîné. 37 ans séparent, en effet, ces deux hommes que l’amitié va réunir, Ponge pressentant rapidement les qualités littéraires du jeune écrivain qui signe encore sa correspondance par Philippe Joyaux, son patronyme officiel. Les quinze premières années de cet échange nourri témoignent du soutien indéfectible de Ponge pour ce jeune espoir qu’il recommande notamment à Marcel Arland et Jean Paulhan pour la NRF. Très rapidement, le ton change et du formel « Cher Monsieur » les différentes lettres seront introduites pas un « Cher Francis » et « Cher Philippe »… Couvrant la période 1957-1982, cet échange épistolaire – inimaginable de nos jours à l’heure numérique – reflète les grandes heures de la littérature et de la culture de la deuxième moitié du siècle dernier, tout autant que les petits tracas de la vie quotidienne et de santé. Les livres en maturation transparaissent au fil des lettres, l’œuvre en genèse des deux écrivains se dessinant parmi les cabales menées à l’encontre de leur génie respectif. Cinéma, architecture – Sollers confessant qu’il ne quittera plus la Cappella dei Pazzi de Santa Croce à Florence !, peinture, musique… tout fait signe pour ces deux âmes éprises de beauté. Malheureusement, comme toute amitié entière, les heurts ne manqueront pas, notamment à partir de la rupture accélérée par les évènements de mai 68, Ponge du côté de l’ordre en place, Sollers tournant ses regards vers la Chine…
 


Vient de paraître également aux éditions Gallimard, collection Folio+ Lycée, le dossier programme du bac consacré au texte fondamental de Francis Ponge « La Rage de l’expression ». Une publication très didactique présentant toute la richesse de la démarche du poète dans le contexte historique de son époque. Un dossier pédagogique également passionnant pour les post-bacheliers !

 

"Deux vies" d’Emanuele Trevi, récit traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Prix Strega 2021, Philippe Rey Éditions, 2023.

 

 

« Deux vies » convoque inexorablement une troisième vie qui leur est intimement associée, celle du narrateur et auteur Emanuele Trevi qui livre avec cet ouvrage un beau témoignage sur l’amitié et la vie dans cette édition soignée et traduction inspirée de Nathalie Bauer. Ce récit qui aurait pu être le sujet d’un roman se trouve être celui d’un survivant qui avec le recul des années rend témoignage de deux âmes éprises de littérature et de liberté. Pia Pera et Rocco Carbone, tous deux écrivains, eurent en commun une vie pleine d’aspirations pour une durée trop éphémère. À l’image de ces papillons d’un jour, ces deux personnages illuminèrent la vie de l’auteur qui en ces pages à la fois attendries et sans concessions sur le caractère de ses deux amis livre un plaidoyer émouvant sur l’amitié sincère, si lointaine des virtualités digitales. De quoi est composée cette amitié ? De proximités, mais aussi de distances parfois, ainsi que le souligne l’auteur, le fameux « Parce que c’était lui… » n’étant pas un long fleuve tranquille… Nous nous surprenons à sourire de certains traits de caractère, à verser une larme sur ces attentes à jamais insatisfaites, ces petits riens qui composent la vie comme ils émaillent l’espoir. Mais, toujours, revient ce lien indéfectible qui scande par ses pulsions le souvenir des années passées, ces sourires et instants radieux passés ensemble et qui ne pourront jamais disparaître de la mémoire du narrateur, ces flammes d’un amour partagé pour les lettres et l’écriture même si parfois les avis fort heureusement pouvaient diverger. Emanuel Trevi livre avec ce témoignage un récit sensible et poignant, un hommage tout autant à ses amis disparus qu’un Tombeau poétique perpétuant une antique tradition que l’auteur honore ainsi.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

Robert Walser : « Retour dans la neige » ; Traduit par Golnaz Houchidar ; Préface de Bernhardt Echte, Zoé Poche éditions, 2023.
 


L’écrivain suisse Robert Walser (1878-1956) qui termina ses jours dans un hospice à Herisau où il résidera 23 ans, sa raison l’ayant quitté, nous a laissé pourtant de nombreux ouvrages témoignant de sa lucidité et de la profondeur de ses jugements. À l’image de Nietzsche, peut-être a-t-il traversé le miroir vers d’autres contrées qui nous paraissent inexpliquées… Toujours est-il que le présent recueil de nouvelles « Retour dans la neige » témoigne de son acuité à dresser en quelques pages un tableau littéraire fait de concision, de détails ciselés en une prose à la fois légère et percutante, sans oublier cette candeur et surprise au monde qui se renouvelaient au quotidien chez l’écrivain. « … et il a fallu que tous les traits si précieux de mon caractère, empreint de la musique de mes origines, se perdent… (…) et qui sait, l’innocence de la campagne reviendra un jour jusqu’à moi et alors je pourrai à nouveau me tordre les mains dans la solitude ».
La belle traduction que livre Golnaz Houchidar de ces vingt-cinq proses brèves restitue le charme de cette écriture à cette époque charnière de la vie de l’écrivain venant de quitter Berlin et les avant-gardes pour rejoindre sa ville natale. En un élan primesautier dans certaines pages, Walser sait exulter et magnifier la nature qui sera un perpétuel ravissement à ses yeux. L’écrivain parvient également en quelques lignes à dresser un portrait d’une rare sensibilité, à contre-courant de ce qui pouvait être réalisé jusqu’alors (splendide portrait de Madame Scheer).
Cette lucidité indocile ne cessera en ces pages de surprendre le lecteur qui s’étonnera de son caractère rebelle tout autant qu’il sourira de ses introspections. Nul dolorisme ni atermoiement chez Walser mais un perpétuel étonnement aux choses de la vie ainsi que le relève Bernhard Echte dans sa préface : « Au fil de ces textes, l’innocence du regard, l’infinie curiosité du flâneur, la pudeur devenue précepte littéraire, acquièrent une force intemporelle ». Avec « Retour dans la neige », Robert Walser offrira au lecteur du XXIe s. de brèves et inoubliables pages sublimant le quotidien.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

"Le Corbeau - E. A. Poe, C. Baudelaire, S. Mallarmé, gravures de Gustave Doré » ; Broché, 138 x 204 mm, 160 pages, Éditions de l'Escalier, 2022.
 


Trois incontournables poètes et un non moindre grand graveur pour un même et seul animal, tel est le choix fait par les éditions de l’Escalier pour cette mise en rapport originale du célèbre poème d’Edgard Poe « The Raven » ou « Le Corbeau ». On y retrouve cette atmosphère singulière et irréelle si chère à Poe. Un poème à la métrique stricte traduit, en effet, non seulement par Charles Baudelaire, mais aussi par Stéphane Mallarmé, et même gravé par Gustave Doré…
Ces relectures transversales qu’autorise ce recueil bien mené devraient attirer l’attention de tous les amateurs de poésie, de traductions, mais aussi de variations autour d’une même œuvre. À partir de quel point de rupture le traducteur s’éloigne-t-il, en effet, de l’intention de l’auteur ? Existe-t-il d’ailleurs une intention unique de l’œuvre qui resterait indissociable de son créateur ? Ces éternelles questions se poseront irrémédiablement aux lectures successives de ce poème écrit en anglais par l’écrivain américain Edgard Poe en 1845.
Là où Baudelaire débute par :
« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Mallarmé propose :
« Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, — tandis que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre, — cela seul et rien de plus ».
Le lecteur se passionnera ainsi à passer d’une version à l’autre en l’agrémentant de ses contemplations des gravures de Gustave Doré conférant à leur tour au poème un éclairage encore autre et nouveau. Cette richesse et ces ouvertures laissent une petite idée de la fécondité d’un thème, lui-même emprunté par Poe à Charles Dickens avec le corbeau parlant Grip dans « Barnaby Bridge » !

 

Régine DETAMBEL « Sarah quand même », Editions Actes Sud, 2023.
 


Susan claque la porte de Sarah Bernard, elle est épuisée par le caractère de cette artiste, si grande soit-elle, dont elle rêvait d’être la secrétaire particulière. Durant vingt ans, c’est ce rêve qui est devenu réalité, Susan sera auprès de Sarah, dans son intimité jusqu’à en connaître les moindres recoins, ses amours multiples hommes et femmes (elle en fera l’expérience éphémère), sa famille, ses amis, ses rôles, ses voyages, ses finances, ses contrats, sa santé, ses passions, ses colères et son extravagance… Elle sera de tout. Et tout deviendra aussi son cauchemar. « J’ai une chambre de domestique dans son hôtel de l’avenue Pereire. Je n’ai plus d’autre chez-moi depuis vingt ans. Je n’ai pas d’autre argent que celui qu’elle me donne. Je suis la personne la plus proche de Sarah. Après son fils. Après toute une kyrielle d’autres esclaves de Sarah. » . Sarah fait d’elle son souffre-douleur et le témoin de sa très grande liberté. « Je suis donc la dame de compagnie et la comédienne à domicile qui lui donne la réplique, la copiste ordinaire, la costumière et la maquilleuse, parfois la cuisinière et même la confidente… Parce que Sarah déteste être seule… Seule, elle deviendrait suicidaire. Il lui faut toujours des adorateurs et adoratrices pour passer ses nerfs. » Cette femme si chérie et admirée serait-elle finalement trop grande pour ses épaules ? Les contorsions de la vie théâtrale de Madame Bernhardt, ses déboires avec les nouveaux comédiens et comédiennes qui juste par leur jeunesse et l’inventivité d’un autre jeu théâtral mettent en péril sa vie avec un grand V, dévouée corps et âme pour la scène, avec ses interprétations de personnages masculins ; des rôles qui, certainement, ont fait avancer une certaine cause des femmes dans ce milieu mais ont également déclenché et entretenu de la moquerie et presque du rejet. C’est sans connaître la Bernhardt qui même amputée d’une jambe (son choix conscient et éclairé, le 22 février 1915) poursuivra jusqu’au bout sa vie de femme libre. « - Vous jouez depuis combien de temps ? – Depuis que Victor Hugo m’a offert un diamant. – Et quand est-ce que vous allez arrêter ? – Jamais.» Si même, parfois, dans un moment de tristesse ou de désespoir Sarah raconte sa vie à Susan, ce en quoi l’auteur, Régine Detambel, nous régale d’anecdotes sur sa vie tant historiques que privées. C’est la version de Sarah qui restera « elle aura toujours été au plein milieu de sa vie, sans aucun sens de la mort à préparer ou de la nécessité de s’arrêter pour contempler le chemin parcouru… D’ailleurs non, elle n’était pas au milieu de sa vie, elle en a toujours été à l’extrémité la plus piquante, à la pointe violente et capricieuse, fougueuse et séductrice de la vie. » Écrit Susan dans ce texte rédigé comme un journal à rebours, de sa première rencontre avec son idole jusqu’à la déchirante rupture, question de survie… « En arrivant à New York j’ai trouvé le courage de la quitter. Je file sans un mot. » Là, dans tout ce tourbillon Susan aurait tellement voulu que Sarah l’aime…
« Je ne veux pas être normale, je veux être extraordinaire. » et « Quand même » était la devise de Madame Sarah Bernhardt.


Sylvie Génot Molinaro

 

Sébastien de Courtois : « L'ami des beaux jours », Collection « La Bleue », Éditions Stock, 2022.

 


Si nous connaissions le journaliste et talentueux animateur de l’émission « Chrétiens d’orient » sur France-Culture, Sébastien de Courtois, c’était sans compter ses qualités de romancier, ainsi qu’en témoigne cet ouvrage « l’ami des beaux jours » paru chez Stock. Happant le lecteur dès les premières pages, ce récit d’une rare sensibilité ne pourra laisser indifférent, tant un véritable scénario de film naît immédiatement et spontanément dans l’esprit du lecteur de ces pages inspirées. L’histoire est pourtant banale, celle d’une amitié entre deux jeunes étudiants de province et d’un amour commun naissant pour une jeune femme de quelques années plus âgée. Ce trio romanesque conduira le lecteur dans les tréfonds de l’identité, une quête éperdue de l’être et du soi. Frédéric, « L’ami perdu », à la recherche duquel le narrateur part sur le tard, posant ainsi la question de l’altérité, mais aussi de celle de la communion si chère à Montaigne et à de La Boétie. Et parce que justement c’était lui, Frédéric, Sébastien le narrateur n’a de cesse de s’interroger tout au long de ces pages au style incisif et percutant, des mots qui claquent tout autant qu’ils font couler du miel. Cette introspection à la fois douloureuse et cathartique questionne le sens de nos vies, entre idéaux et contingences, passions et abandons… Et si « L’ami perdu » était en réalité le double du narrateur ? Celui que nous possédons toutes et tous en nous et que nous oublions trop souvent. C’est Sophie, anima du narrateur, qui le conduira à cette prise de conscience…

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Cedar Bowers « Astra » Éditions Gallmeister, 2022.
 


Astra ! Avec un tel prénom, une petite fille peut-elle vraiment grandir sur terre avec d’autres personnes de son âge ou bien être une sorte d’électron libre sans limites entourée d’adultes tout aussi éloignés de la réalité ? C’est là le récit de Cedar Bowers qui pour son premier roman brosse le portrait de cette petite sauvageonne devenue adulte et mère à travers le regard et les sentiments de différentes personnes qui lui ont été ou qui lui sont proches. Des regards croisés pour comprendre la vie d’Astra qui a grandi sans entrave dans l’ouest du Canada et qui en gardera toute sa vie les cicatrices psychiques comme physiques. De petite fille sauvage à l’adolescente fugueuse, puis à la femme séductrice et néanmoins vulnérable, chacun la décrit dans un parcours personnel, jusqu’au témoignage de son fils Hugo qui la vénère. Mais ce portrait de femme nous livre bien autre chose. Ce récit nous pose cette question qui nous taraude tous : Connaît-on vraiment et complètement une personne ?
Dès la première phrase du livre, « Raymond Brine ne veut pas penser au bébé à venir… Il ne veut pas penser aux liens du sang, ni à la filiation, ni à la tendance irrépressible de l’humanité à surpeupler cette planète exsangue. » Et pourtant c’est bien lui Raymond, le père d’Astra.
À partir de là, quel sera le futur d’Astra dont Gloria, sa mère, va mourir trop vite ? Qui va entourer cette enfant dans cette ferme communautaire nommée Celestial ? Quels seront ses repères à la réalité alors qu’elle n’a cessé d’entendre cette phrase à la fois poétique mais destructrice de tout équilibre possible pour une enfant : « N’oublie jamais qui tu es, Astra. L’étoile du cosmos, l’impératrice des cieux. Tu es libre de tes actes. » Mais « Elle n’est pas autonome, Raymond. Et tu ne devrais pas lui dire qu’elle appartient au cosmos. C’est faux. Elle est ta fille. » C’est là la source de tout ce que va vivre Astra, de ses choix instinctifs d’enfant comme de ceux qu’elle fera une fois adulte. Astra est-elle une enfant comme une adulte abandonnée à cette liberté trop grande pour elle ? « Qui est cette fille, au fond ? Comment est-elle devenue ce qu’elle est ? » Un constat dérangeant tout autant que fascinant entre mensonges, imagination, violence, désordres, vérités et résilience. Lire Astra, c’est essayer de déceler les fissures de son histoire, celles qu’elle-même a racontées avec des chapitres manquants, d’autres modifiés, avec des phrases bancales et des mots clés dispersés aux quatre coins de sa vie. Lire Astra, c’est faire le chemin avec elle en la regardant de loin.
 

Sylvie Génot Molinaro

 

Liane de Pougy : « Dix ans de fête – Mémoires d’une demi-mondaine », Editions Bartillat, 2022.
 


Les mémoires de la célèbre demi-mondaine Liane de Pougy (1869-1950) viennent enfin d’être publiées, réunies en volume pour la première fois par les soins d’Eric Walbecq, spécialiste notamment de Jean Lorrain, aux éditions Bartillat ; pas moins de dix années du début du siècle précédent vues par le bout de la lorgnette dorée de celle qui aurait pu être désignée par Proust de « cocotte » à l’image d’Odette de Crécy dans la Recherche… Car c’est bien le milieu de ces femmes oscillant entre mondanités et plaisirs de luxe qui se trouve en ces pages décrit par le menu détail par une femme qui semblait plus gouter les charmes féminins que les amours tarifées de ses riches amants !
Les âmes dévotes et sensibles devront peut-être s’abstenir dans ces pages parfois crues qui évoquent sans pudeur ce que pouvait être le quotidien de ces femmes faisant vaciller le cœur des plus grandes fortunes de l’époque et souvent plus attirées par les amours saphiques…
Mais de tels souvenirs pourraient être d’un intérêt limité s’ils ne faisaient intervenir quelques grands personnages de cette fin du XIXe et début du XXe s. notamment des écrivains tels Gabriele d’Annunzio ou encore Jean Lorrain ; ce dernier subjuguera littéralement cette femme pourtant guère impressionnable et dont le lecteur apprendra quelques révélations étonnantes !
Celle qui naquit Anne-Marie Chassaigne rendra son dernier souffle en tant que sœur Anne-Marie de la Pénitence après s’être convertie et avoir prononcé ses vœux. Toute la vie de Liane de Pougy sera pétrie de paradoxes, sa dernière chambre d’un palace à Lausanne ayant été par ses soins transformée en cellule monacale…

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

Amos Oz : "Les terres du chacal" ; Traduit de l'hébreu par Jacques Pinto ; Folio Folio N° 7151 Gallimard, 2022.
 


Ce recueil de nouvelles de jeunesse signé de l’écrivain israélien Amos Oz et aujourd’hui réédité en Folio par les éditions Gallimard devrait ravir les lecteurs fidèles de l’écrivain, mais également ceux découvrant son œuvre.
L’univers des kibboutz à la fois clos, mais confronté à un extérieur souvent menaçant constitue la trame de fond de ces courts récits de jeunesse réunis sous le titre « Les terres du chacal » dans la belle traduction de Jacques Pinto. L’animal, lui-même, sera également, en effet, omniprésent dans ces récits trempés à l’encre déjà affirmée du romancier Amos Klausner, mort en 2018, et plus connu aujourd’hui sous son nom d’auteur Amos Oz. Ayant rejoint jeune le kibboutz de Houlda, c’est de l’intérieur que le nouvelliste a pu s’imprégner de ces couleurs, ces sonorités et senteurs qu’il parvient à rendre avec une rare acuité et une sensibilité à fleur de peau. Cette hypersensibilité qui irise chaque description, des plus triviales aux plus complexes, n’écarte pas pour autant la dureté qui règne dans ces collectivités à l’image de la description de ce jeune chacal pris au piège en un parallèle saisissant avec la jeune Galila tombant dans la toile tissée par Matatyanou et dont elle apprendra le terrible secret dans la première nouvelle « Les terres du chacal », récit ayant donné son nom au recueil. La stupeur d’instants de tensions mis en suspens se trouve en écho avec les éléments naturels eux-mêmes tendus aux extrêmes qu’il s’agisse de la nuit, du jour, du soleil ou encore de la pluie. Ces points d’intrications extrêmes se prolongent jusqu’au moment où tout bascule, emportant avec soi le destin des êtres en une fatalité parfois déroutante. Pour ces courts instants inouïs d’introspection et de descriptions ciselées, le recueil de nouvelles « Les terres du chacal » mérite d’être (re)découvert.

 

Albane Prouvost : « renard poirier », collection Poésie, 88 pages, La Dogana, 2022.
 


Albane Prouvost poursuit la longue maturation de son travail poétique. Ainsi, après « meurs ressuscite », la poétesse a retenu pour titre de son dernier recueil paru aux éditions de La Dogana, « renard poirier », une réminiscence du poète russe Ossip Mandelstam et de « le poirier a tiré sur moi » ou encore « le merisier et le poirier m’ont pris pour cible »… En un long poème s’étirant tout au long du livre, « renard poirier » suscite tour à tour étonnement, perplexité et fascination, à l’image d’une longue litanie répétée à partir de quelques notes ou mots épars. Passée la surprise, les associations de mots créent un climat – glacé ou brûlant tour à tour – syntaxique envoûtant, sorte d’état extatique dans lequel le lecteur se surprend à réciter ces mantras d’un autre temps. En rapprochant de manière inhabituelle certains mots, puis en les recomposant encore en autant d’autres manières, de nouvelles associations surgissent et se créent, des sensations émergent subrepticement ou submergent, comme celles ressenties à l’écoute de contes anciens surgis des temps, voir même de certains accents pauliniens :


« les poiriers seront de la neige pour les pommiers

le renard croit le poirier
aussi le poirier croit le renard embrasé

poirier embrasé croit tout pardonne tout
espère tout
»

Tel un rite initiatique, le poirier révèle ce qu’il suggérait jusqu’alors, à l’image de l’identité d’Ulysse aux yeux de son père Laërte lors de son retour à Ithaque à l’évocation des arbres de son verger dont il lui fit présent. L’arbre chétif peut il espérer couvrir l’étendue de la neige sans pleurer ?, questionne Alban Prouvost ; quel départ et quelle arrivée nos souvenirs enneigés sont-ils capables de susciter comme nouvelles interrogations ? La longue quête de la poétesse nous invite à dépasser les contingences et nos propres limites pour élargir notre regard au-delà « des barrières de fleurs », un merveilleux cheminement en compagnie des goupils et des poiriers…

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Mario Andrea Rigoni : « Colloques avec mon Démon », Editions Arcadès Ambo, 2022.

 


Mario Andrea Rigoni, professeur à l’université de Padoue et grand spécialiste de Léopardi, était aussi poète. Disparu en 2021 alors qu’il venait de confier aux éditions Arcadès Ambo son recueil « Colloques avec mon Démon », il n’aura malheureusement pas eu le plaisir de le voir publié.
Son pessimisme l’avait rapproché de la pensée de Cioran qui correspondait à sa vision lucide du tragique de la vie. L’homme de lettres cultivait également un jardin secret, celui de Calliope. Dans les dernières années de sa vie, son goût s’exacerba pour les éléments, tectoniques, minéraux, mais aussi quelque peu plus immatériels tels le vent ou la brume dont il sut saisir l’impermanence dans des évocations délicates : « Je l’aime parce qu’il effleure la terre et ne l’habite pas. »…
Au fil des pages de ce recueil, sa poésie s’ouvre aux échos mythiques du temps, souvenances à peine voilées de ces témoins du passé si présents à celles et ceux qui peuvent encore y prêter attention. Cette pensée symbolique qui l’occupa sa vie durant transparaît ici ou là, toujours de manière diaphane à l’image même de sa poésie. Tendue vers l’infini, l’écriture poétique de Rigoni n’en dédaigne pas pour autant les gouffres vertigineux, démarche fragile entre ces extrêmes.
C’est entre ces lignes ténues que parfois se tapit son démon intérieur, double du poète ou esprit rencontré au fil de ses cheminements antiques ? Cette éternelle question, le poète se la pose et nous questionne, à nous d’y réfléchir grâce à ce beau et sensible recueil.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Très russe » de Jean Lorrain suivi de son adaptation théâtrale par Oscar Méténier. Édition établie, présentée et annotée par Noëlle Benhamou, Honoré Champion Éditions, 2022.
 


Avec « Très russe », Jean Lorrain (1855-1906) signe son deuxième roman qui eut, entre autres effet, de provoquer la colère de Maupassant qui crut se reconnaître sous les traits du ridicule Beaufrilan, amoureux transi et quelque peu ridicule de la délicieuse Madame Livitinof. Le duel fut évité in extremis, Lorrain ayant préféré les excuses au fleuret… L’action se déroule entre Yport et Fécamp, sur la côte normande, lieu de villégiature de cette société de la fin de siècle. Ce roman fut complété d’une pièce de théâtre avec la collaboration d’Oscar Méténier, pièce représentée le 3 mai 1893 au Théâtre d’Application.
Les éditions Honoré Champion offrent ainsi la première édition jointe de ces deux œuvres grâce à l’heureuse initiative de Noëlle Benhamou. C’est en effet un délicieux récit que livre en ces pages un Jean Lorrain plus caustique que jamais sur la société de son temps. Le roman est celui d’une femme fatale – Madame Livitinof, Sonia pour ses nombreux intimes – autour de laquelle gravitent des amoureux transis, Mauriat, Beaufrilan sans oublier le narrateur Jacques Harel.
En hommage à Flaubert et Elémir Bourges, Lorrain souhaitait livrer avec « Très russe » un récit à la croisée du roman réaliste, du roman décadent et du dialogue, ainsi que le rappelle Noëlle Benhamou dans son introduction à cette édition soignée. Ce roman aux multiples références musicales est également émaillé des nombreux coups de griffe et portraits au vitriol qu’affectionnait l’auteur de Monsieur de Phocas. L’humour corrosif du dandy qui en quelques mots parvenait à rabaisser ses adversaires réussit également en ces pages alertes à dresser le portrait de ses contemporains et de la société dans lequel il évoluait avec un plaisir manifeste. Donnant lieu à de véritables pamphlets que Molière n’aurait pas reniés – Lorrain n’hésite pas à citer explicitement quelques vers du Misanthrope dans ce récit – « Très russe » sait également saisir les emportements du cœur de ces âmes souvent tourmentées. Allant de la diatribe acerbe dans laquelle crut se reconnaître Maupassant jusqu’à ce touchant portrait du couple âgé, les Alexander, Lorrain enchante en passant en quelques lignes de l’émotion à l’humour corrosif, ce qui n’est pas la moindre des qualités de ce roman à découvrir.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Louis-Ferdinand Céline : « Londres » ; Edition établie et présentée par Régis Tettamanzi, nrf, Gallimard, 2022.
 


Inutile de rappeler les conditions pour le moins rocambolesques par lesquelles ce manuscrit fait enfin l’objet d’une publication des décennies après sa rédaction, le lecteur se rapportera pour cela à la préface de Régis Tettamanzi. Au-delà, « Londres » dévoile le laboratoire brut de la création célinienne, au sens propre et figuré. Non expurgé de ses scories, l’écrivain qui aimait pourtant lire et corriger jusqu’à l’épuisement ses manuscrits parvient avec ce récit, se situant juste après « Guerre » chronologiquement, à rendre les grouillements de ses protagonistes dans la capitale anglaise pendant la Première Guerre mondiale. Les personnages qui pour certains d’entre eux apparaîtront par la suite dans les futurs romans tel Guignol’s band errent, ici, dans les bas-fonds londoniens, de bordels en bars louches, formant ainsi un univers interlope dans lequel Céline nage comme un poisson, entre mémoire autobiographique et fantaisie du romancier. Les traits sont forcés, à l’image du vocabulaire ayant appelé pour le lecteur moderne un glossaire en fin d’ouvrage… Malgré les imperfections d’un manuscrit livré tel quel, la verve célinienne transparaît de ces lignes souvent crues et ardues à lire. Cet élan vital qui émerge de ces immondices, la lumière qui peut se dégager des états les plus désespérés, captent l’attention du lecteur jusqu’à ne plus le quitter, la dernière page tournée… Si cette promenade dans le Londres du début du XXe siècle passée en compagnie de Ferdinand, la prostituée Angèle, le souteneur Cantaloup, sans oublier des morceaux d’anthologie avec Bijou et Borokrom, n’a rien de commun avec celle de Joyce dans le Dublin d’Ulysse, elle offrira bien des déambulations initiatrices dont le lecteur ne sortira pas indemne…

 

A lire également de Céline en Folio :

 

 

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Louis-René des Forêts — La terre tourne et la flamme vacille » ; édition établie par Guillaume des Forêts et de Dominique Rabaté ; 21 x 25 cm, 256 p., L’Atelier contemporain éditions, 2021.
 


Lorsque le verbe ne parvient plus à traduire l’indicible, pinceau et mines prennent alors le relais de la plume… C’est tout au moins l’expérience vécue par Louis-René des Forêts entre 1968 et 1974. Cette longue parenthèse ouverte par la disparition tragique de sa fille se refermera avec la publication d’Ostinato, l’une de ses œuvres les plus personnelles et étroitement associée au style. « Je vois ces tableaux comme des fragments de rêve » souligne Dominique Rabaté en introduction à ce superbe ouvrage publié aux éditions de L’Atelier contemporain, catalogue raisonné de l’œuvre peint de l’écrivain.
Celui qui avait pourtant fait métier et passion d’écrire ne s’est jamais exprimé sur ce passage – temporaire – à un autre médium afin de confier ses pensées. Relais impromptus, cette cinquantaine d’œuvres allait occuper tout son temps d’écriture, sans chercher à en livrer un quelconque témoignage écrit, sinon celui légué par ces tableaux et dessins. La force onirique qui se dégage de ce travail singulier ne surprendra pas les lecteurs familiers de Louis-René des Forêts. Quelques discrètes références à Matisse dans « Les Avatars de l’autorité », désordres tempétueux à la Giorgione et détours dans l’inconscient qui ne sont pas sans évoquer certains dessins du psychiatre suisse Carl Gustav Jung, chaque œuvre fait sens, au singulier comme au pluriel.
Avec les contributions de Pierre Bettencourt, Pierre Klossowski, Nicolas Pesquès, Pierre Vilar et Bernard Vouilloux, ce sont les liens ténus entre écriture et dessin qui sont ainsi étudiés et révélés dans cet ouvrage remarquablement mis en page avec ses illustrations soignées et son format large. Page après page, l’univers dressé par Louis-René des Forêts gagne subrepticement le lecteur, laissant l’impression de paysages déjà vus, dans sa mémoire ou dans ses rêves. Cette force expressive, dont il ne manque que la musique tant elle est suggérée, tisse un dialogue non seulement entre l’artiste et sa toile, mais également entre le lecteur et ces œuvres. Cette conversation attire en autant de songes qu’elle génère et l’on se prête à se demander : quel commentaire Louis-René des Forêts aurait pu donner de cette création ? Cet ouvrage contribue admirablement à imaginer quelques réponses…
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Stéphan Huynh Tan : « Le Silence de la Cathédrale », 136 pages, Arcades Ambo Editeurs, 2022.
 


Il est des lieux comme des personnes qui attirent et voient converger vers eux toutes les attentions et passions. Notre Dame de Paris compte assurément parmi ces lieux, et le regrettable incendie de la cathédrale en 2019 a révélé combien cet édifice au cœur même de la capitale suscite encore de nos jours d’émotions palpables à une époque où pourtant le patrimoine religieux ne semble plus guère être la priorité. Car Notre-Dame de Paris dépasse les convictions de chacun, rallie à elle ce que certains historiens, tel Pierre Nora, ont nommé lieux de mémoire et Notre-Dame n’en manque assurément pas. C’est à ce puits sans fonds auquel a puisé Stéphan Huyn Tan, avec ce petit ouvrage soigné, paru aux éditions Arcades Ambo.
L’auteur délaisse quelque peu les chemins déjà bien pratiqués avec la figure imposante de Victor Hugo et de son célèbre roman. Plus pérégrination de lettré qu’étude exhaustive, « Le silence de la cathédrale » emporte son lecteur à la découverte d’une histoire, notre histoire, gravée dans la pierre et le vitrail, le bronze et le marbre. Chaque infime partie de cette cathédrale emblématique de la foi qui anima ses bâtisseurs constitue une page de cet immense livre de pierres que nous n’avons pas fini de feuilleter. Stéphan Huyn Tan nous en dévoile justement quelques belles pages, chapitres souvent méconnus de sa longue histoire et que nous découvrons avec un même plaisir. Et si l’auteur en une conclusion un brin atrabilaire et bien compréhensible rappelle que la grammaire est elle-même une cathédrale, l’ouvrage démontre agréablement que la réciproque est également vraie. Rufus, Catherine, Bernon, tous ces personnages auquel l’auteur donne vie parlent de et pour Notre-Dame, concert non de louanges mais de vie, celle qui siècle après siècle a insufflé à l’édifice cette personnalité qui nous fait la considérer comme une réalité animée.
Depuis l’ecclesia originelle du VIe siècle composée de trois bâtiments jusqu’à l’incendie de 2019, que de pages lumineuses ou plus sombres se sont accumulées dans ce Livre ouvert que représente Notre-Dame de Paris. Le présent ouvrage nous en livre quelques monologues originaux à découvrir pour sortir des sentiers battus.

 

Philippe-Emmanuel Krautter
 

Frédéric Vitoux : « L’Ours et le Philosophe », Éditions Grasset, 2022.
 


Avec « L’Ours et le Philosophe », l’académicien Frédéric Vitoux évoque les relations singulières qui unirent quelque temps deux personnalités du Siècle des Lumières, à savoir le philosophe Diderot et le sculpteur Falconet. Sous la forme de digressions, cet ouvrage tisse progressivement un réseau de liens rattachant ce XVIIIe siècle à la raison et à la modernité. Le récit alerte et non dénué d’humour n’hésite pas à opérer régulièrement des allées et venues avec notre époque présente, des souvenirs personnels de l’auteur tout autant que son rapport à cette époque révolue où deux fins esprits pouvaient se chamailler – à l’époque le terme de disputatio convenait mieux – sur la notion de postérité jusqu’à se brouiller définitivement…
Frédéric Vitoux se délecte manifestement de ces subtilités moins prisées de nos jours, ces raffinements sur d’infimes nuances qui semblent à mille lieues de nos réalités augmentées par les réseaux sociaux. Et, pourtant cette évocation passionnante des liens complexes et sensibles unissant les deux hommes trouve bien des échos avec l’époque moderne. Quel rapport avons-nous avec ce qui occupe la plupart de notre quotidien et de notre vie ? Quel legs souhaitons-nous laisser après notre vie ? Comment considérer l’absolu et selon quel dessein ? Derrière ces doctes questionnements file une réflexion alerte et jamais ennuyeuse, Frédéric Vitoux s’y entend pour évoquer la pensée de Diderot sans jamais perdre son lecteur médusé par cet esprit volubile face à l’atrabilaire Falconet aux allures d’ours mal léché.
Nous voyageons de Paris à Saint-Pétersbourg via La Haye au rythme des calèches, nous ouvrons l’immense ouvrage de l’Encyclopédie que le philosophe peine à conclure en un siècle où l’absolutisme n’a pas encore dit son dernier mot. Falconet préparant sa grande œuvre – la statue équestre de Pierre le Grand - oursifie plus que de raison, au désespoir de son patient ami. Chaque page avec ses renvois rythmés à notre siècle transportera le lecteur en une époque révolue qui l’enchantera pour ses impromptus comme pour ses réalisations magistrales, un temps impensable de nos jours et sur lequel l’académicien parvient à lever le voile grâce à cet ouvrage jubilatoire.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Jacques-Emile Blanche – Portrait de Marcel Proust en jeune homme » ; Préface de Jérôme Neutres ; Editions Bartillat, 2021.
 


À souligner, en cette année 2022 marquant le centenaire de la mort de Marcel Proust, la réédition de l’ouvrage intitulé « Portrait de Marcel Proust en jeune homme » aux éditions Bartillat ; un ouvrage réunissant quatre textes signés Jacques-Emile Blanche, tous consacrés à l’auteur de « À la recherche du temps perdu ». Peintre, critique et écrivain, aujourd’hui certes moins connu que son contemporain, Jacques-Emile Blanche fut, cependant, un peintre réputé ; on lui doit notamment des portraits de Liszt, Montesquiou, Gide, Cocteau ou Mauriac… Il est surtout l’auteur du fameux portrait de Marcel Proust, jeune homme, en 1892 ; un des rares portraits qui nous soit parvenu de Proust, que ce dernier conserva près de lui toute sa vie, aujourd’hui au Musée d’Orsay et qui illustre la couverture de cet ouvrage.
Jérôme Neutres revient dans sa préface sur ces deux destins qui n’ont eu de cesse de se croiser sans jamais avoir cependant la même trajectoire. Marcel Proust, de dix ans son cadet, connut enfant Jacques-Emile, fils du célèbre psychiatre Blanche. Se retrouvant étudiants, ayant des amis en commun dont Robert de Montesquiou ou encore François Mauriac, ils se croisèrent et se brouillèrent à maintes reprises ; si leur amitié fut, ainsi que le souligne Jérôme Neutres, asymétrique, Blanche vouera cependant une amitié et admiration indéfectibles envers le jeune homme, le dandy et l’auteur de la Recherche… « Le succès de Proust ne signe-t-il pas le seul vrai accomplissement de Blanche qui aura été de peindre et de révéler le plus grand écrivain du XXe siècle ? » interroge le préfacier. Aussi est-ce avec un intérêt certain que le lecteur pourra découvrir ces délicieux écrits de Jacques-Emile Blanche.
Deux ont été rédigés du vivant même de Proust dont l’un daté de 1914 ; publié dans « L’Écho de Paris » à l’occasion de la parution l’année précédente « Du côté de chez Swann », Jacques-Emile, en visionnaire, y loue ce premier volume « sans précédent dans notre littérature ». Les deux autres textes ont été écrits par le critique et ami après la disparition de Proust ; le premier est un émouvant témoignage paru dans le numéro spécial de la NRF, « Hommage à Marcel Proust », en 1923 ; le dernier écrit, plus qu’élogieux et touchant, est extrait de l’ouvrage de Blanche « Mes Modèles » paru en 1929.
Un portrait et quatre textes qui dépeignent ce même jeune homme à l’orchidée qu’admira toute sa vie le peintre et écrivain. « (…) Blanche aura au fond recommencé toute sa vie le portrait de Proust en jeune homme. Il aura remis régulièrement son plus célèbre tableau sur son chevalet, pour le décrire et le commenter avec des mots. » souligne encore en sa préface Jérôme Neutres.
 

L.B.K.

 

« Pierre Loti - Le marabout, la perruche et le singe » ; Collection « Un endroit où aller », Editions Actes Sud, 2021.
 


Voici une charmante anthologie de textes courts sur la place des animaux dans l’œuvre de Pierre Loti qui au fil de ses nombreux voyages a porté une attention et une curiosité sur ces animaux qui l’ont fasciné, dérangé, qu’il a espionné, observé, et que lui-même a parfois adopté et soigné. Toutes ces petites histoires, véritable tour du monde animalier, sont extraites des grands textes, récits d’aventures, conférences et autres fragments d’articles de Pierre Loti, réunis ici par Alain Quella-Villéger, spécialiste de la vie et de l’œuvre de ce grand écrivain et officier de marine. Souvent les aventuriers, munis d’un carnet de croquis dessinaient ce qu’ils voyaient de cette faune nouvelle et curieuse pour en compléter les collections des musées de magnifiques planches colorées… Ici, ce sont de fabuleuses descriptions et textes que nous livre Pierre Loti, des écrits qui nous font voyager au plus près de ce l’écrivain aura vécu aux quatre coins du monde, dans ces terres lointaines et océans pleins de surprenantes vies. Phoque de Patagonie, baleine des Malouines, chat de Stamboul, vieux cheval d’Espagne, écureuils de New York, âne d’Égypte, chouette du désert ou chameaux à Tanger… Que de belles lettres consacrées aux animaux ! Loti décrit aussi ici un monde écologique dont il ne pouvait penser qu’un jour il serait en danger de disparition. Qu’il représente des mondes lointains ou proches, chaque animal convoqué laisse ses empreintes au fil des phrases et des pages de tous ces voyages qui peuvent bien se lire chaque soir ou d’une traite, au fil de nos envies de découvertes !


Sylvie Génot Molinaro

 

Roberto Calasso : « Ce qui est unique chez Baudelaire » ; Traduit de l’italien par Donatien Grau ; 112 pages, Éditions Les Belles Lettres / Musée d’Orsay, 2021.
 


Roberto Calasso nous a quittés et chacun a encore en mémoire ces merveilleuses pages de « La Folie Baudelaire ». Aussi, quel n’est pas notre réconfort que de découvrir aux éditions des Belles Lettres cet essai inédit de Roberto Calasso publié sous le titre « Ce qui est unique chez Baudelaire ». En ces pages, entre courts essais et réflexion, le lecteur retrouvera la profondeur de pensée de l’intellectuel italien et toute la singularité du poète. Calasso aimait à ce que les livres se fassent écho (lire notre interview).
C’est à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Baudelaire que l’intellectuel avait accepté à invitation du musée d’Orsay et des Belles Lettres cet essai sous-tendu par des décennies passées en compagnie de Baudelaire. Comme toujours, l’Italien éblouit par ses analyses. C’est un Baudelaire intime, « mis à nu » qui à chaque page se dévoile dans ce Paris du XIXe siècle. Des facettes contradictoires, moins connues, parfois surprenantes : Le critique d’art et Constantin Guys, peintre de la modernité ; Le dandy et poète chez Madame Sabatier semi-mondaine, mais aussi muse ; mais aussi Baudelaire en auteur dramatique… C’est un Baudelaire unique qui parcourt les rues et faubourgs de la capitale, ceux qu’immortalisera Charles Meryon. Car ainsi que le souligne l’auteur : « Baudelaire s’est trouvé vivre au carrefour de la Grande Ville, qui était le carrefour de Paris, qui était le carrefour de L’Europe, qui était le carrefour du XIXe siècle, qui était le carrefour d’aujourd’hui ». Un carrefour sous la plume de Roberto Calasso fascinant, éblouissant.
 

L.B.K.

 

Théocrite : « Les Magiciennes et autres idylles » ; Présentation, édition et traduction du grec ancien de Pierre Vesperini ; Coll. Poésie/ Gallimard, n°564, Éditions Gallimard, 2021.
 


Plaisir que de découvrir « Les Magiciennes et autres idylles » du poète hellénistique Théocrite dans cette nouvelle traduction du grec ancien de Pierre Vesperini. Théocrite, l’un des plus grands poètes grecs antiques, offre, ici, en ces textes ou idylles une poésie travaillée d’une belle variété allant de cette poésie bucolique à laquelle il fut - pour en être l’inventeur, trop souvent enfermé, à une poésie épique ou sensuelle où se mêlent chants et dialogues cocasses. Un univers poétique qui fut célébré aussi bien du vivant de Théocrite que par les plus grands dans toute l’Europe, on songe notamment à Flaubert ou Leopardi, sans oublier Maurice Chappaz. Pierre Vespiri, sémiologue et chercheur au CNRS, souligne dans sa présentation : « Nous avons perdu bien sûr la musique de Théocrite : les sonorités, les rythmes, le chant même. Mais on peut encore, je crois, faire passer quelque chose de la beauté du texte. »
Pour cela, le traducteur a fait choix d’une traduction aussi alerte qu’accessible. Le lecteur d’aujourd’hui croisera ainsi enchanté bergers, moissonneurs et pêcheurs, mais aussi déesses et dieux dans la lumière et les reflets antiques si beaux de la Méditerranée. Méditerranée autour de laquelle le poète grec naquit et vécut. Bien que sa biographie demeure lacunaire, il semble cependant attesté que ce dernier fut né en effet vers 310 av.J.-C. à Syracuse, et vécut à Cos, puis à Alexandrie.
Cette traduction restitue toute la beauté et la poésie du monde antique. Vie quotidienne, mythes, dieux et rêves s’entremêlent et chantent admirablement dans cette poésie lyrique appuyée, ici, pour chaque idylle par un riche et bien venu appareil critique.
Et ainsi qu’aime à nous le rappeler Pierre Vespiri : « La poésie de Théocrite concerne tout le monde, parce que le droit à la beauté, comme le droit au bonheur, est un droit universel. »
 

L.B.K.

 

Fouad El-Etr : « En mémoire d'une saison de pluie », Gallimard, 2021.
 


Le poète et homme de lettres Fouad El-Etr signe avec « En mémoire d’une saison de pluie » aux éditions Gallimard un singulier roman. À mi-chemin entre évocation poétique et réminiscences puisant à un passé immémorial, ce récit débute par un poème et une adresse d’une jeune fille au poète. Une jeune fille dont la beauté n’a d’égal que la fraîcheur, cette fraîcheur qui ponctuera tout le récit où la nature baignée d’une saison de pluie envahit ces pages inspirées. Des pages entre songes et réminiscences réunissant hier ou peut-être aujourd’hui, une femme et un homme, un trio à la fois mystérieux et amoureux « comme dans un rêve »… La dimension onirique de ce roman saisit le lecteur au détour d’un chemin mousseux aux parfums de fougères et de roses sublimés par le poète qu’est Fouad El-Etr. Ce récit sensible désemparera certainement, car ces affinités ne sont point celles électives auxquelles nous a habitués Goethe mais relèvent plus d’une poésie initiatique qui sera perpétuée au-delà de la vie des protagonistes. Cette plongée dans les souvenirs du narrateur happe le lecteur à l’image des Années de Pèlerinage de Franz Liszt, nature et sentiment ne faisant plus qu’un. La présence si forte des arbres et de la forêt, la compagnie si proche de l’eau et ce silence à peine troublé par les émotions des cœurs composent un cadre à la fois prégnant et évanescent. Dans cette spirale sans contours, le lecteur se laisse mener par le poète et narrateur, sans présager une quelconque issue. Le style de Fouad El-Etr ajoute au charme de cette évocation où la poésie afflue comme les parfums. Diane, la jeune femme, retrouve les élans mythologiques de son prénom à l’affut du brame d’un cerf avant de connaître les émois de l’amour. « Dans la forêt profonde », le narrateur poursuit ses rêves sans savoir si l’écriture les devançait ou les recueillait. Le lecteur de ce roman initiatique fera de même, longtemps après avoir tourné la dernière page…

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Jacques LACARRIÈRE : "Le géographe des brindilles" ; 14 cm x 21 cm, 288 p., Éditions Hozhoni, 2018.
 


Jacques Lacarrière compte assurément parmi ces pèlerins de la nature trouvant à chaque détour de chemins, qu’il arpenta sa vie durant sous le soleil de Grèce ou de France, le sens de la vie, ou tout au moins ses voies possibles. Avec ce recueil inédit se déploie la pleine saveur de ces lentes pérégrinations, sans autre objectif que la poésie du paysage, le goût exacerbé des rencontres et cette idée de partage toujours sensible en ces pages.
Cet insatiable marcheur aiguise sa curiosité non seulement dans les espaces géographiques parcourus, mais aussi dans les méandres de la langue. Tout fait signe avec Jacques Lacarrière, qu’il s’agisse des arbres qu’il chérissait tant, des vents ou de la botanique, véritable grammaire du sensible. Ces petits riens pour le commun se métamorphosent en véritables dialogues de sagesse, sans rhétorique stérile, mais mus par ce goût de la nature tel qu’il ressort de ces textes oubliés, rares ou inédits réunis par sa femme Sylvia Lipa-Lacarrière.
L’auteur de « Chemin faisant » et de « L’été grec » sait mieux que quiconque que des trésors nous environnent, sans que nous les distinguions suffisamment à leur juste valeur. Si le regard du poète jette sur les êtres et les choses un jugement non dénué de sensibilité, l’approche du botaniste, de l’entomologiste ou du géologue ne sont également jamais très loin. Les descriptions se veulent précises et rigoureuses :
« À quoi donc servirait de parcourir le monde si j’ignore tout de la colline qui jouxte ma maison ? Enfant, je voulais déjà inventorier toutes les fleurs, toutes les plantes de mon jardin. En surveiller les moindres insectes. Dénombrer l’infini en somme, le grouillement, énumérer la multitude, apurer la profusion des choses. Il m’est resté de cette époque un goût microscopique pour le monde, la passion de l’infime, le désir de devenir un jour le géographe des brindilles. » écrit Jacques Lacarrière dans Sourates.
C’est à cette géographie poétique absente des manuels officiels à laquelle nous convie Jacques Lacarrière en ces belles digressions sur ces espaces de l’oubli.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Elizabeth von Arnim : « Elizabeth et son jardin allemand » ; Traduit de l’anglais par François Dupuigrenet Desroussilles ; 178 p., Éditions Bartillat, 2021.
 


« Elizabeth et son jardin allemand » relate l’histoire d’une passion, celle pour un jardin que la narratrice créa en un an seulement. Un jardin de poésie conçu comme un monde unique, idéal et protecteur, le seul refuge qu’Elizabeth trouva face à la solitude de sa vie de cours et mondaine et où s’exprimèrent tout autant l’amour auquel elle aspira que la liberté d’une femme qui se voulut indépendante.
Écrit sous pseudonyme, sur fond de pseudo journal intime, l’ouvrage paru à Londres en 1898 est, en fait, l’œuvre de la comtesse Mary von Arnim Schlagenthil, née Mary Anne Beauchamp, dite May. Cette dernière après avoir épousé le comte prussien Henning von Arnim Schlagenthil, veuf qui nourrit une vive passion en Italie pour l’Anglaise qu’elle était, connut cependant une triste et mélancolique déconvenue conjugale lors de leur installation en Allemagne. Bien qu’aimant cet époux qu’elle désignera comme « l’Homme de Colère », elle se retrouva, en effet, fort seule à Berlin parmi ses domestiques de langue allemande et ses multiples grossesses donnant naissant à trois filles, sans l’héritier souhaité qui ne naîtra qu’en 1902. Après cinq longues années, elle songea à s’occuper du jardin de leur vaste domaine délaissé de Nassenheide, en Poméranie (Pologne). « Elisabeth et son jardin allemand » se révèle donc être plus biographique qu’il ne veut à premier abord le laisser paraître. « En y repensant, il me paraît à peine croyable, et à vrai dire tout à fait incompréhensible, d’avoir tant tardé à découvrir que mon royaume céleste se trouvait dans cet endroit perdu. », écrit-elle.
L’ouvrage rencontra dès sa parution un immense et immédiat succès. Il fut réédité maintes et maintes fois, traversant les frontières. Détail quelque peu cocasse, ce sera l’éditeur anglais « Virago Press » qui en 1973 donnera à l’auteur le nom sous lequel elle est de nos jours connue internationalement, « Elizabeth von Arnim ».
« Elizabeth et son jardin allemand » par son origine autobiographique, véritablement et émotionnellement vécue, s’avère être un roman empli de sensibilité, de poésie et de passion à l’image d’un british « cottage garden » laissé à la liberté des saisons, du vent et du temps. Ce que souhaita justement Elizabeth pour son jardin en réaction aux jardins classiques anglais aux plates-bandes victoriennes jusqu’alors trop figées. Mêlant ainsi fleurs sauvages et vie mondaine, rosiers grimpants et confidences, Elizabeth ouvre à ses lecteurs un monde enchanté et enchanteur en réponse à une impitoyable réalité. Non dénué d’humour (anglais), Elizabeth s’impose en ces pages non seulement en jardinière hors pair, en femme convaincue et combattante, mais surtout en un esprit libre et en un merveilleux écrivain. Un écrivain entraînant son lecteur dans un autre et fabuleux univers, celui fait de feuilles et de couleurs, de vert, de jaune et de rêves qu’elle sut avec passion créer… « Je veux créer une bordure entièrement jaune, où seraient représentées toutes les nuances de cette belle couleur, de l’orange le plus flamboyant jusqu’au blanc cassé, et seuls les jardiniers débutants comprendront les lectures infinies auxquelles je dois procéder. Il y a des semaines que j’y travaille, et rien n’est encore arrêté. Je veux en faire un feu d’artifice ininterrompu, de mai jusqu’aux gelées d’hiver (…) ». Elizabeth von Arnim écrira et publiera de nombreux autres romans à succès jusqu’à sa disparition en 1941 en Caroline du Sud.
Cette dernière publication « Elizabeth et son jardin allemand » vient après trois autres titres (« L’Été solitaire », « En caravane », « Le jardin d’enfance ») confirmer l’heureuse initiative des éditions Bartillat de faire redécouvrir en langue française les œuvres d’Elisabeth von Arnim.
 

L.B.K.

 

Cees NOOTEBOOM : "Venise - Le lion, la ville et l'eau", traduction Philippe Noble, Editions Actes Sud, 2020.
 


À l’heure où Venise semble s’être enveloppée d’un silence singulier, le témoignage livré par le grand écrivain néerlandais Cees Nooteboom sur la Sérénissime ne pourra que réchauffer les cœurs. Cet ouvrage offre en effet près d’un demi-siècle de confessions vénitiennes, aveux d’un amour jamais démenti pour cette ville qu’il découvrit en 1964, un amour qui ne cessera plus.
De déambulations en pérégrinations, cette ville à la superficie pourtant limitée s’avère être un voyage au long cours pour l’écrivain qui s’accompagne de celles et ceux qui ont incarné ces lieux, au fil des siècles, les peintres, bien sûr, mais aussi les écrivains, sans oublier les historiens… Coincé entre deux colonnes d’une étroite venelle comme Venise en a le secret, Cees Nooteboom accueille le lecteur sur une photographie qui anticipe « cette première fois », ce jour béni où l’écrivain arrivant d’un train brinquebalant de la Yougoslavie communiste débarqua au terminus de Venise en 1964. Puis, un saut dans le temps, nous transporte en 1982, autre date, autre voyage, pour une même destination, mais cette fois-ci avec l’Orient Express. Curieusement, et savoureusement, l’auteur ne retient pas les conditions luxueuses de son voyage mais ces ruptures du temps, ces interstices qui ne cesseront de façonner ses souvenirs et d’y introduire des brèches.
Ces notes éparses laissent de côté les rues bondées de touristes, pour leur préférer une Venise moins galvaudée, l’hiver notamment, avec ses murs transis et ce froid qui s’introduit dans tous les ruelles de la ville. Des peintres s’invitent dans ces vagabondages, certains mondialement connus comme les incontournables Tiepolo, Véronèse ou encore Giorgione, d’autres plus secrets tel Bonifacio de’ Pitati dont l’Apparition, de l’Éternel au-dessus du Campanile retient surtout son attention… Nooteboom n’est jamais où on l’attend, surtout dans cette ville où les poncifs sont légion. Il faut lire les multiples questionnements de l’auteur avant de prendre un traghetto, cette gondole ne servant qu’à traverser d’une rive à l’autre le canal. Le trajet ne dure que quelques minutes et les hésitations de Nooteboom plus du double. La curiosité ne saurait être rassasiée à n’importe quel prix et son témoignage dépasse celui habituel du livre de voyage, pour ouvrir à une étonnante digression où les repères s’estompent. Le XXIe siècle ne semble guère convenir à l’écrivain avec son politiquement -correct et autres fondamentalismes de tous genres ; retrouver l’esprit du XVIIIe avec Casanova, prolongé par celui de Fellini qu’il interviewa naguère, correspondrait plus au credo de Nooteboom. Si ce dernier aime passionnément cette ville pour son caractère singulier, unique, le témoignage qu’il livre à son encontre l’est agréablement tout autant, celui d’une âme désirant plus que tout les impromptus, vénitiens, bien entendu.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

William Shakespeare : « Œuvres complètes, VIII, « Sonnets et autres poèmes » ; Trad. de l'anglais par Jean-Michel Déprats ; Édition publiée sous la direction de Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet, Bibliothèque de la Pléiade, n° 655, 1120 p., rel. Peau, 104 x 169 mm, Éditions Gallimard, 2021.
 


Ce huitième volume des « Sonnets et autres poèmes » conclut l’édition de longue haleine des Œuvres complètes de William Shakespeare dans la collection de la Pléiade. Si le poète s’est parfois quelque peu effacé devant le génial homme de théâtre, son œuvre lyrique témoigne cependant de l’inspiration fertile de son auteur quant au choix des mots et figures de style qui cisèlent ses créations. Curieusement, les Sonnets édités en Angleterre en 1609 ne furent découverts en France qu’au milieu du XIXe siècle. Cette belle édition réalisée sous la direction de Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet fait la démonstration que le poète mérite tout autant d’être lu et relu que le dramaturge. Au-delà des traits biographiques qui peuvent transparaître sur la vie bisexuelle de William Shakespeare dans les « Sonnets », cette poésie vaut avant tout pour les questions morales et esthétiques qu’elle sublime notamment dans ce cinquante-cinquième sonnet :

« Ni le marbre ni l’or des effigies princières
Ne survivront au pouvoir de ces vers,
Mais tu brilleras plus vivement dans ces strophes
Qu’en ces pierres encrassées, entachées par le temps »


Les affres du temps ne sauraient avoir de prise sur cet amour évoqué au fil de ces sonnets très personnels adressés à cet anonyme MR. W. H. – probablement le jeune comte de Southampton Henry Wriothesley - et à l’image d’un philosophe stoïcien, Shakespeare souligne :

« Contre le cruel couteau de l’âge destructeur.
Il peut trancher la vie de mon amour, jamais
La beauté remémorée de ce doux amour ». (Sonnet 63)


Les jeux de dédoublement se multiplient tout au long de ces « sonnets », imprimant ainsi au texte une valeur androgyne qui invite au dépassement de la recherche d’identité. L’auteur s’adresse à une autre personne tout en jouant des ambiguïtés et confusions : « C’est toi (moi-même) que je loue au lieu de moi ». Shakespeare s’éloigne ainsi de toute une tradition héritée de Pétrarque visant à la sublimation après les erreurs de jeunesse. Les multiples relations de duo (homme-homme ; homme-femme) et trio (homme-femme-homme), loin de conduire à la dispersion stimulent la veine créatrice du poète, ainsi que le souligne Anne-Marie Miller-Blaise en son introduction.
Les recueils « Vénus et Adonis » et « Le Viol de Lucrèce » également réunis dans ce volume connurent quant à eux un véritable succès lors de leur publication contrairement aux « Sonnets » restés plus confidentiels. Alors que ces poésies adoptent la forme classique de l’épyllion – épopée brève à thème mythologique – Shakespeare s’amuse à les émailler d’éléments subversifs. La provocation s’introduit dans ces vers en d’ironiques interversions entre Vénus et Adonis notamment dans l’épisode de leur monture respective. Selon le puritanisme de ses lecteurs, cette poésie de Shakespeare séduit ou choque, mais ne sauraient laisser indifférent, ce qui n’est pas le moindre des mérites de cette très réussie édition bilingue de la poésie de William Shakespeare.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Rûmî : « Cette lumière est mon désir. Le Livre de Shams de Tabrîz », Trad. du persan par Jean-Claude Carrière, Mahin Tajadod et Nahal Tajadod, Édition de Nahal Tajadod, Préface de Jean-Claude Carrière, Collection Poésie/Gallimard (n° 556), Édition Gallimard, 2020.
 


Jalâl al-din Mohammad Balkhi, plus connu sous le nom de Rûmî (1207-1273) compte parmi les plus grands poètes de la littérature persane. Sa mystique est issue de la confrérie des derviches tourneurs et du soufisme et rayonne dans toute sa poésie. Jean-Claude Carrière a entrepris avec Mahin Tajadod et Nahal Tajadod la traduction de pas moins de cent poèmes sous le titre « Cette lumière est mon désir » extrait du Livre de « Shams de Tabriz ». En cette poésie, c’est la force de la lumière qui abonde en des vers initiatiques, prenant toute leur valeur en nos temps troublés, tel le poème « Médicament de joie » ; un poème que nous pourrions lire avec ravissement lorsque le poète relève :

« Quand pareil au soleil,
Tu t’élèves de l’est,
Là, tu envoies la vie
À ce monde ignorant »


Quelle est-elle cette ignorance ? Rûmî sait plus que tout autre qu’elle est fruit de l’ignorance de l’amour et consomme l’homme jusqu’à la maladie. Le remède ? Point de médication, mais « sauter hors de ce monde » en une transe délicieuse, qui ignore les peines d’hier et néglige celles de demain. L’instant, sublimé par le verbe et la danse, scande toute la poésie de Rûmî en d’inoubliables vertiges que les traducteurs ont su rendre en une langue à la fois poétique et musicale.
La présence du grand prédicateur nommé Shams de Tabrîz fut déterminante auprès de Rûmî. Le mystère de sa venue au monde ainsi que celui de sa disparition ajoutent au merveilleux de son influence sur le poète. Jean-Claude Carrière a manifestement été ébloui par cette lumière qui n’attend qu’une marche encore pour se manifester pleinement, révélation ultime.
Ce voyage initiatique et mystique dans la poésie de Rûmî aura beaucoup à transmettre aux âmes en peine en nos temps difficiles. Une grande poésie offrant une lecture apaisante, à découvrir dans cette très belle édition.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Claude Askolovitch : « À son ombre », Éditions Grasset, 2020.

 


Elle s’appelait Valérie et était la femme de Claude. Ensemble, ils ont eu deux enfantse, Camille et Théo. « Valérie souriait en deux fois, une esquisse timide d’abord, puis un mouvement plus affirmé qui animait ses lèvres, comme s’il fallait hésiter à la frontière de la joie. » Mais Valérie, percluse de migraines, un jour à l’hôpital tire sa révérence, et Claude n’arrive pas à temps. Valérie à peine morte, Claude rencontre et aime Kathleen plus jeune de vingt ans. Comment ses grands enfants perçoivent-ils cette « remplaçante » qui déboule dans leur vie et qui donnera deux autres enfants à Claude, déjà vieillissant ? Claude, lui est déjà dans un processus de déprime, et il sait que son comportement change et l’isole de ses amis comme des ses collègues professionnels. Devenait-il son propre prédateur et celui des autres ? Va-t-il aussi mettre en péril ce fragile équilibre amoureux, lui et le fantôme de Valérie que ressent Kathleen, et ces quatre enfants qui doivent s’apprivoiser. « J’effleure et j’embrasse mon amour enfoui. J’appartiens à deux temps parallèles. Autrefois et aujourd’hui ont la même réalité. » Claude retrouvera-t-il une vie un peu plus dans la norme alors qu’il semble vivre entre deux mondes qui le détruisent autant qu’ils le maintiennent à flots pour ses enfants, pour les enfants de ses deux femmes aimées… « J’imaginais qu’elle (Valérie) flotterait sans cesse au-dessus de nos vies. Nous pourrions vivre à son ombre protectrice. Elle ne serait jamais loin de pouvoir revenir. » Sans rien cacher de ses doutes, colères, de son égoïsme, de sa judaïcité, ses pleurs, ses rêves, son analyse, ses envolées amoureuses, la perte de considérations des autres et de lui-même, le chômage, les piges, les nouveaux contrats, la descente et la remontée, la résilience, le bonheur possible malgré tout, Claude Askolovitch raconte sans filtre, dix ans après la mort de Valérie tout ce qu’il a vécu. Des mots tendres, des mots durs, des faiblesses et des forces qui le poussent à continuer de vivre car on ne sait jamais ce qui peut se passer, alors pourquoi se laisser engloutir par le chagrin… « Pour pouvoir vivre, j’étirais mon âme. Je n’avais pas le choix », confie-t-il.
 

Sylvie Génot Molinaro
 

Robert Walser : « Seeland. » ; Préfacé et traduit de l’allemand par Marion Graf ; Poche, Éditions Zoé, 2020.
Robert Walser : « Petite Prose. » ; Postface de Peter Utz ; Poche, Éditions Zoé, 2020.
Robert Walser : « Le Territoire du crayon. » ; Traduit de l’allemand par Marion Graf ; Choix des textes et postface de Peter Utz ; Poche, Éditions Zoé, 2020.

 


À noter la réédition aux éditions Zoé en version Poche de trois nouveaux recueils du talentueux écrivain et poète suisse Robert Walser (1878-1956), traduits par Marion Graf.
« Seeland », tout d’abord, réunit six longues proses merveilleusement écrites que Walser entreprit lors de son retour dans sa ville natale de Bienne en 1913. Il y restera sept années, des années de solitude partagées entre écriture et longues promenades idylliques sur les routes et sentiers biennois. En ces années 1913- 1920, l’écrivain traverse, en effet, une période dépressive et avoue avoir besoin de calme après ses succès dans les avant-gardes Berlinoises. Ce qui explique que l’on retrouve en ces pages à l’écriture élégante, fine et minutieuse, à la fois, la douceur et la spécificité de cette région de Seeland au pied du Jura alliée aux rêveries, mais aussi aux songes ou cauchemars de l’auteur. Toute la sensibilité et finesse d’écriture de Walser se glisse, ici, dans des scènes anodines de la vie ou de cette terrasse de café ombragée. Des pages enchantées par l’étrange beauté du monde, mais aussi habitées de cet incessant questionnement comme pour mieux capturer un ineffable mystère. « Seeland » n’est cependant pas qu’une « Promenade » mais une longue réflexion, à la fois nostalgique et mélancolique, dans laquelle se révèle l’écrivain lui-même, ses liens intimes avec les mots et l’écriture, mais aussi ses relations professionnelles et sociales ou son statut d’écrivain. Ce recueil à l’écriture délicate et sensible, à la fois léger, mélancolique et profond, sera le dernier de cette période biennoise et paraîtra en 1921.

 


Paru en 1917, le recueil « Petite Prose » livre toutes les facettes et l’immense talent de Robert Walser. Écrit au début des années biennoises de l’écrivain, le lecteur découvrira au travers de proses brèves, vingt et un textes précisément, une galerie de savoureux portraits alliant tout à la fois fiction et réalité, imaginaire et éléments autobiographiques, réflexions méditatives et cette ironie ou dérision qu’aimait tant également manier l’écrivain suisse. S’enchainent alors une virtuose et vivante variation de surprises, d’étonnements et d’éblouissements. L’écriture de Walser y danse selon une chorégraphie littéraire personnelle sans limites. « Petite Prose » révèle, en effet, tout le talent littéraire de Walser alternant les rythmes et les styles, de la phrase courte aux accélérations intempestives. Rappelons que l’écrivain et poète suisse fut largement salué par F. Kafka, R. Musil, E. Jelinek ou encore Susan Sonntag. À ces courts textes viennent s’ajouter et clore le recueil, deux écrits quelque peu plus longs dont « Tobold », une réminiscence par l’auteur d’un temps passé en tant que laquais dans un château de Silésie.
Robert Walser mourut un soir de Noël en 1956 après avoir marché jusqu’à épuisement dans la neige.

 


« Territoire du crayon » paru à titre posthume renferme de multiples proses inédites qui ont été lors de leur publication rangées par thèmes, écriture, la Suisse, promenades, les écrivains au travail, etc. Le lecteur y retrouvera, outre les thèmes de prédilection de l’auteur, toute la virtuosité littéraire de l’écrivain, que ce soit dans les plus menus détails que dans ses profondes réflexions. Surtout, « Le Territoire du crayon », ainsi qu’il l’avait - semble-t-il - surnommé lui-même, relève d’une très jolie histoire que l’on se doit, ici, de souligner.
Si de 1920 à 1933 à Berne, Walser écrit de nombreuses proses et poèmes pour des revues et grands journaux germanophones, parallèlement, l’écrivain suisse prit aussi l’habitude d’écrire plus librement des notes ou nouvelles d’une écriture extrêmement fine, microscopique, au crayon à papier, sur de vulgaires bouts ou morceaux de papier, enveloppes, feuilles d’agenda… Véritable « Territoire du crayon » secret, il ne recopiait ses écrits à l’encre que lorsque ces derniers étaient prêts, selon lui, à être publiés. Après sa disparition et pendant des années, ces notes, soigneusement dissimulées, à l’écriture minuscule demeurèrent telles quelles sans que personne n’y touchât. Il fallut de longues années avant que quelqu’un ne réalise que ces fameux bouts de papier au crayon, que l’on nomma microgrammes, constituaient en réalité de véritables nouvelles et écrits à part entière. Ainsi furent rassemblées les proses qui constituent aujourd’hui « Le Territoire du crayon » publié aux éditions Zoé pour la première fois en langue française en 2013.

Trois merveilleux recueils de Robert Walser venant idéalement compléter la réédition de « Histoires d’images » également en poche par les éditions Zoé.
 

L.B.K.

 

Florence Fix : « Henrik Ibsen », Coll. “Le théâtre de…”, Editions Ides et calendes, 2020.

 


Reconnu et salué de son vivant, le célèbre écrivain norvégien Henrik Ibsen (1828-1906) demeure encore de nos jours l’un des auteurs scandinaves les plus lus et joués, ses œuvres faisant aujourd’hui encore une large place aux débats, interprétations et créativité des mises de scène ou réalisations. Mais, connaît-on pour autant l’auteur d’« Une maison de poupée » ou des « Revenants » ?
Florence Fix, professeur de littérature comparée à l’Université de Rouen-Normandie, nous dresse dans cet opuscule de la collection « Le Théâtre de… » aux éditions Ides et Calendes, un portrait, tant de l’écrivain que de l’homme qu’il fut, vivant, saisissant et complexe.
Sous la plume de l’auteur, c’est en effet un homme aux multiples facettes et paradoxes qui se révèle. Patriote convaincu, ayant quitté la Norvège pendant plus de vingt-sept ans, il fut cependant extrêmement sévère et critique envers sa terre natale et a laissé des portraits au vitriol de ses compatriotes. Conservateur, mais prêt à défendre l’émancipation féminine ; Autodidacte, bourgeois, mais défendant également la condition ouvrière… la complexité de la personnalité du dramaturge déroute.
Si les œuvres d’Ibsen ont, en effet, suscité de leur temps réactions et échos, faisant souvent scandale à son époque, l’écrivain ne cesse encore de nos jours de nous surprendre. Donné pour maître du drame moderne, traduit notamment par le célèbre et regretté Régis Boyer, son œuvre demeure « éminemment hors frontière », souligne Florence Fix. Là, réside assurément la profondeur et la force de ses œuvres.
Celui que l’on surnomma souvent le « Zola du Nord » a, en effet, laissé une œuvre offrant un imaginaire marqué par les sagas scandinaves et la dureté du climat nordique portant à la solitude. « Le seul auteur norvégien du XIXe siècle célèbre dans le monde entier transporte avec lui les brumes du nord et un imaginaire voué aux paysages âpres, aux âmes fortes et solitaires qu’une terre inhospitalière porte à la bravoure autant qu’au mysticisme. », écrit l’auteur en son introduction.
Une riche et complexe personnalité ayant suscité tout autant la plus vive admiration que la critique la plus acerbe de ses contemporains au même titre que Zola ou Victor Hugo, et que Florence Fix cerne en ces pages avec beaucoup de subtilité.

L.B.K.

 

« Cahier Paul Celan » Dirigé par Bertrand Badiou, Clément Fradin et Werner Wögerbauer, 256 pp.
Cahier de l’Herne, 2020.

 


En cette année 2020, le poète allemand Paul Celan aurait eu cent ans… Mais le destin tragique de cet homme allait en décider autrement. Si ce grand poète est aujourd’hui largement reconnu et salué, reste que son écriture demeure jugée souvent hermétique appelant une porte d’entrée. Ce dernier Cahier de l’Herne qui lui est entièrement consacré est donc particulièrement bien venu pour aborder une œuvre à la fois exigeante et d’une acuité implacable.
Le destin du peuple juif au XXe siècle gravera inexorablement non seulement le style mais aussi l’âme de son écriture. Cette cicatrice portée par le réel avec la Shoah accompagnera, en effet, Paul Celan tout le reste de sa vie jusqu’à sa mort volontaire en 1970. Et pourtant rien ne destinait le jeune Paul à cette destinée. Plein d’espoirs et très tôt porté vers la poésie, Paul Celan a nourri un souvenir ému pour sa ville natale de Tchernowitz où il mena une vie d’adolescent plein de vie. Mais, très tôt le poids de l’antisémitisme pointe et gagne sa poésie dès les années 30. Cette menace nazie n’est cependant pas encore blessure dans la chair, tout juste une sourde inquiétude. La mère tant aimée de Paul est abattue d’une balle dans un camp de concentration alors que son père y décédera du typhus. La malédiction est définitive et ne quittera dès lors plus les poèmes de Paul Celan.
Viendront après les années d’exil à Bucarest et Vienne, qui ne parviendront pas à apaiser cette âme blessée à jamais, même si nait durant ces années un amour indéfectible pour Ingeborg Bachmann. Paris sera, cependant, la ville du refuge après le désastre et l’horreur, mais le poète continuera de chercher dans la langue le moyen de traduire l’indicible, juguler le mensonge.
Le choix des mots, leur sonorité et allitération, sont autant de vecteurs que Paul Celan ne cessera d’explorer ainsi qu’il ressort des études rassemblées dans ce Cahier. Ces années parisiennes enfin seront celles aussi des caves de jazz, des logements de fortune dans de petits hôtels jusqu’à sa rencontre avec Gisèle de Lestrange qu’il épousera en 1952.
Le Cahier de l’Herne Paul Celan dirigé par Bertrand Badiou, Clément Fradin et Werner Wögerbauer dresse un portrait transversal et riche de cette personnalité si complexe à partir de nombreux documents inédits (lettres, traductions et notes privées). La fascination pour de grands poètes comme Hölderlin, ses nombreuses correspondances, les crises récurrentes qu’il connaîtra tout le reste de sa vie, et avant tout sa poésie, sont en ces pages analysées par les meilleurs spécialistes du poète.
Une approche aux facettes multiples qui parvient à rendre plus « familière » et accessible l’écriture de Paul Celan, un défi réussi.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Constantin Cavafis : « Poèmes anciens ou retrouvés » ; Édition bilingue ; Traduit par Gilles Ortlieb et Pierre Leyris, Coll. « Poésie Seghers », Editions Seghers, 2023.
 

 

Constantin Cavafis, une voix inimitable de la diaspora grecque, fait l’objet d’une nouvelle édition bilingue dans une traduction inspirée de Gilles Ortlieb et Pierre Leyris. Poète né à Alexandrie en 1863 de parents grecs, Constantin Cavafis n’aura de cesse d’associer ce legs hellénique avec celui de la ville dans lequel il résida quasiment toute sa vie. Après quelques années de jeunesse passée en Angleterre dont le poète garda l’accent dans sa langue maternelle, Cavafis conciliera en effet d’antiques réminiscences et désirs des sens en d’intimes évocations, toutes plus passionnelles les unes que les autres. Pudique et sensuel, discret et pourtant ouvert à l’altérité, Cavafis embrassa la poésie avec respect, une attitude qui le porta à réviser toute sa vie ses poèmes et à en écarter radicalement un grand nombre, fort heureusement pour beaucoup préservés de la destruction. Les « Poèmes anciens ou retrouvés » publiés aux éditions Seghers offrent un tableau complet de cet « historien poète » ainsi qu’il se plaisait à se nommer. Ces pages à l’écriture sensible traduisent un esprit captant tout autant l’air du désert proche que les murmures de l’antique parvenus jusqu’à sa plume. Une épigraphe abandonnée sur une tombe est l’occasion de redonner vie au passé en de vertigineuses présences alors qu’un miroir placé dans l’entrée d’une riche maison conservera pour toujours le souvenir ému de la beauté d’un jeune garçon. La poésie de Cavafis brille discrètement de ses feux comme un saphir à la tombée de la nuit. Ses scintillements se font rêveries et ses songes plus vivants encore que les âmes défuntes qu’il évoque délicatement. Les barrières du temps s’estompent alors que les sens s’exacerbent en une multitude d’émerveillements. La lecture de ces Poèmes ne pourra laisser indifférent grâce notamment au remarquable et toujours délicat travail de traduction de Gilles Ortlieb et Pierre Leyris qu’il faut, ici, saluer.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

Italo Svevo : « Ma paresse » traduit de l’italien par Thierry Gillyboeuf, Allia Editions, 2024.

 


 

Voici un petit texte peu connu en France et qui pourrait offrir une belle porte d’entrée à la découverte de l’un des plus grands écrivains de l’Italie du XXe siècle : Italo Svevo, né à Trieste en 1861, de son vrai nom Aron Hector Schmitz, qu’il ne goûtait guère. L’écrivain triestin lui préféra en effet ce nom de plume signifiant littéralement « Italien Souabe » en raison des racines familiales de ces deux aires géographiques. Au carrefour de ces cultures, allemandes et italiennes, et des disciplines qu’il affectionnait (littérature, philosophie avec Schopenhauer, psychanalyse avec Freud par le truchement de Weiss), Svevo ne connut guère de succès avec ses premiers écrits, la critique l’ignorant superbement. Il faudra, en effet, la providentielle rencontre avec James Joyce à Trieste même (qui devint, par le plus beau des hasards, son professeur d’anglais particulier), pour que son talent se révèle aux yeux de l’écrivain irlandais et que ce dernier l’encourage à persévérer dans la voie.
C’est avec « La Conscience de Zeno » paru en 1923 que l’écrivain connaîtra la consécration pour ses qualités littéraires, qualités qui pointent déjà dans « Ma paresse », ce texte d’une soixantaine de pages paru aux éditions Allia dans une traduction de Thierry Gillyboeuf. À partir du quasi-monologue du narrateur, un vieil homme au terme de sa vie, « Ma paresse » offre une véritable introspection sur les tourments du personnage, notamment ceux liés à son âge, sa santé et virilité… A la manière d’un laborantin observant l’objet de sa recherche au microscope, Svevo met en œuvre une rare acuité dans l’analyse du narrateur et de son entourage, une analyse qui n’écarte rien des sentiments en une modernité seulement égalée par ses contemporains Proust et Joyce. Ce sens aiguisé de l’observation, cette autodérision et regard sans concessions sur la société dans laquelle il évolue étonne, surprend et séduit.
Malheureusement, Svevo devait terminer son trop bref parcours dans la littérature en 1928 après un fatal accident de voiture.


 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

Robert de Montesquiou : « DU SNOBISME » ; Préface Le Grand-Paon à l’Œil rose par Gérald Duchemin ; Deux illustrations par Sarah Elie Fréhel ; Format 12×16 cm, 288 pages, Editions Le Chat Rouge, 2022.

 


De Robert de Montesquiou n’est souvent resté que des caricatures qui, si elles s’avèrent signées par les plus grands noms de la littérature – Proust, Huysmans, Lorrain, de Régnier, etc., n’en demeurent pas moins la plupart du temps bien réductrices eu égard à ce que fut l’écrivain-poète-esthète. Il faut reconnaître que l’homme n’était guère facile, son caractère le portant à se faire autant d’ennemis que d’admirateurs, ces derniers étant pourtant nombreux… Robert de Montesquiou qui revendiquait une prestigieuse ascendance, incluant le fameux D’Artagnan, était aussi exigeant qu’intransigeant sur les arts, les lettres et la poésie qu’il chérissait tant. « Souverain des choses transitoires » tel fut l’un des qualificatifs qu’il s’attribua dans son fameux recueil de poésie « Les chauves-souris ».
Régnant sur le Tout-Paris de la fin du XIXe s. au début du siècle suivant, cette âme éprise du beau eut à cœur de lancer nombre de poètes et d’artistes en un mécénat plus que généreux tel fut notamment le cas pour le peintre Gustave Moreau ou encore le jeune Marcel Proust qui n’hésita pas, pourtant et en remerciement, à singer par la suite son généreux protecteur…
Les éditions Le Chat Rouge ont fort heureusement entendu réparer cette injuste omission de l’histoire et offrir un portrait à la fois complet et varié de ce personnage grâce à une introduction enlevée de Gérald Duchemin et une sélection des aphorismes que chérissait Montesquiou. Cet esprit curieux de tout rédigea également un grand nombre de notices dont certaines d’entre elles ont été également réunies pour ce recueil décidément passionnant : Gustave Moreau, Aubrey Beardsley, Sarah Bernhardt, Lalique et Gallé, William Blake… Nombreuses seront les facettes de l’esthète et poète qui seront révélées par cet ouvrage unique en son genre et dont la lecture permettra de se faire une idée plus juste de celui qui avouait en son temps :
« Ce que j’ai nommé le bon Snobisme, celui qui consiste à se sentir amplifié par la fréquentation des êtres de valeur mentale ou morale, c’est de celui-là qu’on peut dire qu’il faudrait être bien sot pour ne pas le ressentir et le pratiquer »…


 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Odysseas Elytis : "À l'ouest de la tristesse" précédé de "Les Élégies d'Oxopétra", édition bilingue, traduit du grec, présenté et commenté par Laetitia Reibaud ; broché 120 p. , 15 x 21 cm, Éditions Unes, 2022.
 

C’est à un poète encore trop méconnu en France qu’est consacrée cette belle parution aux Éditions Unes, une édition soignée et élégante de deux recueils d’Odysseas Elytis, prix Nobel de littérature en 1979. Les deux recueils, « A l’ouest de la tristesse » et « Les Élégies d’Oxopétra », font en effet l’objet d’une traduction sensible et délicate par Laetitia Reibaud qui signe par ailleurs une belle introduction en guise de préface sur le poète grec. Elytis n’est pas un poète facile à lire, privilégiant l’expérience de la lumière diffractée en une poésie à la fois solaire et toujours en quête d’éblouissements, même lors des questionnements les plus ultimes. « A l’ouest de la tristesse » paraît un avant la mort du poète et il sera difficile de ne pas y lire quelques testaments jetés ici ou là après une longue vie de poésie. La puissance tellurique du poète demeure identique en une vitalité qui ne cesse d’étonner, parvenu à un âge aussi avancé et dépassant les affres des années de vieillesse. Elytis discerne encore les rivages de Troie tout autant que ce bleu Ioulita, synonyme d’amours éternelles… Aussi le poète nous tend un relais toujours aussi vaillant, « la Poésie seule est ce qui demeure », ces pages inspirées en témoignent, à nous de les saisir.

« Pourtant ce n’est pas toujours en rêve que tous nous cherchons
D’une génération à l’autre cet ambre
Qui adoucissait les liens des hommes
La matière grise inconnue qui savait
Formuler des lois diaphanes ; pour que l’un, tête nue, fixe des yeux
Les vallées de l’autre en lui-même, soit de nuages
Voilées soit au soleil exposées »

 

 

Michel Orcel : "LEOPARDI (poésie, pensée, psyché)", Editions Arcades Ambo, 2023.
 


Le nom de Michel Orcel est indéniablement associé au poète italien Giacomo Leopardi (1798-1837), poète plus connu, il est vrai, dans son pays natal que de ce côté-ci des Alpes. C’est pour réparer cette injustice littéraire que l’auteur de ces études rassemblées aujourd’hui sous le titre « Leopardi – Poésie, pensée, psyché » aux éditions Arcades Ambo, n’a eu de cesse de rappeler et d’analyser les multiples facettes de l’auteur des Canti dont il livre en ces pages une vision à la fois inspirée et poétique.
Ayant arpenté l’œuvre de Leopardi, des années durant en tant que traducteur mais aussi au titre de poète, Michel Orcel nous convie à cette intimité de la poésie léopardienne ainsi que le relevait Jean Starobinski : « Et, si techniquement rigoureuses que soient ces études, elles nous retiendront pour une autre raison encore : nous les lirons comme un fragment du journal intellectuel (du Zibaldone) d’un poète de notre temps ». L’ouvrage exigeant nous invite, en effet, à nous mettre à l’écoute par exemple de ce poème l’Infini dont il déchiffre pour nous l’incroyable composition où toute souffrance – thème récurrent chez le poète – semble être absente. Cet « ailleurs de la parole », cette voix de l’intériorité pure, converge vers la poésie en des sommets époustouflants où pensée lyrique et poésie tissent des dialogues intimes ainsi qu’il ressort de ces riches études que nous livre aujourd’hui Michel Orcel.
 


À noter la parution aux mêmes éditions, des esquisses autobiographiques du jeune Leopardi, « Là sont rassemblés mes souvenirs ».
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Pier Paolo Pasolini : « Dialogues en public » ; Traduction de François Dupuigrenet Desroussiles avec une préface de Florent Lahache, Collection « penser-situer », Editions Corti, 2023.

 


Nous connaissions Pasolini poète, cinéaste, critique, romancier… mais une autre facette se dévoile avec cette parution « Dialogues en public », celle d’un intellectuel de haut vol se prêtant à une correspondance publique « en direct » dans l’hebdomadaire communiste Vie Nuove entre 1960 et 1965. Sans fards et avec une rare liberté de parole, l’homme de lettres correspond spontanément avec des mineurs, de jeunes adolescents, des mères de famille, des catholiques. Cette liberté de ton étonnera autant qu’elle séduira… Car Pasolini en ces pages ne cède ni à la facilité et encore moins à la démagogie. A ses correspondants qui lui reprochent parfois un vocabulaire trop savant et des idées difficiles à saisir, l’intellectuel répond sans hésiter qu’il leur faut faire un effort, que la condition ouvrière ne saurait à elle seule justifier de les maintenir à un niveau élémentaire. Ces lettres qu’il reçoit parvenues de l’Italie entière – à l’image de ce Tour d’Italie que le cinéaste réalisa pour son enquête sur la sexualité des Italiens – dressent un portrait vivant des années 60 par le biais des interrogations des lecteurs du journal communiste.
Et si certains clichés du marxisme de l’époque peuvent, certes, ressortir, ces échanges révèlent autant la personnalité des correspondants que celle du prestigieux épistolier qui leur répond. Véritable mosaïque de la pensée des années 60 vue par un intellectuel engagé, « Dialogues en public » ne pourra que ravir les amateurs de l’écrivain-cinéaste et de l’Italie de cette époque.

 

Joris-Karl Huysmans : « À Rebours », édition de Pierre Jourde, Folio, Gallimard, 2022.
 


Avec « À Rebours », J.-K. Huysmans sonne en quelque sorte le glas du naturalisme de Zola et ses proches porté jusqu’alors aux nues. Ce dernier lui fit d’ailleurs cet amical reproche lors de la publication de l’ouvrage en lui faisant remarquer, souligne Huysmans dans sa Préface écrite vingt ans après le roman, qu’avec ce livre « je portais un coup terrible au naturalisme, que je faisais dévier l’école… » ; Instillant, sans le savoir exactement, les germes de ses futurs ouvrages dans chacun des chapitres, Huysmans avec « À Rebours » pose de nouveaux jalons, rompant avec la tradition, ce que certains de ses contemporains ne comprendront pas telle la Revue des Deux Mondes qui compara « À Rebours » aux vaudevilles de Waflard et Fulgence… Seul Barbey d’Aurevilly fut plus perspicace en louant l’auteur et en reconnaissant : « Après un tel livre, il ne reste plus à l’auteur qu’à choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix »…
« A Rebours » ouvre ainsi les fenêtres de la création littéraire pour un auteur qui estimait étouffer dans son milieu et souhaitait secouer les préjugés. Autant confesser que Huysmans réussit son pari, balayant l’intrigue traditionnelle pour ouvrir autour du personnage central de son héros, Des Esseintes, son roman à l’art, à la musique, la littérature, la science, la théologie et bien d’autres domaines qui deviendront des figures à part entière du roman…
Délaissant le naturalisme et ses intrigues traditionnelles et souvent prévisibles, Huysmans plonge dans les arcanes de la névrose et de l’esthétisme, des bas-fonds et des sublimes sommets incandescents à la lumière d’un Baudelaire qu’il vénère et selon une poésie qui place Mallarmé au panthéon des lettres. Écrit alors que l’auteur n’avait pas encore opéré sa conversion au catholicisme, « A Rebours » anticipe également sur un grand nombre d’ouvrages que le romancier écrira par la suite et les dernières lignes de ce roman atypique font figure d’annonce sans qu’aucune aile d’ange n’y soit pourtant présente : « Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir ! ». Quels sont-ils ces consolants fanaux ? Huysmans en une inspiration prémonitoire nous en montre les faux éclats à partir d’une vertigineuse plongée dans les affres de l’esthétisme, joyaux pourtant déterminants qui seront repris par la suite pour la plus grande gloire du Dieu de l’auteur.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Pierre Voélin : « Quatre saisons, plusieurs lunes – Les poèmes trop courts », 112 p., 12 x 18 cm, Éditions Empreintes, 2022.
 


Combien de lunes ont-elles ciselé ces vers épris de nature comme certains de liberté ? Le poète Pierre Voélin (lire notre interview) n’est point ici en quête de bucolisme, ni de cette forme de poésie japonaise nommée haïku, même si certains chemins parfois peuvent converger avec ceux de l’auteur de « Quatre saisons, plusieurs lunes » :


« Juillet sur les bords de l’étang,
la pluie s’avance penchée
mais droit – et digne
le héron solitaire
».

Le poète semble plutôt attiré, telle la phalène vers la flamme, par l’union de la forme et de l’instant, une quête subreptice qui opère par touches diaphanes, la clarté n’est jamais loin, même en pleine nuit :


« A chaque lune d’allumer l’incendie !
Une fois le feu lancé, vite,
aux humbles feuillages
de l’éteindre
»

Cette saisie de l’instant se manifeste en ces infimes moments du quotidien que le poète traque tel l’entomologiste aux détours des forêts et jardins, aux aguets de ces manifestations éternelles du fugitif. Sa démarche tient également du peintre qui parvient à immortaliser parfois l’impermanence, quête délicate dans laquelle Pierre Voélin excelle sans affect. Tous les sens sont à l’affût de ces infimes bribes qu’il réussit à cristalliser dans ses vers placés sous l’égide de Villon, de La Fontaine, de Nerval ou encore Jean Grosjean. Une poésie où parfois des nuages se profilent et quelques angoisses pointent, noirceurs vite dissipées par cette poétique approche des éléments sublimés par le verbe.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Mario Vargas Llosa : « L’appel de la tribu », Coll. Folio, Gallimard, 2022.

 


Dans cet ouvrage « L’appel de la tribu », réédité aujourd’hui en Folio, Mario Vargas Llosa (tout récemment élu à l'Académie française) nous donne à lire le portrait de sept penseurs ou intellectuels décisifs ayant marqué ses propres convictions libérales. Des économistes, bien sûr, Adam Smith et Hayek sans oublier Karl Popper, mais aussi des intellectuels notamment français – on songe à Raymond Aron ou encore à l’académicien Jean-François Revel ; des penseurs ou philosophes libéraux également dont Sir Isaiah Berlin ou quelque peu plus connu, et pour un libéralisme plus culturel, José Ortega y Gasset. Le libéralisme, la libre concurrence, la liberté des marchés, le seul système ou mode de pensée (économique, philosophique, moral…) capable, pour l’auteur, de garantir la liberté et la démocratie : « …ce qui nous a le mieux défendus contre l’inextinguible « appel de la tribu. », souligne d’emblée dans sa préface Vargas Llosa.
Un ouvrage roboratif qui, quelles que soient les convictions du lecteur, laisse à penser, à réfléchir, car derrière le terme même de libéralisme, se cachent bien des variations, nuances, précisions, paradoxes ou même contradictions assumées ou non. Sans céder à la facilité, Mario Vargas Llosa mêle à grands traits et avec un rare bonheur vie et œuvres de ces grands penseurs formant son panthéon libéral ; des figures majeures révélant non seulement l’évolution du libéralisme – du père du libéralisme avec Smith au néo-libéralisme, mais aussi le propre parcours intellectuel et politique de Vargas Llosa, ce grand écrivain péruvien, Prix Nobel de littérature en 2010. « Le parcours qui m’a mené du marxisme et de l’existentialisme sartrien de ma jeunesse au libéralisme de ma maturité… » écrit encore en sa préface Mario Vargas Llosa.
Sans adopter un style hagiographique, mais sans renoncer pour autant à une approche parfois subjective ou à des anecdotes cocasses, l’auteur souligne les thèses, points forts et faiblesses de ces auteurs libéraux ayant chacun marqué de leur plume leur siècle, du XVIIIe avec Smith jusqu’au XXe-XXIe siècle pour Jean-François Revel. En contrepoint, des pages ou critiques des systèmes totalitaires, qu’il s’agisse du nazisme, marxisme, communisme ou encore des intellectuels de gauche ; Un « appel de la tribu » qui, selon l’auteur, verra l’individu disparaître englouti dans la masse ; un appel ou des convictions depuis longtemps abandonnées par Mario Vargas Llosa. Se glissent ainsi dans ces pages, notamment celles consacrées à Raymond Aron, des lignes acerbes et sans appel à l’encontre de J.-P. Sartre, celui qui « déjà aveugle, hissé sur un bidon, (…) pérorait aux portes des usines de Billancourt ».
Quelles que soient les convictions du lecteur, cet ouvrage au style impeccablement fluide - et dont on ne peut que saluer la traduction par Albert Bensoussan et Daniel Lefort, se laisse dévoré ou du moins si agréablement lire.

 

L.B.K.

 

« Sénèque - Tragédies complètes" ; Édition et traduction du latin par Blandine Le Callet, traduction inédite, Collection Folio classique (n° 7143), Gallimard, 2022.
 

Si l’on connaît bien Sénèque pour son fameux De Brevitate Vitae (De la brièveté de la vie), les tragédies du grand philosophe stoïcien restent, il faut l’avouer, plus méconnues. C’est cette lacune que vient combler avec bonheur la réunion des « Tragédies complètes » de Sénèque en Folio par Blandine Le Callet avec une traduction inédite et un appareil critique complet.
Paradoxalement, ces tragédies jouissaient d’une grande notoriété à la période de la Renaissance avant de perdre les faveurs du public aux siècles suivants. Et pourtant, ainsi que le souligne Blandine Le Callet en préface, « Les tragédies de Sénèque apparaissent, en effet, comme de véritables manifestes politiques et philosophiques, nourris du stoïcisme de leur auteur et de son expérience du pouvoir ». Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles ces œuvres parfois subversives ont pu être écartées à une époque où l’absolutisme voyait d’un mauvais œil toute critique du pouvoir ? Sénèque connaissait, en effet, intimement les arcanes du pouvoir et ses noirceurs, cette fameuse « tête hideuse de la Gorgone » qu’évoquait le théoricien du droit Hans Kelsen. Le philosophe était le précepteur du jeune Néron qui sut rapidement se départir de la sagesse de son mentor pour devenir le monstre que l’on sait (même si cette dérive se trouve quelque peu atténuée par les recherches de ces dernières années). Témoin vivant des intrigues de cet empereur responsable de folies (on lui prête le fameux incendie de Rome en 64 dont l’empereur aurait jeté la responsabilité sur les chrétiens), Sénèque a matière pour composer des tragédies nourries de ces horreurs, véritable anthologie des sombres turpitudes dont l’homme peut se rendre coupable.
Bien évidemment, il ne faut pas voir dans ces pièces ayant pour nom « Œdipe », « Hercule furieux » ou encore « Agamemnon », un goût complaisant pour le morbide, mais bien une invitation à la réflexion sur la nature de l’homme et ses dérèglements. Soulignons que la noirceur de ces tragédies révèle cependant en contrepoint la lumière qui peut entourer celles et ceux qui consacrent leur vie à la philosophie et aux préceptes stoïciens d’une vie simple.
En cela, et pour bien d’autres raisons, cette édition des Tragédies complètes de Sénèque constitue une belle invitation à la sagesse, toujours d’actualité…

A noter le remarquable travail réalisé par Blandine Le Callet en fin d’ouvrage avec un précieux et volumineux dictionnaire de la mythologie plus qu’utile à la pleine compréhension de ces tragédies.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Raymond Queneau : « Ma vie en chiffres » ; dessins de Claude Stassart-Springer ; Fata Morga éditions, 2022.
 


Avec ces quelque vingt-quatre pages consacrées à une digression sur la vie en chiffres, Raymond Queneau se joue des conventions sociales plus que des équations dans lesquelles il excellait. Cet amoureux de sciences et de pataphysique se révélait « à l’étroit dans le sens commun » ainsi que le résume très justement Pierre Bergounioux en avant-propos à ce petit livre soigné et illustré par les virevoltants dessins de Claude Stassart-Springer.
Queneau s’amuse et nous divertit sur notre quotidien souvent trop pesant, une apesanteur que l’écrivain et cofondateur du groupe Olipo se faisait un plaisir de cultiver dans ses digressions byzantines. S’évader du quotidien par le truchement de ses bizarreries, tel pourrait être le credo de Queneau dans ce court récit.
Lorsque le narrateur se risque à évoquer sa vie selon le filtre des chiffres, tout paraît soudainement étrange alors qu’il ne s’agit pourtant que de notre propre quotidien. Le nombre de secondes occupées par notre travail, les grammes d’azote, de carbone et ses deux croissants religieusement absorbés chaque jour (5 372 croissants au 29 mars 1957…), tout prend ainsi un autre éclairage sous la plume de Queneau trempée dans l’encre numérique. Le tourbillon des chiffres s’emballe, devient prétexte à quelques rencontres amoureuses que ne renierait pas Cervantes, pour finalement livrer une autobiographie « trafiquée », le qualificatif étant faible, même si l’exercice s’avère être d’une redoutable efficacité.
A découvrir dans cette exquise édition de 112 grammes exactement, soit un peu plus de deux croissants !

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Marcel Proust : « Lettres à Horace Finally » ; Edition établie par Thierry Laget ; Avant-propos de Jacques Letertre ; Collection Blanche, Gallimard, 2022.
 


Horace Finaly compte parmi ces grands banquiers d’affaires de l’entre-deux-guerres ayant joué un rôle essentiel à la Banque de Paris et des Pays-Bas. Curieusement, son nom tombé dans l’oubli resurgit aujourd’hui par le truchement de son célèbre camarade de classe au Lycée Condorcet, un certain Marcel Proust…
Devenu personnage de roman pour Giraudoux dans « Bella » et pour certains identifié à Bloch dans la « Recherche », cet ami de toujours, disponible alors que son agenda ne le permettait guère, aidera Proust dans les problèmes rencontrés avec son encombrant compagnon de l’époque Henri Rochat. Sollicitant les relations du banquier pour lui trouver un poste au lointain Brésil, Finaly s’exécutera généreusement malgré les déconvenues survenues par l’attitude de l’encombrant personnage, ainsi que le rappelle Jacques Letertre en avant-propos.
Le présent recueil de cette correspondance inédite s’ouvre sur une lettre datée de 1920, le reste de la correspondance de jeunesse étant malheureusement perdue. L’auteur de la « Recherche » s’adresse à son « cher ami d’autrefois et de toujours » en souvenir des années passées à Condorcet. Proust au fil des lettres égrène ses chers souvenirs même si les « espérances ne se réalisent pas », le passé n’étant jamais perdu pour l’écrivain. La maladie de Proust, cloué maintenant la plupart du temps au lit, est omniprésente, ce qui ne l’empêche pas pour autant de « caser » son protégé loin de l’Hexagone grâce à l’influence et relations de son vieil ami.
Pointent quelques traits d’humour « proustiques » ainsi qu’il se qualifie lui-même. Rochat se trouve finalement envoyé en Amérique du Sud par Finaly, au lieu de la Chine initialement prévue. Puis viendront les tendres et touchants témoignages d’amitié lors du décès de l’épouse tant aimée d’Horace en mai 1921, témoignages émaillés par les frasques de Rochat au Brésil, sans oublier les multiples fièvres de la santé déclinante de Marcel Proust au terme de sa vie. Durant ces derniers mois qui lui restent à vivre, l’écrivain adressera en avril 1922 un dernier témoignage à son ami de toujours sous la forme d’un envoi autographe sur la page de garde du tome I de « Sodome et Gomorrhe » paru le même mois. Dans cette ultime adresse, Marcel Proust, même s’il « n’aime pas mêler de la littérature à un souvenir douloureux et vivant en moi » pense une dernière fois à son fidèle ami sous le signe de l’amitié et du souvenir de sa défunte épouse. Un vibrant et ultime témoignage un siècle exactement après la disparition de l’écrivain.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« André Suarès – Vues sur Baudelaire » ; Préface de Stéphane Barsacq, Coll. Portraits, Éditions des Instants, 2022.
 


Comment ne pas saluer cet ouvrage « Vues sur Baudelaire » qui vient de paraître aux éditions des Instants regroupant six textes, articles ou préface, consacrés au poète maudit et signés de la main d’André Suarès ?!
Suarès, écrivain et poète assoiffé de liberté, vouera une admiration indéfectible à Baudelaire ; il fera partie de son Parnasse avec Mallarmé et Rimbaud, se disputant la première place avec Verlaine. Suarès sera, surtout, l’un des premiers écrivains à consacrer au poète et à sa poésie de véritables analyses ; études qu’il n’hésitera pas à renouveler sa vie durant – le premier de ces textes paru dans « La Grande Revue » datant de 1911, le dernier de 1940. « Baudelaire est pour lui une figure tutélaire, presque une obsession. » écrit André Guyaux dans « Le Baudelaire de Suarès ».
Mais, en ces écrits, Suarès n’entend nullement cependant livrer une biographie ou une chronique nécrologique du poète disparu deux ans avant sa naissance en 1868. Non, Suarès tourne et retourne autour de Baudelaire, inaccessible et pourtant si fascinant, comme pour mieux entrer dans son âme de poète maudit ou dans « ce pays de son génie » écrira Marcel Proust dans « Contre Sainte-Beuve » ; c’est son « Cœur mis à nu » plus encore que Suarès souhaite approcher, presque disséquer comme pour mieux en percer le mystère. Baudelaire, « le plus nu et le plus vrai des poètes, en son temps » écrira-t-il.
Et si bien des points de contact existent entre eux, Suarès se garde bien pour autant de faire de mauvaises ou d’orgueilleuses projections ; non, ici encore, il tourne, soulignant les multiples visages mais tenant ses distances préférant rapprocher les plus grands astres entre eux : Keats et Baudelaire, Baudelaire et Wagner. Baudelaire poète, mais aussi critique d’art, puisqu’il « manifeste en tout cette nature noble et rare, faite pour les plus hauts entretiens de l’intelligence, et pour les soucis de l’art. » écrira encore André Suarès.
Convoquant Gracq, Bonnefoy, Pierre Jean Jouve et bien d’autres encore, ce sont également quelques-uns de ces multiples portraits ou visages de Baudelaire mais aussi d’André Suarès que Stéphane Barsacq a souhaité livrer dans sa longue et riche préface. Le préfacier revient ainsi sur ces incontournables thèmes que sont celui du double, Doppelgänger, si cher à Dostoïevski, ou encore celui du masque renvoyant à Roger Caillois… mais comment ne pas également songer à Jean Starobinski…
Dans ces jeux de miroirs, chaque grand écrivain, poète ou penseur ne semble avoir échappé à cette fascination baudelairienne, à cette « Folie Baudelaire » ainsi que l’a nommée Roberto Calasso et cet ouvrage regroupant ces écrits d’André Suarès viennent avec une singulière puissance en témoigner.

L.B.K.

A noter, également aux éditions des Instants, d’André Suarès : « Sur Molière suivi de Clowns ».

 

Dexter Palmer : « Mary Toft ou La reine des lapins », Éditions Quai Voltaire, 2022.
 


« Les lecteurs du présent ouvrage auront compris que j’ai traité mon sujet avec la liberté du romancier : certains personnages incarnent des acteurs de l’histoire vraie de Mary Toft et d’autres sont inventés… »
Nous voilà prévenus ! Un fameux mélange de réalité et d’imaginaire dans ce conte réjouissant de Dexter Palmer nous projette dans un contexte historique vrai, en plein 18e siècle, lorsque les cabinets de curiosités médicales étaient un spectacle de foire où de pauvres personnes difformes, naines, siamoises à deux têtes ou souffrant d’autres infirmités régalaient l’imaginaire des populations des villes provinciales comme des capitales. Londres in situ, lorsqu’un phénomène incroyable se produisit dans la petite ville de Godalming et suscita toute l’attention de John Howard, médecin et chirurgien de son état, ainsi que du jeune Zachary Walsh, le fils du pasteur et apprenti médecin aux côtés du docteur Howard. Mary Toft accouche dans d’atroces souffrances d’un lapin morcelé et démembré et pleurant des larmes de sang d’après les dires de Joshua, son époux, venu en catastrophe chercher le secours du bon docteur. À cette époque de croyances et de légendes multiples, les interprétations pouvaient aller bon train surtout lorsque « l’événement » ce reproduisit à intervalles réguliers… « Peut-être allons aujourd’hui être témoins d’un prodige. » se dit John Howard en préparant sa sacoche et embarquant avec lui son apprenti. Là, Mary donna naissance à un premier lapin et le docteur aura beau relire ses livres de médecine rien ne pourrait expliquer cette anomalie de la nature. Le diable serait-il passé par là ? Nul ne saurait le dire. Les prières ou incantations du pasteur n’eurent aucun effet et laissent supposer que Mary si elle n’est pas possédée aurait peut-être un don divin, supposition qui au fur et à mesure des nouvelles naissances de morceaux de lapins dépassera les frontières de Godalming. Cette curiosité arrive aux oreilles du Roi Georges qui demande alors expertises et rapports à différents médecins londoniens dépêchés sur place, et qui finirent sur ordre royal par faire venir à Londres cette curieuse femme pour études et observations médicales approfondies. Si elle était déclarée miraculeuse, qu’au moins cela se passe au plus près du Roi. Ainsi Mary, son mari, John et Zachary partent pour Londres, après que les journalistes du British Journal se soient mêlés du sujet en publiant quelques articles, on pourrait alors dire que c’est ainsi que les ennuis commencèrent pour John Howard mais également pour Mary Toft.
Dexter Palmer nous fait partager à la fois les recherches et explications médicales des plus douteuses aux plus sérieuses ainsi que le pouvoir de l’imagination populaire. Tout le monde veut avoir un avis sur cette étrangeté, des avis qui baignent dans des croyances et des illusions qui font la richesse de ceux qui exploitent la crédulité des plus naïfs. On aimerait tant que ce soit vrai et en même temps, qui, sinon le diable autoriserait cela ? Réalité, supercherie ou miracle ? « L’affaire Toft agissait comme une sorte de turbine, attirant à elle vérités et mensonges et les mélangeant tant et si bien que toutes choses étaient vraies et aucune ne l’était. » Écrit comme une aventure et enquête étayée de la véritable histoire de Mary Toft dont l’auteur nous conseille dans une bibliographie très fournie, la lecture d’articles et de confessions de Mary Toft alors qu’elle était retenue dans les geôles de la prison de Bridewell, ce roman/conte raconte dans ce 18e siècle cette éternelle histoire où les hommes de science, de religion et autres recherchent la reconnaissance, la notoriété, et ce presque à n’importe quel prix. Et rien n’interdit d’y trouver une forte résonance actuelle… « En quoi importe-t-il qu’une assertion ne soit pas prouvée, s’il se trouve assez d’individus pour croire en sa vérité ? » CQFD


Sylvie Génot Molinaro

 

Alain Dulot : « Tous tes amis sont là », Editions La Table ronde, 2022.
 


« Je ne sais rien de gai comme un enterrement ! » Ainsi commence le célèbre poème « L’enterrement » de Paul Verlaine.
« C’est alors que du silence jaillit une voix. Une voix de femme, une voix qui porte, ardente et claire celle-là… Cri déchirant en ce qu’il déchire le dernier silence, et pourtant cri d’exultation : six mots, six pauvres mots surgis du fond d’un cœur et jetés au vent et à l’Histoire :- « Regarde, tous tes amis sont là !... » crie Eugénie Krantz, l’ex-courtisane, la pocharde de la rue Saint-Jacques, mégère de la rue Descartes, harpie épiant sa rivale, la femme détruite par les alcools et les années… ».
Eugénie, dernière compagne de Paul Verlaine, aujourd’hui au cimetière des Batignolles. Oui, tous les amis de Verlaine, le « Prince des poètes », sont là, suivant le cortège mortuaire, ce vendredi 10 janvier 1896, à travers Paris. Deux jours avant, le mercredi 8, Paul Verlaine surnommé « le Villon des temps modernes » meurt chez lui au 39 rue Descartes, Paris où il s’était installé quelques semaines plus tôt avec sa compagne, Eugénie Krantz. Alain Dulot fait parler les hommes qui ont entouré Verlaine de son vivant, qui l’on soutenu, aidé financièrement, affectivement et admiraient son œuvre poétique si nouvelle, si moderne, si dérangeante, si loin de l’académique… Oui, l’académie où comme Baudelaire, il ne sera jamais admis, car les mœurs de ce poète n’ont jamais été du goût des immortels. Qu’à cela ne tienne, l’hommage, le vrai se joue ici, à travers les rues de Paris, où se masse une foule de gens, des curieux comme tous ceux et celles qui savaient qui tu étais, toi à qui Victor Hugo mort dix ans plutôt, écrivait après avoir lu les Poèmes saturniens : « Une des joies de ma solitude, c’est, Monsieur de voir se lever en France, dans ce grand dix-neuvième siècle, une jeune aube de vraie poésie. Toutes les promesses de progrès sont tenues et l’art est plus rayonnant que jamais(…) Certes, vous avez le souffle. Vous avez le vers large et l’esprit inspiré. Salut à vos succès. »
L’auteur lui-même, Alain Dulot, se mêle à cette foule qui défile dans ces rues parisiennes où se sont déroulés tant d’événements de la vie du poète, sa mère, ses études, ses amours, ses souleries, ses amitiés, ses publications, les critiques de certains, ses moments intimes ou publics jusqu’à sa mise en abîmes, ses dérives, la maladie et la mort, celle qui est si banale qui que l’on soit. L’auteur est aux côtés des amis fidèles, comme François Coppée, Edmond, Lepelletier, Catulle Mendès, Robert de Montesquiou, Mallarmé, Frédéric-Auguste Cazals, Albert Cornuty et tant d’autres qui soutiennent Eugénie et Charles, seul Georges, son fils n’est pas là… Les fantômes de Rimbaud et Baudelaire survolent la cérémonie, les discours flottant dans les limbes verts de l’absinthe pour l’éternité.
« Vous êtes prié d’assister au convoi, service et enterrement de M. Paul Verlaine, poète, décédé le 8 janvier 1896, muni des sacrements de l’Église, en son domicile, rue Descartes, 39, à l’âge de 52 ans, qui se feront le vendredi 10 courant, à dix heures très précises, en l’église Saint-Etienne-du-Mont, sa paroisse. De profundis
On se réunira à la maison mortuaire.
De la part de M ; Georges Verlaine, son fils, de M. Charles de Sivry, son beau-frère, de son éditeur, de ses amis et admirateurs.
L’inhumation aura lieu au cimetière des Batignolles. »
Ainsi commence ce roman touchant d’Alain Dulot, ainsi s’achève la vie de Paul Verlaine.


Sylvie Génot Molinaro
 

John Ruskin : « Écrits naturels » ; Illustrations de John Ruskin ; Préface, traduction et notes de Frédérique Campbell ; Livre broché, 12 x 18 cm, 224 pages, Éditions Klincksieck, 2021.
 


Belle initiative des éditions Klincksieck et Frédérique Campbell que de rendre disponible ces courts textes du grand poète et critique d’art anglais John Ruskin (1819-1900). L’auteur, bien connu pour son célèbre « Les Pierres de Venise », cultivait également un jardin secret avec l’observation de la nature. La géologie, la botanique et la zoologie avaient très tôt attiré la curiosité de cet esprit vif à l’analyse pénétrante. Ces « Écrits naturels » regroupent justement quatre textes accompagnés d’un appendice mettant en avant cet attrait fécond pour l’Histoire naturelle. Celui dont le regard aiguisé sur les arts avait attiré l’attention et l’admiration d’un Oscar Wilde et d’un Marcel Proust s’intéressait également aux choses de la nature tels les Arachnés, le rouge-gorge, le crave à bec rouge ou encore les ondes vivantes. Cette étonnante diversité - dans l’esprit victorien tout en demeurant opposé au darwinisme ambiant – force l’admiration non seulement pour le fond, mais surtout la forme, tant le style de ces conférences s’avère ciselé de manière cristalline, ce qu’a admirablement rendu Frédérique Campbell dans sa traduction.

 

Nathaniel HAWTHORNE : “La Lettre écarlate”, Coll. Totem roman, Éditions Gallmeister, 2021.
 


Nathaniel Hawthorne naquit en 1804, il publia « La lettre écarlate » en 1850. Il traversa le 19e siècle, avec tous ses événements politiques et culturels, tout en publiant quelques livres. Celui-ci fut son avant-dernier et le voici réédité aujourd’hui dans une nouvelle traduction par François Happe.
Sur la place du marché de cette petite ville de Nouvelle- Angleterre, une jeune femme Hester Prynne et sa toute jeune petite fille Pearl, font face à la foule, huées, vilipendées, insultées, mises au banc de cette société pieuse et puritaine à souhait dans les apparences sociales. Elle aurait même pu être condamnée à une mort certaine pour son forfait, avoir mis au monde, en prison, une enfant dont elle continue de taire qui fut le père alors qu’elle était liée par le mariage avec un homme bien plus âgé qu’elle et absent depuis son arrivée en Nouvelle-Angleterre. Mais va-t-elle avouer ? Non, alors elle se retrouve affligée d’une lettre brodée sur sa robe, une lettre rouge écarlate « Sur le corsage de sa robe, apparut, en belle étoffe rouge, rehaussée d’une broderie délicatement élaborée et d’extraordinaires arabesques en fil d’or, la lettre A », plus brûlante que si elle avait été marquée au fer sur sa peau blanche et douce, un A comme adultère qu’elle portera visible de toutes et de tous, reconnaissable comme la pécheresse qui rappellera à tous le péché de chair… Fantasme pour les uns et les autres, mais bien enfouis dans les prières et les confessionnaux. Elle partira vivre dans une petite maisonnette en bordure de forêt où elle éduquera se fille ange ou démon, et où elle brodera pour les autres, de ses mains agiles de magnifiques broderies de cérémonies. Elle portera sa lettre bien plus comme un bijou que comme une marque d’infamie gardant longtemps son secret, celui du père de son enfant, jusqu’ au jour où son vieux mari réapparut sous le nom de Roger Chillingworth, médecin de son état. « Je te demande une chose, toi qui fus ma femme, poursuivit le savant. Tu as gardé le secret de ton amant. Garde le mien également ! Personne dans ce pays ne me connaît. Ne souffle à âme qui vive que tu m’as jamais appelé ton mari ! » En jurant, Hester ira-t-elle au-devant de sa perte, la vengeance de ce mari sera-t-elle plus déterminée ?
À travers ce récit qui décrit la société de cette époque, le pouvoir de la religion et les terreurs qu’elle pouvait engendre, l’histoire d’amour impossible à découvrir, les conséquences de l’inconséquence des troubles intérieurs de la nature humaine, les choix d’une vie de femme libre, Nathaniel Hawthorne donne à lire un extraordinaire roman sur fond de vérité mêlant croyances, mythe, réalité et machiavélisme qui porte l’envie de vivre ou de mourir à son firmament. Se pourrait-il qu’il s’agisse juste d’une légende ? Un ouvrage qui fut salué en son temps par Melville, Poe ou encore James.


Sylvie Génot Molinaro

 

Paul Valéry : « Regards sur la mer », Éditions Fata Morgana, 2021.

 


Merveilleux opuscule paru aux éditions Fata Morgana offrant à la lecture l’écrit « Regards sur la mer » de Paul Valéry. Dans une édition soignée et joliment illustrée par Paul Valéry lui-même, le lecteur retrouvera en ces pages toute la délicatesse et la poésie de l’auteur. Ce dernier face à la mer déplie sa pensée suivant vents et marées. Des idées qui naissent de « l’onde et de l’esprit ». La vie des ports, l’horizon, les brises et les vents libèrent une poésie au gré non du regard mais des « Regards sur la mer ». « Comment se détacher de tels regards ? » se demande le poète poursuivant cette « rêverie à demi-savante ». Magie de la pensée lorsque les mots rencontrent la houle, les vagues et l’infini… Un merveilleux texte du poète sétois, publié en collaboration avec le musée Paul Valéry, et dans lequel se déploie son amour de la mer, du sud et de la Méditerranée.

 

« Paul Valéry – L’homme et la coquille et autres textes », Folio Sagesse, Gallimard, 2021.

 


Un Folio Sagesse regroupant trois textes, Paul Valery (1871-1945) y déploie - que ce soit sur les mythes, les rêves ou sur ce fameux coquillage, toute la finesse et la poésie de sa pensée. Dans « Petite lettre sur les mythes », lettre adressée à une amie et extraite de « Variétés II » , l’auteur enchante par son recul et son humour sur cette délicate question « Qu’est-ce qu’un mythe ?» « L’homme et la coquille », texte issu de « Variétés V » entraîne le lecteur dans un délicat émerveillement, celui que n’a eu de cesse d’appréhender et de comprendre Paul Valery, la nature et le fonctionnement de la pensée, notamment lorsque cette dernière s’empare d’un coquillage… « (…) sous le regard humain, ce petit corps calcaire creux et spiral appelle autour de soi quantité de pensées, dont aucune ne s’achève… » souligne Paul Valéry.
 

Louise Labé : "Œuvres complètes" Édition de Mireille Huchon, Bibliothèque de la Pléiade, n° 661, 736 pages, ill., rel. Peau, 104 x 169 mm, Gallimard, 2021.
 


L’identité de la poétesse Louise Labé demeure quelque peu mystérieuse, cette femme ayant vécu au XVIe siècle et se serait fait passer pour un homme, militaire de surcroît, afin de suivre son amant au siège de Perpignan… Mais son œuvre poétique demeure quant à elle plus certaine et fait aujourd’hui l’objet d’une édition soignée par Mireille Huchon dans la collection de La Pléiade. Personnage débordant de vitalité et de passions, Louise Labé a su retranscrire ce goût pour la vie en des poèmes sensuels. Qui n’a jamais entendu ces quelques vers encore osés à nos oreilles « Baise m’encor, rebaise-moy et baise » ? Mais la poésie de Louise Labé ne se résume pas à une truculence impertinente, tant s’en faut. Sa poésie s’inscrit dans le contexte d’un cercle de lettrés de l’École lyonnaise comptant des poètes connus tels Maurice Scève et Pernette du Guillet. Ainsi que le souligne Mireille Huchon en introduction, Louise Labé se fait écho des chants de Sappho, chants de désir ardent. Quelques digressions féministes animent la dédicace alors que ses détracteurs eurent tôt fait de déplorer sa trop grande liberté nuisant à sa réputation. Parallèlement aux pièces poétiques qui établiront définitivement sa notoriété, ses œuvres comprennent également des « Escriz de divers Poëtes » rendant hommage à la poétesse. Le lecteur réalisera ainsi que ce personnage entre histoire et légende fait l’objet de riches éclairages, tel un diadème révélant des facettes différentes. Chaque siècle depuis leur redécouverte au XIXe s. révélera chacune d’entre elles, signe de la complexité du personnage et de son œuvre.
Le recueil de Louise Labé s’inscrit en une période faste de la fin de règne de François Ier, protecteur des arts. Cette richesse se ressent à chaque instant de ces poésies et autres textes dont il importe peu de traquer la plume exacte. Il demeure en effet que cette poésie ne cherche qu’à s’épanouir entre références antiques et humanistes. Incandescence et pénombre alternent dans les Sonnets de Louise Labé ainsi que le révèlent ces quelques vers :


« Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A l’heur passé avec toy regretter :
Et qu’aus sanglots et soupirs resister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre »


Florilège et portraits accompagnent cette poésie et prose d’avant-garde, en éclairent la portée, portée d’un siècle ouvert aux novations, telles celles apportées par la « Belle Cordière » et autres plumes.
 

Gianfranco Calligarich : « Le dernier été en ville » ; Traduit de l’italien par Laura Brignon, NRF, Éditions Gallimard, 2021.
 


« Le dernier été en ville » signé de Gianfranco Calligarich, écrivain et scénariste italien, est un roman offrant une puissance d’attachement rare. Un roman dans lequel on entre dès les premières pages et qui sait à merveille tenir son lecteur jusqu’à la fin. L’auteur y développe un style bien à lui, décontracté à l’image de son narrateur, mais non dénué pour autant de profondeur, et surtout d’humour. Le récit se déroule dans les années 1960, à Rome, dans cette Rome qui se désillusionne et voit les années d’insouciance de la Dolce Vita s’éloigner…
Léo Gazzara, d’origine milanaise, vit tant bien que mal de piges dans quelques journaux romains. Gianfranco Calligarich laisse glisser avec beaucoup de talent son lecteur dans le désarroi et désœuvrement de son narrateur. Des journées de déprime faites plutôt de nuits, de bars romains et d’alcool. Tristesse, mélancolie, angoisses et douleurs hantent ses jours, et entre intellectuels et cercles mondains, Léo tente de surnager et de trouver désespérément un sens à sa vie désordonnée…
« Le dernier été en ville », premier roman de Calligarich, traduit aujourd’hui en langue française par Laura Brignon, fut publié pour la première fois en Italie en 1973. L’auteur nous promene dans les multiples quartiers, rues et célèbres places de Rome, dessinant une ville contrastée, ensommeillée ou brulante, écrasée sous des pluies orageuses ou immobile… Rome, à la fois énigmatique et sous le sceau de la solitude de Léo, mais demeurant le point d’ancrage de la dérive du narrateur et du roman. La Ville Éternelle saura-t-elle pour autant sauver du naufrage Léo Gazzara ? À moins que ce ne soit la belle mais tout aussi énigmatique, imprévisible et évanescente Arianna ?
Mais, l’auteur sait qu’un récit n’est jamais aussi simple, que la marquise sort toujours à cinq heures… Et si la fantasque Arianna bouleverse le morne quotidien de Léo, c’est aussi pour mieux savoir en disparaître. « Elle est belle, très cher, et les gens beaux sont toujours imprévisibles. Ils savent que quoi qu’ils fassent ils seront pardonnés. », lui avait pourtant dit Viola. Faudra-t-il renoncer pour autant à cet amour éperdu ? Y survivra-t-il ?
Un récit où l’amour côtoie le vide existentiel, une lutte sans merci entre désœuvrement et boutades exquises que livre un roman ayant, presque 50 ans après, gardé toute sa plaisante et puissante force d’attraction.

L.B.K.

 

Jean d’Amérique : « Soleil à coudre », Éditions Actes Sud, 2021.
 


Jean d’Amérique est poète. Son récit transpire cette forme de langage jusque dans les facettes les plus sombres des hommes. Les personnages de ce premier roman n’y échappent pas, tant de mots, tant de douleurs, tant de violence… mais toujours à travers un chemin de poésie, entre romance et fable moderne, de celle de la bouche qui dit et de l’oreille qui écoute. « Tu seras seule dans la grande nuit. Ce n’est pas la première fois que j’entends cette phrase. Elle démange mes veines. J’ai toujours cherché, cherche encore, à saisir son sens. Papa me la répète souvent, ça coule dans sa fureur contre moi comme le fil d’un destin tendu à ma gorge. » C’est ce qui berce l’esprit de cette jeune fille, personnage principal, que l’on nomme Tête Fêlée. Fleur d’Orange, sa mère, vend son corps pour subvenir à leurs besoins, boit beaucoup aussi et un jour elle disparaît… Que restera-t-il de cette mère ? Un fantôme ? Un rêve ? Un cauchemar ? Va-t-elle avoir la même vie que sa mère ? L’école va-t-elle la sortir de ce bidonville crasseux ? « Dans ma tête, je refais le cercle de ma vie, imagine tous les trous où je pourrais m’effondrer pour dormir, me défaire du monde pour quelques heures. Cela ne suffit pas… La nuit arrose mes cauchemars jusqu‘au bout du matin.» C’est la violence du bidonville, des gangs, des cracs qui font faire des actes terribles, et d’un chef, Ange de Métal, qui n’en peut plus de se croire supérieur et qui entraîne dans sa chute ceux qui l’admirent autant que ceux qui le craignent. Le père de Tête Fêlée lui aussi en fait parti. Un jour il va commettre quelque chose d’irréparable pour le cœur de Tête Fêlée. Un vol, une agression sur une jeune fille qu’aime profondément Tête Fêlée et qu’elle nomme Lune. « T’aimer est le plus court chemin vers la vie. J’avance. J’ai, chaud en moi, le souvenir de chacun de nos regards, chacun de nos battements communs, reste encore vif en moi, ce moment où l’on s’est frôlées la semaine dernière, quand tu sortais de la classe au bras de ton père. Et ce jour où tu t’es réfugiée sur ma poitrine… J’entends encore sonner les cloches de ton cœur. J’en tremble… »
À quel moment alors tout ce qui fait planer s’écroule pour ne jamais être de nouveau en suspension dans les airs ou échapper à une réalité trop dure… Que tout chavire pour toujours…
Se laisser aller à se perdre soi-même dans ce texte et devenir comme Tête Fêlée, essayer de s’échapper pour survivre, supporter, et puis vivre un jour peut-être, ailleurs… Ivre de colère et d’amour, ivre de plusieurs vies en une et chercher la meilleure pour continuer. « Fuir ce monde mal parti, échapper à ces plaies qui marquent les interstices du rêve, être au moins un cri dans l’abattoir : je ne périrai pas dans ce sanglant contrat des hommes… Tu seras seule dans la grande nuit… »


Sylvie Génot Molinaro

 

« Une femme nommée Shizu » et « Le fleuve sacré » de Shûsaku Endô ; Traduits du japonais par Minh Nguyen-Mordvinoff ; Folio,  Gallimard.

 


 

Voici deux titres qui réjouiront assurément les amateurs avertis de littérature japonaise : « Une femme nommée Shizu » et « Le fleuve sacré » de Shûsaku Endô (1923-1996), l’un des plus grands écrivains japonais du XXe siècle.
« Une femme nommée Shizu » regroupe dix nouvelles, plus ou moins longues, mais toutes révélant à leurs manières les grands thèmes de prédilection de Shûsaku Endô. La honte, le remord et le péché ; la vieillesse et la mort ; la persécution des chrétiens, prêtes occidentaux ou japonais convertis au christianisme de la fin du XVIe siècle jusqu’à l’ère Meiji, un thème qui sera au cœur de ses plus grandes œuvres dont certaines seront portées par de nombreux réalisateurs au cinéma notamment « Silence » adapté par Masahiro Shinoda et Martin Scorsese. (lire notre chronique)
L’écrivain japonais n’a eu de cesse, en effet, de regarder, d’approfondir et ciseler, telles les facettes d’un mystérieux diamant, le sens que l’homme pouvait apporter à la douleur que celle-ci soit physique ou psychique, à la foi, la conversion, le pardon, voire au reniement ou à l’apostasie. Des sujets forts, ancrés dans la chair de l’homme qui interpellent et questionnent le lecteur à chaque nouvelle… Shûsaku Endô n’oublie pas non plus l’amour, mais souvent avec ce même absolu qui l’obsède, tel l’amour de cette femme qui passera sa vie à attendre et à rêver de l’homme qu’elle aime et qui donne avec beaucoup de justesse son nom « Une femme nommée Shizu » à ce beau recueil.
 


Dans « Le fleuve sacré », paru en 1993, Shûsaku Endô change de décors et de paysage pour l’Inde. Là, un groupe de touristes japonais accompagné de leur guide vient découvrir l’Inde et le Gange. De voyage touristique, ce dernier prendra vite les couleurs d’un voyage spirituel où chacun y interrogera son passé et sa vie. La belle Mitsuko se souviendra de cet étudiant, devenu depuis prêtre, qu’elle séduisit, jeune, à l’université et que lâchement elle abandonna ; Kiguchi ne pourra, lui, chasser de ses pensées ce qu’il dut, pour survivre, accepter de faire pendant la guerre de Birmanie… Nous retrouvons en ces pages les grands thèmes majeurs de l’auteur, les dilemmes posés par la vie, le remord et le péché, les religions et croyances, la mort et l’amour, cette profondeur qui ont fait toute la notoriété littéraire de Shûsaku Endô. Dans ce pays où le sacré est partout, où la mort habite les rives du Gange, chacun pourra-t-il retrouver la paix de l’esprit ? Isobe demeurera-t-il fidèle à la promesse consentie à son épouse disparue de la rejoindre dans sa prochaine réincarnation ?... Un grand roman japonais sur les rives du Gange, le fleuve de la réincarnation.

 

L.B.K.

 

Rye Curtis : « Kingdomtide », Éditions Gallmeister, 2021.
 


« J’ai cessé de formuler le moindre jugement sur quiconque, homme ou femme. Les gens sont ce qu’ils sont, et je ne crois pas qu’il y ait grand-chose à dire sur la question. Il y a vingt ans, j’aurai pu avoir une opinion différente, mais à l’époque, j’étais une Cloris Waldrip différente. J’aurai pu continuer à être la même Cloris Waldrip, celle que j’avais été pendant soixante-douze ans, si je n’étais pas tombée du ciel dans cet avion le dimanche 31 août 1986 ? C’est stupéfiant de constater qu’une femme peut approcher la fin de sa vie et découvrir qu’elle se connaît à peine elle-même. »
Que s’est-il passé ce dimanche 31 août 1986 ? Juste le crash de ce petit avion piloté par Terry qui devait emmener le couple Waldrip pour une virée de quelques jours de vacances où ils n’arriveront jamais… C’est Cloris Waldrip elle-même qui raconte son épopée, sa survie dans cet endroit si peu accueillant pendant de longues semaines. Elle se rappelle de tout ou pratiquement, du moment quand elle a appelé à l’aide avec la radio de l’avion sans savoir si quelqu’un l’entendrait, les ressources incroyables qu’elle a trouvées au plus profond d’elle jusqu’à sa sortie de cet enfer paradis où elle y a rencontré un ange gardien ou un fils de Satan… Qui sait ?
Il y a un ranger qui aurait vaguement entendu un appel et qui le fait savoir au ranger Debra Lewis, aimant le merlot plus qu’il n’en faut, mais qui résolue à la secourir car persuadée que cette Cloris a survécu à l’accident, et elle y mettra beaucoup d’énergie et de temps, çà du temps elle en a, mais il y a urgence…
Ce premier roman de Rye Curtis est aussi le récit de plusieurs personnages qui se cherchent, se télescopent, se séparent ou cherchent à survivre à leur vie en parallèle de cette vieille dame perdue dans cette montagne du Montana qui elle aussi cherche à survivre et se découvre si différente de ce que sa vie d’avant lui proposait d’être. Dépasser ses limites, remettre en cause son statut de civilisé, devenir une bête sauvage, choisir ou pas de revenir à la vie avec les cicatrices et blessures qu’auront laissées ces semaines d’errance. « C’est singulier comme l’esprit humain s’accroche. Un individu peut s’habituer à une situation, même si cette situation a pu d’abord lui paraître intolérable. » Roman initiatique, « Kingdomtide » est un récit parfois bizarre souvent drôle, tendre et humain.


Sylvie Génot Molinaro

 

« Les Tortues » de Loys Masson ; Préface d’Éric Dussert ; Coll. L’alambic, Éditions de L’Arbre vengeur, 2021.
 


Avec pour seul titre, comme une mortelle ou fatale carapace, « Les Tortues », c’est un fascinant roman signé Loys Masson, poète et écrivain mauricien disparu en 1969, que nous proposent aujourd’hui les éditions de « L’Arbre vengeur ». Paru en 1956, largement salué par la critique, l’auteur relate par la voix du narrateur l’histoire à la fois incroyable, captivante et monstrueuse vécue « par l’un des derniers aventuriers que connut notre monde ».
Une aventure dont se souvient le narrateur maintenant dans ses vanilliers et qui a commencé lorsqu’il s’est embarqué, encore jeune, à bord de la Rose de Mahé, un voilier faisant contrebande de tout… Et parce qu’il y eut alors, plus tard, les Seychelles, parce qu’il y eut aussi cette foutue et horrible épidémie de variole, parce qu’il fallait bien un alibi au capitaine Eckardt pour mettre la main sur ce fabuleux trésor… Il est aujourd’hui avec Bazire le seul survivant. Bazire avec ses deux longs rictus de chaque côté de sa bouche sans lèvres. Mais, comment reparler avec lui de cet obsessionnel cauchemar, de cette cargaison, de ces atroces tortues géantes, cuirasses aux yeux maléfiques ?
Loys Masson, résistant, chrétien et communiste, rédacteur en chef un temps aux Lettres françaises, adopte pour ce fascinant récit comme pour mieux saisir et piéger son lecteur un style narratif crescendo, tel le rêve prémonitoire que fit le narrateur adolescent. « Et soudain tout ce qui m’entourait, par un détail ou un autre, empruntait une analogie à la tortue – j’étais assiégé, pressé, enveloppé par un monde de tortues, une éternité de tortues ; je hurlais et me réveillais. Mais l’angoisse avait été telle que la fièvre bientôt surgissait. » Lugubres augures que rien dans le récit ne pourra conjurer...
Les références bibliques y sont nombreuses, et les tortues que le narrateur hait plus que tout y sont plus horribles et monstrueuses encore que le serpent. Mais, si nous sommes certes loin de la fameuse et précieuse tortue de Robert de Montesquieu ou de celle plus littéraire de Huysmans, on ne saurait cependant à la lecture de ce roman oublier que Loys Masson était aussi un grand poète, et nombre de passages nous le rappellent. Bien plus, la force obsessionnelle et fascinante du récit impose aussi de reconnaître qu’il fut aussi un grand romancier. Aussi, est-ce fort injustement que Loys Masson soit aujourd’hui quelque peu oublié. Pourtant, il fut en son temps sans réserve comparé à Herman Melville – dont il s’inspira pour ce roman, et à Conrad. Avec « Les Tortues », souligne Éric Dussert dans sa préface, « son importance s’impose avec fulgurance. On constate que sa littérature est libre et puissante comme une mer démontée, et que, comme un orage équatorial, elle balaye les idées préconçues ».
On ne peut donc que saluer cette belle initiative des éditions de l’Arbre vengeur de rééditer « Les Tortues » et de permettre ainsi aux lecteurs non seulement de redécouvrir ce roman des plus captivants, mais aussi son auteur, Loys Masson.


L.B.K.

 

Peter Swanson : « Huit Crimes parfaits », Éditions Gallmeister, 2021.
 


Le crime parfait… C’est bien ce que voudrait concrétiser chaque criminel, que ce soit un fantasme ou une réalité, non ? Peut-on se retrouver soi-même pris au piège de ce désir ? C’est peut-être ce qu’il pourrait arriver au personnage principal du nouveau roman de Peter Swanson dont le titre « Huit crimes parfaits » sonne déjà comme un gros titre de presse de faits divers. Seulement, il y a une enquête ouverte sur une possibilité de crimes en série, qui elle n’a rien d’un article pour journal à ragots… « La porte d’entrée s’ouvrit et j’entendis l’agente du FBI taper ses pieds sur le paillasson. La neige commençait juste à tomber et une rafale d’air lourd s’engouffra à l’intérieur du magasin. La porte se referma derrière l’employée fédérale. Elle devait être à deux pas lorsqu’elle m’avait appelé car cela ne faisait pas plus de cinq minutes que j’avais accepté de la rencontrer. J’étais seul dans la librairie. Je ne sais plus très bien pourquoi j’avais décidé d’ouvrir ce matin. » Je, c’est Malcom Kershaw, propriétaire de la libraire Old Devils, spécialisée dans les livres d’occasion et neufs. Pourquoi l’agent spécial Gwen Mulvey est-elle venue le rencontrer avec autant d’empressement et si tôt ? « J’aimerais que vous m’accordiez un peu de votre temps pour répondre à quelques questions – D’accord – Maintenant, c’est possible ? – Eh bien, oui. » Ce matin, l’agent Mulvey venait lui demander s’il était au courant de ce qui était arrivé à Merle Callahan, présentatrice du journal télévisé local, retrouvée tuée par balle dans sa maison, il y avait déjà un an et demi… Et Jay Bradshaw ? Et Ethan Byrd ? Apparemment ces trois meurtres restés non élucidés seraient liés… « Je m’adresse au spécialiste des romans policiers. Je réfléchis un moment, les yeux levés vers le plafond. – Eh bien, je dirai qu’ils me font penser à un scénario de fiction, à une histoire de tueur en série par exemple ou à un roman d’Agatha Christie. » Voilà que l’enquête est relancée car il y a une forte similitude entre la liste des romans proposée par Malcolm et ce qui s’était déroulé depuis la mort de la première victime. « Vous voulez bien me dire pourquoi vous m’interrogez ? – Elle tira une feuille de son sac en cuir. – Vous souvenez-vous d’une liste que vous aviez composée pour le blog de cette librairie, en 2004 ? Une liste intitulée « Huit crimes parfaits » ? » C’est donc pour cela que Gwen est venue voir Malcolm, comme une sorte d’expert de ces livres qui sont, nul doute, ces huit préférés et qu’il a partagés avec des dizaines ou des centaines de lecteurs du blog de la librairie…
À partir de là, Peter Swanson nous embarque avec lui dans cette enquête qui va remuer autant de fantômes du passé que de questionnements, dont le premier : Serait-il possible qu’un tueur s’inspire de cette liste aujourd’hui ? Si oui, pourquoi ? Dans quel but ? S’agit-il d’un homme, d’une femme ou de plusieurs criminels… Quel peut en être le ou les motifs ? En 342 pages, ce récit écrit avec l’intelligence du suspens surprend et fait monter d’un cran chaque nouveau chapitre. Comme les enquêteurs, le lecteur avance, recule, croit avoir trouvé une solution, voir compris l’intrigue, et hop, retour à la réflexion, car non, ce n’est pas aussi évident… Les nerfs à fleur de peau jusqu’au dénouement de l’enquête, c’est un roman que l’on ne peut quitter…
 

Sylvie Génot Molinaro
 

Isaac Babel : « Mes premières honoraires » ; Coll. L’imaginaire, Editions Gallimard, 2021.
 


« Mes premières honoraires » d’Isaac Babel regroupe dix-sept nouvelles allant de 1915 à 1937, deux ans avant que l’écrivain russe ne soit arrêté, puis fusillé, lors des purges staliniennes. Celui-ci confiait dans son « Autobiographie » : « Je n’ai appris qu’en 1923 à exprimer mes idées de façon claire et pas trop longue. C’est alors que je me suis remis à écrire ». Babel avait auparavant rallié dès 1916 la Révolution bolchevique et était entré dans l’Armée rouge en 1920 alors même que Gorki encourageait sa vocation littéraire. Cet ensemble de nouvelles déploie l’éventail de ces années révolutionnaires en différents tableaux miniatures, avec une précision et une exubérance déjà saluées en son temps notamment par Malraux.
Ainsi, la première nouvelle, qui donne son titre au présent recueil, fut rédigée entre 1922 et 1928. Le narrateur a 20 ans à cette époque à Tiflis, capitale de la Géorgie. C’est une grande solitude qui le conduit à la rencontre d’une prostituée dont il espère l’amour, même tarifé… Palabres dans une gargote où des négociations entre de vieux Persans alternent avec la présence de princes et d’officiers en un tohu-bohu indescriptible que l’écrivain parvient cependant à saisir avec une précision redoutable. Puis, surgit le moment de la rencontre « amoureuse » dans la misère d’une tanière où la prostituée deviendra l’initiatrice inoubliable… ainsi que la première lectrice du jeune écrivain !
Nous sommes loin avec ces nouvelles de « l’homme nouveau » souhaité par Staline et le régime. Des pages pleines de vie et de vies évoquant plus fidèlement l’âme russe héritée des temps archaïques et la condition des petites gens où plane encore l’ombre des tsars. Cette atmosphère ne révolutionne pas les êtres mais les consacre dans ce qu’ils sont, dans les grandes espérances comme dans les détails de la vie quotidienne. La vie qui émerge de ces nouvelles tient du vécu de leur auteur, l’imagination venant au service de la réalité qu’au titre d’ornementation musicale. Une belle porte ouverte à l’œuvre d’Isaac Babel.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Philippe Sollers : « Agent secret », 200 pages, 140 x 205 mm, Éditions Mercure de France, 2021.
 


Quel est donc cet agent secret qui dévoile une partie - une partie seulement - de son identité dans cet ouvrage paru au Mercure de France ? Son nom de plume, Philippe Sollers, état civil Philippe Joyaux, et pour les intimes du panthéon, Ulysse. En ouverture, le « Bouquet de violettes » peint par Manet et dont la symbolique n’échappera à quiconque cultive la discrétion… L’homme se décrit comme « sauvage », non point hirsute sorti de nulle part, mais bien l’amoureux de la beauté, des fleurs, papillons et îles. Ces dernières seront d’ailleurs le refuge de cet agent cultivant le secret comme d’autres les perles. Venise, île de Ré et bien d’autres lieux où l’écrivain et ses proches aiment à se (re)trouver. Très tôt, il découvre la beauté du langage dans les mystérieux et secrets messages délivrés dans la clandestinité à la Résistance par la TSF lors de l’Occupation non seulement de la France, mais également de sa propre maison natale. Très tôt encore surgit cette nécessité vitale de la joie mêlée au sentiment précoce d’être en guerre, « La poésie c’est la guerre » souligne-t-il avant d’aborder le thème récurrent du double dans sa vie. Les influences sont multiples et forgent un acier trempé auprès des déesses grecques - Athéna notamment – des Prophètes de la Bible et des Jésuites desquels le précoce lecteur de Sade se fait renvoyer ! Aucune contradiction en cela, seulement une conjugaison des contraires, parfois un peu turbulente. D’ailleurs Sollers sait ériger la contradiction en art « Pleinement engagé, pleinement à l’écart ». Cet apôtre de la clandestinité livre quelques conseils pour faire métier d’agent secret, ne pas tout dire, ne pas tout écrire et surtout cet avertissement « Des personnages heureux n’ont pas intérêt à se faire remarquer », sicut dixit. Aux côtés des femmes de sa vie, Dominique Rolin, Julia Kristeva, de son fils David, d’autres parents, Homère, la Bible, Dante, Shakespeare, Nietzsche, Rimbaud, Baudelaire, Hölderlin, Hegel, Céline, et tant d’autres encore venant nourrir sa bibliothèque d’agent secret. Alors que le dernier tableau peint par Poussin, « Apollon amoureux de Daphné », sacré aux yeux de Sollers, demeure au Louvre orphelin de ses visiteurs par temps de pandémie, « tout autour c’est la ruine, la dévastation ». Que faire ? L’amour et la poésie soulignée par ce tableau murmurent secrètement un remède à l’amertume mondialisée et à « cet esprit de vengeance généralisé ». Philippe Sollers nous donne en conclusion un rendez-vous, celui de l’essentiel, « Être là, en effet, voilà la question. La seule. Entrez, parlez, écoutez, soyez présent à vous-même, ne lâchez rien. Soyez ».

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Glendon Swarthout : « Homesman », Coll.Totem, Editions Gallmeister, 2021.
 


Au 19e siècle, dans le grand ouest américain, une femme nommée Mary Bee Cuddy et un homme qui dit s’appeler George Briggs vont devoir ramener dans leur famille respective quatre femmes devenues folles après un très rude et impitoyable hiver qu’elles n’ont pu supporter. La folie guette les plus fragiles lorsque les conditions sont réunies et ce fut le cas pour Théoline Belknap, Hedda Petzke, Gro Svendsen et Arabella Sours. Chacune son histoire, chacune son ou ses drames insurmontables qui les ont menées à ne plus faire parti des « normaux » et à vivre en suspend entre deux mondes… Mais Mary Bee, ancienne institutrice, elle aussi a son parcours, tout comme cet homme qu’elle a sauvé de la pendaison, un jour, et qui pourrait bien ne pas s’appeler Briggs… Quittant la ville de Loup dans un fourgon affrété par les maris de ces femmes, il va falloir traverser plusieurs régions jusqu’ à Hebron, petite ville où Altha Carter, la femme du pasteur prendra la relève grâce à la Société Féminine d’entraide de l’Église méthodiste et conduira les quatre « pauvres femmes » chez elles. Mais avant que Briggs ait pu assurer sa mission jusqu’au bout, il était, la corde au coup et assis sur son cheval lorsque Mary Bee le sauva d’une pendaison certaine « Ce devait être le voleur, et les hommes de la nuit passée, quels qu’ils fussent, ne l’avaient pas lynché. Ils avaient conclu qu’il finirait par se pendre lui-même ou que le cheval s’en chargerait. À l’instant où la monture se retirerait de sous lui, l’homme finirait pendu… La nuit dernière ! Il devait être midi, voire plus ! Des heures entières ! Il devrait être mort. Il l’était peut-être. – Hé, vous, dit-elle. Il entrouvrit les yeux, puis les lèvres. – Aidez-moi… - Imaginons que je vous aide, dit-elle. Imaginons que je vous sauve la vie. Que feriez-vous pour moi en échange ? Il ouvrit les yeux. – N’importe. Quoi… - Si je vous libère, vous ferez tout ce que je vous demande. On est bien d’accord ? – Oui… - Très bien, dit-elle. Je vais vous sauver. J’ai un travail pour vous… »
Voilà comment commence cette improbable collaboration entre Mary Bee Cuddy et le dit Briggs prenant en charge les quatre femmes folles à lier, ce n’est rien de le dire, pour tout le voyage à travers les pistes des Territoires jusqu’à destination. Tout ne va pas se passer aussi simplement dans ce western de 280 pages qui vous tiennent en haleine du début à la fin du voyage. Cette histoire a certainement un fond de vérité qu’ont dû vivre les pionniers partis faire fortune dans l’Ouest américain, rêvant de devenir de riches fermiers, quittant leurs contrées d’origine pour la grande aventure… Qui s’en sortira, qui restera sur le carreau, qui s’enrichira, qui mourra… Seul le destin de chacun s’inscrira dans les mots de Glendon Swarthout. Écriture directe, portraits de femmes et d’hommes confrontés aux exigences, aux rudesses de dangers qui sévissent dans ces vastes étendues, de cette aventure tant humaine qu’inhumaine. Tommy Lee Jones ne s’y était pas trompé en portant sur le grand écran ce roman si bouleversant.


Sylvie Génot Molinaro
 

Julien Gracq : « Nœuds de vie », Domaine français, 176 p., Éditions Corti, 2021.
 


Bernhild Boie souligne dans son avant-propos à cet incroyable inédit de Julien Gracq intitulé « Nœuds de vie » aux éditions Corti combien le fonds Julien Gracq déposé à Bibliothèque nationale de France après la mort de l’écrivain survenue en 2007 recèle encore quelques trésors. Parallèlement aux 29 cahiers intitulés « Notules », et pour lesquels il faudra encore patienter jusqu’en 2027 pour leur publication selon la volonté de l’écrivain, les fragments de prose « Nœuds de vie » n’ont pas fait, pour leur part, l’objet des mêmes restrictions.
Avec un réel bonheur, les passionnés de Louis Poirier, plus connu sous son pseudonyme Julien Gracq, pourront retrouver dans ces pages recopiées de ses carnets tout l’univers poétique intimement lié au paysage qu’il ne cessa d’arpenter sa vie durant. « Une écriture qui donne à voir » souligne encore Bernhild Boie, mais aussi à sentir et à penser pour cette prose poétique qui s’immisce et éclaire ces descriptions inoubliables de la ville d’Angers : « La vie, la circulation générale, raréfiées, engourdies, descendaient jusqu’à un étiage jamais atteint – au-dessus de cet étiage, des pans de nature brute, ensevelis, recouverts jusque-là par le mouvement et le vacarme, émergeaient plus nus que ces platures qui ne se découvrent qu’aux marées du siècle ; des silences opaques, stupéfiés, des nuits d’encre, des ruisseaux redevenus jaseurs, des routes désaffectées qui semblaient se recoucher dans un bâillement, et rêver d’aller plus nulle part »… La matière la plus organique s’anime sous la plume de l’écrivain en autant de rayonnements solaires ou lunaires selon les pages. Cette intrication du vivant et de l’inerte peut, en effet, adopter des tonalités sombres et inattendues notamment lorsque l’écrivain découvre Beaucaire dans le Gard lors d’un voyage vers Toulon, et durant lequel la Provence se voile de cieux proches des corons et des soutes. Cette lucidité parfois incisive portée sur les paysages peut également se déporter sur les êtres eux-mêmes –critiques littéraires entre autres – qui lorsqu’un écrivain « ne se situe pas » sera irrévocablement relégué aux oubliettes…
Julien Gracq peut ainsi faire preuve d’acrimonie envers ses contemporains et constater qu’« en littérature, je n’ai plus de confrères ». Celui qui ne reconnaissait ni l’ordinateur ni la machine à écrire et boudait le livre de poche confesse prendre rang parmi les survivances folkloriques « auprès du pain Poilâne, et des jambons fumés chez l’habitant ».
Mais il ne faut point voir dans ces traits acides la seule humeur désabusée d’un écrivain au terme de sa vie, mais bien plutôt la conviction que l’univers littéraire – comme bien d’autres domaines d’ailleurs – se trouve « en voie d’éclatement », sans plus, ni moins… Car, au-delà surtout, rayonne toute la beauté de la langue de Julien Gracq, cette précision d’orfèvre dont l’écrivain fit preuve toute sa vie, l’évasion dans une prose d’une fluidité cristalline et musicale.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Stéphane Lambert : « Être moi toujours plus », édition Arléa, 2020.

 


Stéphane Lambert nous ravit une fois de plus avec ce nouvel opuscule « Être moi toujours plus fort » paru aux éditions Arléa. En ces pages, l’auteur s’est attaché à la personnalité singulière du peintre flamand Léon Spilliaert (1881-1946). Proche du symbolisme belge, influencé par Eduard Munch et Fernand Khnopff, ses œuvres aux couleurs sombres sont empreintes d’une mélancolie indéfinissable. De cette sommaire approche, les inconditionnels de Stéphane Lambert reconnaîtront, là, assurément ses choix ou sujets de prédilection… Il est vrai que de par son extrême sensibilité, l’auteur sait mieux que quiconque ressentir cet étrange état d’âme aux si multiples facettes. On se souvient notamment de son remarquable ouvrage consacré au peintre Nicolas de Staël ou encore de celui sur Samuel Beckett.
Le peintre Léon Spilliaert a toujours pensé qu’il devait, pour sa part, sa mélancolie à la géographie même de sa ville natale, Ostende.

« Au bout du monde, face à la mer – dans cette frontière poreuse entre le solide et le trouble », écrira-t-il. Obscurité, nuit, vertige et la mer qui engloutit… Un sentiment qu’il ne le quittera quasiment pas et que Stéphane Lambert, avec beaucoup de finesse, fait, ici, plus que sienne.
C’est, en effet, par un audacieux mais très réussi exercice, que l’auteur capte non seulement la singularité du peintre, mais allant au-delà se fond dans son esprit, sa mélancolie, pour mieux les confronter à ses propres pensées. Pour cela, Stéphane Lambert est parti sur les traces de l’artiste, des lieux, Bruxelles, Ostende, et la mer si chère au peintre… L’Univers de Léon Spilliaert, tel un fluide, passe ainsi avec subtilité dans les veines et battements de l’écriture de l’auteur. Stéphane Lambert entre alors dans cette fascinante et mystérieuse puissance des œuvres du peintre, des toiles omniprésentes à chaque page de cet ouvrage, telle celle de la célèbre toile « Vertige ».
Ce sont alors deux univers, reliés par le fils de cette mystérieuse mélancolie, qui se rejoignent par la force de l’art et de l’écriture. « La vie ne se fixe pas rétroactivement, sa mémoire continue de vibrer à travers nos vibrations. », écrit l’auteur.
« Être toujours plus fort » de Stéphane Lambert, la promesse assurément d’une subtile et délicate lecture.

L.B.K.

 

Camilla Grudova : « La Reine des souris », Coll. La Nonpareille, Éditions La Table Ronde, 2020.
 


« La Reine des souris » est une nouvelle de 49 pages, délicieusement menée de l'écriture agile de Camilla Grudova. Une fable singulière et fantastique, écrite à la première personne du singulier. Ce « Je », est celui d’une jeune femme vivant avec Peter, rencontré au cours de latin à l'université, dans appartement plein de bibelots et autres objets dignes d'un cabinet de curiosités « qui avait toujours des airs de Noël ». Tous deux semblent parfois vivre dans un autre monde entre livres de philosophie, de mythologie, de latin, et pouvant passer allègrement de la réalité à de drôles de visions et autres événements curieux, comme lorsque Peter rentra un matin du cimetière où il travaillait avec le cadavre d'une naine qu'il cacha derrière le comptoir de l'épicerie abandonnée au-dessus de laquelle se trouve leur logement...
« Je » tombe enceinte et attend des jumeaux ; « Quand nous apprîmes que c'était des jumeaux, Peter dit que l'échographie ressemblait à une frise antique endommagée... Aucun d'entre nous n'avait de jumeaux dans sa famille. C'était le latin qui faisait çà, décréta Peter, des cygnes ou des dieux barbus me rendaient-ils visite dans mes rêves ? Il se comporta comme si je l'avais trahi de manière mythologique.»
Peter quitte alors cette vie conjugale faisant bouillir leur certificat de mariage et s'envole. Il faut donc se débrouiller seule, mettre au monde les enfants, Énée et Arthur, et les élever avec l'aide de leur grand-mère maternelle. « Je me languissais du sombre et cruel Peter ». Jusqu'à quel point « Je » reste obsédée par l'absence du père des jumeaux ? « Je pensais à Peter tout le temps. J'emmenai les jumeaux en promenade au cimetière où il avait travaillé... Je tâchai de me rappeler toutes les fois où Peter s'était comporté atrocement... »
Se souvenant d’un soir de fête costumée ou d’un jour où elle fut humiliée par Peter, elle décida de se déguiser en souris, en « Reine des souris ». « Les jumeaux ressemblaient de plus en plus à Peter, ce qui me faisait hurler et m'arracher les cheveux... » ; Un jour, elle fit un photomaton d'elle et de ses enfants pour l'envoyer - mais comment ? - à Peter qui lui avait écrit sans lui laisser d'adresse, demandant des nouvelles des garçons. Mais, sur la photo, à sa place une louve aux grands crocs, velue, féroce, ce qui fit pleurer les jumeaux. Quelle étrange transformation se produisait là ? Que signifiait cette métamorphose ? Réelle ou symbolique ? Vraie ou rêvée ? Dans quel niveau d'inconscient Camilla Grudova veut-elle nous emporter... Seule la lecture jusqu'à la dernière phrase pourra nous éclairer.


Sylvie Génot Molinaro

 

« Les Lettres grecques - Anthologie de la littérature grecque d'Homère à Justinien » ; Sous la direction de Luigi-Alberto Sanchi avec la contribution d’Emmanuèle Blanc, Odile Mortier-Waldschmidt ; Préface de Monique Trédé-Boulmer ; Editions Les Belles Lettres, 2020.
 


Les Grecs ont très tôt cherché à exprimer leurs idéaux en termes universels et accessibles au plus grand nombre, ainsi que le soulignait l’académicienne et helléniste Jacqueline de Romilly dans son interview accordée à notre revue (lire ici). La culture grecque va dès lors, de génération en génération, transmettre ces valeurs, notamment à partir du Ve s. à Athènes, avec la naissance de la philosophie, la tragédie, l’histoire, la comédie… Mais cette curiosité trouve bien avant cette date ses sources premières dans la poésie homérique, celle qui ouvre justement cette monumentale Anthologie de la littérature grecque parue aux éditions Les Belles Lettres.
Ce sont les textes fondateurs de l’Iliade et l’Odyssée qu’ont légitimement retenus en ouverture les auteurs de ce remarquable travail collectif réunissant pas moins de treize siècles de littérature grecque en 1632 pages… Ainsi que le souligne l’introduction, il s’agit là de l’aurore de l’histoire grecque, des textes en lesquels l’esprit grec trouve toute sa genèse. Les plans et de nombreux extraits de ces deux œuvres fondatrices permettent de mieux comprendre leur importance, notamment à l’aide des notes éclairant ces sources incontournables.
Cette anthologie a fait le pari, certes risqué, de ne pas proposer de traductions, l’objectif étant d’encourager l’accès aux sources mêmes de cette langue ancienne et la foi des auteurs en l’avenir du grec. Aussi, ce fort volume fait-il défiler page après page non seulement les sources les plus connues, mais aussi certaines plus confidentielles, égrenant ainsi les textes d’Hérodote et les guerres médiques, d’Eschyle et de la tragédie, Thucydide et cet âge classique du Ve siècle, avant d’aborder les grands orateurs politiques, Socrate, Platon, Aristote… Ces grands noms ne seront cependant pas les derniers de cette riche anthologie qui se poursuit avec l’époque hellénistique, puis la domination romaine. Ce seront alors à des auteurs comme Plutarque, Lucien de Samosate, Strabon, qu’il incombera de perpétuer cette longue tradition des Lettres grecques jusqu’au VIe s. de notre ère avec l’historien Procope de Césarée qui accompagnera, pour sa part, le destin de l’empereur Justinien en des récits à la fois panégyriques et curieusement satyriques avec sa fameuse Histoire secrète…
C’est une lecture passionnante qui attend le lecteur curieux de découvrir cette anthologie, la lecture de ces textes, pour un grand nombre d’entre eux passés à la postérité, permettant de renouer avec cette belle et longue tradition des humanités classiques tant mises à mal depuis un demi-siècle.

 

« Max Jacob – Lettres à un jeune homme – 1941-1944. » ; Préface de Jean-Jacques Mezure ; Édition établie par Patricia Sustrac, Coll. Omnia Poche, Editions Bartillat, 2019.
 


C’est un précieux et touchant opuscule livrant au public des lettres inédites de Max Jacob que rééditent aujourd’hui les éditions Bartillat dans leur collection Omnia Poche. Une correspondance, que le poète, écrivain et peintre, échangea avec à un jeune homme de 1941 à 1944. « Lettres destinées en leur temps à un seul, gardées secrètes comme un trésor (…) ; elles sont devenues aujourd’hui lettres de toujours, ouvertes à tous » souligne Patricia Sustrac en introduction à cette édition établie par ses soins.
Écrites durant les quatre dernières années de sa vie – l’échange épistolaire ayant malheureusement été interrompu par l’arrestation et la tragique mort du poète survenue à Drancy le 5 mars 1944 – le lecteur retrouvera dans ces lettres toutes les facettes du poète ; Des facettes, ô combien multiples…
En 1941, lorsque débute cette correspondance, Max Jacob est revenu, après un bref séjour à Paris, à Saint-Benoît-sur-Loire. À cette époque, le poète a décidé de ne plus écrire, du moins a renoncé à publier, il écrit encore quelques poèmes, peint à la gouache, et surtout rédige une abondante correspondance !
Grand épistolier, on lui connaît ce soin et attention extrêmes qu’il manifestera sa vie durant à répondre à tous ceux qui lui écrivaient. De nombreuses échanges ont déjà été publiés, mais ceux livrés, ici, adressés par le poète à Jean-Jacques Mezure (1921-2016) étaient demeurés privés jusqu’à cette édition. Commencée au printemps 1941– le poète à 65 ans et le jeune homme 19 ans, c’est une correspondance intense qui lia alors les deux hommes. Malheureusement une grande partie de cet abondant échange épistolier fut détruit lors d’un bombardement ; Les cinquante et une lettres de Max Jacob qui purent être par chance sauvegardées accompagnèrent toute sa vie Jean-Jacques Mezure. Ce dernier les déposera à la médiathèque d’Orléans, sauf une qu’il gardera précieusement avec lui jusqu’à cette publication. C’est Jean-Jacques Mezure lui-même qui a préfacé avec pudeur et émotion l’ouvrage ; « Il est toujours là près de moi, vivant, présent, à la fois pédagogue et malicieux, sensible et mystique, ami et conseiller. Plus je le pénètre, plus je le découvre et plus il me paraît immense, multiple », écrira-t-il.
Ainsi qu’il aimait à le faire, Max Jacob n’hésita pas, en effet, à prodiguer avec une extrême bienveillance à son jeune ami poète nombres de conseils, d’avertissements et lectures. Poésie, littérature, art, vie et spiritualité s’y mélangent au gré des réponses et de l’humeur du poète. Éloigné maintenant de toute mondanité, Max Jacob se révèle tendre, affectueux, malicieux même, tout en se voulant de la plus honnête sincérité envers son correspondant. Merveilleux, direct aussi, souvent prescriptif, il oscille entre une tendre retenue et des élans généreux ou mythiques. Le poète revient à la demande de son ami sur son passé, sa vie, ses rencontres - Pablo Picasso, bien sûr, sur ses ouvrages aussi avec distance, s’éclipsant pour mieux réapparaître, déclinant, mais non oublieux… C’est toute la complexité du poète qui se trouve ainsi comme condensée en ces pages.
Généreux, pressant ses interlocuteurs à venir lui rendre visite dans sa retraite – Jean-Jacques Mezure ne rencontrera malheureusement jamais Max Jacob – le poète se plaint cependant de manquer de temps et des trop nombreux visiteurs qui s’imposent… Mais, cela presse ! Venez au plus vite, on s’arrangera bien en ces temps difficiles ! C’est tout Max.
Une correspondance placée surtout sous le regard et la présence de Dieu pour le poète converti au catholicisme. Si les méditations qui ont pu être adressées en leur temps à Jean-Jacques Mezure avec ces lettres n’ont malheureusement pas été jointes à cette publication, c’est une vie intérieure spirituelle des plus intenses qui habite néanmoins ces dernières même lorsqu’elles se font par manque de temps plus brèves. Max Jacob revient sur l’importance et le sens existentiel des méditations se référant à saint François de Sales, prodiguant à son jeune ami, parfois avec humour mais aussi avec une exigeante impétuosité, conseils et lectures. Ainsi, lui conseille-t-il tour à tour : « …tâche d’avoir une vie des saints » ; Puis, « Cependant, il faut te méfier des vies des saints » ; Et d’ajouter enfin : « Donc, vie des saints, soit ! Mais appel au sang-froid ! En quoi puis-je me comparer à tel ou tel ? Qu’ai-je fait ? Les vies des saints sont faites non pour nous enivrer mais pour nous rappeler à l’humilité. »
Ce n’est pas pour rien que ses amis parisiens l’avaient surnommé « saint Max » !

 

L.B.K.

Sylvain Tesson : « Avec les fées » Collection Littérature, Éditions Des Équateurs , 2024.
 


Si Sylvain Tesson confesse ne plus croire aux fées, il leur consacre cependant ce dernier essai, sous forme de balade celtique poétique. Paradoxe ? Esprit de contradiction ? Point du tout, maisune quête inassouvie de ce Graal éternel, celui de la beauté et de ces nuances qui irisent notre quotidien, quotidien que nous ne savons plus voir, ainsi que le confiait le poète Maeterlinck cité en exergue : « C’est bien curieux les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point. » Armé de sources classiques, celtiques et poétiques, d’un navire et de fidèles compagnons, notre Ulysse des temps modernes part à la recherche des fées, depuis la Galice espagnole jusqu’au sommet de l’Écosse en un arc bandé vers ce qui n’a pas encore totalement été dévasté par la modernité. Avec cette « qualité du réel révélée par une disposition du regard », l’auteur embarque pour une odyssée qui tient à la fois de l’introspection et de l’altérité, en un va-et-vient semblable à celle du reflux marin.
C’est en cabotant de criques en falaises, à la manière des anciens Celtes, que Sylvain Tesson part à la rencontre du surgissement du merveilleux, ces fées témoins d’un monde encore préservé de la dévastation. Dans ces pérégrinations qui tiennent à la fois de la confession poétique et de la quête éternelle de liberté, l’homme retrouve la beauté et l’adversité, le saisissement de forces qui le dépassent et simultanément cette osmose avec les éléments, seul moyen d’échapper au naufrage. Alors que très souvent les côtes dévastées par la « modernité » rendent impossible toute évasion de ce genre, c’est sur le fil séparant falaises et flots qu’évolue Sylvain Tesson en équilibriste du merveilleux…
Cet ouvrage nous emporte avec lui entre embruns marins, quelques rares rencontres humaines et surtout cette symphonie de varech, basalte, granit et iode qui ne cesse d’amplifier les accords au fil des pages.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Honoré de Balzac : « Honorine » dans une édition établie par Jacques Noiray, Coll. « Folio Classique », Éditions Folio, 2023.
 


« Honorine » est une captivante et longue nouvelle écrite par Balzac en 1842 et qui sera publiée dans « La Condition humaine » en 1845. Retenant, une nouvelle fois comme dans « La Femme abandonnée », la technique d’un récit dans le récit, Balzac tient son lecteur en haleine… avec l’histoire de l’étrange personnalité du Comte Octavio donnée à entendre lors d’une belle soirée genevoise, à ses hôtes, par son ancien secrétaire, devenu Consul de France. Il est vrai que le Comte Octavio suscite la curiosité, lui si calme, muré dans sa droiture et rigueur légendaire telle une ramure inviolable. Mais le lecteur apprendra grâce au récit de son ancien secrétaire, Maurice de Hostal, qu’il a été abandonné par sa belle et jeune épouse, partie pour un fugace amant qui l’a délaissée très vite à son tour… Histoire presque banale, me diriez-vous, si ce n’est que le Comte, inconsolable, prêt à tout pardonner pour qu’Honorine revienne, s’ingénie à la suivre et à lui faciliter la vie en arrangeant et payant sous couvert de prête-noms sa « liberté ». Jusqu’où sera-t-il prêt à aller pour qu’elle revienne ? … ira-t-il jusqu’à envoyer auprès d’elle son secrétaire, Maurice de Hostal, pour la convaincre de revenir ? Et quelle sera l’issue de ce récit que nous a donné à entendre le consul durant cette douce soirée genevoise ?
« Honorine » demeure un récit romanesque réjouissant de par la description de la personnalité des différents protagonistes : Le Comte Octavio, sombre et haut magistrat, intrigue et retient l’attention de son secrétaire par la préciosité de sa droiture et son inconsolable obstination ; la Comtesse fascine, quant à elle, par sa jeunesse, sa sensibilité et beauté, mais aussi par son orgueilleux effacement, se croyant libre, et jusqu’à la fin, cet infaillible honneur ; enfin, Maurice de Hostal, ce secrétaire, devenu consul, notre narrateur, et dont on ne pouvait prévoir un tel dévouement et fidélité.
Balzac joue avec son lecteur, brouillant les sentiments et multipliant les angles. On y retrouve, certes, la hauteur d’âme, l’honneur, mais aussi la passion, la possession, la rigidité des sentiments et des jugements… Et si, comme toujours, Balzac éblouit par la finesse et la profondeur de sa plume, « Honorine », ainsi que le souligne d’emblée Jacques Noray dans sa préface, demeure « sans doute un des textes les plus riches, les plus ambigus, les plus étranges, les plus inquiétants aussi de « La Comédie humaine » (…) ». Balzac se vantera d’avoir composé cette longue nouvelle en seulement trois jours.
 

L.B.K.

 

Pierre Bouretz : "Sur Dante", Coll. « NRF Essais », Editions Gallimard, 2023.
 


C’est à une lecture de Dante – qui n’aurait pas déplu au célèbre compositeur Frantz Liszt ! - à laquelle nous convie le philosophe Pierre Bouretz en un essai aussi passionnant qu’exigeant paru aux éditions Gallimard. L’auteur nous rappelle que si le grand poète florentin s’inscrit dans le Moyen Âge (XII°-XIII° siècles), son oeuvre et sa pensée se projettent, quant à elles, bien au-delà préfigurant en cela déjà les Temps modernes.
La Comédie n’est pas seulement, en effet, qu’un chef-d’œuvre poétique, ce que l’on retient habituellement, mais bien le fruit de la pensée d’action de son auteur prônant, à l’opposé des théologiens de son temps, « une humanitas universalis » définie par l’unité d’un intellect qui le rapproche de l’héritage aristotélicien, ainsi que le souligne Pierre Bouretz. La Comédie peut être ainsi comprise comme un voyage dans l’au-delà où serait éclairé tout ce que ses contemporains souhaitaient découvrir à partir de cette expérience dans le pays des morts : « Auteur impliqué dans son récit, il promettrait enfin de tout raconter de la façon la plus exacte, établissant un régime de vérité sans exemple dans le registre de la fiction poétique », relève encore Pierre Bouretz.
Avec cette grande œuvre, il n’est plus question de fiction ni de mythe, mais de déployer l’éventail des passions : amour, politique, philosophie… Cette « expérience » proposée par le grand poète italien se veut la plus étendue possible, et pour cela Dante retient la langue vernaculaire et non point le latin usuel à son époque parmi les élites. Grâce à des procédés comme l’emploi de terza rima conférant une musicalité au texte propice à sa meilleure réception, Dante élargit ainsi encore le cercle de ses lecteurs. Mais c’est surtout quant à la manière employée pour dévoiler ces vérités de l’au-delà que réside l’originalité de l’œuvre en ayant recours à un poète païen en la personne de Virgile, ce qui n’était guère attendu en son siècle chrétien…
L’essai de Pierre Bouretz montre combien Dante par la forme poétique et la fiction cherche en fait à transposer les thèses défendues dans ses écrits politiques et philosophiques (« Banquet », « Monarchia »). Cette pensée résolument hostile aux abus du pouvoir de l’Église et opposée à cette ingérence du pape Boniface VIII sur les communes toscanes ne pouvait que susciter une réaction violente puisque Dante sera condamné à l’exil et ses biens confisqués. Aussi le legs de Dante doit-il tout aussi bien s’entendre sur le plan poétique avec la Comédie le classant parmi les plus grandes œuvres du Moyen Âge, mais également sur le plan philosophique et politique justifiant selon Pierre Bouretz que le poète soit ainsi placé « au début d’une histoire des Lumières » pour sa clairvoyance. Un ouvrage qui invite donc son lecteur à une lecture instructive et vivifiante de Dante.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Julien Gracq : « La Maison », postface de Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes, Coll. Domaine français, 84 p. Editions Corti, 2023.

 

 

Un inédit de Julien Gracq demeure toujours un évènement, surtout lorsqu’il s’agit d’un manuscrit travaillé selon la légendaire rigueur de son auteur, en témoignent les deux versions successives en fac-similé qui accompagnent cette publication aux éditions Corti. Celui qui avait refusé le prix Goncourt qu’on souhaitait lui décerner en 1951 pour « le Rivage des Syrtes » a probablement rédigé ce court récit dans les années d’après-guerre, mais celui-ci semble n’avoir trouvé place dans les publications envisagées alors par Gracq, ainsi que le relèvent dans leur postface à l’ouvrage Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes.
Les éditions Corti ont historiquement accompagné l'auteur qui avait refusé que ses livres paraissent en format poche, aussi n’est-il pas surprenant que ces dernières publient aujourd’hui ce court récit d’une trentaine de pages enfoui jusqu’à présent dans les archives de l’écrivain. Un texte court, mais qui concentre de manière serrée et diablement efficace cet art de la contemplation unique dans lequel excellait l’auteur de « Au château d’Argol » paru en 1938. En un récit passant progressivement d’un certain réalisme à un univers presque onirique, Gracq transporte son lecteur en un cheminement étrange fait d’attractions et de répulsions entremêlées. À l’image de cette végétation retournée à l’état sauvage, le contraste saisissant de cette maison que le narrateur pensait abandonnée surprend tout autant qu’il intrigue. En une conjugaison d’images associant attirance, effroi, curiosité, sensualité et émoi, « La Maison » déploie un éventail de sensations dont le lecteur ne ressortira pas indemne, à l’instar du narrateur…

 

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

Geneviève Haroche-Bouzinac : « Madame de Sévigné », Coll. « Grandes Biographies », Editions Flammarion, 2023.
 


C’est une biographie fort plaisante et des plus informées consacrée à Madame de Sévigné que signe Geneviève Haroche-Bouzinac aux éditions Flammarion. L’auteur n’en est pas à son premier coup de maître, et a déjà publié de nombreuses biographies notamment « La vie mouvementée d’Henriette Campan » ou encore « Louise de Vilmorin, une vie de bohème », Grand Prix, entre autre, de la biographie littéraire de l’Académie française en 2020. Professeur émérite de l’Université d’Orléans, Geneviève Haroche-Bouzinac est directrice de la revue Epistolaire, c’est donc à une plume aisée et avertie que s’est vue confiée Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné.
Et il faut le reconnaître, l’histoire de France, de la Cour et des campagnes de ce XVIIe siècle prend dans ces jeux d’écriture et de miroirs des siècles un relief tout particulier plein de saveurs. Il est vrai que si la marquise de Sévigné eut, par choix après un veuvage précoce, une existence rangée avant tout tournée vers ses enfants et plus particulièrement sa fille, Françoise, sa vie n’en fut pas pour autant terne ! Cette grande épistolière qui sut si bien alterner vie de Cour et vie de château à la campagne, exerça déjà en son temps par son charme et son style une fascination constante, multipliant les prétendants et non des moindres, admirée par les peintres et plus encore célébrée par les poètes, amie de madame de Lafayette, de la grande Mademoiselle, etc. Comment une telle fascination pouvait-elle ne pas perdurer jusqu’à nos jours enchantant par ses lettres des générations !
En compagnie de celle qui naquit le 5 février 1626 à Paris et qui s’étreindra un 17 avril 1696 au château de Grignan, le lecteur traverse ainsi véritablement le Grand Siècle, guerres et révoltes, mais aussi dîners, théâtres, opéras et vie littéraire ou encore entend vanter les vertus du chocolat ou de l’eau de Vichy…
Ce sera surtout lors du mariage et de l’éloignement de sa fille que le rôle d’épistolière à la fois intime et publiquement célébré prendra dans la vie de la marquise de Sévigné toute son importance. Et si ses lettres se voulaient des divertissements, cette biographie en garde le caractère avec ses précieuses précisions, ses digressions parfois cocasses, ses « menus faits et anecdotes » pour reprendre un de ses sous-titres. Bref, c’est un régal, un voyage dans le faste du Grand Siècle et cette France du XVIIe siècle ; Mais, comment pouvait-il en être autrement en si bonne compagnie !
 

L.B.K.

 

« La Vie de Léon Tolstoï ; Une expérience de lecture » d’Andreï Zorine, traduit du russe par Jean-Baptiste Godon, 250 p., Editions des Syrtes, 2023.
 


A noter cette biographie inspirée consacrée à « La vie de Léon Tolstoï » et signée d’Andreï Zorine aux éditions des Syrtes, première biographie depuis la fin de l’Union soviétique à être traduite en langue française – ici, par Jean-Baptiste Godon. Un ouvrage allant à l’essentiel sans pour autant omettre les parts sombres de cette vie faite de convictions et de passions que fut celle de Lev Nikolaïevitch Tolstoï (1828-1910). L’auteur, spécialiste de l’histoire de la culture russe, a fait choix à juste titre de ne pas distinguer le « Tolstoï écrivain » du « Tolstoï homme » ou du « Tolstoï spirituel ».
Personnalité complexe, changeante, mais aussi sensible qu’engagée et passionnée, Tolstoï mérite en effet d’être découvert tant en sa qualité de grand écrivain russe que l’on connaît qu’en sa qualité d’homme, de philosophe et d’homme spirituellement engagé qu’il était aussi ; lui, qui perçut « l’absurdité de l’existence », Tolstoï ne pouvait se résigner à une vie rectiligne sans doutes ni questionnements ou remises en cause.
L’auteur, conscient des difficultés biographiques que revêt cette vie tumultueuse faite d’élans, de tournants, d’introspection et de dépressions, a su éviter bien des écueils en multipliant et croisant ses sources, pour nombres d’entre elles peu connues, voire inédites. C’est donc toutes les facettes, et par là même, toute la richesse de l’un des plus grands écrivains russes, personnalité entière, que le lecteur découvrira en ces pages : un enfant sensible, mais anxieux, un jeune homme aristocrate ambitieux et versatile, un époux et père aimant mais difficile, un homme plus qu’engagé aux gouffres profonds, écrivain novateur et génial, auteur d’une œuvre protéiforme – « La Guerre et la paix » ; « Anna Karénine » ; nouvelles, contes, etc., pédagogue plus que de raison, philosophe et prophète controversé. Un Tolstoï qui tenta tant de fois de s’enfuir et qui s’est « enfui », pour de bon, un jour de novembre 1910...
C’est cette incroyable, bouillonnante et passionnante vie, « cette pensée continuellement en mouvement » que nous donne à lire dans un style clair et concis Andreï Zorine, un défi plus que réussi !

L.B.K.

 

Blaise Cendrars : « Trop c’est trop » ; Edition présentée et annotée par Claude Leroy, Folio, Editions Gallimard, 2022.
 


Les amateurs de Blaise Cendrars apprécieront assurément cette parution en FOLIO de ces nouvelles réunies sous le titre « Trop c’est trop » présentées et annotées par Claude Leroy. Pas moins de dix-sept histoires, plus vraies que natures, articles de presse, contes, nouvelles et portraits, un recueil publié au début de 1957 et que l’auteur lui-même qualifiait de « presse-papier ». On y retrouve ce voyageur infatigable et ce non moins intarissable conteur que fut Blaise Cendrars. « Au début de 1957, toute la presse s’accorde (…) pour saluer le retour du Cendrars de l’Homme foudroyé ou de Bourlinguer, tel qu’on l’attendait, fidèle à sa réputation d’aventurier, d’arpenteur du monde entier et de chercheur d’or. » écrit Claude Leroy dans sa présentation au recueil.
Et c’est si vrai ! Le lecteur, en effet, s’il est curieux, se laissera volontiers entraîner dans ces contrées de littérature, ces théâtres notamment emplis de couleurs que sont les paysages du Brésil ou encore ces Noëls des quatre coins du monde… Aussi curieux qu’attentif à son époque, de Brasilia, de Rio à Paris, Blaise Cendrars joue et se joue, enjambant frontières et espaces, tel un magicien n’ayant qu’une préoccupation celle de captiver, de transporter et de faire voyager en sa compagnie son lecteur. « Le voici de retour, tel que l’a façonné une légende de poète-voyageur…» écrit encore en sa présentation Claude Leroy.
 

L.B.K.

 

Yves Bonnefoy : « Œuvres poétiques », Édition d'Odile Bombarde, Patrick Labarthe, Daniel Lançon, Patrick Née et Jérôme Thélot, Bibliothèque de la Pléiade, n° 667, 1808 p., Editions Gallimard, 2023.
 


Yves Bonnefoy qui nous a quittés en 2016 (lire l’interview accordée à notre revue) compte parmi les poètes majeurs des XXe et XXIe siècles. Poète incontournable mais aussi traducteur apprécié, sans oublier sa plume d’essayiste aussi exigeante qu’inspirée, Yves Bonnefoy trouve sa pleine consécration avec la parution de ses Œuvres poétiques dans la collection de La Pléiade aux éditions Gallimard à laquelle il attachait une grande importance ; une édition établie par Odile Bombarde, Patrick Labarthe, Daniel Lançon, Patrick Née et Jérôme Théolot et à laquelle le poète collabora lui-même au seuil de sa vie.
Daniel Lançon et Patrick Née rappellent en avant-propos cette polarité entre deux lieux qui conduisit Yves Bonnefoy à cet attrait pour l’ailleurs, « j’ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude à des carrefours » confiait-il dans l’incipit de L’Arrière-pays. « Cette idée d’une réalité supérieure, je la crois inhérente à tout commencement poétique, en effet. Et plus vite et plus fortement on la forme, et plus facilement on a chance d’en faire cette critique qui est le sérieux de la poésie » confiait-il encore lors de notre entretien. Son attirance pour une autre façon d’appréhender et de vivre la réalité humaine allait désormais nourrir sa poésie en un perpétuel rêve d’essence métaphysique tout en insistant sur le fait que « ce rêve n’est pas la vérité, et la poésie, qui le subit de plein fouet, a pour vocation de percer à jour cet illusoire. De reconnaître qu’est plus haute lumière ce que Rimbaud nommait la « réalité rugueuse » ; ou ce que Baudelaire vivait dans la misère des jours avec celle qui « essuyait son front baigné de sueur et rafraîchissait ses lèvres parcheminées par la fièvre ».
Cette image d’« un homme au rêve habitué » en référence à Mallarmé sied particulièrement à la personnalité d’Yves Bonnefoy selon l’essai ciselé d’Alain Madeleine-Perdrillat en introduction. La lecture de la chronologie du poète donnera le vertige au lecteur, défilent les années et les centres d’intérêt multiples du poète, de l’essayiste, du traducteur, du critique d’art et tant d’autres contributions encore au monde de la culture et de la pensée.
Adoptant une présentation chronologique des œuvres, le présent volume de La Pléiade fort de plus mille huit cents pages permet de suivre la maturation du poète, même si ce choix conduisit à « éclater » certains recueils de temporalités différentes. Le lecteur pourra ainsi découvrir en ces pages toute la force poétique de la parole, cette unité de la poésie comme expérience du monde chère à Yves Bonnefoy, qu’il s’agisse des premiers recueils « Le Cœur-espace » (1945 et 1961), « Traité du pianiste » (1946) jusqu’à ses derniers livres « Ensemble encore » et « L’Écharpe rouge » publiés l’année de sa disparition en 2016. A leur lecture, l’unicité et le multiple sous-tendent la poésie de Bonnefoy en de nombreux plans intriqués :

« Et de qui aima une image,
Le regard a beau désirer,
La voix demeure brisée,
La parole est pleine de cendres.
»
(« Une pierre » 1993 p. 682)

Ou encore :

« Qui désespère, qu’il entre ici, c’est plus qu’un dieu
Cet absolu qui erra dans la flamme.
Ce fut presque de l’être, ce vent qui prit

Dans la calcination d’une lumière.
Aimez ce sanctuaire, mes amis,
Où se dénouent les signes, c’est presque l’aube
».
(« Après le feu » 2016, p. 1058)

La prose, enfin, accompagnera également les découvertes dans ce précieux volume ainsi que ses traductions qui sont considérées de nos jours comme incontournables et dont on se délectera en compagnie de Shakespeare, Celan, Yeats, Leopardi, mais aussi Pétrarque ou Emily Dickinson, reflets de l’immense culture et sensibilité du poète au service des autres poètes. En ce perpétuel travail de résurrection des mots, Yves Bonnefoy nous invite à cette lucidité créatrice dont il fut le représentant le plus sensible.

 

Philippe-Emmannuel Krautter

 

« Kokin waka shû - Recueil de poèmes japonais d’hier et d’aujourd’hui » ; Introduction et traduction de Michel Vieillard-Baron, 520 p., Éditions Belles Lettres, 2022.
 


Classique parmi les classiques, le Kokin waka shû remonte aux origines de la poésie japonaise puisque ce recueil fut commandé par l’empereur Daigo au tout début du Xe siècle… Les éditions Les Belles Lettres et le traducteur, Michel Vieillard-Baron, professeur à l’Inalco ont eu l’heureuse idée de rendre disponible cette somme incontournable au lecteur français.
Ce fort volume constitue en effet l’une des premières compilations de poésie japonaise réalisée par quatre des plus éminents poètes de cette époque à savoir: Ki No Tomonori, Ki no Tsurayuki, Ōshikōshi no Mitsune et Mibu no Tadamine. Par cette décision à la fois culturelle et politique, l’empereur souhaitait en cette période de renaissance de la poésie nationale (waka) en souligner l’héritage classique sur laquelle elle reposait depuis le milieu du VIIIe s. Ce ne sont pas moins de mille cent onze poèmes qui se trouvèrent dès lors réunis dans ce recueil répondant pour la plupart d’entre eux à la forme tanka de 31 syllabes. Fait original à relever, parmi les cent vingt-deux poètes présents dans ce volume, vingt-six femmes y figurent en bonne place, signe de leur importance dans le monde lettré à cette lointaine époque.
Contrairement à ce que la forme d’anthologie pourrait laisser penser, ce recueil répond à une certaine organisation et logique interne, abandonnant la présentation chronologique pour lui préférer des sections thématiques telles les saisons si chères à la sensibilité japonaise ; sensibilité encore extrêmement présente aujourd’hui, ainsi que le relève Michel Vieillard-Baron dans sa préface. Le lecteur remarquera également la proximité qui réunissait poésie chinoise et japonaise, le Kokin waka shû ayant été introduit à l’époque par deux préfaces, l’une rédigée en chinois par Ki No Yoshimochi et l’autre en japonais par Ki no Tsurayuki.
Pour mieux apprécier la richesse et les évolutions successives de cette poésie exigeante et néanmoins si inspirante, le lecteur lira avec profit la très complète étude préliminaire préfaçant le recueil. Un ouvrage indispensable non seulement à la découverte de la poésie japonaise mais également à la pleine appréciation de la culture japonaise d’hier et d’aujourd’hui.
 

Kamo no Chômei, Urabe Kenkô Cahiers de l’ermitage, Trad. du japonais par Sauveur Candau, Charles Grosbois et Tomiko Yoshida. Édition et préface de Zéno Bianu
Extrait de Les heures oisives suivi de Notes de ma cabane de moine (Connaissance de l’Orient)
Collection Folio Sagesses (n° 7159), Gallimard, 2022.

 


Ce petit recueil paru dans la collection Folio sagesses livre en seulement une centaine de pages un concentré de méditation et d’ascèse bouddhique remarquable. En réunissant en effet les deux maîtres Urabe Kenkô et Kamo no Chômei, Zéno Bianu qui signe ici une passionnante préface, offre en effet une belle leçon sur la voie du renoncement menée par ces deux grands poètes ermites. Abandon des passions, mépris de la haine tout autant que de la crainte, imaginer sa vie aussi éphémère que la forme d’un nuage dans le ciel, telle est la précieuse leçon livrée en ces pages inspirantes. Il ne s’agit pas d’un éloge d’une vie creuse, mais bien du plaisir éprouvé par la richesse d’une pleine conscience de tous les instants ainsi que le rappelle Kamo no Chômei : « Depuis que j’ai quitté le monde, et que j’ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte ». Place est alors faite à la contemplation du quotidien, ces petits riens que les deux poètes exaltent et posent au-dessus de tous les tracas du monde. Des instants précieux pour la plupart du temps constitués de contemplation de la nature, de gestes du quotidien telle l’édification pour le moins minimaliste de la fameuse cabane du moine…
Cet ascétisme que l’on retrouve dans le bouddhisme zen n’est pas non plus sans rappeler celui prôné par le stoïcisme à maintes occasions notamment dans ce passage où Urabe Kenkô dédaigne ces lieux avec « trop d’objets autour de soi, trop de pinceaux sur l’écritoire, trop de bouddhas sur l’autel domestique, trop de pierres, de plantes et d’arbres dans le jardin… » Antidote à notre quotidien anxieux et surabondant de biens matériels, cette lecture devrait apporter un vent d’air frais et bien venu...

 

Robert Desnos : « Poèmes de minuit, inédits 1936-1940 » ; Préface de Thierry Clermont, Coll. Poésie Seghers, 176 p., 135 x 210 mm, Editions Seghers, 2023.
 


C’est par une confession de Robert Desnos (1900-1945), étonnamment lucide, que débute la préface de Thierry Clermont aux Poèmes de Minuit (1936-1940), des poèmes inédits du poète et publiés aux éditions Seghers. Quelque temps seulement avant d’être arrêté par la Gestapo, puis déporté avant de mourir du typhus un mois après la libération du camp de concentration de Theresienstadt, Robert Desnos faisait ainsi remarquer : « Ce que j’écris ici ou ailleurs n’intéressera sans doute dans l’avenir que quelques curieux, espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes » !
Espérons que la publication de ces inédits datés des dernières années du poète invalideront ce jugement sévère et permettront à un plus grand nombre de découvrir le grand poète que fut Robert Desnos. La découverte de ces inédits inattendus mais si bien venus est due à la sagacité du passionné des lettres Jacques Letertre qui dirige aujourd’hui la Société des Hôtels Littéraires. Ce collectionneur et bibliophile impénitent a acquis de manière quelque peu fortuite ces manuscrits contenant ces trésors, pas moins de 123 poèmes autographes dont, découverte incroyable, 86 inédits, sans titres et accompagnés de dessins du poète. Desnos s’était astreint dans ses dernières années à composer un poème chaque soir avant son sommeil. Dans ces pages souvent sombres et pourtant enclines à l’ironie, on trouvera aussi quelques saillies prémonitoires tel ce poème du 9 janvier 1936 :


« Sur cette terre
Moi j’aurai bien rigolé
Pas autant cependant si je ne meurs avant
»

Parmi ces traits d’humeur, ou d’humour, c’est selon, cet éternel amoureux des calembours goûte les évocations farfelues où quelque bizarre animal débarque soudainement dans un beau salon pour y semer une belle pagaille : « Fait son entrée – Se vautre sur les canapés – Attise le feu – Détraque la pendule »… « Drôle d’animal - Joli Salon », conclut Desnos, un portrait du poète ?...
Des questionnements épars rythment ces pages où animaux, personnages fantasques ou à peine masqués composent un panthéon éclectique dans lequel le poète puise son inspiration et se délecte. Ce panthéon s’avère en effet bien particulier où dérision rime avec émotion, gravité avec légèreté. Au terme de ce trop court parcours sur terre, le poète notera en guise d’épitaphe annonciatrice dans l’un de ses tout derniers poèmes : « Moi, incapable de reculer – Capable de me faire tuer – Plutôt que de céder un pouce – Pouce Pouce – Je ne joue plus »…
Une spontanéité réfléchie qui séduit et attire irrésistiblement, magie de Desnos !

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

François Gibault : « Céline », Nouvelle édition revue et corrigée, Collection Bouquins, 2022.
 


Les récents développements apportés par la redécouverte pour le moins rocambolesque des manuscrits disparus de Louis-Ferdinand Céline ainsi que le décès de Lucette Destouches son épouse en 2019 imposait assurément une actualisation de la principale biographie parue à ce jour en langue française et consacrée au célèbre écrivain. François Gibault proche de Lucette Destouches et exécuteur testamentaire de l’écrivain était mieux placé que quiconque pour présenter ce long parcours de Louis-Ferdinand Destouches depuis son plus jeune âge au passage de Choisel jusqu’à ses dernières années passées, reclus, sur les hauteurs de Meudon avec perroquet, chiens et épouse…
C’est à un monstre sacré des lettres françaises auquel s’est attaché Gibault dans cette nouvelle biographie revue et corrigée qui n’écarte aucun sujet fâcheux comme les accusations de collaboration et autres pamphlets antisémites que le biographe – avocat convaincu des causes tendancieuses – souhaitait voir republier par les éditions Gallimard…
La documentation de première main en raison de sa proximité immédiate du cercle de l’écrivain constitue en premier lieu l’intérêt de cette biographie des plus complètes avec plus de 900 pages. Mais l’intérêt de ce fort volume ne tient pas qu’à la qualité de ses sources tant le biographe tente à faire ressortir toute la cohérence du parcours de Céline en rapport avec son œuvre, et ce, malgré les impasses empruntées par l’écrivain et ses contradictions. Souhaitant faire la part des choses entre l’homme et l’écrivain, François Gibault dresse le portrait d’une personnalité à la fois complexe et plus humaine que ne l’ont souvent laissé les impressions rapides de ses caricatures. Resituant les outrances de l’homme à son époque, Guibault tente d’esquisser la personnalité de celui qui était à la fois capable de soigner les plus démunis sans contrepartie financière tout en étant capable de verser dans les délires antisémites les plus abjects. Céline dans ces pages apparaît avant tout comme l’un des écrivains majeurs du XXe siècle, ses romans demeurant le cœur névralgique de ces multiples développements biographiques auxquels ils sont intimement entremêlés.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Aldo LEOPOLD : « Almanach d’un comté des sables », Editions Gallmeister, 2022.
 


« Il y a ceux qui peuvent vivre coupés de la nature et ceux qui ne le peuvent pas.» Aldo Leopold est de ces derniers. Impossible pour lui de vivre hors du système qui nous maintient en vie, ce grand écosystème, et que l’homme se complait à rendre invivable. Pourtant, la nature se défend contre cet homme mécanisé et destructeur. Est-ce là un scénario pour un film ou un livre de fiction ? Est-ce la réalité de notre monde actuel et à venir… Ce pourrait être une posture de militant écologiste d’aujourd’hui, et pourtant c’est Aldo Leopold, né en 1877 et décédé en 1948, considéré comme le père des politiques de protection de l’environnement, qui écrivit ces textes réunis sous le titre « Almanach d’un comté des sables ».
Il se lève tôt, vit dans la nature, observe tout, des plantes aux animaux, des étoiles aux levers de soleil et tente de situer la véritable place que devrait occuper l’homme dans ce monde, en toute modestie, alors que le grand siècle de l’industrialisation se plaît à l’exploiter et le vider de sa substance. L’écologie n’est pas une question de petites fleurs. C’est tenter d’empêcher l’extinction du vivant. Observer, décrire, philosopher pourquoi pas, écouter, rendre compte, percevoir, contempler et espérer qu’une véritable prise de conscience mènera sur des chemins plus respectueux du vivant et par ricochet de nous même, c’est ce que l’on ressent au long des pages de cet almanach atypique.
Ces textes se lisent comme un traité de non-agression envers la nature et sous la plume d’Aldo Leopold transpire la poésie, le respect de la nature pleine et entière, de la plus petite créature jusqu’au cosmos, ressenti dans chaque cellule de nos corps poussières d’étoiles comme les physiciens le qualifieront plus tard. Que de résonnances actuelles ! Que de connaissances et de conscience écologique jamais entendues et considérées par les politiques, que de temps perdu qui ne se rattrapera jamais. La lucidité calme de l’auteur invite à réfléchir sur l’orientation hyper matérialiste de son époque et à opter pour réorienter ses besoins ou à détourner les biens matériels pour revenir à une meilleure compréhension de cet équilibre fragile du monde.
Il s’avère plus qu’urgent de mettre en place une éthique solide et rigoureuse pour ne plus jamais avoir à lire des phrases telles « la protection de l’environnement marque le pas parce qu’elle est incompatible avec notre concept abrahamique de la terre. Nous maltraitons celle-ci parce que nous la regardons comme notre propriété. Le jour où nous la verrons comme une communauté à laquelle nous appartenons, peut-être commencerons-nous à en user avec amour et respect. Il n’est pas d’autre alternative pour qu’elle survive à l’impact de l’homme mécanisé… Le fait que la terre est une communauté est le concept élémentaire de l’écologie, mais le fait qu’il faut l’aimer et la respecter est un prolongement de l’éthique. Que la terre produit une moisson esthétique est un fait connu de longue date, mais souvent oublié. »


Sylvie Génot Molinaro

 

« L’art du livre par André Suarès », Editions Fata Morgana, 2022.
 


C’est un délicieux opuscule signé André Suarès que nous livrent dans une édition des plus soignées, avec une typologie choisie et des lettrines retenues par Louis Jou en 1928, les éditions Fata Morgana. En de petits chapitres plus réjouissant les uns que les autres, l’auteur y fait l’éloge de « L’art du livre » ; avec cette passion incommensurable du beau et cette vison élitiste qui le caractérisent, comparant le livre à une œuvre architecturale des plus hautes, c’est une réflexion élégiaque sur le livre que le lecteur savourera ; remontant à la spécificité et beauté des incunables, soulignant l’évolution inévitable de l’imprimerie et du livre, c’est aussi une pensée visionnaire des plus surprenantes que nous donne à lire l’auteur.
Un petit bijou pour amoureux patenté de beaux livres, pour artisans imprimeurs et éditeurs sincères !

 

L.B.K.

 

Philippe Sollers "Graal" Collection Blanche, Gallimard, 2022.
 


Ni disciple des Monty Python, encore moins un vénérateur des Chevaliers de la fameuse table, Philippe Sollers, ou tout au moins le narrateur de son dernier roman, ne part pas en quête du Graal, mais l’a trouvé depuis bien longtemps… C’est en terre atlantide, jadis prospère et de nos jours cachée sous des immensités d’incertitudes et de révisionnismes, que se trouve la source de ce continent disparu « mais toujours actif atomiquement, et génétiquement dans l’ombre ». Comme à l’accoutumée, Sollers avance dans l’ombre, en plein soleil. Ce nouvel Atlante amoureux des îles sait que ces dernières sont reliées à ce royaume éternel, source vitale où puise ce jouisseur absolu. Mais nulle trivialité dans ces évocations – même si quelques détails dont Philippe Sollers a le secret pourront émoustiller ou choquer, c’est selon. Le propos est ailleurs et sert une voie, la fameuse voie, non rectiligne qui mène à la mort après avoir vraiment vécu. Être « l’unique roi de son royaume », avoir cette chance de parler une langue intérieure à l’heure de l’assourdissement général, sans oublier les initiations matriarcales, telles sont les directions qui mènent à ces continents disparus, éternel retour. Le roman confie à qui peut encore entendre et surtout lire : l’Atlante se ressent comme immémorial et cultive le secret comme le silence sans oublier son immense mémoire, qualités qui font cruellement défaut à notre amnésique quotidien. L’amour comme la foi composent ces espaces où le verbe se fait chair et habitavit in nobis ainsi que le rappelle saint Jean. Cette présence nourrit les plus grands artistes depuis les premiers temps de l’humanité, dès les premières grottes ornées. Nulle bondieuserie dans la pensée de Sollers, mais dans notre monde « dégraalisé », un mystère joyeux demeure que cultive l’auteur, ces pages en témoignent.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Jean-Yves Tadié : « Proust et la société », Éditions Gallimard, 2021.
 


C’est à la recherche d’un Proust dans son temps, dans sa société auquel nous convie Jean-Yves Tadié avec cet ouvrage « Proust et la société » qui vient de paraître aux éditions Gallimard. L’auteur nous dévoile, tour à tour, un Marcel Proust sociologue, géographe, historien ou encore psychologue. Le lecteur retrouvera ainsi Proust dans son milieu avec ses domestiques mais aussi le dandy regardant la société et « le peuple ». En ce tournant du siècle, on découvre également un Proust bien ancré dans le monde de la finance même si ses placements seront souvent malheureux et que l’écrivain se dit plus d’une fois exagérément ruiné… L’auteur revient ainsi sur les rapports que l’écrivain entretenait avec l’argent.
Mais, pour cet ouvrage, Jean-Yves Tadié ne s’est pas limité à nous révéler un Marcel Proust en son temps, il a également entendu faire dialoguer cette société contemporaine avec celle-là même de A la Recherche du temps perdu. Ce monde que dépeint et fit vivre avec sa sensibilité et ses émotions l’écrivain en des pages mémorables, modifiant, changeant noms et lieux tout en leur laissant une certaine part de réalité. Ce n’est pas un regard, mais des regards que livre la Recherche. Ainsi, Jean-Yves Tadié analyse-t-il « La France de 1871 et la famille de Marcel Proust » ou ces « Figures de la modernité », que l’on retrouve tout au long de la Recherche et que Marcel Proust, Alfred Agostinelli, mais aussi Albertine, connurent en leur temps. L’auteur ne souligne-t-il pas en son introduction que Marcel Proust fut « un prodigieux observateur, et, d’après les souvenirs de ses amis, dans les salons, les restaurants, voire les maisons closes, un enquêteur infatigable ». La Recherche rend compte d’une société, celle dans laquelle l’écrivain non seulement évolua, celle qu’il observa, scruta, mais aussi celle qu’il écrivit et imagina. Or, « la société décrite et analysée par Proust, parce qu’elle est représentée de manière symbolique, est encore vivante, et même « créatrice ». Les structures profondes échappent au temps et aux modes. Il y a une mode des modes qui, elle, ne se démode pas. », ajoute Jean-Yves Tadié.
Qu’il soit boursicoteur peu chanceux, technophile amoureux, géographe des lieux…, c’est le portrait d’un Marcel Proust moins connu, parfois inédit que convoque en ces pages Jean-Yves Tadié, et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur.

 

L.B.K.

 

« André Suarès – Ports et rivages – Anthologie » ; Edition établie, présentée et annotée par Antoine de Rosny, 384 pages, « Les cahiers de la NRF », 2021.
 


Ravissement que de trouver réunis dans ces « Cahiers de la NRF » les écrits ayant pour fil directeur les « Ports et rivages » dans l’œuvre d’André Suarès. Deux mots qui à eux seuls évoquent bien des facettes de l’écrivain ; Les ports comme liens d’attache, telle Marseille, sa ville natale à laquelle il restera attaché, mais aussi les rivages, inséparables des ports, appels du large et de liberté. Suarès n’eut de cesse affectivement de chérir cette liberté dont il paya lourdement le prix toute sa vie. Si André Suarès fut épris de connaissances, d’art, de livres, s’il fut portraitiste, essayiste, visionnaire, s’il eut aussi pour passion la musique, l’écrivain - bien qu’établi à Paris, voua également un amour immodéré pour la mer. On songe, à l’Italie avec « Le voyage du Condottière » et à Venise ; On songe à la Bretagne avec « Le Livre de l’Émeraude » et, bien sûr « Marsiho », sa ville natale. N’a-t-il pas écrit « La mer est mon horizon : ailleurs je ne respire plus ». Et ne se définissait-il pas dans « Le voyage du Condottière » comme un « homme de la mer avant tout ».
Mais, cette quête de beauté si chère au poète, d’horizons et d’infini, d’indépendance qu’offrent « Les Ports et les rivages » ne saurait se limiter à ses œuvres les plus connues, l’écrivain fut en effet l’auteur sous divers pseudonymes de plus d’une centaine de livres, d’écrits publiés dans des revues, sans oublier ses carnets et une abondante correspondance. Aussi est-ce tout le mérite de cette belle anthologie, présentée et annotée par Antoine de Rosny, professeur de lettres classiques et membre du comité d’André Suarès que de mettre en valeur et nous encourager à découvrir ces joyaux de l’écrivain. Ce sont des « Ports et rivages » célébrés, contrastés, opposés, mais aimés ; Bretagne et Provence… Mais, aussi des ports rêvés, ceux des mers grecques et de la Sicile…
Des textes et poèmes choisis et accompagnés d’un riche appareil critique dans lesquels le lecteur retrouvera ce style inimitable qui fut celui d’André Suarès (1868-1948). Cette incomparable « sensibilité mise à peindre le vert Océan breton ou à décliner à l’envi l’inégalable bleu méditerranéen ! » écrit Antoine de Rosny dans sa présentation.

L.B.K.

 

Sibilla Aleramo : « Une femme », Éditions des Femmes, 2021.
 


« Depuis que j’avais lu une étude sur le mouvement féminin en Angleterre et dans les pays scandinaves, ces réflexions se développaient dans mon esprit avec insistance. J’ai immédiatement éprouvé une irrésistible sympathie pour ces créatures exaspérées qui protestaient au nom de la dignité de toutes, jusqu’à supprimer en elles les instincts les plus profonds : l’amour, la maternité, la grâce. Presque sans m’en apercevoir, mes pensées s’étaient arrêtées jour après jour sur ce mot : émancipation… »


Une vie se dessinait avec une certaine évidence pour cette jeune fille mais un événement totalement involontaire de sa part va tout bouleverser, l’amour inconditionnel qu’elle portait à son père et réciproquement, ses relations avec sa fratrie, son avenir même. Elle si curieuse de tout et qui semblait ne surtout pas vouloir répéter le schéma de vie de sa mère, qui doutait de la réalité de dieu dans une Italie du nord du début du XXe siècle, elle qui comprend vite que dans son milieu provincial et étriqué, aucune chance d’indépendance ne lui sera accordée. Cela lui prendra des années et des années, luttant contre un mari tyrannique et élevant au mieux son fils, des années de soumission et de révolte, des années de dépendance et de soif de liberté, des années de réflexion pour arriver à écrire. Et écrire lui fut salutaire, lui fit même gagner sa liberté totale certes au prix d’un sacrifice énorme, d’un renoncement innommable, d’un abandon dans la souffrance. Mais lorsque la vie lui souffle à l’oreille que sa place n’est pas dans ce modèle et que seule elle peut défier et s’émanciper de celui des hommes, alors il n’y a plus une minute à perdre, la vie trop courte lui montre la voie, celle qui fera de son avenir celui d’une femme autrice, politisée, d’une liberté intellectuelle qui la portera au rang international par ses écrits et ses luttes sociales. « Mon passé me semblait désormais avoir été commandé par une volonté impitoyablement sagace. Tout n’avait-il pas été disposé en effet pour préparer l’avenir ? »
Cette autobiographie publiée en 1906 après avoir quitté son mari et son fils prouva à chaque lectrice – et lecteur - que la liberté de pensée et d’agir en son âme et conscience pouvait être une véritable révolution et un mouvement réellement féministe en marche. « Qui avait donc le courage d’admettre certaines vérités et d’y confronter sa vie ? Pauvre petite vie mesquine et aveugle, à laquelle on tenait tant !… Chacun tenait son mensonge avec résignation…Les révoltes individuelles étaient stériles ou pernicieuses : les révoltes collectives étaient encore trop faibles, presque ridicules face à l’effroyable puissance du monstre à abattre ! Puis je commençais à me demander si la femme n’avait pas une part active à la misère sociale… » Sibilia Aleramo (1876/1960) est devenue une femme libre et active dans un homme exclusivement masculin et a ouvert, très certainement, la porte à bien d’autres femmes qui ont pris acte que l’émancipation était une volonté personnelle à mettre en marche quoi qu’il arrive.


Sylvie Génot Molinaro

 

« La Grande Grammaire du français » ; Sous la direction d’Anne Abeillé et Danièle Godard, Éditions Actes Sud - Imprimerie Nationale Éditions, 2021.
 


Véritable évènement dans le paysage éditorial français, la sortie de la Grande Grammaire du français (GGF) marque une étape essentielle quant aux outils disponibles sur ce sujet toujours délicat. Il n’est en effet un secret pour personne que la langue française s’avère complexe à maîtriser. Qu’il s’agisse de sa langue maternelle ou d’une langue secondaire, le français fourmille de subtilités délicates à mémoriser et autres pièges rendant son apprentissage souvent difficile. Mais ce sont ces difficultés qui ont concouru à sa richesse et ces multiples finesses autorisent une variété infinie de nuances dont la littérature s’est saisie avec la réussite que l’on sait. Fort de cette importance, les contributeurs de cette imposante grammaire en deux forts volumes sous la direction d’Anne Abeillé et Danièle Godard, en collaboration avec Annie Delaveau et Antoine Gautier offrent pour la première fois aux amoureux de la langue française un outil suffisamment ample et vaste expliquant toutes les virtualités de la syntaxe de la langue écrite, mais aussi parlée et contemporaine.
 

 

L’ouvrage n’a pas exclu parallèlement aux règles classiques les usages plus originaux constatés, faisant ainsi de cette recherche collective un véritable conservatoire de la langue. La GGF, ainsi qu’il faudra désormais la nommer, établit avec brio un état des lieux de la recherche et des usages depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à nos jours, les débats ne manquant pas actuellement quant à certains usages en cours… Aussi la manière d’écrire des SMS, des billets d’un blog ou encore les diversités régionales sur l’usage du français sont des points abordés sur ces 2 628 pages en 20 chapitres. 30 000 exemples offrent un ensemble d’une étonnante richesse sous la forme de glossaire, index, tableaux, schémas, fiches et autres courbes mélodiques. La version numérique parallèle permet même d’écouter des exemples sonores !
Le lecteur ne lira bien évidemment pas cet ouvrage en deux volumes de la première page à la dernière, mais on ne saurait lui recommander de découvrir l’introduction passionnante consacrée à cette vaste question : « Qu’est-ce que le français ? ». Il découvrira alors le vaste rayonnement de cette langue très largement employée au-delà de l’Hexagone et de l’Outre-mer. Cette richesse posant une autre question « le » ou « les » français ? Les variations régionales et sociales peuvent laisser pencher vers une vision plurielle à partir de racines communes. Autre découverte, la version numérique parallèle à l’édition papier. Disponible soit en version eBook enrichies (ou PDF Web) soit en ligne, la GGF pouvant être consultée sur smartphone, tablette et ordinateur dans la mise en page originale de la version imprimée. La recherche d’un mot ou d’une notion rend bien entendu cet outil particulièrement précieux pour les étudiants, chercheurs et tout amoureux de la langue française.
Fruit d’un travail d’une trentaine d’années d’un collectif de 59 linguistes français et étrangers, la GGF établit ainsi pour la première fois en France un véritable outil scientifique de la langue française.
 

Dante - « La Divine Comédie », Trad. de l'italien par Jacqueline Risset. Édition publiée sous la direction de Carlo Ossola avec la collaboration de Jean-Pierre Ferrini, Luca Fiorentini, Ilaria Gallinaro et Pasquale Porro, Bibliothèque de la Pléiade, n° 659, 1488 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm, Gallimard, 2021.
 


Dante Alighieri (1265-1321) dont nous fêtons le 700e anniversaire de sa disparition, témoigne à la fois des oppositions politiques de son temps (la lutte fratricide des guelfes à Florence), mais aussi de l’élévation de cette âme au-delà des contingences lors de son long exil. L’amour demeure au centre de cette œuvre gigantesque et foisonnante, celui magnifié pour la belle Béatrice et qui conduit le narrateur en un chemin souvent tortueux et périlleux dans les méandres de la vie et de la mort, en trois étapes de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis.
Dans cette chronique où la poésie s’entrelace aux dénonciations les plus triviales de son temps, Dante compose une ode annonciatrice de l’humanisme et conjuguant l’universalité du savoir. Cette poésie omniprésente de celui que l’on présente souvent comme le « père » de la langue italienne se trouve encore soulignée par une langue ouverte aux différentes influences, savantes ou régionales, de son temps comme en ses références antiques en compagnie de Virgile. Cette atemporalité de Dante confère à son œuvre cette magie qui dépasse les époques et touche le lecteur avec cette même acuité qu’une fresque de Michel-Ange, une musique inspirée des psaumes ou encore de Casella… Ainsi que le souligne Carlo Ossola dans sa préface : « La Comédie n’est pas un poème mystique, ce n’est pas un itinéraire sapiential ou initiatique, ni même une simple dette de fidélité envers Béatrice : c’est un accessus – aussi impraticable et limité soit-il – à la joie du regard. ». Cette œuvre inclassable convoque chaque lecteur a une appropriation, lente et exigeante, à emprunter personnellement cet itinéraire pour une connaissance de la vie et de l’après. Les premiers mots de la Comédie sont restés célèbres et témoignent de cet examen personnel : « Au milieu du chemin de notre vie – je me retrouvai par une forêt obscure, car la voie droite était perdue. » À la recherche de cette voie droite – symbole de l’espérance chrétienne – Dante offre de multiples rencontres les plus étonnantes souvent, troublantes d’autres fois. Le lecteur se nourrit de ces visions tantôt béatifiques, tantôt horrifiques, le 7e art n’a qu’à bien se tenir. Grâce à la belle traduction de Jacqueline Risset, le lecteur pourra progressivement franchir ces étapes et s’approcher des sens cachés de l’œuvre à l’image de ceux suggérés par le peintre Botticelli dans ses inoubliables illustrations de la Comédie.
 

Didier Ben Loulou : « Une année de solitude », Arnaud Bizalion Éditeur, 2021.
 


« Une année de solitude » en compagnie du photographe Didier Ben Loulou offre le temps de porter un regard à la fois introspectif et renouvelé sur la vie. A l’image de cet amandier en fleurs sur la terre esseulée donné à voir en couverture de l’ouvrage, ce sont des promesses riches de sens qui effleurent dans ces pages d’une rare profondeur. Le photographe croise le poète et la quête incessante de cette âme éprise d’absolu le conduit à la conjonction de la lettre et de l’image, croisée des chemins de laquelle nous sommes nés, à l’aune de la civilisation.
Point de sublimation artificielle mais une rare acuité sur le réel, ce qui ouvre les portes de la mémoire, celle des lieux toujours renouvelés et pourtant éternellement les mêmes. Ce paradoxe n’effraie pas l’artiste qui veille en Didier Ben Loulou et que ses photographies rappellent. L’homme retrouve la nature en ce qu’elle possède de plus fort, cet humus qui donne naissance et reprend la vie en un cycle aussi implacable que les amours défuntes. Sur une année, Didier Ben Loulou consigne en son journal ces bribes esseulées, le sens à donner à son travail, à sa vie, en une sensibilité à la fois profonde et cachée.
En cette quête de l’indicible, le photographe sait capter ces ondes qui le traversent, frontières toujours ténues entre profane et sacré si chères à Mircea Eliade. Dans les campagnes de Jérusalem, tout comme dans les ruelles de la Ville Sainte, ces signes croisent le chemin de cette âme blessée qui réapprend à vivre, renaissance dont la profondeur des photographies témoignent même si, pour une fois, ces dernières sont absentes de ce journal mais omniprésentes entre les lignes. C’est à ce cheminement auquel nous convie avec discrétion et poésie Didier Ben Loulou, une lente pérégrination dans les confins de notre for intérieur, un voyage intime et captivant.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Michel Leiris : « Journal (1922-1989) » ; Nouvelle édition Jean Jamin, revue et augmentée ; 1056 p., 103 ill., sous couverture illustrée, 140 x 205 mm, Collection Quarto, Éditions Gallimard, 2021.
 


Difficile de classer Michel Leiris, lui qui fut simultanément poète, écrivain, ethnographe et avant tout le témoin en alerte de son temps. Le témoignage qu’il laissa d’ailleurs à l’égard de son Journal s’avère symptomatique de cette difficulté de classement, alors même qu’il connut dans ses enquêtes ethnographiques le travail de fichiers de l’ethnologue : « Un livre qui ne serait ni journal intime ni œuvre en forme, ni récit autobiographique ni œuvre d’imagination, ni prose ni poésie, mais tout cela à la fois. Livre conçu de manière à pouvoir constituer un tout autonome à quelque moment qu’il soit interrompu, par la mort s’entend. Livre, donc, délibérément établi comme œuvre éventuellement posthume et perpétuel work in progress » (Journal, 26 septembre 1966). Les éditions Gallimard ont eu l’heureuse initiative de proposer cette œuvre inclassable dans la collection Quarto, ce témoignage allant de 1922 à 1989, un an avant sa disparition. L’intellectuel curieux de tout se souciait plus des autres que de son propre travail : « D’une certaine façon, je suis l’antihéros de mes écrits dits autobiographiques. Que voit-on, en effet, au centre de ceux-ci ? Un homme des plus quelconques, à la vie des plus quelconques, mais qui simplement sait se regarder et se raconter » (Journal, 18 novembre 1983). Et là réside certainement la qualité de l’auteur de ces notes prises au quotidien, une lucidité sans fards, ni masques, au gré de ses découvertes, de ses rencontres et discussions. Pourtant l’intellectuel « sait se regarder et se raconter » à l’image d’une enquête au long cours, l’objet de cette dernière étant ses humeurs, son goût immodéré pour les beaux costumes et vêtements sur mesure, ce soin apporté au paraître plus profond qu’il ne peut sembler de prime abord ainsi que le relève Jean Jamin qui le connût de 1976 à 1990 au musée de l’Homme. Entre poésie, confessions, ethnographie et autobiographie sans oublier les innombrables curiosités artistiques, Leiris consigne dans ce Journal ce qui fait signe, avec lui-même et dans le siècle dans lequel il s’inscrit. Ce souci extrême de l’attention vigilante surprend et séduit, sans réserve lorsque l’auteur lors d’un Tour d’Espagne en cargo en 1935 note : « Retrouver la source première… ». Phrase qui l’obsède comme un début poème… Leiris reste persuadé qu’il faut amadouer l’écriture en croyant à une certaine bonté des choses et des mots et, à défaut, s’abstenir ! Fort heureusement, sa perspicacité lui permet d’amadouer et de fléchir ces résistances. Si la poésie ne coule pas à flot - ce que ne souhaite pas Leiris - une complicité certaine se fait au fil des années, une poésie qui devient vite synonyme de liberté ainsi que le souligne Philippe Sollers qui releva chez lui cette phrase programmatique : « Je ne peux vivre que dans l’antithèse et le changement. » C’est ce que reflètent ces 1056 pages de notes éparses, avec parfois un seul titre de livre consigné, d’autres fois des idées plus complexes développées telles ces équations mathématiques pour le moins étranges sur les rapports entre le Moi, la Société et la Nature… (p. 285). Entre ces consignations, des rêves, beaucoup de rêves qui souvent en disent plus sur leur auteur que les notes diurnes.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Charles Juliet : « Pour plus de lumière ; Anthologie personnelle – 1990-2012 », Préface de Jean-Pierre Siméon, Collection Poésie/Gallimard, NRF, Éditions Gallimard, 2021.
 


En ces temps de sortie de crise et de lueur d’été, il faut découvrir ou relire la poésie de Charles Juliet. Pour ce faire, paraît aux éditions Poésie Gallimard une belle anthologie personnelle de 1990-2012, « Pour plus de lumière », un choix de poèmes extraits des nombreux recueils et minutieusement retenus par le poète lui-même. Présentés selon un ordre chronologique, la progression de cette anthologie reflète le cheminement du poète sur les sentiers escarpés et ardus tant des mots que de la vie. Issus du recueil « Affûts » de 1990, ils empruntent « L’Autre chemin » de 1991, allant du « Pays du Silence » (1992) ou d’ « A voix basse (1997) jusqu’au recueil « Moisson » de 2012.
Les titres confient à eux seuls cette réticence aux mots trop faciles, aux mots qui viennent, qui habitent ou hantent les vers mis à nu par le poète.

« Tu ne sais / où aller / comment t’y prendre / quel mot / quel geste/ pourrait / convenir / et ce qui / se propose/ d’emblée/ tu le rejettes/ tu gis / au plus / opaque / de ce qui / récuse / toute / réponse » (Fouilles – 1997).

La poésie de Charles Juliet puise, en effet, sa force et profondeur dans ce rapport aux mots fait de délicate retenue, d’extrême prudence et de sourde méfiance, mais aussi de cette invincible confiance en la poésie et l’écriture.

« attendre attendre / demeurer inerte / laisser s’approfondir / le silence / mais la faim ronge / s’exacerbe / voudrait me contraindre / à forcer le seuil / ne rien tenter / ne rien forcer / et d’un mouvement feutré / suspendre l’affût » (Moisson)

Et si la poésie de Charles Juliet peut paraître épurée, et à tort minimale, aucun de ces qualificatifs ne permet cependant de dire avec justesse, ainsi que le souligne en sa préface Jean-Pierre Siméon, la profondeur et le relief de la poésie de Charles Juliet. Celle-ci puise telle une encre sans fond à la douleur d’écrire, à la source même de l’être :

« Et à chaque voix nouvelle, remonter là où elle prend sa source. De déchiffrer ce qu’elle nous livre de l’être qui nous parle. » (« À voix basse »).

Affronter cette réticence en un combat incessant même si le poète se sent à la dérive ; Pourtant sur cette crête, allant de décennie en décennie, ce sont de belles « avancées », telles des « Moissons » « Pour plus de lumière », qui rythment les vers et poèmes de Charles Juliet ;

« oui, échapper au temps / à ce qui alourdit / nous tient reclus / pouvoir nous déployer / dans l’immense » (Moisson – 2012).
 

LBK

 

François MAURIAC : « Le Bloc-notes » - Tome 1 & 2 - Préface de JEAN-LUC BARRE, Coll. Bouquins La Collection, Éditions Robert Laffont, 2020.
 

 


François Mauriac compte assurément parmi les classiques de la littérature française du siècle dernier. Mais son travail journalistique se trouvait jusqu’à cette monumentale parution dans la Collection Bouquins quelque peu plus confidentiel. Si les lecteurs plus âgés pouvaient encore se souvenir des chroniques régulières tenues par le célèbre éditorialiste à l’Express, puis au Figaro, les plus jeunes ignorent souvent tout de son fameux « Bloc-notes », pourtant tant apprécié. Cet esprit vif et acerbe sut rapidement imaginer, en effet, son propre style, devenu depuis un classique et imité, celui de l’écrivain-journaliste. Doté d’un jugement critique sans concessions, quel que soit le parti politique visé, ses analyses touchaient la plupart du temps au cœur non seulement des pouvoirs en place, mais aussi les institutions dont il avait décidé de dénoncer les abus et incompétences.
Mauriac bénéficiait de soutiens indéfectibles de personnalités importantes tels Pierre Mendès France ou le Général de Gaule. Revendiquant sans complexe sa foi chrétienne, il pouvait assumer une certaine « vocation d’irriter », ainsi que le souligne Jean-Luc Barré dans sa préface à ces deux volumineux volumes. Paradoxalement, si sa poésie et ses romans peuvent sembler à certains avoir quelque peu vieilli, son travail en tant que journaliste – même sur des faits pourtant ne relevant plus que de l’Histoire – a en revanche pris, pour sa part, toute son épaisseur.
Point de travail sur le terrain, ni d’enquêtes pour ces notes régulières, mais une appréhension du monde et de la société associée à l’acuité de son jugement et de sa subjectivité en une subtile alchimie. Aussi n’est-il pas étonnant de trouver chez cet esprit que l’on aurait pu croire conservateur une farouche défense de la décolonisation… La justice et la charité participèrent de toutes ses dénonciations, bien avant les vagues des réseaux sociaux. Journaliste engagé à une époque où cette qualité exigeait du courage et pouvait même s’avérer physiquement périlleuse, François Mauriac compta parmi ceux qui savaient dire « non ».
Que peut trouver le lecteur du XXI siècle dans ces près de 2 700 pages ? Une formidable aventure de l’esprit sur le long terme, deux décennies d’histoire française allant de 1952 à 1970. Dans cet élan journalistique, l’écrivain transparaîtra bien entendu de temps à autre : « Si vaniteux que soit un auteur, il s’étonne toujours si ce qu’il écrit porte loin et porte haut » ; Avec la belle parution de ces deux volumes du Bloc-Notes que François Mauriac se rassure…
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Michel Orcel : « L’Anti-Faust ; suivi d’un Sonnet et de deux Idylles de Leopardi », Éditions Obsidiane, 2020.

 


Que guette le poète Goethe du haut de sa fenêtre romaine donnant sur le Corso ? La lumière ? L’inspiration ? Une avenante Romaine ? Seul le peintre et son ami Tischbein pourraient nous le confier, lui qui sut saisir sur le vif cet instant immortalisé ornant la couverture du dernier recueil de poésie « L’anti-Faust » de Michel Orcel… C’est à cette ouverture d’un monde intérieur, habité et fertile, auquel convient également ces poèmes inédits de Michel Orcel, dont l’œuvre vient d’être tout récemment couronnée par le Grand Prix de poésie de l’Académie française. Nos lecteurs connaissent bien l’inlassable traducteur de Dante, l’amoureux de l’Italie avec Gabriele d’Annunzio, l’énigmatique passionné du Coran ou le chantre de l’Opéra italien, mais avec ce dernier ouvrage, c’est le poète qui se dévoile en des vers où pointe le regard qui se retourne sur les traces laissées par la vie.
Nul désenchantement, nul larmoiement, mais une lucidité à la fois fragile et confiante. L’ironie pointe parfois à l’égard de ses aînés, la gravité aussi avec le lit funèbre. Les étoiles apparaissent ambiguës, elles dont les reflets vibrants retiennent le regard, tout autant qu’ils le questionnent. L’Anti-Faust participe de ce regard critique, celui qui interpelle la connaissance, et le savoir sans limites. L’homme rebelle sait, qu’à l’image de l’Ecclésiaste, tout n’est que vanité alors que le limes de nos certitudes se lézarde sous la plume du poète.
Des poèmes où s’entremêlent des liens à jamais indissociables, des strophes qui apostrophent sans concession et des vers, sans noir désespoir, ni folle inquiétude, échos de L’infini silence et de Leopardi :

« Tu es inquiète ? Sois rassurée :
le temps se dissipe comme tes charmes ;
te restent peu de jours à pleurer. »
(Sur une métaphore du Maître et Marguerite)

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

"attraction terrestre" poésies de Wulf Kirsten, traduction de Stéphane Michaud et texte allemand, La Dogana, 2020.
 


Si la majuscule s’estompe au point de disparaître des poèmes de Wulf Kirsten, quelques points d’interrogation, ponctuent cependant des phrases fortes, martelées sur l’enclume de la lucidité :


« - ne voulais-tu pas forger un monde à partir
de la langue ? réponds ! mets aussi ta part
dans la balance, la culture a dégénéré
en hors-d’œuvre … »


Ces vers sans concession de Wulf Kirsten, né en 1934, sont ceux assurément ceux de l’un des plus grands poètes contemporains, même si ce dernier n’a guère trouvé – par quelles circonstances injustifiées ?, d’échos en France jusqu’à maintenant. L’anthologie éditée aujourd’hui par La Dogana devrait réparer cet oubli et faire découvrir toute la richesse d’une langue, à la fois rude et pourtant mélodieuse, à l’image d’une étude pour piano de Scriabine. Les mots convoquent les sens en une scansion exigeante et harmonieuse :


« je profite de la lumière du soir,
moi qui plus d’une fois ai été raillé
comme spectateur du monde »


La minéralité de la nature rythme les vers de Kirsten, sans faire pour autant de sa poésie une ode bucolique. Les pierres constitutives de la terre et de la vie comptent plutôt parmi les legs de ses parents, dans cette contrée de Saxe où son père taillait la pierre et son grand-père le bois… Cet amour de la précision s’est déplacé sur le verbe, accompagné d’un regard à la fois amoureux et intransigeant sur ce qui l’entoure. Stéphane Michaud, son traducteur, est parvenu pour ces poèmes à restituer toute la force et richesse cette langue si particulière, qui ne recherche pas le travail d’orfèvre, mais plutôt la minutie et la rigueur de celui qui sait nommer les choses, ce rapport toujours ténu et délicat entre perception et expression dont la seule langue originelle du poète rend toutes les nuances :

« sinkendes licht nachthinüber,
abglanz über den fluren,
ein schwirren und zirren, hör nur
die zirpenden tonkünstler,
die sich mitteilen, auch
wenn das ohr sie gar nicht
vernimmt… »


L’histoire des hommes s’immisce aussi régulièrement dans la poésie de Wulf Kirsten, l’après-guerre dans l’ex RDA fut loin d’apaiser la vie des hommes déjà tant éprouvés par le gouffre du national-socialisme. Ces blessures demeurent sensibles notamment dans le poème « Bucovine » où cette minéralité récurrente devient témoin de ces heures sombres du pogrom. Le poète ne veut pas non plus oublier cette voix d’un autre poète, Paul Celan, anéanti par l’impensable. Contre l’oubli, sa poésie se veut témoin et résonance. De même, cet amoureux des périphéries ne souhaite passer sous silence les ravages du temps sur la nature et ses talus. Et si quelques villages peuvent encore, certes, avoir bravé le temps, entre deux pages d’histoire, ou quelques champs pierreux être demeurés à l’abri des rageurs remembrements, le temps a cependant passé pour le poète qui nous livre en ces pages un témoignage sensible d’une rare acuité, à l’image de ces tableaux du peintre Caspar David Friedrich tant appréciés par Kirsten.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Lance Hawvermale : « A l’aveugle », 363 p., Éditions Chambon NOIR/Actes Sud, 2020.
 


« Prosopagnosie : Psychopathologie - Trouble affectant la reconnaissance des visages. » C’est Gabriel Traylin, dit Gabe, qui est atteint de ce trouble neurologique l’empêchant de reconnaître le visage de celui ou celle qui se trouve face à lui. Tel un aveugle, il a développé d’autres sens comme celui de l’ouïe, de l’odorat… Dans la vie, il est astronome dans un observatoire au nord du Chili, dans le désert d’Atacam. Là, loin des humains, il peut vivre sans être confronté à son handicap. Ce ne seront pas les étoiles qui lui poseront des questions embarrassantes… « Gabe avait choisi le métier d’astronome pour deux raisons. La première tenait à la possibilité d’être seul ; il n’avait jamais été quelqu’un de très sociable, mais c’était dû à sa condition. La seconde, parce qu’il y avait des choses tout là-haut et que cette idée lui plaisait beaucoup. Des choses qu’on ne trouvait pas sur Terre. Des choses qui avaient participé à la création de l’univers. Ou, pareillement, des choses qui erraient dans la nuit en plein désert. » Et, c’est bien une chose qui erre dans ce lieu perdu où il n’y a âme qui vive que Gabe pense avoir aperçue. Alors qu’est-ce ? Une illusion d’optique ? Ce pourrait être n’importe quoi ou n’importe qui … Cette silhouette… « La silhouette se déplaça d’est en ouest, facilement, avec la souplesse d’un félin ou d’un gymnaste…Tout ce que Gabe savait c’était que, à part les fantômes, esprits desséchés des morts, que les indigènes prétendaient apercevoir quelques fois, il n’y avait âme qui vive dans le coin. »
Sur un vol venant des États-Unis, les jumeaux Westbrook, Mira et Luke dit ce qu’il voit comme il le voit, sans aucun filtre, car « Le léger handicap mental de Luke était marqué par des exemples extrêmes de curiosité, comme de minuscules points de soudure qui faisaient de lui un sujet un peu hors norme. Son syndrome de Down était une mosaïque à mille et une facettes, mais plus remarquable encore, cela signifiait que son QI était dans la moyenne supérieure à celui d’autres individus touchés par le même handicap. Cependant, il n’aurait pu vivre de manière autonome, et ce pour diverses raisons, notamment à cause des fluctuations de sa mémoire. » C’est pour résoudre un mystère lié à Luke et à un livre de l’auteur Benjamin Cable, dit Ben, qu’ils sont venus à Santiago pour le rencontrer, car alors que Lucke est incapable de déchiffrer un texte, il peut lire sans aucun problème le livre écrit par Ben…
Tous ces protagonistes vont se retrouver embarqués dans une terrible affaire criminelle, historique, politique qui va faire remonter à la surface une période de l’histoire du Chili, celle de la dictature de Pinochet et les disparitions suspectes de milliers de personnes. Mais, ils naviguent également dans un décor qui ressemble à celui de la planète Mars, et une sorte de brouillard de science-fiction les entoure. Surtout rester vigilants, ne pas s’endormir pour survivre, prendre des risques, aller au-delà de soi et trouver qui tire les ficelles de cette affaire. Jusqu’où les différents acteurs de cette fiction seront-ils prêts à aller pour découvrir la véracité de leurs intuitions ? Comment expliquer sans être suspect qu’un corps à peine trouvé ait pu disparaître ? Mener une enquête n’est pas donné à tout le monde mais ça vaut certainement le coup d’essayer… Puis les choses basculent dans une autre dimension… Combien de temps peut-on rester de l’autre côté du miroir pour y voir le reflet de la vérité, celle qui peut-être vous sauvera… Dans ce thriller (premier traduit en français par Denis Beneich) Lance Hawvermale souffle sur les braises d’un passé enfoui et réveille les vieux démons de la vengeance, mais également les espoirs de justice.

 

 Sylvie Génot Molinaro

 

« Anthologie bilingue de la poésie latine » ; Sous la direction de Philippe Heuzé, Bibliothèque de la Pléiade, n° 652, 1920 pages, rel. Peau, 105 x 170 mm, Gallimard, 2020.

 

 

C’est l’amour de la poésie qui se trouve indéniablement célébré dans cette anthologie bilingue de la poésie latine embrassant deux mille ans d’histoire et de civilisation et qui vient de paraître dans la célèbre collection de la Pléiade. Dépassant le statut de langue officielle d’un empire auquel il survivra, le latin a su offrir des trésors que les responsables de cette édition de la Pléiade ont entendu recueillir en un seul volume de 1920 pages.
Les traducteurs sous la direction de Philippe Heuzé ont souhaité moins suivre les traditionnelles divisions en période afin d’aller avant tout à la source même du vers latin et ce qu’il a à exprimer. Cette alliance du latin et de la poésie dépasse ainsi, en ces pages, les périodes auxquelles les humanités nous ont habitués pour proposer un florilège plus subjectif et inspiré.
Les premières sources n’ont guère légué que le souvenir d’une poésie très tôt honorée avec Gallus (dont ne nous est parvenu que quatre vers), fondateur de l’élégie amoureuse, et célébrée dès Ovide. Virgile, Lucrèce, Vulcain, Ovide, Juvénal, Martial sont autant de noms incontournables de la latinité poétique… Si ces bribes laissées par ces classiques laissent forcément rêveur l’amoureux de la poésie latine songeant à tout ce qui a été perdu, leur témoignage contribue indubitablement à cette impression de fraîcheur et d’actualité d’une langue encore bien vivante.
Alors que la période latine classique s’avère fragmentaire à l’image des colonnes esseulées des forums, les témoignages qui ont pu nous parvenir seront, en revanche, nettement plus nombreux au Moyen Âge et à la Renaissance où cette permanence du latin nourrit encore les plus grandes œuvres, preuve que cette langue survivra brillamment malgré les vicissitudes historiques. Si la langue demeure, ses structures évoluent cependant sensiblement avec de nouveaux systèmes rythmiques, l’apparition de la rime, tout en conservant la métrique classique. C’est cette beauté de la langue qui viendra irradier l’inspiration de tous ces poètes jouant de la souplesse et de l’imprécision qu’elle autorise dans l’ordre des mots. Ces carcans libérés, la musicalité du vers peut dès lors se déployer pleinement avec le moins de contraintes possible.
Chaque traducteur de la présente édition a entendu s’inscrire dans ce délicat exercice de respecter à la fois ce libre jeu des mots, tout en transmettant l’inspiration initiale du poète. Par-delà ces impératifs de traduction, l’âme et l’esprit de ces textes ont conduit à des choix harmonieux et inspirés, chaque siècle entretenant un rapport fait d’admiration, tout en nourrissant parfois aussi des aspirations nouvelles. Les Latins puisent, à l’origine, allégrement dans la poésie grecque, la Renaissance aura, pour sa part, cœur de revenir à la période classique du Ier siècle avant notre ère, alors que le XIXe siècle redécouvrira le Moyen Âge… Ces liens ténus ajoutent à la richesse de cette poésie sans cesse renouvelée, puisant à l’incontournable Virgile pour lequel Dante nourrira l’admiration que l’on sait, inspirant à son tour de nouveaux vers… en une autre langue vulgaire florentine. Baudelaire verra lui aussi dans le latin les moyens d’enrichir encore son inspiration, ce latin du Bas Empire naguère qualifié de décadent, et qui viendra éclairer son poème « Franciscae meae laudes ».
Enfin, lorsqu’un poème de Pascal Quignard en latin fragmentaire vient conclure cette anthologie des plus inspirées, le lecteur se prête à espérer que la langue latine poétique aura encore de beaux lendemains, moins sombres de ceux du poète, et moins apocalyptiques que ce qui a pu être prédit !
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Rudyard KIPLING : " Puck, lutin de la colline et autres récits" ; broché, 1248 p., 132 x 198 mm, Collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, 2020.
 


Les amateurs de Kipling - ils sont nombreux – ne pourront que se réjouir de cette dernière et volumineuse édition consacrée à Rudyard Kipling établie par Francis Lacassin dans la fameuse collection Bouquins. Ce sont plus de 1200 pages de récits que pourra découvrir ou redécouvrir le lecteur ; des récits nourris de cet émerveillement et passion encore intacte du romancier, alors même que ce dernier s’était retiré dans la campagne anglaise après avoir vécu aux Indes, aux États-Unis et au Transvaal.
La magie de Kipling opère en effet dès ce premier récit « Puck, lutin de la colline ». Nous ne sommes plus dans la jungle, et au lieu et place de la panthère Bagheera, de Mowgli et du tigre mangeur d'hommes Shere Khan, c’est un lutin surnommé Puck qui semble tout droit hérité des mythologies celtiques et saxonnes… Ainsi que le faisait justement remarquer André Maurois : « Kipling, comme Hugo, comme Swift, comme Balzac est un grand phénomène naturel qui a maintenant sa place dans l’histoire des hommes ». Le génie de l’écrivain se saisit d’un cadre, certes, moins exotique, mais qui au tout début du XXe siècle (1906) distille par le filtre de la magie et de la fantaisie des traits de l’histoire de l’Angleterre.
Rédigées dans le Sussex, ces courtes histoires se nourrissent à la même veine, celle de la légende intriquée d’une certaine véracité plausible propre à l’univers des enfants. L’elfe Puck s’avère être l’un de ces témoins de l’Histoire, et par ses yeux, bien d’autres histoires prennent naissance, comme celles des légions romaines plus vraies que nature, alors que poésie et narration s’entrecroisent avec pure délectation pour le lecteur médusé. Cette exploration dans l’archéologie de la mémoire collective laisse pantois, un élément a priori ordinaire se métamorphose en autant de digressions imaginaires, tout en renforçant merveilleux et présent.
Mais, parallèlement à cet émerveillement encore intact, sourde aussi la douleur pour celui qui reçut, le plus jeune, le Prix Nobel de littérature en 1907. Kipling devient alors le témoin implacable du destin de l’Empire britannique dont l’effritement probable ne pouvait passer inaperçu sous sa plume. « La Lumière qui s'éteint » (The Light that Failed) parvient à se saisir du thème délicat de la douleur en évoquant la vie d’un peintre gagné par une cécité progressive. Le héros Dick Heldar connaît alors les affres du désespoir, la tristesse qui s’en dégage atteignant des sommets étonnants qui ne devaient pas être étrangers à leur auteur.
Contrairement à l’idée reçue et à tort trop répandue, Kipling peut et doit se lire à tout âge, et ce dernier volume paru dans la Collection Bouquins l’atteste merveilleusement.

Ce volume contient : Puck, lutin de la colline – Retour de Puck – La Lumière qui s’éteint – Histoires comme ça – Ce chien, ton serviteur – Stalky et Cie – L’Histoire des Gadsby – Les Yeux de l’Asie – Histoires des mers violettes – Souvenirs. Un peu de moi-même pour mes amis connus et inconnus.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

LOIN-CONFINS – de Marie-Sabine Roger - roman, Éditions du Rouergue, 2020.
 


« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver », écrivait René Char dans « La parole de l'archipel ». C'est cette phrase à la délicate vérité qui ouvre le nouveau roman de Marie-Sabine Roger connue, elle-même, pour la prose poétique de ses livres.
Ici, à la lisière de la poésie et de la « folie », celle décrétée par les organigrammes psychiatriques, Tanah, petite fille de 9 ans et dernière-née après trois frères, entretient une relation bien particulière avec un père fantasque ou poète, doux rêveur ou possible danger, selon les moments, qui lui conte l'histoire de sa famille... Un vrai secret. Est-il vrai, imaginé, fabulé, rêvé au plus profond d'un esprit « border Line » ? Pourquoi inventer cette histoire de famille qui emporte Tanah dans un monde si séduisant qu'il pourrait aussi la détruire lorsqu'elle s'apercevra que son père, roi de pacotille, danse sur un fil d'équilibriste prêt à rompre à n'importe quel moment. Et pourtant, Tanah le suit dans tous ses récits et y croit fermement toute son enfance. « C'est cela dont elle se souvient, la voix profonde de son père, ses cheveux grisonnants, ses épaules un peu maigres drapées dans son manteau de pourpre, le teint pâle, l’œil gris, rêveur et doux, posé sur l'horizon ou perdu au hasard dans les semis d’étoiles, les mains fines, soignées, ardentes, expressives. Des mains comme pinceaux, des ciseaux de sculpteur, des mains de dentellière appliquée aux fuseaux, et toute cette majesté qui émane de lui cependant qu'il décrit la vie de l'Archipel à sa fille Tanah et qu'il tisse pour elle, pour elle seule au monde, le fil dur et soyeux des généalogies ».
Dans cette relation exclusive, le reste de la fratrie est oublié, tout comme la mère de Tanah, elle qui ne porte à sa fille aucun amour maternel révélé. Ainsi, tout en regardant la Voie lactée, Tanah, le dos collé aux genoux de son père, l'écoute lui raconter l'histoire de son royaume perdu, Loin-Confins et de tout ce qui concerne cette île, archipel dans un océan bleu appelé Frénétique. « Son père lui invente enfance sauvage, avec pour garde-fou ce simple préalable : ils vivent en exil, ils ne régneront point ».
Mais, un jour tout bascule et la « vérité vraie » comme disent les enfants surgit aussi terrible qu'une tempête, « le monde de son père est un château de cartes, si personne n'y touche, il peut tenir mille ans. Un souffle, et il s'effondre. » Comment se protéger de ces sombres années durant lesquelles son si gentil fou de père ira vivre ailleurs, dans une maison de repos pour le dire pudiquement, qui n’est qu’autre qu’un asile ? Où aller lui rendre visite et jusqu’à quand ? Adulte Tanah se posera encore et encore la question en allant le plus possible voir son grand Roi au regard vague et perdu. Seule la possibilité de se remémorer tout le récit quasi mythique de cette improbable île de Loin-Confins aidera Tanah à rendre toujours vivantes les saveurs de l’enchantement que son vieux père lui a transmises... Alors chaque événement, chaque déception, trahison, joie et douleur auront cette couleur particulière qu'elle seule pourra percevoir.
C'est une belle histoire qui touche à l'imaginaire de chacun, un côté « Alice ou de l'autre côté du miroir » ou « Big fish » ou encore « Peter Pan », comme un joli conte où l'on aimerait se réfugier, et en être le prince, la princesse... Juste pour faire « comme-ci », un « on dirait que »...

 

Sylvie Génot-Molinaro

 

« Giono » ; Cahier de l’Herne, Collectif, 288 p.,

Éditions de L’Herne, 2020.

 


En cette année 2020 qui marque le cinquantième anniversaire de la mort du célèbre écrivain et poète Jean Giono, les éditions de l’Herne ont eu l’heureuse initiative de consacrer à ce grand nom de la littérature française un riche, foisonnant et dynamique Cahier sous la direction d’Agnès Castiglione et de Mireille Sacotte. Les fameux et attendus Cahiers de l’Herne ont fait choix pour ce dernier titre, mené en collaboration avec notamment Michel Gramain et Jacques Le Gall, d’appréhender Giono hors des sentiers battus, loin des habituels et surannés clichés l’ayant trop souvent et longtemps accompagné : « (…) évidemment fort loin de tout « régionaliste » ou d’un quelconque « retour à la terre », annonce d’emblée Agnès Castiglione dans son avant-propos. Car jamais tout à fait la Provence, jamais tout à fait les Alpes, c’est bien d’un imaginaire, poétique et singulier, inépuisable dont il s’agit lorsqu’on aborde l’immense œuvre de Giono, cet autodidacte nourri de littérature grecque, né à Manosque en 1895, et fils d’un cordonnier anarchiste au large cœur ; Une œuvre dès plus variées marquée par une perpétuelle oscillation entre le merveilleux et le terrifiant, mêlant, tel un magicien, tant l’enchantement que le désenchantement, et livrant un « Chant du monde » à nul autre pareil.
Mais comment appréhender une telle œuvre aussi diverse et immense rassemblant romans, récits, poèmes, essais, théâtre, journal, œuvres cinématographiques, préfaces et traductions sans oublier, l’homme lui-même ? C’est en 1929, après la liquidation de la banque dans laquelle il était employé que Giono décida de se consacrer à l’écriture. À partir de cette date, il ne cessera jamais plus ; ce sera « Colline » en 28, « Regain » et « Naissance de l’Odyssée » en 30… « Que ma joie demeure » en 1935, « Pour saluer Melville » en 1941, « Un roi sans divertissement » et « Noé » en 1947… « Le Hussard sur le toit » et « Le Moulin en Pologne » en 1951 et 52… Enchaînant succès sur succès, il connaîtra cette notoriété jamais démentie. Comment saisir dès lors un tel destin d’écrivain ?
C’est ce beau et incroyable défi que relève avec justesse ce Cahier de l’Herne. Fort de nombreuses et riches contributions, c’est en effet à un autre regard sur l’écrivain auquel nous convie ce volume. Appuyé de nombreux documents inédits et de signatures choisies, notamment celle de sa fille, Sylvie Durbet- Giono, mais aussi de Jacques Mény, président de l’Association des Amis de Jean Giono ou encore d’Henri Godart, Jean-Yves Laurichesse et Alain Tissut, tous professeurs et spécialistes de jean Giono, ce sont près de 300 pages qui s’offrent ainsi à la lecture avec en couverture ce sourire pipe aux lèvres de Jean Giono… Lui, fustigeant l’argent, l’armée et la ville, aimant plus que tout la terre, les espaces et la liberté ; Lui qui fut repéré par Jean Paulhan dès 1928, qui rencontra Ramuz, deviendra membre de l’Académie Goncourt, et qui fut l’ami d’André Gide et de tant d’autres... jusqu’à sa disparition en 1970. C’est notamment à ces grandes amitiés, celle de Gide mais aussi celle de Saint-Paul-Roux, auxquelles s’attache ce Cahier, après être revenu sur l’enfance, le siècle et la famille de l’écrivain, poète, essayiste, mais aussi traducteur, lui qui traduisit le premier en langue française avec Lucien Jacques Moby Dick de Melville en 1941.
Au gré de ces nombreuses contributions et documents, pour nombres inédits - carnets, brouillons, textes, archives, correspondances, mais aussi photos - c’est toute la force continue de la création de Giono qui se révèle au lecteur. L’espace, paysages, perspectives, les sensations, les personnages… Une création qui n’a eu de cesse de se renouveler laissant une immense œuvre marquée du sceau de tout l’imaginaire poétique du fabuleux conteur qu’il fut. « Une parole constante euphorique de la parole créatrice », souligne encore Agnès Castiglione dans son avant-propos. Une œuvre livrant tout à la fois un monde teinté de bonheur, d’eudémonisme, sensible et sensuel, mais également une narration complexe et une lucidité sombre où se glisse aussi parfois l’humour.
Un cahier de l’Herne ouvrant assurément « Sur les grands chemins » de la création de Giono et réservant au lecteur de bien belles surprises et inédits.
Et, en cette période difficile de fin de confinement, alors que les citadins rêvent de s’enfuir, et que tout à chacun rêve d’espace et de nature, quelle plus merveilleuse aventure que d’aller à la rencontre de l’auteur d’ « Un roi sans divertissement », l’un des plus grands écrivains du XXe siècle, Jean Giono, lui qui sut si bien saisir ces « Fragments de paradis ».

 

L.B.K.

 

André Suarès : « Vues sur l'Antiquité – Anthologie », Édition établie, présentée et annotée par Antoine de Rosny, Éditions Honoré Champion, 2020.
 


Il n’est pas exagéré de présenter les écrits d’André Suarès (1868-1948) comme consubstantiels de l’Antiquité. Flot incessant dans lequel l’écrivain saura puiser son œuvre, sans idolâtries, mais avec cette reconnaissance lucide d’un héritage incontestable. Antoine de Rosny a consacré sa thèse à cette culture classique d’André Suarès, aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait également réalisé cette anthologie rassemblant théâtre, poésie, mythologie, lieux, et autres essais signés par l’écrivain et partageant ce legs antique. André Suarès s’est toujours présenté comme un poète et un musicien avant tout, quels que soient ses talents d’essayiste qui ont forgé sa réputation. Et si l’histoire des lettres n’a retenu de cette plume prolixe que ses essais sur le talent des autres plutôt que les siens propres, il n’en demeure pas moins que ses aspirations et le soin apporté à son style participent de cet idéal de grandeur et de beauté forgé à l’antique, ainsi que le souligne Antoine de Rosny dans sa préface. Cette anthologie propose dès lors de découvrir ou redécouvrir aujourd’hui les vues de l’Antiquité esquissées en un style unique par André Suarès dans cette belle et nouvelle, celle des éditions Honoré Champion.
André Suarès se révèle être en effet en ces pages un peintre-portraitiste talentueux, dont l’acuité ne cesse de surprendre tel ce portrait d’Empédocle où la poésie prime : « Poète, il l’est avant tout, étant philosophe à la grande manière grecque : créateur d’un monde harmonieux ». Les traits saillants ne manquent pas pour ces portraits parfois incisifs, par exemple « cette blême araignée d’Auguste » ou encore « Rien ne coûte plus ce qui ne coûte rien » en évoquant les nombreuses dépenses occasionnées par les femmes de Salluste… Et alors que le lecteur s’attendrait à un portrait à charge pour le démoniaque empereur Caligula, une fascination certaine pointe dans cette évocation singulière où parmi les nombreuses turpitudes évoquées surgit un certain génie « sui generis » ! À l’opposé, saint Augustin ne trouve guère grâce à ses yeux : « Toutefois, Augustin analyse admirablement sa misère : à force de l’arroser et de la cultiver, il fait de sa pauvreté une espèce de richesse, et un trésor de toutes ses abdications ». Et si, selon lui, si la philosophie de saint Jérôme « est nulle », l’essentiel est qu’ « il ne pense pas, il croit, et tout est dit », à la différence d’Augustin, qui selon lui, est une « écluse à un flot d’homélies » !
La sagacité des traits d’André Suarès est incontestable même si ces jugements peuvent être discutables et discutés par le lecteur, ce qui n’est pas le moindre de leurs mérites. Car, en effet, André Suarès ne polit pas les sujets qu’il appréhende, tendance malheureusement trop fréquente de nos jours, et si cet esprit libre et critique s’implique – même jusqu’à l’excès parfois – c’est pour mieux susciter une réaction de son lecteur. Et ô combien il y parvient, à ravir !
L’Antiquité chez Suarès n’est pas une affectation et encore moins une coquetterie d’écrivain qui soignerait ses humanités, elle préside et structure à un grand nombre d’analyses et de jugements même lorsque l’actualité de son siècle se fait la plus urgente. Ces « Vues sur l’Antiquité » demeurent pour Suarès plus urgentes que jamais, et loin de tout passéisme, elles renouent avec le fil du temps ; Un fil des siècles que certains avaient pensé rompre au nom de la modernité, bévue que nous n’avons nous-mêmes peut-être pas fini de payer…

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Georges Borgeaud : "Lettres à ma mère (1923-1978)", , 12 x 19,5 cm , 43 pages d'ill. en noir et blanc et 16 en couleur, 800 p., Editions Bibliothèque des Arts, 2014.

 


L’acuité et la sensibilité de l’écrivain suisse Georges Borgeaud trouvent certainement leurs racines dans les relations bien particulières qu’il entretint toute sa vie avec sa mère. La correspondance avec cette dernière et réunie dans ce volume sous le titre « Lettres à ma mère » publié par les éditions La Bibliothèque des Arts couvre une période allant des années de jeunesse de Georges Borgeaud, dès 1923, jusqu’à la mort de sa mère, Ida, en 1978. Cette dernière avait imposé à son jeune fils – né d’une union hors mariage – de l’appeler « Tante Ida », s’étant mariée par la suite et ayant honte de cet enfant devenu dès lors à cacher. Abandonné, placé de famille en famille, pensions et autres institutions, Georges Borgeaud a toujours souffert de cette relation contre nature, comme avant lui Paul Léautaud. Nourrissant un sentiment ambivalent mêlé de tourments et d’amour bridé, cette relation douloureuse a directement façonné et ciselé d’angles saillants, et parfois tranchants, le style de l’écrivain, sensible avant l’heure à tout ce qu’il l’entourait. Il faut dire que cette mère – très belle de l’avis général – avait de quoi dérouter. Lorsque son fils sera devenu adulte, elle répugnera alors à arpenter certains lieux publics de Lausanne de peur qu’on ne le prenne pour un « gigolo » à son bras selon ses propres termes… Son fils lui rendra d’ailleurs ses délicates attentions en avouant : « J’avais horreur de ses baisers […] ». Georges Borgeaud n’a jamais caché que sa vocation d’écrivain s’était nourrie à ce lien familial tragique qui lui a appris très tôt ce sens de l’observation, cette acuité aux détails, aux vies fragiles et blessées, une hypersensibilité omniprésente dans ses œuvres. Les lettres de Borgeaud trahissent ce malaise douloureux et sourd, qu’il s’agisse d’une orthographe incertaine, de même que cette culpabilité récurrente quant aux frais occasionnés par ses études. Nul étonnement alors à ce qu’au détour d’une lettre, nous apprenions qu’il ait cherché à entrer dans les ordres monastiques pour y trouver une nouvelle famille, ce qu’il déclinera quelque temps plus tard, comme une fatalité à ne pouvoir s’engager en des liens durables. L’écrivain avait confié en une tragique lucidité : « … je me demande si jamais franchise entre nous a existé. Toutes mes lettres à elle ont toujours été rédigées hypocritement. De son côté, sans doute aussi ? » Le drame se joue alors, lettre après lettre, sur fond de dissimulations, reproches couvés, humiliations gravées à jamais dans le cœur d’un homme qui ne parvient pas avec les années à les dépasser. Il faut avouer que la délicatesse n’est décidément pas au rendez-vous lorsque le fils demande à sa mère l’heure de sa naissance pour établir un horoscope et que celle de lui répondre cyniquement : « Je n’en sais rien. Regarde ton extrait de baptême. Je ne me souviens pas des mauvais souvenirs »… Le quotidien envahit la correspondance de celui qui n’est pas encore l’écrivain consacré, les années de vache maigre en tant que libraire chez Payot, les chambres de fortune, la nostalgie du pays, la guerre qui gronde autour de la Suisse épargnée. Des amitiés se nouent également avec des noms qui compteront pour l’écrivain : Jean Tardieu, Louis Parot, René de Solier et bien d’autres encore… La vie parisienne occupe de plus en plus de place avec la reconnaissance croissante de l’écrivain qui perce au fil de ces lettres, lettres qui restent cependant toujours embarrassées, hésitant entre confessions, reproches et conventions. Avec les années de maturité, si le ton semble plus apaisé, le volcan sourd toujours, prêt à de nouvelles éruptions. Les dernières missives seront brèves, nourries encore de bien de sous-entendus. Jamais le mot « Correspondance » n’aura été aussi équivoque quant au lien épistolier entretenu par Georges Borgeaud avec sa mère.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 


 

 

BEAUX LIVRES

et CATALOGUES D'EXPOSITION

 

« Poésies d’Emily Dickinson – Illustrées par la peinture moderniste américaine » ; Edition bilingue anglais/français ; Traduction et notes de Françoise Delphy ; Préface de Lou Doillon ; Direction scientifique de l’iconographie et introduction d’Anna Hiddleston ; Relié sous coffret illustré, 412 pages, 24.5 x 33 cm, Editions Diane de Selliers, 2023.
 


Quel plus grand plaisir que de retrouver la poésie d’Emily Dickinson dans cette magnifique édition illustrée par les plus grands artistes de la peinture moderniste américaine de la première moitié du XXe siècle. Quels artistes pouvaient, en effet, mieux dialoguer avec l’une des plus grandes poétesses américaines du XIXe siècle ? À cette poésie empreinte à la fois de légèreté et de profondeur, d’audace et de mélancolie, d’irrévérence et d’éternité, c’est effectivement avec la même musique, rythmes, mais aussi silences que viennent répondre ces immenses paysages, l’éternité de ces ciels et larges horizons dans ce bouleversement des couleurs… Des œuvres signées, ici, par plus de 60 artistes américains dont Edward Hopper, Charles Burchfield, Georgia O’Keeffe ou encore Charles Burchfield dont l’aquarelle « Butterfly Festival » aux milles papillons multicolores offrent un écrin de choix pour le coffret de cette édition d’exception : « Au nom de l’Abeille – / Et du Papillon – / Et de la Brise – Amen ! ».

 

Rockwell Kent, « Azopardo River », 1922,

huile sur toile, 86,7 × 111,8 cm The Phillips Collection, Washington


Une poésie de lumière et d’ombre, ainsi que le souligne dans son avant-propos l’éditrice Diane de Selliers : « L’aube, le crépuscule, la vie et la naissance, les saisons, les vagues de l’âme, la mort, l’aspiration à l’éternité. » Le lecteur retrouvera, en effet, dans ce dialogue œuvre / Poésie toute l’irrévérencieuse sensibilité et modernité de la poésie d’Emily Dickinson dans un choix de pas moins de 162 poèmes présentés en anglais et traduits pour cette édition avec cette même sensibilité par Françoise Delphy, spécialiste d’Emily Dickinson. Un merveilleux et fructueux dialogue que relève d’emblée Anna Hiddleston dans son introduction « Des mots à la peinture : Emily Dickinson et le modernisme américain ».

 

Georgia O'Keeffe, Grey Blue and Black - Pink Circle, 1929,

 huile sur toile, 91.4x121.9 cm, Dallas museum of art, Dallas
 

Au fil des pages, c’est en effet toute l’émotion de l’univers d’Emily Dickinson que le lecteur ressentira ; cette étrange intensité que traduisent les majuscules intempestives, les tirets et les merveilleux vers courts mêlant légèreté et d’éternité de cette poétesse dont nous connaissons en fait si peu de choses, relève encore Diane de Selliers : « Tant de mystères planent sur la vie et la personnalité d’Emily Dickinson, femme hors du commun recluse dans la petite ville de Amherst à l’ouest de Boston, dans le Massachusetts, où elle mourut en 1886… ».

 

Edward Hopper, Railroad Sunset, 1929, huile sur toile,

74.5x122.2 cm, Whitney museum of American art, New York
 

C’est un monde singulier, une vision propre à elle seule que nous offre, en effet, Emily Dickinson, mais qui paradoxalement résonne et trouve cet étrange écho en chacun de nous… « C’est comme si je demandais l’Aumône, / Et que dans ma main étonnée / Un Étranger mettait un Royaume / et que j’en sois abasourdie - / C’est comme si je demandais à l’Orient / s’il y avait un Matin pour moi / Et qu’il lève ses Digues de pourpre / Et me fracasse l’Aube ! »
Ainsi que le note Lou Moillon en sa préface : « Lire Emily Dickinson, c’est découvrir un monde auquel on n’a pas accès, qu’on a le sentiment d’avoir connu, d’avoir perdu, un éden duquel nous avons été bannis. »

 

 

“ Werner Bischof - Unseen Colour » ; Edition établie par Ludovica Introini and Francesca Bernasconi; Version anglaise, 184 p., 102 illus. couleur, 21 x 24 cm, en collaboration avec MASI Lugano et Fotostiftung Schweiz, Winterthur, Scheidegger & Spiess, 2023.
 


Les éditions Scheidegger & Spies offrent avec le présent volume consacré au grand photographe suisse Werner Bischof (1916-1954) un aperçu représentatif et complet de son travail allant de la photographie de mode jusqu’aux prises de vue des plus déshérités, sans oublier ses fameux reportages en noir et blanc d’après-guerre et guerre d’Indochine… L’ouvrage réalisé avec soin met en avant ses premières photographies couleur pour lesquelles le photographe aborde un autre aspect de son œuvre où pointent les meurtrissures de l’après-guerre, mais aussi quelques rayons de couleurs au détour d’un champ ou d’une encadrure de porte… Bischof dans ses négatifs laisse percevoir à la fois un monde en dévastation mais également toutes les espérances d’un lendemain meilleur.

 


La photographie de mode, bien sûr, est annonciatrice d’un monde que le photographe ne connaîtra pas (il disparaît en 1954) mais dont ses œuvres sont la préfiguration en jouant des effets de cadrage et de luminosité sortant du classicisme et saturant avant l’heure les couleurs. L’ouvrage est éclairé par de passionnantes études signées Clara Bouveresse, historienne de la photographie française, Peter Pfrunder, directeur du Fotostiftung Schweiz à Winterthur, et Luc Debraine, directeur du Musée de la caméra suisse à Vevey.

 

 

Le lecteur pourra ainsi découvrir la manière dont le photographe avait recours à divers types d’appareils ainsi que leurs différentes techniques. Mais l’ouvrage séduira également pour ces univers à jamais révolus, des témoignages sensibles d’une époque en transition et que Bischof sut saisir avec une rare acuité artistique à la fois remarquable et inoubliable.

 

« Zao Wou-ki – Catalogue raisonné des peintures – Volume II – 1959-1974 », Co-édition Fondation Zao Wou-ki / Editions Flammarion, 2023.
 


On ne peut que souligner et se réjouir de la parution du deuxième volume du catalogue raisonné des peintures – 1959-1974 - de Zao Wou-ki sous la direction de Françoise Marquet-Zao et Yann Hendgen. Un volume plus qu’attendu depuis 2019, date de parution du premier volume couvrant les années 1935 à 1958. Absolument splendide, avec une iconographie exceptionnelle qu’exigeait assurément la création du célèbre artiste chinois, ce beau livre offre en première partie un riche corpus des œuvres de cette période accompagné de fructueuses contributions signées notamment Melissa Walt, Yann Hendgen, directeur artistique de la Fondation Zao Wou-Ki, ou encore Stephen Chao, neveu de l’artiste. Des textes offrant pour chaque période de 1959-1974 des éclairages passionnants et parfois inédits.
1959-1974, quinze années marquées par la reconnaissance internationale de l’artiste et durant lesquelles « s’exprimant désormais dans un langage pictural cohérent et mature, élaboré au cours des décennies précédentes, il occupe une position stable sur la scène mondiale. », écrit Ankeney Weitz dans sa préface. Âgé de 40 ans, marqué par la rupture avec sa première femme et rentrant d’un tour du monde, c’est en effet la reconnaissance qui désormais l’attend dans son nouvel atelier de Paris.
Ce sont des œuvres exceptionnelles que cet ouvrage donne à voir, souvent sur de pleines pages ; des œuvres puissantes tels cet « Hommage à Henri Michaux » de 1963 ou encore cette toile de 1973, « Hommage à René Char ». Des toiles dans lesquelles l’énergie semble capturée non seulement à jamais, mais à l’infini. Zao Wou-Ki dira n’avoir maîtrisé la peinture à l’huile que dans ces années 1960… Reste que l’artiste n’aura eu de cesse de chercher cette vision métaphysique du monde propre à lui, faite de souffle, de vibrations et de poésie… Une œuvre qui fera de Zao Wou-Ki l’un des plus grands représentants de l’abstraction.

 

« Louis Lagrenée (1725-1805) » de Joseph Assémat-Tessandier, Editions Arthéna, 2023.
 


Le peintre français Louis Lagrenée couvrant de son art tout le XVIIIe siècle fait l’objet d’une belle publication aux éditions Arthéna sous la plume de Joseph Assémat-Tessandier, auteur lui ayant consacré une thèse remarquée. Il fallait, il est vrai, une monographie captivante afin de mieux faire connaître cet artiste souvent injustement méconnu et pourtant à la belle carrière officielle, peintre d’Histoire, reçu à l’Académie royale et directeur de l’Académie de France à Rome. C’est ainsi vœu exaucé !
Louis Lagrenée connaîtra, en effet, un parcours « classique » avec un Prix de Rome en 1749 et plus de 150 tableaux présentés au Salon du Louvre de 1755 à 1789. Cette carrière florissante en tant que peintre, mais aussi décorateur et portraitiste s’inscrivit dans le mouvement rococo qui s’imposa sous le règne Louis XV et qui se caractérise par son raffinement et ses thèmes de prédilections pour les sujets galants et autres évocations pastorales. Le classicisme et l’antique tiennent, cependant, également une place importante dans l’œuvre de l’artiste où portraits, scènes mythologiques et autres allégories sont l’occasion pour ce dernier de déployer son art à la fois délicat et raffiné ainsi que le lecteur pourra le constater et l’admirer dans ces pages avec des œuvres notables telles « Les Amours de Psyché et de Cupidon » ou encore « Mars et Vénus ».
Soulignons encore que le rayonnement de Louis Lagrenée dépassera largement les frontières du royaume pour s’élargir jusqu’à la Cour de Russie où l’artiste connaîtra également la consécration en devenant le peintre officiel de la tsarine Catherine II. Sa longévité le portera à peindre jusqu’au terme de sa vie et à transmettre son art à de jeunes générations d’artistes.
Surtout, et ainsi qu’il ressort de ce riche ouvrage exhaustif, de nouvelles et belles découvertes ces dernières années d’œuvres considérées comme perdues, mais aussi des études préparatoires et autres carnets de croquis ont permis de préciser et d’augmenter encore l’ampleur de son catalogue.
Artiste à la renommée internationale et emblématique du XVIIIe siècle, Louis Lagrenée compte assurément parmi les artistes majeurs de ce siècle et cet ouvrage permettra au lecteur d’en apprécier toute la richesse notamment grâce à une iconographie remarquable accompagnant un catalogue complet.

 

« Le Lin, fibre de civilisation(s) » sous la direction d’Alain Camilleri, Editions Actes Sud, 2023.
 


Voici un bel hommage rendu au lin, cette plante également synonyme du fil et du tissu auxquels elle donne naissance après un long processus de culture et de techniques. Comment cette frêle plante aux teintes bleutées si caractéristiques en plein cœur de l’été dans nos campagnes a-t-elle plus se frayer un tel chemin au fil des millénaires et des civilisations ? C’est le sujet de ce livre aussi beau qu’informé grâce à la collaboration des meilleurs spécialistes sur la question. À l’heure des multiples questionnements sur une agriculture raisonnée, le lin occupe une place de choix tant ses multiples vertus font de lui une plante d’avenir. Et pourtant, son histoire ne date pas d’hier si l’on songe à son importance déjà dans l’économie égyptienne pharaonique. Chaque pan de l’histoire a su tisser un maillage séré avec le lin ainsi que le découvrira le lecteur dans ces pages allant de la préhistoire jusqu’à nos jours. Mais cet ouvrage ne se veut pas qu’une seule histoire du lin – ce qu’il offre déjà avec réussite – mais entend aussi livrer une réflexion actuelle sur l’engouement que le lin suscite auprès des créateurs, stylistes et designers sans oublier l’art de vivre qu’il véhicule. Un bel ouvrage informé et captivant retraçant les enjeux que cette petite plante dénommée le lin n’a pas fini de susciter !
 

 

« Noël Coypel - Peintre du roi » sous la direction de Guillaume Kazerouni & Béatrice Sarrazin, 28 X 24 CM, 352 p., Snoeck éditions, 2023.
 


C’est au peintre du XVIIe siècle, quelque peu tombé dans l’oubli, Noël Coypel qu’est consacrée cette vaste somme aux éditions Snoeck à l’occasion des expositions qui lui sont consacrées au Château de Versailles et musée des Beaux-Arts de Rennes. Ainsi que le relève en préface Laurent Salomé, Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon : Si Coypel fut négligé, ce n’est cependant ni en raison d’un talent médiocre, ni d’un rôle secondaire dans les chantiers monumentaux entrepris durant le règne du Louis XIV qu’il servit fidèlement. Il fut, il faut l’avouer, injustement éclipsé par Le Brun et peu aimé de Mansard. Son style bien différent de ses contemporains tout en s’inscrivant dans l’air du temps, celui de à l’école de Bologne et de l’influence du grand maître Nicolas Poussin, n’est pourtant pas dénué de paradoxes et de singularité, ainsi qu’il ressort de la lecture de ce riche ouvrage collectif réalisé sous la direction des spécialistes de Coypel, Bénédicte Sarrazin et Guillaume Kazerouni, également co-commissaires des expositions.
En retraçant, en premier lieu, le cercle du peintre académique et ses années de formation, le catalogue souligne l’héritage du paysage bolonais – et ses couleurs – ainsi que l’influence de Charles Errard qui repèrera rapidement le talent et la propension du jeune artiste à s’inscrire dans la politique de grands décors du Grand Siècle. Ainsi vont se succéder de grandes commandes auxquelles Coypel participera activement : le parlement de Rennes avant de s’illustrer par les grandes réalisations des différentes demeures royales (Tuileries, Versailles, Meudon…) que Béatrice Sarrazin analyse dans le détail de ces pages.
La dimension religieuse fait l’objet également d’une section passionnante sous la plume de Guillaume Kazerouni avec une impressionnante série d’œuvres développant un traitement original de la transcendance tout en s’inscrivant dans des critères formels traditionnels.
Le catalogue se termine par une section consacrée à une part méconnue et néanmoins importante de l’artiste à la manufacture des Gobelins, Coypel ayant également consacré son art à celui de la tapisserie avec des cartons et maquettes somptueux analysés par Clara Terreaux et Arnaud Denis. Enfin, Guillaume Kazerouni vient conclure cette somme indispensable à la compréhension de Noël Coypel avec des pages dédiées aux dernières années de sa vie, années qui malgré les relégations seront marquées par des œuvres brillantes et loin d’être mineures faisant de cet artiste une personnalité bien singulière et d’une longévité artistique exceptionnelle.

 

« Passion Partagée - Une collection d’art africain constituée au XXIe siècle », Bruno Claessens, Michel Vandenkerckhove , Didier Claes, Hughes Dubois (photography) ; Relié, 384 p., 31 x 28 cm, Fonds Mercator, 2023.
 

 

L’art africain fait l’objet ces dernières décennies d’une exploration et belle mise en valeur tendant à lui restituer toute sa richesse et ses multiples variations. Car l’appellation même au singulier « d’art africain » demeure encore bien trop réductrice ainsi qu’en témoigne ce somptueux livre d’art paru aux éditions Fonds Mercator et réalisé par Bruno Claessens, Michel Vandenkerckhove , Didier Claes et Hughes Dubois pour la photographie. La rencontre de passionnés, celle du collectionneur Michel Vandenkerckhove et du marchand d’art Didier Claes, a en effet donné naissance à cet ouvrage servi par une iconographie remarquable signée en noir et blanc par Hughes Dubois. Les œuvres dialoguent entre elles, une conversation qui n’aurait pas déplu à un certain André Malraux…

 


Si les traces écrites de la culture africaine font souvent défaut, les multiples œuvres d’art ainsi présentées et qui ont su tant inspirer les artistes au début du siècle passé forment le musée témoin de la grandeur de ces civilisations pour nombre d’entre elles disparues. Ces quelque deux cents objets réunis dans ce livre d’art révèlent en effet au-delà de la collection d’Anne et Michel Vandenkerckhove les richesses encore insoupçonnées du continent africain, au-delà des clichés encore trop présents des arts dits « traditionnels ».

 

 

Cette statue Mumuye en bois du Nigeria à l’équilibre parfait, cette figure de reliquaire Mahongwe en bois et métal du Gabon à l’ovalité matricielle renvoient aux notions les plus sacrées de ces civilisations dotées d’une si riche cosmographie. Les masques, les fétiches sans oublier les sublimes sculptures des Lega de l’est de la République du Congo manifestent non seulement la dextérité de leurs artistes mais témoignent également de la richesse de la pensée symbolique africaine. Raffinement artistique et mythologies constitutives se conjuguent avec un rare bonheur au fil des pages de cette collection inspirée.

 

« Portraits : architectural parables » de François Charbonnet et Patrick Heiz, 656 pages, Editions Park Book, 2023.
 


Première parution consacrée au célèbre cabinet d’architecture Mad In, cet ouvrage signé François Charbonnet et Patrick Heiz, les fondateurs, devrait être fortement salué, et ce à plus d’un titre !
En premier lieu, « Portraits : architectural parables » offre une mise en perspective originale des idées et perceptions en matière d’architecture et de design au fil du temps ayant influencé ou orienté les nombreux projets et réalisations du célèbre cabinet d’architecture et design suisse. L’ouvrage est, en effet, parti du postulat que tout projet repose avant tout sur les pensées ou perceptions visuelles l’ayant précédé. Ce sont ces extraordinaires métamorphoses qu’ont souhaité retracer les auteurs et fondateurs, François Charbonnet et Patrick Heiz, au travers de multiples et riches thèmes porteurs.
Aussi n’est-il pas étonnant, en deuxième lieu, que « Portraits : architectural parables » offre une extraordinaire iconographie des plus variées mariant plans, photographies et célèbres toiles en passant même par des extraits de la Recherche ! L’ouvrage de plus de pages 650 fait appel et s’appuie, en effet, sur une incroyable documentation et information issues aussi bien de projets architecturaux, de l’histoire de l’art, de la littérature ou encore de notre cadre vie au quotidien…
Surtout, à la lecture de ce fort volume, à la présentation, reliure et format allongés, sobres et originaux, le lecteur découvrira l’ensemble ou plutôt la méthodologie et process de penser protéiformes retenus par le célèbre cabinet d’architecture et design suisse Made In. Refusant tout système fermé et approche exhaustive, l’ouvrage a fait choix de donner à lire une façon de penser et de concevoir foisonnante et des plus fécondes. Une approche et méthodologie de conception que François Charbonnet et Patrick Heiz ont su développer et transmettre dans leur enseignement au Département d'architecture de l'ETH Zurich ainsi qu’à l'Accademia di architettura de Mendrisio.
Pour toutes ces raisons, cet original, riche et fertile ouvrage devrait retenir l’attention de plus d’un professionnel ou curieux et figurer au titre de livre de référence dans toute bonne bibliothèque !

 

« Chess Design » de Romain Morandi, Norma Editions, 2022.
 


Véritable hommage esthétique au noble jeu dont les origines se perdent dans la nuit de temps, « Chess design » présente une documentation exceptionnelle sur le jeu d’échecs avec près de 300 échiquiers parmi les plus précieux ou célèbres. En couvrant de manière exhaustive plus d’un siècle de création de l’Art nouveau dès 1895 à l’an 2000, Romain Morandi, historien de l’art et propriétaire de la galerie portant son nom, signe un ouvrage que ne pourra que faire date. L’ouvrage présente en effet l’évolution des formes et des designs de ce jeu réunissant un échiquier et 16 pièces par joueur de formes aussi variées que celle de la créativité des artistes présentés en ces pages. Chess Design fait ainsi la preuve que l’art a su s’inviter dans cette pratique souvent jugée élitiste jusqu’au siècle dernier et qui par sa démocratisation a autorisé une multiplicité des formes et même des couleurs dans un univers pourtant singulièrement codifié. Ainsi que le relève Romain Morandi dans sa préface : « l’échiquier symbolise la prise de contrôle, non seulement sur des adversaires et sur un territoire mais aussi sur soi-même ».
Fort de ces enjeux, les plus grands artistes allaient s’emparer de cette discipline mondialisée et souvent représentée par des personnalités qui deviendront des stars. Bois, verre et céramique se verront compléter par des matériaux inusuels en ce domaine tels l’acier, le plastique et même des matériaux composites, sans parler bien entendu du numérique. Les plus grands noms de l’art et du design laisseront le témoignage de leur créativité, on pense bien entendu à Marcel Duchamp et Man Ray, mais aussi Calder, Vasarely, et plus proche de nous Damian Hirst.
Les passionnés d’échecs ou amateurs de beaux objets jetteront assurément leur dévolu sur cette mine d’information aussi plaisante à regarder grâce à sa riche iconographie que passionnante à lire !

 

« HIROSHIGE - Les éventails d'Edo - Estampes de la collection Georges Leskowicz » ; Textes de Christophe Marquet avec la collaboration de Toshiko Kawakane ; Fondation Jerzy Leskowicz ; 288 p., 198 illus., 35 x 24 cm ; Reproduction des estampes au format d’origine, In Fine Éditions, 2022.
 


Le maître de l’estampe japonaise Hiroshige (1797-1858) est passé à l’immortalité depuis le milieu du XIXe siècle pour son habileté à saisir tout aussi bien des paysages qui l’ont rendu célèbre que de courtes scènes que nul autre artiste ne réussira à concurrencer. Les estampes pour éventails constituent une part souvent méconnue et plus rare de l’œuvre de ce grand artiste. Aussi est-ce avec curiosité et plaisir que le lecteur pourra découvrir cet ouvrage paru aux éditions In Fine consacré aux éventails d’Hiroshige dits « d’Edo » offrant de magnifiques reproductions d’estampes au format d’origine.
Ce livre d’art restitue toute la magie des éventails plats en bambou (uchiwa) du dernier imagier d’Edo avec cette habileté à se saisir d’infimes scènes, règne de l’éphémère si cher à l’esprit japonais. Ces estampes faisant partie de la collection Georges Leskowicz sont présentées en ces pages pour la première fois par Christophe Marquet et Toshiko Kawakane, ces spécialistes replaçant ici ces œuvres précieuses et rares dans le contexte de l’histoire de la gravure pour éventails au Japon.
Que l’on retienne la lecture savante proposée par ces auteurs ou bien une découverte au fil des pages en un plaisir purement esthétique, le lecteur appréciera le raffinement du trait, l’équilibre toujours saisissant des couleurs, cette habileté à suggérer un quotidien transcendé par la beauté de la nature en autant de scènes délicatement composées…
Si nous pensions bien connaître l’œuvre du grand maître de l’estampe japonaise de la première moitié du XIXe s., cet ouvrage se chargera de manière esthétique de nous faire la preuve du contraire !

 

« African Modernism - The Architecture of Independence. Ghana, Senegal, Côte d'Ivoire, Kenya, Zambia » ; Sous la direction de Manuel Herz avec Ingrid Schröder, Hans Focketyn and Julia Jamrozik ; Photographies de Baan et Alexia Webster ; 640 pages, 23,5 x 32 cm, 2nd édition, Park Books 2022.
 


Rapidement épuisé après sa sortie en 2015, cet ouvrage consacré à la modernité africaine fit l’objet d’un accueil unanime et reçut de nombreuses récompenses : Lauréat du FILAF d'or, premier prix des meilleurs livres sur l'art en 2015 au FILAF (Festival international du livre et du film d'art), désigné également comme étant l’un des plus beaux livres suisses de 2015, lauréat du DAM Architectural Book Award 2016… Cette reconnaissance justifiait ainsi une nouvelle édition sur un sujet souvent méconnu et donnant à lieu à bien des réductions postcoloniales. Car, ainsi que le démontrent les auteurs de cette somme remarquable, le continent africain recèle des trésors d’architecture des années 50 et 60, période clé de son histoire caractérisée par l’accès à l’indépendance de la plupart de ces États.
Contrairement à l’idée reçue, ces pays et notamment ceux faisant l’objet de ces analyses – à savoir le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Kenya et la Zambie – ont su exprimer leur identité par des créations architecturales d’envergure. Ce modernisme africain s’est ainsi manifesté de la manière la plus créative qui soit par des bâtiments aussi ambitieux que talentueux, point de rencontre entre ce nouvel élan et les cultures locales. Les auteurs présentent et analysent dans ces pages abondamment illustrées une centaine de réalisations avec leur descriptif, images, plans de sites et d’étage. Les prises de vue réalisées par Iwan Baan et Alexia Webster sont pour la plupart d’entre elles récentes et permettent de se faire une idée du projet initial sans pour autant en masquer leur état actuel, souffrant souvent de l’épreuve des temps à l’image de biens de nos édifices occidentaux…
Véritable somme consacrée à l’urbanisme et l’architecture postcoloniaux, « African modernism » fait entrer de plain-pied le lecteur dans un univers foisonnant de créativité ne donnant qu’une envie, celle de découvrir ces réalisations sur site !

Les auteurs :


Manuel Herz dirige son propre studio de design et d'urbanisme à Bâle et à Cologne. Il est professeur assistant à l'Université de Bâle. Ingrid Schröder est architecte et directrice du programme MPhil en architecture et design urbain à l'Université de Cambridge. Elle a été nommée directrice de l'École d'architecture de l'Architectural Association à Londres en mai 2022 et assumera ce poste en août 2022. Hans Focketyn dirige sa propre agence d'architecture à Bâle et enseigne en tant que professeur à l'école d'architecture, de bois et de génie civil de l'Université des sciences appliquées de Berne à Berthoud, en Suisse. Julia Jamrozik est architecte et professeure adjointe à l'École d'architecture de l'Université de Buffalo à Buffalo, NY. Conçu par Marie Lusa.

 

« Jean Bardin (1732-1809), le feu sacré » ; Catalogue sous la direction d’Olivia Voisin, 304 p., Editions Le Passage, 2022.
 


Le présent catalogue publié par les éditions Le Passage propose au lecteur une découverte, celle d’un peintre du XVIIIe siècle trop souvent injustement méconnu, et pourtant auteur de nombreuses œuvres d’art déterminantes à la veille de la Révolution. Accompagnant l’exposition du musée des Beaux-Arts d’Orléans, cet ouvrage nous fait entrer au cœur même de la création artistique en cette fin du XVIIIe siècle dans le contexte des Lumières et d’un Ancien Régime qui s’estompe. Jean Bardin, peintre de talent et reconnu à son époque sait également dispenser son art au plus grand nombre, notamment dans le cadre de l’École gratuite de dessin à Orléans alors qu’il avait atteint l’âge de 53 ans. Ce pédagogue hors pair, ainsi que le souligne les nombreuses études que le catalogue réunit, sut en effet transmettre non seulement l’art de la peinture d’histoire que nous retrouvons dans les nombreuses reproductions couleur qui ornent avec bonheur cet ouvrage, mais également de magnifiques évocations d’art sacré dans lequel le peintre excellera également. Remportant le prix de Rome, Bardin dont le goût assuré correspond aux standards de son époque saura aussi réaliser des toiles prestigieuses telle sa grande œuvre, le cycle monumental des sept Sacrements pour la chartreuse de Valbonne, dans le Gard. Virtuosité, précision du trait et magnificence de la couleur dans l’esprit de Nicolas Poussin qu’il vénéra sa vie durant caractérisent l’art de Bardin ainsi qu’il ressort de ce riche catalogue qui aura entre autres mérites – et non des moindres - de rappeler la mémoire d’un peintre qui inventa un nouveau langage préfigurant le siècle à venir.

 

Jean-David Jumeau-Lafond : “Martine de Béhague, une esthète à la Belle Époque”, Flammarion, 2023.
 


Le Nirvana, yacht privé de Martine de Béhague, 80 m de long, a sillonné les mers lointaines afin d’assouvir cette soif d’absolu qui anima toute sa vie cette richissime collectionneuse d’œuvres d’art. On prêtait à la Comtesse Martine d’acquérir une œuvre d’art par jour au temps de la Belle Époque… Cette passion remonte à loin, sa mère comme son père ayant eu également un goût de la beauté, legs précieux pour leur enfant. Tout est objet, pour cette femme curieuse et intrépide, de découvertes au fil de ses multiples voyages : tableaux, archéologie, bibliophilie, architecture… La Méditerranée formera notamment l’un de ses champs de recherche, avec une attirance certaine pour l’antique. Tout en connaissant les grands de ce monde, artistes et écrivains tels Henri de Régnier, Marcel Proust ou encore Paul Verlaine, cette personnalité atypique cultivait les contrastes. Éprise de beauté, elle aimait à préserver sa solitude et appréciait par-dessus tout un cercle restreint d’habitués. Cette quête d’esthète constituait la raison même de sa vie ainsi que le souligne Jean-David Jumeau-Lafond. Peut-être a-t-elle recherché dans ces œuvres d’art ce qu’elle n’avait su préserver de son mariage qui fut un échec ? Sa fantaisie la poussait à chérir cette liberté qui devait primer sur tout, et sa curiosité s’étendait à un large registre de créations, sans pour autant être une collectionneuse invétérée. Son hôtel particulier rue Saint-Dominique était le symbole de ses multiples attirances et abritait différents salons consacrés à ses nombreuses passions où l’antique se disputait aux beaux arts. Son rapport aux œuvres n’était pas celui du spécialiste, mais relevait plus d’une quête d’absolu jamais atteint. Ainsi que le relève Valentine de Ganay en préface, Martine de Béhague n’a jamais cessé de faire des choix très personnels, qualifiés pour certains d’éclectisme, choix qui pourtant ont composé un ensemble certes subjectif mais qui a cependant rejoint celui des grands passionnés de l’art depuis l’aube des temps. Cet ouvrage refait vivre cette véritable odyssée grâce aux très nombreux documents inédits réunis par la sagacité de l’historien de l’art Jean-David Jumeau-Lafond, une pérégrination aux multiples visages qui ne pourra que susciter la curiosité et l’intérêt du lecteur.

 

« Martine Martine » Yves Gagneux – Catalogue raisonné tome II, 24,5 x 31 cm, 280 pages, Éditions du Regard, 2022.
 


Avec ce deuxième tome paru aux éditions du Regard, Yves Gagneux, conservateur général du patrimoine et directeur de la Maison Balzac, et Guillaume Daban nous convient à cette belle découverte l’œuvre de l’artiste Martine Lévy. Née à Troyes en 1932 dans une famille de collectionneurs, c’est très tôt qu’elle se trouve initiée à l’art auquel elle consacrera toute sa vie. Plus connue sous son nom d’artiste Martine Martine, son œuvre sera protéiforme, qu’il s’agisse des médiums employés allant du dessin au pastel, en passant par la gravure et l’huile sans oublier la sculpture, des thèmes multiples qui inspireront un catalogue impressionnant dont ce deuxième volume venant compléter l’inventaire.

 


Comment caractériser le travail de Martine Martine avec ce deuxième opus du Catalogue raisonné servi par une édition soignée et remarquable ? Par delà la diversité des thèmes et des séries, Martine Martine appréhende ses sujets dans sa globalité, avant d’en livrer par de multiples séries un nombre impressionnant de facettes tel qu’il ressort de ces premiers carnets traitant des portraits de sumotori dont la rondeur et la vigueur des visages ont su capter l’œil de l’artiste.

 

 

À la manière du théâtre kabuki, Martine Martine esquisse quelques traits marquants qui parviennent à restituer la vitalité et la profondeur de ces instants saisis presque sur le vif. En autant de petites vignettes, ces carnets déstructurent le sujet afin de se l’approprier et de donner vie à une nouvelle représentation. Les carnets III & Mémoires III allant de 2003 à 2013 prolongent cette démarche et prennent comme nouveau champ de recherche Balzac dont Martine Martine livre une multitude de portraits et de lavis, répétant inlassablement cette exploration de la physionomie, devenant elle-même œuvre d’art. Tenant presque de la démarche initiatique, ce geste quasi obsessionnel envoûte le lecteur et le conduit à une certaine extase, à l’image des compositions d’un Philip Glass ou de Steve Reich. Au terme de ce parcours singulier et fascinant, le lecteur aura le sentiment d’entrer dans l’intimité de la création de Martine Martine, ce qui n’est pas le moindre des attraits de ce superbe Catalogue raisonné.

 

« Maurice Calka – Le sculpteur du design » de Xavier de Jarcy, Editions Albin Michel, 2022.
 


C’est avec un vif intérêt que le lecteur découvrira cette belle et première monographie consacrée à Maurice Calka (1921–1999) et signée par le journaliste Xavier de Jarcy aux éditions Albin Michel. De ce « sculpteur de design » ayant marqué l’histoire de l’art de la deuxième moitié du XXe siècle, chacun a bien entendu à l’esprit son fameux bureau « boomerang », objet du design pop iconique des années 1969, tout en couleurs et rondeurs et qui illustre la couverture de ce beau livre. Mais, Maurice Calka est aussi et surtout un génial artiste pluridisciplinaire donnant à voir une variété de réalisations et matériaux incroyables allant de la sculpture au design urbain ou encore à l’architecture. Qui ne se souvient également, à la simple évocation de son nom, de ces fameux papillons géants de Vanves venus si agréablement égayer le « périph’ » parisien en 1981 ?
Véritablement artiste inclassable, sculpteur, designer, dessinateur, architecte et urbaniste, l’œuvre de Maurice Calka ne saurait laisser indifférent. Aussi, est-ce avec bonheur que les amateurs de design, mais aussi tout collectionneur ou curieux d’art découvriront cet ouvrage soigné avec son format carré et ses couleurs acidulées. Devant tant d’expériences, de matériaux et de réalisations, l’auteur, Xavier de Jarcy, a fait choix d’une approche chronologique allant des jeunes années de l’artiste à « L’école Calka »… Des places ou bâtiments publics aux intérieurs plus intimistes, l’artiste n’a eu, en effet, de cesse d’innover et de surprendre. Remportant le Premier Grand Prix de Rome de sculpture en 1950, Maurice Calka se fait connaître avec un nouvel art urbain dès les années 60. Optant pour une « Sculpture pour tous », l’artiste saura s’imposer avec des sculptures, bas-reliefs ou encore fresques que ce soit à Clamart ou encore Reims. Les multiples places publiques réalisées par l’artiste retiendront également, bien sûr, l’attention, tant ces dernières s’enchaînent avec une diversité et couleurs à couper le souffle ; on songe à Saint-Louis de La Réunion, à Paris, à la place des Gradins de Torcy en 1975… Et puis, comment oublier, Maurice Calka, architecte ou designer ? Comment oublier cette fabuleuse Renault 5 Cacharel de la fin des années 1970 ?
Et, oui, Maurice Calka, c’est tout cela et il fallait assurément une telle monographie complète et incontournable pour rendre hommage à ce grand artiste de la deuxième moitié du XXe siècle.

 

« Proust, la fabrique de l'œuvre » sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fait et Nathalie Mauriac Dyer, catalogue d’exposition BNF, 240 pages, Gallimard, 2022.
 


Vaste entreprise que d’explorer la fabrique de l’œuvre de Marcel Proust ! Mais, une heureuse initiative entreprise aujourd’hui sous la direction d’Antoine Compagnon de l’Académie française à l’occasion de l’exposition éponyme actuellement à la BnF. A l’image d’un abécédaire littéraire des plus nourris, le présent catalogue présente de A à Z, la création littéraire proustienne avec des entrées aussi variées et pittoresques que « Water-closet », « Zut, zut, zut, zut » ou « Kapitalissime »… Derrière l’apparent farfelu de certaines de ces thématiques se trouve cependant développé avec brio et passion le véritable laboratoire d’écriture de l’auteur de La Recherche. Ainsi que le relèvent Antoine Compagnon, Guillaume Fait et Nathalie Mauriac Dyer « la vision de l’écrivain au travail dans ses manuscrits s’impose aussitôt au lecteur », évoquant les fameuses paperoles qui accompagnaient ce travail souvent long et répété de rédaction se nourrissant de multiples références croisées. Comment cependant recoller tous ces morceaux accumulés par ce long processus de composition ? Quelle relation entretenait l’écrivain avec le temps, ce fameux « Temps », tout au long de la genèse de l’œuvre à accomplir ? Comment avons-nous reçu ce legs un siècle après et que faire de ces multiples manuscrits constituant la création proustienne ? C’est à ces questions auxquelles répond avec précision et clarté ce riche catalogue illustré, bien sûr, par de nombreuses reproductions des manuscrits de Marcel Proust, mais aussi de photographies d’époque et autres œuvres d’art. Pour les amateurs du célèbre écrivain, mais aussi pour les esprits curieux souhaitant vagabonder de page en page dans l’immense laboratoire de la création littéraire d’A la recherche du temps perdu, cet abécédaire réservera bien des agréments et exquises surprises.
 

« L’Épopée de Gilgamesh » illustrée par l’art mésopotamien, direction scientifique de l’iconographie et introduction d’Ariane Thomas, photographies de Jean-Christophe Ballot, traduction de l’arabe d’Abed Azrié, volume relié sous coffret, 24,5 x 33 cm, 280 pages. Éditions Diane de Selliers, 2022.
 


Les éditions Diane de Selliers offrent au lecteur l’un des plus anciens témoignages de l’humanité avec « L’Épopée de Gilgamesh », une source antique de plus de quatre mille ans et dont certains épisodes tel celui du Déluge, du passeur ou encore celui du serpent ont été repris par nombre de civilisations antérieures. Nous sommes en Mésopotamie, berceau de notre humanité avec l’agriculture et l’écriture, et ce héros légendaire que fut Gilgamesh, roi de la dynastie d’Ourouk, qui connaît par delà les multiples aventures affrontées toutes les émotions d’un mortel aspirant à l’immortalité…
Ainsi que le souligne la spécialiste Ariane Thomas, directrice du département des Antiquités orientales du musée du Louvre, cette geste remarquable se divise en deux parties, celle d’un roi jeune et intrépide, ami indéfectible d’Enkidou, auquel arrivent toute sorte d’aventures, puis une deuxième partie avec la mort de son ami, une période marquée par le chagrin et les doutes avant de partir en quête de l’immortalité…

 


Cette épopée incroyable concentrant un éventail saisissant de sentiments, reliant passé et présent, propose ainsi une lecture universelle du destin humain et de la quête du sens de la vie. À la différence du mythe qui développe le caractère surhumain de ses personnages, l’épopée retient quant à elle le caractère humain – trop humain – du personnage de Gilgamesh qui sera soumis à un parcours initiatique tel celui d’Ulysse dans l’Odyssée. Véritable genèse de la philosophie dans ses derniers développements, « L’Épopée de Gilgamesh » anticipe par certains de ses aspects ce que les philosophies hellénistique et romaine développeront notamment avec le stoïcisme.

 


Au terme de son parcours, Gilgamesh atteint une certaine sérénité, celle d’un homme qui a compris que le destin n’appartient pas aux rêves futurs et incertains ainsi que le soulignera plus tard le philosophe Sénèque, mais dans cette vie à l’instant présent dont il nous faut cueillir les fruits, ici et maintenant…
Il fallait pour ce récit si précieux un écrin à la hauteur et, comme à l’accoutumée, Diane de Selliers a réuni un trio de choix notamment en la personne de Jean-Christophe Ballot qui livre en ces pages de véritables œuvres d’art photographiques accompagnant le texte de l’Épopée. Ses prises de vue en noir et blanc révèlent et accentuent la richesse des œuvres millénaires des antiquités orientales notamment du musée du Louvre et autres collections mondiales grâce au savant éclairage sur ces œuvres apporté par Ariane Thomas. Gabriel Bauret, auteur de plusieurs livres sur la photographie, souligne cette double richesse du texte et de l’image, richesse qui peut s’apprécier simultanément ou bien successivement. Enfin, palme doit être rendue à la belle traduction offerte par le poète et chanteur Abed Azrié, né à Alep, qui a su se saisir à partir de traductions arabes du souffle épique de ce texte immémorial.
Un voyage au long cours proposé par les éditions Diane de Selliers et dont les étapes initiatiques ne manqueront pas de passionner les lecteurs de cet ouvrage qui rend un bel hommage à cette civilisation qui inventa l’écriture.

 

« Wang Keping » de Virginie Perdrisot-Cassan, Aline Wang et Anne-Laure Buffard ; Relié, 224 pages, 23 x 30 cm, 250 illustrations, Editions Flammarion, 2002.
 


Beaucoup se réjouiront de cette première monographie en français consacrée au sculpteur chinois Wang Keping. L’ouvrage co-écrit par Virginie Perdrisot-Cassan, historienne de l’art, Aline Wang, directrice du studio Wang Keping, et Anne-Laure Buffard, directrice adjointe de la galerie Obadia, offre au regard et à l’analyse une riche et belle mise en perspective de la carrière et de l’œuvre de Wang Keping avec un éclairage en particulier sur ses œuvres de maturité.
Les sculptures de Wang Keping livrent un langage singulier autour de thèmes et de formes qui se jouent, se nouent et s’enroulent tels ces « couples » ou ces oiseaux aux formes épurées et arrondies. Mais, « Mes oiseaux ne sont pas des oiseaux – souligne Wang Keping – se sont du bois, des sculptures. Mes oiseaux sont des contes, de l’imagination.»
Affichant une nette préférence pour le bois, il fut très tôt surnommé « Le Maître du bois ». Cette prédilection pour le bois, quelle que soit l’essence, ne le quittera plus, et se retrouve encore dans ses œuvres de maturité, des sculptures monumentales en bois, donc, mais également en bronze telle cette sculpture « Lolo » en bronze pour la fondation Camignac de 4 mètres de hauteur. L’ouvrage revient également sur ce choix du bronze dès la fin des années quatre-vingt par l’artiste ; Wang Keping que le lecteur retrouvera notamment dans la fonderie suisse en 2009.
Aujourd’hui internationalement reconnu, rappelons que Wang Keping fut un des fondateurs du mouvement d’avant-garde chinois, The Stars Art Group, à la fin des 1970. L’artiste, exilé politique, arrivé en France en 1984, acceptant les influences respectives de Brancusi, de Zadkine mais aussi de Zao Wou-Ki ou encore de Gao Xinglang, a su très tôt imposer son propre style, cette profonde force de vie aux variations infinies.
 

« Monet » de Ségolène Le Men, 320 illustrations couleur, Relié sous jaquette et coffret illustrés, 29 x 33,5 cm, pages 456, Editions Mazenod & Citadelles, 2022.
 


Cette somme unique en langue française consacrée à l’ambassadeur de l’impressionnisme que fut Claude Monet ne pourra que réjouir les amateurs d’art et amoureux du peintre de Giverny. Tout ou presque a été réuni en cet ouvrage d’exception de taille imposante (456 pages) afin de retracer la longue vie fertile de celui qui à juste titre a été présenté comme le père de l’art moderne. En ces pages illustrées avec soin par une abondante iconographie de plus trois cents illustrations couleur, Ségolène Le Men, professeur émérite d'histoire de l'art a l'université Paris Nanterre et membre senior de l'Institut universitaire de France, parvient à se saisir de cette immense icône de la peinture en une approche renouvelée et convaincante.
L’ouvrage retrace en effet les tout débuts du jeune artiste au Havre lorsqu’il signait encore Oscar ses caricatures, pan méconnu de l’art du futur maître et qui témoignait déjà de l’acuité de son regard… Ségolène Le Men insiste justement sur ces premières années souvent passées sous silence et qui ont eu pourtant leur importance pour l’évolution ultérieure de l’artiste. Notamment les influences de Boudin et Jongkind, les premières impressions laissées par la nature saisies dans ce dessin annonciateur « Les Bords de la Lézarde » où le crayon noir sur papier gris anticipe les futures inspirations du peintre dans son traitement des ondes et du végétal. Les fameuses Marines de Boudin, ce jeu subtil des nuages et de la mer concourront eux aussi à ce rapport unique que Monet entretiendra entre sa main le paysage et la toile. Ces initiations tissent en effet progressivement un maillage complexe de références que l’artiste usera à l’envi dans de multiples séries passées à la postérité depuis : les Meules, la gare Saint-Lazare, la cathédrale de Rouen avant les hypnotiques variations de Giverny.
Ce regard formé aux multiples effets et impressions du plein air sera par la suite enrichi d’autres rencontres et sources d’inspirations ainsi qu’il ressort de son attrait irrépressible pour les arts de l’extrême orient sans oublier la photographie et les premières heures du cinéma… Cet ouvrage se trouve également éclairé par la confrontation de sources multiples grâce à l’abondante correspondance du peintre, les témoignages de ses contemporains, l’ami de toujours, Georges Clemenceau, sans oublier Mirbeau, Zola, Proust.
Au final, c’est un Claude Monet plus familier que nous livre Ségolène Le Men, mais aussi un artiste inaccessible lorsque son art le transporte en d’infinies variations. Une somme indispensable pour mieux approcher non seulement Claude Monet, mais également de manière plus générale l’Impressionnisme auquel il a livré ses plus belles œuvres.
 

« Albrecht Dürer – Gravure et Renaissance » ; Collectif, Château de Chantilly / BNF, Editions In f=Fine, 2022.
 


Le fort riche catalogue qui accompagne l’exposition consacrée à Albrecht Dürer (1471-1528) au Jeu de Paume du Château de Chantilly entrainera son lecteur non seulement dans l’immense œuvre de l’artiste, mais aussi sur les routes de la Renaissance ; car, admirer l’œuvre gravée du Dürer qui fut également orfèvre, dessinateur et peintre, c’est aussi parcourir l’Europe de la Renaissance en ce tournant du XVe au XVIe siècle. L’artiste dut, en effet, toute sa vie durant non seulement parcourir les chemins et cours d’Europe pour trouver commanditaires et commandes, mais eut également un goût personnel prononcé pour le voyage. C’est donc une belle mise en perspective que livre l’ouvrage replaçant l’immense créativité de l’artiste au cœur des échanges et changements, non seulement artistiques mais aussi politiques et religieux, de son époque.
Ainsi, après les années de formation de l’artiste dans l’effervescence artistique de Nuremberg - « La fabrique d’un artiste », à l’aube de 1500, le lecteur découvrira-t-il un premier et long chapitre consacré à « Dürer en Italie à l’heure de la gravure » : Dürer et l’artiste Jocopo de Barbari qu’il admire et rencontrera probablement à plusieurs reprises. L’artiste vénitien transmettra à Dürer la passion de l’étude des proportions, mais aussi Dürer et Raphaël, Dürer et Leonard de Vinci, ou encore l’artiste à Venise où il rencontra un véritable succès ; « Ici, je suis un prince », écrira-t-il… Venise marquera effectivement un tournant dans l’œuvre de l’artiste avec des œuvres exceptionnelles telles « la Fête du Rosaire ou « le retable Landauer »…
Dans un deuxième temps, le lecteur découvrira le graveur, « chez lui » dans son atelier, une étape essentielle ouvrant sur les maîtres allemands notamment Martin Schongauer mais aussi sur les artistes issus de son atelier notamment Hans Baldung Grien, Hans Wechtlin ou encore Lucas Cranach. Dürer maîtrisera toutes les techniques de la gravure (bois, burin, eau-forte et pointe sèche).
Mais surtout, avant de se refermer sur l’artiste aux Pays-Bas notamment lors de son établissement à Anvers, ce riche catalogue de plus de 280 pages et largement illustré s’arrête sur la reconnaissance du graveur de son vivant - « Dürer à son sommet », avec cette représentation du monde qui lui fut si chère ; Une représentation du monde qui fit de lui ce graveur incomparable et universel et qui marqua à jamais non seulement son époque mais sut rayonner jusqu’à nous…
 

« 6 Months in the fridge – Travels throught Northern Europe » ; Photographie de Michael Königshofer ; Relié, 208 pages, Version anglaise, Éditions teNeues, 2021.
 


C’est à un fantastique voyage dans le Grand Nord de l’Europe, en Scandinavie, auquel le photographe Michael Königshofer nous invite avec bonheur. « 6 months in the fridge » précisément ! Une aventure avec pour seule étoile, l'étoile Polaire et le cercle polaire de l’arctique…
Le lecteur suit ainsi avec plaisir et curiosité cet extraordinaire photographe australien en Norvège, en Islande, en Écosse jusqu’au Groenland. La splendeur des paysages émerveille, Michael Königshofer ayant su, en effet, restituer par son objectif toute la beauté et magie de ces somptueuses terres du nord de l’Europe.

 


Pour Mikael Königshofer comme pour son lecteur, chaque jour ou page de ces contrées lointaines enneigées et glacées offre son lot de découvertes et surprises. Car au-delà de la beauté des paysages, c’est aussi un lointain habité fait de rencontres que nous conte Mikael Königshofer. Habitants, traditions et cultures y sont également capturés et racontés avec passion par ce talentueux photographe qui avoue avec humour avoir toujours froid même en Australie !
Appuyé par un riche texte et de cartes, pêcheurs, artisans ou encore surfers, mais aussi art et architecture s’y dévoilent, parfois en de saisissants contrastes, dans de grandioses et époustouflants paysages de Scandinavie. Tout le talent du photographe Michael Königshofer au service de la splendeur du grand froid du nord de l’Europe.

 

« Simon Hantaï » - Catalogue de l'exposition Fondation Louis Vuitton sous la direction d’Anne Baldassari, 29 x 30.5, 370 pp., Fondation Louis Vuitton / Gallimard, 2022.
 


Avec cet impressionnant catalogue consacré à Simon Hantaï et publié à l’occasion de l’exposition qui se tient à la Fondation Louis Vuitton, Anne Baldassari offre une somme inégalée sur l’artiste dont nous fêtons cette année le centenaire de la naissance. L’impressionnante rétrospective qu’abrite la Fondation Vuitton méritait effectivement un tel hommage. L’ouvrage au format généreux réunit non seulement deux entretiens précieux pour entrer dans l’œuvre de l’artiste avec les témoignages de son épouse Zsuzsa Hantaï et de Daniel Burren, mais aussi de nombreuses contributions notamment de Jean-Luc Nancy, Georges Didi-Huberman, Jean Louis Schefer ainsi qu'une chronologie de la vie de Simon Hantaï par Anne Baldassari.
Né en 1922 en Hongrie et naturalisé français, ce « Souabe errant » ainsi qu’il se qualifie fréquemment n’aura de cesse de partir à la recherche de significations, une errance toujours questionnée au fil de son riche parcours évoqué en ces pages. C’est en France qu’il réalisera l’essentiel de son oeuvre dont plus de 130 sont reproduites, ici, en un large format. Suivant un parcours chronologique, l’ouvrage défile une à une les pages des grandes évolutions marquant le travail de cet artiste insatiable et au regard scrutateur. « On ne peint que pour Dieu » aimait à rappeler le peintre d’origine catholique, une ferveur et un élan qui se matérialisera par de larges aplats et « déplis » de couleurs profondes et éclatantes. Ainsi que le souligne Georges Didi-Huberman, Hantaï déploie dans ses œuvres une mémoire familiale profonde, élargie par le recours à la couleur, anamnèse par des surfaces successives de couleurs.
Ce catalogue nous fait entrer de manière éclatante dans la richesse de cette œuvre protéiforme, peintures à signes, monochromes, mariales, Catamurons, Panses, Meuns, etc. Un véritable parcours initiatique éclairé par des œuvres d’autres artistes ayant compté dans le développement de Simon Hantaï tels Henri Matisse ou Jackson Pollock.
Nombreuses seront les découvertes à la lecture de ce précieux catalogue qui complètera idéalement la remarquable exposition actuellement à la Fondation Louis Vuitton Paris.
 

« Tokyo pourpre – Une nuit dans le Tokyo undergroud » de Jean-Christophe Grangé avec les photographies de Patrick Siboni, Éditions Albin Michel, 2021.
 


C’est une poésie pourpre et singulière qui est née de cette féconde rencontre entre le célèbre auteur français de thriller Jean-Christophe Grangé et le photographe Patrick Siboni. Cette étrange atmosphère pourpre est celle d’un Tokyo underground que l’écrivain, passionné par le Japon, a découvert lors de ses recherches pour la « La terre des morts ». « La nuit, Tokyo est rouge » écrit l’auteur, et c’est ce Tokyo rouge, écarlate, qu’arpentent chacun avec leur sensibilité Jean-Christophe Grangé avec sa plume et Patrick Siboni avec son objectif.

 


C’est, en effet, à la rencontre d’un Tokyo moins connu auquel nous convie tant l’écrivain que le photographe avec cet ouvrage. Tokyo de la fin de journée lorsque la nuit s’avance doucement et offre les « Premières rencontres », la femme japonaise, la table, etc. Puis, lorsque la nuit d’Extrême-Orient enveloppe la ville, la pluie, les lumières qui s’allument et le dernier train qui s’éloigne… Car Tokyo jamais ne dort et se révèle encore tard dans la nuit au-delà des clichés ; lorsque s’ouvre un autre monde, lorsque néons, enseignes, stations de métro s’illuminent tout de rouge et se répondent tel « Un battement sourd, un murmure organique, un magnétisme intime, qui vous attire et vous effraie à la fois » écrit encore Jean-Christophe Grangé.
Un ouvrage livrant en un format à l’italienne un étrange Kaléidoscope de Tokyo du crépuscule jusqu’à l’aube dans une envoûtante déclinaison du rouge avec ses secrets et passions ; sourde alors le rouge écarlate, cogne et bat le rouge sulfureux et éclate ce rouge d’un « Tokyo pourpre » profond et secret, car « Tokyo la nuit recèle de milliers de secrets, et parcourir ses rues, jusqu’au bout de l’aube, s’apparente à une quête de tous les extrêmes, envoûtante, inouïe, inoubliable. » écrit Jean-Christophe Grangé livrant un « Tokyo pourpre » underground jusqu’au bout de la nuit.

« Modigliani »de Thierry Dufrêne ; Relié sous coffret illustré, 330 illustrations, 29 x 42 cm, 324 pages, Editions Citadelles & Mazenod, 2022.
 


Les qualificatifs ne manqueront pas pour évoquer la toute dernière parution « Modigliani » aux éditions Citadelles & Mazenod. Exceptionnelle, cette biographie de Thierry Dufrêne l’est assurément à plus d’un titre, à commencer pour son généreux format 29x42 et la richesse de l’iconographie rassemblée. Mais l’ouvrage consacré à l’un des plus grands artistes du XXe siècle apparaît, dès les premières pages, comme l’une des synthèses les plus inspirées sur le peintre et le siècle dans lequel il s’est inscrit.
Thierry Dufrêne revisite le mythe de l’artiste maudit qui a longtemps caractérisé le parcours et l’œuvre d’Amadeo Modigliani. Le biographe a multiplié les questionnements sur la genèse de son œuvre, réinterrogeant non seulement ses origines italiennes, mais également ses sources d’inspirations allant de Michel-Ange aux masques africains.

 

 

Si, bien entendu, la place et le rôle joués par les artistes de Montmartre et de Montparnasse sur le jeune Amedeo seront déterminants, l’admiration pour Toulouse-Lautrec mais aussi les approches de Gauguin, Degas et encore Cézanne ne sauraient être négligés. Le lecteur comprendra rapidement que le musée imaginaire de Modigliani est complexe et touffu, à l’image de la société qui se dessine, progressivement sous ses yeux, au tournant du siècle. Paris et les femmes resteront au cœur de son œuvre, ses portraits « sculptées » sur la toile révélant – sans s’y soumettre pour autant – toutes les influences artistiques de ses aînés, Picasso en tête.

 


L’ouvrage parvient à force de démonstrations éclairantes appuyées par une iconographie convaincante à faire surgir l’extrême originalité et complexité de l’œuvre de Modigliani. Nombreux sont les courants de l’histoire de l’art qui trouvent en l’artiste une convergence lumineuse, renouvelant les thèmes abordés en de multiples inspirations. Tels ces inoubliables portraits de femmes, Jeanne, Hanka ou encore Lunia dont les reproductions en grand format soulignent la luminosité de la palette de Modigliani. Les réalités sociales de son époque se trouvent ainsi sublimées par le regard posé par l’artiste, un regard métamorphosé pour sa dernière période (1918-1919) après un long séjour sur la Côte d’Azur…
Un ouvrage d’exception qui ne pourra que faire date dans la bibliographie de Modigliani, autant pour la force rhétorique de ses développements que pour sa beauté de livre d’art. 

 

« Far Far East – A tribute to faraway Asia”; Textes d’Alexandra Schels ; Photographies Patrick Pichler ; 272 pages, Version : Anglais / Allemand, Éditions teNeues, 2021.
 


C’est une splendide invitation au voyage que nous proposent Alexandra Schels et Patrick Pichler avec « Far Far East », un ouvrage nous entraînant sur les chemins de huit pays d’Extrême-Orient : Sri Lanka, Chine, Mongolie, Japon… Le lecteur parcourt ainsi en compagnie des auteurs les nombreux chemins et paysages de l’Asie, chaque pays dévoilant ses espaces, sa culture et ses traditions.
Que ce soit les textes d’Alexandra Schels ou les magnifiques photographies de Patrick Pichler, chaque chapitre invite, en effet, à la découverte, à la curiosité avec pour fil directeur cette « Ode au ralentissement ». Car, en ces pages, aussi belles les unes que les autres, ce sont des traditions différentes, des contrées lointaines, déserts ou métropoles que nous découvrons avec émerveillement. Sur plus de 260 pages avec des photographies souvent époustouflantes pleine-page ou double page, chaque pays révèle ainsi sa singularité ; hautes montagnes du Népal, métropoles de la Corée du Sud, nomades de Mongolie…
Que cela soit à pied ou par train, c’est l’Asie avec ses sentiers de montages, ses rivages et baies, ses villes et habitants au travers huit pays différents qui livre en ces pages toute sa beauté et ses secrets… Un bel hommage à l’Asie.

 

« Carlo Mollino - Architect and Storyteller » ; 24 x 32 cm, 456 pages, 502 color and 45 b/w illustrations, Park Books, 2021.
 


Designer d’intérieur, photographe et architecte réputé, Carlo Mollino a inscrit son nom en lettres d’or dans le design du siècle passé. Le fort et riche volume publié par les éditions Park Books présente la synthèse de son travail en tant qu’architecte sous la plume de Napoleone Ferrari et Michelangelo Sabatino. Enrichi de contributions par Guy Nordenson et Sergio Pace, ce beau livre se veut non seulement instructif sur cette personnalité légendaire mais également des plus esthétiques grâce aux photographies inspirées de Pino Musi.

 


Né en Italie avec le début du siècle en 1905, Carlo Mollino a laissé son nom à la postérité grâce à ses nombreuses créations de meubles de nos jours très recherchées. Ses polaroïds aux photos osées pour l’époque constituent également une autre facette du personnage… Mais le présent ouvrage s’attache à un aspect de la production du designer plus méconnu avec ses multiples contributions à l’architecture. Si l’homme n’a réalisé que peu de projets, ses idées sur l’architecture et ses nombreuses œuvres sur papier laissent imaginer la fertilité de sa pensée créatrice.

 


Grâce à une superbe mise en page et une iconographie impressionnante, la créativité Mollino se dessine page après page et laissera pantois tout amoureux d’architecture. Que dire en effet sinon son admiration pour le fameux Teatro Regio et la Chambre de commerce de Turin ? Mais aussi le Torino Horse Riding Club sans oublier la station Lago Negro dans les Alpes italiennes ? Toutes ces novations surprennent non seulement pour leur modernité, l’architecte appartenant manifestement au courant moderniste, mais aussi pour leurs prouesses témoignant des affinités de Mollino avec le surréalisme. Le lecteur se délectera de ces créations toutes plus étonnantes les unes que les autres si l’on songe aux époques qui les virent naître. À la découverte de ces admirables créations, on ne pourra regretter qu’une chose, que bien de ces projets soient restés à l’état de croquis et de papiers si prometteurs…

 

« Beatriz Milhazes » ; Sous la direction de Hans Werner Holzwarth ; Edition trilingue français/anglais /allemand ; 26 x 34 cm, 580 pages, Éditions Taschen, 2021.
 


Comment résister à cet univers d’explosion de couleurs ? C’est, en effet, une magnifique invitation à entrer dans cette fabuleuse galaxie de couleurs brésiliennes que propose cette splendide monographie consacrée à l’artiste Beatriz Milhazes et parue aux éditions Taschen. Cette somme de plus de 500 pages sous la direction de Hans Werner Holzwarth offre au regard toute la puissance de lumière et de couleurs du pays natal de cette artiste brésilienne hors du commun.
Alternant entre abstraction et symboles ou scènes de vie brésiliennes, les toiles de Beatriz Milhazes transmettent une énergie rare, une force de vie incroyable qui la caractérise et a fait la signature de l’artiste. Nées sous l’influence d’Henri Matisse ou encore de Bridget Riley, ces œuvres livrent en effet une exubérante chorégraphie envoûtante de couleurs. Mais, l’œuvre de Beatriz Milhazes sait aussi se faire plus musique et s’assombrir sous le vent de la mélancolie. C’est cette richesse et complexité que le lecteur découvrira dans ces merveilleuses pages, l’ouvrage actualisé réunissant pas moins de 300 œuvres de l’artiste jusqu’aux plus récentes. Explorant les différentes étapes de la carrière de Beatriz Milhazes, les multiples motifs ou encore les matériaux auxquels elle a eu recours, l’ouvrage propose une analyse approfondie de l’œuvre de cette artiste brésilienne qui a su s’imposer dès les années 1980.
Un travail mis en perspective par de riches contributions, notamment celle de l’historien d’art David Ebony, mais aussi par un entretien accordé par l’artiste elle-même à Hans Werner Holzwarth, entretien dans lequel Beatriz Mihlazes dévoile ses méthodes de travail ou revient sur le contexte culturel de ses œuvres. Une belle analyse complétée par un dictionnaire des principaux motifs de Beatriz Milhazes réalisé par Adriano Pedrosa auquel vient s’ajouter une biographie complète et actualisée par Luiza Interlenghi.

 

« Antoine Schneck » de Pierre Wat ; Relié cartonné, 25 x 32 cm, 180 illustrations, 292 pages, Éditions In Fine, 2021.
 


C’est un très bel ouvrage que consacrent les éditions In Fine à l’artiste français Antoine Schneck. Signé de l’historien d’art Pierre Wat, également critique d’art et professeur d’université, l’ouvrage tout de noir vêtu, ainsi qu’il se devait pour Antoine Schneck, livre une splendide mise en perspective de son travail et réalisations. Antoine Schneck, photographe plasticien, a en effet toujours privilégié pour ses dernières à la fois les fonds noirs et les séries. Ainsi concernant son travail sur les portraits, ce dernier a-t-il toujours retenu au-delà du fond noir une approche directe du visage lui permettant une extrême expressivité et une parfaite mise en lumière. L’artiste avoue s’être souvent inspiré pour ses techniques de l’histoire de l’art, et plus particulièrement de l’histoire même de la peinture.
Mais, ses recherches ne se sont jamais enfermées dans le seul travail du portrait, si expressif soit-il. Antoine Schneck a également, au gré de ses voyages et pérégrinations, consacré de célèbres séries aux oliviers millénaires, mais aussi aux fleurs, aux arbres ou encore aux carburants.
Pour son travail, l’artiste souligne avoir très tôt adopté le numérique lui offrant à la fois un large potentiel et une grande qualité, n’hésitant pas à retravailler la palette graphique. N’ayant de cesse de renouveler recherches et trouvailles, Antoine Schneck a ainsi eu recours pour ses derniers travaux notamment au collodion humide.
Et, c’est justement « A Rebours », d’aujourd'hui à 2006 que le plasticien photographe a souhaité revisiter son travail. Un choix révélant, ainsi que le souligne Pierre Wat dans son introduction, que « le fil directeur qui unit tant de pratiques et de lieux, c’est Antoine Schneck lui-même, autrement dit la vie d’un homme qui vient s’incarner en autant de pratiques, des déplacements, et d’expériences vécues. » L’ouvrage s’ouvre ainsi en 2021-2020 sur le studio de l’artiste et cette série de portraits lors de son voyage au Kenya jusqu’à 2006. Plus de 15 ans d’un beau chemin fait de rencontres, d’altérité et de photographies captivantes voire fascinantes.
Les investigations de l’artiste et son chemin de vie de photographe plasticien offrent, il est vrai, au regard une large et belle diversité de séries – allant des chiens célèbres aux gisants de la Basilique Saint-Denis en passant par les soldats de la Première Guerre mondiale du sommet de l’arc de Triomphe. Portraits, animaux et objets se côtoient ainsi dans cette splendide monographie dans un savant bonheur, celui des rencontres, voyages et expériences de l’artiste, des séries toujours marquées par la griffe même d’Antoine Schneck, par la force et l’acuité de son regard.

 

"Archetypes" de David K. Ross ; Photographies de David K. Ross, Sous la direction de Reto Geiser avec les contributions de Reto Geiser, Sky Goodden, Ted Kesik et Peter Sealy ; Relié, 120 pages, 21 x 28 cm, Éditions Park Books, 2021.
 


Les archétypes ne sont plus l’apanage de la psychologie et de la pensée jungienne ainsi que le démontre ce brillant ouvrage réalisé par l’artiste canadien David K. Ross et agrémenté de superbes photographies de l’auteur. Au croisement de la photographie, du film et de l’installation, son travail conduit en effet à la création d’étonnantes maquettes architecturales sublimées par un éclairage nocturne des plus spectaculaires… La pénombre révèle en effet les détails des structures, souligne les effets de matière pour en dégager des signes infimes conduisant à une autre vision primordiale de l’architecture.

 


Ce travail passionnant se trouve ainsi présenté en ces pages étonnantes, des pages qui suscitent l’envie de découvrir ces créations dans la réalité de leur installation. Ces fragments architecturaux constituent dès lors un véritable laboratoire de proto-architecture, témoins silencieux mais néanmoins évocateurs de tout ce que l’homme a su mettre en œuvre dans l’édification de bâtiments liés à son environnement.
De manière plus pragmatique, ce travail créatif offre également l’avantage de pouvoir isoler une part infime d’une future réalisation architecturale et d’en présenter les grandes lignes avant sa mise en œuvre. Ces instantanés architecturaux deviennent ainsi autant de réalités en devenir, en alternative aux créations virtuelles qui dominent de nos jours les cabinets d’architecture. Aux confins de l’art et de l’architecture, ces maquettes en préludant aux réalisations à venir constituent de véritables objets de création à part entière, à découvrir dans cet ouvrage assurément novateur.
 

« L'Âme de la Champagne – Artisanat d’art et haute gastronomie » de Philippe Mille ; Photographe : Anne-Emmanuelle Thion ; Relié pleine toile avec fer à chaud, 288 pages, 24x30 cm, Éditions Albin Michel, 2021.
 


Lorsqu’ un chef talentueux conjugue son art à celui d’un terroir de plusieurs millénaires, cela donne un beau livre, véritable ode au produit et à l’artisanat d’art de la Champagne. Philippe Mille à la tête du restaurant deux étoiles les « Crayères » à Reims signe en effet un livre qui parvient à atteindre cette alchimie toujours délicate entre beau livre et recettes, culture et histoire, artisanat et patrimoine…
Véritable écrin aux recettes sélectionnées avec soin par le chef, cet ouvrage s’avère aussi appétissant qu’esthétique grâce aux magnifiques photographies d’Anne-Emmanuelle Thion qui ont su capter toute la délicatesse et le raffinement de l’art de ce grand chef, ce qui n’est jamais un exercice des plus faciles. Philippe Mile nous propose en entrée un plat aussi singulier qu’évocateur des plaines crayeuses caractérisant la campagne champenoise avec cet Esprit de craie et couteaux, un plat que l’on imagine à la fois soyeux et d’une longueur en bouche rehaussé par les bulles de Chardonnay et la mousseline de chou-fleur… À ce met délicat et créatif, de subtils accords sont proposés avec un Champagne Barons de Rotschild 2010 dont la minéralité ne peut que souligner la structure du plat conçu par le chef, du grand art.
Entre chaque recette, des pages également inspirantes mettent en avant l’art de la Champagne tels les inoubliables vitraux de la cathédrale de Reims, l’argile donnant naissance aux superbes poteries de l’artisan Jean-Luc Pirot, qui à leur tour inspire un nouveau plat au chef avec ces pommes de terre en croûte d’argile. Chaque page fait écho à la créativité et à l’inspiration en un labyrinthe sensoriel inépuisable.
C’est un magnifique voyage que nous propose cet ouvrage en un splendide condensé des richesses de la Champagne, culturelles, architecturales, artisanales, et bien sûr, gastronomiques. Le chef Philippe Mille, pourtant originaire de la Sarthe, a su transmettre assurément avec ce bel ouvrage une part de l’âme de la Champagne !
 

Bjarne Mastenbroek : « Dig it! Building Bound to the Ground » ; Relié, 19,3 x 27,1 cm, 1390 pages, Éditions Taschen, 2021.
 


Le rapport étroit et presque intime entretenu entre le sol, les fondations et l’édifice architectural fait l’objet d’une publication remarquable de la part des éditions Taschen sous la plume de l’architecte néerlandais Bjarne Mastenbroek explorant au sens propre et figuré les liens unissant l’architecture et le site qui l’accueille.

 


Partant du principe fondamental de la rareté de la terre, ce dernier demeure persuadé que l’avenir passera par une conception et gestion plus éclairées de cette ressource limitée pour l’avenir de l’humanité. Cette dimension rarement abordée avec une telle acuité conduit ainsi cet esprit résolument tourné vers une architecture écologique à une approche fine et sensible non seulement du sol, mais aussi de son environnement, sa configuration et ses interactions avec le milieu.

 


C’est son riche parcours qui a ainsi conduit Bjarne Mastenbroek à l’écriture de cette somme impressionnante de 1390 pages et 2,5 kg, véritable roc sur lequel l’auteur développe son approche à partir des origines de la construction dans l’humanité. Appuyé par une iconographie tout aussi exceptionnelle grâce aux photographies d’Iwan Baan, cet ouvrage accompagne le lecteur dans cette compréhension globale de l’acte d’édifier que l’homme a depuis l’aube des civilisations initié dans des environnements parfois hostiles ou singuliers.

 


Au fil des pages, quelle que soit la configuration du sol et des lieux, nous réalisons que les architectures du passé ont rarement fait l’impasse de ces « fondations » naturelles que représente l’environnement, tirant parfois profit de situations naturelles défavorables. C’est certainement là, l’apport de cet ouvrage essentiel que de montrer au lecteur du XXIe s. combien l’histoire récente des dernières décennies semble prouver qu’en occultant ou ignorant cette dimension incontournable, l’architecture peut conduire aux pires impasses, si ce n’est à des désastres. En renouant avec cette harmonie des sols et environnements, Bjarne Mastenbroek démontre ainsi avec maestria comment l’architecture de demain pourra renouveler ce lien toujours ténu entre l’homme, son habitat et la terre qui les abrite.

 

« Les ébénistes de la Couronne sous le règne de Louis XIV » de Calin Demetrescu ; 448 p. , 24 x 28 cm, plus de 400 illustrations couleur, Relié au fil sous couverture plein papier, La Bibliothèque des Arts, 2021.
 


Les liens étroits unissant le Roi Soleil aux artistes sont bien connus de nos jours et nul n’ignore que le jeune monarque sut très tôt se servir de ce goût personnel afin de renforcer son pouvoir. Parmi ces arts, l’ébénisterie tient une place de choix, le mobilier royal s’avérant une pièce essentielle dans la décoration des différents lieux royaux, le plus connu se situant bien sûr à Versailles. Fort de ce domaine porteur, Calin Demetrescu a réalisé un travail de recherche particulièrement fertile sur plus de dix ans.
C’est le fruit de ces études qui a donné naissance à cet ouvrage paru aux éditions La Bibliothèque des Arts aussi remarquable que précieux pour la qualité de son étude. L’auteur après avoir étudié des centaines de documents d’archives, pour la plupart inédits, propose en effet avec ce splendide livre de 448 pages abondamment illustré une somme de référence sur les ébénistes de la Couronne durant le règne de Louis XIV.
Ces hommes ayant travaillé pour le Garde Meuble de la Couronne et les Bâtiments du Roi, appellations d’alors officielles, composent en fait un réseau de métiers différents et complémentaires allant de l’ébéniste à part entière, en passant par le marqueteur, le bronzier, l’ornementiste, etc. Tous les pays sont convoqués afin de nourrir le rang de ces artisans venus du Royaume mais aussi d’Italie ou des pays du nord de l’Europe. Calin Demetrescu, historien de l’art et spécialiste réputé en ce domaine, offre ainsi dans cet ouvrage à la fois didactique et détaillé un état de la recherche et des découvertes d’œuvres majeures. Des noms célèbres comme celui d’André-Charles Boulle font l’objet de nouvelles propositions, sans oublier des artistes importants comme Domenico Cucci, Alexandre-Jean Oppenordt…
Après avoir livré un aperçu de l’époque et des métiers du meuble à Paris, essentiel à découvrir afin de mieux comprendre le contexte historique de cette recherche, l’ouvrage développe les méthodes de travail et d’attribution avant d’analyser la production du mobilier royal. La deuxième partie s’attache aux biographies des ébénistes majeurs de Louis XIV, Boulle, Armand, Campe, Cucci, les Gaudron, Gole, Macé… avec pour chacun une biographie, l’analyse de l’atelier et collaborateurs sans oublier leurs œuvres. Pour conclure, cette somme de référence ouvre sur la fortune, la réussite sociale et les collections des ébénistes de la Couronne parachevant ainsi de manière exhaustive et plaisante cette analyse des artistes ébénistes du monarque absolu.

 

« Duplex Architects - Rethinking housing » ; 416 pages, Park Books Éditions, 2021.
 


À souligner, en matière d’architecture, la parution d’une riche monographie entièrement consacrée aux conceptions et réalisations des bureaux d’études « Duplex Architects » situés en Suisse et en Allemagne. L’ouvrage sous la plume de Nele Dechmann offre un focus des plus intéressants sur le projet de cinq logements en Suisse, allant du « Studen Housing » au « Living at the Edge of Town » de Limmatfeld en passant par « Vivre avec le Bruit » dans le quartier de Buchegg ou encore « Bien plus que le logement » de l’aire Hunziker. L’approche et la conception particulières propres au bureau d’études « Duplex Architects » créé en 2007 initialement à Zurich sont ainsi, en ces pages, au travers de ces cinq réalisations, largement exposées et détaillées.
Appuyée par de nombreuses photographies dont celles de Ludovic Balland auxquelles s’ajoutent de multiples plans et visualisations, l’étude livre au lecteur à la fois une vision globale, précise et innovante de l’approche urbanistique retenue par « Duplex Architects ».
À cette approche première de développement urbain, « Duplex Architects » apporte également une forte attention et exigence aux nouvelles formes de vie en commun. Importance de la communauté, importance des lieux de collaborations et de partages jalonnent ainsi les conceptions architecturales résidentielles.
Des exigences de conception que viennent avec pertinence souligner de nombreuses contributions d’experts et architectes, dont celles des associés fondateurs du cabinet Anne Kaestle et Dan Schürch. Un ouvrage qui ne peut que retenir l’attention.
 

« Travellers’Tales – bags Unpacked » de Pierre Le-Tan et Bertil Scali ; Relié, 448 p., Version anglaise ou française, Editions Thames & Hudson / Louis Vuitton, 2021.
 


Ce sont de fabuleux récits de voyageurs que nous proposent aujourd’hui les éditions Louis Vuitton dans une publication, comme toujours, des plus soignée. Signée Pierre Le-Tan et Bertil Scali, les auteurs ont entrepris avec une mise en page attractive et un humour décapant d’évoquer pour nous le voyageur dans tous ses états, « Bags Unpacked », pour le plus grand plaisir des lecteurs.
On y retrouve, bien sûr, les sublimes malles de voyage Louis Vuitton qui ont fait la réputation de la célèbre enseigne. Une incroyable collection de récits et de malles arborant le célèbre monogramme Louis Vuitton d’hier à aujourd’hui. On raconte même que certains y avaient logé leur lit ! Ce sont ainsi pas moins de cinquante récits de voyageurs, tous plus extravagants et mondains les uns que les autres, de véritable contes, des « Travellers’Tales » allant des aventuriers et fortunés voyageurs du XIXe siècle aux artistes, acteurs et stars d’aujourd’hui. Un rare bonheur.

 


Le lecteur voyagera ainsi dans cette escapade pétillante en compagnie de Sarah Bernhardt, Paul Poiret ou Karl Lagerfeld, d'Henri Matisse à Jeff Koons sans oublier Sharon Stone et Madonna. Entrecoupés d’anciennes publicités ou plutôt « réclames » de l’incontournable enseigne lorsqu’il s’agit de voyages, chaque récit nous conte une expérience unique, farfelue, loufoque mais toujours d’une rare élégance. Que n’ont pu, en effet, contenir toutes ces malles Louis Vuitton ayant parcouru le monde… Celle de Eugénie de Montijo, de Luchino Visconti, d’Audrey Hepburn ou plus près de nous de Keith Richards ? Des secrets de voyages en ces pages délicieusement partagés.
Un voyage au long cours de plus de quatre-cents pages aussi séduisant que cocasse que viennent illustrer les dessins frais et épurés, reconnaissables entre tous, de Pierre Le-Tan.
 

« L’Abstraction » d’Arnauld Pierre et de Pascal Rousseau ; Sous coffret, 28.8 x 34.5 cm, 400 p., Éditions Citadelles & Mazenod, 2021.
 


C’est une publication incontournable que les Éditions Citadelles & Mazenod nous proposent avec ce superbe volume entièrement consacré à « L’Abstraction ». Ce mouvement artistique né au début du siècle dernier en occident et qui sut s’affranchir des codes figuratifs et mimétiques représentant jusqu’alors le réel. Naissent ainsi les formes, couleurs, lignes et mouvements de ce mouvement dénommé « Abstraction » tel que nous le rappelle si joliment le coffret de cette splendide publication avec les œuvres de Robert Delaunay et d’Helen Frankenthaler. Par ces codes esthétiques, « L’Abstraction » impose un nouveau langage visuel auquel sont convoqués aussi bien artistes, philosophes que scientifiques.
Cet ouvrage sans précédent offre une vision « grand-angle » unique à la fois analytique et internationale de cet extraordinaire mouvement artistique ayant marqué le XXe siècle. Avec une vaste et belle iconographie, ce volume coécrit par Arnauld Pierre, professeur d’histoire de l’art à Sorbonne Université, et Pascal Rousseau, professeur de l’art contemporain à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’École des beaux-arts de Paris, livre en effet une synthèse d’une rare richesse de ce mouvement artistique à nul autre pareil. L’Abstraction fut dans l’histoire de l’art une véritable révolution, un changement sans précédent de paradigme marquant une rupture majeure. Loin d’être une simple aventure stylistique, les auteurs soulignent combien l’abstraction fut comparable à la Renaissance florentine au XVe siècle.
C’est cette fabuleuse évolution que nous retracent magistralement étape par étape Arnauld Pierre et Pascal Rousseau dans ce fort volume, remontant aux prémices de l’abstraction, de ses origines, ses pionniers avec, bien sûr, Kandinsky et Piet Mondrian, jusqu’à l’art contemporain et parcourant le monde de l’Europe à l’Amérique latine jusqu’au Japon. Aucun angle de cet extraordinaire mouvement dépassant largement l’histoire de l’art n’a été en ces pages négligé que ce soit ses racines remontant au milieu du XIXe siècle, sa mondialisation ou encore les évolutions technologiques du cinéma au numérique. Les formes, couleurs et lumière de Kupka ou encore de Picabia, éblouissent. L’imaginaire s’emballe grâce aux dérèglements des formes et structures des années 1960 – 1980. Des œuvres majeures les plus emblématiques de l’abstraction aux expérimentations cybernétiques de ces dernières décennies, le lecteur ébahi vogue dans l’univers de l’abstraction. Les formes, couleurs et concepts prennent sous ses yeux vie l’entrainant pour son plus grand plaisir dans ce fabuleux monde qu’offre « L’Abstraction ».
Une remarquable entreprise menée par deux grands spécialistes qui ne pourra par son analyse et sa richesse que s’imposer en ouvrage de référence.
 

« O’Keeffe » de Camille Viéville ; Relié sous coffret, 32.5 x 27.5 cm, 325 illustrations couleur, 384 pages, Editions Citadelles & Mazenod, 2021.
 


A souligner la splendide monographie consacrée à Georgia O’Keeffe, artiste moderniste majeure du XXe siècle, aux éditions Citadelles et Mazenod. Une artiste américaine internationalement saluée de son vivant, mais qui demeure étrangement et injustement trop peu connue en France.
Signé Camille Viévielle, spécialiste de l’art contemporain, ce superbe ouvrage nous ouvre (enfin) les portes de son immense œuvre. Poussant toujours plus loin ses recherches, laissant éclater son expressivité, les formes et les couleurs, c’est une œuvre foisonnante que nous a laissée, en effet, Georgia O’Keeffe (1887-1986).
Au plus près de son travail par son analyse et son abondante et magnifique illustration, l’ouvrage aborde la jeunesse et les premières années de l’artiste avant d’entraîner littéralement son lecteur dans chacune des grandes périodes O’Keeffe. Du modernisme New Yorkais des années 1920, entre figuration et abstraction, des années minimales de l’après-guerre aux années 60 durant lesquelles elle s’imposera en pionnière de l’art « hard edge » en passant par ses tableaux aux fleurs reconnaissables entre tous ou encore ses paysages néo-mexicains, les toiles de l’artiste fascinent. Des toiles grandioses aux formes voluptueuses, aux couleurs éclatantes ou profondes, quelque soit la période considérée, O’Keeffe s’impose et se démarque avec cette force picturale incroyable. Comment oublier la sensualité de ses fleurs, la volupté ronde de ses paysages, la puissance de ses toiles ?
Une force de vie que l’on retrouve également dans son quotidien et sa propre vie. Georgia O’Keeffe fut, en effet, non seulement l’une des plus grandes artistes nord-américaines du XXe siècle, mais aussi une femme exceptionnelle, indépendante et libre. Et si Georgia O’Keeffe affirma à la fin de sa vie : « Je suis fatiguée de ma propre histoire, de mon mythe », Camille Viéville ajoute, à juste titre, en conclusion de ce superbe ouvrage : « Pourtant ce mythe aux multiples facettes – la pionnière du modernisme, la femme forte et indépendante, la solitaire du désert – n’a cessé de grandir depuis les années 1960-1970, notamment au travers d’une nouvelle génération d’artistes ».
Une monographie exceptionnelle, aussi grandiose que l’œuvre de Georgia O’Keeffe, et qui ne peut que s’imposer en ouvrage de référence.
 

« Borders » ; Photographies de Jean-Michel André et texte de Wilfried N’Sondé ; Relié, 24 x31.7 cm, 110 p., Éditions Actes Sud, 2021.
 


C’est un ouvrage puissant et à nul autre pareil que nous livre aujourd’hui aux éditions Actes Sud le photographe Jean-Michel André accompagné du texte de l’écrivain Wilfried N’Sondé. Fruit d’une réflexion et d’un travail de quatre années, Jean-Michel André entend donner à voir ou plus précisément à se souvenir, ici, du visage de l’autre au sens de Levinas, celui que trop souvent nous ignorons ou ne voulons pas voir. Migrants, immigrés, sans-abris, femmes ou hommes en vie, habités de désespoir, espoir et de rêves. Jean-Michel André, artiste de la Galerie Sit Down, n’a eu de cesse depuis plus de vingt ans dans sa création photographique d’interroger les territoires, les limites, la mémoire et l’oubli. Oubli du visage de ces hommes de dos encapuchonnés assis au milieu de nulle part regardant le lointain de l’horizon…
Aussi n’est-il pas étonnant que le dernier ouvrage du photographe « Borders », sans être ni un témoignage et encore moins un reportage, livre au-delà des splendides photographies une réelle et belle réflexion photographique, une profonde réflexion trouvant son plein écho à la fois dans les paysages esseulés, désolés, et dans les textes forts de Wilfrid N’Sondé. Wilfrid N’Sondé, écrivain, musicien-compositeur et chanteur, mène, lui aussi pour sa part, une œuvre littéraire ancrée sur l’exil, la marginalité et notre rapport à l’autre. Le photographe Jean-Michel André et l’écrivain Wilfrid N’Sondé ne pouvaient pas dès lors ne pas se rencontrer. Le destin les a fait se croiser à l’Institut français de Tunis et débuter ce fructueux dialogue qu’ils nous offrent aujourd’hui de découvrir dans ce bel ouvrage.
Un dialogue profond et poétique puisant également sa force dans une mise en page originale et pensée, alliant aux écrits de W. N’Sondé sur feuille volante la superposition des petits et grands formats photographiques. Le lecteur découvrant, lisant, tournant, revenant, ne peut dès lors que plonger littéralement dans une belle et longue méditation. La lune sur Voie lactée se montre, s’efface pour mieux réapparaître… Les textes s’envolent et se décalent, les frontières deviennent floues, l’espace-temps se modifie au gré des photographies et des textes. Dunes perdues et esseulées, crêtes arides et blessées, lorsque la mer devient noire et que les ciels s’assombrissent. Loin de vouloir un énième témoignage, les auteurs ont souhaité gommer toute localisation ou chronologie. C’est à un vertige source d’écho et de résonnance qu’invite cet ouvrage dans une étrange et belle alchimie de désespoir et de poésie.
Un bel ouvrage qui résonne longtemps encore après avoir été refermé…

 

« Avant-Garde as Methode –Vkhutemas and Pedagogy of Space – 1920-1930 »; Sous la direction d’Anna Bokov, avec les contributions de Kenneth Frampton et d’Alexander Lavrentiev ; 24 x 31 cm, 664 p., 1045 illustrations, Éditions Park Books, 2021.
 


À souligner la parution aux éditions Park Books d’un ouvrage complet et unique en son genre, extrêmement bien documenté, entièrement consacré aux méthodes d’enseignement des Vkhutemas en Union Soviétique durant les années 1920-1930.
Ces instituts d’art et de technologie supérieurs moscovites, à l’instar du Bauhaus, furent les premiers à souhaiter dispenser un enseignement artistique et technologique à très large échelle, nommé « la méthode objective ». Anna Bokov, architecte et historienne d’architecture, revient sur cet enseignement expérimental et ces années moscovites durant lesquelles l’Avant-Garde s’imposa comme méthode à part entière.
 

 

A travers une multitude de chapitres, de riches contributions et une abondante iconographie, l’auteur a souhaité explorer les diverses facettes de cet enseignement associant aux valeurs traditionnelles académiques celles plus novatrices de l’ère industrielle. Un enseignement à large échelle fondé avant tout sur une nouvelle approche pédagogique reposant autant sur l’expérimentation en atelier que sur les échanges réciproques entre enseignants et étudiants. Les différentes structures des Vkhutemas, ayant développé cette nouvelle approche d’enseignement artistique et technologique, furent par la suite largement intégrés au programme officiel soviétique de ces années 1920-1930. Fort de plus de 600 pages, de programmes, photographies et illustrations, l’ouvrage retrace ainsi avec précision le développement et les objectifs pédagogiques mis en œuvre par les Vkhutemas, centre de l’avant-garde soviétique, que ce soit le constructivisme, le rationalisme ou encore le suprématisme.
Anna Bokov souligne, enfin, combien les Vkhutemas ont su développer « L’Avant-Garde comme Méthode », notamment par une pédagogie spécifique de l’espace et de l’architecture. Une expérimentation pédagogique qui déboucha sur de nombreux projets et réalisations architecturaux et urbains.

 

« SUR LES CHEMINS DU PARADIS » ; Catalogue de l’Exposition éponyme au musée Les Franciscaines de Deauville, éditions Hazan, 2021.

 


Le catalogue de l’exposition « Sur les chemins du Paradis » publié aux éditions Hazan vient inaugurer le nouveau pôle culturel « Les Franciscaines » de la ville de Deauville. Cette réflexion convoquant le témoignage des trois religions sur le paradis s’appuie sur l’image et l’art au carrefour des cultures. Thierry Grillet, le commissaire de cette exposition ouverte sur une dimension plurielle, entend inscrire cet évènement dans le dialogue entretenu par les promesses du paradis de ces différentes religions. Ainsi que le souligne le maire de Deauville, Philippe Augier, en avant-propos « L’exposition elle-même Sur les chemins du paradis est en soi une déclaration, un appel à la tolérance et à la compréhension mutuelle ».
Le processus de la croyance, de la foi, les difficultés de la vie à la recherche d’un espace d’espoir sont autant de dimensions permettant d’aborder cette notion, celle de la représentation du paradis dans les trois monothéismes, de manière plurielle et fertile. Le catalogue souligne ainsi par le moyen de l’art contemporain ce questionnement fondamental de l’homme, telle cette toile monumentale de Miguel Rotschild, représentant une voûte céleste réalisée à partir d’un cliché d’une région de l’univers pris par un télescope, et qui ouvre la partie consacrée au catalogue de l’exposition.
Ces Visions plurielles du Paradis sont analysées de différents points de vue, internes ou extérieurs, aux trois religions, l’Islam, le Judaïsme et le Christianisme. L’Histoire, la politique, les intérêts des diverses autorités religieuses en fonction des époques influencent et « façonnent » un paradis aux multiples contours, ainsi qu’il ressort de ce catalogue à la riche iconographie.
Cet ouvrage offre ainsi une synthèse et un témoignage actif sur ces visions du paradis en une approche didactique éclairée par la vision des artistes conviés pour cette exposition. Ces derniers allant des classiques jusqu’aux artistes les plus contemporains, du Livre des morts de l’Égypte antique jusqu’à la disparition du couple adamique avec Incarnation de Bill Viola.


« Maurice Denis – Amour » ; Catalogue d’exposition sous la direction de Catherine Lepdor et Isabelle Cahn, 227 x 286 mm, 192 p., Éditions Hazan, 2021.
 


Le présent catalogue propose de plonger dans l’œuvre peint du grand artiste Maurice Denis à l’occasion d’une exposition qui au musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne et avant la réouverture du Musée Maurice Denis à Saint-Germain-en-Laye. L’univers subtilement esquissé dans chacune des toiles du peintre invite le lecteur à une contemplation à la fois mystique et amoureuse de la vie sous toutes ses facettes et qui rayonne de ses œuvres. Bien que saisissant au fil de ses pinceaux une vie bucolique qui se présentait devant lui, avec sa famille au Prieuré comme dans ses lieux de villégiature en Bretagne, Maurice Denis fut cependant loin d’être un peintre béat. C’est, en effet, à une certaine abstraction et à la théorie de l’art auxquelles s’est consacré ce peintre insatiable des techniques et des moyens de rendre la réalité, son fameux jugement sur l’art étant resté célèbre et répété à l’envi : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».

 


Ce sont l’amour et la religion qui viennent scander les toiles réunies à l’occasion de l’exposition de Lausanne, une belle invitation à entrer au cœur de la création du célèbre Nabi, et l’ouvrage propose dans sa première partie, à travers ces œuvres, de mieux appréhender cette part théorique du peintre qui attachait la plus grande importance à l’harmonie des formes et des couleurs au point d’atteindre une dimension symbolique qui force encore l’admiration un siècle après son expression. Les nombreuses références explicites ou implicites à la foi de l’artiste transparaissent et confèrent toute leur profondeur à ces œuvres aux lectures multiples.
Mais Maurice Denis s’avère être aussi un artiste de son temps. Aussi le catalogue souligne-t-il également les variations de son art en fonction du milieu artistique dans lequel il évoluait, entre la période Nabi et les œuvres symbolistes, sans oublier son retour à un certain classicisme. Couvrant une période allant de 1888 à la veille de la Première Guerre mondiale, ce catalogue réunit dans la deuxième partie d’admirables œuvres telles la fameuse « Tache de soleil sur la terrasse » datant de 1890, les « Arabesques poétiques pour la décoration d’un plafond » dont l’univers semble si proche des plus belles compositions de Claude Debussy, mais aussi « La Dormeuse au jour tombant », la touchante « Procession sous les arbres » et tant d’autres compositions puisées à l’inspiration la plus profonde.
Un très joli et riche catalogue des plus inspirants.

 

« The Julius Baer Art Collection », 22 x 29 cm, 404 p., 358 illustrations, Editions Scheidegger & Spiess, 2021.
 


Le splendide ouvrage entièrement consacré à la Collection d’art Julius Baer publié aux éditions Scheidegger et Spiess réjouira les amateurs d’art contemporain et trouvera assurément bonne place dans toutes bonnes bibliothèques d’art. La Collection Julius Baer comprend aujourd’hui, en effet, pas moins de 5 000 œuvres. Qu’il s’agisse de Jean-Antoine Fehr, Jean Tinguely, Yves Netzhammer, Thomas Huber et bien d’autres artistes majeurs, la curiosité du lecteur de ce volumineux ouvrage ne pourra que trouver satisfaction à découvrir les œuvres originales de ces artistes suisses d’art contemporain. Internationalement reconnus ou donnés de nos jours au titre de talents émergents, chacun de ces artistes (Nelly Bàr, Roma Signer, Thomas Hubert…) a su par sa singularité retenir l’intérêt de la Collection Julius Baer et ses amateurs d’art avertis. Une diversité inouïe, peintures, dessins, collages, photographies, vidéos et installations trouvent, en effet, en ces pages une place de choix dont l’iconographie choisie de plus de 350 illustrations, offrant de nombreuses pleines pages, voire doubles pages, rend parfaitement compte.
De nombreux et courts textes, notamment de Samuel Gross, de Barbara Habetur, Hans Rudolph Reust… viennent également éclairer artistes et œuvres présentés. Des textes eux-mêmes introduits par des écrits signés entre autres de Barbara Staubi, historienne de l'art et conservatrice de la Julius Baer Art Collection ou encore Giovanni Carmine, et proposant un véritable dialogue entre l’art, l’institution et la Collection Julius Baer.
Publié à l’occasion du cent trentième anniversaire de la Bank Julius Baer fondée en 1890 à Zurich, ainsi que le souligne Raymond J. Bär, petit fils d’Ellen Weyl-Bär, en sa préface, c’est véritablement un grand angle unique qu’offre au regard ce magnifique ouvrage sur l’ensemble de la Collection Julius Bauer. Un panorama de plus de 400 pages d’autant plus précieux que la présentation de cette dernière fait habituellement l’objet d’une rotation régulière dans les divers établissements de la banque pour des raisons compréhensives d’accrochage.
Quel plaisir, donc, de pouvoir pour l’amateur d’art contemporain à son gré découvrir et contempler l’ensemble de cette formidable et incroyable collection qu’est la Collection Julius Baer !
 

« Picasso-Méditerranée » ; Collectif sous la direction d’Émilie Bouvard, Camille Frasca et Cécile Godefroy ; 18.8 x 23.5 cm, 400 illustrations, 448 p., Editions In Fine, 2021.
 


C’est un magnifique ouvrage consacré à l’œuvre de Pablo Picasso et la Méditerranée que nous proposent aujourd’hui les éditions In Fine. Optant pour une approche transversale, avec pour fil d’or le bleu azur de la Méditerranée, c’est en effet un voyage original tout picassien que nous offre au regard cet ouvrage collectif aux riches et nombreuses contributions. Sous la direction d’Émilie Bouvard, Camille Frasca et Cécile Godefroy, cinq escales attendent le lecteur : de l’Espagne, terre natale du peintre avec Guernica, bien sûr, mais aussi Malaga, jusqu’au Sud de la France, en passant par la Grèce, la mythologie, la Crète et les Cyclades, l’Italie ou encore le Maghreb et le Proche-Orient.
Ce riche ouvrage « Picasso- Méditerranée » est l’aboutissement de rencontres de 2017 à 2019 à l’initiative du Musée national Picasso-Paris de plus de quarante-cinq expositions et soixante-dix institutions ayant eu pour objectif de présenter des approches singulières et renouvelées de l’œuvre de Picasso. Ainsi, entre ports d’attache et ouvertures multiples vers les horizons de l’œuvre du peintre, l’ouvrage dévoile bien des liens ténus, connus ou parfois découverts, qu’entretint Pablo Picasso avec la Méditerranée. Véritable dialogue entre le peintre, ses œuvres et ses lieux de prédilection teintés du bleu méditerranéen, ce collectif entend tout à la fois relever de l’Atlas de géographie, du livre d’art par sa riche iconographie de plus 400 illustrations que du dictionnaire ou du guide de voyage.
Voguant sur cette approche transversale, le lecteur optera selon son humeur pour un long et beau voyage en compagnie d’un des plus grands peintres du XXe siècle ou préférera parcourir ces pages par escapades rejoignant ici ou là Pablo Picasso devant son chevalet. Ainsi, pourra-t-il retrouver le peintre dans « L’atelier du midi » de la France, à Aix-en-Provence, Antibes, Mougins ou encore Cannes et La Californie, sans oublier Vallauris et l’atelier Madoura, Vauvenargues et tant d’autres lieux encore… S’entrecroisent, ici, œuvres, photographies, amis, rencontres, mais aussi thèmes - cinéma, cuisine méditerranéenne, et surtout ces cartes blanches venant émailler ces 450 pages et donnant cette saveur particulière à l’ouvrage.
« Picasso – Méditerranée », un collectif réservant par son approche transversale, dynamique et singulière, et sa riche iconographie, bien des découvertes et de jolies escales méditerranéennes jalonnant l’ensemble de l’œuvre de Picasso.
 

"Le Livre de Kells" de Bernard Meehan ; 275 illustrations couleurs, relié en toile sous jaquette illustrée, 25 x 32 cm, 256 p., Editions Citadelles & Mazenod, 2020.
 


Le livre de Kells compte assurément parmi les plus beaux manuscrits du Moyen Âge. Ce trésor conservé au Trinity College de Dublin fut probablement réalisé au cours du IX° siècle dont il célèbre la splendeur à la veille de l’an Mil. Ses enluminures ont largement contribué à la notoriété mondiale de ce témoin de l’âge d’or des manuscrits occidentaux. La présente étude menée par Bernard Meehan fait entrer le lecteur dans les arcanes secrets du Livre de Kells dont l’auteur est l’un des spécialistes incontestés.
Par son format généreux 25 x 32 et à la reproduction en taille réelle de plus de 80 folios sur les 340 que compte le manuscrit, il est désormais loisible de plonger littéralement au cœur de cette source inestimable du christianisme irlandais proposant les quatre évangiles ornés de leurs superbes enluminures. Bernard Meeham ne se limite pas à restituer la seule beauté esthétique de cette précieuse source, mais accompagne ces somptueuses images d’une riche étude de fond permettant de mieux comprendre non seulement la réalisation technique de ce chef-d’œuvre, mais également le contexte historique et religieux dans lequel il s’inscrit.
Le lecteur du Livre de Kells pourra désormais, par ce splendide ouvrage, tourner un à un les plus beaux folios de ce manuscrit livrant un témoignage unique sur les quatre évangélistes en ce tournant historique du Moyen Âge, ainsi que de nombreux passages bibliques déterminants. Dès les premières pages, les nombreux entrelacs des enluminures témoignent de cet héritage croisé entre l’antiquité et les premières royautés issues des invasions barbares.

 


La finesse des lettrines, l’humour et le soin apporté à émailler le texte de personnages et figures étranges ou symboliques afin de mieux rappeler le lecteur à l’étude même du texte, la graphie parfaite de l’écriture manuscrite réclamant un compte d’heures inconcevable à notre époque, font du Livre de Kells un exemple exceptionnel de la culture médiévale au tournant du millénaire. Il n’est donc pas étonnant que cette source remarquable compte parmi les emblèmes de la culture irlandaise, et plus largement occidentale. Ainsi que le relève Bernard Meeham, l’attraction qu’exerce le Livre de Kells tient surtout à ce qui ne se voit pas, mais se trouve suggéré par le manuscrit.
À la fois familier en ses multiples références chrétiennes, il dévoile également par bribes des aspects étranges, voire inconnus, de la symbolique préromane aux nombreuses réminiscences celtiques. Ce trésor de l’art irlando-saxon, connu également sous le nom de Grand Évangéliaire de saint Colomba, n’a pas fini de susciter interrogations, surprises, et ravissements, à l’image de cette merveilleuse étude livrée par ce livre d’exception publié aux éditions Mazenod !
 

« Jean Delpech – L’œuvre de guerre » sous la direction d’Hélène Boudou-Reuzé ; Préface d’Arianne James-Sarazin ; 28 x 22 cm, 328 p., Editions InFine, 2023.
 


C’est un bel ouvrage dédié à l’œuvre de guerre de Jean Delpech (1916-1945) que nous proposent les éditions InFine. Un ouvrage long format exceptionnel réunissant l’ensemble de ses gravures et dessins consacrés à la Seconde Guerre mondiale. Jean Delpech, graveur de renom, a en effet représenté de manière quasi-obsessionnelle de 1938 à 1945 toutes les images de guerre, mais aussi d’occupation et de libération qui se sont imposées à lui durant ces années de conflit. Delpech observe tout, regarde et regarde encore... C’est un véritable témoignage d’une époque sombre et déchirée qu’a entendu laisser par une œuvre atypique l’auteur, Jean Delpech, et sur laquelle reviennent dans de riches contributions Hélène Boudou-Reuzé, assistante de conservation et chef de projet au musée de l’Armée, et Laétitia Desserière, chargée des collections de dessins au département iconographie du musée de l’Armée. Foisonnement de détails, mais aussi d’associations et de traumatismes, ces œuvres retiennent indéniablement longuement l’attention… Une « Obsession du dessin » et un « infatigable graveur », des thèmes incontournables pour appréhender l’œuvre de guerre de Jean Delpech que développe également dans deux essais Laétitia Desserrière.
Né au Viêtnam au début du siècle dernier, les œuvres de Jean Delpech retracent ses années où il sera, d’abord, lors de son service militaire, soldat dans le 15e bataillon de chasseurs alpins de 1938 à 1939, puis soldat dans l’armée française durant la guerre, avant de devenir correspondant de guerre en Allemagne en 1945 ; une personnalité complexe et un parcours sur lesquels revient Brigitte Delpech.
Le lecteur découvrira, en seconde partie de l’ouvrage, un catalogue de l’ensemble de cette œuvre graphique de guerre – plus de 700 estampes et dessins conservés au musée de l’Armée. Un catalogue ordonné de manière thématique et qu’accompagnent encore de nombreux textes dont « La guerre imaginée », « Trophées et monuments », « Delpech reporter de guerre » ou encore « œuvres d’après-guerre » ...
 

« L’Album de Marie-Antoinette – Recueil des vues et plans du Petit Trianon – 1781 », « Étude et commentaires » par Elisabeth Maissonier, coédition Château de Versailles / Éditions In fine , 2023.
 


Quelle plus belle présentation pouvait-on souhaiter pour ce merveilleux « Album de Marie-Antoinette » dédié aux Petit Trianon et à ses jardins que celle des éditions In Fine !
Parcourant du regard, le coffret cartonné de cet « Album de Marie-Antoinette » orné d’un dessin représentant le belvédère du Petit Trianon et la grotte du jardin anglais, le lecteur songe déjà… avant d’ouvrir et de découvrir d’un côté le « Recueil des vues et plans du Petit Trianon » de 1781, et de l’autre, à droite, une « Étude et commentaires » réalisés par Elisabeth Maisonnier.
Rappelons que c’est en 1774 que Louis XVI devenu alors roi de France offre à Marie Antoinette le Petit Trianon commandé par son grand-père Louis XV et achevé moins de dix années auparavant en 1768. Marie-Antoinette entreprendra de suite d’en redessiner les jardins. Ce sera alors une succession de véritables décors végétaux dans l’air de la Cour qu’elle fera exécuter ; des jardins dans le style « anglo-chinois » dans lesquels prendront vie grottes, temples, belvédère et l’émerveillement des fêtes royales… Marie-Antoinette commandera à Richard Mique, son architecte, plusieurs grands recueils. C’est la splendide reproduction de l’un de ces recueils aquarellés et illustrés par les aquarelles de l’artiste Claude Louis Châtelet, celui précisément personnel de Marie-Antoinette, que le lecteur aura le plaisir de parcourir …
Un voyage dans le temps, au Petit Trianon, à Versailles et même au-delà dont Elisabeth Maissonier, conservatrice au Château de Versailles, nous livre une étude aussi riche et passionnante que merveilleuse par sa vaste iconographie. Aquarelles, dessins, plans et œuvres peintes viennent continuer le plaisir des yeux. Une étude, plus-value indéniable et des plus fructueuses, permettant au lecteur de comprendre et d’appréhender pleinement tout le symbolisme et la place du Petit Trianon et de ses jardins en cette fin de XVIIIe siècle.
 

« Peintures chinoises » de Xinmiao Zheng et Hongxing Zhang, 32 x 42 cm, 210 illustrations, 272 pages, Editions Citadelles & Mazenod, 2023.
 


Rares sont les beaux livres sur la peinture chinoise en langue française, les estampes japonaises accaparant souvent plus l’attention. Et pourtant, la présente publication aux éditions Citadelles & Mazenod, « Peintures chinoises », offre une splendide démonstration de la préciosité et somptuosité millénaire de cet art trop souvent ignoré des occidentaux. Un de ses meilleurs spécialistes, Xinmiao Zheng, directeur du musée du Palais à Pékin, accompagné de Hongxing Zhang, signe cet ouvrage exceptionnel tant par son iconographie que sa mise en page avec pas moins de 210 illustrations, sans oublier le large éventail couvert allant du début de notre ère jusqu’au XIXe s.

 


Monde lettré et artistes noueront rapidement au cours de cette longue de l’histoire des liens si étroits qu’ils influenceront la réalisation même de ces œuvres raffinées où chaque détail fait signe. Véritable cheminement intérieur et spirituel, ces peintures manifesteront ainsi très tôt les traits caractéristiques de la peinture chinoise où calme et sérénité s’immiscent au sein même de la nature en de multiples symboles. Le pin, les montagnes, les barques esseulées sur un lac prendront ainsi autant de valeur, si ce n’est plus, que la représentation souvent discrète de personnages, exception faite des peintures de personnage et hauts dignitaires de la cour.
Avec un généreux format et sa somptueuse présentation, cet ouvrage en reliure chinoise et sous coffret satin illustré convie le lecteur à entrer dans un monde feutré et délicat à nul autre pareil où l’art de la peinture suggère également un art de vivre.
 

« Le Nu » d’Alexis Merle du Bourg ; 26 x 37,5 cm, 320 ill., 352 p., Editions Citadelles & Mazenod, 2023.
 


Le nu compte assurément comme l’une des représentations les plus anciennes dans l’histoire – et même de la préhistoire - de l’art. Parfois privilégié au dépend du paysage et de la nature, d’autres fois vilipendé au nom de valeurs s’y opposant, le nu laisse rarement indifférent, suscitant convoitises, passions, haine ou encore détestations… Sujet passionnant auquel est justement consacré ce monumental ouvrage tant par ses dimensions que par l’impressionnant grand angle retenu.

 

 

Cette somme remarquable signée par l’historien de l’art Alexis Merle du Bourg étudie en effet les origines de cet art et ses mythes fondateurs, la nudité de l’Eden et celle prisée des Grecs venant en premier à l’esprit. Formes originelles encore pures mais déjà non dénuées d’enjeux comme pour Aphrodite et Phryné, sans oublier le fameux Jugement de Pâris… Chaque époque antique porte un nouveau regard sur la nudité, qu’il s’agisse de la période hellénistique, bientôt touchée par les influences de l’orient ou de celle du christianisme et des ambivalences dans la représentation du corps dans la Bible.

 


L’ouvrage somptueux par le choix de sa riche iconographie offre un dialogue toujours renouvelé entre le texte d’une clarté lumineuse et les plus belles œuvres d’art retenues par l’auteur, qu’il s’agisse de la sculpture ou de la peinture. Chaque période ouvre sur une réflexion portant sur l’homme, les artistes traduisant la plupart du temps l’esprit qui prévalait en leur temps ainsi qu’il ressort de cette renaissance humaniste ou encore de ce baroque revisitant l’antique en d’incroyables audaces. Les pages consacrées à Rubens et à Poussin passionneront également le lecteur tant l’interprétation de l’auteur concourt sans hésitation à ce que le lecteur redécouvre ces œuvres. Nombreuses seront encore les découvertes avec cet ouvrage passionnant tel le Nu à l’épreuve de la modernité qui témoigne de la richesse de ce sujet qu’explore avec brio cet ouvrage de référence.

 

 

« L’art des jardins en Europe » de Yves-Marie Allain et Janine Christiany, 24,5 x 31 cm, Ouvrage broché avec rabats, 632 pages, 544 illustrations, Citadelles & Mazenod, 2023.
 


C’est une véritable somme sur l’art des jardins en Europe que nous proposent Yves-Marie Allain et Janine Christiany avec cette publication exceptionnelle de plus de 600 pages. L’ensemble du continent européen se trouve appréhendé en un seul ouvrage à la riche iconographie (544 illustrations) par ces deux spécialistes offrant chacun une analyse propre à leur parcours professionnel. Le jardin est depuis la nuit des temps l’objet d’une riche symbolique – le fameux jardin d’Eden – et n’a cessé depuis ses origines d’être l’objet de réflexions, passions et pouvoirs… Ce sont ces intrications complexes qu’analysent les auteurs du présent ouvrage aussi beau qu’instructif sur cet art des jardins que l’on pensait à tort bien connaître et qui, après lecture, révèlera bien des facettes méconnues. L’histoire, la philosophie, la religion tout autant que les sciences ont été depuis longtemps convoquées parallèlement aux connaissances scientifiques requises pour concevoir un jardin. Cette symbolique manifeste dans bien des jardins de l’Ancien Régime tel celui incontournable du Château de Versailles traduit les enjeux réunis dans un grand nombre de conception de jardins en Europe. L’ouvrage aborde en premier lieu l’ensemble de ces aspects de l’art du jardin où architectes, jardiniers, pépiniéristes, horticulteurs mais aussi théoriciens sont convoqués par les commanditaires, qu’ils soient officiels ou privés. Quelle évolution peut ainsi être soulignée entre les jardins de la Renaissance et ceux des années 1930 ! Car il est possible de parler de style ainsi que le soulignent les auteurs à l’image de la mode vestimentaire ou alimentaire. Le jardin forme un univers éphémère qui demeure rarement identique quelques décennies après sa création, s’il ne disparaît pas peu après… Aussi, ce tour d’Europe des 170 jardins d’exception qui ont bravé le temps apparaîtra pour le lecteur qu’il soit amateur ou professionnel un témoignage rare et précieux, des fameux jardins d’Alhambra au non moins fabuleux de Claude Monet à Giverny, sans oublier bien entendu Versailles, Lisbonne et le palais Fronteira, la villa Borghèse à Rome et bien d’autres écrins uniques et oubliables qu’il sera loisible de visiter en feuilletant les pages de ce remarquable et inspirant ouvrage.

 

« Turner » de John Gage, traduit de l’anglais par Hélène Tronc et Odile Menegaux, Coll. « Les Phares », Editions Citadelles et Mazenod, 2023.
 


 

Sublime, tel est incontestablement le qualificatif qui convient !
Sublime, bien sûr, par son sujet, puisque entièrement consacré à l’un des plus grands artistes anglais du XIXe siècle, le peintre, aquarelliste, dessinateur et graveur, J.M.W Turner.
Sublime, également, par la qualité de l’ouvrage lui-même, tant par sa remarquable iconographie que par sa mise en page avec son grand format et ses multiples et appréciables pleines voire doubles-pages.
Sublime, enfin, par la qualité du texte de cette monographie signée John Gage et traduite de l’anglais par Hélène Trone et Odile Menegaux.
Comment, en effet, ne pas succomber à la beauté et richesse de l’œuvre de Turner ? Comment, face à des toiles telles que « Fusées et signaux de détresse pour prévenir les vapeurs des bas-fonds » de 1840 ou encore « L’incendie des Chambres des Lords et des Communes » de 1834, ne pas ressentir ce sentiment d’infinité ?

L’auteur a retenu pour cet ouvrage une approche thématique permettant de cerner, mieux qu’une stricte chronologie ou biographie, les traits marquants révélant tant l’évolution de l’œuvre que le caractère même du peintre anglais. Le lecteur découvrira ainsi un Turner paysagiste et théoricien de la couleur incontestable, une spécificité que le peintre a développée tout au long de sa vie au travers de ses nombreux voyages, mais qu’il a également su imposer à la Royal Academy. Turner, largement soutenu par son père, fut introduit très jeune, en effet, dans les cercles influents de la peinture anglaise et entra à un âge précoce dans cette haute institution. Appuyé par de nombreux mécènes, cela lui valut une réputation largement saluée de son vivant notamment par le célèbre critique d’art Ruskin, mais aussi, ainsi que le souligne J. Gage, enviée en retour par de nombreux rivaux.
Il en fallait, cependant, plus pour décourager ce peintre au caractère certes introverti mais trempé, surtout doué d’un sens de l’observation rare et d’une curiosité insatiable, « Un esprit merveilleusement divers », selon les mots de son contemporain Contestable et titre du dernier chapitre de cette dynamique monographie. La richesse de l’œuvre de Turner est, il est vrai, incomparable, lui qui sa vie durant n’eut de cesse de rendre au mieux la lumière et l’atmosphère, une quête de liberté qui marqua par son œuvre autant le romantisme qu’il annoncera l’impressionnisme ou encore l’abstraction. Cependant, à ce constat, J.Gage ajoute malicieusement et à juste titre : « L’interprétation moderniste de Turner est devenue courante et même une tradition bien établie. Elle est pourtant bien insuffisante pour saisir l’ampleur et l’originalité de son art ». Que dire de plus ?

 

« Histoire & médecine » d’Alexis Drahos, relié sous coffret, 352 p., Editions Citadelles & Mazenod, 2022.
 


Livre d’art ? Livre de sciences ? Le dernier ouvrage paru aux éditions Citadelles & Mazenod conjugue avec un rare bonheur et sous la plume d’Alexis Drahos les deux approches en une synthèse des plus éclairantes sur les origines de la médecine depuis l’Antiquité vue par l’art. En un véritable parcours au fil des siècles illustré par les plus grandes œuvres d’art, « Art & médecine » explore en effet pour la première fois en langue française les liens entretenus entre les deux arts. Le corps humain, tour à tour secret puis dévoilé au gré des découvertes anatomiques, n’a cessé de fasciner les artistes qui ont cherché à en capter les mystères dans leurs créations. Le lecteur apprendra ainsi que des scènes de dissection avaient déjà été saisies par des artistes dès l’Antiquité et bien avant les fameuses études de Léonard de Vinci…

 

 

L’œuvre d’art n’a pas qu’une fonction esthétique dans ses rapports à la médecine et bien souvent elle a été un moyen de consigner les connaissances et d’en diffuser les savoirs. Rivalisant de dextérité avec les médecins, ces artistes œuvrent, pour certains d’entre eux, selon une véritable démarche scientifique dans leurs représentations du corps humain, même si les sciences invalideront seulement ultérieurement certaines de leurs conclusions. Ce sont toutes les disciplines médicales dont nous pouvons ainsi suivre les évolutions au fil des dessins, gravures, peintures et autres écorchés en cire… Les pathologies s’invitent également en ces pages parfois dérangeantes, mais révélant les progrès des sciences. Que de chemin parcouru en effet entre les redoutables saignées de l’Ancien Régime et nos transplantations cardiaques !

 


L’un des multiples intérêts de cet ouvrage passionnant sera d’offrir une sélection des plus inspirées des œuvres maîtresses de l’histoire de l’art, l’auteur étant sur le sujet intarissable qu’il s’agisse de Léonard de Vinci ou de Damien Hirst, d’Erasistrate de l’école d’Alexandrie ou des leçons d’anatomie sous le pinceau de Rembrandt. Chaque siècle témoigne de son rapport au corps et à ses pathologies – une mise à jour des plus actuelles inclut même la terrible Covid-19, l’acuité du regard de l’artiste n’étant souvent pas moindre que celui de l’homme de sciences ainsi qu’en témoigne ce bel et riche ouvrage qui n’aurait probablement pas déplu à Nicolas Bouvier, fasciné par de telles représentations, ni au grand historien de la pensée, Jean Starobinski, qui sut si brillamment lier les arts.

« The Magic of Japanese Zen Gardens » de Thomas Kierok ; Avant propos de Shunmyo Masuno ; 160 p., 110 Illustrations, 23,5 x 23,5 cm, Editions Benteli, 2022.
 


C’est bien de « magie », de notre point de vue occidental, dont il s’agit lorsque nous contemplons la perfection d’un jardin zen japonais. Cette harmonie conjuguée à une précision infaillible de chaque détail conduit à une sérénité difficilement comparable aux créations paysagistes occidentales. Il est vrai que vu d’un esprit japonais, tel celui du grand moine bouddhiste zen japonais Shunmyo Masuno qui signe la préface de ce bel ouvrage, il ne suffit pas de dresser quelques pierres entourées de sable ratissé et bordées d’érables pour parler de jardin zen… Cela demeure plus complexe que cela et c’est tout le mérite de cet ouvrage et de son auteur, le photographe Thomas Kierok d’avoir perçu cette dimension spirituelle et d’avoir su la restituer avec bonheur et beaucoup de talent sur la pellicule.

 


En conjuguant philosophie japonaise et aménagement paysager, le jardin zen cherche à atteindre cette pleine conscience et accomplissement que l’on retrouve dans la méditation zen sur un zafu. Au fil des saisons, Thomas Kierok s’est imprégné de ces véritables jardins zen à Kyoto pour en suggérer les impermanences et variations subtiles chères à tout méditant zen. La nature pour le bouddhisme est censée contenir Bouddha lui-même ainsi que ses enseignements, ce qui laisse une petite idée de l’importance de leur ordonnancement… En rapprochant ces photographies des plus inspirantes d’un florilège délicat de la poésie zen, et grâce à une conception tout autant irréprochable du livre relié japonais, Thomas Kierok parvient à nous faire partager cette « magie » des jardins zen d’une splendide manière !

 

« Textiles africains » de Duncan Clarke, Vanessa Drake Moraga et Sarah Fee, traduit de l’anglais par Jean-François Allain et Christian Vair, Éditions Citadelles & Mazenod, 2022.
 


Absolument magnifique ! Tel est ce superbe volume consacré aux « Textiles africains » paru aux éditions Citadelles et Mazenod. Avec son large format, ses plus de 440 pages et ses 300 illustrations pour beaucoup pleines pages, l’ouvrage sous la direction de Duncan Clarke avec Vanessa Drake Moraga et Sarah Fee offre une réelle mise en lumière de cet art du textile inégalé. Une mise en lumière inédite et de toute beauté qui ne pourra que réjouir et combler collectionneurs et curieux. Des textiles présentés géographiquement tous plus époustouflants les uns que les autres issus de collections publiques ou privées et pour beaucoup d’entre eux jamais montrés. On s’émerveille de tant de couleurs si chatoyantes, de tant de motifs, de variété de matières et de techniques…

 


Mais cet ouvrage à nul autre pareil ne se limite pas par son incomparable iconographie à flatter l’œil et les sens, il livre aussi au lecteur une belle analyse appuyée par des notices, photographies et cartes, que ces textiles soient anciens, de collection ou plus récents, que ce soient des vêtements du quotidien, des parures talismaniques ou encore des tentures nuptiales… Parcourant l’Afrique d’ouest en est jusqu’à Madagascar, ce sont les particularités de tissage de chaque région, de chaque peuple, qui y sont ainsi, page après page, dans toute leur beauté déployées.
Coton, laine, soie, mais aussi perles ou écorces, couleurs et matières les plus diverses se font, ici, tableaux. Une créativité ayant influencé bien des artistes peintres ou plasticiens - on songe à Klee, bien sûr, ou encore à Matisse, mais aussi et surtout aux plus grands couturiers…
Un art du tissage africain unique et éblouissant que l’on parcourt et découvre émerveillé de tant de créativité, de couleurs et de motifs.

 

« Poussin & l’amour - PICASSO | bacchanales | POUSSIN » ; Catalogue sous la direction de Nicolas Milovanovic, Mickaël Szanto, et Ludmila Virassamynaïken, In Fine Editions, 2022.
 


Le catalogue « Poussin & l’amour » paru aux éditions In Fine est assurément à la hauteur du peintre et de l’exposition qui lui est actuellement consacrée au musée des Beaux-Arts de Lyon. Cette monumentale somme dirigée par les trois commissaires fait, en effet, l’objet d’une présentation originale avec sa conception recto verso.
D’un côté, le lecteur découvrira la remarquable exposition « Poussin & l’amour », exposition qui a retenu un angle original et pourtant omniprésent dans l’œuvre du peintre français. En effet, dès son arrivée à Rome en 1624 - et même quelques années auparavant – Poussin vouera une part importante de son art à de majestueuses toiles développant tous les thèmes possibles de l’amour, certains dépassant largement les standards de la morale de l’époque au lendemain de la Contre-Réforme. Nicolas Milovanovic, Mickaël Szanto, et Ludmila Virassamynaïken, les auteurs de ce riche catalogue et commissaires de l’exposition ont entendu retracer de manière éclairante toutes ces facettes méconnues et sous-estimées du peintre souvent présenté comme le peintre philosophe. Si cette dimension initiale ne saurait lui être enlevée, il s’avère à la lecture des captivantes contributions réunies en ces pages que Nicolas Poussin tout en approfondissant œuvre après œuvre l’analyse de ses sujets a su également se saisir d’une certaine légèreté appréciée de ses richissimes clients romains dont certains d’entre eux comptaient de prestigieux princes de l’Église… C’est ainsi un Poussin dévoilé que Pierre Rosenberg commente dans sa contribution soulignant qu’avec cette dimension méconnue le peintre entendait tout de même renouer avec le monde du passé, mythologie et éros réunis ! Cette toute puissance de l’amour intègre ainsi une palette étendue d’affects allant de l’érotisme des corps lascifs livrés au regard jusqu’à la passion folle conduisant à la mort. Le catalogue analyse tour à tour ces multiples facettes de l’œuvre de Poussin avec ces corps désirés, l’ivresse dionysiaque, l’amour et la mort, un voyage étonnant et palpitant au cœur même de l’atelier de l’un des plus grands peintres dont ce remarquable ouvrage dévoile un pan méconnu de la créativité.
Le revers de ce monumental catalogue, comme un « autre côté du miroir », est consacré à la seconde exposition du musée des Beaux-Arts de Lyon , « PICASSO | bacchanales | POUSSIN ». Un regard mettant en lumière l’influence majeure qu’eut le peintre du XVIIe siècle, Poussin, sur le peintre espagnol du XXe s. Un prolongement offrant une belle ouverture et réflexion.

 

« Raphaël. L’œuvre complet. Peintures, fresques, tapisseries, architecture » de Michael Rohlmann, Frank Zöllner, Rudolf Hiller, Georg Satzinger ; Relié, avec pages dépliantes, 29 x 39,5 cm, 720 pages, Editions Taschen, 2023.
 


Raphaël (1483-1520), surnommé le « Prince des peintres » par Giorgio Vasari, fait l’objet d’une exceptionnelle parution dans la collection XXL des éditions Taschen. Il fallait en effet une publication de taille pour rendre le plus bel hommage qui soit à cet artiste italien réputé pour le raffinement de son trait et la précision de ses dessins. Après avoir bénéficié de l’apprentissage de deux maîtres de choix, Le Pérugin et Pinturricchio, ainsi que de son propre père Giovanni Santi, le jeune Raphaël, disparu trop tôt à l’âge de 37 ans, allait participer à la transformation de l’art de la Renaissance par des œuvres éclatantes. Très rapidement, Raphaël saura, en effet, se distinguer de ses sources d’inspiration notamment de son maître Le Pérugin, mais aussi de Léonard de Vinci et de Pinturicchio, pour être la source première de lignes harmonieuses d’inoubliables « Vierge à l’enfant », et ce dès son séjour florentin ; Des représentations qui contribueront à bâtir sa réputation. Le génie de Raphaël allait s’exprimer en effet durant toute sa vie d’artistes auprès des plus grands mécènes et protecteurs avec cette quête incessante de perfection de dessins soignés ce dont témoignent les œuvres réunies par cette exceptionnelle édition grand format.

 

 

Des plus grands formats avec ses immenses décors romains pour le pape Jules II, puis Léon X, dans les chambres du Vatican réalisées à la fin de sa vie jusqu’au plus petit tableau tel les « Les Trois Grâces » (17 x 17 cm) du musée Condé de Chantilly, chaque création de l’artiste met en œuvre un processus inlassable d’essais successifs pour parvenir à la composition future. Pour ces raisons, Raphaël gagnera la réputation d’être le peintre du détail par excellence dont le génie resplendira par cette harmonie irréprochable née de cette combinaison du trait, de la géométrie, de l’espace et de la lumière.

 

 

Cet équilibre caractérise cette grâce inimitable et ce style Raphaël identifiable immédiatement, et qui devait à jamais marquer l’histoire de l’art. Incontestablement l’un des artistes majeurs de la Renaissance italienne, Raphaël fait ainsi l’objet d’une parution tout aussi exceptionnelle qui fera date avec la réunion en un seul volume de toutes ses peintures, fresques, projets architecturaux et tapisseries.

 

 

Cet ouvrage XXL, rend ainsi hommage au créateur de la fameuse Madone Sixtine, et autres inoubliables fresques du Vatican, un catalogue raisonné établi par une équipe d’experts de l’œuvre de l’artiste replacé dans le contexte de la Renaissance italienne. Incontournable !

 

« Atlas de l’Architecture contemporaine » sous la direction de Chris van Uffelen ; Traduit de l’anglais par Jean-François Cornu ; Editions Citadelles & Mazenod, 2022.

 


Splendide et impressionnant ! Tels sont assurément les meilleurs qualitatifs pour cet « Atlas de l’architecture contemporaine » paru aux éditions Citadelles et Mazenod. Une nouvelle édition, dix ans après la première, toujours plus attendue dans le domaine tant de l’architecture que de l’édition et qu’il convient de saluer.
Couvrant les cinq continents regroupés, ici, en trois grands chapitres, de l’Europe-Afrique aux Amériques en passant par l’Asie et l’Australie, cette cartographie de l’architecture contemporaine offre non seulement une vue d’ensemble mais aussi et surtout une riche réflexion sur l’évolution en une décennie de la manière dont l’homme moderne entend habiter la planète terre. « On y retrouve une même diversité de projets et de techniques mais on y retrouve aussi les questions essentielles qui se posent actuellement » souligne Chris van Uffelen en sa préface.
Avec une extraordinaire iconographie, photos, plans et pas moins de 280 projets, ce sont ainsi l’évolution, centres d’intérêt, matériaux de nos habitats, lieux publics, religieux ou culturels, mais aussi espaces de travail qui sont, en ces chapitres, exposés et analysés. Soulignons notamment le « 175 Haussmann », cet impressionnant complexe réunissant derrière une façade Haussmann deux immeubles des plus modernes, et ce, à quelques mètres de l’Étoile à Paris. Des réalisations architecturales à la fois spectaculaires, étonnantes ou déroutantes mais reflétant également notre environnement et notre quotidien. Un panorama instructif et époustouflant ! On songe à l’Arena d’Aix-en-Provence, au nouveau campus urbain de l’Université Bocconi à Milan ou encore au Centre culturel de Kadokawa au Japon… (Pour une fonctionnalité optimale, outre un index des architectes en fin d’ouvrage, sont précisés pour chaque réalisation, en haut de page, l’architecte ou bureau d’étude, sa destination, son année de réalisation, ville et pays.)
Parcourant ainsi la planète monde et offrant au regard sous la direction de Chris van Uffelen les plus splendides réalisations architecturales de ces dix dernières années, cet « Atlas de l’architecture contemporaine » dans sa nouvelle parution constitue indéniablement une somme incontournable, un ouvrage de référence qui réserve aux lecteurs, professionnels, amateurs, passionnés ou tout simplement curieux de notre monde de bien belles découvertes et surprises.

 

« Intérieurs : chez les plus grands décorateurs et architectes d’intérieur » ; Collectif sous la direction de William Norwich ; Relié, 250 ill. couleur, 25 x 29 cm, 272 pages, Editions Phaidon, 2022.
 


Passionnant ! Qui n’a jamais, en effet, rêvé d’entrer subrepticement chez les plus grands décorateurs et architectes d’intérieur de notre époque? Ce souhait, c’est William Norwich qui l’exhausse en dirigeant cet ouvrage dénommé « Intérieurs » aux éditions Phaidon. Sous sa direction et introduction, ce sont, en effet, pas moins de soixante intimités de décorateurs ou architectes d’intérieurs contemporains réputés internationalement qui sont dévoilés ainsi au lecteur.
De Jacques Garcia, chez lui, à Paris, à Teo Yang en passant par Charlotte Moss ou encore Joy Moyler ou Joseph Dirand, que d’idées, créations et inventivité ! Une diversité de personnalités et de lieux inouïs propices assurément à l’inspiration que l’on soit professionnel, amateur de décoration ou tout simplement curieux… Avec plus de 250 illustrations couleur, c’est en effet une multitude d’art de vivre, d’élégance et d’intimité que ce bel ouvrage livre au regard indiscret du lecteur. Camaïeux et foisonnement d’objets à Los Angeles chez Jeef Andrews, foisonnement de matières chez Paola Navone à Milan, matériaux nobles et style épuré chez Teo Yang ou à Milan encore chez Vincenzo de Cotiis…
Maisons de rêve ou rêvées telle celle de Michèle Nussbaumer, chaque découverte d’intérieur s’accompagne pour plus de précisions d’opportuns éléments biographiques, d’analyses ou commentaires. Qu’il s’agisse d’appartements ou de Palazzo, de lofts ou vieilles bâtisses, chaque intérieur offre en ces pages curieuses et indiscrètes son intimité et ses secrets… Styles, couleurs et goûts se côtoient dans une impressionnante et passionnante palette. Monocouleur, blanc pour Will Cooper (ASH NYC), noir chez William Sofield à New York, ou chatoiement des couleurs chez Laura Sartori Rimini à Londres. Lieu secret ou ouvert, expérimental, laboratoire ou strictement privés, surprenants ou prévisibles, chaque personnalité, chaque architecte et décorateur de notre siècle se révèle au travers de ses choix de style, de couleurs, d’objets et associations.
Un réel régal d'intimité !

 

Jean Dethier et Jean-Louis Cohen : « Habiter la terre L'art de bâtir en terre crue : traditions, modernité et avenir », Nouvelle édition compact - 512 pages, 216 x 279 mm, Couleur, Flammarion, 2022.
 


Le retour à la terre pour la construction de nos habitats ne relève plus d’espoirs, de doux rêveurs et autres post-soixante-huitards en mal d’écologie… Ces aspirations naguère moquées se trouvent fort heureusement depuis plusieurs années enfin prises au sérieux en raison de la prise de conscience des réalités écologiques qui s’imposent, avec plus de nécessité et d’urgence que jamais, à notre époque.
Il s’agit toujours d’une action militante qui anime les auteurs Jean Dethier, essayiste, architecte et activiste, et Jean-Louis Cohen, historien de l’architecture, professeur au Collège de France et à la New York University. Certains lecteurs se souviendront de l’impressionnante exposition que Jean Dethier avait consacrée à ce thème en 1981 au Centre Pompidou, mais pour les plus jeunes et curieux ou convaincus, c’est une admirable synthèse de référence qui est aujourd’hui proposée avec ce livre d’art de plus de 500 pages et 800 photos et dessin au format généreux 24 x 31 cm.

 


Le propos est décloisonné, si l’on peut dire, aux cinq continents et à travers les temps puisqu’un chapitre entier est consacré à l’histoire des logiques constructives au fil des siècles. C’est un véritable plaidoyer qui est en ces pages inspirantes ainsi proposé au lecteur, une réflexion qui ne fait pas pour autant l’impasse des difficultés et limites de cet art traditionnel. Car nous réalisons bien rapidement en découvrant ces réflexions que notre époque « moderne » a étonnamment fait l’impasse d’une des techniques les plus anciennes de l’homme pour édifier son habitat, suivant en cela le modèle laissé par un grand nombre d’espèces du monde animal.

 

 

Or, nos deux auteurs entendent bien réconcilier nos contemporains avec ce génie créatif qui outre ses qualités techniques, esthétiques et économiques, témoigne d’une approche écologique incontestable pour celles et ceux en ayant fait l’expérience.

 

 

Il suffira pour s’en convaincre d’avoir un jour édifié un mur en torchis au lieu et place de parpaings… Isolant, respirant, recyclable et solide, la terre ne se limite pas à des architectures « frustes » et sommaires, mais s’offre à la créativité des architectes qui ont fait la preuve de leurs créativités contemporaines rappelées dans ces pages superbement illustrées.

 

Meret Oppenheim : « Mein Album", broché, 324 pages, 22 x 33 cm, Version All. /Anglais, Editions Scheidegger, 2022.
 


Si l’artiste suisse-allemande Meret Elisabeth Oppenheim (1913- 1985) est mondialement connue pour ses œuvres créées à partir de détournement d’objets, sa vie et intériorité – pourtant d’une richesse incroyable – sont demeurées plus secrètes jusqu’à la publication de ce bel ouvrage par les éditions Scheidegger à partir d’un album que tint l’artiste intitulé « Depuis l’enfance jusqu’à 1943 » ainsi que de quelques notes privées.
 

 

Ce document exceptionnel reproduit avec soin pour cette édition permet d’entrer dans le laboratoire de la création d’Oppenheim, cette plasticienne issue du mouvement surréaliste aux côtés d’André Breton à partir des années 1920 ; un laboratoire composé de situations du quotidien tel « Le déjeuner en fourrure », fameuse sculpture surréaliste passée à la postérité. La présente publication tient à la fois du journal et de l’œuvre d’art en tant que telle. En ces pages labyrinthiques, l’artiste réunit photographies, objets et notes en compagnie de pensées et de concepts qui préluderont à de nouvelles créations. Cet atelier en album permet d’entrer pleinement dans la pensée créatrice de cette femme hors du commun.

 


Reproduit dans son intégralité et dans son format original, cet album a fait l’objet d’une traduction en langue anglaise pour cette édition. De touchantes évocations des premières années de jeunesse, les premiers dessins enfantins avant ceux d’une artiste en devenir, et déjà cette propension à questionner les formes et à remettre en question les conventions… Puis viennent les premières rencontres à Paris avec André Breton, Max Ernst avec qui elle entretiendra une liaison pendant une année, la découverte du haschich et de la vie d’artiste durant son séjour à l’hôtel d’Odessa…
Chaque page remarquablement reproduite en fac-similé redonne vie à ces années de créativité sans limites, un document vibrant et essentiel à la compréhension de cette artiste jusqu’alors secrète.
 

Leonhart Fuchs : « Le Nouvel Herbier » ; Relié avec livret, 23 x 37 cm, 892 pages, Editions Taschen, 2022.
 


Exceptionnelle que cette nouvelle édition du mythique Herbier de Leonhart Fuchs en un impressionnant format (23 x 37) livrée par les éditions Taschen ! Le célèbre botaniste bavarois avait en effet réalisé une véritable somme en réunissant pas moins de 1543 plantes décrites par le détail et illustrées par des planches inoubliables, aujourd’hui disponibles grâce à cette édition de près de 900 pages. Soulignons encore que cette luxueuse réédition à partir de l’original possédé par Fuchs en personne et mis en couleurs à la main réunit plus de 500 illustrations, unique témoignage de cet inventaire fabuleux réalisé par le botaniste présentant notamment des plantes et fleurs encore inconnues du Nouveau Monde tel le fameux tabac appelé à un avenir certain en occident…

 


Dans un opuscule joint au fac-similé du Nouvel Herbier, Klaus Dobat introduit l’apport de Fuchs pour la science en montrant combien son travail méticuleux fait de lui le précurseur de la botanique moderne tout en soulignant son rôle essentiel pour la médecine de son temps, Fuchs ayant été un professeur de médecine réputé. Gagné aux thèses de la Réforme, il dut quitter la ville de Munich où il exerçait pour se réfugier à Ingolstadt. Son œuvre maîtresse, Das Kraüterbuch, conjugue botanique et médecine, les deux disciples étant considérées alors comme proches.

 

 

Werner Dressendörfer analyse quant à lui l’apport des plantes médicinales décrites par Fuchs au regard de la médecine des plantes modernes. Mais le plaisir le plus manifeste résidera sans conteste pour le néophyte à feuilleter page après page cette somme incomparable pour la beauté de ses planches, l’harmonie des couleurs apposées par la main de l’auteur et le soin apporté à chaque infime détail des plantes décrites, faisant de cet Herbier non seulement l’auguste témoin d’une époque mais également une œuvre d’art à part entière…

Stephane Mirkine : « Mirkine par Mirkine - Photographes de cinéma », 400 pages, 251 x 317 mm, Editions Flammarion, 2022.
 


Lorsque le 7e art rencontre l’art de la photographie, cela donne un beau livre, celui de Stéphane Mirkine parti à la redécouverte de son grand-père Léo, le photographe des stars, sans oublier son père Yves ayant repris lui-même l’héritage de Léo en poursuivant son travail. C’est cette belle affaire de famille qui se trouve à la une d’une exposition au Musée Masséna de Nice et de cette œuvre unique élaborée à partir de près de 200 films des années 30 aux années 80.
Les portraits des stars les plus en vue pris sur le vif comme sur les plateaux font revivre les grandes heures du cinéma au XXe siècle. Après avoir rappelé le parcours de cet émigré russe parvenu en France à l’âge de 9 ans, ce sont les années 30 qui verront les débuts de la carrière de Léo Mirkine avec Abel Gance, Autant-Lara, Duvivier et autres Jean Renoir. Les grands noms du cinéma commencent à imprimer sa pellicule à un rythme effréné, von Stroheim, Michel Simon, Mistinguett… Chaque décennie apportera son lot de clichés de légende, le photographe ayant une capacité à saisir non seulement la beauté rayonnante de nombre de ses actrices et acteurs mais surtout d’en révéler les multiples facettes qui inscriront leur nom en lettre d’or au grand écran.
Ce beau livre de 400 pages réserve ainsi d’inoubliables pleines pages avec des photographies remarquables pour leur maîtrise du noir et blanc et des contrastes. Qu’il s’agisse de portraits étudiés ou de clichés pris sur le vif, l’art des Mirkine, père et fils, rayonne tout au long de ces pages dont leur descendant peut s’enorgueillir d’avoir honoré la mémoire !

 

« Face au soleil – Un astre dans les arts » ; Collectif, catalogue officiel de l’exposition « Face au soleil » du 14 septembre au 29 janvier 2023 au musée Marmottan Monet, Paris ; Relié, 22 x 25.5 cm, 140 ill., 240 pages, Editions hazan, 2022.
 


Voilà un bel ouvrage d’art propice à illuminer et réchauffer notre hiver ! Le catalogue « Face au soleil – un astre dans les arts » paru aux éditions Hazan et qui accompagne l’exposition éponyme actuellement au musée Marmottan Monet propose, en effet, ainsi que son titre le suggère, de contempler le soleil dans la vaste galaxie des arts. Un programme ambitieux remontant le temps depuis l’antiquité jusqu’à nos jours et livrant les multiples représentations de cet astre à nul autre pareil.
Avec une présentation d’Érik Desmazières, directeur du musée Marmottan Monet, et sous la direction de Marianne Mathieu, directrice scientifique du musée Marmottan Monet de Paris, et de Michael Philippe, conservateur en chef du musée Barberini de Posdam, l’ouvrage collectif nous entraîne dans un voyage interstellaire inédit. Marianne Mathieu retrace cette représentation dans le cours du temps et des siècles de l’art et souligne combien c’est une « longue histoire qui lie les artistes à l’astre qu’ils n’ont cessé de représenter, pour de multiples raisons depuis la plus haute antiquité. » Et effectivement, de l’Égypte au XXIe siècle que d’années-lumière parcourues !
Mikael Philipp s’arrête en introduction précisément sur cette « Physionomie du soleil de l’antiquité au XVIIIe siècle ». Proposant de riches contributions et analyses, l’ouvrage souligne également, sous la plume d’Hendrik Ziegler, combien la métaphore solaire a pu revêtir bien des dimensions politiques avant que Michael F. Zimmermann laisse le lecteur voir tout de face le soleil avec pour point d’orgue, bien sûr, la célèbre et incontournable toile de Monet, « Impression, soleil levant » datée de 1872. Un tournant majeur dans l’histoire de l’art et du soleil que Marianne Mathieu approfondira également avec cette approche spécifique - « Monet / Fromanger, poétique de la couleur » - ou encore Marianne Alphan avec un focus tout particulier sur l’artiste contemporaine américaine Vicky Colombet.
L’ouvrage offre ainsi une belle place à la représentation du soleil au XXe siècle. Un éblouissement notamment au tournant du XXe siècle que le lecteur retrouvera développé sous la plume d’Oliver Schuwer, mais aussi sous celle de Sarah Wilson avec des noms aussi prestigieux que Signac, Derain, Maurice Denis, Munch, Miro, mais aussi Kupka, Sonia Delaunay, Calder…
Un beau et riche catalogue d’art complété par des pages consacrées à « L’évolution de l’astronomie et système solaire du XVIe siècle à nos jours » signées Donald W. Olson et Marilynn Olson.

 

« Faces Of Africa », Photographies de Mario Marino ; 27.5 x 34 cm, Editions teNeues, 2021.
 


Avec ce dernier ouvrage, le photographe Mario Marino, internationalement primé, livre au plaisir du regard de splendides et époustouflants visages de l’Afrique. Non un visage, mais bien des visages au pluriel, « Faces of Africa », révélant toute la spécificité et beauté de régions reculées de l’Afrique, d'Éthiopie, de Tanzanie, du Soudan et du Kenya. Des corps magnifiques ornés de bijoux, habillés de peintures, des visages aux regards saisissants… C’est un travail de longue haleine que nous offre Mario Marino avec cet ouvrage ayant exigé de nombreux voyages sur plus de huit ans ; Chaque peuple que ce soit d’Ethiopie, du Kenya, qu’il s’agisse des Karo, des Arbore ou encore des Borana, offre à chaque fois pour le photographe une véritable rencontre, une rencontre singulière avec l’Afrique.
Pas moins de 200 photographies, couleurs ou en noir et blanc ainsi rassemblées viennent souligner de la plus belle manière les traditions et cultures de ces peuples et tribus d’Afrique aujourd’hui toujours plus menacés par le tourisme et le monde moderne. Des portraits pour la majorité pleine page et révèlant cette beauté altière à nulle autre pareille. On y retrouve ce merveilleux dialogue entre cette Afrique, berceau de l’humanité, et le photographe Mario Marino ; L’objectif de ce photographe hors pair sachant mieux que quiconque capter ces sourires, regards, visages, corps et silhouettes de cette Afrique encore vivante. Un dialogue, érigé en signature, et que le talentueux photographe entend en ces magnifiques pages partager. Un plaisir inégalé.

 

« Fernand Léger ; La vie à bras-le-corps » » ; Collectif, Catalogue officiel de l’exposition éponyme du musée Soulages Rodez, Editions Gallimard, 2022.
 


Avec sa couverture jaune, le catalogue d’exposition consacré à Fernand Léger (1881-1955) attire immanquablement et à juste titre l’attention! En effet, c’est un beau et riche catalogue qui accompagne en cette année 2022 l’exposition consacrée à ce grand peintre de la révolution cubiste par le musée Soulages à Rodez. Divisé en trois judicieuses et porteuses thématiques, l’ouvrage offre une belle mise en perspective de l’œuvre peint de cet artiste hors-norme ayant marqué le XXe siècle.
En premier lieu, « La ville moderne » avec son machinisme retiendra, bien sûr, l’attention avec ces grandes toiles incontournables du peintre des années 20, lui qui découvrit la capitale en pleine effervescence de ce début de siècle. Un attrait et une époque analysés par Julie Guttierez. Le deuxième volet de ce catalogue largement illustré de reproductions et photographies revient sur les liens rattachant Fernand Léger au « Monde du travail » et à son engagement. « Mécanicien », ainsi que le souligne Ariane de Coulondre dans sa contribution en référence à la célèbre toile du peintre de 1918 ; « Un chef d’œuvre de composition synthétique, buste arrondi et tubulaire, géométries en aplats de couleurs, expression décomplexée du travailleur de force » écrit dans sa préface Alfred Pacquement, Président du musée Soulages. Fernand Léger est effectivement avant tout le peintre de son temps, lui qui réalise la célèbre affiche de l’exposition de 1951 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, « Les constructeurs ».
Le troisième tempo du catalogue est, quant à lui, consacré aux loisirs, « Au temps des loisirs » pour reprendre le titre de l’écrit de Maurice Fréchuret, un riche chapitre très largement appuyé par les œuvres de l’artiste avec notamment le thème récurrent du cirque ou encore celui des cyclistes…
Enfin, cette riche étude se poursuit avec une analyse signée Benoit Decron et mettant judicieusement en parallèle les œuvres de Fernand Léger et de Pierre Soulages. Deux artistes majeurs qui se sont rencontrés à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et dont les œuvres – ainsi qu’en témoigne ce catalogue, traversent le temps, nous étonnant toujours par leur force et leur modernité. Une belle mise en perspective qui se referme sur la vie et le parcours du peintre normand qui gagna la capitale à dix-neuf ans, s’exilera aux États-Unis avant de revenir en France… Une vie aux « Couleurs de la vie », ainsi que le souligne Nelly Maillard, ou « La vie à bras-le-corps », titre évocateur de ce riche catalogue.

 

Jacques Mercier : « L'Art de l'Éthiopie » ; 334 pages, 26,5 x 31,2 cm, Editions Place des Victoires, 2021.
 


Alors qu’ils sont incontournables et remontent à l’aube du christianisme, les arts de l’Éthiopie ne disposaient curieusement pas de monographie retraçant de manière exhaustive leur importance. C’est chose faite – et bien faite – dorénavant avec l’ouvrage réalisé par Jacques Mercier.Ce spécialiste a en effet mené depuis plus d’un demi-siècle des études sur plus de 350 églises, sans oublier les riches collections de ce pays souvent méconnues de l’occident. Le résultat s’avère éblouissant dans tous les sens du terme et étonnera très certainement plus d’un lecteur. Toute personne ayant eu la chance de se rendre dans ce beau pays a pu se re rendre compte de la prégnance et de la force du christianisme dans cette société.

 


Associant origines légendaires et avérées, cette riche histoire se conjugue à une foi toujours aussi fervente puisant à des racines millénaires notamment celles de la légendaire reine de Saba à la source de la Bible éthiopienne. Entre légende et histoire, l’Ancien Testament évoque ainsi le fameux épisode de la reine de Saba, nommée Melket Hava (1 Roi 10, 1-13), Reine de Midi dans l’Évangile de Luc (11, 31), et Balkis dans le Coran. Conquise par la sagesse du légendaire roi Salomon, cette reine décida d’abandonner les dieux qu’elle vénérait jusqu’alors et rapportera dans son pays, la future Éthiopie, le culte du Dieu d’Israël et peut-être même l’Arche de l’Alliance. La légende veut, par ailleurs, qu’elle eut un enfant de Salomon nommé Ménélik 1er, premier empereur d’une longue dynastie qui ne s’éteindra qu’au XXe s.
Mais, c’est véritablement au IVe siècle de notre ère que le christianisme deviendra en cette contrée africaine la religion prédominante. Au milieu du IVe siècle, l’empereur Constance II demanda, en effet, aux rois d’Axoum de présenter officiellement leur évêque nommé Frumentius à Alexandrie afin de vérifier que leur foi était bien conforme au reste de l’Empire romain. Le royaume d’Axoum se situait sur les hautes terres du plateau abyssin, à la croisée des riches routes commerciales entre l’Inde et la Méditerranée.

 

 

L’hellénisme et la langue grecque étaient parvenus jusqu’en ces lieux au sud de l’Égypte et des croix retrouvées datant du IVe siècle confirment le développement de la religion chrétienne en ces terres reculées, même si les divinités traditionnelles resteront cependant toujours présentes, soit concurremment ou le plus souvent associées à la nouvelle religion. Depuis cette époque, bien que l’histoire du développement du christianisme en Éthiopie demeure quelque peu méconnue, l’Église chrétienne éthiopienne fut rattachée à l’Église d’Alexandrie, un rattachement qui perdurera jusqu’au XXe s. La langue éthiopienne conservera jusqu’à nos jours cette mémoire biblique et sera souvent à l’origine de nombreux traits culturels de ce pays africain riche de légendes et d’histoire en nourrissant largement l’inspiration d’artistes offrant de splendides peintures religieuses abondamment illustrées dans cet ouvrage d’art (la période couverte allant des origines jusqu’au Siècle d’or). De nos jours encore, le christianisme en Éthiopie demeure très actif, particulièrement depuis la fin de la dictature militaire en 1991, et représente 60 % de la population. À ce titre seul et sans oublier la remarquable somme réunie par Jacques Mercier, cet ouvrage ne peut que prendre place parmi les sources de référence sur l’Éthiopie.

 

« The Jaguar Book » de René Staud ; 304 pages, Editions teNeues Verlag, 2022.
 


C’est un hommage mérité adressé à l’une des marques iconiques des voitures de luxe que publient les éditions teNeues avec cet ouvrage somptueux. Le seul nom de Jaguar évoque, en effet, instantanément des carrosseries rutilantes, des intérieurs feutrés aux fragrances de cuir… Depuis cent ans, la marque britannique est synonyme d’élégance et de raffinement, un raffinement discret et non ostentatoire.
Le photographe René Staud retrace ainsi cette incroyable histoire marquée par des dates clés avec la fameuse Type E des années 30 sans oublier d’autres voitures toutes aussi réputées que la XK 140 ou encore la SS90. Cette aventure relatée par ce passionné de voitures de luxe se trouve mise en scène de manière époustouflante par 175 illustrations aussi somptueuses les unes que les autres, faisant participer le lecteur à cette fascination toujours renouvelée pour la marque Jaguar jusqu’à notre époque contemporaine avec le dernier modèle tout électrique. Dimension sportive et univers du luxe se côtoient dans ces pages de rêves où les fameuses icônes du grand écran avec James Bond viennent encore ajouter au mythe Jaguar.
C’est toute l’aventure de la marque au fameux félin qui se trouve ainsi racontée dans ce livre d’art qui marquera l’histoire de l’édition consacrée au monde automobile.

Texte en anglais et allemand.

 

« Emma Kunz Cosmos - A Visionary in Dialogue with Contemporary Art » de Yasmin Afschar; Version Anglais / Allemand ; Relié, 248 pages, en collaboration avec the Aargauer Kunsthaus, Aarau, Editions Scheidegger & Spiess, 2021.
 


C’est à l’univers fascinant de l’artiste suisse Emma Kunz (1892-1963) auquel convie ce remarquable ouvrage paru aux éditions Scheidegger & Spiess et qui a reçu le prix récompensant le plus beau livre allemand de 2021. Ce personnage singulier fut à la fois une artiste et une guérisseuse reconnue pour ses dons de télépathie en Suisse. Cette singularité l’a conduite à exprimer sa sensibilité en d’étonnants dessins géométriques, à l’architecture envoutante et conduisant à une vision dépassant celle du monde sensible. Aux frontières des mandalas ayant inspiré son compatriote et psychanalyste Carl Gustav Jung, son travail ne saurait laisser indifférent. L’iconographie soignée pour ce beau livre réalisé à l’occasion de la grande exposition qui lui a été consacrée à l’Aargauer Kunsthaus en Suisse met en rapport le travail d’Emma Kunz avec celui de nombreux artistes contemporains livrant parallèlement leurs propres créations. Le personnage, secret et vivant retiré à l’écart de la scène artistique a ainsi exploré de multiples sujets dont la médecine, la nature, le surnaturel, l’animisme… Cet intérêt décloisonné l’a conduit à élargir encore ses perceptions et à les traduire en d’étonnantes architectures renvoyant à l’organisation du cosmos tout autant qu’aux méandres de nos cerveaux.
L’ouvrage propose un véritable dialogue entre le travail de l’artiste et celui d’artistes contemporains réunis pour l’occasion tels Agnieszka Brzezan´ska, Joachim Koester, Goshka Macuga, Shana Moulton, Rivane Neuenschwander et Mai-Thu Perret. Accompagné d’essais sur l’ésotérisme dans l’art contemporain, cet ouvrage ouvrira assurément de nouveaux horizons pour le lecteur dans cette remarquable publication.
 

« L’architecture moderne de A à Z » ; 696 pages, version française, Editions Taschen, 2022.
 


Incontournable ! Tel est assurément le qualificatif qui sied le mieux à ce fort ouvrage entièrement consacré à l’architecture moderne et paru aux éditions Taschen. Appuyé par une splendide iconographie, l’ouvrage offre aux architectes, professionnels, mais aussi à tout passionné ou amateur d’architecture une vaste connaissance de l’architecture des XIX et XXe siècles.
Avec plus de 300 entrées, ce sont en effet à la fois les plus grands mouvements de l’architecture moderne, mais aussi les plus grands architectes des deux derniers siècles que le lecteur retrouvera ou découvrira en ces pages rangés pour une efficacité accrue selon un ordre alphabétique. Et que de découvertes tant pour les yeux que l’esprit !
Cette somme offre, ainsi, pour chacune des figures majeures de l’architecture, une brève biographie et surtout une description des œuvres emblématiques. Des noms internationalement reconnus, mais aussi parfois injustement moins connus. On y découvre aussi avec curiosité pour nombre d’entre eux leur photographie ou portrait. C’est l’architecte Aalto qui ouvre cette bible se refermant presque 700 pages plus loin avec Zumthor Peter. Chaque nom nous entraîne de par ses réalisations d’une capitale l’autre ou encore vers une autre région du monde…
Mais le lecteur pourra également se référer selon les différentes entrées aux nombreux courants ou styles ayant marqué l’histoire de l’architecture durant ces deux derniers siècles. Bâtiments publics, institutions, églises ou encore résidences privées cohabitent, ici, soulignant l’extraordinaire essor et dynamisme de l’architecture moderne. Art nouveau, constructivisme, expressionnisme…
Des pages magnifiques présentant le plus souvent sur de pleines pages les plus grandes créations architecturales modernes de notre monde. Extraordinaire !
Un ouvrage aussi splendide que complet qui ne pourra que trouver sa place dans toute bonne bibliothèque.

 

« Pierre Decker – Médecin et collectionneur » de Gilles Money, Camille Noverraz et Vincent Barras, Édition BHMS, 2021.
 


C’est un splendide ouvrage – entre biographie, monographie et catalogue – consacré au célèbre collectionneur d’art suisse Pierre Decker (1892-1967) qui vient de paraître aux éditions BHMS. Pierre Decker, chirurgien et professeur d’université de renom qui donna et donne encore aujourd’hui son nom à de nombreux hôpitaux, sût, également et parallèlement à sa carrière, réunir avec passion et un goût très sûr une prestigieuse collection essentiellement constituée d’estampes de Dürer et de Rembrandt. Léguée à sa mort à la Faculté de médecine, cette exceptionnelle collection a été transférée et est aujourd’hui au Cabinet cantonal des estampes de Vevey.
Réalisé par des historiens, Gilles Monney, historien d’art, Camille Noverraz, historienne de l’art et Vincent Barras, historien et médecin, l’ouvrage livre non seulement un catalogue inédit et complet des estampes de cette fabuleuse collection, mais donne aussi un beau portrait de ce personnage hors pair, élégant aux petites lunettes rondes. Ainsi, après avoir fait « Entrer dans la collection », confiant au lecteur notamment la conception de l’art de Decker, une conception inséparable de la beauté, le lecteur pourra-t-il découvrir au travers de nombreux documents pour certains inédits l’extraordinaire fonds Pierre Decker. Car, le collectionneur ne réunit pas seulement de son vivant des œuvres de Dürer et de Rembrandt, mais aussi des artistes contemporains. Cependant, c’est l’ensemble des estampes que le lecteur pourra surtout en ces pages découvrir et admirer en leur format original.
Appuyé également par de riches analyses allant de l’histoire de l’art à l’histoire de la médecine, des études transversales qui assurément n’auraient pas déplu au célèbre et regretté historien de la pensée que fut Jean Starobinski, l’ouvrage offre parallèlement une belle mise en perspective des relations étroites que peut entretenir la médecine avec les collectionneurs et inversement.
Ce sont ainsi de riches et captivants thèmes - « Philosophie de la chirurgie », « La chirurgie, art ou science ? » ou encore « La culture fondement d’un humanisme médical » - que cet ouvrage propose à la curiosité et à la réflexion.
Une analyse faisant de ce bel ouvrage, bien plus qu’un catalogue des estampes de la collection Pierre Decker. Au-delà de cette riche et passionnante étude, l’ouvrage constitue assurément l’un des plus beaux hommages qui puissent être rendus à ce grand homme d’art et de sciences.
 

« Vincent Peters – Selected works » ; Relié, 160 pages, 177 photographies noir et blanc, Éditions teNeues, 2021.
 


On ne présente plus le célèbre photographe de mode Vincent Peters. Ses photographies pour Vogue, Dior, Yves Saint-Laurent, Glamour, etc., ont fait depuis longtemps sa renommée. Aussi faut-il saluer l’initiative des éditions teNeues de publier ce splendide ouvrage réunissant une sélection des meilleurs travaux de Vincent Peters. C’est avec un souci méticuleux du détail, de la précision et de l’éclairage que ses photographies ont su non seulement séduire, mais également s’imposer sur la scène internationale. Photographiant les plus grandes stars dont Monica Bellucci, Scarlett Johansson ou Penélope Cruz, recourant parfois à la photographie analogique, ses réalisations sont aujourd’hui incontournables et présentes sur le marché de l’art.
Mais, au-delà de la diversité de ses réalisations, l’intemporel est probablement ce qui caractérise le mieux l’œuvre du photographe. Aussi n’est-ce pas un hasard si ce magnifique et unique volume regroupe des clichés en noir et blanc, un choix de sélection qui vient accentuer plus encore la signature du photographe Vincent Peters. On songe notamment aux portraits de Laetitia Casta ou d’Emma Watson... Des portraits grand format, dont certains ont marqué les mémoires à jamais. Rien de répétitif, mais une recherche toujours renouvelée pour chaque star avec cette distance intimiste, cet éclairage choisi qui ont fait ses meilleurs clichés. Charlize Theron, Carolyn Murphy quelques portraits d’hommes aussi, dont John Malkovich ou encore Edward Burns, un choix de portraits noir et blanc qui témoignent de l’immense talent du photographe Vincent Peters.
C’est une réelle splendide mise en perspective, un angle par lequel le photographe Vincent Peters se révèle dans toute son exigence et rigueur de travail qu’offre cet album. Cette œuvre où « L’inconscient rencontre la conscience dans l’acte même de photographier » souligne Vincent Peters en exergue de cet exceptionnel ouvrage.

 

« Les Toits de Paris » du photographe Laurent Dequick, 32 x 25 cm, 120 pages, Éditions Chêne, 2021.
 


On ne résiste pas à ce superbe livre dans son coffret aux pages pliées en accordéon et offrant au regard les plus belles vues sur les « Toits de Paris ». On pourrait passer des heures à les observer, les détailler, les scruter. Entre ciel et terre, « Les toits de Paris » sont inimitables et le photographe Laurent Dequick dans des panoramas grandioses et époustouflants nous les laisse admirer de l’aurore au crépuscule. Des toits bleu-gris, en zinc faisant miroiter leurs reflets sous la pluie ou le soleil, en ardoise se confondant avec l’horizon, les « Toits de Paris » ont inspiré les plus belles chansons et poésies… Il est vrai que « Les Toits de Paris » sont si reconnaissables sans jamais pourtant être tout à fait les mêmes, laissant deviner, çà et là les monuments incontournables de la capitale. Un régal !

 

« Antoine Coysevox – Le sculpteur du Grand Siècle » d’Alexandre Maral et Valérie Carpentier-Vanhaverbeke ; Relié, 24 × 32 cm, 580 pages, 976 illustrations, Arthena Éditions, 2021.
 


Antoine Coysevox (1640-1720), d’origine lyonnaise, compte assurément parmi les plus grands noms de la sculpture française du Grand Siècle. À la tête de l’Académie royale de peinture et de sculpture dès 1703, son riche parcours émaillera de ses inoubliables créations les célèbres châteaux de Versailles et de Marly. Au service du roi Louis XIV dont il contribuera à célébrer l’aura par le truchement des arts, Coysevox fait aujourd’hui l’objet d’une superbe monographie sous la plume d’Alexandre Maral et Valérie Carpentier-Vanhaverbeke aux éditions Arthena.
L’ouvrage est en effet à la hauteur de l’artiste avec ses 580 pages et 976 illustrations, pour nombre d’entre elles pleine page. Ainsi que le relève Laurent Salomé en avant-propos, cet ouvrage magistral qui célèbre le trois centième anniversaire de la disparition du sculpteur réussit le tour de force de présenter à la fois l’artiste de la Cour et de la ville, le monumental et le portrait intime. Car Coysevox excelle dans cette diversité, son art ne se limitant pas aux fastes de la couronne et du pouvoir dont il parvient même dans cette magnificence à capter subrepticement certains instants d’intimité (Louis XIV agenouillé à Notre-Dame portant sa main devant son cœur en signe de piété). Geneviève Bresc-Bautier, directrice honoraire du département des Sculptures du musée du Louvre, met en avant dans sa préface cette propension de Coysevox à être le sculpteur de l’art officiel, mais non pas un « sculpteur officiel ». Après François Girardon, c’est ainsi au tour d’Antoine Coysevox de bénéficier d’une étude non seulement exhaustive, mais également passionnante, les auteurs réussissant à saisir et à exposer cette latitude qu’eut le sculpteur à développer son génie tout en s’insérant dans des cadres classiques. Cette liberté étonnante pour l’époque et encouragée par le monarque se développera notamment par le truchement des nymphes et autres faunes de Marly, ces portraits intimes que l’on jugerait animés d’un souffle encore perceptible. Coysevox sait rendre la grandeur du faste royal et des puissants de son temps, mais il parvient aussi à se saisir de ce « je-ne-sais-quoi » qui insuffle vie à ses créations.
 

« La Genèse de la Genèse », Illustrée par l’abstraction, de la création du monde à la tour de Babel ; Les onze premiers chapitres de la Genèse présentés en français, en hébreu et en translittération. Nouvelle traduction de l’hébreu, notes et commentaires de Marc-Alain Ouaknin ; Introduction de Marc-Alain Ouaknin ; Préface de Valère Novarina, 1 volume relié, 384 pages, 19 x 26 cm, La Petite Collection, Éditions Diane de Selliers, 2022.

Le livre de la Genèse, primus inter pares, jouit depuis les temps les plus anciens de cette importance, prééminence constitutive de la naissance de l’univers, une naissance ou Genèse qu’évoquent en une beauté inouïe ces pages. Premier livre de la Torah et de la Bible, sa poésie n’a d’égale que ses principes qui pendant longtemps ont pris une valeur littérale d’explication du monde. Si, cette conception n’est, certes, plus prise à la lettre (à l’exception de certains regrettables mouvements contemporains créationnistes), ses récits et enseignements demeurent néanmoins enracinés dans l’inconscient collectif de nos contemporains et la source d’eau vive de millions de croyants, Juifs, Chrétiens d’occident et d’orient. Il suffira pour s’en convaincre de revenir à l’étymologie même du mot Genèse, Beréshit ou « Entête » pour les Hébreux, et que saint Jérôme traduira, pour sa part, par « In principio ». Le monde ne se conçoit que par ces principes premiers « à la tête » de toute autre chose ou être…
Aussi, quelle belle et heureuse idée de faire dialoguer ce mystère, inexplicable pour la raison, avec la peinture abstraite, un choix inspiré retenu pour cette exceptionnelle édition de la Genèse à partir d’une nouvelle traduction de l’hébreu signée Marc-Alain Ouaknin.

Ce splendide livre d’art et de foi maintenant disponible dans La Petite Collection des éditions Diane de Selliers rend témoignage à la magnificence du récit unique de La Genèse. La Genèse, texte fondateur des traditions juives et chrétiennes, comprend précisément sept jours pour la création du monde. Si le style et la diversité de ces chapitres laissent plutôt penser à une pluralité de rédacteurs s’échelonnant du VIIIe s. au IIe siècle av. J.-C., la tradition aime à en attribuer la paternité à Moïse… La présente édition a retenu les onze premiers chapitres, un choix judicieux dans la mesure où la composition comme souvent dans la littérature hébraïque part du général vers le particulier avec la création de l’univers, l’humanité, les luttes fratricides, le déluge et le recommencement… Les influences culturelles ont été fort grandes pour la genèse de cette Genèse, s’inspirant de sa proximité avec la culture du Proche-Orient, et dont la Bible recueillera de nombreux traits revisités par l’inspiration de ses rédacteurs, on songe notamment au Déluge trouvant leur antériorité dans la culture sumérienne et l’épopée d'Atrahasis reprise par celle de Gilgamesh.
Fort de cet héritage immémorial, Marc-Alain Ouaknin, philosophe et rabbin, propose pour cette publication d’exception une nouvelle traduction à partir de la langue hébraïque en associant rigueur de la langue et poésie, syntaxe hébraïque et authenticité de la langue biblique.

Cette poésie biblique est encore accentuée par la mise en page retenue et la reproduction du texte hébreu et de la translittération au regard du texte français. Une présentation pensée et des plus soignées offrant une nouvelle poésie, celle de la lettre et de sa graphie, les plus grands calligraphes témoignant qu’il n’est pas nécessaire de connaître une langue pour en apprécier sa poésie… L’impression de dialogues et de liens inextricables qui dépassent leurs auteurs se trouve enfin sublimée par les choix au soin tout aussi méticuleux d’œuvres de l’abstraction, telles ces Constellations de Picasso, Une courbe libre vers un point de Kandinsky, Braque et L’oiseau noir et l’oiseau blanc, Mondrian, Poliakoff et bien d’autres dont, étrangement, les œuvres semblent être « éclairées » par le texte de la Genèse « révélant » ainsi un dialogue des plus féconds . Régulièrement, s’imposent aussi dans cette belle partition des « silences » avec des textes non moins inspirants de philosophes ou d’artistes dont, notamment, Vladimir Jankélévitch ou encore Marcel Duchamp ; Des « reprises de souffle » venant approfondir encore l’appréhension et la lecture du Livre de la Genèse ouvrant ainsi à une des plus belles méditations…
Une « Symphonie biblique », ainsi que la nommait autrefois le grand André Chouraqui et qu’introduit Valère Novarina dès sa préface. Amoureux du mot et de la langue, Valère Novarina explore avec le lecteur ces intrications secrètes qui nourrissent le premier des premiers livres de la Bible. Une lecture par une autre porte, celle de la Parole comme rythme, pulsation universelle qui irradie ce texte premier. Un ravissement !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Bonnard – Les couleurs de la lumière » ; sous la direction d’Isabelle Cahn, de Guy Tossatto et Sophie Bernard ; Cartonné, 175 illustrations, 320 pages, Editions In Fine, 2021.
 


À souligner, la parution à l’occasion de l’exposition au musée de Grenoble consacrée au célèbre peintre Pierre Bonnard d’un fort et beau catalogue intitulé « Bonnard – Les couleurs de la lumière » aux éditions In Fine.
Ce titre approprié « Les couleurs de la lumière » tisse - à l’image du bonheur qui caractérise le peintre - le fil conducteur de cet ouvrage réalisé sous la direction d’Isabelle Cahn, de Guy Tossatto et Sophie Bernard. Appuyé d’une vaste iconographie, reproductions, affiches et photographies, l’ouvrage offre en première partie de riches essais livrant de belles clés de lecture pour appréhender l’œuvre de Bonnard. On songe à ces célèbres toiles aux intérieurs intimes et aux fenêtres ouvertes, aux nus féminins ou encore à ses fameux chats…
Bonnard fut un peintre ayant toujours eu, par le prisme de la lumière et des couleurs, un rapport très subjectif au temps et à l’espace ainsi que le soulignent dans leur écrit tant G. Tosatto qu’Isabelle Cahn avec cet « arrêt du temps » qui le caractérise. Y sont également abordés les thèmes des objets ou du jaune si chers à l’artiste, « Un art du paradoxe » que développe dans sa contribution S. Bernard.
Des textes révélant toute la singularité de Pierre Bonnard, cet artiste qui fut un temps Nabis et qui admirait tant Claude Monet. C’est d’ailleurs, à quelques kilomètres de Giverny - Giverny où il rencontrera à plusieurs reprises le père de l’Impressionnisme, que le peintre achètera une propriété en 1912, à Vernonnet précisément.
L’ouvrage se poursuit, en seconde partie, par le catalogue des œuvres de Bonnard selon « Les couleurs de la lumière » propres aux lieux de sa vie. Ainsi, retrouve-t-on le Grand Lemps et les couleurs pour le peintre des étés en famille, mais aussi bien sûr, les « Lumières de Normandie » ou encore celles « Sous le soleil du midi » notamment du Cannet où le peintre s’établit en 1926. Le Cannet que le lecteur pourra découvrir grâce au porte-folio réalisé par Bernard Plossus.
Lumière, reflets, diffractions et couleurs nimbent, scintillent ou miroitent dans l’œuvre de Pierre Bonnard comme autant de sensations, vibrations et émotions.
Un beau et riche catalogue qui viendra compléter toute bonne bibliothèque d’art.

 

« Paravents japonais » sous la direction scientifique d'Anne-Marie Christin, édité par Claire-Akiko Brisset et Torahiko Terada ; 35 x 25 cm, 280 pages, 250 illustrations couleur, Reliure japonaise, impression métallisée dorée pour l'illustration de couverture et le coffret à rabats illustré, Citadelles & Mazenod, 2021.
 


Véritable évènement éditorial, la parution des éditions Citadelles & Mazenod consacrée à l’art des byobu, plus connus sous le terme occidental de paravents devrait non seulement séduire les spécialistes de l’art japonais traditionnel, mais également susciter l’admiration de tout amateur d’art. L’ouvrage réalisé sous la direction scientifique d'Anne-Marie Christin et édité par Claire-Akiko Brisset et Torahiko Terada bénéficie en effet d’une véritable recherche scientifique faisant de cette somme en langue française une référence en la matière. Pour cela, ce sont plus de cent chefs-d’œuvre qui ont été réunis en une splendide iconographie afin de présenter dans toute sa beauté cet art ancestral du Japon.
Cet ouvrage à la présentation luxueuse avec sa couverture métallisée dorée, fruit de l'expertise scientifique d'une équipe franco-japonaise explore, en effet, cet art étonnant qui n’a pas d’équivalent en d’autres pays. À l’image des nombreux arts traditionnels du Japon, le savoir-faire et la minutie des meilleurs artisans ont été convoqués afin d’ériger cet objet initialement pratique en une véritable œuvre d’art, support de la créativité des artistes les décorant. La conception même du paravent offre cette alternance entre plis et déploiements, faces cachées ou visibles, suggérant ainsi tout un jeu de renvois et références complexes.

 


Dès l’époque Nara au VIIIe siècle jusqu’à nos jours, le paravent au Japon a fait l’objet d’une réflexion à part, bien distincte de celle de la peinture, de la calligraphie ou de l’estampe. Objet incontournable des temples et demeures aristocratiques, le paravent masque autant qu’il suggère en une variété presque infinie de motifs et de représentations au fil des siècles ainsi qu’en témoignent les superbes illustrations présentées en un généreux format 35 x 25. Sur ces mobiliers fruits d’un assemblage de châssis de bois recouverts de papier, les plus grands artistes apposeront leur signature tels Sôtatsu, Kôrin, Rosetsu ou encore Hokusai…

 


Cet art sera l’occasion également de déployer sur ces larges surfaces de plusieurs mètres parfois de longues évocations d’œuvres littéraires incontournables du Japon tel Le Dit du Genji en une multitude de scènes familières aux lettrés les admirant. Cet art permettra également d’évoquer à l’envi les thèmes favoris du bouddhisme japonais avec ces scènes épurées où pins, bambous, prunus, monts enneigés ou encore de stoïques hérons posent les jalons d’une culture où chaque détail fait signe. Un ouvrage clé afin d’entrer dans l’art du Japon.

 

« Leyli et Majnûn » de Jâmi ; Illustré par les miniatures d’Orient ; Traduction du persan, notes et introduction de Leili Anvar ; Direction scientifique de l’iconographie et introductions d’Amina Taha-Hussein Okada et Patrick Ringgenberg ; 180 miniatures persanes, mogholes, indiennes, ottomanes et turques du XIVe au XIXe siècle ; Glossaire et repères chronologiques ; 1 volume, relié, sous coffret. 24,5 × 33 cm, 432 pages, Éditions Diane de Selliers,2021.
 


C’est à l’univers fascinant de la plus belle poésie persane auquel nous convie ce merveilleux volume « Leyli et Majnûn » de Jâmi publié par les éditions Diane de Selliers. Cet ouvrage, véritable livre d’art, s’avère dès les premières pages plus qu’un beau livre. Puissante ode à l’amour, ce texte connu des spécialistes et amoureux de la poésie persane se trouve désormais proposé par cette splendide édition à un plus large public, un public qui devrait spontanément tomber sous le charme de la beauté de ce récit amoureux perdu dans les sables d’Arabie…
Le récit trouble en effet le lecteur car à l’image des quêtes éperdues qui ont jalonné la littérature occidentale, l’aveu public de son amour pour une jeune fille va conduire un jeune poète à un désespoir que certains qualifieront de folie, « majnûn » en persan. Folie d’amour, quel thème inspirant de nos jours où calcul et raison prévalent si souvent. En ces pages admirablement enluminées d’une iconographie des plus inspirantes avec ces miniatures d’orient, la poésie se décline en autant de grains de sable du désert. Fluides, passionnées, insaisissables et pourtant omniprésentes, ces amours métamorphosent Majnûn au point que son être, à l’image de son âme, s’en trouve bouleversé.

 

 

Tels les fous de Dieu qui quittaient la société pour l’isolement du désert, le poète à qui l’amour de Leyli se trouve interdit se réfugie dans les sables d’Arabie où il guettera les reflets de sa bien-aimée. Cette absence conduit au fil des jours à une présence, cette présence absolue de l’amour qui s’apparente rapidement à l’amour divin avec lequel il se confond. Ainsi que le souligne Leili Anvar dans sa préface « La poésie de Jâmi est douce parce qu’elle a pour vocation de se mêler au souffle de la vie, murmurant à l’oreille de l’âme une mélodie à nulle autre pareille. C’est aussi pourquoi l’on ne peut parler d’amour qu’en termes poétiques et que le chant le plus suave est celui de l’Amour. »
A l’image du Cantique des Cantiques dans la Bible, ce récit bouleverse le lecteur car il le conduit dans les tréfonds de ses émotions les plus intimes, se demandant qu’est-ce qui détermine une vie ? Cette dernière peut-elle être conditionnée à l’amour de l’autre ? Toutes ces questions qui interrogeront l’homme, jusqu’à ce que la psychanalyse ne s’en saisisse, se trouvent au cœur de cette poésie persane mémorable, telle cette gouache du début du XVIe siècle évoquant Majnûn dans les bras de Leyli, le jeune homme apparaissant sous les traits d’un ascète au visage et au corps émaciés par sa retraite. Le pouvoir de l’amour transcende ainsi toutes les contingences de la vie, y compris celles de la beauté, de la richesse et des honneurs du monde.

 

« Georges de La Tour » de Jean-Pierre Cuzin ; Relié sous jaquette et coffret illustrés, 32.5 x 27.5 cm, 390 ill. couleur, 384 pages, Editions Citadelles &t Mazenod, 2021.
 


La vie de Georges de La Tour est toujours demeurée, pour les historiens, lacunaire. Encore aujourd’hui sa vie et son œuvre demeurent un mystérieux puzzle. Mais quel merveilleux mystère cependant ! Aussi n’est-ce pas étonnant que Jean-Pierre Cuzin, historien de l’art réputé, ait souhaité proposer dans ce splendide ouvrage paru aux éditions Citadelles et Mazenod un pertinent et nouvel éclairage sur l’œuvre de ce fantastique peintre. Et comme on le comprend ! Comment ne pas être en effet fasciné par ces éclairages, ces ambiances, ces clairs obscurs ? on songe à « La Madeleine pénitente » qui orne le coffret de l’ouvrage ou encore au « Saint Joseph charpentier ». Des œuvres dont l’auteur nous donne également à voir de beaux détails ou des radiographies pour mieux appuyer ses thèses et analyses.

 


Oublié à sa mort au XVIIe, pendant presque trois siècles, Georges de La Tour est assurément un « rescapé ». Il y a un siècle encore, aucune histoire de la peinture ne le mentionnait, souligne Jean- Pierre Cuzin en son introduction. La reconnaissance de Georges de La Tour relève donc d’un miracle ou plus exactement d’une chaine ininterrompue de miracles dus à de géniales et multiples audaces, intuitions, persévérances et hasards. Une incroyable redécouverte qui se poursuit encore aujourd’hui avec bonheur grâce à ce riche ouvrage. C’est véritablement à une enquête alerte, vivante et passionnante à laquelle le lecteur est convié.
Appuyé par une vaste et magnifique iconographie, l’auteur réévalue en effet en ces pages œuvres et archives, réexamine celles attribuées et les copies, et livre au regard des dernières recherches, chapitre après chapitre, une passionnante biographie renouvelée de l’artiste. Sous la plume de Jean-Pierre Cuzin, Georges de La Tour nous apparaît, retrouve ainsi vie dans son époque, ses œuvres reprennent place dans cette vie d’artiste qui peignit pendant une quarantaine d’années. Ainsi, après les années de jeunesse et de formation, le lecteur pourra suivre le peintre de son début de carrière à sa venue à Paris et reconnaissance dans les années 1630-1640. Les grandes toiles de l’artiste de 1640-1645 y sont également largement analysées notamment la célèbre « Adoration des bergers » avant que Jean-Pierre Cuzin n’aborde les dernières années du peintre.
Si ses œuvres nocturnes sont les plus connues, ses œuvres diurnes ne sauraient cependant être oubliées. Car, ainsi que le souligne l’auteur, la carrière du peintre n’est pas sans évolution ni volte-face ou contradictions avec des œuvres extrêmement variées et déconcertantes. N’évitant aucune difficulté, fort de nombreuses études de toiles ou détails, Jean-Pierre Cuzin n’hésite pas à souligner incohérences et contradictions, problèmes et incertitudes que soulèvent encore de nos jours l’œuvre et la biographie d’un tel artiste. Mais, conscient de ces incontournables difficultés – du caractère périlleux de l’entreprise, écrit-il -, Jean-Pierre Cuzin a su par cet ouvrage de référence relever ce beau défi de redonner à Georges de La Tour toute sa grandeur. Une gloire longtemps oubliée, mais pourtant incontestable en ces pages !
 

« Jésus dans l'art et la littérature » de Pierre-Marie Varennes ; coédition Magnificat et Éditions de la Martinière, 2021.
 


Pierre-Marie Varennes a su se saisir dans ce beau livre coédité par Magnificat et les éditions de La Martinière du mystère de l’Incarnation ; un thème fort mis ici en perspective par le filtre de l’art et de la littérature. Grâce à une belle iconographie de 150 chefs-d’œuvre d’art sacré et 50 grands textes de la littérature, cet ouvrage, en touches successives, nous rapproche page après page à la fois de la richesse des images du Christ livrées par les plus grands artistes tout en proposant au lecteur d’approfondir son propre regard grâce à d’inspirantes méditations et lectures. Si la lectio divina est bien connue des fidèles épris de la richesse des Écritures, l’exercice suggéré par Pierre-Marie Varennes s’en rapproche quant à lui grâce à l’art. Quelle âme n’a en effet ressenti une émotion certaine face à ce regard puissant du Rédempteur ni tremblé face à la douleur du Christ en Croix ? L’ouvrage guide le lecteur dans ce chemin de l’art en rappelant les grands courants artistiques, mais aussi leur singularité quant à l’art sacré. Ainsi que le souligne l’historien de l’art Edwart Vignot dans sa préface, cet ouvrage réunit à lui seul un florilège d’images porteuses de sens, la reproduction en vis-à-vis du tableau « Le Portement de croix » du peintre Le Greco en témoigne. Un bel et riche ouvrage qui guide, suggère et accompagne le lecteur dans sa propre réflexion de la transcendance sous l’angle de la beauté.

 

« Pour un Herbier » de Colette, illustré par Raoul Dufy ; Relié, couverture cartonnée pleine toile, marquage et vignette Grand in-quarto, 33 x 23 cm, 96 p., Éditions Citadelles & Mazenod, 2021.
 


Les amoureux des lettres, des arts et de la nature ne pourront que saluer cette belle et heureuse initiative des éditions Citadelles & Mazenod de rééditer aujourd’hui le splendide ouvrage écrit par Colette et illustré par Raoul Dufy. « Pour un herbier » fut initialement publié en 1971 dans une édition de luxe par les célèbres éditions Mermod.
Grâce à cette belle publication à l’identique, nous pouvons aujourd’hui redécouvrir toute la finesse et l’amour de Colette pour la nature et les herbiers. Un herbier consacré aux fleurs et dialoguant, ici, avec toute la délicatesse des formes et couleurs de Raoul Dufy. Un fac-similé enchanteur réalisé à partir de l’édition originale conservée à la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, plus précisément à partir de l’exemplaire réservé à l’artiste et aux collaborateurs appartenant à la collection Jacques Doucet.

 

 

Colette aimait cet ouvrage réjouissant les sens et dont chaque page est un émerveillement. Une délicatesse et une fraîcheur offertes dans une édition soignée aux dessins à la mine de plomb et aux aquarelles pleines pages. Les fleurs s’y épanouissent sous la palette du peintre et trouvent sous la plume de l’écrivain leur plus délicat parfum.

 

 

 Le lecteur dans cette promenade printanière y découvrira au détour des pages la douceur d’un vase du muguet ou la fraîcheur des lys, des pavots, d’un gardénia en un monologue à nul autre pareil ou encore ces anémones devenues si rares de nos jours…
Lorsque l’une des plus célèbres femmes des lettres françaises rencontre pour le plus grand plaisir des sens l’un des plus enchanteurs des aquarellistes… une merveille !

 

« À la table de Flaubert » de Valérie Duclos avec les photographies de Guillaume Czew ; 21 x 28 cm, 128 p., Éditions des Falaises, 2021.
 


C’est à une jolie promenade à la fois littéraire et gourmande à laquelle nous convie Valérie Duclos avec cet ouvrage « À la table de Flaubert » paru aux éditions des Falaises. Accompagné et superbement illustré par les photographies de Guillaume Czew, ce sont les goûts et l’appétit de vie du célèbre écrivain et tout l’art de vivre normand qui sont ainsi mis à l’honneur.
Le lecteur pour son plus grand plaisir y retrouvera ainsi des recettes données dans les œuvres de Gustave Flaubert, et dont certaines ont été pour l’occasion créées ou revisitées par des chefs contemporains normands. Ainsi, dégusterons-nous la « Tourte de caille » de Madame Bovary, le « Rumsteack au caramel de framboise » de Salammbô ou encore la « Soupe à l’oignon » de Bouvard et Pécuchet. Recettes, repas, dîners, tables et scènes de vie, tous ces savoureux moments flaubertiens revivent, en ces pages, comme par magie.
Valérie Duclos souligne en son introduction qu’elle entend bien convier ses lecteurs non seulement à une escapade gourmande mais aussi « à une ballade littéraire, culturelle, architecturale, normande (…) » Des ambiances où vécut l’écrivain, Rouen, Croisset, ou des lieux normands décrits par Flaubert lui-même. Références littéraires, paysages et style normand, recettes plus tentantes et alléchantes les unes que les autres, le lecteur ne peut que se laisser agréablement entraîné dans cette escapade épicurienne.
Des plaisirs de table en compagnie de Flaubert aussi joliment présentés que savoureux. Comment y résister ?

 

« La Normandie de Flaubert », Collectif, Association des Amis de Flaubert et de Maupassant, Photographies d’Éric Bénard, Éditions des Falaises, 2021.
 


En cette année qui marque le deux centième anniversaire de la naissance de Gustave Flaubert, comment ne pas parcourir la Normandie, sa Normandie ? Normand de par sa mère, né à Rouen, il passa principalement sa vie au Croisset où il mourut en 1880. Certes, le célèbre écrivain fit de multiples allers-retours à Paris, mais il préférait s’enfermer dans cette maison du Croisset, lieu de prédilection où il écrivit ses œuvres. C’est d’ailleurs, en cette Normandie natale, que Flaubert plaçât ses œuvres majeures, que ce soit « Madame Bovary », d’« Un cœur simple » situé à Pont-L'Évêque jusqu’à « Bouvard et Pécuchet » ayant également pour cadre le Calvados… A Croisset en Normandie, il aimait aussi y inviter ses amis, le jeune Maupassant ou encore Tourgueniev qui se fit souvent attendre. Ainsi que le souligne Yves Leclerc, président des Amis de Flaubert et de Maupassant, en son introduction l’écrivain fut « trois fois normand ». A ce titre, un ouvrage dédié à « La Normandie de Flaubert » s’imposait ! Paru aux éditions des Falaises sous l’égide de l’Association des amis de Flaubert et de Maupassant, c’est un plaisant ouvrage collectif, riche et joliment illustré par les photographie d’Éric Bénard, que le lecteur pourra découvrir. De « La Normandie au temps de Flaubert » aux lieux de mémoire d’aujourd’hui en passant par cette Normandie littéraire qui habite ses œuvres ou encore la visite du « Pavillon de Flaubert à Croisset », seul vestige de la propriété de Flaubert, l’ouvrage se parcourt aussi agréablement qu’une belle escapade ou un roman.

 

« Le Renouveau de la Passion - Sculpture religieuse entre Chartres et Paris autour de 1540 » ; Catalogue d’exposition au Musée national de la Renaissance - Château d'Écouen sous la direction de Guillaume Fonkenell, Editions In Fine éditions, 2020.
 


Le catalogue de l’exposition du Musée de la Renaissance propose une passionnante évocation de l’univers de la sculpture gothique au milieu du XVIe siècle. Au tournant de la Renaissance une véritable mutation de la sculpture religieuse s’accomplit en effet entre Paris et Chartres. Face à la persistance de l’art gothique en France, des artistes vont ainsi développer un nouveau langage formel qui sera qualifié de « classique ». Des artistes comme Jean Goujon souhaitent dès lors renouveler l’art sur un plan formel ainsi que ses trois œuvres commandées pour Saint-Germain-L’Auxerrois, les décors de la façade du Louvre et pour la fontaine des Innocents à Paris en témoignent. Une certaine distance temporelle se trouve marquée, avec un retour aux standards de l’Antiquité et le souhait de représenter les Évangélistes au temps des Romains.
Le catalogue montre bien comment un autre artiste comme François Marchand a su également illustrer cette évolution, de Chartres où il commença sa carrière, jusqu’à Paris en sculptant le tombeau de François Ier. En un retour à l’antique et une proximité avec la Renaissance italienne, une violence passionnelle et une véritable virulence émotive peuvent être perceptibles dans les œuvres de cet artiste, signe de cette profonde mutation.
Ce catalogue richement illustré fait la brillante démonstration que ces sculpteurs du XVIe s. ont su par la puissance plastique de leurs œuvres conjuguer d’une manière repensée la dignité et le drame de la Passion du Christ.

 

« Alfred Sisley - Catalogue raisonné des peintures et des pastels » de Sylvie Brame et François Lorenceau ; 560 p., 25 x 32 cm, Illustrations : env. 1100, relié sous jaquette couleur, Bibliothèque des Arts, 2021.
 


Les éditions La Bibliothèque des Arts viennent de consacrer un catalogue raisonné de l’œuvre du peintre Alfred Sisley appelé à faire date. Les auteurs, Sylvie Brame et François Lorenceau, offrent en effet avec cette somme bénéficiant des dernières recherches sur le peintre un ouvrage essentiel non seulement pour les spécialistes mais également pour tout amoureux de l’Impressionnisme. En renouvelant et amplifiant l’édition originelle parue en 1959 par François Daulte avec le concours de Charles Durand-Ruel, le présent ouvrage réunit en 560 pages pas moins de 1012 tableaux et pour la première fois les 71 pastels du maître impressionniste.
Anglais de naissance et français de cœur, Alfred Sisley décide de poser son chevalet à l’extérieur pour livrer ces tonalités fraiches et évanescentes d’une nature qu’il ne cessera d’observer notamment en Ile de France. Il ressort de ces évocations intimes des rives de la Seine, à l’ouest de la capitale, une attraction secrète qui le ramènera toute sa vie durant sur ces lieux où l’harmonie se conjugue à la vibration de l’air. Sylvie Patin, conservateur général honoraire au musée d’Orsay, souligne en introduction que si Sisley n’avait pas rencontré le succès escompté de son vivant alors même que son talent était apprécié de ses pairs, sa notoriété viendra après sa mort.
Les témoignages abondent en effet après sa disparition de la gaieté, de l’entrain et fantaisie du personnage qui allait connaître très tôt cette attraction inexorable du paysage et de la nature notamment à Bougival et Louveciennes où il résida. Lui qui commençait toujours une toile par le ciel ne cessa d’en admirer les incessants reflets sur les ondes du fleuve jouxtant sa résidence. Souvent associé à Monet pour cette magie des flots qu’il sut rendre avec une rare acuité dans ses multiples peintures à l’huile mais aussi ses pastels, la magie Sisley opère spontanément en feuilletant les pages de ce somptueux catalogue critique. Surgissent en effet comme par enchantement des paysages encore vierges des ravages opérés par la modernité dont il reste encore quelques rares bribes dans les boucles de la Seine. Ces paysages surpris sur le vif consentent à livrer dans ces compositions ce témoignage sensible qui anima le peintre tout au long de sa vie, même lorsque cette dernière l’éloignera de cette région pour d’autres horizons notamment à Moret-sur-Loing où il terminera ses derniers jours dans la gêne matérielle et avant même d’avoir été naturalisé par l’État français…

 

« Salammbô » ; Catalogue, cartonné, 352 pages, ill., 240 x 320 mm, Gallimard, 2021.
 


L’incipit du roman « Salammbô » de Gustave Flaubert « C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. » est passé à la postérité pour des générations de lecteurs depuis sa date de publication en 1862… Fruit d’un travail titanesque qui demanda des années de préparation à son auteur, « Salammbô » fut non seulement l’occasion de redonner vie à la cité antique, source de tous les rêves de l’orientalisme, mais aussi d’explorer en profondeur les passions humaines. Le catalogue qui vient d’être publié par les éditions Gallimard est à la hauteur de cette immense fresque à l’occasion de l’exposition qui va se tenir au MUCEM à partir de cet automne.
Ainsi que le souligne Sylvain Amic en introduction à cette somme abondamment illustrée de plus de 350 pages, Flaubert présente son dernier roman cinq après le scandale de « Madame Bovary » qui valut un procès à son auteur. L’écrivain partit sur place en 1857 et récolta une masse impressionnante de matériel pour une histoire qui allait se dérouler trois siècles avant Jésus-Christ. L’auteur souhaita visiblement quitter son siècle après les tourments occasionnés par « Madame Bovary », pour mieux plonger dans les arcanes de l’Histoire, une fois de plus, méticuleusement explorées. Son ami Guy de Maupassant s’interrogeait : « Est-ce là un roman ? N’est-ce point plutôt une sorte d’opéra en prose ? »… La question mérite d’être posée tant Flaubert déploie dans « Salammbô » à la fois la voix de ses protagonistes et les couleurs de la scène en un tourbillon proche de l’art lyrique, ce dernier lui rendant par la suite hommage en étant la source d’inspiration de nombreuses créations.
Le présent catalogue explore toutes les facettes de cette gigantesque œuvre qui épuisa son auteur au point de le décourager. Flaubert fait œuvre d’historien en travaillant sur les sources historiques à sa disposition, et ira même jusqu’à lire les études médicales les plus poussées de son temps sur les effets de la faim et de la soif pour ses protagonistes dans le défilé de la Hache…
Après avoir rappelé la situation historique de Carthage avant Flaubert et la genèse de l’ouvrage, le catalogue offre de passionnantes sections sur l’influence du roman sur les arts, notamment pour la peinture, mais aussi la musique sans oublier le cinéma. Illustré par une foisonnante iconographie témoignant des liens étroits entre l’œuvre et les arts, ce catalogue vient ainsi souligner le génie littéraire de Flaubert, et ce, de la plus belle manière.
 

 

« Contemporary Japanese Architecture » de Philip Jodidio Relié, Édition multilingue: allemand, anglais, français, 24,6 x 37,2 cm, 448 pages, Éditions Taschen, 2021.
 


Le pays du Soleil Levant a démontré depuis plus d’un demi-siècle que son architecture avait su suivre et anticiper les tendances les plus contemporaines de l’architecture moderne. Si l’Exposition universelle d’Osaka en 1970 a en quelque sorte accéléré ce processus, on ne compte plus depuis le nombre d’architectes majeurs japonais ayant signé les plus belles créations tels Tadao Ando, Shigeru Ban, Kengo Kuma ou encore Junya Ishigami… Pas moins de sept architectes japonais ont remporté le Pritzker Prize, signe de la vitalité de l’architecture japonaise contemporaine.
 

 

Les éditions Taschen publient aujourd’hui un splendide ouvrage signé Philip Jodidio, ouvrage à la hauteur de ces réalisations ambitieuses, véritables traits d’union entre passé et modernité, nouvelles technologies et écologie. Riche d’une créativité qui surprend à chaque réalisation, le Japon fascine toujours autant lorsque l’on fait défiler les pages de ce livre d’art aux généreuses dimensions. Philip Jodidio rappelle les grandes lignes artistiques qui caractérisent les créations de Tadao Ando, appréciées dans le monde entier pour leur synthèse réussie entre orient et occident, de Kengo Kuma (Stade national du Japon pour les derniers JO), Kazuyo Sejima (Musée Kanazawa d’art contemporain du 21e siècle) et bien d’autres jeunes architectes associant avec une créativité désarmante virtuosité et écoresponsabilité.

 


Trouver et exploiter l’espace au Japon, pays dont la majeure partie du territoire est occupé par les montagnes, a toujours été un défi lancé par l’homme. A l’heure de la mondialisation et de la crise écologique, ce questionnement est plus que jamais au cœur de la réflexion des architectes japonais. Une interrogation redoublée par les nombreux désastres qu’a connu le Japon ces dernières décennies, qu’il s’agisse sur le plan sismique tout autant que nucléaire. Comment concevoir de nouvelles architectures en un pays si densément peuplé et touché par la force des éléments ? Tel est le défi relevé avec intelligence et art par ces créateurs des temps modernes et que ce magnifique livre d’art à l’iconographie soignée célèbre de la plus belle manière !

 

 

 

PHILOSOPHIE - SOCIETE - ESSAIS - PSYCHANALYSE

« Friedrich Nietzsche - Œuvres - Tome III - Ainsi parlait Zarathoustra et autres récits" ; Édition publiée sous la direction de Marc de Launay avec la collaboration de Dorian Astor ; Bibliothèque de la Pléiade, n° 668, 1376 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm, Editions Gallimard, 2023.

Il faut (re)découvrir la pensée de Friedrich Nietzsche (1883-1885), ce philosophe trop souvent incompris – voire trahi, cette pensée complexe reposant sur les origines tout en souhaitant se départir des carcans de l’Histoire. Considéré souvent comme antisémite en raison de sa récupération posthume par le régime nazi et des torts causés par sa sœur cédant à ces sirènes brunes, Nietzsche ne cessa pourtant de s’opposer aux ennemis du peuple juif, sa rupture avec Wagner en témoigne ainsi que cette analyse d’une lucidité impressionnante en 1878 : « dans presque toutes les nations actuelles – et cela d’autant plus qu’elles adoptent à leur tour une attitude plus nationaliste – se propage cette odieuse littérature qui entend mener les Juifs à l’abattoir, en boucs émissaires de tout ce qui peut aller mal dans les affaires publiques et intérieures » (Humain, trop humain). Le philosophe est de tous les combats : contre l’héritage platonicien tout en étant un farouche opposant au christianisme et plaidant la « mort de Dieu »… Nous le voyons, cette pensée originale ne se laisse pas appréhender facilement au risque de passer à côté de sa richesse ; c’est justement tout le mérite de ce troisième et dernier volume des œuvres de Nietzsche de la collection La Pléiade sous la direction de Marc de Launay avec la collaboration de Dorian Astor que de nous inviter à ce trésor plus souvent cité que lu.
C’est un héritage dont nous n’avons pas encore fini d’apprécier la profondeur ainsi que le souligne Marc de Launay qui dirige cette édition : « Ainsi parlait Zarathoustra inaugure la dernière période de l’évolution philosophique de Nietzsche, et entend être l’amorce d’un nouveau style où l’exposé théorique ne rechigne plus à s’acquitter d’une dette enfin reconnue à l’égard de l’élément poétique qui fait la substance même du langage ». C’est, en effet, le célèbre ouvrage « Zarathoustra » qui ouvre ce volume, un texte majeur du philosophe dont les origines remontent à l’époque de son séjour à Bâle au début des années 1870 avant sa conception dix ans plus tard de 1883 à 1885 après avoir conclu Le Gai Savoir où l’auteur avait pris date avec ses lecteurs sur cet énigmatique Zarathoustra et le concept de l’Éternel retour. Ce texte jugé comme essentiel par Nietzsche lui-même avait été longuement mûri lors de marches interminables, même si sa rédaction témoigne d’une tension et d’une force qui ne pourront que surprendre alors même que ce livre sortit quasiment dans l’anonymat lors de sa parution. Le très vif succès rencontré par « Ainsi parlait Zarathoustra » ne surviendra, en effet, qu’après la mort du philosophe allemand (un texte qui inspirera d’ailleurs Richard Strauss pour son sublime poème symphonique). Anecdote surprenante, Nietzsche aurait achevé sa première partie alors même que son ancien ami avec qu’il s’était violemment brouillé, Richard Wagner, rendit son dernier souffle à Venise… Le présent volume inclut, par ailleurs, concernant cette relation passionnelle deux écrits de Nietzsche : « Le Cas Wagner » et « Nietzsche contre Wagner ».
Le « poète-prophète » qu’il souhaitait établir avec le personnage de Zarathoustra fruit d’une « pensée la plus abyssale » selon les termes de Nietzsche fut malgré tout un échec malgré les concepts essentiels qu’il lèguera du « Surhomme », tristement détourné et de l’ « Éternel retour », souvent incompris.
Un volume essentiel mettant en valeur toute la richesse des œuvres du philosophe allemand comprenant également : « Par-delà bien et mal », « Pour la généalogie de la morale », le « Crépuscule des idoles », « L’Antéchrist », « Ecce homo ».

 

Jean Cottraux : « Sortir des émotions négatives », Editions Odile Jacob, 2023.

C’est un véritable et redoutable vadémécum que nous propose Jean Cottraux, auteur déjà d’une vingtaine ouvrages dont le fameux « La force avec toi », avec cette dernière parution « Sortir des émotions négatives » aux éditions Odile Jacob. Dans un premier temps, Jean Cottraux distingue pour plus de clarté et compréhension les émotions des sentiments ; une distinction souvent négligée et qui lui permet de préciser que « le côté obscur des émotions est celui où sont tapis les mauvais sentiments : ceux qui pourrissent la vie et que l’on préfère cacher (…) ». Après avoir ainsi rappelé ce que sont les émotions, les sentiments, passions et humeurs, l’auteur livre au lecteur un réel programme en huit points de gestion des émotions négatives. Dénommé PAEN, ce dernier opte pour une approche dynamique en proposant un programme d’autogestion de nos émotions négatives. Appuyé par de nombreux tableaux clairs et précis, Jean Cottraux précise que ce programme « vise à ce que chacun d’entre vous puisse devenir son propre thérapeute en puisant dans les méthodes bien validées de la thérapie cognitive et comportementale. »
Jean Cottraux prend soin de compléter et d’illustrer ce programme par deux autres chapitres, tout aussi majeurs et d’une efficacité certaine exposant, une à une, « les émotions destructrices pour soi » (angoisse, culpabilité, la tristesse, etc.) , ainsi que « les émotions négatives pour les autres » (la colère, l’envie, le mépris, etc.), une approche non autocentrée, donc, et des plus appréciables distinguant notamment l’envie de la jalousie. Dans un style clair et concis et au gré de ces chapitres, le lecteur pourra ainsi pour chaque situation négative envisagée appréhender pleinement point par point la force de celle-ci, son origine, ses conséquences, et surtout les solutions et conseils pratiques et efficients pour y faire face. Car, c’est bien de « Sortir des émotions négatives » dont il s’agit pour pouvoir enfin se tourner et développer de réelles émotions positives telles que la joie, le bien-être, la sérénité, mais aussi la créativité...
Un ouvrage qui permettra à chacun de comprendre ses propres émotions négatives - que celles-ci soient strictement personnelles ou suggérées collectivement par des jeux de pouvoir et de manipulation - afin de trouver de nouveaux ancrages, socles d’émotions positives.
 

René Girard : « La Conversion de l’art » ; Préface de Benoît Chantre et Trevor Cribben Merril ; Editions Grasset, 2023.

Cet ouvrage regroupe des textes du grand et regretté penseur Renée Girard disparu en 2015 ; Huit textes précisément - dont cinq de jeunesse, allant de 1950 à 1980 complétés par deux entretiens (extraits) qu’il accorda. Initialement ce recueil dont R. Girard signa l’avant-propos en 2008 accompagnait une conversation filmée avec Benoît Chantre – « Le sens de l’histoire », réalisée à l’occasion de l’exposition « Traces du sacré » au centre-Pompidou de Paris et envers laquelle l’auteur de « Mensonge romantique et vérité romanesque » entendait se démarquer et opposer une forte réserve. R. Girard souhaitait par cet ouvrage faire entendre, et surtout, comprendre « sa méfiance originaire à l’égard de l’art moderne » dont l’épuisement reposait, selon lui, sur la violence du sacrifice, à l’instar du religieux archaïque. Pour cela, il retint ces huit textes marquant la progression de sa pensée, des écrits pour la majeure partie consacrés à la littérature et allant de son départ d’Europe en 1947 et son arrivée aux États-Unis jusqu’à la fin des années 80.
Si avec le texte « Où va le roman ? » publié en 1957, R. Girard semble encore croire à un renouvellement du roman, et au-delà des textes de 1953 consacrés à Saint-John Perse qu’il admire et comprend en arrivant aux États-Unis ou encore celui consacré à André Malraux, le lecteur retrouvera déjà en germe dans ces écrits toute la puissance de sa pensée et de sa théorie mimétique. En ce sens est évocateur ce texte de 1957 consacré à Paul Valéry et à Stendhal dans lequel le penseur souligne déjà ce « Moi-pur » de Valéry et sa préférence pour l’égotisme stendhalien.
Girard refuse tout snobisme littéraire ou artistique et, pour l’auteur de « La violence et le sacré », l’artiste moderne est rongé par la rivalité. L’article de 1978 consacré à Proust en fait l’éclatante illustration tant l’auteur de la Recherche est pour Girard « le plus grand théoricien des miroitements du Moi ». Narcissisme, désir et rivalité imprègnent ces pages, mais ce sera, surtout, avec des études consacrées à Hölderlin, à Nietzsche ou encore à Wagner que le penseur confirmera ses intuitions et affirmera sa théorie. « Leur instabilité - étant selon R. Girard, symptomatique de la conscience moderne dans son rapport ambivalent au sacré. » On songe, ici, à l’article de 1986 « Nietzsche et la contradiction ».
La littérature romanesque suppose, pour Girard, afin de se détacher de l’esthétique, une « conversion romanesque ». Cette dernière étant, dira R. Girard en 1998, « au cœur de son parcours intellectuel et spirituel ». Celui-ci avait d’ailleurs tenu à refermer son avant-propos en 2008 en ces termes : « Je ne voudrais pas qu’on prenne ce livre pour un simple essai d’esthétique. Cette jouissance m’est étrangère. » Car, ce qui importe à l’auteur de « Mensonge romantique et vérité romanesque », c’est bien cette « conversion de l’art », et ce dernier ajoutera : « L’art ne m’intéresse en effet que dans la mesure où il intensifie l’angoisse de l’époque. Ainsi, seulement il accomplit sa fonction qui est de révéler. » Un propos qui structure toute sa pensée et par lequel Bernard Chantre et Trevor-Cribben Merril ouvrent aujourd’hui la riche préface de cet ouvrage indispensable à la compréhension de l’élaboration et formation de la pensée de ce grand penseur que fut René Girard.

L.B.K.

 

Bernard Perret : « Violence des dieux, violence de l’homme ; René Girard, notre contemporain », Coll. Seuil La couleur des idées, 368 p., 2023.

Un ouvrage incontournable aux éditions du Seuil, tel est assurément l’ouvrage de Bernard Perret, « Violence des dieux, violence de l’homme », consacré au grand penseur Français René Girard (1923-2015), ainsi que l’indique son sous-titre « René Girard, notre contemporain ». L’auteur, auteur déjà de « Penser la foi chrétienne après Girard » (Ad Solem ), conscient de l’immense apport de René Girard, mais aussi de ses limites, n’a nullement souhaité par cette parution proposer une pure synthèse ou même un essai consacré à l’œuvre du penseur, mais bien une réelle mise en perceptive des apports majeurs de Girard que ce soit sa thèse centrale de la théorie du désir mimétique, de la rivalité, de la violence ou encore du sacré… Bernard Perret a opté pour cela pour une approche dynamique par le prisme de la violence en cinq parties, la première étant consacrée, comme il se devait pour une telle étude, à un rappel clair et concis d’une centaine de pages à la progression de la pensée de Renée Girard. Une évolution mise en lumière suivant la chronologie des publications majeures du penseur, allant de « Mensonge romantique et vérité romanesque » (1961) au « Bouc émissaire » de 1982 ou de « Les origines de la culture » de 2015 en passant, bien sûr, par « La violence et le Sacré (1972) ou encore « Des choses cachées depuis la fondation du monde » de 1978 ; Une première approche qui n’entend nullement être une simple brève synthèse des théories girardiennes, mais qui en souligne d’ores et déjà les avancées, revirements ou rejets mais aussi les zones d’ombre ou se prêtant à la critique.
Ce n’est qu’après ces mises au point que l’auteur revient sur les points de contact de la pensée de Girard avec d’autres domaines ou sciences, relevant autant les influences du penseur, ses refus ou ses distorsions. Une nouvelle approche avec pour axe la violence et permettant à Bernard Perret d’approfondir ou de préciser certaines prises de position ou nuances de Girard face au jeu des questionnements ou critiques et de proposer une « anthropologie de la théorie mimétique au-delà de Girard ». Balayant les neurosciences avec notamment les neurones miroirs, la psychanalyse et le rejet de la conception objectale du désir de Freud, ou encore la sexualité, l’auteur s’arrête plus spécifiquement sur les grands thèmes girardiens : Ainsi, de la violence du Sacré et de la culture ouvrant un riche dossier ethnologique, « Girard contre le structuralisme » ou encore de la transformation du sacré violent en valeurs transcendantes, un thème également cher à Girard, qui le conduira à souligner toute « la singularité judéo-chrétienne » et à adopter une pensée apocalyptique ; une conversion, critiquée ou dénoncée, mais parfaitement assumée par le penseur, et qu’il convient d’apprécier dans toutes ses acceptions.
L’ouvrage se « referme », enfin, sur un dernier et cinquième chapitre soulignant l’actualité et portée de la théorie mimétique girardienne tant pour aujourd’hui que pour demain ; Un chapitre conclusif des plus porteurs….

L.B.K.

 

« Jankélévitch », Cahier de L’Herne dirigé par Françoise Schwab, Pierre-Alban Gutkin-Guinfolleau et Jean-François Rey, Editions L’Herne, 2023.

C’est un dense et captivant Cahier que nous proposent les éditions de L’Herne avec cette dernière livraison consacrée au philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985). On y retrouve dès les premières pages un beau portrait « grandeur nature » de celui que ses intimes appelaient « Janké », cet homme à la mèche folle et au timbre de voix si inimitable ; un portrait appuyé par des textes évocateurs signés notamment Mauriac, Françoise Schwab, Pascal Bruckner ou encore Edgar Morin, mais aussi des écrits du philosophe lui-même ou entretiens que viennent également appuyer de nombreuses lettres. Indissociable de l’homme, le lecteur y redécouvrira également le professeur de philosophie qu’il fut et qui marqua cette génération qui aimera tant l’appeler « Maître » ; on songe avec délices au regretté Lucien Jerphagnon dont quelques lettres, aussi courtes que savoureuses, viennent témoigner de ce mélange de respect, de fidélité et de malice qu’ils partageaient…
Homme, Professeur, ami, et bien sûr, philosophe : philosophe « des marges ou des à-côtés » ainsi qu’il le soulignait lui-même, parfois donné pour initiés, mais devenu aujourd’hui incontournable tant son absence désole et laisse un vide irrémédiable. Découvrir ou relire Jankélévitch demeure toujours un plaisir inépuisable dont ce Cahier de l’Herne témoigne. C’est ce philosophe de morale aux mille paradoxes, ce philosophe de l’insaisissable, de l’ineffable, du « Je ne sais quoi » et du « Presque rien » que le lecteur découvrira par le prisme de ses thèmes majeurs et privilégiés : la musique, « la moitié de ma vie » dira-t-il – et comment ne pas citer son « Fauré », son « Liszt » ?, mais aussi le temps, l’irrévocable et irrémédiable, l’ironie, la mort, le pardon sans oublier, surtout, l’amour… Des thèmes forts ayant marqué cette vie faite de convictions, de mémoire, de « conscience juive » et d’engagement.
Un Cahier de L’Herne qui se laisse dévorer de A à Z ou picorer telle une gourmandise au grès de ses attentes, questionnements ou humeurs. Lui, qui aimait à rappeler que « la vérité est équivoque, contradictoire, elle se dément elle-même. On ne peut l’atteindre, très partiellement, fugitivement, qu’à demi-mot, grâce à une illusion, à une influence de la voix. » Et comment ignorer ou manquer, justement, cette voix inoubliable ?

L.B.K.

 

« Vivre crescendo » de Stephen R. Covey et Cynthia Covey Haller, First éditions, 2023.

Le parcours de Stephen R. Covey peut être synonyme de son approche gagnant/gagnant qu’il a contribué à diffuser dans le monde entier. Sa vie professionnelle tant que personnelle repose en effet sur cette idée que nous pouvons en partie diriger notre vie et rendre celle des autres meilleures. À la fin de sa vie, cet auteur prolifique et mondialement reconnu (lire notre interview) souhaitait parfaire encore sa pensée en abordant quelques questions qui lui tenaient à cœur. C’est le résultat de ces interrogations menées par Stephen R. Covey et complété aujourd’hui par sa fille Cynthia dans « Vivre crescendo ».
Un ouvrage comportant de nouveaux paradigmes sur notre retraite de la vie professionnelle qui ne doit jamais être synonyme d’un retrait de la vie. Comme à son habitude, l’auteur part de cas concrets qu’il soumet dans ces pages à notre analyse, des cas qui permettent de se concentrer sur ce qui nous importe le plus à toute vie, à savoir mener une vie de service de la même manière, avec la même implication que celle menée dans une vie professionnelle. Cela ne va pas de soi à l’heure où de nombreux salariés se trouvent « débarqués » la cinquantaine atteinte, engendrant ainsi le sentiment de ne plus servir à rien. Comme à l’accoutumée, Stephen R. Covey nous enseigne qu’il faut avoir une nouvelle vision que l’auteur décrit pour chaque âge et étape de la vie.
Le titre même de l’ouvrage est d’ailleurs dérivé de son propre énoncé de mission : « Live Life in Crescendo » c’est-à-dire vivre pleinement sa vie, rejoignant ainsi en quelque sorte le précepte phare des stoïciens. Cette idée de crescendo s’oppose à la tendance commune de repli et d’égoïsme souvent constatée l’âge venant. À l’image des sociétés traditionnelles, les années passant deviennent alors une richesse à faire partager au plus grand nombre. Quels que soient nos compétences et savoir-faire, il est toujours loisible et souhaitable, selon l’auteur, de les partager au plus grand nombre, dans son environnement familial, personnel ou professionnel. C’est à un véritable plaidoyer pour la vie auquel se livre dans ce dernier ouvrage posthume Stephen R. Covey (ici, avec sa fille Cynthia Covey Haller), une belle leçon de vie à partager au plus grand nombre !
 

« L'analyse des rêves : notes du séminaire de 1928-1930. Vol. 1 & 2 » de Carl Gustav Jung, collection poche Espaces libres, Albin Michel, 2022.

Un petit trésor - étonnement indisponible en français jusqu’à la présente édition - vient de paraître chez Albin Michel : « L’analyse des rêves » notes du séminaire de 1928-1930 » de Carl Gustav Jung. Dans cette somme en deux volumes réunis ici, préfacée et traduite de l’anglais par Jean-Pierre Cahen, la matière vivante du grand psychiatre suisse sur les rêves se trouve livrée sans retenue grâce aux notes réunies et rassemblées par les participants lors de ce séminaire ; notes que Jung accepta de voir reproduites dans un premier temps dans le cercle restreint du Club psychologique qu’il avait créé à Zurich.
Alors que le célèbre psychiatre suisse était au fait de sa maturité à l’âge de 53 ans en 1928, ce séminaire fait à la fois figure d’une réflexion « sur le vif » - le grand analyste encourageant son auditoire à s’impliquer dans les commentaires et à apporter à son propre témoignage – mais aussi très aboutie. Aboutie car, une fois de plus, Jung témoigne dans ces pages de sa grande perspicacité et culture dans la manière d’aborder l’analyse des rêves, et ce d’une autre manière que celle qui était jusqu’alors menée sous l’angle freudien.
Avec ces deux volumes, le lecteur comprendra progressivement, page après page, la valeur non seulement intrinsèque de chaque rêve, mais surtout sa mise en rapport avec son symbolisme, ses liens avec la mythologie et les religions. Il s’agit, ainsi que le souligne Jean-Pierre Cahen dans l’introduction, « d’un enseignement clinique, pratique, concert, continu, d’une densité exceptionnelle ». Les maladresses des participants, les hésitations et parfois même les impasses ne sont pas expurgées de son contenu, témoignant ainsi de la confiance en soi du grand penseur qui n’avait pas souhaité reprendre la rédaction de ces pages spontanément réunies.
Les pages et les pensées défilent ainsi à partir de l’analyse « en direct » des rêves successifs d’un patient suisse que Jung suivait. Se profile alors une évolution, non seulement chez ce même patient, mais également chez les participants du séminaire, preuve s’il en était besoin du bien-fondé de la démarche jungienne démontrée en ces pages de la plus éclairante manière. Une lecture stimulante et déterminante pour toute réflexion sur les fonctions du rêve.
 

Gilles Antonowicz : "Isorni - Les procès historiques », 208 pages, Éditions Les Belles Lettres, 2021.

Si le nom d’Isorni est quelque peu sorti de la mémoire collective en France, ce défenseur des causes politiques et avocat des communistes sous l’Occupation a pourtant tenu une place privilégiée dans l’univers judiciaire de notre pays. Gilles Antonowicz, lui-même avocat réputé, a su se saisir de cette personnalité hors normes qui accepta tout aussi bien de défendre un personnage comme Brasillach ou Pétain à la Libération que les causes perdues d’avance des minorités pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jacques Isorni n’a pas cherché le sensationnel en défendant les causes impossibles, mais s’est surtout attaché à se placer « du côté des prisonniers ». Après Maurice Garçon à qui l’auteur a consacré une biographie remarquée en 2019, c’est au tour d’un autre ténor du barreau en la personne d’Isorni de nourrir cet essai haut en couleur qui transportera le lecteur dès les premières pages aux heures sombres de l’Occupation… Au lendemain de la guerre, les difficultés sont loin d’être terminées et le brillant avocat déplacera son champ d’action « de l’autre côté » en prenant la défense de personnalités jusqu’alors victorieuses et soudainement placées au rang d’accusés présumés coupables. Une fois cette période trouble passée, la tension ne se relâchera pas avec les années de décolonisation et la guerre d’Algérie. Chaque décennie offre à Jacques Isorni de plaider les causes impossibles grâce à ses plaidoiries inoubliables et cette conviction indéfectible soulignée même par ses détracteurs. Ce sont ces grandes heures du barreau que Gilles Antonowicz nous fait revivre de manière passionnante, lui qui les connaît de l’intérieur et parvient à les éclairer d’une plume captivante.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Héraclite » de Jean-François Pradeau, Collection Qui es-tu ? 136 pages, Éditions du Cerf, 2022.

La didactique collection « Qui es-tu ? » des éditions du Cerf parvient à faire revivre en à peine plus d’une centaine de pages Héraclite, un des philosophes antiques dont la pensée ne nous est parvenue que sous forme fragmentaire. L’auteur, spécialiste incontesté du philosophe présocratique, nous fait remonter le temps à une vitesse vertigineuse, près de vingt-six siècles, afin de mieux découvrir ce « marginal illustre » ainsi qu’il le nomme en introduction.
Si seule une centaine de phrases d’Héraclite ont pu parvenir jusqu’à nous, ses contemporains, puis les auteurs anciens qui transmettront par la suite son oeuvre, soulignaient déjà la force de sa pensée mais également la complexité de certains de ses discours. Les quelques rares informations dont nous disposions encore de nos jours sur Héraclite proviennent de Diogène Laërce dans ses « Vies et doctrines des philosophes illustres » et qui ouvre ce petit ouvrage d’une clarté remarquable, l’auteur étant professeur de philosophie ancienne à l’université Jean-Moulin de Lyon (Lyon-3) et ayant publié une trentaine de traductions commentées et une dizaine de monographies savantes sur le sujet. Mais que le béotien se rassure, avec ce petit ouvrage, nul hermétisme universitaire, mais une présentation aussi claire que possible sur la nature de l’âme et du primat du feu, essentiel dans la pensée du philosophe ermite, guère compris de ses contemporains.
Au terme de cette riche évocation de la pensée d’Héraclite, le lecteur s’approchera au plus près de cette tentative de connaissance totale de la réalité qu’avait recherchée toute sa vie le philosophe, une fin en soi, mais également un moyen à garder tout au long de sa vie afin de vivre au sens plein du terme. Une belle initiation à la sagesse antique !

 

« Lucrèce ; La naissance des choses » ; Edition bilingue établie par Bernard Combeaud ; Préface de Michel Onfray ; Editions Mollat / Bouquins, 2021.

Plaisir que de lire « La Naissance des choses » ou « De rerum natura » du poète Lucrèce dans cette édition bilingue établie par le regretté Bernard Combeaud (1948-2018) et parue aujourd’hui dans la collection Bouquins. Texte majeur de la littérature antique, Bernard Combeaud a souhaité pour cette édition revenir à sa version originelle et retenir la rigueur de traduction de la métrique latine. Un choix tout à son honneur et qui a reçu le prix Jules-Janin de l’Académie française en 2016. « La Naissance des choses » ou « De la Nature des choses », seul et unique livre connu du poète latin comporte plus de sept milles vers. Bernard Combeaud, bien que reconnaissant qu’il existe de très talentueuses traductions, avoue cependant que « fasciné depuis longtemps par ce génie si proche de Dante ou d’Hugo, j’avais caressé l’idée de traduire sur frais le poème de La Nature », ajoutant : « Rendre en prose un poème étranger est une opération du même ordre qu’adapter un roman pour le cinéma ou que transposer une partition pour un autre instrument que celui pour lequel elle avait d’abord été composée : dans les deux cas, on change alors non de langue seulement, mais bien de langage ». Comment ne pas acquiescer ?
De Lucrèce, lui-même, poète-philosophe du 1er siècle avant notre ère, on ne connaît que très peu de choses, si ce n’est qu’il eut pour maître Épicure et que cela est donc toujours une réjouissance extrême que de lire et relire en ces vers les principes d’un monde épicurien selon le poète latin. Une philosophie « praticable » ainsi qu’aime à le rappeler Michel Onfray qui signe, ici, la présentation de cette édition. Une présentation sous forme d’un échange « A bâtons rompus » entre le philosophe normand et Bernard Combeaud, mais interrompu malheureusement par la disparition de ce dernier. Un échange fécond revenant sur les sources, sur Epicure et Lucrèce, sur le poète et les Dieux…
Un seul, long et inachevé, poème condamné par saint Jérôme et autres pères de l’Eglise mais qui fut, souligne Bernard Combeaud en son avant-propos, célébré par Cicéron lui-même : « Les poèmes de Lucrèce sont bien ce que tu m’écris : ils brillent de toutes les lumières du génie, sans que l’art y perde, tant s’en faut » écrivait l’orateur romain à son frère. Ce qui conduit Michel Onfray à penser que « La volonté de recourir au miel du vers pour faire passer le vinaigre de la sagesse épicurienne fait philosophiquement sens : Lucrèce s’adresse au plus grand nombre, ce faisant, il élargit avec bonheur le public de la philosophie. » Un bonheur que Bernard Combeaud a par cette traduction su si bien renouveler. Bernard Combeaud a qui nous devons également les « Œuvres complètes » du poète Ausone.

L.B.K.

 

Frédéric Lenoir « Jung – Un voyage vers soi », Albin Michel, 2021.

Frédéric Lenoir signe chez Albin Michel une biographie consacrée au célèbre psychanalyste suisse Carl Gustav Jung (1875-1961) alerte, informée, et surtout, bien venue en France, pays longtemps dominé par le courant freudien grâce notamment à Marie Bonaparte, puis majoritairement lacanien. Au-delà des prises de position, malentendus – et bien qu’un vaste travail d’édition ait été entrepris par le regretté Michel Cazenave, il est heureux que Frédéric Lenoir offre de nouveau aujourd’hui les clés d’entrée nécessaires à l’œuvre de Jung. Car si certains apports du psychanalyste sont connus – on pense notamment aux archétypes, à l’inconscient collectif, son legs demeure cependant riche et complexe, voire ésotérique. C’est là, cependant, confondre ses recherches personnelles et ses découvertes et apports en matière de psychanalyse, alors que le célèbre psychanalyste fut ainsi que l’écrit l’auteur dès son introduction un fantastique « éveilleur et visionnaire », soulignant que « Jung n’a cessé de rappeler que c’est de l’intérieur de la psyché humaine que se trouvent à la fois les solutions d’un avenir meilleur et les pires dangers pour l’humanité et la planète ». Or, en notre période troublée par tant de crises sanitaire, économique, sociale…, les apports et découvertes du célèbre psychanalyste gardent sur nombre de points toute leur pertinence et actualité.
Frédéric Lenoir livre, ici, une biographie didactique, distinguant selon les parties et les chapitres les grandes périodes de la vie du psychanalyste, sa rencontre et rupture avec Freud, ses voyages, amours et amitiés, et les points sensibles ou grandes notions de la psychologie analytique : Le Moi et le Soi, l’individuation, l’homo religiosus, synchronicité, des notions également chères à Mircea Eliade. Jung en consommant sa rupture avec Freud fut l’un des premiers psychanalystes à prendre en compte la dimension spirituelle. Cependant, bien que renonçant à être le dauphin de Freud, considérant que la libido ne saurait être réduite à la sexualité, Jung ne reniera jamais – contrairement à ce que l’on pense souvent, pour autant l’apport du père de la psychanalyse.
Qui plus est, Frédéric Lenoir n’élude en ces pages aucun point délicat notamment la question de la position de Jung durant la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement durant les années 1933-1939 ; une position demeurée floue et ayant conduit nombre d’analystes à écarter l’apport et l’œuvre de Jung. Indéniablement, Frédéric Lenoir a entendu s’impliquer dans cette biographie n’hésitant pas à plusieurs reprises à donner son opinion et à utiliser le « je ». Tant l’œuvre du psychanalyste que l’homme – et ses indissociables lieux de prédilection, Küsnacht, Bolligen, y sont présentés avec un réel intérêt et une jolie affinité.
Un ouvrage plaisant et didactique offrant les clés indispensables pour aborder la pensée du grand psychanalyste Carl Gustav Jung et proposant, ainsi que l’indique son titre, « Un voyage vers le soi ».
 


Parallèlement à cette publication, deux œuvres de Carl Gustav Jung paraissent dans la collection de poche Espaces libres Psychologie des éditions Albin Michel « L’Âme et le soi – Renaissance et individuation » ainsi que « Aiôn – Etudes sur la phénoménologie du soi ».

L.B.K.

 

Focus Le regard des photographes de l'AFP édition spéciale 2020, La Découverte, 2021.

Chaque année l’Agence France Presse rassemble ses photographies les plus marquantes afin de résumer une année. Mais cette année passée n’est assurément pas à l’image des autres années puisque 2020 a connu l’incroyable pandémie du Coronavirus qui sévit encore aujourd’hui.
Aussi n’est-il pas étonnant que les premiers clichés marquants soient consacrés à ce qui allait mobiliser la planète entière. Un homme en train d’agoniser sur un trottoir en Chine alors que personne ne souhaite le toucher du fait du virus, le marché « maudit » de Wuhan d’où tout serait parti, un hôpital de campagne « sorti de terre » en quelques jours comme seul peut le faire le pouvoir chinois…
Dans ces photos des plus grands photographes de l’AFP, c’est le tragique qui se dispute à la démesure ; des barricades tentent, en vain, de confiner les quartiers, une autre vie s’organise, de manière futuriste sur une planète en apnée, mais devenue pourtant notre quotidien depuis… Alors que se comptent les morts et destins tragiques, la vie continue néanmoins avec parfois ses représentations théâtrales presque surréalistes dans une maison de retraite, des balcons qui dans le monde entier deviennent des lieux de sociabilisation…
Esthétiques, éloquentes, étonnantes, stupéfiantes, les qualificatifs pour ces clichés pris par les plus grands photographes de l’AFP ne manquent pas pour cette information en images de tout premier plan d’une année qui aura marqué la planète entière.
 

Grand Atlas 2021 sous la direction de Frank Tétart, cartographie : Cécile Marin, éditions Autrement, 2020.

Impression d’être perdu dans la multitude des rapports de puissance au niveau planétaire ? Sensation de ne plus percevoir les enjeux de la mondialisation à l’heure du COVID-19 ? Ce Grand Atlas réalisé sous la direction de Frank Tétart apportera bien des éclaircissements et réponses à ces questions légitimes. Avec l’aide de plus de 100 cartes, 50 infographies et documents pour comprendre le monde, ce Grand Atlas va au-delà des ouvrages de ce genre en ajoutant une dimension analytique indéniable afin de mieux discerner les tensions, enjeux et défis internationaux. Réalisé en partenariat avec Courrier international et franceinfo, ce Grand Atlas permet non seulement de comprendre le monde du XXIe siècle mais offre également des rappels précieux sur l’Histoire telle cette rubrique consacrée à la peste noire qui toucha l’Europe au XVe siècle, la guerre de Sécession, la naissance de l’État libre d’Irlande, de l’Europe ou encore la construction du mur de Berlin… Réunissant les analyses des meilleurs spécialistes français dans diverses disciplines (géographes, économistes, politologues…), ce livre abondamment illustré par de remarquables cartes adaptées par Cécile Marin conjugue graphisme didactique et développements analytiques afin de mieux comprendre le monde d’aujourd’hui et de demain.
 

« Les nouvelles figures de l'agir - Penser et s'engager depuis le vivant » Miguel BENASAYAG, Bastien CANY, Editions La Découverte, 2021.

Le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag vient de publier avec le journaliste Bastien Cany un ouvrage sur « Les nouvelles figures de l’agir » à l’heure des biotechnologies et autres pandémies. Ce thème de l’agir occupe le philosophe depuis longtemps déjà, mais cette notion délicate se trouve posée de nouveau à l’acmé d’un environnement conflictuel. Paradoxalement, alors que les situations qui nous entourent obscurcissent notre ciel de menaçants nuages, nos contemporains semblent pris d’un vent de panique qui les conduit à une paralysie certaine empêchant toute action. Ce n’est pourtant pas les informations – la surinformation même – qui manquent pour éclairer tant soit peu notre entendement. Alors quelle sorte d’entrave retient l’action ? C’est à cette question à laquelle s’attache cet ouvrage exigeant et stimulant, une réflexion qui implique notre manière de percevoir le monde et nos représentations de la réalité, souvent masquées au profit d’une prétendue connaissance technologique et omnisciente. Ni technophobes ni technophiles, c’est une voie médiane pensée que nous suggèrent les auteurs. La voie, non point d’une issue, illusoire, mais d’une réaction à cette paralysie passe par notre rapport aux autres, à la nature et à la culture afin d’accepter la complexité pour mieux composer à partir d’elles. Les liens tissés dans ce paysage sont la plupart du temps ignorés, si ce n’est niés par nos contemporains. Allant au-delà de l’universalisme, mais aussi de tout relativisme, il y urgence à excentrer l’humain ; il y a urgence selon Miguel Benasayag et Bastien Cany à s’engager dans cette démarche au risque de passer à côté de l’humain dans les années à venir. Replaçant sa philosophie de la situation et de l’action dans le contexte exacerbé que nous connaissons ces dernières années, les auteurs démontrent la différence que nous ne faisons pas toujours au quotidien entre information et compréhension, cette dernière impliquant le corps entier, avec toutes ses fragilités. Passant allègrement de la philosophie à la neurobiologie, deux disciplines dans lesquelles l’auteur offre depuis longtemps des analyses aussi vivifiantes que stimulantes, Miguel Benasayag n’est jamais là où on l’attend. Et nous devrions peut-être retenir cette agilité de dépasser les paradoxes pour atteindre cette flexibilité évitant la résignation actuelle. Le progrès n’est plus le maître mot de nos sociétés contrairement à ce que les intégristes des technologies clament de leurs chapelles… Entre catastrophisme convaincu et foi aveugle en un avenir improbable, il existe une voie médiane, transversale, qui passe par une nouvelle prise de conscience de nos corps, avec toutes leurs imperfections, non point par une pleine conscience illusoire, mais en conciliant toutes nos contradictions en une puissance d’agir. Afin d’éviter la dislocation de l’humain, l’écrasement du présent par la tyrannie du smartphone, l’infatuation du je en d’infinis selfies, la voie est loin d’être rectiligne, mais l’incertitude omniprésente de nos quotidiens vaut bien ces stimulants détours !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Carl G. Jung : « Les sept sermons aux morts », Coll. Carnets, Éditions de l’Herne.

Cet opuscule, « Les sept sermons aux morts », du psychanalyste suisse Carl G. Jung est un écrit personnel s’inscrivant « en marge » de ses ouvrages théoriques sur la psychanalyse. Daté de 1916 et rédigé en trois nuits dans un état extatique, le psychanalyste y décrit ou consigne pour lui-même une expérience intérieure qui fut pour lui d’une force inouïe et qu’il gardera secrète. C. G. Jung écrira à son sujet dans sa biographie « Ma vie » : « Il faut prendre cette expérience comme elle a été ou semble avoir été. Elle était probablement liée à l’état d’émotion dans lequel je me trouvais alors et au cours duquel des phénomènes parapsychologiques peuvent intervenir. Il s’agissait d’une constellation inconsciente et je connaissais bien l’atmosphère singulière d’une telle constellation en tant que numen d’un archétype (…) »
Cette expérience d’une force intérieure particulière intervint deux ans après la rupture de Jung avec Freud qui l’amena à faire un important et profond retour sur lui-même et à affronter rêves et inconscient. Dans « Les sept sermons aux morts », Jung relate une vision qu’il eut par le biais d’un philosophe du IIe siècle, Basilide, lui révélant ce qu’est le plérôme ou monde céleste.
« Les sept sermons aux morts » peuvent donc apparaître extrêmement étranges et déroutants à celui qui découvre l’œuvre du psychanalyste par ce texte. Ainsi que le souligne l’avant-propos, « De fait, on ne saurait nier qu’ils posent à la compréhension maintes énigmes. » Pourtant, nul doute que cette expérience intérieure, si étrange soit-elle, fut l’une des pierres angulaires de l’élaboration de la psychanalyse analytique.
Ce texte fut longtemps considéré à tort comme un écrit d’inspiration purement gnostique. Or, s’il est vrai que C. G. Jung s’intéressera de près aux sources gnostiques (comme à de nombreuses autres sources), cette expérience intime marquera bien au-delà tant l’homme que le théoricien et père de la psychanalyse analytique. En témoigne ce qu’écrivit Jung lui-même au sujet des « Sept sermons aux morts » dans « ma vie » : « Car les questions auxquelles, de par mon destin, je devais donner réponse, les exigences auxquelles j’étais confronté, ne m’abordaient pas par l’extérieur mais provenait précisément du monde intérieur. C’est pourquoi les conversations avec les morts, les « Sept sermons aux morts », forment une sorte de prélude à ce que j’avais à communiquer au monde sur l’inconscient ; ils sont une sorte de schéma ordonnateur et une interprétation des contenus généraux de l’inconscient ».
A ce titre, cet écrit personnel ne saurait être aujourd’hui, 60 ans après la mort de Carl G. Jung, occulté de toute approche de la psychanalyse analytique, et il faut saluer les éditions de l’Herne d’avoir eu l’initiative de publier cet écrit. Un texte comportant par ailleurs deux autres écrits « Le problème du quatrième » et « La psychanalyse analytique est-elle une religion ? » également insérés dans cette nouvelle édition.
 

L.B.K.

 

« Arthur Schopenhauer – La fin du monde, voilà mon salut. – entretiens » ; Coll. Du côté des auteurs, Editions établie et présentée par Didier Raymond, Editions Le Passeur, 2021.

Schopenhauer au faîte de sa notoriété accorda un certain nombre d’interviews. Certes, si elles demeurent moins connues que ses œuvres majeures – « Le monde comme volonté et comme représentation », elles méritent pourtant qu’on s’y arrête. À ce titre, il faut saluer l’initiative des éditions Le Passeur d’avoir publié dans sa collection « Du côté des auteurs » ces savoureux entretiens augmentés de mémoires ou souvenir rapportés par ses disciples ou admirateurs. Ces entretiens et portraits sont d’autant plus intéressants qu’ils offrent au lecteur un autre éclairage, parfois très inattendu, sur la personnalité du philosophe. En ces pages, transparait en effet plus l’homme que le philosophe. Or, ainsi que le souligne Didier Raymond dans sa préface : « Tout ce que l’on peut apprendre sur la personnalité de Schopenhauer peut éclairer certains aspects de son œuvre ». Un point de vue que partageait le philosophe lui-même, la biographie ne pouvant être, selon lui, séparée d’une œuvre. Ainsi, ce dernier écrira-t-il notamment « On peut tout oublier excepté soit même, excepté son propre être. En effet, le caractère est incorrigible. » Un jugement qui influencera Nietzsche, mais que Schopenhauer ne s’appliquera cependant guère à lui-même. Or, ce sont justement des portraits, attitudes et postures au travers d’entretiens et souvenirs rassemblés et révélant chacun à leur façon la personnalité et certains traits de caractère de Schopenhauer que nous donne à découvrir cet ouvrage.
Schopenhauer, la célébrité enfin venue, accorda volontiers des interviews et y prit même un certain plaisir. Étudiant ses gestes et effets, il prenait un malin plaisir parfois à effrayer ou choquer ses interlocuteurs. Des postures et prises de position que le lecteur retrouvera dans trois entretiens, accordés deux ans avant sa mort, en 1858. Celui avec C. Challemel-Lacour, tout d’abord, professeur, d’un pessimiste tout schopenhauerien, lors d’une rencontre avec le philosophe à Zurich, suivi de ceux accordés à Fréderic Morin et au conte L.-A. Foucher de Careil. Schopenhauer s’y montre volontiers loquace, alternant entre séduction et provocation et livrant des réponses parfois cocasses ou inattendues.
À ces trois entretiens, le lecteur pourra également retrouver avec bonheur, en seconde partie, les mémoires concernant le philosophe de son principal disciple, Frauenstoedt. Ce dernier fut très proche de Schopenhauer, entretient avec lui une correspondance suivie jusqu’à la mort du maître, fit connaître et divulgua largement sa pensée avant que Schopenhauer ne lui lègue l’ensemble de ses manuscrits et lui donne tout pouvoir sur les éditions à avenir. Viennent s’ajouter à ces souvenirs ceux de Karl Boehr, fils d’un ami du philosophe, qui le rencontra à deux reprises en 1856 et 58, et ceux d’un étudiant – Beck – lui ayant rendu visite en 1857.
Enfin, des vers inédits du philosophe viennent clore cet ouvrage offrant ainsi bien des facettes, parfois fort méconnues ou inattendues, du célèbre philosophe.

L.B.K.

 

Platon : « Œuvres complètes » ; Edition sous la direction de Luc Brisson, 2200 p., 168 x 245 mm, Broché, Éditions Flammarion, 2020.

Proposer une édition réunissant la totalité des dialogues de Platon est une entreprise suffisamment audacieuse et rare pour être soulignée. Lorsqu’en plus, ces sources essentielles de l’Antiquité et de la culture classique se trouvent être introduites et commentées par un appareil critique de toute première qualité, c’est alors un argument supplémentaire pour faire de cette édition le texte de référence qui fera assurément date en français.
Luc Brisson, directeur de recherche au CNRS n’est plus à présenter et ses travaux sur Platon ont contribué à mieux faire connaître le grand philosophe de l’antiquité souvent plus cité que lu… Or, justement, grâce à cette monumentale édition des œuvres complètes de Platon, c’est le geste philosophique par excellence qui se trouve au cœur de ces 2200 pages, à savoir le questionnement incessant sur ce qui constitue l’homme et la cité, ainsi que l’abandon de toutes idées reçues et une critique de la sophistique.
À partir de la figure centrale de Socrate qui le conduira à la philosophie - notamment avec son dernier geste face à ses accusateurs - Platon encourage son lecteur à la méthode dialectique, une interrogation et un dialogue ininterrompus sur ce qui semble être acquis. Ainsi que le souligne Luc Brisson en introduction, Platon est « le philosophe par excellence » celui qui donna au terme « philosophie » le sens qu’il a encore de nos jours. L’autonomie de la pensée, l’amour de la sagesse comme quête essentielle de l’individu et fondement de la cité, le dualisme de l’âme et du corps… autant d’idées essentielles parvenues jusqu’à nous et qui trouvent leurs fondements dans la pensée platonicienne.
Cette édition réunit non seulement la totalité des dialogues de Platon, mais a également intégré la traduction inédite des œuvres apocryphes et douteuses, des sources également précieuses afin de mieux comprendre comment s’est constituée la tradition platonicienne après la disparition du philosophe en 348/7 alors qu’il travaillait à la rédaction des « Lois ».
Soulignons, enfin, que cette édition, loin d’être réservée aux seuls érudits et spécialistes de la philosophie antique, a été conçue, grâce aux introductions à chacune des œuvres, pour s’adresser également à nos contemporains, celles et ceux pour qui l’interrogation sur l’homme et la cité demeure au cœur de leurs préoccupations, une question toujours d’actualité !
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Jacques Attali : « L’économie de la vie », Éditions Fayard, 2020.

C’est un ouvrage d’actualité, comme toujours très informé, des plus instructifs et d’une urgente nécessité que nous propose Jacques Attali avec « L’économie de la vie ». Un ouvrage pour comprendre non seulement le monde d’aujourd’hui, ce qui nous est arrivé, mais aussi et surtout celui de demain, celui encore envisageable ou ceux malheureusement également probables si…
Après avoir dressé, de manière concise, l’histoire des épidémies et pandémies d’hier à nos jours, et souligné la multiplication croissante de celles-ci ces dernières décennies faisant non présager, mais bien prévoir une pandémie mondiale – ce que l’auteur avec d’autres n’avait précédemment pas manqué d’avertir – Jacques Attali revient sur ce que l’humanité entière en cette année 2020 a vécu ; sur ce que nous avons réellement vécu, la crise sanitaire, le confinement, et sur un plan économique, cet arrêt brutal et décidé quasi mondial de l’économie et qui aurait pu être selon lui évité à l’exemple de la Corée du Sud, si nombre de gouvernants n’avaient, avec plus ou moins de sincérité, opté pour suivre celui de la Chine.
Mais après ? C’est à cette interrogation essentielle, celle du choix encore possible du monde de demain, celui de nos enfants, qui demeure au cœur de cet ouvrage et des préoccupations de l’auteur. Car, s’il est nécessaire de tirer les leçons de cette pandémie ayant bouleversé nos vies, écrit-il, encore faut-il également comprendre ce qui nous attend ; « Une crise économique, philosophique, idéologique, sociale, politique, écologique, stupéfiante, presque inimaginable ; plus grave en tout cas qu’aucune autre depuis deux siècles », souligne Jacques Attali.
Il y a dès lors plus que jamais urgence à comprendre les enjeux de ce qu’il nomme « L’économie de la vie ». Ces enjeux qu’impose et imposera le choix – peut-être encore possible - d’un monde vivable ou du moins plus vivable que d’autres. Livrant une vue d’ensemble, il y développe les multiples défis et choix - santé, eau, éducation, choix écologiques… - que suppose dès maintenant ce passage d’une « économie de survie » à une « économie de la vie », de l’économie au social, de l’éducation à la culture, de la nourriture à l’habitat, peu de points essentiels n’échappent à l’acuité de l’auteur. À défaut, ce sont d’autres mondes qui malheureusement sauront inexorablement s’imposer. Jacques Attali n’ignore pas, en effet, ni ne cache ou sous-estime, ce qui nous attend si nous ne prenons conscience de l’extrême urgence de ces choix vitaux, climatiques, économiques, sanitaires et sociaux… de cette « Économie de la vie ».
Et « Se préparer à ce qui vient », annonce le bandeau de l’ouvrage, qui peut, en effet, sciemment y renoncer ?
 

L.B.K.

 

« Arthur Schopenhauer – Parerga et Paralipomena » ; Edition établie et présentée par Didier Raymond ; Traduction de l’Allemand par Auguste Dietrich et Jean Bourdeau, 1088 p., Collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, 2020.

S’il y a bien un philosophe qui bouscule, c’est assurément Arthur Schopenhauer. Rares sont ceux qui n’y ont trouvé réponses, échos, oppositions ou franches réfutations à leurs pensées, doutes ou questionnements. Pourtant, la renommée de ce grand philosophe allemand qui ne saurait laisser indifférent, fut, de son vivant, bien tardive. Il lui faudra, en effet, affronter une longue traversée du désert, bien qu’ayant déjà publié la majorité de ses grands ouvrages, avant que le succès ne soit au rendez-vous. Celui-ci lui sera donné, moins d’une dizaine d’années avant sa disparition survenue en 1860, lors de la parution de «Parerga et Paralipomena », soit plus de trente ans après celle sans succès du « Monde comme volonté et représentation ». Ce ne sera, en effet, qu’en 1851, avec la publication de ces deux volumes, sa dernière œuvre, qu’Arthur Schopenhauer sera enfin salué et reconnu à sa juste valeur par ses contemporains. Or, c’est justement cette œuvre foisonnante aux multiples thèmes que nous donne aujourd’hui à lire la Collection Bouquins dans cette édition établie et présentée par Didier Raymond, professeur à l’Université Paris VIII et spécialiste de Schopenhauer. Et si la traduction littérale du titre grec signifie « Accessoires et Restes », il faut avouer qu’il s’agit là de très savoureux suppléments venant compléter son œuvre maîtresse !
« Parerga » s’ouvre par trois livres majeurs – « Les écrivains et le style » ; « La langue et les mots » ; « La lecture et les livres ». D. Raymond souligne combien ces textes « ont exercé une énorme influence sur des auteurs aussi différents que Nietzsche, Proust ou Wittgenstein. ». Suivent les grands thèmes schopenhaueriens, la religion, la philosophie, le droit et la politique, la métaphysique, le beau et l’esthétique… Une philosophie à la fois éthique et métaphysique, « deux choses que l’on a à tort – pour le philosophe – séparées jusqu’ici… » Des thèmes dans lesquels se glissent pêle-mêle des considérations sur le suicide ou sur l’éducation, des pages parfois surprenantes notamment sur le bruit qui lui était insupportable ou encore ce bref « Essai sur les apparitions et les faits qui s’y rattachent ».
C’est une philosophie qui se veut praticable – « pour bien s’en tirer » aimait-il à écrire - exposée dans un style clair et accessible que nous propose en ces pages, comme toujours, Schopenhauer en opposition avec les philosophies conceptuelles de ses prédécesseurs. Une philosophie de la vie comme subsistance ou survie pour ce philosophe d’un pessimisme radical et ayant fait sienne la célèbre phrase de Bichat « La vie est l’ensemble des forces qui résistent à la mort ». Schopenhauer offre cette pensée mûrement réfléchie, ne craignant ni les critiques ni les oppositions, en témoignent ces « Remarques de Schopenhauer sur lui-même ». Bataillant contre la haine, la bêtise, l’égoïsme, le désir ou encore la vengeance source d’une plus grande souffrance que celle du repentir, des thèmes forts que l’on retrouvera au XXe siècle brillamment développés par Vladimir Jankélévitch.
Certes, si certaines de ses positions peuvent susciter opposition, voire indignation, tel son « Essai sur les femmes », d’une misogynie peu acceptable de nos jours, bien d’autres de ses réflexions demeurent, en revanche, pour cet homme né à la fin du XVIIIe siècle (1788), d’une profonde pertinence, notamment ses prises de position contre l’esclavage et la traite des Noirs ou encore contre la maltraitance des enfants. Rien n’interdit au lecteur, selon les fragments, de hurler, sourire ou de rire aux éclats. Si Schopenhauer est un philosophe génial, nul n’a dit pour autant « parfait » ! Misanthrope à l’excès – il est vrai – (pour qui « l’homme n’est pas seulement un animal méchant par excellence », mais bien une espèce non seulement bestiale mais démoniaque), mais aussi colérique, pessimiste à souhait, intransigeant, méfiant à l’extrême… il a surtout pour lui, en contre point, cette curiosité insatiable et cette fantastique énergie intellectuelle qui en font son charme et en fondent toute sa valeur ; Cette lucidité implacable et sans concessions, fruit d’une féconde réflexion soumise jusqu’à la limite de la contradictio. D’une lucidité tragique mais ne se complaisant nullement dans le malheur, sa philosophie est comme sa « vie dans le monde réel – écrira-t-il – une boisson douce-amère ».
Schopenhauer était conscient de sa valeur, celle-là même que nul ne lui conteste aujourd’hui, celle d’être un des plus grands philosophes. Surtout, Arthur Schopenhauer demeure de par la réflexion et les confrontations qu’il peut susciter, un des philosophes les plus stimulants. Comment, dès lors, en ces temps de confinement, y résister ?!

L.B.K.

 

Jean-Louis Servan-Schreiber : « Avec le temps… », Dessins de Xavier Gorce, Éditions Albin Michel, 2020.

Le temps aura toujours été une composante importante dans la vie du patron de presse et essayiste Jean-Louis Servan-Schreiber et, ses 80 ans dépassés, cette acuité ne s’est pas estompée mais affinée. À l’heure où les projets d’avenir ne sont plus la priorité, c’est la vie dans l’instant présent qui compte maintenant dans le quotidien de l’auteur. Cette vie a d’ailleurs toujours été au centre des priorités de Jean-Louis Servan-Schreiber, lui conférant une certaine sacralité et lui faisant détester tout ce qui est susceptibilité de la menacer, ou pire, de la nier. À défaut d’embrasser une transcendance qui lui a semblé toujours lointaine, l’auteur a donc tout misé sur la vie et son pari, c’est de la vivre jusqu’à son terme, bel impératif philosophique ! Pour mener cette mission de tous les instants, rigueur et discipline sont au programme, une exigence que certains pourront trouver certes peut-être trop contraignante, c’est une question de priorités… Car en lisant « Avec le temps… », le lecteur comprendra qu’il faut s’exercer à vivre de peur de laisser ces instants filer inexorablement, sans s’en rendre compte. Or cette leçon ne s’apprend guère sur les bancs de l’école ni dans les universités, mais au quotidien, démarche philosophique s’il en faut. L’injonction socratique « Connais-toi toi-même » invite à prendre le temps de ce discernement. Sénèque ne dit pas autre chose lorsqu’il rappelle : « Être heureux, c'est apprendre à choisir. Non seulement les plaisirs appropriés, mais aussi sa voie, son métier, sa manière de vivre et d'aimer ». Jean-Louis Servan-Schreiber n’a pas oublié ces leçons du passé, tout en s’imposant de vivre au présent, aujourd’hui encore plus qu’auparavant. Face au relativisme ambiant amplifié par les réseaux sociaux et les réactivités de tout bord, et aux processus de déconstruction sapant toutes les repères jugés intangibles jusqu’à récemment, il importe de se retrouver, cultiver cette intimité avec soi-même pour mieux se comprendre ainsi que nos semblables. Distance avec tout ce qui trouble la vie et proximité avec tout ce qui la nourrit, telle est l’attitude encouragée par Jean-Louis Servan-Schreiber à la veille du grand âge, une réflexion livrée avec humilité et qui pourra retenir l’attention de celles et ceux qui n’auront pas encore atteint ce stade de la vie.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Pier Paolo Pasolini : « Entretiens (1949-1975) », Édition établie par Maria Grazia Chiarcossi, traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio, présentation éditoriale par Aymeric Monville, Éditions Delga, 2019.

Les passionnés de l’écrivain Pier Paolo Pasolini se réjouiront de découvrir cette sélection d’entretiens pour la plupart inédits en français dans cette édition établie par Maria Grazia Chiarcossi, grande spécialiste de l’écrivain, ayant notamment préparé son œuvre complète en Italie. Mais ce livre pourra également être une belle porte d’entrée dans l’univers pasolinien pour les néophytes, ces pages abordant les très nombreux thèmes récurrents de son œuvre. Car Pasolini, et c’est un aspect souvent méconnu en France, était très attaché à son statut de journaliste, il contribua d’ailleurs jusqu’à la veille de son assassinat en 1975 à collaborer à de nombreux journaux et revues culturelles, n’hésitant pas à prolonger dans ces articles sa vision engagée du monde et de la société, allant jusqu’à la polémique si nécessaire. Le cinéma sera bien entendu omniprésent dans la première partie, ce qui permettra au lecteur français de placer quelques jalons supplémentaires dans sa connaissance du cinéaste. Mais la politique, sans oublier la poésie, constituent les fils directeurs de sa pensée, une action militante et de résistance face au rouleau compresseur de la pensée unique consumériste qu’il ne cessa sa vie durant de dénoncer et qui lui coûta peut-être la vie. Contrairement à ce qui a souvent été avancé, le polémiste fait preuve d’un grand respect pour son contradicteur, allant même jusqu’à accepter de se mettre à sa place, Pasolini ayant toujours reconnu qu’il était issu d’un milieu petit-bourgeois bien différent des petites gens qu’il décrivit dans ses films et romans. Pasolini surprend, choque, et surtout bouscule nos idées reçues, n’hésitant pas à se placer là où on ne l’attendait guère comme lorsqu’il défendit les policiers d’origine prolétaire agressés par les étudiants bourgeois en 1968… Marxiste et parallèlement fasciné par une certaine transcendance diluée dans les milieux pauvres qu’il décrivit, amoureux du verbe et de la poésie et apôtre de l’argot le plus rude des banlieues romaines, Pasolini suggère une attitude face à ce « rouleau compresseur impérialiste », des interrogations trouvant une actualité la plus sensible aujourd’hui encore, plus de 45 ans après, ainsi que le souligne Aymeric Monville dans sa présentation de l’ouvrage.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

"Dictionnaire amoureux de l'Allemagne" de Michel MEYER, format : 132 x 201 mm, 880 p., Plon éditions, 2019.

À l’heure du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, il manquait assurément un Dictionnaire amoureux de l’Allemagne. C’est chose faite sous la plume inspirée de l’écrivain et journaliste Michel Meyer. Auteur de nombreux ouvrages sur un pays souvent plus méconnu que réellement familier, Michel Meyer suggère de découvrir « son » Allemagne, celle qu’il a eu l’occasion tout au long de sa riche carrière de parcourir, commenter, dialoguer ; Une Allemagne avec laquelle il a su nouer une histoire de cœur qui débute non loin de ses frontières en France à Schirmeck, petite ville de la vallée vosgienne où il naquit en 1942. Hölderlin et Goethe sont cités en exergue, comme invitation inspirée pour découvrir cette nation à la croisée des chemins depuis la plus haute antiquité. Une Allemagne plurielle, assurément, par ses nombreuses identités remontant bien au-delà des peuples germaniques décrits par Tacite, mais aussi par ses paradoxes et les tourments de sa longue Histoire. Impossible d’échapper aux repères initiaux de l’auteur notamment la Seconde Guerre mondiale vécue en un espace géographique plus que sensible à quelques kilomètres d’un camp de concentration visité quelques années après la chute du nazisme. Malgré cela, l’attraction est intacte. Car même si Michel Meyer s’est posé la question au tournant du dernier millénaire « le démon est-il allemand ? », la sirène de la Lorelei continue à fasciner et à attirer inexorablement vers elle, tous ceux qui cèdent à son chant… Alors consentons sans entraves à découvrir en amoureux cette Allemagne suggérée par Michel Meyer, en commençant cette escapade par l’entrée « Adenauer », premier chancelier d’après-guerre, une lourde responsabilité si l’on songe à ce que l’Europe avait subi du fait de son sinistre prédécesseur. Suivent les fameuses « Affinités électives » chères à tous les lecteurs de Goethe qui sut saisir comme nul autre ce qui fait et défait les unions entre les êtres, des liens ténus et indéfinissables et qu’il parvint pourtant à si bien évoquer. Le lecteur pourra, selon son humeur, poursuivre page après page, avec les « Allemandes » célèbres comme Gretchen, singulière comme Lou Andreas von Salomé. Il pourra aussi ouvrir ce volumineux dictionnaire au gré de son inspiration ou du hasard, et redécouvrir cette incroyable « Chute du Mur » vécue en direct par le journaliste dans la nuit du 9 novembre 1989… Le Dictionnaire amoureux de Michel Meyer réserve également de beaux développements aux artistes, poètes et écrivains qu’il chérit : Hölderlin, Goethe – nous l’avons souligné, mais aussi Rilke ou encore des noms plus proches de nous comme Karl Lagerfeld récemment disparu. Chaque entrée peut être considérée comme une proposition d’appréhender une nation, une civilisation, une culture, avec avant tout cet esprit allemand que ce Dictionnaire amoureux célèbre avec passion.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Miguel Benasayag « La théorie des algorithmes » conversation avec Régis Meyran, Éditions Textuel, 2019.

Ainsi que le souligne Régis Meyran en ouverture de cette conversation avec le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag (voir notre entretien), il existe une autre alternative au « pour » ou « contre » la machine infernale qui s’introduit, aujourd’hui, de plus en plus dans le discours actuel. C’est cette direction d’une autre alternative vers laquelle le philosophe s’oriente, une autre direction, plus urgente encore et sans concessions sur les risques encourus par l’aveuglement du tout technologique, le nouvel âge de l’IA, l’Intelligence Artificielle. Préférant la pensée rhysomique chère à Deleuze et Guattari et les chemins de traverse pour aborder ces questions essentielles, l’entretien part du postulat qu’être pour ou contre est déjà dépassé, les algorithmes étant déjà omniprésents aujourd’hui dans notre quotidien et dictent déjà, moins sournoisement qu’impérieusement, un grand nombre de traits de notre vie… Miguel Benasayag n’hésite pas à rappeler que des études scientifiques ont déjà démontré une « atrophie » de la zone du cerveau correspondant à l’orientation du fait de l’usage intensif du GPS par des chauffeurs de taxi ! La question serait plutôt : que devons-nous faire, à partir de cette réalité, pour préserver notre dimension humaine et celle des générations à venir dans les prochaines années ? Comment ne pas perdre ce qui fait l’humain, fonctionner ou exister ?
Le philosophe avertit tout d’abord le lecteur de l’inanité de considérer « intelligent » ce qui n’est que le fruit de calculs programmés. La complexité humaine est ailleurs que dans cette « puissance » élevée au rang de la performance, alors que le propre de l’humain (et du vivant) se situe bien au-delà, avec le désir, l’erreur, les hésitations, passions, sans oublier la conscience et l’inconscience, tout cela s’inscrivant dans un corps, notre corps. « C’est le vivant qui crée du sens, pas le calcul », rappelle Miguel Benasayag. Cette mathématisation du monde est, certes, ancienne dans nos sociétés et s’est introduite avec le rationalisme et les mathématiques concurrençant à l’époque le projet divin. Le philosophe avertit cependant que la complexité du vivant ne saurait être réductible au plus complexe des calculs. Aussi savants et perfectionnés que soient ces algorithmes, il leur manquera toujours une dimension masquée qui leur résistera, cette dimension humaine, singulièrement humaine ; Ce que démontrent et confirment dès à présent déjà un grand nombre d’erreurs reconnues par la médecine moderne notamment dans le domaine des antibiotiques. « Ne pas confondre la carte avec le territoire ! », souligne Miguel Benasayag et jeter à la poubelle 90 % de l’ADN considéré comme inutile car non réductible ou résistant au codage, tel que le souhaitent un grand nombre de biologistes aujourd’hui. Au risque, un jour, de se réveiller et de comprendre (trop tard ?) que cette part « irréductible » de notre ADN avait une utilité, son utilité…
Loin de toute pensée organiciste, le lien, la relation et l’interaction sont au cœur du vivant, cette « singularité du vivant » chère à Miguel Benasayag et que n’appréhende pas l’IA aujourd’hui. « Nous sommes les contemporains de la centralité de la complexité […] il nous est impossible de prétendre à une prévision complète », souligne-t-il.
Or, aujourd’hui, des responsables de tout bord (économie, science, finance, politique…) sont sur le chemin de déléguer consciemment les fonctions de toute décision à la machine. Or, le présent immédiat n’occupe qu’à peine 10 à 15 % de nos pensées (une latitude qui laisse une grande place au passé et à l’avenir), alors que l’IA promet une efficacité de présence à 100 %, une performance qui ne peut que plaire aux marchés boursiers et aux partisans de l’efficacité à tout prix. Le corps se trouve dès lors pris dans l’engrenage d’un régime immatériel qui lui dicte et impose ses règles. Celles d’un individualisme exacerbé et de relativisme reposant sur l’idée de plaisir poussé à l’extrême. Le danger ne concerne pas seulement que le corps et le vivant, mais aussi le politique et le social, ces domaines étant désormais de plus en plus soumis aux diktats des algorithmes à la disposition du politique et des décisionnaires. À terme, la démocratie se retrouve remise en cause par ce schéma algorithmique donné pour infaillible au profit d’une tyrannie résultante de ce tout pouvoir algorithmique.
Les prochains combats à mener par des multiplicités agissantes ne seront peut-être plus sur les barricades, mais dans les arcanes des microprocesseurs de nos ordinateurs…
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Denis Ramseyer : « Les Kouya de Côte d’Ivoire, un peuple forestier oublié. », Co-édition Musée Barbier-Mueller / Editions Ides et Calendes, 2019.

C’est au cœur de la forêt ivoirienne à la rencontre du peuple Kouya que nous entraîne avec cet ouvrage enrichissant, et présentant un intérêt ethnologique des plus vifs et urgent, Denis Ramseyer, ethnologue-archéologue et historien, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel.
Le peuple Kouya est un petit peuple forestier de Côte d’Ivoire. Petit par sa taille, car il ne comporte que vingt milles individus et encore. Mais, petit que par sa taille seulement ! Car s’il demeure peu connu du reste du monde, cette ethnie de Côte d’Ivoire mérite pourtant de l’être tant ses modes de vie, croyances et traditions offrent une belle découverte et étude ethnologique. Fiers de leurs traditions, les Kouya sont avant tout un peuple de forestiers, un peuple parlant une langue comptant parmi les plus menacées, et à ce titre déclarée telle en 2001.
Car, l’alerte est donnée. En effet, si le monde fascinant des Kouya a déjà malheureusement en grande partie disparu, ce dernier est aujourd’hui plus encore menacé. Confronté à de nombreuses situations inextricables, ce peuple risque, si nous n’y prenons garde, non plus seulement d’être oubliés, mais bel et bien de disparaître à jamais…
Après avoir, en effet, subi l’arrivée des missionnaires chrétiens, les Kouya doivent depuis le début du XXIe siècle, affronter les changements climatiques. À ces changements viennent s’ajouter les nombreux conflits ayant marqué, chaque décennie de notre siècle, la Côte d’Ivoire et plus particulièrement la région au cœur de laquelle vivent les Kouya. À tout cela, s’ajoute, qui plus est, une déforestation dévastatrice due au développement de la culture du cacao, elle-même s’accompagnant de l’arrivée de migrants bouleversant l’équilibre social déjà fragile. Ethnie de forestiers menacée de toute part pour laquelle l’auteur tire depuis de nombreuses années déjà la sonnette d’alarme. Depuis 1971, en effet, année lors de laquelle Denis Ramseyer découvre ébahi la Côte- Ivoire et cet attachant peuple Kouya, ce dernier n’a cessé de réunir, assembler notes, enquêtes, reportages photographiques, des travaux que ce dernier ouvrage donne largement à voir et à découvrir. Aussi, est-ce à une enrichissante, mais aussi urgente rencontre ethnologique à laquelle nous invite l’auteur.
Une étude approfondie, richement étayée et illustrée de 150 illustrations couleur, qui ne pourra qu’intéresser ethnologues ou spécialistes de l’Afrique, mais aussi séduire tout amoureux de Côte-d'Ivoire, des Kouya… ou de la terre et de ses habitants tout simplement !

À noter que ce dernier ouvrage vient compléter les précédents travaux de Denis Ramseyer : Reportage photographique en 1972, enquête ethnologique en 1975, étude ethnoarchéologique 1998, étude sur la transformation de la société et de son environnement en 2016.

L.B.K.

 

Jean-Michel Oughourlian : « Optimisez votre cerveau ! ; Neurones miroirs : le mode d’emploi », Edition Plon, 2019.

Un livre instructif, accessible et passionnant, pour ne pas dire indispensable !, sur nos relations personnelles, familiales ou professionnelles, écrit par le Professeur Oughourlain, neuropsychiatre et professeur de psychologie à la Sorbonne.
Dans ce livre, tout part du mimétisme. Rien d’étonnant à cela lorsqu’on sait que le Professeur Oughourlian est spécialisé dans la psychologie mimétique. Collège et ami de René Girard, il nous explique dans un langage clair le rôle déterminant du mimétisme (notre cerveau reptilien) en son rapport avec nos deux autres cerveaux, que sont le cerveau émotionnel et le cerveau cognitif.
Le cerveau mimétique par un automatisme déconcertant n’a de cesse d’imiter – modèle/rival /rival-obstacle. Qui plus est, ce cerveau mimétique se met en branle au moindre signal perçu, des neurones-miroirs infaillibles et incessants, donc, qui ne nous quittent pas d’un pouce avec plus ou moins d’heureux bonheurs. Une imitation à laquelle notre deuxième cerveau émotionnel, par une impressionnante fidélité, viendra au plus vite emboiter le pas, et renforcer en ajustant notre humeur, nos sentiments et émotions. Notre cerveau cognitif, ce troisième cerveau, viendra, enfin, coiffer le tout. C’est simple.
C’est simple, mais n’allons pas si vite pour autant ! Et si on court-circuitait ce processus de base ? Le Professeur Oughourlian nous explique, en effet, que s’il est certes difficile de déconnecter l’automatisme mimétique de notre premier cerveau, reste que « l’on peut toujours choisir le chapeau que prend notre cerveau cognitif ! » ; Haut de forme, casquette de hooligan ou chapeau du rire ? Tel est l’enjeu de cet ouvrage plus que passionnant et que clôt une poste-face d’Emmanuel Gavache tout aussi convaincante…
C’est, en effet, par une meilleure compréhension du mimétisme et de son ressort sur l’inter-individualité que l’auteur, en sa qualité de neuropsychiatre, nous explique comment fonctionne le cerveau lors des crises et conflits qu’ils soient familiaux ou professionnels, individuels ou de groupe. Le premier pas consistera à comprendre et démêler ce mimétisme ayant déterminé en quelque sorte les cartes et règles avec lesquelles chacun de nous avance ; Sachant que tout mimétisme ne saurait être, bien sûr, négatif et que les exemples positifs ne manquent heureusement pas.
A la base de tout, on l’aura compris, il y a le désir, ce désir mimétique de ce que l’autre a, possède, est, ou même et surtout de ce que l’autre désir. Dans la lignée de René Girard qu’il aime à citer ou de Jean-Pierre Dupuy (« La jalousie ; une géométrie du désir », Seuil, 2016), Jean-Michel Oughourlian nous démêle, de chapitre en chapitre, cet impressionnant écheveau tissé de liens mimétiques. Pouvoir, influence, suggestion, pub, réseaux sociaux, etc., et même mimétisme inversé, jalonnent cet essai. Des mimétismes positifs ou négatifs auxquels personne n’échappe, certes, mais que l’on peut approcher et quelque peu appréhender afin de « supprimer la suggestion, l’asservissement au mimétisme rival », souligne l’auteur.
Cela passe avant tout par accepter l’idée que les conflits, maladies, névroses, proviennent de ce mimétisme /rivalité directe ou inavouée avec « son rival », ce modèle inversé qu’il convient de démasquer, et qui n’est pas pour autant et toujours en tant que tel un « ennemi ». Le mimétisme le plus universel engendre, quoique certain en dise, la jalousie avec pour pathologie l’envie lorsque « le rival devient ennemi », suivie de sa mise à mort dans son exacerbation extrême, souligne encore Jean-Michel Oughourlian. Notre cerveau mimétique est, en effet, imperméable, et seule l’intervention raisonnée de notre cerveau cognitif ralliant à lui le cerveau émotionnel parviendra à le canaliser. De là, l’apport essentiel de cet ouvrage : rendre accessible une meilleure compréhension de ce processus mimétique et de ce qui se joue, permettant de dompter ou d’apprivoiser ce fameux cerveau mimétique.
Un ouvrage qui se lit d’un trait, et auquel on ne peut souhaiter qu’un mimétisme de bon aloi ; Alors, bonne lecture !


L.B.K.

 

« L'Absolue Simplicité » Lucien JERPHAGNON, Michel ONFRAY (Préface), Collection : Bouquins, Robert Laffont éditions, 2019.

Faisant suite aux deux précédents volumes parus dans la collection Bouquins, « L’absolue simplicité » offre au lecteur quelques-uns des autres plus beaux livres de l’historien de la philosophie (lire notre interview) bien connu pour la fulgurance de ses analyses et la vivacité de son jugement. Michel Onfray livre en ouverture à ce troisième volume un témoignage sensible et poignant sur son « vieux maître » et sur la magie des enseignements dont il reçut chaque parole comme un legs précieux. La fausse désinvolture des cours de ce grand maître permettait, en effet, de toucher à cœur de jeunes âmes peu versées sur l’Antiquité et ses leçons. C’est ainsi que cette magie Jerphagnon opéra chez tous celles et ceux qui ont eu le privilège de rencontrer ce bel esprit – un brin malicieux parfois !, et que Michel Onfray évoque avec émotion en ouverture à ce beau et riche nouveau volume de la collection Bouquins. La diversité de ses enseignements ne changea en rien la limpidité de ces changements, les saillies de ses analyses et la sagacité de ses témoignages sur cette Antiquité qu’il chérissait tant, jusqu’à ses péplums qui le faisaient éclater d’un rire complice…
« L’absolue simplicité » regroupe certains des titres incontournables de Lucien Jerphagnon, tels Julien dit l’Apostat, Les Dieux ne sont jamais loin, Augustin et la sagesse, mais aussi des textes moins connus comme ces transcriptions de certains de ses cours, notamment au Grand Séminaire de Meaux ou encore des conférences ou émissions de radio qui témoignent de l’absence de frontières dans les domaines appréhendés par cette pensée fertile. Sa fidélité indéfectible à son maître le philosophe Vladimir Jankélévitch force également le respect dans ces pages d’« Entrevoir et vouloir » réunies en 1969 et augmentées en 2008 ; des pages magnifiques révélant, à elles seules, tout l’art de son auteur de « livrer » sans altérer une pensée dans toute sa richesse et complexité comme pouvait l’être celle de Vladimir Jankélévitch ; Ce « métaphysicien mystique, comme je suis devenu un agnostique mystique ! » - souligne Lucien Jerphagnon, et de poursuivre : « Peut-être était-ce pour cela que j'avais énormément apprécié « Janké » comme nous l'appelions ! » (entretiens Lexnews)…
Peut-on encore être surpris par cette pensée hors-norme et fulgurante de Lucien Jerphagnon ? Une telle question se pose-t-elle en ces décennies d’un nouveau siècle, d’un nouveau tournant ? Les lecteurs de ses chroniques politiques pour la Revue des Deux-Mondes des années 1990 ne pourront, en effet, que retrouver ce rare bonheur de percevoir de nouveau ce léger accent que ce Bordelais impénitent aimait à accentuer d’un clin d’œil complice. Une complicité offerte au lecteur entre deux jugements assénés toujours avec justesse, s’amusant des galipettes de Greenpeace, des gamineries de la presse, et des impôts que le penseur n’a jamais vu baisser de toute sa longue vie… sans oublier cette interminable nuit dont parlait Catulle et que nous fait revivre ce grand maître que fut Lucien Jerphagnon; Un esprit toujours sur la brèche qui poursuit sa quête, ne cessant de susciter de nouvelles interrogations chez ses lecteurs, des questionnement toujours aussi actuels, nécessaires, et peut-être plus urgents que jamais.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Roland Jaccard : « L’enquête de Wittgenstein. », Éditions Arléa, 2019.

Avec « L’enquête de Wittgenstein », le philosophe Roland Jaccard signe un opuscule, ô combien ! vivifiant, voire décapant. Wittgenstein, philosophe viennois (1889-1951), contemporain de Freud, demeure – il est vrai, plus connu en théorie des sciences pour ses ouvrages en logique mathématique qu’en philosophie pour son « Tractatus-logico-philosophicus ». Cependant, bien qu’injustement boudé de nos jours, il n’est pourtant pas sans attraits et un intérêt piquant à le redécouvrir ; Une incitation à laquelle Roland Jacquard s’est employé, en ces pages, avec toute la vigueur et la justesse qu’exige le philosophe viennois. Il faut avouer que tant l’homme que le penseur, ayant étudié à Cambridge auprès de Russell, ne sont pas si simples ; Qu’on en juge : Influencé par Schopenhauer, Nietzsche, Weininger, Krauss, il a gardé du premier un nihilisme de génie, et du second, cette puissance de volonté qui lui évitera à maintes reprises de commettre l’irréparable ; le tout avec un singulier mélange de Kierkegaard qu’il lira, appréciera et dont il partagera un temps la Norvège. Toute sa vie durant, avec cette espèce de fougue nihiliste qui le caractérisa, Wittgenstein se demandera : « Qu’est-ce qu’un homme ? » Une quête philosophique qui le poursuivra et qui justifie pleinement le titre de cet ouvrage : « L’enquête de Wittgenstein ».
Intransigeant à l’extrême, sans concession envers lui-même, n’aimant et ne comprenant que l’excellence, sa devise sera – pour reprendre encore un des titres de Roland Jacquard, « Le néant ou le génie ». Et si cela est clairement dit et énoncé, reste que... car, il faut avouer que la complexité de la pensée de Wittgenstein est de génie, et derrière l’enquête du philosophe, c’est bien Roland Jacquard lui-même qui mène pour son lecteur celle-ci ; une entreprise audacieuse en si peu de pages, mais Roland Jacquard sait lui aussi frapper fort, là où cela répond. N’épargnant ni les qualités ni les faiblesses du philosophe (ni celles de son lecteur), ce dernier trace à coup d’énergiques traits de plume les entrelacs de la vie et de la philosophie de Wittgenstein. Ayant fréquenté les mêmes bancs de lycée qu’Adolf Hitler qu’il haïra, il affichera un certain antisémitisme bien qu’ayant lui-même une ascendance juive ; Snob, aristocrate, solitaire, il n’aura de cesse pourtant de se reprocher son manque d’empathie pour le peuple ; Homosexuel aimant les bas-fonds, mais méprisant ses penchants ; Il sera toute sa vie tiraillé entre « les brûlures de l’enfer et les délices du paradis » ; une aimantation des extrêmes en un mélange d’Oscar Wilde et Pier Paolo Pasolini…. Se jugeant un véritable monstre lui-même, l’usage répété du mot « diable » semble en ces pages presque digne d’un traité de démonologie ! Certes, les prises de position de ce philosophe grand joueur d’échecs ne sauraient être, bien sûr, prises telles quelles ; Mais, n’est-ce pas ce que Wittgenstein aurait exigé lui-même, lui, qui entendait tout critiquer et doutait tout autant de tout… Certes, l’exigence d’excellence de Wittgenstein n’est pas à simple portée de main en notre époque où la médiocrité s’affiche sans complexe, ni même peut-être enviable, reste que cet ouvrage donne, en un tour de force, les clefs de « L’Enquête de Wittgenstein ».

L.B.K.

 

Friedrich Nietzsche « Œuvres » Tome II Trad. de l'allemand par Dorian Astor, Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay et Robert Rovini. Édition publiée sous la direction de Marc de Launay avec la collaboration de Dorian Astor, Bibliothèque de la Pléiade, n° 637, 1568 pages, rel. Peau, 105 x 170 mm, Gallimard, 2019.

Après un premier volume réunissant « La naissance de la tragédie » et « Considérations inactuelles », la collection de La Pléiade vient de publier le deuxième volume consacré aux œuvres du philosophe allemand Friedrich Nietzsche comprenant notamment deux écrits majeurs, « Humain trop humain » et « Le Gai Savoir » sous la direction de Marc de Launay avec la collaboration de Dorian Astor. De 1876 à 1882 s’ouvre pour le philosophe une période féconde sous fond de crise profonde. Cette crise, prélude à la disparition totale de sa conscience dans les dernières années de sa vie, n’affectera paradoxalement pas la créativité de l’auteur, comme si elle constituait un rappel permanent de sa fragilité et donc de l’urgence de la transcender par une intense réflexion. Nietzsche a toujours cherché à réduire cette fracture antique entre âme et corps et ne pouvait alors sous-estimer justement les affections dont il était sujet ainsi qu’il le souligne dans Aurore : “Aussi loin que quelqu’un puisse pousser la connaissance de soi, rien pourtant ne peut être plus incomplet que son image de l’ensemble des pulsions qui constituent son être. A peine s’il peut nommer les plus grossiers par leur nom. » Durant cette période déterminante de sa vie, Nietzsche se libère de ses déterminismes, tout au moins de l’emprise de Wagner et des contraintes de la philologie, discipline dans laquelle il excellait pourtant. « Tuant le père » et abandonnant ses doux rêves de musicien, c’est au « métier » de philosophe qu’il consacre alors toutes ses fragiles forces, renonçant pour cela à ses obligations professionnelles en tant qu’enseignant. « Humain trop humain » cristallise en ses pages ce « monument d’une crise » vécu par le philosophe. Véritable passage initiatique, l’abandon du mouvement wagnérien ouvre à de nouveaux horizons, bien éloignés de cette régénération pourtant tant espérée de la culture allemande par le génie du musicien. Le voyage à Sorrente, et la maladie, encouragent le penseur à un repli sur soi, à une attitude plus philosophique que théoricienne, reléguant ainsi le mythe et la métaphysique loin de ses préoccupations. Une attitude fondée sur l’histoire et l’immanence prélude à la publication de « Humain, trop humain » dont la dédicace à Voltaire est significative, ce livre marquant définitivement la rupture avec ses relations wagnériennes dès lors radicalement hostiles. Les convictions et la métaphysique se lézardent au profit d’une recherche effrénée de la vérité qui passe par le scepticisme, et donc les révisions du jugement, sous forme d’aphorismes passés à la postérité. Nietzsche observe en effet : « Ce n’est pas le monde comme chose en soi, mais le monde comme représentation (comme erreur), qui est si riche de sens, si profond, si merveilleux, portant dans son sein bonheur et malheur ». 1882 marque la première édition du « Gai Savoir », son titre puisant aux sources médiévales des troubadours et ménestrels pour un esprit libre. Convalescent et heureux de l’hiver passé à Gênes, Nietzsche se sent prêt à produire une pensée élevée, servie par un style ciselé. Mais il ne faut pas faire du Gai Savoir une réflexion hédoniste et encore moins paisible, le philosophe au marteau fait preuve d’un travail critique à l’encontre des préjugés et autres morales idéalistes qui témoigne de sa puissance. Ce livre préfigure également l’annonce de la mort de Dieu et du nihilisme : « Gardons-nous de penser que le monde serait un être vivant. » C’est ainsi à un nouvel infini auquel appelle le philosophe : « Le monde au contraire nous est redevenu infini une fois de plus : pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu’il renferme une infinité d’interprétations ». Avant que des nuages ne viennent jeter un voile sur cette pensée singulière de la fin du XIXe siècle, ces pages resplendissent de cette volonté de puissance caractéristique du philosophe allemand et si souvent mal interprétée, c’est un, parmi les nombreux attraits, qui encouragera les lecteurs à découvrir ou relire cette pensée fertile grâce à cette édition traduite de l’allemand par Dorian Astor, Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay et Robert Rovini, et servie par un appareil critique facilitant sa lecture.
 

Friedrich Nietzsche Correspondance, tome V : Janvier 1885 - Décembre 1886 trad. de l'allemand par Jean Lacoste. Édition de Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Notes du traducteur Collection Œuvres philosophiques complètes, Série Correspondance, Gallimard, 2019.

Poursuivant la remarquable entreprise de l’édition de la correspondance de Nietzsche, le dernier volume paru couvre deux riches années 1885 et 1886. Traduit de l’allemand par Jean Lacoste, cette édition établie par Giorgio Colli et Mazzino Montinari fait défiler les jours et les mois qui pour le philosophe ne se ressemblent pas, avec au début de cette année 1885 un 1er janvier passé au lit, et la hantise des nausées avant chaque repas… Le corps souffrant de Nietzsche est à considérer dans le contexte de la solitude qui le touche, mais celle-ci n’entame pourtant pas la production de son œuvre avec le livre IV de Ainsi parlait Zarathoustra et Par-delà bien et mal, sans oublier de nombreuses rééditions… Nice, Bâle, Venise qu’il retrouve avec un plaisir non caché même si le froid et son estomac sont encore des motifs de tracas. Les inquiétudes du grand penseur sont touchantes parfois entre sa chemise de nuit trop courte ou ses chaussettes qui ne vont pas ! « Ce n’est qu’entre gens partageant les mêmes idées que l’on peut s’épanouir, telle est ma conviction ; mon malheur est que je n’ai personne de ce genre et ce n’est pas pour rien que j’ai été si profondément malade et le suis en moyenne toujours ». Nietzsche souhaite ardemment la compagnie – toujours trop rare à ses yeux – d’esprits libres et ce n’est qu’un petit cercle de familiers qui entretiendra une correspondance nourrie avec le philosophe allemand. Ce sont aussi des années de deuil avec la mort du grand musicien Franz Liszt qui lui rappelle cruellement l’univers wagnérien, Cosima sa fille ayant épousé Richard Wagner. Nous quittons le philosophe à la fin de cette année 1886, il ne lui reste plus que deux années avant que la folie ne le gagne, ce 3 janvier 1889 à Turin…
 

Vladimir Jankélévitch : « Philosophie morale », édition réalisée par Françoise Schwab, Coll. Mille et une pages, Éditions Flammarion, 2019.

Le philosophe Vladimir Jankélévitch, disparu il y a maintenant 34 ans, est à l’honneur cette année ; après une exposition à la BnF François Mitterrand à Paris, c’est au tour des éditions Flammarion de lui consacrer un fort volume dans la collection « Mille et une pages » regroupant des textes du philosophe sur la morale, dont certains peu connus. Vladimir Jankélévitch a laissé une immense œuvre dont certains ouvrages ont à jamais marqué une génération ; De « L’Ironie » jusqu’au « Le je-ne-sais-quoi et Le presque rien » paru en 1980, le philosophe avec son énergie a su interroger bien des postures et démasquer plus encore peut-être nombre d’impostures. Mais dans cette immense œuvre, nombreux sont les textes demeurés plus confidentiels ou connus d’un cercle d’initiés. Aussi, une telle somme consacrée à ces écrits sur le thème de la morale, tel qu’elle a sous-tendu l’ensemble de son œuvre philosophique, vient-elle idéalement compléter les écrits plus classiques publiés et réédités du philosophe.
Cette édition établie par Françoise Schwab a fait choix de retenir des textes allant des premiers livres de morale du philosophe dont sa thèse complémentaire consacrée à « La valeur et signification de la mauvaise conscience » de 1933 jusqu’à celui consacré au « Pardon » paru en 1967. Plus de 30 ans d’une intense réflexion dans lesquels sont venues s’engouffrer les plus profondes blessures et douleurs. Laissant au fil des années et des textes derrière lui en retrait les idéologies empreintes de romantisme et d’irrationalisme, c’est une pensée d’une profondeur fulgurante, incomparable, profondément voire viscéralement liée à l’action, à la volonté de l’action qui se révèle dans ces écrits. Une pensée poussée par le philosophe du «devenir » jusqu’à ses derniers retranchements, les plus imprévisibles et infimes jusqu’à « l’impensable » ou ce « presque rien ». Une construction de « l’irréversible » ne laissant rien passer dans le tamis de cette réflexion serrée sur la morale, aucun préjugé, aucune posture, et laissant la pensée à jamais autre, là où le temps, la mort, et surtout l’amour se rejoignent. Un recueil incluant : « La mauvaise conscience » ; « Du mensonge » ; « Le mal » ; « L’Austérité et la vie morale » ; « Le pur et l’impur » ; « L’Aventure, l’ennui, le sérieux » ; « Le Pardon », à l’exclusion de « L’ironie », de « L‘alternative » et « Du traité des vertus ». Sept livres de philosophie morale où idéologie, généralisation ou synthèse n’ont pas leur place, mais livrant une pensée paradoxale dont témoigne plus encore peut-être le dernier livre sur le « Pardon », déjouant vaines certitudes et compromis, et donnant primauté à la conscience et à la vie. Des écrits où les prédilections du philosophe pour la poésie et la musique dont celle du tout aussi virtuose et fougueux Franz Liszt, trouvent également un terrain fertile. Certains de ces écrits sont plus connus, d’autres ont été remaniés ou augmentés par le philosophe notamment à l’occasion de conférences, mais tous nous parlent de l’homme, de « l’homme comme être moral », de cet « être-limite qui n’a pas de limite, mais franchit celle que l’instant lui impose. »

Et pour ceux qui redouteraient d’ouvrir ce fort volume, on ne peut que laisser entendre la voix inimitable de cet immense philosophe que fût Jankélévitch : « En somme la conscience ne dit pas autre chose que ceci : tout ne peut pas se faire ; certaines actions, en dehors de leur utilité, parfois même contre toute raison, rencontrent en nous une résistance inexplicable qui les freine ; quelque chose en elles ne va pas de soi. Telle est l’hésitation de l’âme scrupuleuse devant la solution scabreuse. La conscience est l’aversion invincible que nous inspirent certaines façons de vivre, de sentir ou d’agir ; c’est une répugnance imprescriptible, une espèce d’horreur sacrée. Mais on ne fait pas sa part au démon du scrupule une fois qu’il a pris possession de notre âme : « Le diable a tout éteint aux carreaux de l’auberge ! » »

L.B.K.

 

Miguel Benasayag « Fonctionner ou exister ? » Éditions Le Pommier, 2018.

Quelques jours avant sa mort, le 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini avait accordé un dernier entretien au journaliste Furio Colombo, article que l’écrivain-poète-cinéaste italien avait souhaité terminer par écrit et auquel il avait donné pour titre « Nous sommes tous en danger ». « Les quelques personnes qui ont fait l’Histoire sont celles qui ont dit non, et non les courtisans et les valets des cardinaux. Pour être efficace, le refus doit être grand et non petit, total, et non pas porter sur tel ou tel point, « absurde », contraire au bon sens ». À plus de quarante années de distance, Miguel Benasayag dresse une situation qui a pris acte de cette prescience qui est devenue réalité. Sommes-nous condamnés à ne plus que fonctionner ? L’altérité chère à Miguel Benasayag ne peut subsister que par une unité complexe de l’existence et du fonctionnement, et non de l’hégémonie de cette dernière. À l’heure où les algorithmes visent à modeler le vivant, les Anciens sont devenus des vieux inutiles que l’on cache, ce qui faisait jusqu’alors la valeur constitue aujourd’hui une déficience, faute de bien « fonctionner »… Nous entrons depuis plusieurs années dans une vision manichéenne du monde, en une alternance binaire gagnant / perdant, sans intermédiaires ou autre possibles. Nos vies présentes sont faites de raccourcis, autant sur les bureaux de nos ordinateurs que vis-à-vis de nos valeurs, de nos existences, de la vie tout simplement. Réactionnaire et technophobe Miguel Benasayag ? Pour les partisans du transhumanisme et de l’utilitarisme du vivant, probablement, mais dans une situation de complexité et d’union des contraires, assurément pas.
Il est vrai que le tragique s’est tari en oubliant que le singulier ne saurait se concevoir sans ses interactions avec l’ensemble. En un monde où les relations sont de plus en plus stérilisées à l’image des couloirs d’hôpitaux, on se sent concerné ou pas, on like ou pas, la pleine conscience (mal) comprise par les occidentaux n’a que faire d’une catastrophe climatique ou humaine lorsque sonne l’heure dite de sa méditation quotidienne… Pour éliminer cette négativité qui fait partie intégrante du tragique de la vie, l’homme a la solution : lui substituer le transhumanisme des sociétés postorganiques, plus de vague à l’âme, plus de bleu au cœur, mais la promesse virtuelle d’un monde sans faille et d’une immortalité assurée. Conjoint écarté car ne « correspondant » plus, familles oubliées pour passer à autre chose, liens rompus pour soigner son petit soi ronronnant, nous ne sommes plus en danger, le mal est déjà fait et constatable quotidiennement. Miguel Benasayag ne souligne pas les risques mais les réalités déjà présentes, la tendance à l’artefactualisation du vivant ne concernent pas seulement que des prothèses, certes utiles, mais touchent bien plus encore de plein fouet le vivant à part entière, une initiative qui plus est laissée aux bons soins des machines et des logiciels. Il faut suivre l’auteur dans ces pages inspirées qui à l’image du film Soleil Vert laisse entrevoir ce vers quoi nous allons et que nous sommes en train d’oublier, Big data s’occupant déjà de nos mémoires. Cauchemar ? Certainement. Des solutions ? Une résistance de tous les instants afin de sortir de notre petit moi, tout en acceptant notre fragilité, nos failles, qui élargissent contrairement ce qu’on en pense trop souvent - notre cercle et constitue notre richesse, notre singularité, « nous sommes les mêmes tant que nous changeons », rappelle le philosophe dans l’un de ses (apparents) paradoxes dont il a le secret. La situation exige le courage de l’existence, un agir situationnel dans le cadre d’une singularité du vivant chère à l’auteur, qui n’est pas reproductible, sauf à la nier. Nous sommes prévenus, n’attendons pas encore.


Philippe-Emmanuel Krautter

A lire l'interview de Miguel Benasayag

 

Ok-Kyung Pak : « Les plongeuses Jamnyo de Jeju en Corée », Éditions Ides et Calendes, 2019.

« Les plongeuses Jamnyo de Jeju en Corée » est une étude anthropologique singulière puisqu’elle nous invite à découvrir l’univers secret et peu connu de l’extrême sud-ouest de la péninsule coréenne, et plus précisément l’île de Jeju. Cette dernière est également appelée l’île aux trois abondances - les vents, les pierres et les femmes, une appellation trouvant sa justification en ces lieux arides où curieusement les hommes sont peu nombreux. Pour affronter le sol volcanique et les vents puissants, il fallait la force d’âme de femmes courageuses, début d’une légende matrilinéaire et d’une réalité constatée au fil des temps. C’est dans cet environnement atypique que l’anthropologue Ok-Kyung Pak a ainsi entrepris, en 2016, une étude de terrain qui l’a conduite à étudier plus particulièrement ces plongeuses en apnée, une activité habituellement réservée aux hommes dans les autres sociétés. C’est ainsi l’univers singulier de cette Île, de ses habitants, et surtout de ses plongeuses nommées Jamnyo que Ok-Kyung pak nous offre de découvrir, une analyse appuyée par plus de 130 illustrations, cartes, schémas et photographies couleur.
Or, ici, c’est par leur seul souffle et une ceinture lestée de plomb que ces femmes risquent leur vie à chaque plongée pour pêcher 15 jours par mois ormeaux, conques, varech… Chaque journée compte 4 à 7 heures de plongée, chacune durant près de 2 mn jusqu’à 20 mètres de profondeur, ce qui est un exploit physique étonnant et pourtant anonyme. Car en ces lieux, il n’est point question de compétition ou de grand bleu, mais de l’intime conviction d’appartenir à un ancêtre commun, la déesse-mère Seolmundae Halmang pour qui chaque plongeuse réalise un rituel chamanique lors des plongées. Leur vie est d’ailleurs entendue également en un sens collectif puisque le fruit de chaque plongée est partagé et toute idée de pêche intensive écartée. Cette approche communautaire, étroitement liée aux éléments naturels dont la mer constitue la force la plus manifeste, offre un rare témoignage de ces temps anciens où l’homme n’avait point comme seul horizon le profit intensif. Au XXIe siècle à des milliers de kilomètres de nous existe encore une société malheureusement en déclin en raison de la pollution des mers et du développement industriel qui perpétue cet étonnant héritage ainsi qu’en témoigne cette belle étude !
 

Metin Arditi Dictionnaire amoureux de l’Esprit français éditions Plon & Grasset, 2019.

Audacieux et téméraire en nos temps troublés que d’aborder le thème de l’Esprit français illustré en page de couverture d’un Cyrano arborant la cocarde multicolore ! Et pourtant cette initiative n’a rien de politique puisqu’elle est le fait de l’écrivain suisse d’origine turque Metin Arditi, envoyé spécial de l’UNESCO pour le dialogue interculturel, ce à quoi cette plume s’adonne avec un plaisir jubilatoire dans ce Dictionnaire amoureux des éditions Plon & Grasset. Partant de cette idée de séduction dont on affuble souvent les Français, l’écrivain talentueux ayant signé de nombreux romans dont Le Turquetto, La Confrérie des moins volants, L’enfant qui mesurait le monde… transporte les lecteurs de ce Dictionnaire dans des entrées qui ne manquent pas d’audace, telles les entrées proches - alphabétiquement s’entend – comme Céline et Dreyfus avec l’antisémitisme en toile de fond… Quel que soit le choix effectué par Metin Arditi, le plaisir manifeste demeure non point de cerner, mais de révéler par petites touches l’Esprit français, ce dernier se matérialise par une mosaïque de points de vue, indispensables selon l’auteur pour répondre au vœu de Molière : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire ». La beauté compte certainement parmi cette identité, beauté multiple et variable qu’elle se manifeste dans l’art d’Édith Piaf ou de Marcel Proust, des Jardins à la française ou de Brassens. Les grands écarts certes ne manquent pas avec l’entrée Jambon-beurre qui suit celle du Jacobinisme et précède Jankélévitch. Ce sont justement dans ces contrastes que le tableau de cet Esprit insaisissable peut certainement le plus facilement se laisser dévoiler, la France aime et cultive les contrastes jusqu’aux conflits et oppositions comme l’avait déjà relevé Jules César dans sa Guerre des Gaules, et plus récemment le Général de Gaulle dans ses Mémoires… En découvrant au fil des pages et de ses thèmes ce Dictionnaire amoureux vu par un « étranger » si familier de la France, l’envie prend immédiatement de prolonger chacune de ces entrées, d’en faire des pistes de lectures et découvertes supplémentaires pour ne point passer à côté de cet Esprit français que restitue si admirablement Metin Arditi dans ces pages truculentes !
 

Pier Paolo Pasolini « Écrits corsaires » traduction de Philippe Guilhon 288 pages - 140 x 200 mm, collection Champs arts Flammarion, 2018.

Pier Paolo Pasolini a assurément pris au pied de la lettre le titre donné à ces articles réunis dans un livre « Écrits corsaires » et aujourd’hui publiés en français dans la collection Champs arts Flammarion avec une traduction de Philippe Guilhon. Corsaire est, en effet, bien l’attitude adoptée par l’écrivain italien et pour l’occasion essayiste polémique, dans ces articles sans concessions parus dans la presse jusqu’aux derniers mois avant sa mort. Le lecteur retrouvera dans certaines contributions le regard lucide de celui qui n’écarta pas les paradoxes les plus inattendus ; le poète hors convention avoue ainsi, bien que n’aimant pas ces jeunes gens aux cheveux longs qu’il décrit, se rallier finalement à leur cause lorsqu’ils font l’objet d’une attaque de la part de la société bourgeoise bien pensante de son époque. Pasolini ne choisit pas la voie facile, n’est en aucune manière partisan du choix médian, mais adopte le ton de la polémique, du combat même, avec sa plume acérée qui lui a valu tant d’inimitiés jusqu’à sa mort, dans l’opposition politique à ses idées jusqu’à la gauche italienne… Adepte de la microrésistance, apôtre des arts dans lesquels il excelle avec une facilité déconcertante, Pasolini pointe et fait mouche en bien des domaines qu’il aborde dans ces pages. Du fameux article sur La disparition des lucioles, métaphore de l’extinction du parti communiste, jusqu’au fascisme des antifascistes, Pasolini se trouve là où on l’attend le moins, décalage toujours fécond qui invite à de nouveaux points de vue, un regard lavé des conventions. Si certains textes sont conjoncturels, la réflexion mise en œuvre peut la plupart du temps être reprise dans bien d’autres contextes actuels, dont Pasolini avait si distinctement prévu l’évolution de manière confondante. Pointent régulièrement dans ces pages alertes, non seulement l’analyste de son temps, mais aussi le poète qu’il ne cessa d’être, l’écrivain parfois, le cinéaste dans d’autres contextes encore, car pour Pasolini, les arts n’étaient en rien questions de disciplines, mais de vie, cette vie qu’il mena intensément jusqu’à son terme pour mieux en explorer les confins.
 

Nietzsche « Sur l’invention de la morale » présentation par Arnaud Sorosina, édition avec dossier, Garnier Flammarion, 2018.

Quel rapport entretenons-nous avec les valeurs comme le bien, le mal, la bonté, la justice ? Nietzsche invite le lecteur à s’interroger à leur sujet et à mieux considérer leur origine, moins naturelle qu’elle ne pourrait paraître selon le philosophe. La religion, bien entendu, apparaît vite au banc des accusés pour le philosophe critique de la culture occidentale. La faute et la culpabilité sont responsables des maux de l’homme moderne qui cherche l’oubli dans le remords et la veulerie, une approche qui ne sera pas étrangère à la psychanalyse quelques décennies plus tard. Arnaud Sorosina, par sa présentation, accompagne le lecteur dans sa découverte de ce livre de Nietzsche. Le texte est ainsi précédé d’une introduction éclairante quant à l’évaluation faite par le philosophe des valeurs : leur origine, leurs développements au cours de l’Histoire par la religion, ainsi que leurs méfaits sur l’homme qui a perdu à cause d’elles sa noblesse et sa santé. Peut-on se libérer de la morale ? Belle interrogation qui accompagnera le lecteur tout au long de ce texte à redécouvrir en nos temps troublés.
 

Jean-Jacques Bedu : « Les Initiés ; De l’an mil à nos jours », Collection Bouquin, Robert Laffont, 2018.

Somme considérable, incontournable ! L’ouvrage « Les Initiés de l’an mil à nos jours » signé Jean-Jacques Bedu ne peut, en effet, que faire date et s’imposer, de par l’imposant travail présenté, en ouvrage de référence. Un joli défi relevé, et ce à bien plus d’un titre.
Audacieux, en premier lieu, l’ouvrage, dans un style volontairement accessible, propose au lecteur pas moins de 2000 ans d’histoire d’initiés, de courants et traditions initiatiques avec plus de 115 entrées ou noms d’initiés, avec pour chacun, sa vie et son parcours condensés, certes, mais jamais de manière lapidaire. On y trouve, bien sûr, Avicenne, Hildegarde, Ibn d’Arabi, Maître Eckhart, Léonard de Vinci, Swedenborg, Papus et Péladan ou encore Krishnamurti, et bien sûr, pour un tel ouvrage, René Guenon… Retenant, par souci de clarté, un ordre chronologique, regroupant ces initiés en 4 grandes périodes – L’an mil ; La Renaissance ; Le Grand Siècle au Siècle des Lumières ; le XIXe siècle ; et le XX siècle débordant sur le XXIe siècle, soit de leur éclosion à aujourd’hui. L’auteur balaye tant l’occident que l’orient ou l’extrême orient, mettant ainsi en évidence les grands courants dans lesquels viennent s’inscrire ces initiés de tous les temps et époques : alchimie, magie, kabbale, Soufisme, Théosophisme, Templiers, Rose-croix, Franc-maçonnerie, occultisme, etc. Courants entremêlant tant les grandes religions et ses différentes doctrines que les sociétés secrètes ou l’occultisme, hermétisme, prophétisme, etc.
Audace, aussi, d’avoir su allier dans ce dédale d’initiés, de sensibilités multiples et croisées ,un riche travail de qualité à une approche accessible et claire dans un style fluide fort plaisant, faisant de cette somme un ouvrage se lisant comme un roman, enchaînant aventures, légendes et destins hors normes. Que de vies, de destins… d’initiés ! On songe à Blake, à Nicolas de Flamel et « son » livre si cher à C.G. Jung.
A ces titres, l’ouvrage ne peut que séduire un large public, chercheurs, universitaires, lecteurs souhaitant être initiés ou tout lecteur curieux ou avide de vies romanesques. Dans ces initiés, un grand nombre de noms séduira, aussi, les littéraires tels Rabelais, Cyrano de Bergerac, Novalis, Goethe, Gérard de Nerval, Victor Hugo, Villiers de l’Isle-Adam, Huysmans, ou encore les amateurs d’art avec notamment William Blake, Joséphin de Péladan ou de musique avec Mozart.

Non dénué d’humour, Jean-Jacques Bedu n’hésite pas, d’ailleurs, à ouvrir son ouvrage avec Gerbert d’Aurillac, un non-initié, et à terminer cette longue histoire d’initiés à travers les âges et les siècles avec Steve Jobs ! Mais, l’auteur ne manque pas, non plus, avec pertinence de sens critique et de prises de position souvent bien venues. Le texte consacré à Louis Massignon est très beau et très justement présenté. Jean-Jacques Bedu n’hésite pas, également, à douter, à souligner, mettre à plat ou purement et simplement écarter. Eh ! oui, parmi ces initiés se cachent parfois quelques imposteurs ou légendes inopportunes ; on songe notamment à Rabelais ou à Victor Hugo. Soucieux cependant d’objectivité, l’auteur sait aussi mettre en balance son scepticisme avec le poids des légendes, mythes ou à renvoyer les controverses entretenues dos à dos, notamment pour Nostradamus, invitant par là même ses lecteurs à se tourner vers la biographie informée donnée pour chaque entrée. L’ouvrage comporte, par ailleurs, en fin de volume de très riches orientations biographiques thématiques, ainsi qu’un très complet index des noms fort utile ou encore un glossaire.

Y a-t-il encore des initiés en 2018 ? Nous l’avons souligné, l’auteur termine par un clin œil avec Steve Jobs ; que l’on soit séduit ou non par ce dernier choix (n’a-t-il pas plus initié qu’il n’a été initié ?), il demeure que la question reste entière et d’actualité, révélant tout l’intérêt et le mérite de cet ouvrage consacré aux « Initiés de l’an mil à nos jours ».

L.B.K.

 

Pasolini's Bodies and Places (en anglais) Michele Mancini and Giuseppe Perrella N° 241, relié, 640 pages, 22 × 21 cm, anglais, Benedikt Reichenbach, Editions Patrick Frey, 2017.

Pasolini's Bodies and Places est un ouvrage à la fois savant mais parfaitement accessible à tout amateur du cinéma et de l’univers pasolinien. À partir d’hypothèses de travail exprimées au début du livre par l’écrivain, poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini, les auteurs de cet ouvrage, Michele Mancini et Giuseppe Perrella, ont réuni 1734 reproductions de scènes de ses films, archivées et analysées à partir de thématiques centrées sur les corps et les lieux. Véritable cartographie anthropologique s’étendant sur trois continents (Europe, Afrique et Asie), cette réflexion retient cette attitude chère à Pasolini d’établir des chemins et des correspondances entre les borgate de Rome, le Tiers-Monde et les villes soumises au développement néocapitaliste. Ces archives offrent ainsi un témoignage unique sur de véritables univers disparus ou appelés à disparaître et fixés à jamais par la caméra et le regard critique de ce visionnaire que fut Pasolini. À partir de classifications détaillées de postures, expressions du visage, gestes, grimaces, sourires, rires et bien d’autres encore, c’est un véritable laboratoire d’analyses anthropologiques que proposent les auteurs à partir des films du cinéaste. Le lecteur habitué à l’univers pasolinien retrouvera alors bien des correspondances avec les écrits majeurs de Pasolini, les frontières entre les arts s’effaçant sous son regard. Les cultures des périphéries émergent alors, subrepticement, au détour d’un cadrage, ici pour souligner un détail ethnique, là, pour évoquer une attitude à jamais révolue. Les lieux si importants pour Pier Paolo Pasolini rythment la caméra et ses mouvements, qu’il s’agisse d’un environnement fermé comme une prison, un hôpital ou un bar, ou encore ouvert comme le désert ou le mont des Oliviers… Une fois de plus, les mutations imprègnent la pellicule, de manière express ou sous-entendue selon les films. L’aliénation culturelle broyée sous la mondialisation conduit à une uniformité des corps et des lieux, une tendance à l’extrême opposé au cinéma et à l’œuvre de Pasolini, tel est le mérite de l’analyse de ces pages. Une bibliographie et filmographie complètent cette somme incontournable pour tout passionné de l’œuvre de Pasolini.
 

Élisabeth Roudinesco « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse », Édition Plon/Seuil 2017.

L’historienne et psychanalyste Élisabeth Roudinesco signe le « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse » aux éditions Plon. Après son célèbre « Dictionnaire de Psychanalyse » dont on ne compte plus les rééditions qu’elle rédigea avec Michel Plon en 1997, l’auteur précise avoir hésité pour cette nouvelle et autre entreprise. Mais, Élisabeth Roudinesco avoue également avoir « toujours aimé les dictionnaires. Ils recèlent un savoir qui ressemble à un mystère », écrit-elle en incipit de son texte introductif à ce « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse ». Et effectivement, Élisabeth Roudinesco nous livre par cet ouvrage un véritable dictionnaire amoureux, empreint de toute la subjectivité de l’auteur, et dont les mots-clés ou entrées surprendront agréablement le lecteur. Pas de mots classico-magiques de la psychanalyse, pas de grands concepts ou noms trop incontournables pour liste d’entrées, mais des noms de ville, beaucoup de villes, Berlin, Buenos Aires, Francfort, Rome, Vienne, Zurich, etc., dans lesquelles s’inscrivent des choix et enchaînements révélant toute la distance et l’audace de l’auteur. « Des territoires réunis de façon arbitraire », souligne Élisabeth Roudinesco, abordant ce vaste territoire de la psychanalyse par des thèmes aux prises directes avec la société de ce début de siècle : éros, amour, famille, désir, bonheur, les animaux et, bien sûr, l’argent avec celui notamment qui fâche, contre ou entre psychanalystes, et si ce n’est Freud, c’est donc Lacan… Et même si Jung n’a jamais en tant que tel acquis sa maison de Bolligen mais l’a bel et bien bâtie, ce qui l’eut privé de nombre d’analyses et inspirations, le lecteur sourira à l’évocation de certaines entrées telle « Sherlock Holmes », surprenantes avec « Philippe Roth » ou les « Présidents américains ». Parfois les mots s’assombrissent sous les destins notamment de « Marylin Monroe » ou deviennent graves. La femme y trouve une belle place avec des entrées telles que le « Deuxième sexe » ou tout simplement « femmes » pour celle qui avoue n’avoir – en partie grâce à sa mère – accordé la place qui se devait à Beauvoir que tardivement. L’enfance, enfin, ne pouvait être omise, et lui sont accordées de nombreuses pages de ce territoire aux multiples rives. C’est bien à un voyage d’une subjectivité tout amoureuse en ce territoire parfois choisi, parfois rejeté ou maudit, mais toujours fascinant de la psychanalyse auquel nous convie Élisabeth Roudinesco, « un voyage au cœur d’un lac inconnu situé au-delà du miroir de la conscience.»
 

Jean-Louis Servan-Schreiber "L'Humanité, apothéose ou apocalypse ?" Fayard, 2017.

Jean-Louis Servan-Schreiber réfléchit depuis des décennies au sens de nos vies et de la vie, qu’il s’agisse de l’emploi du temps que nous lui réservons, tout aussi bien que du sens que nous lui assignons. Avec ce dernier livre « L’humanité », l’auteur prend encore plus de recul, une distance facilitée par l’âge et ce sentiment que notre époque est plus que jamais touchée par le « court-termisme » comme il le nomme. N’ayant plus le temps de réfléchir au passé, souffrant du présent et redoutant d’envisager le futur, nous sommes de nouveau dans la situation que soulignait déjà en son temps Sénèque dans son De Brevitate Vitae, malades de notre temps et de nos vies. Et pourtant, Jean-Louis Servan-Schreiber ne compte pas parmi ces pessimistes invétérés qui inondent de leurs prédictions tragiques l’environnement médiatique. Relevant, avec raison, combien le XXe siècle a pu être à l’origine de formidables progrès pour une grande partie de l’humanité, sans pour autant oublier ses laissés-pour-compte et tout en soulignant l’individualisme galopant qui en a résulté, jamais l’humanité jusqu’à aujourd’hui n’a eu autant d’impact sur son environnement et ses semblables. Faut-il s’en inquiéter, faut-il s’en réjouir ? Apothéose ou apocalypse ? Telles sont les interrogations soulevées avec humilité par cet éternel scrutateur de notre société, un questionnement nourri par le témoignage d’un certain nombre de personnalités telles Jacques Attali, André Comte-Sponville, Roger Pol Droit, Marcel Gauchet, Pascal Picq ou encore Edgar Morin…
L’accélération des moyens technos-scientifiques laisse l’impression d’une accélération du temps dont nos contemporains ne cessent de souffrir, ce dont a témoigné avec acuité l’auteur dans ses précédents ouvrages. Mais, aujourd’hui, se posent de nouveaux problèmes : que faisons-nous de ces progrès ? Ne sont-ils pas susceptibles d’aller jusqu’à la transformation de l’humain si l’on pense aux avancées de la génétique et du transhumanisme ? Saurons-nous faire face à cet écart grandissant entre une partie de l’humanité ayant plus que le nécessaire, et une partie plus grande encore de cette même humanité qui réclame de n’être pas exclue de ce progrès ? Sans prétendre avoir les réponses à ces questions de fond, l’ouvrage invite à élargir notre regard sur notre époque, dépasser le rythme effréné des news alarmistes qui empêchent le recul et la réflexion, prendre une partie de ce temps si cher à Jean-Louis Servan-Schreiber pour penser à notre avenir, au-delà d’un clivage optimistes-pessimistes.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Lucien Jerphagnon « L’au-delà de tout » préface du cardinal Poupard, Collection Bouquins, Robert Laffont, 2017.

Six ans déjà que Lucien Jerphagnon nous a quittés, et pourtant son sourire malicieux et son regard pétillant semblent encore si présents ! Ce grand spécialiste de la philosophie antique et médiévale aimait à se présenter comme un historien de la philosophie, et non en philosophe, n’ayant pas de « jerphagnonisme » à proposer comme il le rappelait d’un clin d’œil complice. Né en 1921, Plotin et saint Augustin, entre autres, n’avaient aucun secret pour lui. La collection Bouquins, après le premier volume Les Armes et les Mots réunissant les titres les plus connus de l’auteur vient de lui consacrer un deuxième volume intitulé « L’au-delà de tout » et réunissant des titres méconnus s’inscrivant dans la période 1955-1962. C’est la pensée intime d’un esprit à la fois jaillissant et secret qui se révèle au fil de ces pages à la saveur incomparable. Ainsi que le rappelle le cardinal Poupard qui signe la préface de ce fort volume, si la pensée et les convictions spirituelles de Jerphagnon ont pu évoluer au cours de son riche parcours, il demeure certaines convictions de fond, immuables, et que résume à elle seule, de manière évocatrice, la phrase d’André Malraux mise en exergue par Jerphagnon lui-même de son essai « Le Mal et l’Existence » : « Tous les grains pourrissent d’abord, mais il y a ceux qui germent… Un monde sans espoir est irrespirable. » André Malraux, L’Espoir, ouvrage qui ouvre aujourd’hui ce recueil. 
Le thème du mal et de la souffrance qu’il engendre est récurrent depuis l’aube de l’humanité croyante, et bien souvent un argument avancé pour critiquer l’idée même de transcendance. Si Dieu est amour, comment peut-il accepter que sa création subisse le mal ? Plutôt que de partir de cette traditionnelle opposition amour / mal, Lucien Jerphagnon souligne combien il s’agit là d’un mystère qui ne saurait être réduit à une « explication » rationnelle, mais à une interrogation sur la propension de l’homme à se diviser. L’auteur développe le fameux exemple de Job dans la Bible, comme l’illustration de l’impuissance de l’homme à comprendre les maux qui peuvent s’abattre sur lui, des épreuves souvent initiatiques qui invitent à un rapprochement de la source transcendante, au lieu de l’en éloigner, ce qui arrive parfois. Prolongeant sa réflexion sur le mal, Lucien Jerphagnon étend son analyse notamment au philosophe Pascal auquel il consacrera un premier essai « Pascal et la souffrance », complété par un autre titre « Pascal », et enfin « Le Caractère de Pascal », chacun de ces ouvrages explorant la position philosophique de celui qui estimait que l’homme est inévitablement malheureux en raison de sa nature même mue par un mécanisme absurde le poussant à être inconstant et misérable. Seule la rencontre du Crucifié, le Dieu humilié, peut confondre le mal et réduire à néant les misères de l’homme. La lecture de ces essais ne peut être dissociée de cette période bien particulière de l’auteur – longtemps tue et ignorée du public, période durant laquelle il fut ordonné prêtre en 1950 avant de quitter les ordres dix ans plus tard, une parenthèse de vie sur laquelle il garda un silence absolu. Ce deuxième recueil démontre, s’il en était encore besoin, que l’on a encore beaucoup à apprendre sur et de ce grand maître, Lucien Jerphagnon.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

(à lire notre interview

de Lucien Jerphagnon)

Histoire, Ethnologie, Essais...

« Pompéi » de Pascal Charvet, Stéphane GOMPERTZ, Annie Collognat, Bouquins, 2023.

Au lecteur qui penserait tout connaître de la légendaire ville sortie des cendres, cet ouvrage lui est destiné ! Les très nombreuses découvertes archéologiques réalisées ces dernières années grâce aux grands travaux entrepris par l’État italien et l’Union européenne révèlent en effet de nombreuses et nouvelles facettes de cette cité plurielle au carrefour de Rome et de l’Orient. La date fatidique du 24 octobre 79 et le témoignage de Pline le Jeune évoquant l’éruption fatale du Vésuve pour la cité romaine, témoignage rappelé en avant-propos de l’ouvrage sont éloquents quant à l’ampleur de la catastrophe : « On voyait des hommes à qui la peur de la mort faisait supplier la mort elle-même »…
La luxuriance du paysage idyllique de Pompéi, sa douceur et la clémence de son climat contrastent avec cette tragédie digne de la fin des temps ainsi que la perçurent les contemporains de cette dramatique éruption mettant un terme à l’histoire de Pompéi. Un terme remis fort heureusement en question par ce stimulant ouvrage collectif qui redonne vie à ces habitants et à leur vie quotidienne, à ces ruelles, jardins, thermes et même lupanars dans lesquelles nous pouvons encore déambuler grâce à ces fabuleuses promenades proposées dans cet ouvrage, 37 promenades précisément sans oublier le dictionnaire de vies des Pompéiens qui ajoute encore à cette « proximité » malgré les siècles qui nous séparent d’eux.
Vie et non point désastre, vitalité et non destructions, voici ce qu’offre ce fort volume de 1152 pages abondamment illustré et nourri des analyses des meilleurs spécialistes sur la célèbre cité antique. Une promenade hautement dépaysante et instructive dans l’Histoire et la géographie antiques.
 

Henri Pirenne : « Histoires de l’Europe - Œuvres choisies », Quarto Gallimard, 2023.

Le nom d’Henri Pirenne (1862-1935) est étroitement associé à l’étude des origines de l’Europe et de sa lente construction. Cet éminent historien belge compte parmi les chercheurs incontournables de la fin du XIXe et début du XXe s., ce pourquoi la collection Quarto des éditions Gallimard vient de lui consacrer un fort volume réunissant ses œuvres principales. Médiéviste réputé, formé à l’historiographie allemande, sa méthode l’a porté à renouveler le champ de ses recherches notamment à partir de deux axes essentiels : l’histoire urbaine et la part grandissante de l’Islam à partir du VIIe siècle. À l’image d’un Marc Bloch ou d’un Lucien Febvre, ses contemporains, Pirenne explore avec une puissance de travail phénoménale l’Europe médiévale dans son ouvrage – probablement le plus connu - « Histoire de l’Europe » publié au terme de la Première Guerre mondiale, partant de la fin du monde romain et des royaumes barbares jusqu’à la Renaissance et la Réforme.
Avec « Les villes du Moyen Âge » rédigé en 1927, Henri Pirenne retrace en une synthèse particulièrement éclairante l’émergence des villes du Moyen Âge avec ses cités et ses bourgs, la renaissance du commerce avec ses marchands avant la formation des plus grandes villes et l’essor de la bourgeoisie. Mais, le maître ouvrage de Pirenne demeure certainement son « Mahomet et Charlemagne » publié après sa mort en 1937. Avec un angle plus que novateur à l’époque, l’historien étudie un domaine souvent sous-estimé à l’époque à savoir l’expansion de l’Islam dans toute la Méditerranée…
D’autres ouvrages complètent ce Quarto notamment « Méthodologie de l’Histoire » réunissant des articles et discours de l’historien allant de 1886 à 1931, « Économie et Société » avec des textes de maturité sur le capitalisme, l’Instruction des marchands au Moyen Âge, les vins de France… Pour finir, des articles et discours sur la Nation belge ont été réunis, témoignant également de l’engagement de l’historien dans son temps.
 

« L’envers du Grand Siècle – Madame Palatine, le défi du Roi-Soleil » de Thierry Sarmant, 350 p., Coll. « Au fil de l’Histoire », Editions Flammarion, 2024.

Comment ne pas souligner la parution chez Flammarion de ce captivant ouvrage « L’envers du Grand Siècle – Madame Palatine, le défi du Roi-Soleil » signé Thierry Sarmant, historien, conservateur général du patrimoine aux Archives nationales et auteur déjà de plusieurs biographies remarquées. Prenant appui sur les destins croisés de Louis XIV et de Madame, sa belle-sœur, la princesse palatine, l’auteur nous offre un éclairage aussi plaisant qu’instructif. Car, des plus informés, mais loin d’être rébarbatif et non dénué d’humour et de clins d’œil, cet ouvrage livre au lecteur une multitude de précisions et détails sur la vie de Cour sous le règne du Roi-Soleil. Lignées, protocole et intrigues… allant des plus grandes questions du pouvoir et de la puissance du royaume jusqu’aux menus détails des sentiments et vies intimes, nous découvrons en effet par le jeu des destinées et liens croisés du Roi-Soleil et de Madame Palatine bien des enjeux et par, là-même, « L’envers du Grand Siècle ».
Mœurs, goûts et divertissements, art, lecture et bibliothèques ou religions, Louis et sa belle sœur, bien que très proches, ont peu de goût ou points de vue communs, sans directement s’opposer, leurs opinions divergent le plus souvent… La seconde épouse de Philippe, duc d’Orléans, frère cadet du roi, est en effet une princesse franche, directe et spontanée ainsi que l’atteste sa correspondance qui fait d’elle l’un des témoins privilégiés de ce règne. Et, si le roi apprécie sa compagnie et aime surtout chasser avec elle, il n’en sera pas toujours ainsi et bien des turbulences et ombrages marqueront cette relation de plus de quarante années…
De cette fructueuse confrontation entre les prises de position du monarque français et celles souvent plus tranchées de l’Allemande Élisabeth-Charlotte, c’est véritablement la vie de Cour, de Versailles, Marly ou encore Fontainebleau, celle des salons dorés jusqu’aux antichambres et couloirs dérobés, du faste du règne de Louis XIV aux facettes moins connues de ce XVIIe siècle finissant qui revivent sous la plume de Thierry Sarmant.
 

« 30 ans après… Soljenitsyne en Vendée », Philippe de Villiers, Dominique Souchet, Hervé Louboutin et Benoît Castillon du Perron, Éditions L’Enchanteur, 2023.

Il y a des moments où l’Histoire elle-même rencontre la Grande Histoire ; tel fut assurément le cas lorsque, Il y a trente ans, en 1993, Soljenitsyne, « l’homme du Goulag », après des années d’exil aux USA, vint en France. Réhabilité quelques années auparavant par Gorbatchev, il rentrera en Russie au printemps 1994. Mais, auparavant, en ce mois de septembre 1993, l’auteur de « L’Archipel du Goulag » et du « Pavillon des cancéreux », fut l’invité d’honneur de Philippe de Villiers en Vendée, alors même que l’ancienne région du Bas-Poitou commémorait le bicentenaire du soulèvement des Vendéens de 1793 ; 1793, rappelons-nous : la Terreur ! En Vendée, la rébellion s’organise autour de l’ancien officier de la Marine Royale, Charrette. Elle sera réprimée dans le sang, un effroyable massacre qui hante encore les mémoires et dont témoignent les vitraux de l’Église des Lucs-sur-Boulogne. Soljenitsyne avait enfant lu l’histoire de ces Vendéens, de la révolution et de la terreur, et c’est avec émotion qu’en cette année 1993, alors âgé de presque 75 ans, il visite la Vendée, découvre la ville du Puy-du-Fou et inaugure, le 25 septembre 1993, le Mémorial des Lucs-sur-Boulogne… Dans son discours, le Prix Nobel de littérature soulignera tout le symbolisme et les parallèles qu’évoque pour lui cette révolte paysanne vendéenne ; un discours qui marqua les esprits…
Aujourd’hui, en 2023, « 30 ans après… », Philippe de Villiers, Dominique Souchet, Hervé Louboutin et Benoît Castillon du Perron se souviennent de ce jour où l’Histoire s’entrechoqua et où les mémoires se firent plus encore Mémoire… Le lecteur retrouvera dans cet ouvrage, largement illustré de photographies, le discours d’Alexandre Soljenitsyne, mais aussi ceux d’Alain Decaux et de Philippe de Villiers, suivis pour cette édition de plusieurs textes témoignant aujourd’hui de cette rencontre, de ces rencontres avec l’Histoire.

L.B.K.

 

Caroline Fourgeaud-Laville : « Grec ancien express » ; Illustrations de Djohr, Révisions d’Adrien Bresson et de Dorian Flores, Coll. « La vie des Classiques », Éditions Les Belles Lettres, 2023.

Avec cet ouvrage « Grec ancien express », la langue d’Homère et d’Eschyle retrouve en quelque sorte vie grâce à une méthode aussi plaisante que rigoureuse. En revisitant l’aspect souvent austère et rebutant de nos grammaires d’antan, l’auteur, Caroline Fourgeaud-Laville, Docteur ès lettres, promouvant l’apprentissage du grec ancien en classes primaires, offre une véritable méthode associant parole et fondamentaux grammaticaux. Progressive et sous forme de leçons (pouvant être menées seul ou avec un enseignant), cette méthode initie également à la culture grecque antique souvent indissociable de la langue même.
En 24 étapes de 50 minutes chacune, cet apprentissage répondra aux diverses attentes, qu’il s’agisse d’une démarche de culture générale, d’apprentissage scolaire ou d’une révision de connaissances anciennes.
Zoé, Ulysse et Socrate seront les interlocuteurs privilégiés pour des dialogues vivants conçus par l’auteur pour chaque leçon grammaticale, une manière ludique et efficace de se (re)mettre au grec ancien dans la bonne humeur !
 

Démosthène : « Discours » sous la direction de Pierre Chiron avec la collaboration de Vincent Azoulay, Matthieu Fernandez, Camille Rambourg et Frédérique Woerther, 1344 pages, Editions Les Belles Lettres, 2023.

Beaucoup d’idées préconçues ont circulé - et circulent encore - sur le grand orateur grec Démosthène (384-322 av. J.-C.) La monumentale édition de ses « Discours » qui vient de paraître aux Belles Lettres ( 1 344 pages) sous la direction de Pierre Chiron devrait assurément contribuer à une plus juste évaluation de la place tenue non seulement par l’éminent orateur athénien, mais aussi de son rôle politique, reconsidéré, sans oublier sa dimension philosophique également présente dans son important corpus. Les auteurs ont pour cette nouvelle édition entrepris un important travail de traduction, l’option inédite retenue étant notamment de rendre plus lisible et surtout plus audible le style et la pensée de celui dont l’éloquence est passée à la postérité depuis le IVe siècle avant notre ère. Choix a également été fait de présenter pour cette édition l’intégralité des 63 discours selon un ordre chronologique.
Cet angle judicieux présente l’immense mérite de rendre beaucoup plus lisible l’évolution de la pensée de Démosthène, une pensée forcément influencée par les succès mais aussi les vicissitudes qui parsemèrent son parcours. Farouche partisan de la liberté, Démosthène usa de l’éloquence non point comme une fin en soi mais comme moyen de préserver cet espace menacé à l’heure de la conquête de son pays par Philippe de Macédoine auquel il s’oppose dès son premier discours. Contre la servitude et la soumission du peuple, l’orateur souligne les failles de la démocratie à Athènes au IVe siècle. Il est vrai que dès son jeune âge, orphelin, Démosthène eut à lutter contre l’adversité et ses tuteurs qui dilapidèrent ses biens. Il fallut cette pugnacité précoce pour lui permettre de forger progressivement de nouvelles armes sur l’art de convaincre les Athéniens de sortir de leur apathie face au péril macédonien grandissant.
Rien n’échappe à sa vigilance et le citoyen lucide incite et encourage ses contemporains à renforcer une armée en déshérence et à combattre la corruption qui gagne même les rangs athéniens. Sa célèbre opposition face à un autre grand et célèbre orateur, Eschine, acquis à la cause macédonienne, demeure un morceau d’anthologie, ce qui n’empêchera pas la défaite des armées grecques à Chéronée.
Cet esprit combatif qui fut sa force sera, cependant, également cause de sa chute : Démosthène, alors qu’Athènes subit une défaite cuisante, reconnaît lui-même, en effet, sa part de responsabilité dans le fameux Discours sur la couronne daté de 330, exigeant d’être lu pendant trois heures d’affilée…
Le lecteur de cette dernière et remarquable édition pourra à loisir retenir une lecture chronologique ou passer d’un sujet à l’autre. Par ces célèbres Discours, Démosthène a couvert non seulement les thèmes politiques et judiciaires qui ont bâti sa réputation mais également des discours de cérémonies et autres développements philosophiques (grandeur de l’homme et de ses valeurs morales) témoignant ainsi de la richesse de l’oralité de leur auteur. La profondeur de sa pensée n’a d’égal que cet amour fou qu’il ne cessa de porter à sa cité dont la grandeur reste indissociable de la liberté.
 

« Aux origines de la monnaie » ; Sous la direction d’Alain Testart, Éditions Errance & Picard.

Les éditions Errance & Picard ont eu l’heureuse initiative de publier une réflexion collective à la fois ardue et néanmoins nécessaire sur les origines de la monnaie. Cet élément du quotidien, ô combien trop présent dans nos vies, n’a pas été depuis l’aube de l’humanité de soi, tant s’en faut, et son apparition pose encore aujourd’hui de multiples questions sur son rôle et place.
Ainsi que le souligne Alain Testart en introduction, la monnaie a une double nature : son aspect « sonnant et trébuchant », tout d’abord, qui nous est familier et qui l’assimile aux pièces de métal plus ou moins précieuses selon les époques et les lieux. Mais la monnaie peut également prendre la forme des matériaux les plus divers servant à quantifier les échanges entre les hommes, cette dernière forme étant celle qui intéresse plus particulièrement ce passionnant dossier. Nos sociétés modernes ont en effet du mal, même à l’heure des cryptomonnaies, à abandonner toute référence aux valeurs « matérielles » qu’elles fassent référence à l’argent ou à l’or. Ces étalons demeurent ancrés dans nos consciences, signe de la prégnance de la monnaie et de son origine.
Cette dernière sous la forme de pièces semble être apparue au VIe av. J.-C. en Lydie en Asie Mineure pour rayonner rapidement en Perse, en Grèce et jusqu’en Gaule. Mais l’ouvrage cherche surtout à explorer ce qu’était la monnaie avant « les monnaies » dites « en pièces », une longue histoire qui se perd dans la nuit de temps et que cette réflexion collective entend remonter. Alain Testart analyse ainsi dans le détail la monnaie non métallique comme moyen d’échange et de paiement dans les sociétés primitives. Jean-Jacques Glassner s’intéresse, pour sa part, à la question d’une monnaie en Mésopotamie au IIIe millénaire avant notre ère, alors que Bernadette Menu étudie sa place dans la société égyptienne sous les pharaons. Un dernier développement sur la monnaie chinoise clôt cet ouvrage passionnant qui nous fera porter un autre regard sur les petites pièces de notre porte-monnaie !
 

« Histoire Auguste et autres historiens païens » ; Édition et traduction du latin par Stephane Ratti, 1328 pages, 104 x 169 mm, Collection Bibliothèque de la Pléiade (n° 665), Gallimard, 2022.

Le IVe siècle romain de notre ère connaît un tremblement jusqu’à ses fondations. La religion minoritaire, naguère combattue jusqu’en ses catacombes, deviendra l’unique religion officielle de l’empire par volonté de l’empereur Théodose le 8 novembre 392. De Constantin à Théodose près d’un siècle suffira, en effet, à bouleverser les piliers de la culture romaine. C’est dans ce contexte pour le moins troublé que s’inscrivent les historiens antiques du présent volume traduits et édités par Stéphane Ratti, lui-même historien et que nos lecteurs connaissent bien pour avoir collaboré à notre revue.
D’emblée, le spécialiste de l’antiquité donne le ton : « Les historiens réunis dans ce volume sont tous païens », une indication précieuse permettant de mieux apprécier le regard et témoignages d’hommes concernés au premier plan par le vacillement des traditionnelles valeurs romaines. Alors que ces lettrés ont été nourris au fond antique de la Rome éternelle, le nouvel ordre chrétien leur impose de nouvelles valeurs et un fondement sensiblement différent de ce qu’ils avaient connu jusqu’alors. C’est sous ces empereurs nouvellement chrétiens – par choix stratégique ou par vertu – que les auteurs antiques réunis dans cet ouvrage occuperont des postes officiels et « s’avancent masqués » ainsi que le souligne Stéphane Ratti en sa présentation.
Depuis Hermann Dessau à la fin du XIXe siècle, ce texte énigmatique de l’Histoire Auguste a fait couler beaucoup d’encre, l’élève de Mommsen estimant, en effet, que derrière ces différents auteurs de biographies des empereurs se cacherait un seul et même historien ayant emprunté différents pseudonymes… Stéphane Ratti rappelle que parmi tous les prétendants à la paternité de l’Histoire Auguste, Nicomaque Flavien l’Ancien, aristocrate, préfet du prétoire d’Italie, figurerait en première place, cette plume acerbe et souvent ironique n’hésitant pas à se lancer dans de sévères diatribes, moquant tour à tour les Pères de l’Église et même les Évangiles ! Et c’est peut-être l’un des charmes de ce recueil atypique que d’offrir un regard décentré et critique sur son temps, exercice toujours périlleux pour l’époque. A l’évidence et pour conclure, il ne faudra pas prendre l’ « Histoire Auguste et autres historiens païens »pour un livre d’Histoire au risque de sévères déconvenues, tant les incohérences et anachronismes sont nombreux. Cependant, l’un des attraits d’une lecture contemporaine de cette somme réside certainement – pour les non spécialistes – dans le style littéraire et les frontières ténues entre histoire et écrit romanesque que révèlent ces pages toujours passionnantes qu’a su rendre vivantes et alertes Stéphane Ratti dans cette nouvelle traduction.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Donatien Grau : « La mémoire numismatique de l’Empire romain », Editions Les Belles Lettres, 2022.

Avec cette riche et volumineuse étude, Donatien Grau nous introduit à la découverte d’un monde merveilleux et insoupçonné, celui de l’histoire de l’Empire romain à partir de ses monnaies, véritable source rarement visitée. Alors que les textes littéraires et épigraphiques s’avèrent souvent fragmentaires et sujets à discussion, cette masse monétaire qui dort injustement dans nos musées a pourtant tant à nous dire ainsi que le démontre cette somme d’une remarquable clarté pour un sujet aussi aride.
Le grand historien de cette période, Alexandre Grandazzi, qui signe la postface ne s’est pas trompé en relevant combien Donatien Grau, par cette quête historique d’une rare ampleur, parvient à faire « parler » ces multiples pièces de monnaie en un véritable ensemble à considérer dans sa globalité. Fruit de la rigueur romaine, le monnayage provient en effet directement de l’autorité étatique en un temps et un espace donnés évoluant selon les chronologies des conquêtes. Cet ensemble unique peut grâce à l’éclairage donné par l’auteur nous parler et nous apprendre ou confirmer une multitude d’enseignements à la fois économiques, sociaux, mais aussi politiques ou encore culturels.
Il apparaît ainsi que la monnaie impériale romaine peut être perçue comme un discours de ce même pouvoir impérial avec ses instruments rhétoriques, tout comme un instrument de mémoire. Conviant pour cela de multiples disciplines telles la philologie, l’iconographie ou encore l’analyse littéraire, cet immense corpus des monnaies impériales, qui à n’en pas douter fera date, livre de nouvelles pages d’histoire avec ses vicissitudes (damnatio memoriae) comme ses heures de gloire (victoires et conquêtes).
Un ouvrage qui offre un nouveau et passionnant regard sur les monnaies antiques romaines impériales.
 

« Le Grand Atlas des dragons et Chimères » ; Collectif ; Cartonné, 21.5 x 29.3 cm, 176 pages, Coll. Histoire, Editions Glénat, 2021.

Les dragons et autres chimères ont de tout temps fasciné les hommes et habité leur imaginaire. Aussi est-ce une heureuse découverte que de parcourir les pages de ce « Grand Atlas » dédié à ces mythiques créatures aux éditions Glénat.
Extraordinaires ou réels, les dragons et chimères présents dans la quasi-totalité des civilisations sont multiples, extrêmement variés et sources dès lors de bien des malentendus. Comment les connaître et les reconnaître ? Certains semblent même avoir mis leur légende au service de la ruse pour mieux encore nous tromper et nous dérouter. Ainsi connaissez-vous Le Dragon de Beowulf ou encore le Quetzacoaltl ?
L’ouvrage, appuyé par une vaste iconographie, fourmille de légendes et d’informations sur ces fantastiques créatures que sont les dragons et chimères. Mais, ce « Grand Atlas » ne se limite pas à cette seule approche – déjà riche – et a également étendu son étude aux relations étroites qu’ont toujours entretenues les dragons et les hommes. Une deuxième partie instructive dans laquelle on pourra découvrir « Le dragon médecin », mais aussi ceux de la peinture ou encore plus proche de nous « Les dragons de l’heroic fantasy ». Le lecteur pourra même découvrir que certains dragons existent peut-être même pour de vrai !
La dernière partie, enfin, de ce fantastique ouvrage est consacrée à cette histoire souvent méconnue, celle de la « dragonologie ». Eh, oui, les dragons et autres chimères, c’est toute une histoire, une histoire qui méritait bien un « Grand Atlas » !
 

Marcel Detienne : « La notion de Daïmon dans le pythagorisme ancien », Les Belles Lettres éditions, 2021.

En offrant une nouvelle édition de cet ouvrage désormais classique paru pour la première fois en 1963, les Belles Lettres rendent un hommage mérité au célèbre et regretté helléniste Marcel Detienne disparu en 2019. Cet historien anticonformiste fut très tôt remarqué en analysant la notion de « daïmon » successivement en une dimension initiale religieuse puis philosophique. Cette étude exigeante se trouve être la plus parfaite démonstration de la méthode de l’auteur qui n’hésitait pas à reconnaître la dette qu’il avait contractée auprès de chercheurs guère en vogue dans l’université tel Georges Dumézil. Croisant, comparant et rapprochant des domaines souvent éloignés au regard des disciplines habituellement plus rigides, l’historien et anthropologue comparatiste sut briser les barrières, ce qui lui fit apprécier très tôt la démarche structuraliste adoptée par Claude Lévi-Strauss.
En recherchant ce qui rapproche les notions primitives du daïmon – que l’on traduira par facilité par « démon » - de celles du pythagorisme, Marcel Detienne rappelle tout d’abord que cette notion recouvre différentes significations pouvant aller du domaine agricole à celui des rêves en passant par celui de la vengeance, différentes facettes d’une expérience religieuse des vivants à l’égard du monde invisible. L’helléniste dans ces pages érudites analyse cette transition entre un premier plan « mythique » à un stade philosophique et rationnel qui sera le fait des premiers pythagoriciens. Plus que Xénocrate, disciple de Platon et auteur d’un essai sur la démonologie rationnelle, Marcel Detienne souligne combien la pensée religieuse du pythagorisme apportera des développements décisifs sur la question en passant d’une notion équivoque à un concept univoque. Les VIIe et VIe siècles connaitront ainsi une mutation décisive de la conscience religieuse selon l’auteur avec Pythagore et ses disciples. Grâce à ces penseurs, il sera possible de distinguer des démons « bons et pleins d’amour pour les hommes », esprits provenant d’hommes ayant eu de leur vivant une vie vertueuse. Cette pratique de la vertu confèrera à ces entités intermédiaires une force inférieure à celle des dieux mais supérieure à celle des hommes qu’ils pourront guider et aider.
Cet essai, incontournable, démontre de manière éclatante comment une pensée philosophique peut s’élaborer à partir d’une pensée religieuse et ainsi modifier « substantiellement » le concept initial.
 

John Scheid, Nicolas Guillerat et Milan Melocco : « Infographie de la Rome antique » ; 23 x 29, 128 p., Éditions Passés /Composés, 2020.

Impressionnant, tel est le premier sentiment qui gagne le lecteur de cette monumentale « Infographie de la Rome antique » ! En 128 pages, cet ouvrage nourrit l’ambition d’appréhender des milliers de km2 de territoire, des millions d’habitants, ainsi qu’une succession de régimes allant des premières royautés jusqu’à l’empire implosant de son poids à la fin du Ve siècle en passant par la République… Un tel exploit n’eut été possible sans la science du grand historien de la Rome antique John Scheid accompagné pour cette tâche immense par Milan Melocco, et conjugué au génie graphique de Nicolas Guillerat. Combien de générations soupireront de ne pas avoir eu plutôt un tel outil en classe…
Fort heureusement, cette didactique entreprise est désormais accessible grâce à ce que l’on nomme la datavisualisation. Derrière ce terme un brin barbare se cache une réalité bien connue, celle des organigrammes et autres représentations graphiques permettant de mettre en évidence les multiples données chiffrées de manière organisée, sous forme de cartes, organigrammes, plans, cartes… L’effet visuel est une réussite, le monde romain lève progressivement le voile de sa complexité, et cette succession de faits et d’évènements trouve une cohérence et un fil évolutif grâce à l’érudition des auteurs. Le plan de la Rome antique laisse apparaître ses monuments les plus célèbres en une vue détaillée, les multiples régimes politiques se trouvent schématisés, alors que les complexes institutions politiques, juridiques et administratives, dont nous avons en grande partie héritées, sont présentées avec clarté.
L’ouvrage limité pourtant à 128 pages parvient à entrer dans l’explication détaillée de la composition des fameuses légions romaines, équipements et tactiques. Les commentaires clairs et incisifs soulignent l’essentiel et accompagnent la lecture des données graphiques, page après page.
Après une telle lecture, le monde romain antique malgré la complexité du long terme et de ses différentes facettes semble presque familier, une réussite à mettre au crédit des auteurs manifestement inspirés par l’ampleur de la tâche !

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Atlas historique du Proche-Orient ancien », sous la direction de Martin Sauvage, XXII + 218 pages, Relié, 30.6 x 38.3 cm, Belles Lettres éditions, 2020.

Au regard de la richesse et de l’importance du thème traité, le Proche-Orient, il fallait assurément un ouvrage en conséquence. Un pari que relève avec brio cet « Atlas historique du Proche-Orient ancien » ! Près de 20 000 ans déterminants pour l’humanité sont, en effet, couverts par cet Atlas d’envergure, aussi bien sur la forme que le fond. D’un format généreux (30,6 x 38,3 cm) afin de profiter de la clarté des cartes représentées, mettant en valeur le relief, soulignant les fleuves et frontières, cet Atlas historique fait en quelque sorte revivre l’histoire des hommes et des civilisations dans cette région clé du monde antique.
Les sujets de fond abordés sont également à la hauteur de cette présentation, avec le concours d’une cinquantaine de contributeurs, experts reconnus et jeunes chercheurs mettant en commun une somme impressionnante de connaissances, et livrant ainsi le dernier état de la recherche sur ces thématiques riches et fertiles. Il est bien connu de nos jours combien des éléments clés de toute civilisation, telle notamment l’écriture, sont nés dans cette région même du monde, au sud de l’Irak. Ces premiers signes cunéiformes furent en effet conçus afin de comptabiliser notamment les récoltes de céréales, dont le fameux épeautre, nées de la sédentarisation des hommes dans ces régions.
Géographie, géologie, météorologie et végétation, tous ces facteurs ont concouru et concourent aux faits historiques et aux développements ultérieurs. C’est l’une des leçons d’ailleurs les plus fascinantes de cet « Atlas historique du Proche-Orient ancien » - en plus de livrer de somptueuses cartes – que d’offrir une réelle mise en relation de disciplines souvent distinctes et encore trop cloisonnées pour le néophyte. À partir de ces fondamentaux parfaitement représentés en des cartes d’une lisibilité exemplaire, le lecteur pourra découvrir la lente constitution de civilisations bâtisseuses avec ses premières grandes villes entraînant conquêtes et empires, dynasties et royautés.
Tour à tour macroscopiques ou faisant un focus sur une région bien précise, les cartes de cet Atlas font défiler une à une les pages de l’humanité dans cette région clé du monde, une belle leçon d’histoire et de géographie.
 

Susan Woodford : « Comprendre l'art antique » ; Traduction de l’anglais par Camille Fort, Coll. L'art en poche, 176 p., 140 x 216 mm, Couleur, Broché, Éditions Flammarion, 2020.

Dans la collection « L’art en poche », Susan Woodford est parvenue avec « Comprendre l’art antique » à concentrer plus de deux mille ans d’art antique, partant des Grecs jusqu’aux Romains. Jetant les bases de l’occident, ces deux civilisations apporteront, en effet, jusqu’à la Renaissance qui s’en réclamera, des créations artistiques incontournables dans l’histoire de l’art. Ainsi que le souligne l’auteur dès l’introduction de cet opuscule très pédagogique, l’art en ces périodes se doit de prendre en compte des nécessités pratiques extrêmement coûteuses, notamment celles qu’imposent la sculpture et la peinture, aussi l’art antique se voit-il réservé à des fonctions importantes liées au pouvoir. L’auteur, Susan Woodford entend surtout démontrer que l’art antique romain ne saurait être ramené sans nuances à l’art grec, un art ayant lui-même emprunté à l’art égyptien... C’est cette compréhension de l’art antique que le lecteur pourra au fil des pages découvrir.
Si les Grecs empruntent, en effet, aux Égyptiens leur technique pour sculpter la pierre, c’est cependant pour mieux s’en départir. Progressivement, les formes sculptées s’animent comme pour ces statues de femmes drapées d’étoffes souples, les décors s’organisent pour constituer une narration de plus en plus complexe où l’architecture tient sa place. La peinture s’invite également dans l’art grec, les artistes étant à l’origine de représentations sous la forme de tableaux avec leurs formes arrondies. De nouvelles narrations sont inventées sur les amphores, se faisant souvent l’écho de la poésie orale…
Même si certains auteurs ont contesté l’idée d’un art romain en tant que tel en raison de l’importante reprise du modèle grec, il demeure que progressivement, les artistes romains parviendront à imposer de nouvelles créations soulignant les vertus romaines. L’art est en effet accepté chez les Romains à partir du moment où il possède un usage social et moral. De Fabius, premier artiste romain au IIIe s. av. J.-C., aux sculptures de qualité de plus en plus dégradées du IIIe s. de notre ère, l’ouvrage retrace les évolutions, influences et dérives d’un art contrasté selon sa finalité officielle ou privée avec la nobilitas. Dans ce dernier cas, les peintures ornant les villas romaines rivalisent de beauté et de décors somptueux, et dont certaines sont parvenus intacts jusqu’à nous (Pompéi, musée national de Rome,…).
De tous les débris occasionnés par les ravages du temps depuis la fin de ces civilisations, il serait trompeur de penser que l’art antique se résume à quelques colonnes ou sculptures, et ce petit ouvrage clair et accessible en fait la plus parfaite démonstration !
 

Alain Schnapp : « Une histoire universelle des ruines - Des origines aux Lumières » ; 744 p., Colle. La Librairie du XXIe siècle, Editions Seuil, 2020.

Les ruines, pour Alain Schnapp, l’auteur de cet excellent ouvrage, ne sont pas synonymes de désolation, tant s’en faut pour cet historien et archéologue réputé. Le questionnement sur les ruines de l’auteur également d’une remarquable « Histoire des civilisations » présentée dans ces colonnes, trouve son prolongement avec ce fort et beau volume pour le monde ancien.
« Une histoire universelle des ruines » explore cette attraction pour notre passé suscitée par ces vestiges de civilisations disparues et dont le rayonnement transparaît encore à partir de ces restes laissés en témoignage. Le goût pour les ruines est fort ancien, et même si le philosophe stoïcien Sénèque avouait au Ier siècle de notre ère un mépris certain pour cette attirance qu’il jugeait inutile. Notre société occidentale dès les humanistes et les siècles suivants voueront, en effet, un culte certain à leur encontre, tel Diderot dans son poème en prose, ou encore les inoubliables descriptions laissées par Chateaubriand.
Que nous racontent ou murmurent ces témoignages du passé, souvent rongés par le temps ? En un curieux retour de la culture à la nature, déjà relevé par Georg Simmel, lorsque ces matériaux s’effritent et se confondent aux éléments, les ruines révèlent l’impermanence de notre condition humaine et de ses créations. Le rapport entretenu par les civilisations avec leurs ruines sont sources d’autant de significations et constitue alors un objet de recherche infini pour Alain Schnapp.
Ces assemblages de pierre et autres matériaux ont souvent plus à nous dire que leur seule architecture. La ruine ne peut se concevoir que selon le regard que l’on porte sur elles souligne Alain Schnapp, et l’exemple des pyramides d’Égypte ou des alignements de Stonehenge, indépendamment de leur monumentalité, n’ont de sens qu’à partir du moment où il est encore possible de les interpréter. Les différents monuments étudiés dans cet ouvrage aux magnifiques illustrations provoquent chez ceux qui les regardent tout un réseau de dialogues plus ou moins étendus selon leur état. De la ruine aux décombres, en passant par les vestiges, ce sont ces voix si chères à Malraux qui demeurent alors plus ou moins audibles, et que l’historien et archéologue Alain Schnapp explore dans ces pages en de lumineux développements. Chaque époque révèle ainsi, selon le sort qu’elle réserve à ses ruines, son identité.
Du Néolithique jusqu’aux confins de la terre, cet ouvrage fait défiler ces témoignages, parfois fugaces, à peine lisibles ou au contraire monumentaux, en soulignant ce qu’ils ont encore à transmettre, un souvenir adressé aux temps présents et futurs. Ce dialogue avec les ruines donne lieu à des paradoxes saisissants comme pour cette première image d’une vue d’un temple d’Angkor enserré par les lianes d’un ficus plus géant que l’édifice, ou encore ces « Méditations sur les révolutions des empires » proposées par Volney en une prière laïque.
Cette belle aventure universelle des ruines ne pourra que combler le lecteur, tant pour sa science que sa poésie, un parcours sur le long terme qui suscitera à n’en pas douter à un questionnement quant à notre propre rapport aux ruines, et à celles que nous laisserons aux générations futures…

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« L'Antiquité retrouvée », 4e édition, revue et augmentée, de Jean-Claude Golvin, Aude Gros de Beler, Éditions Errance, 2020.

Le travail de Jean-Claude Golvin n’est plus à présenter, lui, ce talentueux architecte et directeur de recherche au CNRS qui a su majestueusement redonner vie de la plus belle manière qui soit à l’Antiquité grâce à ses aquarelles soignées. Il ne s’agit point là de vues d’artistes, plus ou moins romantiques, auquel le passé nous avait habitués. C’est en une véritable connaissance intime et scientifique du terrain – Jean-Claude Golvin a dirigé pendant dix ans le Centre franco-égyptien de Karnak – que son travail trouve ses sources. Alliant rigueur archéologique au talent de dessinateur, l’Antiquité reprend vie sous la plume aquarellée de l’auteur. Approfondissant le concept de « restitution », Jean-Claude Golvin souligne que proposer au XXIe siècle une image la plus fidèle possible du site de Delphes, du temple d’Amon à Karnak ou encore du Colisée de Rome ne peut se réaliser qu’à l’aide de sources fiables et nombreuses telles que des dessins, textes anciens, mosaïques et bas-reliefs, sans oublier les vestiges archéologiques parvenus jusqu’à nous.
C’est dans l’appréhension et le traitement de ces milliers de données, forcément parcellaires et souvent dispersées, que réside l’art de synthèse et de rigueur de l’auteur pour ces magnifiques dessins. Sans se perdre dans les méandres des ruelles de la Rome antique, Jean-Claude Golvin parvient cependant à en rendre la richesse. Et si les personnages n’apparaissent que très rarement, et en taille à peine visible, c’est pour mieux mettre en évidence la vie des édifices et des sites qui livrent un témoignage suffisamment évocateur du génie de ces civilisations.
« L’Antiquité retrouvée » mérite bien son titre en redonnant vie admirablement à une centaine de sites parmi les plus fameux de l’Antiquité sur près de trente siècles, de 2500 av. J.-C au Ve siècle de notre ère. Le talent de Jean-Claude Golvin, appuyé par les textes éclairants d’Aude Gros de Beler, réside assurément dans cette vision d’ensemble rendant immédiatement lisible la complexité de ces architectures antiques.
C’est un fabuleux voyage dans le temps et dans l’espace que nous offre ce passionnant ouvrage !
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Tout César - Discours, traités, correspondance et commentaires » Jules CÉSAR, Alessandro GARCEA (Traducteur, Directeur d'ouvrage), Collection Bouquins, Robert Laffont éditions, 2020.

Assurément cette dernière publication aux éditions Robert Laffont fera date en langue française car, étonnamment, il n’était pas possible jusqu’à présent de disposer en édition bilingue de tous les écrits de l’un des plus grands stratèges et personnalité politique de l’Antiquité, Jules César.
On oublie trop souvent qu’en plus d’avoir été le conquérant de la Gaule et d’une grande partie du monde méditerranéen, à l’image de son illustre prédécesseur Alexandre le Grand, Jules César fut également un historien dont les écrits sont également passés à la postérité. Et, c’est justement l’objet de ce volume de la prestigieuse collection Bouquins que de rassembler en 960 pages l’intégralité des écrits de Jules César, et ce, en version bilingue latin et français.
Le lecteur sous la conduite éclairée d’Alessandro Garcea, grand spécialiste de la littérature latine, aura grand intérêt de débuter sa lecture par l’éclairante introduction résumant en une vingtaine de pages les grands traits de celui qui atteint non seulement la magistrature suprême au sommet de l’État, mais eu également l’intuition d’en dépasser les limites. La politique de la ratio anime en effet l’action de Caius Iulius Caesar, né le 12 juillet 100 av. J.-C. d’une famille d’ancienne noblesse. Curieusement, son action sera largement critiquée par des auteurs latins tels Tite-Live, Plutarque, Suétone ou encore Dion Cassius. La personnalité et l’ampleur de l’action de ce personnage hors-norme ne pouvaient, en effet, que susciter l’inquiétude de ses contemporains à l’encontre de celui qui bouleversera non seulement les frontières de l’Empire romain, mais également ses structures politiques et culturelles. Contrairement à l’image laissée par ses détracteurs, César eut aussi à cœur d’ouvrir la connaissance au plus grand nombre et non plus à une seule élite, faisant de Rome un grand centre intellectuel, nous sommes loin de l’image moderne – et trompeuse – d’un dictateur.
Ce vaste ensemble réunit, enfin, les Commentaires, extraits des discours, traités et correspondance conservés par les Anciens. Le lecteur pourra bien sûr goûter aux charmes intrinsèques de la « Guerre des Gaules » dépassant en ampleur les plus grandes fresques du cinéma hollywoodien, mais surtout y découvrira la dimension littéraire de celui qui ne fut pas qu’un stratège politique et militaire, en un parallèle saisissant avec le général de Gaulle.
La traduction d’Alessandro Garcea met en évidence ce style césarien qui transcende les formules historiques pour atteindre un genre révélant une éthique et une rigueur à la source d’une éloquence stylistique remarquable, ainsi qu’en témoigne cette belle édition.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

"Aux origines, l’archéologie - Une science au cœur des grands débats de notre temps" de Jean-Paul DEMOULE, La Découverte, 2020.

Jean-Paul Demoule offre avec ce dernier essai une porte d’entrée idéale et accessible au monde à la fois circonscris mais aussi ouvert de l’archéologie. Circonscris, car l’archéologie est de nos jours une science aux frontières bien précises et aux méthodologies rigoureuses et éprouvées, loin des approximations des siècles précédents. Ouvert également par son champ d’investigation considérablement vaste, étendu à l’exploration et compréhension de notre passé et des sociétés qui l’ont caractérisé.
Archéologue réputé, ancien président de l’INRAP et professeur à la Sorbonne, Jean-Paul Demoule milite depuis longtemps pour que sa discipline soit comprise par le plus grand nombre grâce à des publications et interventions toujours saluées pour leur pédagogie et leur engagement. C’est cette même implication qui se trouve au cœur de cet essai passionnant qui intéressera non seulement les puristes de la discipline, mais aussi par son propos élargit un vaste public cultivé qui appréciera cette mise en relation avec les nombreuses problématiques sociétales, y compris idéologiques. Le sous-titre de ce livre s’avère d’ailleurs des plus évocateurs : « une science au cœur des grands débats de notre temps ».
Dès l’introduction, Jean-Paul souligne cette double fonction de l’archéologie : scientifique et idéologique. Alors que la théologie n’est plus guère présente que dans les Séminaires et Instituts spécialisés, l’archéologie a été convoquée – souvent même manipulée – à des fins idéologiques et rhétoriques pour mieux justifier tel passé ou telle « identité nationale »… L’auteur, dans un premier temps, s’attache à cette absence de neutralité axiologique manifeste à certains stades de l’archéologie lorsqu’il s’est agi de « manipuler » l’histoire notamment en France avec l’identité nationale, les fameux Gaulois et autres invasions barbares intéressant certains présidents de la République et responsables politiques. À l’image de certaines sciences dures telles la génétique et la médecine qui en d’autres situations plus tragiques ont pu être « manipulées » par des régimes iniques afin de justifier l’idée de race et d’inégalité entre elles, l’archéologie peut également servir des desseins moins nobles que la seule connaissance, ainsi qu’il ressort des nombreux exemples détaillés rapportés par l’auteur.
Jean-Paul Demoule élargit son propos également au-delà de nos frontières nationales, en soulignant combien sa discipline peut se trouver déviée de sa mission première par des idéologies ultralibérales mettant souvent en péril non seulement une archéologie préventive manquant la plupart de moyens financiers, mais menaçant également la préservation d’un patrimoine fragilisé par des enjeux qui la dépassent tel qu’il ressort de cet essai vif et engagé.
Mais, il n’est pas trop tard pour être optimiste, conclut cependant Jean-Paul Demoule. Et tel est bien le grand mérite de cet ouvrage, soulignant et alertant pour mieux prévenir et enrayer les mauvais usages faits de l’archéologie.
Art, Culture, Essais...


« Yao Jui-Chung » par Sophie McIntyre ; Version anglais, 192 ill. couleur et 27 n&blc, 30 x 24 cm, Editions Scheidegger & Spiess, 2023.

C’est une belle monographie consacrée à l’artiste taïwanais Yao Jui-Chung que nous proposent les éditions Scheidegger and Speiss. Artiste aux multiples expressions, mais aussi écrivain et conservateur, Yao Jui-Chung a su s’imposer sur la scène internationale de l’art contemporain et de la photographie ; pionnier dans tous les domaines, que cela soit la photographie, la peinture ou encore les multiples installations, Yao Jui Chung est devenu un artiste incontournable et indissociable de son pays dont la renommée n’est plus à faire.
Dans son format allongé, l’ouvrage propose sous la direction de Sophie Mcintyre, spécialiste de l’art taïwanais, une riche mise en perceptive sur les trois dernières décennies de la carrière et de l’œuvre de l’artiste. Avec plus de 200 illustrations et reproductions, le lecteur y retrouvera les œuvres peintes réalisées par Yao Jui-Chung de 2007 à 2022, mais aussi son œuvre photographique et visuelle pour la période 2000-2020, ainsi que nombre de ses expositions.
Des œuvres qui retiennent immédiatement l’intérêt tant par leur singularité que par leur engagement. Monde sociétal, politique, historique et religieux jalonnent dans un esprit libre et critique l’ensemble de l’évolution artistique de Yao Jui-Chung. Que ce soit dans son œuvre en noir et blanc, ou dans celle aux couleurs luxuriantes, le regard ne cesse d’être surpris par tant de diversité et de créativité. La dérision y est omniprésente et s’invite dans une créativité aussi bien tournée vers le présent, le politique et la société que vers le passé, la religion et les mythologies ou encore un « pré-apocalyptique futur »… un regard artistique que le lecteur retrouvera développé dans l’entretien de Yao Jui-Chung avec le critique d’art et directeur artistique du MAXXI à Rome, Hou Hanru.
Un ouvrage qui ouvrira bien des horizons.
 

« Rochus Lussi - Dûnne Haut thin skin » ; Relié, 400 p., 410 ill. couleurs et 34 en N&Blc, 21 x 26.5 cm, Version anglais/allemand, Editions Scheidegger & Spiess, 2023.

C’est un fort et très bel ouvrage que les éditions Scheidegger et Spiess consacrent à l’artiste suisse Rochus Lussi. Une œuvre singulière, ouverte, tournée vers l’humain sous toutes ses formes, de la vie à la mort pourrait-on dire. Certes, si quelques œuvres ou installations sont consacrées au règne animal, l’angle de frappe de cet artiste, né en 1965, réside dans la captation de l’humain, de l’existence de l'humain en tant qu’animal grégaire ; L’humain, l’homme, la femme, l’enfant ou le nourrisson pris dans les mailles de l’existence avec ses congénères. Avec une sensibilité à fleur de peau propre à l’artiste, ces œuvres, sculptures, dessins, installations extérieures ou intérieures ne sauraient laisser indifférents. Y sont perceptibles tout autant la solitude, les faiblesses, les désorientations, le mimétisme ou formatage, mais aussi la singularité de ce qui fait l’humain. Personnages en série, visages vides, déshumanisés, mais également divisés, écartelés, la mort y côtoyant la vie, la survie ou l’absence…
Évoluant au fil du temps, Rochus Lussi questionne, interroge, scrute plus que le spectateur ne le questionne. C’est un beau parcours ou voyage au sein d’une œuvre de plus de trente années qui mérite amplement d’être connue que nous propose cette belle monographie appuyée par de riches contributions et analyses consacrée à Rochus Lussi.
 

« Monet en pleine lumière » ; Collectif sous la direction de Marianne Mathieu, Éditions Hazan, 2023.

Accompagnant l’exposition du Grimaldi Forum Monaco, l’ouvrage « Monet en pleine lumière » a souhaité célébrer le père de l’Impressionnisme sous la lumière du fameux rocher de Monaco et de la non moins renommée Riviera lors de son premier séjour, il y a 140 ans. Et quel plaisir jamais tari de retrouver Claude Monet dans cette période essentielle des années 1880 de sa longue carrière, une trajectoire infaillible retracée également en ces pages et offrant au lecteur une belle mise en perspective… Mais, ce sont surtout les jeux de lumière, de bleus et d’azur, ces ambiances à nulles autres pareilles de la Riviera qui retiendront l’attention. Loin déjà de la lumière des plages de Deauville, de Trouville ou des bords de Seine, loin encore des effets si magiques de Giverny, ces toiles des années 1880, quelques peu moins connues, imposent pourtant leurs charmes, beauté et caractères… Sous la direction de Marianne Mathieu, les œuvres de Monet de cette période se laissent, en effet, pleinement apprécier ; des œuvres, en ces pages, appuyées par de riches contributions, des documents d’archives ou encore des photographies d’époque. De Monaco à Antibes en passant par Bordighera, Dolceacqua ou encore Cap Martin, c’est un voyage en compagnie de « Monet en pleine lumière » auquel nous convie ce bel et riche ouvrage.
 

« Tiziano 1508. Agli esordi di una luminosa carriera » ; Catalogue de l’exposition Venezia, Gallerie dell’Accademia, sous la direction de Roberta Battaglia, Sarah Ferrari et Antonio Mazzotta, (italien), Editions Mandragora, 2023.

La Gallerie dell’Accademia de Venise consacre au peintre Le Titien une exposition majeure quant à ses œuvres de jeunesse. Le catalogue de cet évènement publié aux éditions Mandragora permettra de se faire une idée de l’importance de cet angle original retenu par Sarah Ferrari, Antonio Mazzotta et Roberta Battaglia à partir de l’œuvre emblématique du peintre « l’archange Raphaël et Tobie » datant de 1508, une peinture déterminante pour la suite du brillant parcours de l’artiste.
Ces quelques années du début du XVIe siècle à Venise font ainsi l’objet d’analyses approfondies dans ce catalogue en écho avec l’exposition, renouvelant le regard porté sur le jeune Tiziano par le filtre de 17 œuvres autographes confrontées à celles de ses contemporains tels son maître Giorgione, mais aussi Sebastiano del Piombo, Francesco Vecellio ou encore Albrecht Dürer.
Ainsi que le soulignent les riches contributions réunies dans ce catalogue, l’an 1508 marque assurément le point de départ de la carrière publique de Titien qui le conduira en quelques années seulement à devenir le peintre officiel de la Sérénissime. L’analyse des œuvres de jeunesse, la décoration du Fondaco dei Tedeschi, les pérégrinations du jeune Titien entre Venise, Ferrare et Padoue sont ainsi étudiées en début d’ouvrage avant de proposer au lecteur des analyses des œuvres majeures présentées de l’artiste, telles la Nativité, le Triomphe du Christ, la Madonna con il Bambino ou encore Judith avec la tête d’Holopherne.
 

« L’automne par les grands maîtres de l’estampe japonaise » réalisé par Anne Sefriou ; Coll. « Chefs-d’œuvre de l’estampe japonaise », 17.2 x 24.6 cm, Editions Hazan, 2023.

Les éditions Hazan célèbrent les saisons avec les grands maîtres de l’estampe japonaise. L’ouvrage consacré à « L’Automne » offre particulièrement un plaisir inégalé ! Avec son coffret et sa reliure en accordéon, celui-ci livre en effet par le prisme de soixante œuvres signées des plus grands maîtres japonais, non seulement toutes les couleurs chatoyantes de l’automne, mais aussi toute la poésie et symbolique extrême-orientales attachées à cette saison à nulle autre pareille. Les plus grands maîtres de l’estampe, Hokusai, Hiroshige, mais aussi Hasui ou encore Harunobu, signent ces estampes uniques où les couleurs et les « Rafales d’automne », pour reprendre un titre de Sôseki, nous entraînent en une rêverie infinie… Lorsque les érables se parent de rouge ou de jaune, lorsque les kimonos des jeunes femmes se teintent des couleurs des chrysanthèmes et que le vent d’octobre fait ployer les bambous… C’est toute la poésie des songes d’automne que le lecteur retrouvera dans ces pages aux soixante estampes… L’ouvrage est accompagné d’un livret explicatif réalisé par Anne Sefriou, auteur de nombreux livres d’art notamment consacrés au domaine des estampes japonaises.
 

PAOLO PORTOGHESI Sguardo, parole, fotografie edizioni dell’Accademia Nazionale di San Luca, 2023.


Le catalogue officiel de l’exposition à l'Accademia Nazionale di San Luca sous la direction de Francesco Cellini et Laura Bertolaccini permet de découvrir et d’apprécier les liens intimes qu’entretenait Paolo Portoghesi, grand architecte italien disparu en mai 2023, théoricien et professeur d'architecture de l'université La Sapienza de Rome, avec la culture architecturale internationale, et plus précisément ici son admiration pour le grand architecte baroque Francesco Borromini dont il était l’un des éminents spécialistes.
Dès son plus jeune âge, Portoghesi a en effet exploré par ses photographies en noir et blanc - dont 72 sont reproduites dans l’exposition et le catalogue - l’œuvre de Borromini en une passionnante enquête critique. C’est dans les années 60 que Portoghesi débute cette vaste exploration en un nombre impressionnant de clichés à travers de multiples lieux emblématiques tels Sant'Ivo alla Sapienza, San Carlo alle Quattro Fontane, San Giovanni in Laterano, la Casa dei Filippini, Sant'Agnese in Agone, Palazzo Falconieri, le Collegio di Propaganda Fide ou encore l’église de Sant'Andrea delle Fratte…
Avec des appareils Rolleiflex ou Hasselblad tenus à la main sans trépied, Portoghesi sut saisir des angles inédits qui étonnent encore de nos jours ainsi qu’il ressort des pages de ce catalogue avec ces contrastes lumineux accentués par les jeux d’ombre. Dans cet ouvrage richement illustré par ces photographies extraordinaires, le lecteur pourra également découvrir l’écriture de Portoghesi révélant toute la richesse de son vocabulaire et la magie opérée par le baroque de Borromini.
Une exploration dans l’univers fascinant de la pierre et de l’architecture baroque transfigurée par un de ses plus passionnants analystes !
(Exposition organisée par Francesco Cellini et Laura Bertolaccini, avec la collaboration de Maria Ercadi, sous le Haut Patronage du Président de la République italienne. Toutes les photographies et reproductions du livre Paolo Portoghesi de Francesco Borromini exposées ou publiées dans le catalogue ont été aimablement fournies par Giovanna Massobrio Portoghesi).
 

« All Under One Roof - Revolutionising Basel’s Military Barracks” sous la direction de Claudia Mion ; 22.5 x 33 cm, 224 p.; 181 illus. couleur et 50 b/w; Version Allemand / Anglais, Editions Park Books, 2023.

Les éditions Park Books livrent avec « Die Revolutionierung der Basler Kaserne » ou « All Under One Roof - Revolutionising Basel’s Military Barracks » une étude complète de la récente reconversion de la caserne militaire de Bâle sur les rives du Rhin par le jeune cabinet d’architectes bâlois Focketyn del Rio.
Appuyé par une vaste iconographie, l’ouvrage offre en effet une riche analyse de cette réhabilitation de l’ancienne caserne de Bâle en un centre culturel dynamique et vivant. Achevé en 2022, le kHaus propose aujourd’hui plus de 3 000 m2 qui ont ainsi été aménagés en salle de théâtre, espaces et salles de travail... Une reconversion décidée il y a une dizaine d’années, en 2013 précisément, et menée sous l’élan créatif et dynamique de jeunes architectes, ceux du Focketyn del Rio Studio à Bâle, ce jeune cabinet d’architecture ayant en effet remporté le concours pour cette réhabilitation en 2013, soit tout juste six mois après son ouverture !
Le lecteur pourra par cet ouvrage au format idéalement allongé découvrir l’ensemble du process année après année de cette vaste et belle réalisation architecturale ; Plans d’études, plans extérieurs et plans intérieurs étage par étage, étapes de réhabilitation, photographies et interviews rythment les différents chapitres de cette féconde étude.
Aujourd’hui, parfaitement intégrée à la ville de Bâle, cette reconversion offre aussi une belle illustration de ce que peuvent apporter, bien au-delà de Bâle et du Rhin, les diverses réhabilitations urbaines. À ce titre, cette riche étude offre autant une fructueuse mise en valeur qu’une belle mise en perspective.
 

Didier Ben Loulou : « Judée », Éditions La Table ronde, 2023.

A la seule évocation du mot « Judée », la mémoire se libère avec ces paysages brulés par le soleil, ces peuples de la Bible, Ammonites, Edomites, Samaritains, pour certains disparus, d’autres encore présents, ayant tracé en lettres d’espérance une partie de son histoire… Ce sont ces déserts de Judée où l’ocre se dispute au beige, terre d’ombre, terre de Sienne que le photographe Didier Ben Loulou nous propose de parcourir avec ce dernier album dans lequel la vie, la mémoire, les angles et ces couleurs inimitables font la signature, aujourd’hui internationalement reconnue, du photographe.
La pierre omniprésente dans ces espaces comme dans l’œuvre artistique du photographe constitue le sceau du secret, celui qu’il appartient patiemment de comprendre pour mieux saisir le destin de tant de civilisations en ces terres. Un chemin en apparence esseulé, des graminées tendant leurs tiges vers le ciel comme des orants, des ciels chargés annonciateurs de présages, partout une végétation calcinée des attentes des hommes… Et pourtant, parfois, au détour d’un chemin, le photographe capte l’improbable couleur pourpre d’une tunique antique abandonnée, non partagée… Nombreux seront en effet les symboles laissés avec parcimonie par ces photographies inspirées de Didier Ben Loulou, telle cette grenade à la fois synonyme de fertilité et de charité dont les grains se dispersent aux quatre vents. Les éléments sont omniprésents dans ces pages parfois rudes et austères tels ce feu qui dévore les broussailles ou ce vent que l’on devine sur les ramures de ces vénérables oliviers.
La Judée ne fait pas que marquer le paysage mais cisèle aussi les corps de celles et ceux qui y vivent depuis l’aube des temps. Peaux craquelées de soleil, regards songeurs en pleine lumière, pieds momifiés par la terre. C’est une Judée habitée, vivante, que nous livre au regard le photographe, terre habitée d’hommes et de femmes, de chèvres, de nuages, du souffle du vent ; terre, surtout, de mémoire, cette mémoire des pierres, quête patiente et inlassable…
La Judée de Didier Ben Loulou transporte ses lecteurs plus loin encore que les vastes horizons car l’artiste nous propose par ses photographies un véritable voyage intérieur, quelques fruits sur l’étal d’une marchande, et partout cette vie qui se passe de discours…
 

« John Ruskin – Turner » ; Traduction et présentation de Philippe Blanchard, Coll. Studiolo, Éditions de L’Atelier contemporain, 2023.

Les passionnés d’art et de littérature, les amoureux de Proust et d’Oscar Wilde, savent combien sont d’une richesse aussi incomparable qu’intemporelle les écrits de John Ruskin (1819-1900) notamment ses écrits sur Turner. Mais comment retrouver ces derniers dans cette incommensurable somme que nous a léguée l’écrivain et critique d’art anglais, auteur des célèbres « The stones of Venice - Les Pierres de Venise » ? Aussi faut-il saluer cette heureuse initiative des éditions de l’Atelier contemporain d’avoir regroupé et agencé en un seul et même volume l’ensemble des écrits de Ruskin consacrés exclusivement à Joseph Mallord William Turner, l’un des plus grands artistes anglais du XIXe siècle avec John Constable.
Rappelons que Ruskin voua toute sa vie une passion sans faille pour le célèbre artiste anglais qu’il découvrit à l’âge de treize ans lorsqu’on lui offrit pour son anniversaire un livre de poèmes de Rogers principalement illustré par Turner. Une passion précoce qui fit de lui un collectionneur insatiable ; « Mes folies turnériennes » écrira Ruskin lui-même cinquante ans plus tard dans « Praeterita » ! Et comment ne pas le comprendre face à ces œuvres - dont une trentaine de reproductions jalonne ce « Studiolo » - reconnaissables entre toutes, mais si fugaces ou évanescentes qu’elles en demeurent pour le commun des mortels, au-delà de l’émotion visuelle, indescriptibles…
Dans cet ouvrage intitulé simplement « John Ruskin / Turner », le lecteur retrouvera avec ce plaisir toujours renouvelé, bien sûr, de larges passages issus des « Modern Painters – Les peintres modernes », cette somme majeure et unique que Ruskin entreprit initialement pour défendre l’artiste et qu’il n’aura de cesse de compléter, de parachever sa vie durant, mais le lecteur découvrira aussi des textes moins connus, extraits d’essais ou de catalogues également consacrés au peintre. À noter que chaque chapitre, texte ou extrait est introduit, présenté et replacé dans son contexte par Philippe Blanchard préfacier et traducteur des écrits de Ruskin pour cette édition. Agencés, selon un ordre choisi, judicieux, le lecteur percevra ainsi au travers des thèmes de prédilection de Ruskin, la vérité, la nature, l’imitation, le paysage, la mer et les bateaux…, cette spécificité, subtilité et sensibilité qui ont fait le génie du célèbre peintre, aquarelliste, dessinateur et graveur anglais, J.M.W. Turner.
Ruskin, lui-même très bon dessinateur, partagea bien des points communs avec Turner : outre leur goût pour les voyages, tous deux présentaient surtout une curiosité insatiable doublée d’une acuité des plus aiguisées. Aussi n’est-il pas étonnant que le critique d’art ait si bien compris la sensibilité du célèbre peintre et qu’il demeure encore aujourd’hui incontestablement, ainsi que le souligne dans sa riche préface Philippe Blanchard, « la voie royale pour accéder à la peinture de Turner ».

L.B.K.

 

« 300 Femmes peintres – Cinq siècles de femmes peintres » ; Collectif ; Préface de Rebecca Morrill, Simon Hunegs et Maia Murphy ; Editions Phaidon, 2022.

Les éditions Phaidon ont eu l’heureuse idée de regrouper en un seul et même volume pas moins de trois cents artistes peintres femmes ayant, chacune à leur manière, marqué l’histoire de l’art !
Couvrant cinq siècles et traversant plus de soixante pays à travers le monde, cet ouvrage demeure une somme unique. Alison M. Gingeras, écrivain, commissaire d’exposition et conservatrice que l’on ne présente plus, se réfère dans son introduction, bien sûr, pour appréhender le rôle et la place des femmes - que cela soit en littérature et surtout en art - à l’une des premières femmes de lettres Christine de Pizan au Moyen-âge ou encore plus proche de nous, au XXe siècle, à l’historienne de l’art Linda Nochlin, auteur notamment, en 1971, du fameux ouvrage « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? ».
Issue ou représentant des mouvements ou courants très divers, chaque artiste peintre est présentée en ces pages par un texte clair et concis et une œuvre majeure. On songe ainsi à Mary Cassatt, à Marie Laurencin, à Judith Leyster ou encore Frida Kahlo… Mais, le lecteur découvrira aussi aux côtés de ces femmes peintres célèbres, des artistes reconnues plus tardivement, voire peu connues ou injustement méconnues. Des femmes peintres d’hier qui nous disent par leurs œuvres et vie leur siècle, mais aussi des artistes contemporaines, d’ici ou de l’autre côté du globe, pour certaines à valeur montante et qui nous entrainent à regarder vers demain et l’avenir…
Pour plus de facilité, l’ouvrage a retenu un ordre alphabétique complété d’un glossaire par styles, mouvements et termes techniques. Le lecteur sera étonné en découvrant au fil des pages la diversité et créativité ayant animé ces femmes peintres d’hier et d’aujourd’hui, chacune ayant participé et contribué de par son origine, son époque et style à écrire l’extraordinaire histoire de la peinture.
 

« Soliloques d’un peintre » ; Édition établie et présentée par Christine Gouzi ; 16 x 20 cm, 1104 p., L’Atelier contemporain Éditions, 2022.

Véritable somme réunie par Christine Gouzi sur le peintre Georges Rouault (1871-1958), « Soliloques d’un peintre » prendra une place de choix dans la bibliographie consacrée à celui qui fut le contemporain de Matisse, Derain, Camoin et Manguin, ces « fauves » du Salon d’Automne de 1905. Ce mouvement nommé fauvisme marquera en effet les esprits en ce début du XXe siècle en donnant la primauté à la couleur sur le dessin. Artiste complet, peintre, dessinateur, céramiste, graveur, illustrateur, Rouault sut également tenir une plume et a laissé une production littéraire souvent méconnue que cet ouvrage réunit de manière exhaustive avec ces 1104 pages.
Celui qui avait un faible pour les laissés pour compte, les gens du cirque, sans oublier l’univers sacré, a en effet livré de nombreux témoignages sur ses contemporains ; Gustave Moreau, bien entendu qui fut son maître à l’École des Beaux-Arts, mais également Léon Bloy, Suarès, Huysmans. Théoricien de l’art mais aussi poète, cet artiste fut décidément doué en de multiples disciplines où la sagacité de son regard savait dépasser les lieux communs.
Christine Gouzi, avec la collaboration d’Anne-Marie Agulhon, a accompli pour cette parution inédite un travail de titan en réunissant l’ensemble de ces articles pour la plupart d’entre eux dispersés et couvrant une période allant de 1896 à 1958. C’est une véritable « rage d’écrire » qu’évoque Christine Gouzi en introduction rappelant que Georges Rouault tenait l’écriture pour une nécessité presque aussi grande que la peinture, ce qui laisse une petite idée de la place occupée par cette nécessité vitale.
Écrivant la plupart du temps la nuit alors qu’il était insomniaque, le peintre cherchait ainsi à apaiser ses craintes et doutes grâce à cette écriture cathartique. Laissant ses témoignages sur des papiers épars et de diverses natures, la production littéraire de Rouault n’a pas facilité le présent travail d’édition remarquablement réalisé. Replacés dans leur contexte, ces écrits, dont de nombreux inédits, témoignent de l’engagement protéiforme de cet homme épris d’absolu dont la poésie fut loin d’être la portion congrue.
Ces « Soliloques d’une peintre » devraient passionner toute personne éprise non seulement d’art, mais également de découvertes, telles celles qui animèrent toute sa vie cet esprit curieux et engagé que fut Georges Rouault.
 

Jean-Gabriel Causse : « L’étonnant pouvoir des couleurs », Flammarion, 2022.

L’influence des couleurs sur nos humeurs est aujourd’hui bien connue, mais en connaissons-nous pour autant tous les tenants et aboutissants ? C’est pour répondre à nos multiples interrogations en ce mystérieux domaine que Jean-Gabriel Causse nous livre analyses et découvertes les plus récentes dans ce passionnant ouvrage « L’étonnant pouvoir des couleurs » aux éditions Flammarion. L’auteur, designer, conseiller et membre du Comité Français de la Couleur, a fait choix de proposer une riche approche thématique allant de la relaxation à la mémorisation en passant par le marketing ou encore l’apprentissage... De captivants thèmes savamment développés souvent avec humour et confirmant « L’étonnant pouvoir des couleurs » sur nos comportements et perceptions. Couleurs et pharmacologie, couleurs et odorat, couleurs et vente en ligne sans oublier un chapitre entier consacré au choix des couleurs même. Alors violet, bleu ou orange ? Harmonie, énergie, calme ou liberté ? Eh ! Oui, « voir la vie en rose est une réalité scientifiquement prouvée » et « on travaille mieux dans la couleur » souligne Jean-Gabriel Causse.
Préalablement à ces thèmes, l’auteur nous invite à découvrir les couleurs, leur perception, leur nombre et température, sans oublier ces étranges illusions d’optique. Et même si les couleurs n’existent pas en tant que telles, mais par notre regard, que ce soit de A à Z ou en zapping, ce livre regorge d’informations et réflexions étonnantes, ludiques et instructives. Êtes-vous sûr que le rouge soit une couleur chaude ? Et sommes-nous réellement plus forts habillés en rouge ? Et le vert n’est-il pas étonnamment la couleur la plus légère ?
Plus de 200 pages, un sommaire riche de plus 40 thèmes pour un captivant ouvrage assurément haut en couleur… De quoi répondre à plus d’une interrogation et bien plus encore !
 

« Top secret – cinéma & Espionnage » sous la direction de Matthieu Orléan et Alexandra Midal, 288 p., 176 x 242 mm, Broché, La Cinémathèque française / Flammarion, 2022.

Passionné et passionnées d’espionnage et du 7e art, cet ouvrage est pour vous ! Innombrables sont, en effet, les films traitant de ce thème porteur qui ont su réunir non seulement un nombre d’acteurs ahurissant depuis le cinéma muet et noir et blanc jusqu’à nos jours mais également, de l’autre côté de la toile, un nombre non moins croissant d’amateurs du genre… Fort de ce constat, cette publication qui constitue le catalogue de l’exposition se tenant actuellement à la Cinémathèque française jusqu’en mai 2023 transportera le lecteur dans les coulisses de ces films où agents secrets, agents doubles et parfois même triples redoublent de sagacité pour tromper l’ennemi et parvenir à recueillir les informations convoitées par les puissances pour lesquelles ils travaillent en service commandé.
La palette du genre apparaîtra impressionnante en lisant ce catalogue plus que complet et réunissant des textes passionnants signés notamment de Pauline Blistène, de Luc Boltanski, Bernard Eisenschitz et bien d’autres encore. « Top Secret » explore ainsi cet univers bien particulier qui possède ses propres codes, parfois totalement fantaisistes au gré des scénaristes, d’autres fois calqués sur la réalité. Impressionnante est la liste des réalisateurs prestigieux qui se sont laissés convaincre par ce genre, parfois considéré à tort comme mineur, Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Kathryn Bigelow, Brian De Palma, John Huston ou Laura Poitras feront la preuve grâce à leur art du contraire à travers des films de légende.
À souligner enfin que ce catalogue à l’iconographie remarquable a retenu fort à propos la forme d’un abécédaire avec des interviews inédites de cinéastes et d’acteurs, des textes témoignant de la diversité de ces films selon la situation géopolitique qui les a vus naître. Véritable bible du film d’espionnage, « Top Secret » figurera assurément en bonne place dans toute bibliothèque de cinéphile !
 

« Dear to Me - Peter Zumthor in Conversation” ; Edited by Peter Zumthor, 18 booklets in slipcase, 444 pages, 9 color illustrations, 12.5 x 21 cm, Editions Scheidegger & Spiess, 2021.

Une importante exposition réalisée en 2017 intitulée « Dear to me » et organisée par le célèbre architecte suisse Peter Zumthor a donné lieu à l’édition de cet exceptionnel ouvrage publié par les éditions Scheidegger & Spiess. Exceptionnel quant à la qualité tout d’abord des personnes qui y ont concouru puisque Peter Zumthor a su s’entourer de personnalités aussi diverses qu’avec Anita Albus, Aleida Assmann, Marcel Beyer, Hélène Binet, Hannes Böhringer, Renate Breuss, Claudia Comte, Bice Curiger, Esther Kinsky, Ralf Konersmann, Walter Lietha, Olga Neuwirth, Rebecca Saunders, Karl Schlögel, Martin Seel, Rudolf Walli et Wim Wenders… Cette profusion artistique a ainsi nourri cet ouvrage lui-même original quant à sa forme avec pas moins de dix-sept livrets ou conversations réunies, ici, en un luxueux boitier.
L’esthétique sobre et raffinée, enfin, qui préside à cette édition met idéalement en valeur la remarquable qualité de ces conversations qui ont été réunies convoquées, recueillies et rassemblées en ces pages par les soins de Peter Zumthor. C’est dans le cadre alpin de l’atelier du célèbre architecte que ces personnalités de tous horizons du monde de la culture sont venues débattre de thèmes aussi divers que la philosophie, le cinéma, la littérature, l’histoire, l’art, la photographie, etc. Ces dialogues révèlent ainsi les grandes approches contemporaines des arts avec comme fil directeur l’architecture reliant ces diverses disciplines. Les conversations libres et passionnantes stimulent l’esprit et la créativité, ce qu’avait souhaité avant tout le célèbre architecte pour ces rencontres dont le lecteur pourra retrouver l’essence en ces ballades intellectuelles fascinantes servies par une iconographie des plus inspirantes.
 

« Vita Nuova - Nouveaux enjeux de l’Art en Italie 1960 – 1975 », MAMAC Snoeck éditions, 2022.

La créativité de l’art italien de la deuxième partie du XXe siècle reste encore à explorer en France où elle demeure quelque peu méconnue. L’exposition qui vient de se tenir au musée d’Art moderne et d’Art contemporain (MAMAC) de Nice est venue avec bonheur y contribuer ainsi que le présent catalogue publié par les éditions SnoecK.
Deux décennies italiennes - du début des années 1960 jusqu’au milieu des années 70 - ont connu en effet une rare effervescence dans les arts qu’il s’agisse du cinéma, de la littérature, de la peinture sans oublier la photographie et bien d’autres arts encore dont les pages de cet ouvrage abondamment illustrées témoignent. Rome, Milan, Turin, Gênes sont autant de pôles créatifs ayant réuni en ces années foisonnantes de nombreux artistes qui tenteront, chacun à leur manière, de traduire les profondes mutations vécues par la société italienne à cette époque. L’industrialisation, les médias, la société de consommation opèrent en effet des changements radicaux – pour certains irréversibles - dans le quotidien des Italiens, ce que dénonça très tôt le grand intellectuel Pier Paolo Pasolini dans ses multiples créations. Les corps, la nature font ainsi l’objet d’une relecture d’un grand nombre de ces artistes qui proposeront de nouvelles approches tout autant dans la photographie que la peinture, et autres multiples installations qui tenteront d’appréhender ce modernisme envahissant.
Au-delà des instabilités politiques et sociales, ces créateurs persistent et ouvrent les portes de la modernité tels Giosetta Fioroni, Mario Schifani, Franco Angeli, etc. Cette vision pluridisciplinaire retenue par l’exposition et le catalogue qui l’accompagne rend parfaitement compte de cette complexité qui s’installe en ces années phares, complexité qui n’a pas fini d’entrelacer ses questionnements…
 

« Buchner Bründler—Buildings II » de Ludovic Balland, 528 pages, 295 color and 816 b/w illustrations and plans, 23 x 27 cm, Editions Park Books, 2022.

Les noms de Daniel Buchner et Andreas Bründler ont largement émergé dans le monde de l’architecture suisse depuis que ces deux créateurs bâlois ont eu l’heureuse idée de créer leur studio en 1997. Emblématique de la jeune génération suisse d’architecture, Buchner Bründler Architects a su rapidement se distinguer par d’impressionnantes créations, des créations à nulles autres pareilles présentées et commentées dans ce deuxième volume entièrement consacré à la décennie 2010-2020.
Une quinzaine de projets font ainsi l’objet d’une analyse détaillée dans ces pages aussi inspirantes qu’instructives et agrémentées de près de 1500 photographies, croquis, plans et visualisations. Qu’il s’agisse de nouvelles constructions ou de restaurations, le style Buchner Bründler se définit et s’impose, page après page, par ses concepts propres aux deux architectes de spiral of Infinity ou encore d’espaces virtuels posant de manière pertinente la question des rapports entretenus par toute construction avec son environnement.
Conçu à la manière d’un « cabinet de curiosités », ce fort volume concentre en ses pages toute l’étendue de la créativité des deux architectes, qu’elle s’exprime à petite échelle en des volumes réduits ou au contraire sur une large échelle en Suisse comme en Allemagne. Cette analyse est également complétée par l’étude d’une cinquantaine de projets non réalisés. Ces projets restés à l’état de plans offriront à n’en pas douter une source d’informations et d’inspiration à de nombreux architectes ainsi qu’à toute personne cherchant une voie originale et créative pour un projet de construction.
Enfin, ce beau livre sera assurément en tant que tel source d’inspiration et d’esthétique à l’image de cette métamorphose entreprise sur la Casa Mosogno en Suisse au cours des années 2014-2018.
Contributions de Tibor Joanelly, Urs Stahel, Franziska Schürch, Oliver Schneider et Ludovic Balland. Préface de Daniel Buchner et Andreas Bründler.
 

« Sumi-e » de Koike Shozo, Editions Nuinui, 2019.

Véritable bible de la peinture japonaise sumi-e, l’ouvrage consacré à cet art par le maître japonais Shozo Koike (qui vit en Italie où il dispense son art) s’avèrera incontournable à celles et ceux souhaitant s’initier à cette pratique picturale.
Épurée et allant à l’essentiel, la peinture sumi-e rejoint les sources du zen dans cet art minimaliste de l’évocation de la nature, faunes et autres objets du quotidien. Pratiquée avec seulement un pinceau, une pierre d’encre de Chine et du papier japonais, celle-ci se trouve en ces pages expliquée en termes clairs et didactiques par l’auteur qui n’hésite pas à en rappeler les étapes, planche après planche.
Quelques traits épurés évoquent spontanément une forêt de bambous sous la neige, un prunus en fleurs ou encore des montagnes éloignées en autant de sujets de cet art hérité de la Chine et de la dynastie Tang (618-907). Ce sont les moines bouddhistes zen japonais qui introduisirent cette pratique dans la culture de leur pays, et depuis à l’origine de merveilleuses créations. Tout est question de souffle et de posture mais aussi de tranquillité d’esprit, à l’image d’une méditation zazen. Une pression du bras en trop et le trait s’épaissit excessivement, à l’inverse un effleurement trop léger sera insuffisant pour suggérer le paysage souhaité.
Ce sont aux techniques de base de cet art subtil auquel nous convie cet ouvrage très pédagogique et agrémenté de nombreuses illustrations indispensables au pratiquant.
 

« L'Impressionnisme » de Valérie Mettais, Coffret l'essentiel, 18,4 x 25,7 cm,
192 pages, Éditions Hazan, 2022.


Le coffret « L’Impressionnisme » réalisé par Valérie Mettais est parvenu à concentrer en moins de 200 pages une belle synthèse aussi attractive que didactique de ce courant majeur de la peinture né dans le dernier tiers du XIXe siècle. Poursuivant la présentation originale de la collection en format « accordéon » associant une sélection de 55 œuvres majeures représentatives de l’art de l’impressionnisme, ce coffret est publié à l’occasion de l’exposition « Le décor impressionniste - Aux sources des Nymphéas » au musée de l’Orangerie.
Parvenant à évoquer les œuvres de personnalités aussi différentes que Monet et Renoir, Pissarro ou Degas, cet ouvrage toujours agréable à déplier permettra au lecteur de rapidement constater ce qui unit tous ces artistes épris de nature et de couleurs ; Une attraction commune pour la libération des formes et un désir partagé d’évoquer les sensations nées d’impressions au contact de la nature. Ce livre est complété par une notice sous la forme d’un cahier joint détaillant l’origine des œuvres et en rappelant les notions essentielles.
Un beau voyage sous la forme d’une exposition temporaire chez soi.
 

"Le bonheur dans la littérature et la peinture" de Pascal Dethurens ; 221 x 280 mm, 192 pages, Editions Hazan, 2022.

Vaste sujet que le bonheur ! Sujet fécond surtout lorsqu’il est recherché tant dans la littérature que dans la peinture… Une quête pleine de couleurs et de surprises dont s'est saisi Pascal Dethurens et qu’il nous fait partager avec cet attrayant catalogue paru aux éditions Hazan.
Le bonheur, cette notion qui a animé les philosophes dès la plus haute antiquité n’a, il est vrai, cessé d’inspirer aussi bien les artistes que les historiens, écrivains, romancier ou essayistes… C’est à cette quête croisée et belle aventure, tâche ardue, cependant, à laquelle s’est attaché Pascal Dethurens, professeur de littérature comparée et spécialiste des liens entre arts et littérature. Ce bel ouvrage servi par un long et riche texte et par une iconographie aussi inspirante qu’évocatrice transporte le lecteur dans ces liens ténus entre sentiment de plénitude prêté au bonheur et création en occident. Convoquant Marc Aurèle, Roger Caillois, Mircea Eliade... en regard de Matisse, Bonnard, Léger et tant d’autres, l’ouvrage s’égrène tel un sablier empli de sable précieux…
Instant rare et souvent fugace, le bonheur fait tour à tour l’objet d’adulation ou de méfiance selon les courants de pensée au fil des siècles. La subjectivité entre ainsi au cœur de cet état délicat proche, parfois, de la nostalgie. Réminiscences éparses d’instants précieux, états de plénitude face à l’immensité de la nature, émerveillements du quotidien le plus infime, chaque occasion – grande ou petite – peut ouvrir au bonheur ainsi qu’en témoignent les œuvres d’art et extraits d’œuvres littéraires réunis par l’auteur. Si le lecteur veut un exemple concret, qu’il s’attarde sur ce premier tableau reproduit dès les premières pages de l’ouvrage, une œuvre de Pierre Bonnard, peintre de l’hédonisme et qui parvient à saisir si justement ces quelques fractions d’éternité sur « La Terrasse à Vernonnet » en 1939, plénitude des couleurs et de la lumière dont « La fête de Saint-Nicolas » de Jan Sten à la page suivante constitue l’habile contrepoint avec cette adorable petite fille serrant sa poupée comme un trésor unique…
Bonheur d’aimer, plaisir des dieux, intimité ou extase, nature sublimée, plénitude spirituelle, tels sont quelque un des thèmes abordés dans cette réflexion délicatement menée par un auteur lui-même inspiré !
 

« Napoli – Super modern »; Sous la direction du LAN - Local Architecture Network, de Benoit Jallon, d’Umberto Napolitano et du Laboratoire R.A.A.R. ; 24 x 30 cm, 232 pages, Éditions Park Books, 2020.

Avis aux amoureux de l’Italie, Naples, et bien sûr, aux architectes, la parution aux éditions Park Books de ce riche ouvrage entièrement consacré à l’évolution architecturale moderne de Naples dans les années 1930 à 1960. Un angle de vue architectural rarement étudié et que cet ouvrage sous la direction de Benoît Jallon, associé fondateur du LAN (Local Architecture Network) à Paris et de Umberto Napolitano appartenant également au LAN, révèle avec autant de passion que de précisions.
Avec une iconographie exceptionnelle, notamment les photographies du célèbre photographe français Cyrille Weiner, cet ouvrage apporte bien des éclairages sur la construction moderne de cette ville italienne à nulle autre pareille. Ainsi si Umberto Napolitano revient sur la genèse de cette modernité, Cyril Weiner souligne la « Douce assimilation » de cette évolution architecturale des années 1930 à 1960. Avec ses nombreuses contributions, dont celles également de Manuel Orazi et de Guianluigi Freda, ses plans et détails architecturaux, c’est un regard et surtout une riche analyse que propose « Napoli – super modern » sur cet aspect moderne moins connu de cette métropole portuaire unique du sud de l’Italie.
Une féconde étude d’ensemble appuyée également par un « Atlas » de dix-huit bâtiments majeurs de Naples datant de 1930 à 1960 comportant plans, élévations et coupes notamment le fameux « Cube d’or » ou encore le Teatro Mediterraneo ; Un « Atlas » accompagné et éclairé par les textes d’Andréa Maglio qui signe également « Of a « Conciliatory » Modernity : Naples 1930-1960 ».
 

" Camées et intailles, l’art des pierres gravées " de Philippe Malgouyres, Hors série Découvertes, Gallimard / L’Ecole des Arts Joailliers, 2022.

A l’occasion de l’exposition consacrée à l’art des pierres gravées à L’École des Arts Joailliers de Paris, les éditions Gallimard publient sous la plume de Philippe Malgouyres une heureuse synthèse sur cet art trop souvent méconnu. La pratique de tailler une pierre précieuse ou semi-précieuse remonte à la plus haute antiquité et n’a cessé de gagner en raffinement depuis ainsi qu’en témoigne ce numéro Hors-série Découvertes abondamment illustré. L’auteur, conservateur en chef du patrimoine au département des objets d’art du musée du Louvre et spécialiste de la glyptique – art de graver les pierres – souligne combien ces pièces pour certaines exceptionnelles sont nées du dialogue entre la pierre et la main de l’homme. Relevant la difficulté quant à leur classement, souvent fantaisiste et moins rigoureux que pour les espèces vivantes, l’ouvrage rappelle combien ces imprécisions ont su nourrir une poésie certaine dont ces créations témoignent au fil des siècles. Depuis le IIIe millénaire av. J.-C., ces pierres provenant majoritairement d’Inde, feront l’objet de techniques, s’il en était besoin, le degré de maîtrise et d’excellence atteint par de nombreux graveurs. Rappelant les fonctions et usages de ces bijoux dès le Proche-Orient antique, ce petit ouvrage aux inoubliables photographies transportera le lecteur en un délicat voyage où poésie minérale et art ont su composer les plus belles créations.
 

« Johan Celsing – Buildings Texts » ; Sous la direction de Pamela Johnson avec les contributions de Claes Caldenby, Johan Celsing et Wilfried Wang ; Photographies de Ioana Marinescu ; Relié, Editions Park Books, 2021.

Johan Celsing a su s’imposer comme l’un des plus talentueux architectes suédois contemporains. Une telle monographie entièrement consacrée à Johan Celsing et à l’ensemble de son œuvre était donc vivement attendue. C’est aujourd’hui chose faite avec ce fort volume de plus de 400 pages « Johan Celsing – Buildings Texts » sous la direction de Pamela Johnson et publié aux éditions Park books.
Johan Celsing, né en 1955, a, en effet, travaillé sur des créations très diverses, allant de musées, bibliothèques, galeries, institutions publiques à des habitats privés, et même des églises ou lieux de prières. Au fil des pages de ce riche volume, le lecteur découvrira cependant une ligne directrice et une conception homogène que le grand architecte n’a eu de cesse de suivre. Il faut donc saluer cette belle et complète monographie réunissant l’ensemble des travaux de Johan Celsing, aujourd’hui directeur du Johan Celsing Architektkontor comprenant des studios basés à Stockholm et Malmö. Johan Celsing est également professeur d'architecture au KTH Royal Institute of Technology de Stockholm.
Appuyés par les photographies de Ioana Marinescu, plans, projets et réalisations – plus de 600 illustrations, se succèdent au grès des nombreuses contributions de ce fort beau volume dont celles de Claes Caldenby et de Wilfried Wang soulignant le caractère intemporel des créations de Johan Celsing. Le lecteur découvrira également des écrits passionnants signés de Johan Celsing lui-même. Une riche monographie incontournable qui devrait s’imposer en ouvrage de référence.
 

« L’Art en Mouvement ; Immersion dans le réseau de transport parisien » d’Anaël Pigeat ; Photographies de Philippe Garcia ; RATP / Éditions La Martinière, 2022.

Le métro parisien a fait entrer notamment ces dernières décennies l’art. Mais, connaît-on pour autant ces œuvres d’art qui jalonnent, ici ou là, les stations et couloirs de métro de la capitale ? A-t-on déjà pris le temps de les regarder et d’en connaître l’histoire ? C’est pour répondre à ces légitimes interrogations que la RATP en collaboration avec les éditions La Martinière viennent de publier « L’art en Mouvement », un attrayant ouvrage revenant sur une vingtaine d’œuvres présentes sur les lignes du métro d’Ile de France. Des œuvres d’art du passé, emblématiques, telles ces entrées de station dans le pur style Art nouveau signées Hector Guimard et encore tellement aimées de nos jours... Mais, aussi des œuvres proposant « Des dialogues avec la ville » d’artistes français et du monde entier ; on songe à Françoise Schein à la station Concorde, au Nautilus de François Schuiten pour la station des Arts et Métiers ou encore à Carlos Sarrabezollers à la station Richelieu-Drouot. Appuyé par les belles photographies de Philippe Garcia, chaque sous-chapitre consacré à un artiste revient sur plusieurs pages sur l’œuvre, sa genèse et son histoire. Indiquant station et lignes de métro, ces sont de véritables « Voyages intérieurs » et « Ouvertures sur le monde », des mondes à explorer, que livrent au regard ces œuvres d’art signées notamment Hugues Reip sur la ligne 4 ou les « Energies » de Pierre-Yves Trémois dans la gare d’échange du RER de Chatelet-Les Halles ou encore Philippe Baudelocque à la station du même nom.
Un séduisant ouvrage offrant une jolie et instructive immersion dans cette culture toute métropolitaine.
 

« Milan - Au coeur de la création contemporaine » de MARIE-ASTRID ROY ; Préface de Béatrice Trussardi, Tommaso Trin ; collection 10+100, Ateliers Henry Dougier, 2022.

La Collection 10+100 des Ateliers Henry Dougier accueille un nouveau titre consacré à la ville de Milan en Italie signé Marie-Astrid Roy. L’auteur, passionnée d’Italie et vivant dans la capitale lombarde, a décidé pour le plus grand bonheur des amoureux de la ville de la mode et de la culture de nous faire profiter de ses adresses et lieux incontournables à partir de 10 artistes et 100 lieux iconiques de son choix ainsi que le veut le titre de la collection.
Avec cet ouvrage passionnant et abordant autant de chemins de traverse que la ville peut en susciter, nous découvrons une autre Milan au fil de ses créateurs tels Stefano Boeri, Giacomo Moor, Anna Franceschini et bien d’autres encore ayant accepté de livrer leur témoignage sur la ville ; des visions non seulement d’artistes mais également de Milanaises et de Milanais d’adoption ou de naissance.
Fort de ces témoignages, le guide propose cinq parcours afin de (re)découvrir 100 lieux, pour certains emblématiques tel le Mudec, pour d’autres plus secrets notamment l’Armani/Silos… Dans tous les cas, c’est une autre ville qui s’ouvre au lecteur avec sa modernité et ses traditions cohabitant en une harmonie sans cesse revisitée, l’auteur sachant mieux que quiconque en faire partager la magie et nous donner l’envie de découvrir son charme et ses trésors qui pour certains remontent à la plus haute antiquité.
Un guide précieux à emporter sans faute avec soi pour son prochain voyage en Lombardie !
 

« Claude Monet – fragments d’une vie » de Gérard Poteau ; Relié, 16 x 22 cm, 200 pages, Éditions des Falaises, 2021.

Avec « Claude Monet - fragments d’une vie » Gérard Poteau nous invite à entrer dans l’intimité du Père de l’impressionnisme. L’ouvrage débute avec les quatre-vingts ans de cette stature hors du commun, dans sa demeure, à Giverny. Comment effectivement ne pas entrer dans l’intimité de Claude Monet sans évoquer cette demeure rose ? Giverny avec sa salle à manger jaune, sa cuisine bleue et surtout son jardin, ses ponts japonais et ses fameux nymphéas, aujourd’hui célébrés dans le monde entier.
Dans un style très agréable, Gérard Poteau– déjà auteur de récits biographiques, livre ici un intime portrait du peintre : Monet et « Camille et Alice » ses épouses, ses amis et rencontres. Illustré de toiles du maître, mais aussi par de nombreuses photographies, ce récit qui se veut entre biographie et roman s’appuie notamment sur la vaste correspondance de Claude Monet. Le lecteur retrouvera ainsi le peintre dans son atelier, dans son jardin dont il dessina les allées et choisit les essences et presque chaque fleur. On se surprend même à s’inviter à ce fameux « déjeuner » et « à attendre les deux coups de gong qui annoncent l’heure du repas chez les Monet »…
Une jolie immersion tant dans l’œuvre que la vie de l’un des plus grands peintres de l’histoire de l’art.
 

« Paul Signac – l’air du large » de Marina Ferretti Bocquillon ; Relié, 22 x 16.5 cm, 80 pages, Éditions des Falaises, 2021.

Dans le même esprit de jolies escapades, Marina Ferretti Bocquillon nous convie avec ce petit ouvrage à une croisière maritime au grès des toiles et marines de Paul Signac. L’auteur, spécialiste du célèbre peintre, responsable notamment des Archives Signac, sait combien ces thèmes, les ports, la mer et les bateaux ont été des thèmes chers à l’artiste. Un amour de la mer et des couleurs que Paul Signac néo-impressionniste chérira pour ses œuvres toute sa vie, de la Normandie à la Méditerranée, mais aussi la Bretagne ou encore l’Italie et Venise. Fécamp, Port-en-Bessin, Saint-Briac, Portrieux, Concarneau, Antibes ou Constantinople, chaque œuvre surprend par ses variations, ses transparences et jeux de lumière. Antibes sous un arc en ciel, Saint Tropez sous ou après l’orage… Ainsi que le souligne l’auteur : « Apôtre de la pureté des teintes, Paul Signac a dédié son existence à l’étude de la couleur ». Ce dernier signera d’ailleurs un essai et traité chromatiques aujourd’hui conservé aux Archives Signac. Se révèlent ainsi au regard, page après page, toile après toile, toute la subtilité et les variations, reflets et couleurs de la palette de Paul Signac que ce soit en qualité de peintre, d’aquarelliste ou dessinateur.
Un bel et agréable « Air du large » !
 

« Julie Manet – la Mémoire impressionniste » ; Catalogue de l’exposition éponyme - musée Marmottan Monet sous la direction de Marianne Mathieu ; Relié, 22 x 28.5 cm, 324 pages, 250 illust., Editions Hazan, 2021.

« La mémoire impressionniste » ! Quel plus joli et pertinent titre pouvait être retenu pour cette superbe et unique monographie consacrée à Julie Manet (1878-1966), catalogue accompagnant l’exposition éponyme actuellement au musée Marmottan Monet. Julie Manet se trouva en effet au centre même de ce fabuleux mouvement dénommé « l’impressionnisme » qui allait bouleverser l’histoire de l’art. Qu’on en juge ! Julie fut la fille unique de Berthe Morisot et seule nièce d’Édouard Manet, frère de son père Eugène Manet. Elle posera très tôt pour les plus grands peintres de Renoir aux peintres impressionnistes dont Monet ou encore Degas sans oublier, bien sûr, sa mère Berthe Morisot, avant de devenir elle-même une artiste accomplie et une collectionneuse avertie. « Julie rêveuse » ou « Julie Manet au chapeau liberty » peinte par sa mère, Berthe Morisot, en 1894 et 1895 ou par Pierre Auguste Renoir, « Julie Manet à la robe rose et au chapeau à fleurs de pommier » en 1899… « Un art naturel de la pose » que développe Dominique D’Arnoult.
L’ouvrage sous la direction de Marianne Mathieu retrace au travers de riches contributions la vie de cette figure incontournable de l’impressionnisme : son enfance, orpheline à treize ans, son mariage, mais aussi sa vie d’artiste et de femme. Julie Manet s’engagea à faire connaître les œuvres de sa mère et de son oncle. Elle voua un amour immodéré à l’art, et c’est avec passion qu’elle réunira une belle et vaste collection avec son mari Ernest Rouart, fils d’Henri Rouart. Son journal qu’elle tiendra de 1893 à 1899 révèle, ainsi que le souligne Claire Gooden dans sa contribution, une belle qualité de jugement. C’est cette vie faite de toiles, tableaux et de dessins que le lecteur découvrira en ces pages. Julie Manet sera, en effet, toute sa vie entourée des plus grands noms et œuvres de l’impressionnisme à commencer par sa mère, Berthe Morisot, première peintre impressionniste. Que de rencontres pour cette femme qui à la fin de vie, toute de noire vêtue, n’aura quasiment jamais quitté l’immeuble familial de la rue Villejuste ! Avec plus de trois cents pages, ce sont ces années et tournant de siècle que l’ouvrage traverse, livrant ainsi au lecteur mille et une facettes de Julie Manet.
Appuyé par une vaste iconographie, de nombreux documents et photographies pour nombre inédits, cet ouvrage offrant la première monographie dédiée à Julie Manet ne peut indéniablement que s’imposer au titre d’ouvrage de référence. Incontournable !
 

« Comment regarder un tableau » de Françoise Barbe-Gall, Éditions Chêne, 2021.

C’est un ouvrage fort utile, voire précieux, que signe Françoise Barbe-Gall aux éditions Chêne : « Comment regarder un tableau ». Qui, il est vrai, ne s’est jamais senti, un jour, dérouté devant une toile ? Or, partant du postulat que regarder et appréhender une œuvre s’apprend, que l’œil et le regard peuvent s’éduquer, l’auteur, historienne de l’art et enseignante, livre en ce fort volume didactique et passionnant de plus de 300 pages une multitude de clés pour mieux regarder et saisir un tableau. Une problématique que l’auteur connaît mieux que quiconque puisque cette dernière a fondé l’association CO.RE.TA , comprenez « COmment REgarder un TAbleau », pour laquelle elle assure et donne de nombreuses conférences.
Françoise Barbe-Gall a en effet à cœur de transmettre et de rendre accessibles ces clés de lecture permettant à tout un chacun d’aiguiser à son rythme et selon ses expériences son regard. Car « apprendre à regarder un tableau suppose, avant toute chose, que l’on veuille bien, littéralement, en croire ses yeux. » souligne l’auteur. C’est cette expérience aussi féconde qu’indispensable que nous livre ainsi l’historienne de l’art dans ce captivant ouvrage. Appuyé par une riche iconographie, l’ouvrage propose, en effet, une progression réfléchie en six chapitres allant d’« Une simple réalité » à « La douceur d’un tableau » en passant par « Les déformations du visible » ou encore « La confusion des apparences ».
L’auteur n’entend pas cependant, en ces pages, bannir nos impressions premières, mais bien à partir de ces dernières nous apprendre à saisir pleinement le sens d’une œuvre, notamment « Deviner ce qui n’est pas dit », « renoncer aux évidences » ou encore « Prendre le temps de se tromper »... Pour cela, sur le fondement de plus de 40 tableaux et artistes majeurs de l’histoire de l’art (Giotto, Botticelli, Raphaël, mais aussi Bacon, Soulages ou Rothko, etc.), l’ouvrage livre une analyse claire et pédagogique de chaque œuvre allant d’une vision d’ensemble à l’étude des détails signifiants, offrant ainsi au lecteur une fructueuse mise en perspective didactique ou une clé de lecture, tel que « Découvrir l’essence d’un caractère », « Voir naître la lumière » ou « Apprendre l’attente »…
À ces thèmes-clés d’étude, viennent s’ajouter en correspondance pour chaque point abordé 42 pages de « Post-scriptum » comprenant repères et tableaux chronologiques, historiques ou culturels permettant au lecteur curieux d’aller plus loin et d’aiguiser plus encore son regard.
Un ouvrage aussi riche que plaisant pour accompagner ses escapades culturelles.
 

« Impressionnisme ; De Giverny à la Norvège » de Hayley Edwards Dujardin, Collection «Ça, c’est de l’art », éditions Chêne, 2021.

Pour une approche toujours plaisante et surprenante, il faut retenir dans la fameuse collection « Ça, c’est de l’art » l’ouvrage « Impressionnisme ; De Giverny à la Norvège. » d’Hayley Edwards Dujardin aux éditions Chêne. Un ouvrage didactique relevant le défi de présenter en 40 notices les plus grands peintres et œuvres de l’impressionnisme tout en offrant au lecteur bien des surprises et étonnements. Hayley Edwards Dujardin, historienne de l’art et de la mode, sait en effet plus que tout autre surprendre et capter la curiosité. Anecdotes, détails, repère chronologique foisonnent à chaque page faisant ainsi revivre l’un des plus grands mouvements artistiques de l’histoire de la peinture. Sait-on par exemple que Pissarro sera le seul impressionniste à participer aux huit expositions des impressionnistes ? En revanche, Manet, bien que désigné par ces derniers de chef de file, ne se considérait pas impressionniste et ne participera pour sa part à aucune de leurs expositions…
Des incontournables aux plus inattendus, les thèmes privilégiés (les meules, la plage, les cathédrales, etc.), les lieux (Giverny, La Montagne Sainte-Geneviève, La Ciotat, etc.) et œuvres majeures défilent délivrant à chaque page leurs secrets, précisions historiques, influences ou clins d’œil. Ainsi si l’on retrouve en fin d’ouvrage, en 1895, Monet en Norvège, le lecteur pourra aussi dans ces rendez-vous inattendus croiser dans la « Loge aux Italiens » Eva Gonzalès ou encore à la « Gallery of HMS Calcutta » Jacques Joseph devenu James Tissot…
On découvre ou redécouvre, l’œil s’enchante devant cette incroyable lumière à nulle autre pareille, ces couleurs et impressions qui ont fait de ce fantastique mouvement nommé impressionnisme, au-delà du foisonnement des individualités, l’un des courants majeurs de l’histoire de l’art.
 

« Rouge : de Pompéi à Rothko » de Hayley-Jane Edwards-Dujardin, collection « Ça, C'est de L'art », Chêne éditions, 2021.

Avec ce dernier ouvrage paru aux éditions Chêne, Harley Edwards-Dujardin enquête sur l’une des couleurs les plus anciennes, le rouge. Une couleur associée aux premières représentations de l’homme sur les parois des grottes.
Selon une formule déjà classique pour cette collection, grâce à 40 notices, l’auteur retrace le parcours pour le moins singulier de cette couleur la plus éclatante et repérable qui soit. Couleur des passions et des extrêmes, elle fut l’apanage des empereurs romains à partir de la pourpre obtenue à partir d’un coquillage, le précieux murex, tout comme celle des prostituées, un destin décidément à part… Rares sont les artistes à n’avoir pas succombé à ses charmes, qu’il s’agisse des décorateurs des villas pompéiennes ou, plus proche de nous, Rothko. Ses nuances ont laissé des noms poétiques, pourpre, garance, sépia, ocre, cinabre… Son aire géographique couvre le Nouveau comme l’Ancien Monde, les divers continents ayant rapidement perçu ses richesses et promesses. Neuf nuances de rouge sont en ces pages rappelées : écarlate, magenta, vermillon, bordeaux, tomate, garance, carmin, ocre rouge, et bien sûr le pourpre.
L’ouvrage abondamment illustré débute par les fameuses mains de Cueva de las Manos en Patagonie qui transporteront le lecteur instantanément 11 000 ans av. J.-C. ! Les belles coupes antiques de la Grèce au VIe siècle av. J.-C. témoignent quant à elles de la virtuosité des artistes athéniens avec ces figures rouges sur fond noir. La peinture plus proche de nous est également abondamment illustrée dans ces pages avec Van Eyck, Van der Weyden, le Titien, Bronzino, ainsi que Georges de La Tour, fameux pour ses rouges flamboyants.
Pour chaque artiste, une double page présente l’œuvre retenue, une synthèse complète ainsi que quelques anecdotes toujours instructives et attrayantes, faisant de cet ouvrage une passionnante aventure dans le monde des couleurs.
 

"Les Nymphéas de Claude Monet" de Cécile Debray, Collection Beaux Arts, 218 x 312 mm, 208 p., Éditions Hazan, 2020.

Porte incontournable afin d’entrer dans l’univers de la création de Claude Monet, les nymphéas – plus communément nommés nénuphars – semblent à la fois familiers et pourtant si complexes sous le regard du père de l’impressionnisme. Cécile Debray s’est attachée à ce monument de la peinture en partenariat avec le musée de l’Orangerie où se trouve conservée la remarquable collection de Nymphéas de Monet. C’est à une vision d’ensemble de ce cycle auquel convie cet ouvrage passionnant qui bénéficie d’une iconographie tout spécialement réalisée à cette occasion. Par un savant jeu d’agrandissements, le regard entre littéralement dans l’intimité de la composition grâce au saisissant travail de Fanette Mellier. La fascination suscitée par ce travail à la limite de l’obsession chez l’artiste a depuis longtemps gagné le public qui ne cesse de se presser à la découverte de cette rencontre à nulle autre pareille entre végétal et univers aquatique. Le foisonnement des formes et des couleurs se confond avec celui de la palette de l’artiste à un point tel qu’il devient difficile de percevoir qui en a été le modèle…
Majesté de ces toiles monumentales où l’infime prend valeur de témoignage lorsqu’il pointe à l’occasion d’une discrète floraison. Cécile Debray parvient en introduction à faire partager cette abstraction dans des analyses à la fois accessibles sans leur ôter leur complexité. Les infimes vibrations de la lumière sur le végétal, ses échos sur l’onde et ses innombrables reflets composent une litanie éternelle que le peintre n’aura de cesse d’explorer tout au long de sa vie. Comment saisir cette fugacité ? Par quel moyen interrompre le temps afin de capter ces frémissements imperceptibles pour la plupart d’entre nous ? C’est à cette magie auquel convie cet ouvrage remarquable, aussi beau qu’inspiré, une évasion à lui seul à découvrir au plus vite.
 

« Istanbul - Montparnasse ; Les Peintres Turcs de L’École de Paris » de Clotilde Scordia avec une préface d’Annie Cohen-Sohal, Éditions Déclinaison, 2021.

Si les cercles des peintres parisiens des années de l’après-Seconde-Guerre Mondiale sont connus pour leur extrême vitalité, plus méconnus demeurent cependant - et à tort - « Les Peintres Turcs de l’École de Paris ». Une lacune que vient combler aujourd'hui avec bonheur cet ouvrage intitulé « Istanbul Montparnasse » signé Clotilde Scordia aux éditions Déclinaison.
Ces peintres de l’École de Paris, tous contemporains de l’arrivée au pouvoir de Mustafa Kemal Atatürk et de la République de Turquie, furent pourtant largement célébrés en Turquie dans ces années d’après-guerre. Clotilde Scordia a fait choix de nous faire découvrir les œuvres de onze de ces artistes turcs majeurs. Onze « Peintres en quête de modernité » ayant choisi la France à la fin de la guerre, ainsi que le souligne l’auteur en son premier chapitre, avant de revenir sur les œuvres respectives de chacun de ces peintres.
Parmi eux, deux femmes retiendront l’attention pour leur dynamisme, détermination et modernité ; Fahrelnissa Zeid, une « personnalité flamboyante » aux œuvres colorées, et Tiraje Dikman, livrant une œuvre plus abstraite sous influence surréaliste. Mais le premier à avoir quitté en ces années d’après-guerre son atelier d’Istanbul pour venir s’installer à Paris fut Fikret Moualla en 1939. Ce dernier, reconnu déjà dans son pays natal ainsi que de l’autre côté de l’Atlantique à New York, fut remarqué pour ses célèbres cafés parisiens dans lesquels sa vie nocturne sulfureuse trouva inspiration. Il fut rejoint à Montparnasse en 1946 par Nejad, puis par d’Avni Arbas, et en 1947 par Salim Turan…
Tous ces artistes quittèrent leur atelier d’Istanbul pour venir rejoindre les peintres et les cercles créatifs et féconds de Montparnasse. Participants aux expositions consacrées à l’art turc du Musée d’art moderne de Paris et du musée Cernuschi, ces peintres surent, au-delà des critiques de l’époque, rapidement s’imposer en peintres majeurs notamment grâces aux galeristes et collectionneurs. Chaque chapitre consacré à ces onze « Peintres Turcs de l’École de Paris » offre au regard des œuvres chatoyantes ou d’une profondeur sombre.
Aujourd’hui, Clotilde Scordia nous propose, au travers ces onze monographies richement illustrées, de (re)découvrir ces « Peintres Turcs de L’École de Paris ». À ce titre, on ne peut, ainsi que le souligne Annie Cohen-Sohal dans sa préface, que l’en féliciter.
 

« Espagne abandonnée » de Fran Lens, Paco Quiles & Carlos Sanmillán, 208 p. 297mm x 210mm, Editions Jonglez, 2020.

C’est une Espagne désolée, moins connue, marquée par la mémoire du temps et de l’histoire que nous livre au regard ce superbe ouvrage photographique, « Espagne abandonnée », paru aux éditions Jonglez. Issu du travail photographique de Paco Quiles, Fran Lens et Carlos Sanmillan, chaque chapitre, page et photos offrent, en effet, une découverte d’une autre Espagne, loin des clichés habituels, celle d’une Espagne dont la mémoire ne veut pas mourir…
Les auteurs appartiennent tous au célèbre et fameux groupe « Abanbonned Span », un groupe s’étant donné pour tâche de faire revivre et de garder traces de ces villages, places ou autres lieux désertés, abandonnés, parfois laissés en ruines. Le célèbre Don Quichotte aimait à voir d’autres réalités que celles des autres mortels, sublimant ce qui était vulgaire, comme avec la douce Dulcinée ou ses fameux moulins… Notre trio sans chercher cependant querelle à des chimères s’éloigne des autoroutes touristiques pour prendre des chemins de traverse, au détour d’une église abandonnée, d’une masure esseulée, compagne de lierres envahissants. La beauté n’est pas la seule conviée dans cet ouvrage remarquable par la qualité de son témoignage, d’anciennes friches industrielles laissent encore percevoir les espoirs que des femmes et des hommes plaçaient dans la modernité, et ce qu’il en est resté, gravas, cheminées fort heureusement sans fumée…
Le constat, parfois quelque peu amer, n’est cependant pas toujours pessimiste avec ces magnifiques photographies réunies dans cet ouvrage, la voûte céleste laisse encore percevoir ses constellations d’étoiles, même sur une masure abandonnée, des lieux somptueux n’attendent que le baiser d’un prince charmant, peut-être celui d’un lecteur, de cet ouvrage inspiré.
 

« L’Eau par les grands Maîtres de l’Estampe japonaise » par Jocelyn Bouquillard ; Coffret avec cahier explicatif, 12 x 17.5 cm, 226 p., Éditions Hazan, 2021.

La fameuse collection « Les grands Maîtres de l’Estampe japonaise » aux éditions Hazan s’enrichit d’un nouveau titre « L’Eau par les grands Maîtres de l’Estampe japonaise » du XVIIIe siècle et XIXe siècle. Un thème effectivement porteur et privilégié des Maîtres japonais ; qui ne songe dès à présent à la célèbre vague d’Hokusai ? Ponts, rivières, cascades ou simplement pluie sans oublier la neige, cet élément naturel a donné lieu aux plus belles et célèbres estampes, des estampes signées notamment Hokusai, ou encore Kuniyoshi. Dans son coffret et sa reliure japonaise en accordéon, cet ouvrage sous la direction de Jocelyn Bouquillard, responsable des collections d’estampes de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et auteur notamment de « Hiroshige en 15 questions » et de « Les trente-six vues du Mont Fuji d’Hiroshige » également aux éditions Hazan, offre en effet au regard toutes les expressions de cet élément omniprésent au pays du Soleil levant, lacs, océan, cascades… Plus de soixante estampes célébrant chacune à leur manière l’eau. Communion et spiritualité s’y mêlent que ce soit dans la poésie des fines pluies, dans la puissance ou bouillonnements des flots et vagues ou dans les courbes et arabesques des rivières. Chaque estampe retenue révèle à elle seule toute la virtuosité des grands Maîtres japonais des siècles passés. Accompagné d’un livret introductif et explicatif livrant dates et précisions sur chacune des estampes représentées, ce coffret vient compléter à merveille cette collection enchanteresse.
 

Loustal : « Aux Antipodes » ; dessins, 180 p., Editions la Table ronde, 2020.

C’est un voyage « Aux antipodes » plein de charme et de poésie que nous propose le dessinateur Loustal dans cet ouvrage aux pages enchantées dans leur format paysage et paru aux éditions La Table ronde. Loustal nous conte également chemin faisant sa découverte, enfant, de ces contrées lointaines, son désir d’imaginaire et de dessin, et son aspiration enfin à voyager et à acquérir son propre style. Les dessins de Loustal, passant du fusain aux couleurs, ne sont pas seulement une belle invitation à voyager, ils captivent et entraînent dans des rêves d’ailleurs et des songes infinis. Rien d’étonnant à cela puisque le dessinateur sait plus que quiconque partir de ses dessins au fusain pour laisser en fin de compte voguer sa propre imagination et ses couleurs, aquarelle ou huile. Son style épuré offre en ces paysages lointains bien plus qu’un pur dépaysement, il se colore en ces pages une joie, une candeur, quelque chose de paisible, parfois nostalgique voire d’esseulé…
Ainsi, glisse-t-on dans ces paysages de la « Terre de Feu », mélange de cap lointain, de paysages marins, et d’épaves… On se surprend à rêver après Brasilia, au soleil des plages de Floride, à la douceur des Îles Canaries (hors saison, précise le dessinateur !). Et puis, le bleu se fait plus gris, plus mélancolique lorsque l’on aborde l’Islande avant de retrouver les couleurs éclatantes de soleil de l’Italie ou de la Grèce. A chaque dessin, c’est une poésie singulière, épurée qui s’offre au regard, une poésie où dominent le fusain et le bleu lointain des rivages d’un imaginaire infini.
Les dessins de Loustal sont une magie, ils racontent, disent, dévoilent, laissent s’envoler souvenirs et voguer les rêves d’ailleurs aussi loin que le souhaite le lecteur…
 

« Histoire vivante de l’impressionnisme » de Valérie Mettais, Collection « Beaux-Arts », Éditions Hazan, 2021.

C’est à une véritable « Histoire vivante de l’impressionnisme » que nous convie Valérie Mettais, historienne de l’art. Rien de figé, en effet, dans cet ouvrage paru aux éditions Hazan nous offrant toute l’aventure et la diversité de couleurs des palettes de ces peintres qui furent désignés par dérision « Les impressionnistes ». Un mouvement de fond, qui allait bouleverser la trajectoire de la peinture. Pour capter ce formidable foisonnement artistique, l’auteur a opté pour une approche chronologique, décennie par décennie, de 1863 à 1905. Un choix judicieux qui permet à Valérie Mettais de recontextualiser un mouvement artistique majeur trop souvent à tort coupé de tout. Printemps 1863, c’est le salon dit « des refusés », un succès et le début d’une longue et belle histoire… À la Closerie des Lilas, Monet, Sisley, Renoir se rebiffent contre cet académisme décidément trop académique. Ils sortent des ateliers pour le plein air ; ce sera la Normandie, mais aussi les berges de la Seine, Chatou et sa Grenouillère qu’immortalisera Renoir… S’appuyant sur une vaste iconographie, les impressionnistes, au fil de l’eau et des pages s’affirment, se dévoilent et s’imposent. Les années, les peintres et les destins se croisent. Ainsi que le souligne Valérie Mettais en son avant-propos : « Cet ouvrage n’est pas une histoire de l’impressionnisme en ce sens qu’il ne se concentre par sur ses seuls et prétendus adeptes (…), mais accueille aussi ceux qui l’ont accompagné et ceux qui ont croisé sa route, l’ont enrichi, suivi ou dépassé. » Degas, Pissarro, Caillebotte ou encore Émile Bernard, Paul Sérusier, mais aussi Manet, Cézanne et ses horizons. On y croise aussi Gauguin « Dans la maison jaune » et les couleurs de Van Gogh. Le moulin de la galette enchante Toulouse-Lautrec et le Moulin-Rouge tourne ses ailes et les têtes. Chacun de ces peintres marquera à leur manière, de par leur singularité, leurs perceptions et couleurs, ce que l’on appellera dorénavant l’impressionnisme… En 1905, les impressionnismes enthousiasment et enthousiasmeront le monde entier ouvrant ainsi leurs portes à l’avenir…
Un ouvrage riche et alerte qui fourmille de détails et d’anecdotes offrant une réelle et belle « Histoire vivante de l’impressionnisme ».
 

« Églises abandonnées » de Francis Meslet, Editions Jonglez, 2020 ».

Au-delà du triste constat que pose tout édifice en déshérence, l’ouvrage de Francis Meslet nous place cependant au-delà, face à notre propre rapport à l’égard de l’histoire et de la culture, indépendamment de nos convictions religieuses. L’auteur a, pour cela, mené une véritable enquête sur huit années, enquête qui l’a emmené aux quatre coins de l’Europe où il a pu saisir avec son appareil photographique ces insolites et désolés instantanés d’abandons et de pesants silences… Quoi de plus triste, en effet, qu’une église vidée de tout son sens, celui de la réunion, de la fraternité et du partage, même si cette église doit avant tout s’entendre en un sens plus spirituel que matériel…
L’auteur et photographe a choisi avec cet ouvrage saisissant de livrer un réel et beau témoignage éloquent, celui d’une Europe qui a depuis longtemps perdu ses racines chrétiennes et se débat avec cet héritage que certains jugent encombrant si l’on en juge l’incurie et l’inaction à l’égard de ces bâtiments en totale déshérence. Au-delà du silence qui pourrait à la rigueur encore convenir à des lieux sacrés, c’est surtout le péril de leur disparition définitive qui interpelle. Ces lieux non entretenus prennent l’eau, leur structure se fragilise et à terme s’écroulent d’eux-mêmes ou par mesure de sécurité font l’objet de mesures radicales.
Curieusement l’actuelle pandémie nous a livré de tels spectacles de désolation avec une place Saint Marc vidée de ses touristes… Soudain, la question du sens prend toute sa valeur, surtout lorsqu’il s’agit de lieux de foi. Les photographies de Francis Meslet parlent d’elles-mêmes, elles qui prennent à témoin le lecteur lorsque le cœur et le toit d’une chapelle du Piémont sont mis à nu, ouverts à quatre vents… Ces statues d’une église bourguignonne semblent attendre les fidèles, en une patiente éternité… Le végétal et la nature reprennent aussi leur droit sur ces pierres de la foi, faut-il voir là un signe ?
On ne peut qu’espérer que cet ouvrage émouvant par son sujet, « Les Églises abandonnées » contribue à apporter une nouvelle pierre, celle d’une réponse respectueuse de l’Histoire et des cultures…
 

Alain Vircondelet : « De l’or dans la nuit de Vienne selon Klimt », Éditions Ateliers Henry Dougier, 2021.

« Le Baiser » du célèbre peintre autrichien Gustav Klimt, œuvre emblématique d’une époque et d’un esprit, fait l’objet d’un essai séduisant d’Alain Vircondelet, historien de l’art et biographe talentueux. Publié dans la belle collection « Le roman d’un chef-d’œuvre » aux éditions Atelier Henry Dougier, cet ouvrage sort des sentiers battus et offre un plaisant regard transversal sur une œuvre d’art, roman à elle seule.
S’inscrivant dans le mouvement de l’Art nouveau et de la Sécession de Vienne, Klimt a surpris indéniablement ses contemporains par ses toiles sur fond d’or, véritables ponts entre tradition byzantine, Ravenne, Venise et symbolisme de la fin du XIXe siècle. Par quelle alchimie, cependant, cette œuvre envoûte-t-elle autant celles et ceux qui la découvrent ? Telle est la quête passionnante que mène Alain Vircondelet sur cette icône souvent réduite à un fougueux transport amoureux. Si l’amour semble bien en effet au cœur de cette composition, l’or irradiant l’œuvre invite également à la pureté et à l’absolu du désir inaltérable. Face à la fascination exercée par ce tableau depuis un siècle, Alain Vircondelet cherche à lever les voiles jetés sur « Le Baiser » et à en révéler les différents éclats. Les ors sertissent la rencontre d’un homme et d’une femme au cœur d’une prairie fleurie, cadre idyllique si ce n’est le vide qui commence à attirer les amoureux à leur insu. Fragilité et insouciance cohabitent ainsi dans cet espace plus sacralisé qu’il n’y paraît de prime abord.
Émilie Flöge, muse de Klimt, se trouve évoquée sur le tableau, une styliste appréciée qui concevait les tissus représentés dans l’œuvre. Amour sacré, amour profane, thème de prédilection de Titien et autres peintres de la Renaissance, trouvent ici un écho repensé, loin des représentations romantiques erronées de cette œuvre. L’or tente d’enchâsser pour l’éternité l’évanescence des corps et de la vie à la veille de la pénombre qui guette Vienne et le monde ; Une dimension religieuse possible du tableau, ainsi que le suggère avec intelligence et passion Alain Vircondelet dans cet ouvrage aussi attrayant que stimulant.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Follement drôle – Wahnsinnig Komisch » ; Sous la direction du Dr Anne-Marie Dubois et du Dr Thomas Röske ; Couv.cartonnée, 19 x 26.5 cm, 160 illustrations, 232 p., Bilingue français-allemand, Editions In Fine, 2020.

Voilà, enfin, un ouvrage qui vous mettra de bonne humeur ! Intitulé « Follement drôle », ce dernier donne, en effet, à voir les collections du Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (MAHHSA) et la collection Prinzhorn de l’hôpital universitaire allemand de Heidelberg. Réunies pour la première fois en ces pages à l’occasion de l’exposition éponyme au MAHHSA jusqu’au printemps 2021, ces collections viennent illustrer avec bonheur que « la « folie »ne se conjugue pas nécessairement avec le « drame » ».
Ici, les œuvres présentées riment avec drôlerie, humour et plaisanterie, voir avec caricature, et révèlent la distanciation que peuvent avoir certains malades. Nez rouges, portraits caricaturés et sens du dérisoire s’entremêlent. Des œuvres singulièrement drôles qui surprennent tant pas leur identité propre que par leurs points de contact au-delà des époques. On y retrouve ainsi comme des fils conducteurs la caricature, le grotesque, la grivoiserie ou encore la distanciation à l’égard des institutions psychiatriques. Des traits-unions ayant dicté la présentation des œuvres et les chapitres de l’ouvrage. Sous la direction du Dr Anne-Marie Dubois, directrice scientifique du MAHHSA et du Dr Thomas Tüske, directeur du Prinzhorn Collection Museum, et appuyé par de nombreux textes et contributions, l’ouvrage propose également une éclairante analyse tant des œuvres que de ce « follement drôle » qui les anime.
À ce titre, les collections respectivement de Sainte-Anne réunie à partir des années 1950 et Prinzhorn constituée en 1900 sont emblématiques de ce que peuvent révéler et offrir à voir ces œuvres singulières et ici colorées de drôleries.
 

Tim Cornbill : « Le grand livre de la photo urbaine », 235 x 255 mm, 192 p., Éditions Dunod, 2020.

La photographie urbaine a acquis ses lettres de noblesse au siècle passé grâce aux travaux précurseurs d’artistes comme Atget, Brassaï, Cartier-Bresson. Mais connaît-on véritablement ce qui la compose, la caractérise et la constitue ? C’est à cette délicate tâche à laquelle s’est attelé avec rigueur et pédagogie Tim Cornbill dans cet ouvrage concis sur un sujet pourtant sans frontières… Diurne ou nocturne, avec ou sans habitants, noir et blanc ou couleur, la liste est quasi infinie des multiples variations auxquelles se prête la ville pour le photographe ayant décidé d’en faire son sujet. Tim Cornbill a choisi dans ces pages de dévoiler cette passion qui l’anime depuis fort longtemps et qui le porte à braquer son objectif de Paris à New York, en passant par Berlin, Dubaï ou Barcelone... Chaque lieu possède son identité, et ce bien au-delà de la mondialisation galopante. Une singularité urbaine peut fort heureusement poindre encore de nos jours à la condition de respecter certaines règles que l’auteur rappelle et détaille. Ainsi, comment choisir les bonnes focales, les lieux propices, la météo pour la lumière et les couleurs ou encore gérer les perspectives ?
Cet ouvrage, riche d’enseignements, aborde tous ces points essentiels, et bien d’autres encore, avec un nombre impressionnant de conseils pratiques pour réussir ses plus belles photos urbaines. L’ouvrage offre au regard en plus du travail de l’auteur commenté lui-même, les œuvres de huit autres artistes majeurs de la photographie urbaine, tels Brassaï, Martin Parr, Cartier-Bresson, Sebastien Weiss… Au-delà, et grâce à aux conseils pratiques de Tim Cornbill, c’est une approche artistique nourrie par l’esprit même des lieux urbains qui vient animer les œuvres des plus grands photographes.
Un ouvrage unique livrant une véritable philosophie de la photographie.
 

 

 

« Eyes that Saw – Architecture After Las Vegas », Collectif; 14 x 21 cm, 197 illustrations, 504 p.; Stanislaus von Moos and Martino Stierli, Scheidegger & Spiess Editions, 2020.

« Eyes that Saw » intéressera assurément plus d’un architecte, historien d’art ou créateur puisque cet ouvrage propose une riche et instructive étude sur l’héritage encore présent de nos jours du « Learning from Las Vegas ». Ce dernier paru dans les années 1970, fruit du travail mené par Robert Venturi et Denise Scott Brown, fut un immense et immédiat best-seller qui a su imposer jusqu’à aujourd’hui au titre de référence incontournable en matière d’architecture des années 70. Robert Venturi et Denise Scott Brown y livraient, en effet, leur étude menée avec Steven Izenour sur le thème de Las Vegas à la Yale School of Architecture.

Aujourd’hui, plus de quarante ans après, ce ne sont pas moins de quatorze experts, architectes, historiens de l’art et artistes qui livrent au lecteur dans ces quelque 500 pages de « Eyes that Saw - Architecture After Las Vegas » leur analyse de cette influence incontestable et incontestée du « Learning from Las Vegas » sur notre quotidien. Apportant chacun leurs propres vues selon des angles différents appuyés par plus de 190 illustrations, c’est l’ensemble du vaste rayonnement du « Learning from Las Vegas » qui se dévoile, ainsi, au lecteur que ce soit en matière architecturale, de design mobilier urbain ou encore dans le domaine des arts visuels.
Le lecteur y découvrira également des archives et documents provenant de Venturi, Scott Brown & Associates de l'Université de Pennsylvanie, ainsi qu’une chronologie médiatique illustrée de l’influence du « Learning from Las Vegas » de par le monde entier.
Une étude collective riche et instructive offrant une réelle et belle mise en perspective du rayonnement dans le monde du « Learning from Las Vegas » depuis maintenant presque un demi-siècle.

 

« Jean-Michel Wilmotte Muséographie, Architecture De Musée, Scénographie, Galeries, Ateliers D’artistes » ; Contributions de Jean-Jacques Aillagon, Taco Dibbits, Françoise Mardrus, Luis Monreal, Jean-Michel Wilmotte ; Édition reliée et toilée, bilingue français/anglais, 22 x 30 cm, 376 p., 300 illustrations, Éditions SKIRA, 2021.

Jean-Michel Wilmotte compte assurément plusieurs casquettes à son actif. Architecte, urbaniste, mais aussi designer, cet esprit insatiable de curiosité surprend depuis le milieu des années 70 pour l’étendue, la diversité et la qualité de ses réalisations dans des domaines aussi différents que l’architecture, l’architecture d’intérieur, la muséographie, le design, l’urbanisme… Électron libre, son esprit créatif n’a de cesse d’étonner et de forcer l’admiration par ses réalisations imposantes comme celles plus discrètes. Rien n’est acquis sauf l’ouverture d’esprit, sans cesse remise sur le métier comme pour le stade Allianz Riviera. Le soin apporté à chaque détail, même le plus infime, la conjugaison des sources d’inspiration et des cultures et une attraction immodérée pour l’art composent son univers ainsi qu’il ressort de ce bel ouvrage paru aux éditions SKIRA et présentant les plus audacieuses réalisations de Wilmotte & Associés. L’entretien de Jean-Michel Wilmotte avec Taco Dibbits (Directeur du Rijksmuseum Amsterdam) permettra également de se faire rapidement une idée de ce créateur impénitent. Les 300 photographies réunies offrent elles aussi un bel aperçu de l’ampleur et de la qualité des créations réalisées tel l’Hôtel Lutetia récemment rouvert à Paris, le siège londonien de Google, le stade de Nice ou encore le Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe sans oublier les innombrables muséographies réalisées.
Cet éclectisme ne doit pas cacher la griffe Wilmotte faite de cette délicate alliance de sobriété et de transparence afin de valoriser les espaces et le rapport entretenu entre le visiteur et les œuvres d’art notamment pour ses réalisations pour le musée du Louvre dans l’Aile Richelieu et le département des Arts premiers au Pavillon des Sessions. Tout visiteur de la collection Pinault à La Dogana de Venise se souvient en effet de cette habileté à jouer des contrastes entre l’espace, le volume, les ouvertures et la lumière. La muséographie et la scénographie sont des arts à part entière et Jean-Michel Wilmotte démontre par son inspiration que ses réalisations nourrissent de la plus belle manière qu’il soit le rapport d’un objet à son espace.
 

Stefano Zuffi : "Le Caravage par le détail", version compacte, 156 x 196 mm, 288 p., Éditions Hazan, 2021.

L’œuvre du Caravage s’avère être aussi foisonnante que complexe, à l’image du peintre dont le destin tragique éclaire un grand nombre de ses compositions. Aussi, Stefano Zuffi a-t-il conçu « Le Caravage par le détail » comme un ouvrage clair et accessible, afin d’entrer au cœur de cette création d’un des plus grands peintres de son temps.
Retenant une approche qui a fait le succès de la collection, c’est par le détail d’œuvres aussi célèbres que Bacchus, Méduse, David et Goliath, Judith décapitant Holopherne, et La Diseuse de bonne aventure, que le lecteur se familiarisera avec l’univers de Caravage dès les premières pages de l’ouvrage. La vie de Michelangelo Merisi, plus connu sous son nom d’artiste, Le Caravage, s’apparente au clair-obscur dont il façonne ses toiles : une lutte éternelle entre la lumière d’une inspiration foudroyante et la pénombre des affres vécus par le peintre toujours en lutte avec lui-même et ceux qui croiseront sa vie. Né en 1571 à Milan, la période romaine de Caravage sera essentielle pour celui qui « …était venu au monde pour détruire la peinture », souligna abruptement Nicolas Poussin. Si cette appréciation témoigne de l’effet révolutionnaire que fit ce peintre sur ses contemporains et ses successeurs au XVIIe siècle, elle révèle aussi l’ampleur de la tempête artistique qu’initia, en effet, le jeune et fougueux peintre sur la peinture italienne. Adepte du clair-obscur qui allait envahir toutes ses toiles comme pour mieux révéler l’âme de ses représentations, l’artiste s’imposera comme le plus grand peintre naturaliste de son temps, avec cependant un naturalisme bien singulier pour l’époque.
Si l’artiste mena souvent un parcours solitaire, ce dernier ne sera pas néanmoins sans relation avec les cercles intellectuels de son époque. Alors que le fougueux peintre entretint des rapports souvent conflictuels avec certains de ses contemporains, tel le peintre Annibal Carrache, Le Caravage sut également nourrir des rapports fructueux avec les poètes et musiciens qui viendront inspirer des œuvres comme celle du fameux Joueur du Luth. Les mécènes notamment le marquis Giustiniani (1564 - 1637) et le cardinal Francesco Maria del Monte (1549 - 1627) auront, eux aussi, une grande importance dans le parcours du Caravage en étant à l’origine de nombreuses commandes.
L’artiste se fait remarquer très tôt pour son art à peindre d’après un modèle vivant, une manière qui aura d’ailleurs une influence déterminante sur ses contemporains et successeurs. Au lieu de copier les maîtres, il s’essaie avec le talent qui sera le sien à des représentations personnelles atypiques comme celle du Petit Bacchus malade, œuvre qui marque la rupture avec son maître le Cavalier d’Arpin dont il quittera l’atelier après huit mois seulement. Ce naturalisme va se développer pendant ces riches et fertiles années romaines jusqu’à ce que le peintre fuyant son destin de toiles en rixes, achève cette période romaine avec le meurtre suite à une bagarre avec Ranuccio Tomassoni en 1606, ce qui lui vaudra une peine d’exil. Ce sera alors Naples, Malte…et la mort au terme de cette fuite incessante.
Stefano Zuffi a privilégié une présentation des œuvres du peintre délaissant l’ordre chronologique au profit de thèmes récurrents tels les natures mortes, les lames étincelantes, les cinq sens, les têtes tranchées, les corps, etc. Comme à l’accoutumée, de gros plans sur de nombreux détails révèlent la création caravagesque de manière lumineuse et pédagogique offrant ainsi un ouvrage passionnant.
 

« Pierre Matisse & Joan Miró ; Ouvrir le feu – correspondance croisée, 1933-1983 » ; Édition établie, annotée et présentée par Élisa Sclaunick, 16 x 20 cm, 792 p., L’Atelier contemporain éditions, 2020.

Si le nom d’Henri Matisse est mondialement connu, celui de son fils Pierre est resté plus confidentiel et réservé à l’univers des marchands d’art du XXe siècle, monde auquel il appartenait. Son action inlassable à faire connaître des peintres comme Chagall ou Miró qui s’avéreront être des icônes de l’art moderne a été, pourtant, majeure bien que quelque peu méconnue du grand public. Cette ample et volumineuse correspondance entretenue entre le marchand d’art, Pierre Matisse, et le peintre espagnol Joan Miró (1893-1983) publiée par les éditions de l’Atelier contemporain offre à la fois une mise au point et une mise en perspective des plus fructueuses.
Cet ensemble épistolaire dépasse, en effet, rapidement les relations d’affaires pour dresser un tableau évocateur, vu de l’intérieur, du monde de l’art de cette époque. À l’image de l’action entreprise par Pablo Picasso, Pierre Matisse reste persuadé que seule une action engagée peut assurer une meilleure diffusion des œuvres créées par ces artistes pour la plupart encore méconnus. C’est une relation amicale, mais surtout d’initiés qui va ainsi se tisser au fil des pages dès 1933.
Le début de cette correspondance dévoile un peintre espagnol aspirant à une reconnaissance internationale, passant par les États-Unis, et bien sûr, New York, où Matisse possède une galerie reconnue en raison de ses relations dans le monde de l’art. Ainsi que le souligne Élisa Sclaunick qui a établi l’édition de cette correspondance, Pierre Matisse encouragera et sera le spectateur privilégié de la fabrique de l’œuvre du peintre espagnol : « Joan Miró rend précisément compte de la progression de son travail, de sa manière, de la façon dont il crée. Il est plaisant de voir se dessiner un mythe forgé notamment par Michel Leiris amusé du contraste entre cet artiste et son voisin de la rue Blomet, André Masson : Joan Miró est très ordonné, très organisé dans son travail, capable de prévoir son travail à l’avance, de suivre le rythme qu’il s’est fixé, comme il le répète souvent à Pierre Matisse, peut-être pour rassurer en lui le marchand désireux de faire des expositions et de réaliser des ventes ». Et effectivement, Joan Miró tient rigoureusement dans ces lettres le journal de sa création dont les nombreux détails précisent non seulement sa manière de travailler, mais surtout la vision de son œuvre en création justifiant le temps passé à son travail pour son marchand.
Rapidement, à la fin des années 30, Pierre Matisse disposera de l’essentiel de l’œuvre peint de Miró et confiera avec un jugement d’une rare acuité « qu’il y a tout lieu de croire que le marché le plus important pour votre œuvre se trouve ici et que nous arrivons à le développer, c’est ici qu’il faut faire le grand effort »… Au fil des années, les relations gagnent en profondeur et en amitié, sur un ton plus direct, Pierre Matisse confiera sans détour à son ami peintre ce qu’il pense être le mieux pour son œuvre et son image, indépendamment de toute considération marchande : « On vous engage dans des chemins où votre dignité souffre et votre réputation en sortira endommagée. Il est temps de freiner et de refuser à vous prêter à ce jeu », note-t-il dans une lettre du 30 septembre 1954 à l’occasion de ses relations avec Aimé Maeght. Ce que nous considérons en ce XXI° siècle comme des « classiques » de l’art moderne, notamment les céramiques de Miró sont encore balbutiants, ainsi qu’en témoignent ces échanges épistolaires, l’artiste s’inquiétant d’un possible faible intérêt pour ces dernières de la part du marchand d’art.
Une correspondance riche et féconde dans laquelle la complicité qui unit les deux hommes converge pour établir la reconnaissance d’une œuvre originale et unique, présentée et commentée « en direct » au fil des pages. C’est véritablement au cœur de l’atelier de Miró, mais aussi de celui du monde de l’art du XXe siècle que ces échanges s’échelonnant sur cinquante ans nous convient, dévoilant au lecteur plus qu’une époque, une évolution déterminante dans l’histoire de l’art.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Potential Worlds – Planetary Memories & Eco-fictions »; Textes de Benjamin H.Bratton, TJ Demos, Reza Negarestani et Jussi Parikka; Introduction de Suad Garayeva-Maleki et Heike Munder ; 18 x 23,5 cm, 272 p., 1ère édition, Éditions Scheiddeger & Spies, 2020.

« Potential Worlds » réunit un vaste ensemble d’œuvres récemment montrées dans le cadre de plusieurs expositions notamment à Zurich (au Migros Museum für Gegenwartskunst) et à Bakou (au YARAT Contemporary Art Space). Œuvres de pas moins de trente-six artistes venus du monde entier, chacune d’elle a à cœur de révéler les désastres subis par la nature et notre environnement. Collages, montages, clichés ou installations, etc. Ce sont des œuvres de conviction, originales, singulières et d’une extrême variété dénonçant toutes à leur manière l’exploitation sans limites des richesses et ressources de notre univers et ces indéniables conséquences écologiques et sociales.
Avec des textes signés Benjamin H.Bratton, TJ Demos, Reza Negarestani et Jussi Parikka, chaque auteur entend accompagner ces œuvres fortes et mettre en perspective, chacun avec leur propre regard, les différentes façons de concilier la nature, l’avenir et notre environnement. Des approches tant écologiques que posthumanistes dans lesquelles l’art a un rôle essentiel à jouer en tant qu’expérience tant technologique, scientifique et sociale telle notamment l’adaptation artistique des nouvelles technologies.
L’ouvrage, introduit par Suad Garayeva-Maleki, commissaire et directrice du YARAT Contemporary Art Space Migros, et Heike Munder, directeur artistique du Museum für Gegenwartskunst, se propose avant tout de rechercher au travers de ces différentes annexions et exploitations de notre environnement quelle serait la meilleure – et peut-être la plus protectrice - définition de la nature qui pourrait dès lors, et dès aujourd’hui, en être dégagée.
Une approche engagée nous interrogeant, bien sûr, sur la crise environnementale que notre monde actuel connaît et visant à orienter notre regard vers la nature de demain, celle que souhaiterions.
 

Susie Hodge : « Petite histoire de l’art moderne et contemporain ; chefs d’œuvres, mouvements, techniques » ; Broché, 148 x 210 mm, 150 illustrations, 224 p., Coll. « Petite histoire de », Éditions Flammarion, 2020.

Susie Hodge, historienne, auteur de nombreux ouvrages et artiste elle-même, nous livre, dans la collection « Petite histoire de », une collection aujourd’hui bien connue aux éditions Flammarion, une fort attrayante introduction à l’histoire de l’art moderne et contemporaine.
L’ouvrage a retenu quatre grandes divisions, partant des grands mouvements ou styles ayant marqué l’art moderne et contemporain (du réalisme aux YougBritish Artists) jusqu’aux différentes techniques que ces arts ont su retenir et développer dont notamment « l’impasto », le Ready-Made, les matériaux industriels ou encore l’art vidéo. Deux chapitres essentiels entre lesquels viennent s’intercaler pour mieux les illustrer les plus grands chefs œuvres et les thèmes classiques ou majeurs, offrant ainsi au lecteur un large éventail d’artistes et d’œuvres choisi et illustré. Chaque section pouvant être abordée et lue séparément, et comportent des renvois forts utiles vers les autres parties
L’auteur réussit ainsi le pari d’expliquer de manière claire et concise l’art moderne depuis Courbet, puis l’art contemporain jusqu’à nos jours avec notamment l’installation de Yayoi Kusama. Une évolution majeure pour laquelle Susie Hodge a su également sans en brouiller le sens mettre en évidence les différences influences, interactions et connexions.
Chaque partie offre, en effet, pour chaque mouvement, chefs d’œuvres, thèmes ou techniques, présentés sous forme de fiche, les différents points de repère, associations ou liaisons indispensables à une pleine appréhension (date, auteurs associés, lieux, etc.) de l’art moderne et contemporain.
Un ouvrage présentant un large panorama de l’art moderne et contemporain plus que clair et pédagogique, aussi plaisant qu’indispensable !
 

Charlie Koolhaas : "City Lust - London Guangzhou Lagos Dubai Houston », texte en anglais, relié, 412 p., 354 illustrations couleur, 20.5 x 30 cm, Scheidegger Éditions, 2020.

C’est hors et bien loin des sentiers battus auquel nous convie le dernier ouvrage de l’artiste Charlie Koolhaas. L’auteur invite en effet à un dialogue incessant entre mots et images par le filtre des grandes villes dans lesquelles elle a vécu ou travaillé. Les confrontations engendrées par la mondialisation et les traits culturels originels de ces mégapoles ne cessent d’interroger son regard, qu’il s’agisse de Londres, Dubaï ou Houston, des métropoles pourtant différentes mais qu’une culture mondiale tend aujourd’hui à rapprocher. Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer, ni d’une diatribe sur la mondialisation, mais d’un témoignage vécu de l’intérieur, source de ces nombreuses créativités pouvant surgir de ces grandes tendances.

À l’image des nouvelles solidarités qui peuvent naître des plus grandes fractures sociales et économiques, de nouveaux regards peuvent aussi provoquer des fulgurances inattendues parmi les décombres de l’économie mondiale. Les photographies et le texte de Charlie Koolhass ne manquent pas d’humour lorsque surgit parmi la grisaille urbaine des couleurs éclatantes, symboles d’espoirs encore présents. Les contrastes sont manifestes dans ce regard porté comme pour mieux rappeler cet incroyable brassage international auquel ce siècle, et le précédent, nous ont habitués ou contraints.

Certes, tout n’est pas rose sous le regard de Charlie Koolhass, tant s’en faut, mais une certaine poésie émerge cependant, contre toute attente, de ces prises de vues étonnantes, un brin de vie né des paradoxes de nos capitales internationales et qui livre au lecteur comme un témoignage d’espoir malgré les sombres nuages pesant sur l’humanité.

Spiritualités

 

"Un chemin de liberté pour tous : le combat spirituel" de Don Louis-Hervé Guiny, 224 pages, Editions MAME, 2024.

Le combat spirituel contrairement à ce que l’on pourrait penser n’appartient pas qu’aux seuls « professionnels » de la foi et encore moins à un passé révolu. Combattre ses démons intérieurs – et extérieurs – et rechercher le discernement constituent encore une quête que tout à chacun peut et se doit de mener au risque d’être balloté telle une feuille sur le flot de ses passions.
C’est à cette attitude de corps et d’esprit à laquelle nous convie Don Louis-Hervé Guiny, par ailleurs professeur de théologie. L’ouvrage à la fois très accessible et exigeant démêle un à un tous les niveaux permettant à chaque croyant de s’élever au-delà des passions tristes pour atteindre la lumière. L’auteur est bien conscient qu’il ne s’agit pas pour autant de nous transformer du jour au lendemain en saint mais plutôt d’ouvrir notre regard sur toutes ces entraves qui enchaînent notre quotidien : tristesse, paresse, envie-jalousie, angoisse, dépression, la liste est malheureusement encore longue.
De la même manière qu’un analyste aide son patient à ouvrir son regard sur ses déterminismes, le combat spirituel invite le croyant à se décentrer pour mieux observer ses failles, ainsi que le recommandait déjà Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels ; prendre conscience de ses manquements à la foi, s’en repentir parfois dans les larmes, d’autres fois avec humour, pour au final atteindre la lumière.
Si l’accompagnant spirituel revêt une grande importance pour éviter de s’égarer et de se mentir, la force du Dieu aimant accompagne au quotidien le fidèle qui s’astreint à cette démarche difficile et semée d’embûches. C’est toute la force de l’ouvrage de Don Louis-Hervé Guiny que de présenter cette longue et belle route, certes avec ses cols raides et ravins vertigineux, mais aussi cette plénitude pour celles et ceux qui chercheront à « imiter » Celui qui a déjà parcouru pour nous ce chemin sinueux.
 

  « La prière dans l'art » de Mgr Timothy Verdon ; Couverture Relié - Tranchefile et jaquette, 272 pp. 22 x 29 cm, MAGNIFICAT, 2023.

L’historien de l’art Mgr Timothy Verdon n’est plus à présenter à nos lecteurs (lire nos interviews) tant sa pensée et ses ouvrages sont devenus depuis des années des références notamment dans le domaine de l’art sacré. Dans ce dernier ouvrage « La prière dans l’art » paru chez Magnificat, l’auteur explore de manière lumineuse les rapports intimes entretenus entre image et foi. En analysant de manière à la fois didactique et scientifique plus de 100 chefs d’œuvre, Timothy Verdon convoque et invite le lecteur à approfondir sa foi par une meilleure acuité visuelle artistique. L’élan de la prière se constate assez spontanément sous ses différentes formes « instinctives ». Mais, afin de dépasser cet élan premier face au mystère de la vie, la religion chrétienne a proposé depuis des siècles une prière à la fois consciente et organisée, un « art de la prière » qui interagit entre le croyant et le sujet de sa foi manifesté par les plus belles œuvres d’art. Ce sont ces liens intimes et éblouissants qu’explore avec virtuosité Timothy Verdon qui non seulement bénéficie d’une culture visuelle immense, mais sait, qui plus est, la faire partager au plus grand nombre par ses analyses subtiles et néanmoins accessibles. Ainsi, l’auteur de cet ouvrage aussi beau que profond sollicite-t-il le lecteur pour qu’il approfondisse son regard porté vers Dieu par l’intermédiaire des chefs d’œuvre de l’art choisis et abondamment illustrés. La prière, souligne l’auteur, deviendra ainsi le fruit de l’imagination sanctifiée, une voie vers la beauté et l’avenir. Ce chemin de la beauté ou via pulchritudinis se trouve suggéré à chaque page de ce splendide ouvrage, des catacombes de Priscille de Rome (IIIe s.) à Wilhelm Leibl (XIXe s.). Avec « La Prière dans l’Art », l’intimité de la Beauté rejoint celle de la Prière en un élan irrépressible à la transcendance.

Philippe-Emmanuel Krautter

  « Évangiles canoniques et apocryphes » - Tirage spécial ; Préface de Paul-Hubert Poirier ; Bibliothèque de la Pléiade, 1136 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm, Gallimard, 2023.


Rapprocher des textes traditionnellement opposés constitue une heureuse initiative avec cette parution des Évangiles canoniques et apocryphes dans la collection de la Pléiade aux éditions Gallimard. Ces deux grandes sources essentielles au christianisme furent initialement opposées aux croyances gnostiques. C’est à partir d’une relecture drastique des évangiles dits canoniques que ces derniers furent, par la suite, également opposés aux apocryphes qui seront alors écartés de la foi de l’Église. C’est sur cette relecture et ce choix posés notamment par Irénée de Lyon au IVe s. que les règles de la nouvelle foi allaient dès lors s’établir, laissant ainsi le merveilleux et l’ésotérique de côté.
Réunir aujourd’hui en un seul volume les quatre évangiles « bibliques » que les catholiques connaissent bien et les « évangiles » apocryphes longtemps considérés comme hérétiques offre la possibilité non seulement de discerner ce qui constitue la foi officielle, mais également de compléter par un fonds unique le contexte même dans lequel est apparu cette même foi. Ainsi que le rappelle en préface Paul-Hubert Poirier, cette édition rassemble vingt-huit textes ayant pour point commun d’évoquer Jésus de Nazareth, qu’il s’agisse des quatre évangiles du Nouveau Testament, mais aussi des nombreuses autres sources rangées sous le vocable évangiles apocryphes rédigés de la fin du 1er siècle au début du Moyen Âge.
Si les évangiles retenus par l’Église s’attachent plus au message légué par le Christ qu’à sa personne, les apocryphes quant à eux retiennent souvent un angle plus merveilleux composé d’évènements extraordinaires. C’est le grand intérêt de ce volume de la Pléiade que de réunir pour la première fois ces sources diverses disponibles jusqu’alors dans des volumes distincts et de permettre cette confrontation croisée de traditions, légendes, croyances et message de foi. Entre sources canoniques ou officielles de la foi des Églises chrétiennes et des textes revisitant la vie de Jésus – et même parfois son message - les frontières sont parfois ténues, d’autres fois plus manifestes et conduisant alors à ce qui sera souvent considéré comme des hérésies. Tout le mérite de cette publication est de permettre au lecteur de se faire une idée par lui-même, aidé en cela par un important appareil critique, afin de confronter ces textes pour certains essentiels de la foi, pour d’autres relevant de la culture et de la tradition léguées par les premiers temps du christianisme.

 

« Les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix » et « Chemin de Croix » réalisés par Romain Lizé, éditions Magnificat, 2023.

Deux parutions récentes accompagneront idéalement le fidèle dans sa préparation aux prochaines fêtes pascales et la prolongeront même longtemps après. « Les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix » ainsi que le « Chemin de Croix » réalisés par Romain Lizé aux éditions Magnificat offriront en effet un matériel spirituel propice à de longues et nombreuses méditations.
Pour la première de ces parutions, c’est l’œuvre bouleversante de Joseph Haydn sur les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix qui vient soutenir les méditations fulgurantes du cardinal Charles Journet, l’ensemble étant mis en lumière par une sélection choisie des plus belles œuvres d’art sacré… En proposant une heure de méditation par chapitre associée à l’écoute des pistes du CD audio tout en prenant le temps de l’oraison à l’aide des œuvres d’art, cet ouvrage offrira un accompagnement spirituel d’une rare profondeur à celles et ceux souhaitant méditer cette épreuve ultime de la Croix.
Dans le même esprit, la seconde publication, le « Chemin de Croix » réunit les méditations de dom André Louf, à la fois d’une simplicité…biblique et d’une intériorité inspirante ! Ainsi que le souligne Romain Lizé en avant-propos, cet ouvrage accessible permettra d’accompagner le fidèle dans sa marche vers Pâques, une marche souvent difficile et donnant lieu à de nombreux écueils et renoncements. Avec ces textes limpides également illustrés par les plus grandes œuvres d’art sacré, le méditant pourra, pas à pas, approcher du mystère pascal et chercher la Lumière qui s’en dégage.
 

 

Georg Gänswein : " Rien d'autre que la vérité" Artège, 2023.

« Rien d’autre que la vérité » tel est le titre de l’ouvrage écrit avec le journaliste Saverio Gaeta par le secrétaire personnel du pape Benoit XVI récemment disparu le 31 décembre 2022. Ce titre constitue ainsi un écho de la devise du pape allemand - « ut cooperatores simus veritatis » - début de la troisième lettre de saint Jean.
Ce rare témoignage de l’un des plus proches du pape émérite ne pourra qu’attirer l’attention non seulement des spécialistes du Saint-Siège mais de manière plus générale de toute personne intéressée par le fonctionnement du plus petit État du monde. Et il faut avouer que l’auteur, Mgr Georg Gänswein, lui-même théologien et enseignant de droit canon, livre en ces pages un témoignage sans voile sur les arcanes du Vatican et dont certaines lignes pourront faire grincer des dents.
Georg Gänswein, jusqu’à l’actuel pontificat du pape François, jouissait de la réputation d’un homme affable et souriant, à qui tout réussissait avec son allure photogénique. Pourtant, ces dernières années ont connu des tensions conduisant à l’écarter des responsabilités qu’il occupait jusqu’alors en tant que préfet de la Maison pontificale, officiellement pour le réserver au service du pape émérite… Dans cet ouvrage, Georg Gänswein, d’origine allemande, rappelle en prologue combien ce qui avait été à l’origine une nomination « provisoire » aux côtés du cardinal allemand Ratzinger en 2003 allait devenir un accompagnement jusqu’à l’ultime jour de sa disparition le 31 décembre dernier… Cette compagnie de tous les instants se trouve ainsi évoquée dans des pages émouvantes témoignant de la profonde affection et du respect sans réserve envers le pape Benoît XVI, à mille lieues des caricatures qui avaient pu être faites de lui.
C’est cet amour filial blessé qui se trouve aujourd’hui exprimé dans ces mêmes pages parfois impulsives cherchant ainsi à rétablir des vérités qui ne manqueront d’être commentées ou contestées. Pour Gänswein, Benoît XVI fut en effet « l’un des plus grands protagonistes de l’histoire du siècle dernier, trop souvent dénigré par les médias et ses détracteurs… » Aussi n’hésite-t-il pas à rappeler combien la priorité qui avait été donnée par Benoît XVI lors de son pontificat à la liturgie et au rapprochement avec les traditionalistes souhaitant célébrer selon le rite de Saint Pie V venait d’être balayée d’un revers de main en 2020 par l’actuel pape François, un revirement qui aurait été douloureux pour le pape émérite…
Aussi faudra-t-il découvrir ces pages comme celles d’un plaidoyer émouvant et entier pour le pape défunt, un hommage certes parfois acerbe, mais sincère, et qui permettra de mieux comprendre qui fut Joseph Ratzinger, Benoît XVI, 265e successeur de Pierre de 2005 à 2013 et pape émérite de 2013 jusqu’au dernier jour de l’année 2022.

Philippe-Emmanuel Krautter

  "Le Saint Suaire de Turin" Jean-Christian PETITFILS, 464 pages Tallandier, 2022.


Le Saint Suaire de Turin a fait couler beaucoup d’encre et l’historien Jean-Christian Petitfils qui avait déjà signé un « Jésus » remarqué et plus que largement salué, offre avec ce dernier ouvrage une non moins remarquable synthèse sur ce dossier pourtant sensible. Sensible car le Suaire de Turin n’a cessé, en effet, de donner lieu à des controverses, non seulement sur son historicité, mais également sur le sens à donner à cette célèbre toile de lin. Objet de dévotion et de méditation pour les croyants, de supputations plus ou moins hasardeuses pour d’autres, le Suaire méritait une telle étude à la fois détaillée et accessible, ayant recours non seulement aux disciplines scientifiques quant à sa datation, mais également à l’Histoire et aux multiples disciplines permettant de mieux appréhender ce qui a longtemps été une énigme.
Dès l’introduction Jean-Christian Petitfils souligne d’emblée que « toutes les constatations scientifiques vont dans le même sens, celui de l’authenticité ». L’historien réputé pour sa proverbiale rigueur ne peut être suspecté de partialité et fustige ces personnes qui campent sur des thèses dépassées, notamment celle de la datation erronée au carbone 14 de 1988 dont les résultats avaient été faussés du fait d’une pollution des tissus examinés et avait conclu de manière hâtive à une datation médiévale… En un véritable examen des pièces à conviction, l’historien mène son enquête et retrace tout d’abord dans cet imposant livre les différentes étapes historiques sur cette question sensible ayant opposé parfois stérilement discours de la foi et de la science. L’ouvrage détaille ainsi les longues péripéties du Suaire, les incendies dont il eut à souffrir, ses multiples lieux de résidence présumés jusqu’à son actuelle conservation en la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin. Les villes et les lieux défilent à une vitesse vertigineuse, ce linceul ayant couvert des milliers de kilomètres pour arriver dans la capitale du Piémont en un état de fraîcheur étonnant après tant de péripéties (Petitfils offre d’ailleurs une carte précieuse retraçant cet itinéraire probable depuis Jérusalem et la mort de Jésus en 33 ap. J.-C.).
Le lecteur sera également impressionné par la synthèse précieusement proposée dès différentes analyses scientifiques ayant porté sur le morceau de tissu dont l’auteur détaille avec minutie les protocoles et conclusions. La dernière partie intéressera tout autant les fidèles que les passionnés d’art et de croyance. Rappelant les premières représentations du Crucifié et leur évolution vers un nouveau modèle à la fin du IVe siècle, Jean-Christian Petitfils souligne combien un nouveau stéréotype plus figuratif commence à se diffuser dans l’art, modèle qui n’est certainement pas étranger à la présence du Suaire dans ces régions…
Cette passionnante enquête tiendra le lecteur en haleine de la première page jusqu’à la dernière ouvrant sur cette « seconde résurrection » déjà soulignée par Claudel et qui n’a pas fini de questionner l’homme sur sa condition et ses convictions.

Philippe-Emmanuel Krautter

  "Ô prends mon âme - Thérèse de Lisieux" de Bénédicte Delelis et Pierre-Marie Varennes, relié cousu et tranche fil, 192 Pages, Format 24 x 32, Magnificat, 2022.

Publication inspirée pour les fêtes de la Nativité que ce livre d’art consacré à sainte Thérèse de Lisieux « Ô prends mon âme » !
Les auteurs, Bénédicte Delelis et Pierre-Marie Varennes, ont conjugué leur savoir pour concevoir à la fois un ouvrage esthétique servi par les plus belles oeuvres d’art et un florilège de la pensée de la petite sainte du Carmel de Lisieux. La voie de l’amour, si chère à cette âme éprise d’absolu, se trouve ainsi présentée dans le plus bel écrin, celui des tableaux enchanteurs de Maurice Denis, Georges Desvallières, tous deux ardents chrétiens, mais aussi par d’autres sensibilités tels Claude Monet, Paul Cézanne ou encore Marc Chagall. Ainsi que le souligne Pierre-Marie Varennes dans sa préface, Thérèse était convaincue que nous serions jugés sur un seul critère lors du retour glorieux de Jésus, celui de l’amour par l’amour. Vaste programme ainsi exploré en ces pages illuminées par la foi de celle qui sur son lit de mort considérait qu’elle n’était pas une sainte mais bien « une toute petite âme que le bon Dieu a comblée de grâces » comme le rappelle Bénédicte Delelis.
Cet ouvrage, en de belles pages, explore ainsi ce « programme d’amour » délivré par Thérèse à partir de ses plus grands textes. Chaque étape de sa vie spirituelle se trouve enluminée par les chefs-d’œuvre de la peinture en des liens intimes conduisant le lecteur à une méditation inspirée. Croire à l’amour et à ses multiples manifestations dans les instants d’extase comme ceux du quotidien, telle est l’invitation lancée par Thérèse, et ce splendide ouvrage, annonçant de la plus belle manière la célébration du 150e de la naissance de Thérèse de Lisieux.
  « Chemins de prière » du Père Yann Vagneux, Magnificat, 2022.

Empruntons ces « Chemins de prière » proposés par le Père Yann Vagneux, 12 méditations pour 12 invitations à l’évasion par la prière. Parues dans la revue Magnificat, ces prières sont le fruit d’un prêtre des Missions Étrangères de Paris, regard d’un grand priant mais aussi d’un poète doublé d’un photographe talentueux.
Nourries par ses nombreux voyages, notamment en Inde où l’auteur est établi depuis de nombreuses années, ces « Chemins de prière » invitent au silence, un silence qui ne doit pas inquiéter mais au contraire rassurer. Qu’il s’agisse de méditer sur la grâce sur fond d’une cime montagneuse du Népal émergeant des nuées ou, plus terre à terre, le désir associé au pas d’un vieil agriculteur dans une rizière, chaque élan de l’âme humaine trouve un écho dans ces pages inspirées, à la fois accessibles et parallèlement élevant l’esprit à la transcendance.
Un beau livre à emporter avec soi sur son lieu de vacances ou chez soi pour enrichir encore chaque instant de prières.
  « Catholica – Le guide de l’art chrétien » de Suzanna Ivanic, Cernunnos éditions, 2022.

Les ouvrages consacrés à l’art chrétien se font rares alors même que cet immense patrimoine trop souvent ignoré présente des œuvres des plus grands artistes dans nos musées et églises. Fort de ce constat, Suzanna Ivanic qui enseigne en Angleterre l’histoire moderne de l’Europe centrale et notamment la religion, a choisi de réunir en un ambitieux ouvrage de 256 pages plus de deux milles ans d’art chrétien. Fresques, peintures, retables, parures liturgiques sont ainsi passés au filtre d’une analyse rigoureuse et détaillée, servis par une abondante iconographie.
Chaque forme artistique se trouve expliquée, les clés de compréhension des œuvres présentées étant généreusement précisées au lecteur. Loin d’être austère et fastidieuse, la lecture de cet ouvrage, qui manquait jusqu’alors, emporte le lecteur en un passionnant voyage où la spiritualité, les lieux et enfin l’esprit qui anime communautés et individus sont abondamment détaillés.
Pour mieux décrypter les sept œuvres de la miséricorde au cœur des plus grandes toiles des maîtres de la peinture telle celle du Caravage pour la Confrérie du Pio Monte della Misericordia de Naples, l’auteur fait véritablement œuvre pédagogique en détaillant chaque aspect à partir de l’œuvre. Dans le même esprit, l’explication des styles architecturaux présentés par les cathédrales, églises et chapelles éclaire également la lecture de cet ouvrage décidément bien utile à la compréhension des cultures nourries par l’art chrétien.
  « Maurice Zundel - Vérité et personne », Oeuvres complètes, tome 5, Parole et Silence éditions, 2022.

Le théologien suisse Maurice Zundel dont le tome 5 des œuvres complètes vient de paraître aux éditions Parole et Silence a toujours manifesté le plus vif intérêt pour les questions de la connaissance et de la vérité. Trop hardi parfois dans ses investigations jugées souvent avant-gardistes par ses supérieurs, ce prêtre à la fois mystique et doté d’un incomparable charisme a toujours recherché cependant l’origine sacrée de toute existence.
En première place figure dans ce cinquième tome l’exigeante thèse de doctorat de Zundel soutenue en 1927 et consacrée à « L’influence du nominalisme sur la pensée chrétienne », jamais éditée jusqu’alors. Le sujet paraîtra encore aujourd’hui des plus surprenants, à savoir faire le bilan du nominalisme et de ses conséquences par le filtre de la philosophie… De saint Augustin à l’époque moderne, cette tache de titans peut sembler atypique de ce que Zundel publiera par la suite. Rédigée lors de son exil romain, cette thèse s’avère étonnamment combative contre des penseurs comme Occam, Luther ou encore Rousseau. Véritable apologie de la pensée chrétienne comme remède aux maux vécus par l’humanité lors de la 1ère guerre mondiale, cette thèse s’oppose aux mauvaises philosophies qui génèrent les mauvaises théologies.
« Ouverture sur le vrai », quant à lui, fut rédigé au début du conflit 1939-45. Zundel déploie dans cet ouvrage méconnu cette finesse qui le caractérise afin d’aborder par l’art, les sciences, la philosophie, la mystique et bien d’autres approches encore, toutes les facettes de la vérité.
« Allusions » prolonge encore cette quête éternelle de la vérité poursuivie par le théologien suisse, une célébration jubilatoire de la vérité et de la nature de la connaissance. Enfin, « Dialogue avec la vérité » rédigé en 1964 opère la synthèse sur la manière de penser et de vivre le « problème de la Vérité ». Écrit à la lumière de la pensée de Bachelard, dont il se rapproche par certains aspects tout en s’en distinguant sur d’autres, cet ouvrage se présente comme un testament de l’auteur sur cette éternelle question de l’homme interrogeant l’origine et le sens de son existence.
À ces quatre ouvrages, ce volumineux tome inclut quatre articles majeurs signés Zundel sur ces questions ainsi que de nombreuses retranscriptions de conférences témoignant de la perpétuelle évolution de cette pensée unique et toujours stimulante sur ces questions de fond.

Philippe-Emmanuel Krautter

  Emmanuel Godo : « Les passeurs de l'absolu - Les grands écrivains et Dieu », Editions Artège, 2022.

Avec un titre proche de l’oxymore, Emmanuel Godo fait la démonstration dans son dernier essai « Les passeurs de l’absolu » que les grands écrivains ont pu par certains de leurs écrits se rapprocher de l’indicible. Relevant d’une véritable aventure spirituelle, cette quête fait figure de défi, celui de suggérer, chacun avec son charisme, les cheminements vers la lumière. Dépassant les scintillements souvent trompeurs de l’éphémère, Emmanuel Godo part à la recherche des affinités spirituelles léguées par certains écrivains allant de Dante à Saint Exupéry. Chaque expérience recueillie par l’auteur, lui-même épris d’absolu, conduit à ce dépassement de l’âme. Cette élévation peut en effet survenir avec cette « bible des pauvres » que fut Les Misérables de Victor Hugo, œuvre dont l’importance fut pourtant redécouverte sur le tard au XXe siècle par la sagacité d’un André Malraux. Dostoïevski soulignait que "L'humanité peut vivre sans la science, elle peut vivre sans pain, mais il n'y a que sans la beauté qu'elle ne pourrait plus vivre, car il n'y aurait plus rien à faire au monde. Tout le secret est là, toute l'histoire est là". Emmanuel Godo l’a bien perçu, lui qui offre avec cet ouvrage un ensemble de Fioretti littéraires intrinsèquement reliées au divin. Bien entendu, le lecteur ne trouvera pas en ces pages les « dernières recettes » relevant des bestsellers empilés en tête de gondoles. Il approchera bien au contraire, grâce à ce compagnonnage à la fois silencieux et pourtant si parlant, de ces voix -et voies- lui permettant d’enrichir son expérience spirituelle, suivant en cela le conseil donné par le grand poète Max Jacob « Ne lisez pas de médiocrités. Lisez des œuvres de grands esprits et concourez avec eux »…

Philippe-Emmanuel Krautter

  Régis Burnet : « Peindre la Bible », Éditions Bayard, 2020.

Le théologien et animateur vedette de la chaîne KTO Régis Burnet signe avec « Peindre la Bible » un bel ouvrage abondamment illustré des plus belles peintures inspirées de la Bible. Ce livre paru aux éditions Bayard réunit les chroniques régulières tenues par le talentueux bibliste dans la revue Le Monde de la Bible, revue de référence en la matière ouvrant notamment à chaque numéro ses colonnes à l’art.
La démarche didactique de son auteur n’est plus à rappeler, Régis Burnet sait plus que quiconque transmettre ce qui peut de prime abord apparaître aride. Sous sa plume alerte et non dénuée d’humour, l’auteur aide le lecteur à entrer non seulement au cœur de la composition picturale et dans l’atelier de l’artiste, mais également en dégage les traits saillants et la profondeur théologique et spirituelle qui sous-tend chaque œuvre présentée. Et là réside la réussite manifeste de l’exercice. Loin d’une étude de plus relevant de l’histoire de l’art, Régis Burnet rend vivant et accessible l’art sacré grâce à une analyse de ces différentes lectures de la Bible par les artistes. Plus encore, en s’approchant au plus près de l’œuvre - au sens propre et figuré – chaque focus élargit encore notre propre lecture des Écritures par un réseau de significations et appropriations successives.
Chaque œuvre fait l’objet d’une étude débutant par un rappel des grandes lignes quant à leur auteur, l’histoire de la représentation et son contexte historique, une approche complétée par de nombreux détails, ainsi qu’une référence aux Écritures associées.
De la fameuse « Tentation d’Ève » de Gislebert à l’émouvant « Christ bénissant » de Giovanni Bellini, chaque page de « Peindre la Bible » ouvre au lecteur non seulement le sens caché des Saintes Écritures, mais également en révèle toute leur beauté sublimée par les meilleurs peintres.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Sylviane Dupuis : « Au commencement était le verbe - Sur la littérature de Suisse francophone du XXe siècle », Zoé Éditions, 2021.

Sylvaine Dupuis, poète et auteur de théâtre, s’est attachée dans cette étude parue aux éditions Zoé aux liens unissant la littérature de Suisse francophone aux sources bibliques. Il faut rappeler que l’auteur a su cultiver depuis ses années de formation un goût certain pour l’Histoire la plus ancienne ayant participé à des fouilles archéologiques sans oublier ses multiples enseignements dans la ville de Genève. Ainsi qu’elle le souligne en introduction : « nous sommes faits, que nous le sachions ou non, que nous le voulions ou non, de toutes les paroles (mots, phrases, images, formules, injonctions et interdits) qui nous précèdent ». Sauf à concevoir une amnésie totale – redoutée par certains de nos jours – nos pensées et nos paroles sont en effet précédées par un réseau complexe de références culturelles, plus ou moins conscientes, et irradiant nos productions. Certains y verront des archétypes, d’autres des acculturations multiples, quel que soit leur nom, « nous sommes écrits par ce qui nous précède » rappelle Sylvaine Dupuis.
Ainsi, selon l’auteur, le matériau biblique compte pour beaucoup dans ce substrat déterminant pour la littérature née en Suisse francophone. Si la France a cru devoir s’émanciper plus tôt de ces références pour se réfugier dans le primat de l’art, la Suisse francophone est demeurée plus longtemps marquée par ces références au Livre. L’incontournable C. F. Ramuz en sera l’illustration éclairante, tout en affirmant son indépendance au regard de la religion. Ce miroir obligé ne cessera d’accompagner ses écrits jusqu’aux années 1970. La poésie qui irradie de nombreux textes de l’Ancien, comme du Nouveau Testament, s’invite ainsi plus ou moins subrepticement dans la littérature suisse francophone, ces romanciers étant la plupart du temps des poètes tels Ramuz, Cendrars, Chessex, Bouvier, Bille, Chappaz, etc.
Quel que soit le rapport – parfois complexe, d’autrefois littéralement décomplexé – de ces écrivains à l’égard des Écritures, ces multiples renvois font l’objet d’analyses passionnantes livrées par Sylvaine Dupuis, preuve s’il en était besoin, que ce substrat biblique rayonne encore malgré les annonces fracassantes depuis plus d’un siècle de « la mort de Dieu »…
 

Philippe-Emmanuel Krautter

  « Dictionnaire des auteurs catholiques des îles britanniques » sous la direction de Gérard Hocmard, 496 p., Éditions du Cerf, 2021.

C’est un impressionnant travail qui a été réalisé sous la direction de Gérard Hocmard pour ce Dictionnaire des auteurs catholiques des Îles britanniques paru aux éditions du Cerf. Avec près de 500 pages, c’est tout ce que la Grande-Bretagne et l’Irlande comptent d’écrivains d’inspiration catholique qui se trouve ainsi réuni en ce fort volume, outil de travail pour les spécialistes, tout comme sujet d’évasions et de découvertes pour le lecteur passionné. Il suffira de parcourir les multiples notices (500) pour réaliser l’ampleur de la tâche avec des auteurs parfois méconnus tels Abbon de Fleury (v.945-1004) ouvrant le volume ou l’incontournable de la culture mondiale avec William Shakespeare.
Chaque notice détaille la vie de l’impétrant et rappelle ses créations majeures. La diversité des auteurs se rejoint en une foi commune, parfois fervente dès l’origine, d’autres fois plus tardive. Tolkien cohabite avec le cardinal Newman, Oscar Wilde avec Pélage alors que l’anglicanisme domine ces terres depuis le XVIe siècle et son indépendance avec Rome. Le lecteur pourra remonter le fil chronologique de cette sensibilité spirituelle chez nos voisins d’outre-Manche grâce à la passionnante introduction historique signée par Gérard Hocmard, spécialiste du paysage culturel de la Grande-Bretagne. Une christianisation qui débute très certainement très tôt dès le IIe siècle en Britannia et qui ne cessera depuis lors de se développer et de gagner en importance ainsi qu’en témoignent ces 500 auteurs présentés dans ce Dictionnaire.
Une vitalité qui n’a point tari avec des auteurs contemporains tels David Lodge, William Brodrick ou encore Piers Paul Read.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

  « Le salut de l’Église est dans sa propre conversion » de Mgr Joseph Doré, Salvator Éditions, 2021.

Lorsqu’un évêque s’exprime sur l’état de l’Église, cela peut donner une réflexion sans complaisance, ni langue de buis… En effet, Monseigneur Joseph Doré n’a pas pour habitude de voiler sa pensée, encore moins de donner dans le religieusement correct. Tout en rappelant son attachement à sa foi chrétienne, il n’hésite pas à souligner dans cet ouvrage le bilan contrasté de ces soixante dernières années. L’auteur que nos lecteurs connaissent bien (lire nos interviews) pour ses ouvrages de théologie, d’art sacré et de responsable religieux se livre en ces pages à un examen de conscience, non point individuel mais collectif de l’Ecclesia entendue comme ensemble des croyants réunis en la foi du Christ ressuscité.
Il fallait du courage – et Joseph Doré n’en manque pas – afin de se livrer à cet état des lieux qu’il a souhaité circonscrire à la France, même si nombre de ses remarques pourront être élargies bien au-delà de l’Hexagone. L’évêque et théologien lance un cri d’alarme : « Oui, notre Église va mal et on ne doit pas sous-estimer la gravité de son état ». Un cri d’alarme en écho à celui lancé quelques années avant sa disparition par le cardinal Carlo Maria Martini.
D’où vient ce mal ? Alors même que l’on s’attendrait plutôt à trouver au sein de l’Église l’abondance du bien et de la charité, ces racines du mal puisent notamment à cette mondanité et à l’oubli de la mission première que dénonce par ailleurs le pape François depuis son accession au siège de Pierre. Mgr Doré passe en revue toutes les questions brulantes qui ont été selon lui trop longtemps tues et cause des maux et scandales que nous connaissons ces dernières années : pédophilie, place des laïcs et surtout des femmes, rôle du pape et de la Curie romaine… Cet ouvrage engagé ne se limite pas à un constat critique, mais suggère des voies et des pistes, notamment celle de la conversion nécessaire et préalable à tout engagement de réforme ; une conversion des cœurs et des esprits afin de s’engager sur sa mission première et essentielle reposant sur la foi et l’amour chrétien. Un retour aux sources du christianisme et au message du Christ rappelé par les Évangiles doit primer pour l’Église du XXIe siècle au risque de perdre tous ses fidèles. Il ne s’agit pas d’un quelconque et vague programme religieux, semblable à ceux des élections politiques. Les données sont précises, le théologien appuie ses propositions sur des raisonnements à la fois théoriques et pratiques, véritable vadémécum à l’usage de nos contemporains croyants. Aucun d’entre eux ne devra se sentir exclu de ces engagements, condition essentielle pour cette conversio, ce changement radical appelé par l’auteur.
C’est un vent frais qui souffle dans ces pages inspirées et qui doit entrer dans toutes les églises et demeures des fidèles afin de repenser ce « salut de l’Église » auquel appelle l’auteur.

Philippe-Emmanuel Krautter

  Missel Laudate, 2400 pages, nouvelle traduction liturgique, Artège éditions, 2021.

Un nouveau missel vient de paraître destiné aux fidèles catholiques, et ce, plus particulièrement, depuis le premier dimanche de l’Avent 2021, date d’entrée en vigueur du nouveau missel romain. En effet, le Missel Laudate des éditions Artège comprend classiquement les textes et lectures pour le dimanche et la semaine, des notices biographiques des saints, l’ordinaire de la messe Français-Latin ainsi qu’un large choix de prières. Ce fort et nouveau volume de 2400 pages présente également et surtout à l’occasion de cette nouvelle édition un certain nombre de modifications dans les habitudes de la messe, ces changements provenant de la nouvelle traduction du Missel romain. Ce missel destiné aux fidèles accompagnera ces derniers dans la préparation et le déroulement de la liturgie. Dans cette optique, l’introduction de nombreux commentaires spirituels permettra de mieux apprécier les lectures de chaque messe. Cette dimension pédagogique qui prévaut pour cette nouvelle édition s’avérait d’autant plus importante en raison des changements qui vont intervenir dès à présent dans le quotidien du fidèle lors des assemblées. Réalisé par une équipe de liturgistes de la communauté Saint-Martin et des éditions Artège, ce travail monumental a exigé trois années, confrontant les savoirs de théologiens, historiens, moines et moniales, et spécialistes notamment du chant. Cette somme a également bénéficié d’une présentation remarquable grâce à une mise en page soignée offrant une typographie et des illustrations éclairant le texte et invitant à se plonger dans les splendeurs de la liturgie avec en vis-à-vis les textes latin et français. Fort de cette réalisation, chaque pratiquant pourra aborder l’un des points culminants de la vie spirituelle en étant non seulement initié à sa dimension sacrée mais également aux nombreux questionnements et méditations qu’elle ne manquera pas de susciter.
  « Notre-Dame des siècles. Une passion française » de Mathieu Lours, 336 pages, dimensions : 19 x 26, Éditions du Cerf, 2021.

Mathieu Lours, que nos lecteurs connaissent bien, signe avec « Notre-Dame des siècles » un nouvel ouvrage consacré au patrimoine religieux, livré malheureusement parfois au péril des éléments. Conscient de l’émotion suscitée par l’incendie du 15 avril 2019 qui ravagea une partie de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, l’auteur a cherché à analyser au-delà de cette émotion les raisons d’une telle passion qui dépassa largement les frontières de l’Hexagone. C’est aux racines mêmes de l’édifice auxquelles puise l’auteur afin de proposer une réflexion de fond sur l’importance de Notre-Dame dans notre histoire, notre culture et patrimoine. Partant de l’Ecclesia parisiensis avant Notre-Dame, ces pages nourries d’une iconographie passionnante font la démonstration de la place essentielle du sanctuaire au cœur de la cité dès les premiers siècles du royaume des Francs. Page, après page, Mathieu Lhours retrace ainsi les grandes heures de Notre-Dame, heures souvent mouvementées et faisant écho aux évènements qu’elle accompagna. Chaque siècle, en effet, sut se saisir de ce puissant symbole de la chrétienté, qu’il s’agisse de la longue dynastie capétienne ou lors de la lente construction d’une idée nationale. L’ouvrage redonne plaisamment vie à cette longue histoire, retenant les personnages illustres ou moins célèbres ayant contribué à perpétuer sa mémoire. Anecdotes et évènements déterminants se côtoient, agréablement conférant à ce récit une dimension presque romanesque et rendant sa lecture passionnante. Les derniers chapitres permettront enfin au lecteur de mieux comprendre les débats et tensions qui s’expriment actuellement quant aux rénovations envisagées. Véritable cœur de la nation, Notre-Dame ne laisse personne indifférent et peut-être est-ce mieux ainsi, sans pour autant sacrifier l’idée d’unité qu’elle symbolise par ailleurs, ainsi que le démontre ce captivant ouvrage.

Philippe-Emmanuel Krautter

  « Sonus 1 Firenze » Sous la direction de Mgr Timothy Verdon, Centro Di Ed. 2021.

Sonus 1 Firenze constitue le premier opus d’une collection d’ouvrages consacrés à l’iconographie musicale présente dans les musées italiens. Selon une idée initiée par Barbara Aniello, cette collection vise à révéler la beauté de la sculpture, peinture, fresques, mosaïques et autres œuvres d’art ayant pour thème commun la musique. Ce premier volume ouvre ainsi une voie entre témoins sonores et visuels en partant tout d’abord du beau et incontournable Musei dell’Opera del Duomo à Florence dirigé par Mgr Timothy Verdon, puis du Campanile et de la cathédrale de Santa Maria del Fiore, sans oublier le célèbre Baptistère de San Giovanni.
En prélude à ce premier ouvrage abondamment illustré, Timothy Verdon place en exergue trois notions clés : Musique, louange et joie. La musique sacrée a su prendre, en effet, rapidement le rôle de véhicule de la louange des croyants. Elle sait accompagner les textes bibliques – on pense bien sûr aux psaumes – mais aussi le culte dans ses mystères les plus profonds. C’est pourquoi ce premier volume de la collection Sonus ayant pour cadre la ville de Florence explore ces liens étroits entre musique et les autres arts présents dans la capitale florentine grâce à des études souvent prospectives de jeunes chercheurs ouvrant des voies pour l’avenir.
Ainsi, l’ouvrage n’hésite pas à employer des titres pour certains provocateurs tel cette contribution « Musiques à voir, entre réalité et symbolisme » de Gabriele Giacomelli ou encore cette analyse passionnante livrée par Barbara Aniello sur la valeur symbolique de la dimension visible et sonore particulièrement perceptible à partir des sculptures, peintures ou fresques suggérant la mélodie.
Que peuvent nous livrer ces multiples références à la musique gravées dans le marbre, la toile ou l’enduit ? Comment lever ces paradoxes entre ces témoins silencieux et leurs assourdissants messages n’attendant qu’à être perçus ?
C’est à cette merveilleuse quête à laquelle nous convie cette belle étude inaugurant une collection à qui l’on souhaite un bel avenir !
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Carlo Maria Martini : « Farsi Prossimo », Opera Omnia VI, Editions Bompiani, 2021.

Le sixième tome de l’Opera Omnia du théologien et cardinal italien Carlo Maria Martini vient de paraître aux éditions Bompiani. Intitulé « Farsi Prossimo », le titre de ce riche volume renvoie à l’idée de coopération lancée par le message de Jésus, à l’opposé de la solitude qui enferme l’individu. Les idées de charité et de proximité, essentielles pour Carlo Maria Maritini, font l’objet des nombreux documents et interventions de ce volume. Le cardinal Luis Antonio Tagle dans la préface de ce volume tient à souligner combien au titre de président de Caritas internationalis, il a été lui-même amené à rencontrer des personnes dans la plus grande détresse matérielle et psychologique. Dans cette mission ardue et toujours délicate, le cardinal Martini évoque la nécessité dans ces situations d’être proche et de se laisser toucher par la parole par celles et ceux qui souffrent. Carlo Maria Martini connaissait les risques du mot charité, souvent synonyme d’un acte de compassion humaine convenue tels un don matériel ou une vague parole de réconfort. Cette charité n’est pas celle puisée au cœur du christianisme et du message laissé par Jésus ainsi que le rappellent les différentes études réunies dans ce volume, toutes résultant d’une expérience « sur le terrain » du cardinal responsable du plus grand diocèse d’Italie pendant de nombreuses années…
Martini n’avait pas de recettes préfabriquées et encore moins de formules générales sur ce sujet qui exige de se laisser toucher personnellement par chaque situation douloureuse, qu’elle soit le fait de la maladie, du grand âge, du handicap, du statut de migrant ou de la marginalisation. Cette rencontre ne peut avoir lieu selon le théologien qu’à la lumière de la Parole de Dieu qu’il médita si souvent et contribua à diffuser avec l’École de la Parole qu’il initia au Duomo de Milan. L’écoute de la Parole forme ainsi le préalable indispensable, il n’est possible d’aimer qu’à la condition d’être aimé, cœur du message des Écritures. À partir de cette donnée initiale et intangible, le cardinal n’eut de cesse sa vie durant d’inviter à cette proximité notamment dans la justice et son action personnelle en faveur des prisonniers, les nombreuses réformes sociales auxquelles il invita, l’engagement au volontariat et à l’animation de la vie chrétienne, toutes ces actions ne pouvant et ne devant être menées que par une pratique de proximité à laquelle convie de nos jours régulièrement le pape François.
Cet ouvrage foisonnant et passionnant se trouve être la démonstration éclatante de la démarche toujours remise en question par cet inlassable homme de Dieu qui s’interrogea tout au long de sa vie afin de savoir comment aimer davantage son prochain, se faire plus proche de lui tout en le respectant.

Philippe-Emmanuel Krautter
 

www.bompiani.it/catalogo/farsi-prossimo-9788845299612

  Maurice Zundel : « A la découverte de Dieu » - « Œuvres complètes – Tome 3 », 582 pages, 15,2 x23,5 , Parole et Silence éditions, 2021.

Toutes celles et tous ceux qui ont eu le bonheur d’écouter les homélies, conférences, et autres interventions de Maurice Zundel, prêtre et théologien suisse du XXe siècle, ont pu goûter ce feu intérieur qui l’habitait et forgeait chacune de ses paroles. Sa diction, ses modulations de voix, et cette bienveillance extrême pour son prochain qui ne lui interdisait pas cependant des jugements sans concession, ont toujours rallié à lui un public fidèle de lecteurs et auditeurs. Aussi cette belle initiative d’éditer ses œuvres complètes entreprise par les éditions Parole & Silence ne pourra que réjouir ses admirateurs, mais également ceux qui auront la grande chance de découvrir cette pensée unique, aussi forte que singulière du siècle passé.
Si Maurice Zundel a pu susciter des jalousies aux plus hautes sphères de l’Église, jamais ce prêtre fidèle à sa foi ne se révoltera cependant contre les nombreuses mesures disciplinaires et d’éloignement dont il a pu faire injustement l’objet. Cet esprit fin et doué d’une culture universelle, allant bien au-delà du domaine de la théologie, avait même accepté, sans regimber, d’aller « refaire » ses études de théologie à Rome comme sanction de son heureuse liberté d’esprit…
Les temps ont heureusement aujourd’hui changé au Saint-Siège le concernant, et notre théologien serait même en odeur de sainteté, tempus fugit… Une juste reconnaissance, tant la rencontre intérieure entre l’homme et Dieu a toujours été au cœur même de la théologie de Maurice Zundel qui avait très tôt ouvert des espaces de communication dans les domaines de l’art, la musique et la littérature. Cet homme passionné, qui ne dormait que quelques rares heures et dont les repas se limitaient à une abondance de café et de cigarettes, n’aura de cesse, en effet, de dévorer une quantité illimitée d’ouvrages dans tous les domaines de la culture (il a légué 6 000 ouvrages – la plupart annotés - de sa bibliothèque à sa ville de Neufchâtel). Nulle compulsion chez lui pourtant, mais un souci d’embrasser tout ce qui pouvait faire signe de la création divine dans ces manifestations, et surtout de percevoir ce que l’homme avait fait et faisait de ces rencontres uniques.
Ce tome III intitulé « A la découverte de Dieu » réunit les écrits catéchétiques et philosophiques de Maurice Zundel dont la richesse et la modernité surprendront le lecteur si l’on songe aux années 1930 au cours desquelles ils furent écrits. À une époque où apprendre le catéchisme se pratiquait par une série souvent stérile de questions-réponses à retenir par cœur, le théologien offrit parmi les premiers une alternative qui devait être appelée à un bel avenir, à savoir cette rencontre unique du Dieu vivant pour chaque croyant grâce à une expérience et un cheminement personnels. Ainsi des références au philosophe Pascal cohabitent avec bonheur avec des interrogations lumineuses : « Qu’est-ce que la vie en nous ? Une tendance vers l’Illimité, un élan vers l’Inaccessible »… Ces notes de catéchèse dépassent très largement les frontières habituelles de l’initiation à la foi pour accéder à ce niveau d’intimité et de rencontre avec Dieu dont le théologien avait le secret et qu’il ne cessa de partager avec le plus grand nombre.
La philosophie n’est jamais éloignée de la pensée de Maurice Zundel, et c’est avec la même fougue qu’il dispensa aux jeunes filles du pensionnat Bon Rivage près de Vevey au bord du Léman ces enseignements de philosophie qui seront à la base de « Le Mystère de la Connaissance » présent dans ce volume, un ouvrage inédit et précieux rédigé à partir de problématiques épistémologiques.
Ce troisième tome décidément très dense comporte également d’autres inédits à partir des nombreuses notes de l’auteur sur la beauté, la rencontre de Dieu et de l’homme, le regard de l’enfant, et bien d’autres sujets toujours profonds et passionnants dont Maurice Zundel avait le génie de rendre uniques et néanmoins accessibles.
  Emmanuel Godo : « La mort ? Non l’amour », Éditions Salvator, 2021.

L’écrivain et poète Emmanuel Godo livre avec « La mort ? Non, l’amour » le dernier volet de sa trilogie présentée dans nos colonnes. Après la tristesse et la joie, c’est un couple pour le moins singulier qui se partage cette dernière réflexion. Derrière le titre inspiré repris de l’un des plus beaux poèmes d’Elisabeth Browning (« Sonnets portugais ») se cache une vérité que l’auteur parvient à se saisir avec la délicatesse qui le caractérise. Point de traité philosophique en ces pages, mais une subtile digression personnelle sur les rapports complexes entretenus non entre la vie et la mort, mais ceux de cette dernière avec l’amour. Au seuil de la mort, l’amour de ses proches et amis vient en premier des interrogations existentielles. Partant de cette vérité fondamentale, Emmanuel Godo explore son vécu de la manière la plus libre en un dialogue avec les vivants, mais aussi les disparus dont sa mère. Et si le poète regrettait que « Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs » (Baudelaire « La servante au grand cœur »), il est pourtant un remède à cette peine, l’amour dont Emmanuel Godo rappelle la force qui transcende tous ces tourments. Et là réside l’antidote livré par l’auteur en une profonde invitation à la vie grâce à l’amour, deux entités consubstantielles. L’amour peut vaincre la mort lorsqu’il encourage à chaque instant de notre quotidien de ne point passer à côté de la vie. Pour cela, nous pouvons préserver un espace personnel, citadelle imprenable, une « arrière-boutique » comme l’y invitait Montaigne dans laquelle aucune pulsion mortifère ne saurait s’immiscer. « Dans tout amour, il y a un adieu » rappelle Emmanuel Godo, un à Dieu sous la forme d’une âme toute vouée à l’amour, dont ces pages démontrent la force et la puissance sur la mort.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

Joseph Ratzinger : « Théologie de la liturgie » ; Collection Opera Omnia, Éditions Parole et Silence, 2021.

Le thème de la liturgie a toujours été au cœur de la réflexion du théologien Joseph Ratzinger, ainsi qu’au sein de l’action du pape Benoît XVI tout au long de son pontificat. Ce dernier confie en effet en présentation de cet ouvrage venant d’être publié aux éditions Parole et Silence dans la collection Opera Omnia : « Ce volume réunit tous les travaux, petits et plus ou moins grands, par lesquels je me suis exprimé à propos de la liturgie au cours des années, à différentes occasions et dans des perspectives diverses. À partir de toutes les contributions nées ainsi, l’idée s’imposait finalement à moi de présenter une vision de l’ensemble, qui parut lors de l’année jubilaire 2000 sous le titre L’esprit de la liturgie. Une introduction ».
Pour le grand théologien, la liturgie s’avère être, en effet, beaucoup plus qu’un rite ou une mémoire mais bien un renouvellement et une actualisation, lors de chaque messe, du sacrifice christique. Joseph Ratzinger démontre dans ces pages d’une limpidité didactique remarquable, malgré la complexité du sujet, combien cet esprit de la liturgie ne saurait être parfaitement saisi sans le rattachement au Nouveau à l’Ancien Testament. Il n’est pas une parole de Jésus qui ne se rattache aux livres fondateurs de la foi d’Israël, qu’il s’agisse de sa prédication lors de sa vie publique jusqu’au dernier souffle sur la Croix. C’est dès lors en puisant aux sources vétérotestamentaires qu’il est possible d’accéder à la pleine compréhension de chaque strate de nos liturgies.
Suivant en cela l’influence initiale de la pensée de Romano Guardini dans « L’esprit de la liturgie », Joseph Ratzinger souligne combien la liturgie se doit d’être entendue non seulement dans sa beauté et sa richesse cachée, mais également selon une dimension qui dépasse les âges et la temporalité. Cette extension de la liturgie s’étend en effet non seulement à toute l’Église et à la vie chrétienne, mais prend également une dimension cosmique à l’ensemble des êtres humains, quelle que soit leur confession. La liturgie se présente ainsi comme étant non point le fait de quelques élus réunis en un lieu donné, mais comme une célébration universelle de l’amour destinée à l’ensemble de la Création et l’Histoire. Le lecteur saisira combien une célébration ne saurait être comprise comme un acte répétitif et ressassé, comme ce fut trop souvent le cas avant ce rappel opéré par le Concile Vatican II.
Aussi, ces pages essentielles de la pensée du théologien et pape Benoît XVI seront-elles déterminantes au lecteur du XXI° siècle afin de prendre conscience de la force et de la puissance de la liturgie entendue en une célébration à dimension universelle.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

  « DICTIONNAIRE CULTUREL DU CHRISTIANISME - Le sens chrétien des mots.» de Pascal-Raphaël Ambrogi ; Préface de Monseigneur Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers ; Honoré Champion Éditions, 2021.

À l’heure où les racines chrétiennes de l’Europe tendent de plus en plus à être reléguées dans l’oubli, la somme exceptionnelle proposée par Pascal-Raphaël Ambrogi devrait retenir l’attention. Il s’agit là par l’ampleur de la tâche non seulement d’un trésor d’informations et de données, mais surtout d’un regard, celui porté sur notre culture classique, que celui-ci s’inscrive ou non dans une démarche de foi. Ainsi que le soulignait l’académicien Marc Fumaroli dans un entretien accordé à notre revue, tout un pan de la culture classique qui vacille de nos jours ne saurait être jeté aux oubliettes de l’Histoire sous peine de perdre le sens entier de notre civilisation. Or, si la langue française, naguère source de rayonnement dans l’Europe entière, a perdu cette prééminence, celle-ci offre encore au XXIe siècle une mine inépuisable à laquelle puiser bien des trésors.
C’est à cet immense patrimoine auquel s’est attaché l’auteur, haut fonctionnaire, mais aussi écrivain défendant le patrimoine linguistique français. Ce « Dictionnaire culturel du Christianisme » s’avère être aussi impressionnant que précis avec ses milliers d’entrées nourries de définitions et s’attachant à mieux rappeler les nuances de chaque mot retenu. Un exemple ? L’entrée « Déréliction », ce mot qui ne s’écrit pas « dirélection » comme le rappelle l’auteur et qui définit l’état de l’homme privé du secours de Dieu. Toutes ces nuances s’égrènent au fil des pages comme les perles d’un chapelet, révélant les trésors hérités du christianisme ainsi que l’entreprit en son temps Chateaubriand dans son fameux « Génie du christianisme » au lendemain de la Révolution française.
Si la fameuse adresse en latin « Habemus papam » est bien connue après l’élection d’un nouveau pape, le lecteur découvrira amusé à la lecture de cette entrée les différentes techniques permettant d’obtenir, selon les résultats, une fumée noire ou blanche grâce à l’ajout de composants chimiques. Le Dictionnaire offre également des entrées essentielles pour rafraîchir sa mémoire biblique avec des rappels clairs et précis des grands rois et prophètes de l’Ancien Testament, les lieux de la Bible, mais aussi de nombreuses expressions en latin si fréquentes dans la liturgie et dont la compréhension tend également à s’effacer depuis quelques décennies. A ces explications claires et rigoureuses, ces entrées incluent enfin également de nombreuses citations tirées des écrits des papes ou des grands textes chrétiens, une mine de connaissances et un précieux outil de travail.
Ce Dictionnaire de plus de 1 000 pages répondra, en effet, à de multiples usages. Il sera le fidèle compagnon de l’honnête homme du XXIe siècle qui aura décidé de ne point perdre cette richesse culturelle. De même, il répondra à toutes les questions à l’occasion d’une célébration, la réception d’un sacrement ou encore lors de la préparation d’une catéchèse ou d’un enseignement. Avant tout, l’immense tâche réalisée par Pascal-Raphaël Ambrogi relève de la conservation d’un patrimoine de nos jours menacé, au même titre que des conservateurs veillent à la protection d’une œuvre d’art. Pour toutes ces raisons, ce « Dictionnaire culturel du Christianisme » mérite toute l’attention du lecteur.

Philippe-Emmanuel Krautter

CINÉMA, MUSIQUE

 

 

 

« La grande bellezza – Paolo Sorrentino », ; Scénario original écrit avec Umberto Contarello, , Avant-propos inédit de Paolo Sorrentino, ; Traduit de l’italien par Anna Colao, ; 15 x 21 cm, 240 p., Editions Séguier, 2023.

10 ans déjà que le film iconique La grande bellezza du réalisateur italien Paolo Sorrentino est sorti sur le grand écran et pourtant les images de ce très beau film défilent encore sous nos yeux, sans une ride même sans l’aide de l’esthéticien Alfio Bracco ! C’est cette magie que vient prolonger cette publication inspirée par les éditions Séguier du scénario original du film, ici, dans une traduction française d’Anna Colao.
Autant dire que le souffle à la fois sensible et caustique du film se retrouve sans faiblir en ces pages d’une lucidité à toute épreuve. Le narrateur, Jep Gambardella, journaliste et auteur d’un seul roman à succès, a longtemps été à la quête de la grande beauté, sans pouvoir la trouver. Cette recherche désabusée l’a conduit à être le roi des mondanités grâce à une inspiration toujours renouvelée sur fond de fêtes romaines décadentes et autres futilités qui ne parviennent plus cependant à le distraire. Dans quel monde vivons-nous ? Telle est la question existentielle lancée entre deux chenilles effrénées sur les terrasses de la Ville éternelle après un nombre incalculable de gins tonic… Le lecteur retrouvera ainsi en ces pages tous les protagonistes du film avec plusieurs scènes en sus non reprises lors du tournage. Alors Silence ! Action… sur ces petits trains qui ne mènent nulle part…

 

« LE CINÉMA D'ELIO PETRI » par Alfredo Rossi, Editions Gremese, 2023.

Le prisé mais trop confidentiel réalisateur italien, Elio Petri, fait avec cet ouvrage l’objet d’une passionnante et complète analyse d’Alfredo Rossi, lui-même spécialiste du 7e art. Les cinéphiles ont encore en mémoire le fameux film « Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon » de 1971 ou encore « La classe ouvrière va au paradis », Palme d’or au Festival de Cannes l’année suivante. Cinéaste engagé dont le travail et l’inspiration se rapprochent de celui de Pier Paolo Pasolini quant à la critique exacerbée de la société de consommation d’après-guerre, Petri n’hésite pas à adopter un style violent, voire halluciné, ainsi que le rappelle Alfredo Rossi. Le cinéaste qui jouissait d’une vaste culture et d’amitiés solides approfondit au fil de ses réalisations soignées sa vision personnelle du monde. Le lecteur débutera avec profit sa lecture avec la préface de Jean A. Gili qui rappelle toute la dimension poétique de l’œuvre d’Elio Petri, ainsi que sa francophilie indéfectible alors même que le réalisateur de nos jours n’est pas reconnu comme il le devrait même si ses films sont encore programmés. Alfredo Rossi quant à lui commence son essai par la fin en partant d’une lettre du réalisateur rédigée en 1982, quelques mois avant sa disparition par laquelle il rappelle ses profondes convictions intellectuelles. Plus qu’un réalisateur politique engagé, Petri s’inscrit dans un cinéma expérimental dont les grandes lignes sont rappelées par cet ouvrage passionnant qui permettra de redécouvrir ce cinéaste singulier.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

« Nos films de toujours » de Marc Combier, Editions Larousse, 2023.

L’équipe de Monsieur Cinéma s’est réunie pour proposer en un seul et même volume près de 360 films ayant marqué le 7ième art. Cette extraordinaire mémoire cinématographique se trouve ainsi rassemblée dans ce guide aussi pratique que complet. Avec ses 400 pages, ce fort ouvrage est prêt à répondre à toutes les questions que peut se poser le cinéphile passionné. Allant des grosses productions comme Piège de cristal de John McTiernam avec le fameux Bruce Willis en 1988 jusqu’au sulfureux Mort à Venise de Luchino Visconti en 1971, chaque long métrage bénéficie d’une fiche technique complète rappelant non seulement l’histoire du film mais également ses coulisses et portée. Bénéficiant d’une mise en page dynamique allant à l’essentiel, ce guide dénommé à juste titre « Nos films de toujours » devrait figurer au sein de toute bonne bibliothèque de cinéphile averti !

 

Richard Wagner : « Le carnet brun : journal intime (1865 -1882) » ; Traduit, présenté et annoté par Nicolas Crapanne ; Préface Jean-François Candoni, Hors-série Connaissance, Gallimard, 2023.

Après les « Écrits sur la musique » présentés dans ces colonnes, c’est au tour du « Carnet brun » de Richard Wagner de bénéficier d’une belle édition réalisée par Nicolas Crapanne avec la collaboration de Marie-Bernadette Fantin-Epstein, Éva Perrier et Solange Roubert. Il faudra attendre 1975 pour que ce mystérieux cahier de cuir offert par Cosima, la fille de Franz Liszt, à son amant Richard Wagner qu’elle épousera quelque temps après en 1870, fasse l’objet d’une publication en langue allemande. Dans ce journal intime et précieux à plus d’un titre, le grand musicien se confesse, livre ses pensées mais aussi son quotidien ; une mine d’informations, donc, pour tous les musiciens, mélomanes et passionnés du compositeur allemand. L’important travail critique accompagnant cette première traduction intégrale en français permettra au lecteur de se familiariser avec l’univers bien particulier du musicien ainsi que sa riche vie artistique.
La première entrée correspond à la date du 10 août 1865, une époque troublée dans la vie du musicien ayant connu bien des déboires avec son Tristan et Isolde et songeant même à mettre un terme à sa vie… Mais, c’est également une période faste puisqu’ il rencontrera son alter ego, la fille du grand pianiste et compositeur hongrois Franz Liszt, Cosima née à Bellagio des amours avec Marie d’Agoult. Ces deux êtres malheureux en ménage se rapprocheront pour finalement fonder l’un des couples légendaires de la musique de la fin du XIXe s. Ce carnet contient également des poèmes, des préfaces et même des réflexions inattendues sur le bouddhisme ! Sur un plan plus strictement musical, le lecteur se délectera de la première esquisse du scénario de Parsifal, œuvre maîtresse du compositeur. Mais avant tout, « Le carnet brun » réservera des moments d’introspection et d’intimité du musicien d’une rare authenticité.
 

« Le petit Larousse des Films » Larousse, 2023.

Cet ouvrage, véritable somme, publié par les éditions Larousse est parvenu à réunir et à présenter plus de 3 000 films et 300 filmographies en un seul (fort) volume de 1 104 pages ! Ce coup de force ravira bien entendu les passionnés du 7e art qui retrouveront ainsi instantanément les fiches indispensables à la découverte ou redécouverte des films de légende mais aussi des pépites plus cachées pour leur plus grand bonheur.
Organisé selon un classement alphabétique, ce guide offre le synopsis de chaque film, sa distribution ainsi qu’une analyse critique plus ou moins développée selon son importance dans l’histoire du cinéma. Qui plus est, cet ouvrage très complet ne se contente pas de dresser un catalogue mais présente également des filmographies par genres, pays, réalisateurs et acteurs, un outil pratique pour avoir en quelques pages l’essentiel permettant de mener ses propres découvertes.
Cette véritable cinémathèque concentrée en un format également pratique (138 x 198 mm) constituera à l’évidence un ouvrage incontournable pour les amoureux du grand écran !
 

Richard Burton : "Journal intime" publié sous la direction de Chris Williams, traduit de l’anglais par Alexis Vincent & Mirabelle Ordinaire, 15 x 21 cm, 592 p., Séguier éditions, 2020.

Contrairement à un jugement trop rapide, l’acteur Richard Burton dévoile dans les pages de son « Journal intime » bien des aspects méconnus de sa personnalité. Loin des spots d’Hollywood, l’homme y apparaît, en effet, plus sensible, fragile, tourné vers la littérature, les livres et le théâtre que les artifices du 7e art ne pouvaient le laisser penser…
Pour cette seule raison, ce volumineux journal déjà expurgé par les responsables de l’édition mérite d’être lu. Nous y découvrons un esprit bien éloigné du quotidien des célébrités, même si les excès ne manquent certes pas dans sa vie débridée… Alors que l’acteur évoque le tournage d’une scène d’un de ses films, ce dernier n’hésite pas à faire dans son journal une référence implicite au poète écossais du XVe s. William Dunbar. De même, enchaînant les tournages, ses rêves se portent sur l’achat d’une péniche où il pourrait y installer des milliers de livres dans une bibliothèque…
Les jugements sont en ces pages également acerbes, effilés comme une flèche touchant droit au but, qu’il s’agisse de lui-même où des nombreuses personnalités qu’il côtoie. Sa description du duc et de la duchesse de Windsor tient plus d’une évocation du musée Grévin que de ses royaux amis : « Ébréchés sur les bords. Quelque chose qu’on garde au salon et qu’on ne sort que les dimanches. Des monarques déchus » ! L’alcool coule à flots, seul antidote à la trop grande lucidité du comédien qui confesse par ailleurs ses rêves de voyager, seul, dans un « petit tortillard » avec une machine à écrire comme compagne au lieu du jet privé qu’il vient de louer pour des vacances à Gstaad…
Les succès s’additionnent, les déconvenues également, et les excès tentent vainement d’étouffer toutes les vanités concentrées par le milieu dans lequel le comédien évolue. Seule échappatoire, pour cet acteur trop connu et célébré, l’écriture, la poésie et le théâtre, une ivresse moins destructrice que l’alcool, dans laquelle se réfugiera de plus en plus cette âme plus sensible que son image ne pouvait le laisser croire...
 

Vladimir Jankélévitch : "Fauré et l'inexprimable", Editions Plon, 2019.

Vladimir Jankélévitch est bien connu pour être un philosophe engagé avec sa fameuse métaphysique du « je-ne-sais-quoi » et du « presque rien ». Fervent défenseur de la morale au cœur de la philosophie, ce penseur vif et iconoclaste fut également un musicologue averti, ainsi qu’un pianiste passionnément amoureux notamment de la musique de Liszt et de ses fameuses rhapsodies. Mais, c’est à Gabriel Fauré qu’il a également consacré une somme impressionnante de plus 400 pages et qui vient de faire l’objet d’une nouvelle édition chez Plon.
Le titre préfigure l’angle retenu par le philosophe – musicologue : « Fauré et l’inexprimable ». C’est en effet le mystère d’ambiguïté qui sert de trame à cette réflexion alerte et vive dans laquelle le lecteur retrouvera le style « Janké », ainsi que le rappelait avec malice le regretté Lucien Jerphagnon. Il est acquis que la musique de Fauré déconcerte et déroute bien souvent pour ses apparentes contradictions. L’auteur de « Pelléas et Mélisande », de « Pavane », suggère, en effet, souvent des couples de contradictions, qu’il s’agisse de sa musique de chambre, pour piano, de ses mélodies ou encore de son Requiem. Insaisissable, son inspiration puise à ce goût certain de l’ineffable si cher à Jankélévitch.
L’auteur consacre la première partie de son essai aux mélodies de Gabriel Fauré ; Qui n’a jamais entendu en effet sa fameuse Pavane ? Soulignant l’osmose parfaite qui peut unir poètes et musiciens, Gabriel Fauré n’est pas en reste, et Verlaine a offert au compositeur ses plus beaux vers où puiser son inspiration. Fauré n’est pas pour autant le musicien d’un mode unique d’expression, « son art est complet » souligne Vladimir Jankélévitch. C’est la « sonorité abstraite et immatérielle » que retient son inspiration, « celle qui vient du centre de l’âme ». Gabriel Fauré n’est pas plus le musicien des décors trop précis et des couleurs insistantes selon Vladimir Jankélévitch. Chez lui « les modes et les influences extérieures semblent avoir peu de parts » poursuit encore le philosophe avant d’analyser les trois périodes chronologiques de ses mélodies.
Pour sa musique de piano, si le romantisme est toujours présent, Gabriel Fauré fait encore preuve de grande liberté. Ses valses se révèlent être à la fois élégantes sans mièvrerie, brillantes et intimistes. « Mais Fauré ne nous a-t-il pas habitués à ces contradictions ? » rappelle avec un clin d’œil Jankélévitch, encore une fois séduit par cette beauté de l’ordre de l’ineffable.
L’auteur explore encore avec une rare virtuosité « le paradoxe de la rigueur évasive » du compositeur. L’humour n’est jamais loin de ces renversements de valeur, où l’accompagnement lui-même est accompagné comme ces « Clair de lune » et « À Clymène » renversant les rôles entre le piano et la voix. Il n’est pas jusqu’aux ordres pourtant les plus préétablis qui ne vacillent dans la partition de Gabriel Fauré, notamment pour l’indétrônable main droite, avec cette volonté manifeste d’une indépendance des parties, comme pour la musique d’orgue.
Avec Gabriel Fauré, la musique polyphonique atteint une dimension « plurivoque » ou plusieurs lignes de pensée sont conduites de front, tout en étant distinctes et indépendantes. Dialogues et superpositions de voix sont menés, d’où surgissent parfois des étincelles relève malicieusement Vladimir Jankélévitch. Gabriel Fauré s’écarte des voies explorées par Liszt et Debussy et cherche plutôt à suggérer des états d’âme, comme pour « Allégresse » et « Tendresse » (Dolly). Il faut alors apprendre à composer en tant qu’interprète et mélomane avec cette apparente nonchalance et pourtant rigoureuse musique. C’est là toute la complexité, et certainement l’abondante richesse, de la musique de Gabriel Fauré, comme le met en évidence de toute aussi brillante et magistrale manière notre philosophe – musicologue.

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« Franz Liszt ; Tout le ciel en musique ; Pensées choisies et présentées par Nicolas Dufetel, Le Passeur Editeur, 2019.
 

Un plaisant et bel ouvrage livrant les pensées choisies du grand pianiste et compositeur du XIXe siècle que fut Frantz Liszt. Réunis pour la première fois par Nicolas Dufetel, musicologue, chercheur et spécialiste du XIXe siècle, ces pensées, maximes ou aphorismes sont à l’image de la musique et du caractère de cette figure majeure du romantique. Figure complexe, trop souvent mal connue, qui aima passionnément Marie d’Agoult, fut ami de Georges Sand, de Richard Wagner qui épousa sa fille Cosima… Des réflexions tout à la fois profondes, intempestives, impétueuses et fulgurantes empreintes de toute la fougue du compositeur et abordant les grands sujets de son époque : L’homme et la société, philosophie et philosophes, les pays et l’Europe, mais aussi bien sûr, pour cet abbé, la spiritualité et la religion, sans oublier bien entendu la musique, l’artiste et l’art en général. Un réel régal ! C’est tout le génie visionnaire de Franz Liszt qui se trouve concentré en ces pages par les soins et le travail de Nicolas Dufetel, comme pour mieux s’y déployer. Issues de ses écrits publics ou de correspondances privées, écrites dans un merveilleux français, langue que le grand compositeur « hongrois », né en Autriche (1811-1886), affectionnait particulièrement, le lecteur retrouvera dans ces pensées choisies l’esprit universel de ce grand cosmopolite du XIXe siècle romantique. Un bel ouvrage avec, effectivement, « Tout le ciel en musique » pour horizon !

 

Rémy Campos "Debussy à la plage" Préface de Jean-Yves Tadié, Contient 1 CD audio. Durée d'écoute : 74 mn, Hors série Connaissance, Gallimard, 2018.

Rémy Campos, professeur d’histoire de la musique au CNSM de Paris, a décidé de nous faire partager un épisode de la vie de Claude Debussy méconnu, et pourtant bien plaisant, celui de son séjour pendant l’été 1911 à Houlgate sur la côte normande, voisine de Cabourg et non loin de Deauville. Là, sur cette plage paisible, il n’y composera étrangement aucune œuvre, pendant un mois il sera le vacancier anonyme de ces lieux, sept ans avant sa mort. Surgis d’archives familiales, les documents, par-delà leurs valeurs anecdotiques, qu’a su réunir l’auteur Rémy Campo témoignent à la fois de l’esprit d’une époque, trois ans avant le premier conflit mondial, mais aussi de l’environnement et entourage du musicien. Houlgate compte en ce début de siècle parmi les villégiatures appréciées, station balnéaire prisée, certes moins célèbre que sa rivale Deauville ou sa voisine Cabourg, elle jouit cependant d’une belle fréquentation. La préface du spécialiste de Marcel Proust, Jean-Yves Tadié, souligne combien il est étonnant que ni Proust ni Debussy ne se soient rencontrés, fréquentant pourtant à la même époque des lieux voisins d’à peine quelques kilomètres. Rendez-vous manqué ? Très certainement, si l’on songe aux nombreuses affinités qui auraient pu réunir les deux hommes. En 1911, l’œuvre célèbre de Debussy La Mer a déjà été créée depuis six ans alors que La Recherche est encore au stade des brouillons… La mer a inspiré Debussy à distance et le musicien se plaint de ne trouver en ces lieux l’inspiration alors même que « Pourtant, la Mer est belle, comme c’est d’ailleurs son devoir », devoir ? Lapsus révélateur… Toujours est-il que ce séjour balnéaire s’avère riche d’enseignements comme le démontre ce livre bien mené, tant sur le plan iconographique, que pour l’enquête entreprise par son auteur. C’est en effet tout un passé qui resurgit sous la plume de Rémy Campos, un passé que les vacanciers de la côte normande ignorent bien souvent, passant sous les ombres d’anciens grands hôtels reconvertis en villégiatures des temps modernes aux musiques et animations tapageuses… Nul doute que Debussy et Proust se seraient rencontrés sur ce point, le second déjà en son temps trouvait confondant que « de grosses femmes viennent jouer sur la plage des valses avec des cors de chasse et des pistons jusqu’à ce qu’il fasse nuit. C’est à se jeter dans la mer de mélancolie » ! Debussy se refusa, quant à lui, à de porter ces caleçons et maillot rayé, point de bain pour lui, mais une tenue de ville pour mieux goûter au spectacle de la mer, une attitude loin d’être singulière à son époque, salon sablonneux où l’on conversait plutôt. Debussy se fait photographe, lit des romans à 95c., une vie ordinaire et anonyme de vacancier. C’est le temps de l’insouciance, des rencontres, du Casino encore existant aujourd’hui, faible ombre de ce qu’il fut, si le lecteur s’arrête quelque temps sur les photographies réunies…Mais, en ce temps passé, déjà le mauvais goût faisait ses ravages et notre compositeur se plaint d’un artiste de saison qui dispense une mauvaise musique : « la Mer en profite pour se retirer, justement indignée. – Moi aussi ! » siffle Debussy. Mais la vie du Grand Hôtel d’Houlgate où toute la famille Debussy a élu résidence pendant un mois rattrape bien ces fausses notes, vie passée à s’observer, à se changer aux différentes heures du jour et du soir. Ce beau voyage se termine par un retour à la capitale où le lecteur pourra découvrir l’intimité du musicien dans un cadre plus formel. Un bien agréable voyage qui se conclut comme il se doit en musique grâce au CD audio qui accompagne ce livre avec 74 mn d’enregistrements d’époque d’œuvres de Debussy, dont une inédite !
 

Olivier Lexa « Monteverdi et Wagner, Penser l'opéra » Archives Karéline, Broché - format : 13,5 x 21,5 cm, 352 pages, 2018.

Curieuse association pour ce titre - Monteverdi et Wagner, Penser l'opéra, retenu par Olivier Lexa dans son dernier essai paru. Rapprocher le nom de Wagner à celui de Monteverdi peut, en effet, surprendre si l’on songe à tout ce qui sépare les deux musiciens sur pas moins de deux siècles. Cependant, associant histoire de l'art, histoire culturelle et esthétique analytique, l’auteur - metteur en scène, dramaturge et historien - rapproche avec brio ces deux compositeurs quant à leur goût commun pour la musique et le théâtre, et bien sûr, leur rôle essentiel pour l’opéra. En effet, si Monteverdi jette le premier les bases de ce que sera l’opéra moderne, Wagner, pour sa part, en repoussera à l’extrême les limites avant la modernité. La pensée néoplatonicienne qui les anime tous deux inspire fortement leurs rapports à la création musicale et à l’art, médium entre réalité quotidienne et réalité supérieure. Tous deux théoriseront leur art, Monteverdi pour répondre aux attaques dont il était l’objet quant à la modernité de sa musique, Wagner produisant de nombreux écrits théoriques. Le rapport au temps, la rédemption par l’amour, nombreux sont les thèmes qui rapprochent les deux musiciens, similitudes parfois évoquées par le passé par des analyses comme celles de Pierre Boulez mais jamais étudiées de manière exhaustive, ce que fait avec science et pédagogie Olivier Lexa dans ce livre qu’il a su ne pas limiter aux seuls musicologues, mais au contraire a souhaité laisser toujours accessible. L’ouvrage « Les règles de l’art » de Pierre Bourdieu a manifestement inspiré l’auteur ; ce dernier a également retenu l’exemple des œuvres et les nombreuses analogies entre Monteverdi et Wagner pour développer dans un second temps un historique de la pensée de l’opéra depuis ses origines au XVe siècle jusqu’à la période contemporaine. À partir d’une approche pluridisciplinaire et d’une réflexion sur ce qui constitue une œuvre d’art, Olivier Lexa a souhaité approfondir cet espace philosophique après Hegel, Novalis, Schopenhauer, Kierkegaard, sans oublier Nietzsche qui consacra un essai bien connu sur Wagner. Analysant le rapport à ce genre musical de penseurs comme Adorno, Barthes, Deleuze, Foucault, Bourdieu, il invite à une conception pleine et entière de l’opéra. L’auteur souligne en effet les limites de l’enregistrement d’œuvres qui n’ont jamais été conçues pour s’abstraire du rapport visuel et de leur dimension théâtrale. Nous entrons ainsi dans ces pages inspirées au cœur d’une philosophie de l’opéra moins connue que celle instrumentale et que l’auteur illustre idéalement avec ce livre à partir des exemples comparés de deux géants de la musique.
 

« Jean Rouch, l’Homme-Cinéma - Découvrir les films de Jean Rouch » Somogy, 2017.

Le CNC et la BnF ont heureusement œuvré afin de préserver les archives filmiques, photographiques et documentaires du cinéaste Jean Rouch. Cette impressionnante collecte se trouve aujourd’hui réunie à portée de mains et d’yeux dans ce livre de plus 243 pages, constituant assurément une Bible incontournable pour tous les amateurs de Cocorico ! Monsieur Poulet, Moi un noir, Chronique d’un été… Si la filmographie de Jean Rouch est ainsi réunie dans cet ouvrage, l’avant-propos ne manque pas de rappeler qu’il est néanmoins fort possible que quelques réalisations soient passées entre les mailles et sommeillent encore sur des étagères, tant le cinéaste fut prolixe. Toujours est-il que l’abondance du matériel ne doit pas être sous-estimée, et l’apparente simplicité du cinéma de Jean Rouch pourrait laisser croire à tort que la collecte est définitive. Qu’il s’agisse des photographies de jeunesse, des compagnons de la première heure avec Dalarou, Damouré Zika, Lam Ibrahima Dia, Talou Mouzourane ou encore des premières réalisations, c’est un demi-siècle d’images qui défilent d’un continent à l’autre au fil de ces pages. L’aventure débute en 1947 avec « Au pays des mages noirs », 13 mn que Jean Rouch jugea sévèrement avec le recul et qui prélude pourtant à sa grande œuvre à venir. Pour chaque film, une fiche technique, un résumé, des commentaires et diverses notes accompagnées de photographies permettent d’avoir une information complète et détaillée sans arpenter les couloirs de bibliothèques et cinémathèques spécialisées. Ici ou là, le lecteur découvrira des images ou témoignages émouvants comme cette fameuse 2CV break de Cocorico ! Monsieur Poulet, annonçant d’interminables palabres mémorables… Cette riche iconographie complète ainsi idéalement les fiches réunies sur chaque film, un ouvrage indispensable pour mieux appréhender et comprendre l’univers du cinéma rouchien.
Sciences, Nature

François Hammer : "Voyage de la Terre aux confins de l'Univers", Odile Jacob Éditions, 2023.

L’astrophysicien François Hammer bien connu pour ses travaux sur les galaxies lointaines nous embarque de nouveau avec son dernier ouvrage pour un merveilleux voyage interstellaire en sa compagnie… Et comment résister à cette invitation tant il est vrai que le scientifique se révèle être un aussi bon pédagogue qu’un guide de l’espace hors pair !
Ainsi, avec lui, au fil des pages alertes et oniriques, nous explorons tout d’abord notre système solaire qui apparaîtra presque familier sous sa plume tant l’auteur sait en rendre les complexités compréhensibles. Mais bientôt, nous dépasserons avec lui les frontières de notre galaxie pour aborder l’immensité toujours impressionnante des lointaines galaxies et ces espaces vertigineux dignes des meilleurs films de science-fiction… Des centaines de milliards de galaxies, rappelle François Hammer !
Mais attention, en ces pages toujours accessibles, il ne s’agit pas pour autant de vulgarisation facile, mais bien d’un tableau complet sur l’astrophysique conçu par cet éminent responsable scientifique de grands spectrographes installés au Chili sur les sites du Very Large Telescope. Grâce à lui, nous comprendrons ce que sont les planètes, exoplanètes, les trous noirs comme les nuages de gaz pépinières des nouveaux astres.
Les deux derniers chapitres passionneront également le lecteur en explorant cette fois-ci le passé de l’univers, un véritable voyage dans le temps dont François Hammer parvient à rendre la complexité compréhensible au néophyte avec un rare bonheur. Quasars, galaxies biscornues et autres nuages d’Oort n’auront plus aucun secret après lecture de ce passionnant ouvrage qui se conclut sur l’évolution prévisible de la recherche en astronomie ; une évolution qui file à toute vitesse, mais des progrès qui ne doivent cependant par faire oublier le danger qui nous guette non pas des confins de l’univers mais de notre propre planète toute proche de la limite de l’effet de serre…
 

"Tous les oiseaux d'Europe" de Frédéric Jiguet et Aurélien Audevard, 528 p., Editions Delachaux et Niestlé, 2023.

Les oiseaux sont menacés, ce n’est malheureusement une découverte pour personne, mais leur meilleure connaissance devrait cependant contribuer à une plus grande protection. Tel est le souhait des auteurs de ce passionnant guide qui vient d’être publié aux éditions Delachaux et Niestlé. Frédéric Jiguet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, et Aurélien Audevard, chargé d’études à la LPO, signent ensemble, en effet, cette somme de plus de 500 pages enrichie de 3 000 photos et 800 cartes permettant d’identifier 930 espèces de nos contrées et pays d’Europe.
Au-delà de l’exhaustivité remarquable de l’ouvrage, ce guide méritera l’attention des passionnés de la nature en raison de sa philosophie et de sa conception faisant de ce livre non seulement un guide de terrain mais également une somme didactique accessible et complète. Qu’il s’agisse des nicheurs, migrateurs, hivernants mais aussi des espèces les plus rares, « Tous les oiseaux d’Europe » offre une description complète de chacun – y compris de sa voix ! – sans oublier son habitat, et répartition géographique. Plaisant, exhaustif et qui plus est esthétique, ce Guide Delachaux sera Le guide à réserver pour découvrir l’univers passionnant de l’ornithologie.
 

André Zysberg : "La Mer, 5 000 ans d’Histoire", 640 p., 153x240mm, Les Arènes Editions, 2022.

Somme unique en langue française, « La Mer, 5 000 ans d’Histoire » réalisée sous la direction d’André Zysberg parvient, véritable défi, à circonscrire un sujet aussi vaste que ses étendues… Il fallait en effet oser ce défi en réunissant un comité des plus grands spécialistes sur chaque sujet traité. Publié en coédition avec le magazine L’Histoire, ce fort volume de presque 650 pages à la fois érudit et accessible aborde la dimension historique des multiples rapports entretenus par l’homme avec la mer. Qu’il s’agisse des premiers navigateurs de la préhistoire, des grandes civilisations antiques étroitement associées à l’élément marin, la Grèce ou encore Rome, sans oublier ces grands explorateurs et aventuriers qui osèrent la parcourir, souvent à leurs risques et périls, cet ouvrage monumental embarque le lecteur dans une odyssée aussi étonnante que diversifiée. La vie quotidienne des marins au fil des millénaires, les innombrables guerres qui ont troublé ces eaux, les non moins nombreuses ressources que l’élément marin recèle, c’est une somme vertigineuse complétée de multiples cartes couleurs dans un encart central. Cet ouvrage devrait assurément rencontrer un succès mérité, un cadeau à faire à tout amoureux de la mer !
 

Pascal Picq : « Manifeste intemporel des arts de la préhistoire », Relié, 217 x 276 mm, 160 p., Flammarion, 2022.

Les témoignages des premières expressions culturelles et artistiques des Sapiens, Dénivosiens ou encore Néanderthaliens ne cessent de questionner nos contemporains depuis leurs redécouvertes. Art ? Religion ? Symboles ? Ces divers témoignages de leur créativité parvenus jusqu’à nous demeurent pour le grand public muets et c’est au spécialiste d’être investi de la lourde tâche de tenter de les faire parler… Pascal Picq, paléoanthropologue fameux et réputé pour ses travaux sur l’évolution humaine, livre avec cet ouvrage une réflexion précieuse sur ces gestes et sensibilités manifestés à l’aube des temps et dont nous avons perdu les clefs et significations. Loin de toute supériorité de l’art occidental qui prévalait encore il y a un siècle, Pascal Picq traverse ces millénaires en rappelant la façon dont nous avons pu estimer ces œuvres primordiales – et parfois les juger de manière caricaturale – ces deux derniers siècles. « Aujourd’hui, l’archéologie préhistorique décrit les vastes civilisations dont les influences esthétiques et artistiques s’étendent sur des milliers de kilomètres et au fil de milliers d’années » souligne l’auteur. Dans ce Manifeste intemporel des arts de la préhistoire, Pascal Picq explore ainsi les origines de cette volonté de création qui anima les premiers humains, expression qui prit des formes aussi diverses que la peinture de mains négatives projetées sur des parois, la sculpture sur bois de cervidé de félins dont nous ignorerons à jamais la symbolique ou encore cette impétueuse envie de représenter des formes humaines telles ces éternelles Vénus qui n’ont pas fini de nous questionner, ce qui n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage !
 

Christian Grataloup : « Atlas historique de la Terre », 340 pages, Éditions Les Arènes, 2022.

L’Atlas élaboré sous la direction de l’éminent géographe Christian Grataloup devrait combler tous les lecteurs en recherche d’informations exhaustives et accessibles sur notre planète. Conjuguant les savoirs de plus de trente scientifiques provenant de différentes disciplines en une habile synthèse, l’ouvrage parvient en effet en ces 340 pages à proposer une Histoire de notre planète vieille de 4,5 milliards d’années sur laquelle l’espèce Homo sapiens ne surgira que vers 300 000 ans. La mise en rapport de ces multiples échelles chronologiques permet ainsi au lecteur de mieux comprendre nos implications vis-à-vis de notre planète terre qui à l’échelle de l’univers n’occupe que quelques brefs instants…
Mettant rapidement en évidence l’un de ses traits caractéristiques, Christian Grataloup souligne combien la terre se distingue des autres astres par le fait qu’elle abrite la vie depuis des millions d’années. Conjuguant avec un rare bonheur cartographie, histoire et géographie, cet Atlas parvient à placer ces cadres temporels indispensables à la compréhension de notre histoire et celle de notre planète. Sans verser dans le catastrophisme climatique et le déclin irréversible, Christian Grataloup souligne : « Notre objectif est la lutte contre l’amnésie : les passés ne peuvent se comprendre qu’articulés les uns aux autres. Notre présent est simultanément vieux de milliards d’années et de quelques siècles ». Du big bang initial à l’état actuel d’une planète vulnérable sous l’action humaine, cet ouvrage indispensable devrait assurément figurer dans toute bonne bibliothèque !
 

Didier Nectoux et Eloise Gaillou : « Le musée minéralogique de l’Ecole des Mines de Paris » ; Hors-série Découvertes, Gallimard, 2022.

Le musée de minéralogie est installé depuis 1815 à Paris, précisément à l’Hôtel Vendôme, en plein cœur du Quartier Latin, accolé au jardin du Luxembourg et longeant le boulevard Saint-Michel. Ce sont justement les portes de cette vénérable institution datant du milieu du XIX° siècle, que vient ouvrir au lecteur le dernier « Découvertes Gallimard ». Une heureuse idée puisque cette collection minéralogique unique au monde se veut également être un pôle dynamique permettant au plus grand nombre de réfléchir aux implications industrielles, politiques, économiques et environnementales de l’exploitation des minéraux.
Grâce à l’action de Didier Nectoux, le directeur des lieux, c’est une image modernisée de ces collections qui a été aujourd’hui favorisée et mise en œuvre. Néanmoins, et pour le plus grand plaisir des amateurs et curieux, ces collections sont encore présentées dans leur mobilier d’origine préservé, fait quasi unique au monde, alors qu’un grand nombre d’institutions ont cédé depuis longtemps aux sirènes du modernisme en abandonnant ce qui faisait leur charme pour des mobiliers contemporains. Le lecteur aura ainsi le rare bonheur d’aborder au fil de l’ouvrage ce haut lieu des sciences minérales en découvrant son histoire et ses évolutions grâce aux explications claires et concises de Didier Nectoux et d’Eloïse Gaillou, conservatrice au musée.
C’est à une vision d’ensemble à laquelle invite cet ouvrage didactique dont l’un des atouts, et non des moindres, est de sensibiliser le public aux implications sur l’écosystème et géostratégique. L’ouvrage invite également à admirer tout simplement ces collections les plus précieuses de gemmes rares et aux couleurs chatoyantes, charme visuel unique qu’il sera possible de prolonger avec une visite sur place !
 

"Les rusés des récifs" de Catherine Vadon, Format 21,5 x 24,5 cm, 168 p., Collection : Beaux livres, Éditions Quae, 2022.

Les récifs coralliens, on le sait malheureusement trop bien, sont en danger. Et pourtant leur importance et la vie luxuriante qu’ils abritent devraient nous encourager à nous soucier bien plus de leur avenir… C’est l’angle retenu par ce beau livre signé Catherine Vadon, océanographe de formation, chercheur au Muséum d’Histoire naturelle et aujourd’hui dans l’expertise de la biodiversité et écologie marines. Ainsi que le relève d’emblée l’auteur, ces récifs n’occupent paradoxalementque 1% des fonds de l’océan et sont le lieu de vie de 25% des espèces océaniques ! Face à cette richesse menacée, une meilleure connaissance de ce milieu complexe et foisonnant était nécessaire, ce que contribue à faire cet ouvrage passionnant. Passionnant, car immergeant littéralement le lecteur dans ces fonds marins où des espèces les plus diverses déploient des tactiques dignes des plus grands stratèges pour échapper à leur prédateur ou au contraire attraper leurs proies… Après avoir évoqué cette « vie en association » qui se trouve à la base même de la création des récifs, l’auteur décrit dans le détail – souvent effroyable ! - tout l’arsenal déployé par ces êtres aquatiques : dents, pinces, piquants, venins, substances chimiques et bien d’autres procédés dissuasifs. Servi pas de magnifiques photographies, cet ouvrage contribuera à n’en pas douter à cette sensibilisation impérieuse sur l’avenir des fonds marins.
 

« Les secrets du Monde Sauvage ; Les pouvoirs extraordinaires des animaux » ; Préfacé par Christ Packham ; Traduit de l’anglais par Benjamin Peylet ; 336 pages, Éditions Dunod, 2021.

C’est un merveilleux et passionnant ouvrage que préface Chris Packhman aux éditions Dunod. Illustré des plus splendides images, Christ Packham, naturaliste, écrivain, photographe, mais aussi grand défenseur engagé de l’environnement, propose de nous dévoiler dans ces magnifiques pages les fabuleux « Secrets du monde sauvage ». Comment le caméléon réussit-il à se confondre si bien avec son environnement ? Des plus petites moustaches à l’esthétique d’un bout de queue, chaque secret nous conte la formidable adaptation des espèces sauvages à leur environnement. Car si nous connaissons certes les grandes espèces du monde sauvage, combien de secrets cependant ignorons nous de cet étrange mais fascinant univers…
Non dénué d’humour, livrant de nombreuses anecdotes instructives, l’ouvrage aborde aussi bien la communication animale que la séduction ou encore les migrations. Ce sont ainsi d’extraordinaires capacités d’adaptation que le lecteur émerveillé par tant de beauté et de performances découvrira, que ce soit la perception des couleurs, l’odorat ou encore l’art du camouflage. Loin de n’être qu’un splendide ouvrage, ce dernier aborde une multitude de thèmes souvent ignorés du monde du règne animal. De la question qu’est-ce qu’un animal, sa forme, son squelette, chaque chapitre livre ses secrets et précisions, peau et écailles, sens, bouches et nageoires, bras et queues… jusqu’aux œufs et petits.
Appuyé par nombreux schémas explicatifs, de dessins et planches joliment présentés, ce sont tous les secrets, atouts et pouvoirs extraordinaires du monde sauvage, bien souvent totalement méconnus, qui se dévoilent ainsi page après page.
Des découvertes infinies qui laissent le lecteur ébahi par tant de beauté, d’ingéniosité et de capacité d’adaptation. Ainsi que le souligne Christ Packman en sa préface : « Ce très beau livre présente une fusion parfaite de (ces) trois vertus. Il célèbre l’art, révèle d’éclatantes vérités, et attise la curiosité pour les sciences naturelles ».
 
 

« Auprès de nos arbres » d’Édith Montelle, Éditions Delachaux et Niestlé, 2021.

Certains de nos contemporains redécouvrent ces derniers temps la présence immuable et pourtant menacée des arbres dans notre environnement. Édith Montelle et le photographe Benjamin Stassen se chargent dans ce bel ouvrage paru aux éditions Delachaux & Niestlé dès lors de les accompagner avec bienveillance et science en une livraison à la fois inspirante et détaillée. Cet ouvrage fort heureusement réalisé selon le respect de l’environnement avec du papier issu de sources responsables fourmille en effet d’informations sur nos majestueux aînés qui préexistaient des millénaires avant l’apparition de l’homme. Tour à tour protecteurs, guérisseurs, sources de multiples productions, les arbres semblent quelque peu réduits à un rôle décoratif de nos jours lorsqu’ils ne sont pas tout simplement omis du paysage de bien de nos villes contemporaines. Apprendre à les redécouvrir, retrouver les mythes et légendes auxquels ils ont été très tôt associés, cette belle réflexion allant d’un simple germe d’un gland de chêne jusqu’au plus ancien des arbres connus souligne ce lien indéfectible qui nous unit à ces témoins à la fois robustes et fragiles de la nature. Un ouvrage à partager en famille afin de prolonger encore notre respect à leur égard pour les générations futures.
 

« Une Histoire du ciel » d’Edward Brooke-Hitching ; 18.9 x 24.6 cm, 256 pages, Éditions Delachaux et Niestlé, 2021.

C’est une belle histoire que nous conte Edward Brooke-Hitching, celle du ciel, de notre ciel. Une histoire à la croisée des chemins entre histoire, mythologie et sciences. Du ciel de l’antiquité au « Ciel moderne » en passant par celui du moyen-âge ou celui des révolutions scientifiques, bien plus qu’une simple histoire, c’est une fantastique aventure dans le temps et dans l’espace que nous propose l’auteur, écrivain, journaliste et documentaliste. Passionné de cartes, de mythologies et de représentations, Edward Brook-Hitching livre, en effet, en cet ouvrage richement illustré de plus de 250 pages une extraordinaire histoire de ce qui a de tout temps fasciné les hommes, le ciel, la Voie lactée, les étoiles et comètes ; Le ciel vu de la terre ou la terre vue du ciel ou encore lorsque « La mer était au-dessus de la terre » ! Astrologie, astronomie, croyances et sciences scandent ainsi cette fantastique aventure de la découverte du cosmos et de l’univers des temps les plus reculés à aujourd’hui. L’imaginaire y côtoie les plus grandes découvertes dans des représentations fascinantes et à couper le souffle. Une jolie façon, pour reprendre la pensée de Ptolémée, que nos pieds ne touchent plus terre, un régal !

 

« Au nom de l’arbre » ; Collectif sous la direction de Cyril Drouhet ; Introduction de Sylvain Tesson ; Préface de Jacques Rocher ; 224 pages, Éditions Albin Michel, 2021.

« Au nom de l’arbre » est à la fois un cri d’alarme mais aussi un bel éloge de l’arbre, des arbres et des forêts, et surtout un très bel espoir… Car, souligne en son introduction Sylvain Tesson, si « les modalités techniques de la déforestation sont multiples, l’origine profonde est la même : partout où la pression humaine s’accroît, la forêt s’efface » . L’espoir renaît cependant lorsqu’on va à la rencontre de ceux et celles qui se battent et résistent aujourd’hui pour contrer cette déforestation et destruction massive des ressources naturelles. Ce sont ces extraordinaires rencontres avec ces hommes et femmes engagés, ces batailles concrètes pour la replantation et la biodiversité, tel un espoir pour l’humanité que nous propose justement ce splendide ouvrage réalisé sous la direction de Cyril Drouhet.
Ainsi, le lecteur pourra-t-il découvrir cette forêt qui renaît en Éthiopie ou encore celle renaissant de ses cendres au Portugal. Jacques Rocher, président de la fondation Yves Rocher, rappelle pour sa part, en sa préface son engagement et sa rencontre décisive avec « la Femme qui plantait des arbres », Wangari Muta Maathai, prix Nobel de la paix et écologiste. Des pages qui nous entraînent également vers ces contrées ou paysages où la forêt est protégée et gardée, au Togo avec les jardiniers de la forêt ou encore en France avec les gardiens du territoire. Rencontre magique aussi avec ces papillons monarques du Mexique et la réserve d’El Rosario…
Ce sont ainsi pas moins de neuf rencontres d’une forêt vivante et plurielle que l’ouvrage nous propose ; neuf rencontres écrites par neuf auteurs et magnifiquement illustrées par neuf photographes engagés et de talent. Et, « là où les arbres reviennent, bêtes, hommes et dieux rétablissent l’équilibre ! » écrit Sylvain Tesson convoquant pour cette belle ode aux arbres la poésie, Victor Hugo ou encore Larbaud ou Nerval...
Et si nous prenions effectivement le temps, un jour, – ainsi que le suggère Jacques Rocher – d’être un arbre ?...
 

« Abysses – L’Odyssée des hommes sous la mer » de Michel Viotte avec la collaboration d’Olivier Dufourneaud ; Préface de S.A.S. le Prince Albert II de Monaco ; 224 pages, Éditions La Martinière, 2022.

L’histoire de l’exploration des fonds marins constitue une incroyable aventure tant humaine que technologique. Cette science commencée au milieu du XIXe siècle qui a pris le nom d’« océanographie » a été le fait d’aventuriers, de scientifiques, mais surtout de passionnés tel le Prince Albert 1er, le « Prince navigateur », ainsi que le rappelle le Prince Albert II de Monaco dans sa préface. C’est cette fabuleuse aventure, cette « Odyssée des hommes sous la mer » que nous faire découvrir ce formidable ouvrage de Michel Viotte avec la collaboration d’Olivier Dufourneaud. Face aux profondeurs, aux pressions et courants extrêmes, face aux contraintes du froid et à l’absence de lumière, que de défis relevés !
Que d’exploits, effectivement, réalisés ayant permis depuis plus d’un siècle et demi l’exploration des profondeurs de l’océan, on songe à l’invention du scaphandre autonome, aux submersibles à propulsion, aux habitats sous-marins ou encore aux robots téléopérés… les auteurs reviennent sur la naissance et « Les pionniers de l’océanographie ». Largement et joliment illustré et appuyé de cartes, de reproductions et photographies, l’ouvrage nous fait également découvrir le travail sous la mer avec les premiers scaphandres et pieds-lourds, puis les scaphandres rigides jusqu’à « L’avènement de la plongée autonome ». Les chapitres suivants se consacrent à repousser toujours plus loin les limites et présentent les « Nouveaux défis » avec notamment les habitats, vaisseaux, robots et laboratoires sous-marins. Une histoire et un monde fascinants... Que de défis et d’avancées ! C’est assurément une passionnante plongée dans les plus grands fonds marins que nous offre cet ouvrage.
 

Alain Bentolila : "Nous ne sommes pas des bonobos - Créateurs et créatures", Éditions Odile Jacob, 2021.

Derrière ce titre un brin provocateur se cache un brillant essai sur la fonction du langage. Ainsi que le souligne l’auteur, professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes et directeur de recherche : « Ce n’est pas l’évolution de l’espèce humaine qui a entraîné la création du langage ; c’est la création du langage qui a défini son évolution. Un petit enfant n’apprend pas le langage parce qu’il grandit, c’est le langage qui le fait grandir », dont acte !
L’ouvrage explore ainsi en termes clairs et didactiques comment et par quelles voies le langage se trouve constitutif de créations et d’originalités, et non d’imitations et répétitions. Par cette approche, l’auteur s’oppose à l’idée selon laquelle notre langage serait comparable aux instruments de communication des autres espèces animales. L’audace de la pensée humaine dépasse pour lui les simples automatismes de communication pour atteindre un degré de nuances, de sensibilités, à nulle autre pareille.
Mais, entre manipulation et conviction, information et mensonge, combien de subtilités et d’imperfections possibles ? L’art du langage et de la rhétorique étaient naguère choyés par les Anciens qui nourrissaient ce bien si précieux au point de le placer au sommet de l’éducation des jeunes enfants. Parler, lire et écrire n’étaient en rien une activité mécanique et répétitive, mais un art en soi dont il fallait le plus tôt acquérir les clés au même titre que le musicien à l’égard de la musique. Propre de l’homme, le langage nourrit et enrichit notre humanité, mais si nous le négligeons et le reléguons à l’arrière-plan de l’éducation, il pourrait bien être le terreau de nouvelles manipulations et violences, nées de l’impuissance à exprimer ce qui est au cœur de l’homme ainsi que le démontre ce stimulant essai.
 

"La mer au temps des dinosaures" de Nathalie Bardet, Alexandra Houssaye, Stéphane Jouve, Peggy Vincent, Alain Bénéteau (illustrations), Éditions Belin, 2021.

Si le monde des dinosaures commence à être mieux connu du grand public ces dernières décennies, il est, cependant, d'autres reptiles tout aussi fascinants qui méritent notre attention. Il s'agit de ces "dinosaures marins", terme certes impropre, ainsi que le soulignent les auteurs de cet ouvrage de vulgarisation servi par les meilleurs spécialistes sur la question. Il ne s’agit point en effet de véritables dinosaures des mers mais d’une multitude de reptiles dont la taille et la morphologie sont tout aussi impressionnantes pour certains d’entre eux. En évoquant cette riche histoire qui débute il y a 300 millions d'années, curieusement c'est par un chemin inverse que certains reptiles ayant quitté les flots y retourneront pour donner naissance à une nouvelle colonisation des mers. Cela donnera naissance à des espèces très variées tels les ichtyosaures, plésiosaures, mosasaures...
Ainsi que le révèle cet ouvrage magnifiquement illustré grâce aux dessins d'Alain Bénéteau, cette nouvelle adaptation au milieu aquatique soulève de nombreuses questions n'ayant pas encore toutes reçu des réponses définitives. Cependant, il n’en demeure pas moins que cette longue adaptation a conduit à d'étonnantes transformations et mutations anatomiques rappelées dans ces pages pour répondre aux exigences de ce nouveau milieu aquatique. De manière très pédagogique, les auteurs débutent ce long survol des mers en « plantant le décor" dès le premier chapitre et en partant paradoxalement des reptiles marins d'aujourd'hui !
Après avoir décrit leur milieu commun avec les mers entourant les continents de l'ère Mésozoïque (-252 à -66 Ma), l'ouvrage approfondit les caractères et évolutions spécifiques de ces reptiles marins dont certains sont parvenus jusqu'à nous tels les crocodiles. En un style clair et didactique, l'ouvrage couvre ensuite 5 périodes du Paléozoïque supérieur au Cénozoïque, dernière période dépourvue de la plupart des redoutables reptiles marins ayant disparu lors de la crise du Crétacé.
Au terme de cet étourdissant et merveilleux voyage aquatique en compagnie de la diversité de ces reptiles marins, le lecteur prendra conscience à la fois de la profusion de ces différentes espèces et parallèlement de la fragilité de leur existence sur la longue échelle de l'histoire de notre planète.
 

« La classification animale – une histoire illustrée » de David Bainbridge ; 171x236, 256 p., Éditions Delachaux et Niestlé, 2020.

Avec l’ouvrage de David Bainbridge, c’est l’univers à la fois mystérieux et fascinant de la classification animale qui se dévoile pour le plus grand bonheur de ses lecteurs. En un ouvrage clair et didactique pour un sujet ardu, l’auteur montre combien toutes ces disciplines aux noms souvent hermétiques trouvent leur source dans cette tentative de décrire le vivant et, en l’espèce, le monde animal. Phylogénétique, taxonomie, cartographie génétique, phénétique, systématique, biostratigraphie, taphonomie, génomique… Cependant, toutes ces disciplines ne sont pas nées du hasard, mais bien de cette lente et patiente interrogation des hommes depuis l’Antiquité sur les différentes espèces d’animaux vivant parmi eux. L’auteur est un scientifique réputé à l’Université de Cambridge au département de médecine vétérinaire. Son point de vue est non seulement celui de l’homme de sciences, mais également d’un pédagogue hors pair, et ce, afin de mieux faire comprendre comment toutes ces divisions et sous-classements trouvent leur origine.
Les premières pages décrivent ainsi combien l’univers de la science peine tout d’abord à se dégager de croyances métaphysiques et religieuses, ces domaines étant souvent confondus à l’origine. Ce n’est que par une lente et patiente observation, une volonté toujours plus aiguisée de s’abstraire de l’idéologie pour s’appuyer sur de nombreuses expérimentations que l’univers animal sera progressivement présenté sous une forme plus rationnelle.
L’ouvrage abondamment illustré de nomenclatures artistiques fait la démonstration que ces interrogations, en plus d’éclairer le monde qui nous entoure, révèlent souvent bien des traits de notre propre espèce.
 

« Fabuleux insectes » de Denis Richard et Pierre-Olivier Maquart ; 22 x 28.5 cm, 240 pages, Éditions Delachaux et Niestlé, 2021.

Denis Richard et Pierre-Olivier Maquart signent un fabuleux ouvrage consacré aux plus fantastiques insectes aux éditions Delachaux et Niestlé. Très joliment illustré, avec une vaste iconographie et plus de 230 pages, les auteurs, tous deux docteurs et spécialistes, nous ouvrent en effet les portes d’un monde d’une richesse inouïe, celui des insectes les plus fabuleux de notre monde. Entre cabinet de curiosités aux mille secrets et découvertes, études d’entomologie et histoire des sciences, l’ouvrage présente ainsi pas moins de cinquante « Fabuleux insectes » répertoriés sur les cinq continents.
D’extraordinaires insectes reconnus pour leur beauté à nulle autre pareille, leur rareté ou encore pour leurs fantastiques capacités notamment d’adaptation. En cinq chapitres, non sans humour, les auteurs font assurément mouche et livrent à la curiosité, mais aussi à la fascination, voire à l’imagination du lecteur, des mondes surprenants et passionnants. Des insectes aux aptitudes étonnantes relevant « Records et défis », tels ces « Guêpes lilliputiennes » ou ces insectes des lieux inhospitaliers, coléoptères peuplant les déserts d’Afrique australe ou encore la mouche « Belgica antarctica », seul insecte en Antarctique. Des insectes faisant aussi rêver tels les « Scarabées-bijoux », mais également des insectes recherchés comme un « Dieu des choses laides » !
Si certains ont disparu, d’autres apparaissent ou réapparaissent ces dernières années dans nos contrées notamment les fameux moustiques tigres ou encore les redoutables punaises de lit.
Assurément, ce sont les portes d’un monde fascinant que les pages de cet ouvrage richement illustré nous ouvre, celles-là même de notre monde, celui de « Fabuleux insectes » lorsque la nature se fait féérique ou magicienne…
 

« Identifier les roches » de Jürg Meyer, 144 p., Éditions Delachaux & Niestlé, 2021.

Les roches nous environnent de partout, même lorsque nous ne soupçonnons pas leur présence. Combien de fois avons-nous buté subrepticement sur l’une d’entre elles sans même savoir son nom, ses origines ou son âge, souvent vertigineux… Afin de ne plus rester dans l’ignorance, Jürg Meyer a conçu un guide très précieux car il s’adresse au néophyte, tout en lui prodiguant des enseignements complets, et ce, de manière très accessible sur les bases de géologie.
Cette passion qui l’a conduit à partager ses connaissances de diverses manières (géologue, guide de montagne, conférencier) se retrouve à chaque page de cet ouvrage qu’il a su rendre agréable et attractif sur un sujet qui par ailleurs aurait pu être aride. Grâce à la pédagogie de l’auteur, le lecteur saura distinguer la structure des roches, leur origine volcanique, sédimentaire, métamorphique, plutonique…
L’approche repose sur une démarche à la fois scientifique et pratique, l’une n’allant pas sans l’autre. 300 types de roches se trouvent ainsi distingués en ces pages agrémentées de 460 photographies et de nombreux graphiques.
C’est à un véritable jeu de repérage et d’identification auquel convie Jürg Meyer avec cet ouvrage, une pratique accessible au moindre détour d’un chemin, aidé seulement d’une bonne loupe, de ces précieux conseils et de curiosité pour notre environnement !
 

 

L’Atelier la Trouvaille – matériel et conseils pour la géologie et minéraux

L’Atelier La Trouvaille compte assurément parmi ces adresses incontournables dans le monde de la géologie, minéralogie, taille de pierre et autres domaines scientifiques où le sérieux allié à la passion prédomine. Depuis plus de 40 années à Remoulins, cette société réputée a su s’adapter au fil des évolutions technologiques tout en gardant en permanence les critères d’excellence et de haute qualité en matière d’outils et d’articles liés à la pierre. En recherchant en permanence les meilleures sources et les dernières technologiques, l’Atelier La Trouvaille porte, en effet, bien son nom et fait figure de véritable adresse incontournable tant pour les professionnels que pour les amateurs.
Le site web de l’Atelier de la Trouvaille fourmille ainsi de propositions allant des outils nécessaires aux plus inimaginables pour la pratique de la géologie comme pour la gemmologie jusqu’aux précieux microscopes et autres machines perfectionnées.
L’amateur de minéraux et fossiles trouvera son bonheur pour s’équiper dans les meilleures conditions avec un choix de matériel adéquat et de qualité. Parmi les nombreuses propositions, l’incontournable loupe de poche. Indispensable, celle-ci permettant d’observer le détail des échantillons prélevés.
La loupe Doublet de terrain de grossissement x10 assurera avec précision et efficacité toutes les observations de détail sur les minéraux, fossiles, botanique, entomologie… Le terme aplanétique signifiant que les lentilles de la loupe ont été corrigées quant aux défauts géométriques. Avec une lentille de diamètre 20mm et un champ de vision également de 20mm, cette petite loupe en métal protégée par un étui en cuir s’avérera le compagnon précieux et indispensable de l’amateur comme du professionnel.
Soulignons, enfin, que l’Atelier la Trouvaille est plus qu’un site de matériel en ligne, les passionnés qui animent cette aventure proposant également tout au long de l’année de partager leurs compétences sous forme de stages autour de la taille de pierres précieuses, facettage, cabochonnage, initiations à la gemmologie, mais aussi en proposant des conseils en ligne avec de nombreux articles sur la géologie, les minéraux, les microscopes, sans oublier la vente de minéraux… A découvrir !

Pour toutes commandes et renseignements : Atelier la trouvaille 4,rue LT. Colonel Broche BP 48 30210 Remoulins Tél. 04 66 37 07 65 www.atelierlatrouvaille.com
 

Buffon : « Le Castor & Fragment du Discours sur la nature des animaux » ; Préface de Jacques Damade, Collection L’Ombre animale, Editions La Bibliothèque, 2021.

Georges-Louis Leclerc, plus connu sous le nom de comte de Buffon (1707 - 1788), épouse le siècle, le XVIIIe, à l’image de ses contemporains, en homme des Lumières. À la fois biologiste et philosophe, naturaliste et écrivain, c’est un homme du monde qui aime dans le désordre les femmes, l’argent et le pouvoir… Certains de ses contemporains, notamment d’Alembert, ont vu en lui « un grand phrasier », d’autres, après la Révolution, estimèrent qu’être noble et savant était antinomique. Qui croire ?
Le petit ouvrage qui vient de paraître dans la Collection L’Ombre animale des éditions La Bibliothèque pourrait bien lever le voile sur ces contradictions qui n’en sont point lorsque leur auteur s’inscrit dans une période de profondes mutations des idées et de la pensée. L’heureuse réunion de deux textes de Buffon « Le Castor » et le « Fragment du Discours sur la nature des animaux », loin de vouloir fort heureusement réduire cette question, souligne un trait qui ressort malgré elle de cette pensée, celui de l’infime cloison séparant l’homme de l’animal. Alors même que Buffon par ses observations répétées livre un aimable tableau des mœurs des castors qui aurait séduit à n’en pas douter Jean-Paul Sartre, sa conclusion pourtant sans appel de la distinction entre homme et animal laisse songeur.
Le savant anticipe cependant par des éclairs lucides les développements contemporains de l’anthropocène lorsqu’il évoque le sort funeste des sociétés castors lorsqu’elles se trouvent bouleversées du fait de l’action de l’homme. Difficile de ne point faire de parallèle avec le sort même de notre espèce lorsqu’il évoque ces savantes constructions dignes des plus éclairés architectes réduites à néant au bout de quelques générations lorsque ces animaux se terrent dans des cavités pour fuir l’homme chassant sa précieuse fourrure.
Et si l’entendement pour Buffon provient de la seule puissance de réfléchir, propre de l’homme selon lui à la différence de Réaumur, le monde des sensations que nous partageons avec les animaux nous rapproche pourtant de ces derniers à une vitesse vertigineuse à l’heure de l’émotivité surexcitée et autres sollicitations désordonnées de tous les affects. Aussi ces frontières intangibles dessinées et souhaitées par le savant philosophe se fissurent-elles plus rapidement que les barrages édifiés par nos castors, une belle invitation à la réflexion suggérée par cet ouvrage.
 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

« La fabuleuse histoire de nos origines – De Toumaï à l'invention de l'écriture » de Marc Azéma et Laurent Brasier, Éditions Dunod, 2020.

C’est une vertigineuse plongée dans le passé de l’humanité qui attend le lecteur de « La fabuleuse histoire de nos origines ». 7 millions d’années défilent en effet sous nos yeux, page après page, en un panorama aussi vaste que concis, servi par deux plumes éprises de pédagogie et de science. Marc Azéma est chercheur associé au CREAP et membre chargé de l’étude de la grotte Chauvet en Ardèche. Laurent Brasier, quant à lui, voue une véritable passion dans le cadre de son métier de journaliste scientifique pour tout ce qui a trait au passé, ce qui justifie pleinement cette étonnante odyssée humaine illustrée et nourrie par des textes précis et clairs. Jean Guilaine, l’éminent professeur au Collège de France (lire notre interview) souligne d’ailleurs en préface de l’ouvrage le caractère atypique de cette somme qui retient 120 « flashes » déterminants de l’évolution.
Cette approche est d’autant plus originale qu’elle se trouve étendue à l’ensemble de la planète et bénéficie des toutes dernières données de la science. Ainsi le lecteur prendra-t-il connaissance des conditions d’émergence des premiers hominidés bipèdes avec notre ancêtre, le fameux Toumaï découvert par Michel Brunet (lire notre interview), il y a plus de 7 millions d’années. De ces dates lointaines et abstraites pour nous, jusqu’à l’invention de l’écriture, que d’évènements décisifs pour l’humanité et les civilisations qui en découleront, des étapes essentielles rappelées avec un rare talent didactique par les auteurs en des synthèses précises et facilement mémorisables grâce aux repères et échelles temporelles constamment rappelés en gras pour chaque notice. Les premiers pas, les premiers mots, les premiers outils et représentations pariétales sont égrenés au fil de ces pages en un merveilleux récit de nos origines.
 

« Mousses et lichens » Volkmar Wirth, Ruprecht Dull et Steffen Caspari, Guide Delachaux, 336 p. Éditions Delachaux & Niestlé, 2021.

L’univers des mousses et lichens accompagne bien souvent notre quotidien à notre insu. Un interstice subrepticement caché à l’embrasure d’une fenêtre, deux pierres disjointes ou encore le sommet d’un faîtage peuvent soudainement se métamorphoser en pépinière merveilleuse de ces plantes, la plupart du temps négligées. Certes, ces dernières n’offrent guère de floraisons spectaculaires, ni de fruits tentateurs, mais les subtiles variations de leurs teintes au gré des saisons et la multitude des détails qui se dévoilent à qui sait leur prêter attention réserveront bien des heures inoubliables.
C’est le thème de ce fantastique univers des « Mousses et lichens » qui est justement retenu par ce très réussi Guide Delachaux réalisé avec science et passion par Volkmar Wirth, Ruprecht Dull et Steffen Caspari. Un guide recensant et présentant pas moins de 290 espèces facilement à identifiables grâce aux nombreuses photographies réunies. Afin de se transformer en bryologue – dénomination officielle des spécialistes de ces petites mousses et lichens - les auteurs ont adopté une démarche à la fois rigoureuse et souple, en présentant ces plantes, leur port et leur substrat. Deux critères essentiels ont prévalu pour les auteurs, à savoir que l’espèce soit à la fois commune et aisément reconnaissable. L’identification d’une mousse peut, en effet, parfois poser quelques difficultés, aussi les auteurs de cet ouvrage ont-ils volontairement privilégié les exemplaires les plus faciles à distinguer.
Les lichens présents sur les arbres, rochers et sols maigres sont étrangement composés simultanément d’un champignon et d’une algue. Cette combinaison surprenante constitue dès lors le propre des lichens, conditionnant selon leur variété, leur aspect extérieur, mais aussi leur physiologie et écologie. Les mousses comme les fougères appartiennent aux « archégoniates », bien adaptées à la vie terrestre, puisque les traces fossilisées des plus anciennes mousses remontent à 350 millions d’années… à l’image des lichens, les mousses font figure de plantes colonisatrices, les premières supportant plus une pénurie hydrique.
À l’aide des précieux conseils fournis par ce guide, l’amateur équipé d’une bonne loupe et de curiosité pourra partir à la découverte d’un univers passionnant et disponible au seuil de sa porte !
 

« Quel oiseau ? » de Marc Duquet, 140 x 190, 128 p., Editions Delachaux et Niestlé, 2020.

Qui n’a jamais ressenti la frustration de ne pouvoir répondre à la question « quel est cet oiseau ? » De nos jours, identifier ces compagnons du quotidien relève non seulement de la curiosité naturelle mais, qui plus est, d’une démarche écologique indispensable. Alors qu’un grand nombre d’espèces d’oiseaux se trouvent menacées par la pollution, la destruction de leur habitat et l’urbanisation excessive, mieux connaître la soixantaine d’espèces communes vivant en Europe ne peut contribuer qu’à leur préservation. Une connaissance et préservation des plus urgentes. D’autant plus que le style alerte et ludique de Marc Duquet, passionné de nature et spécialiste des oiseaux, rendra l’exercice attractif et plaisant avec des réponses à des questions simples comme « quel oiseau harponne les poissons avec son bec ? » (le martin-pêcheur) ; « Quel oiseau chante à tue-tête la nuit dans le jardin ? » (le rossignol) ; « Quel oiseau a des pattes beaucoup trop longues ? (L’échasse)… Avec pour chaque espèce, une description rappelant les caractéristiques principales de chaque oiseau, ce petit livre ludique illustré de 110 photos s’avère être particulièrement instructif et pourra servir d’ailleurs à des jeux de question/réponse en famille ou entre amis. Un ouvrage toujours bien venu.
 

« Le tour de France du littoral ; regard d’un géologue » de François Michel, 21 x28.2 cm, 288 p., Éditions Delachaux et Niestlé, 2020.

En cette époque où les Français redécouvrent leur littoral, les éditions Delachaux et Niestlé proposent un ouvrage qui ne peut manquer de susciter intérêt et curiosité puisque ce dernier nous entraîne dans un tour de France géologique du littoral français. Un fabuleux tour des nombreuses et diverses côtes françaises, de celles de la Manche à celles de l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée sans oublier les côtes des territoires d’outre-mer, offrant non seulement un voyage de découvertes, mais également des plus instructifs et passionnants sous le regard du géologue François Michel. Car, ne l’oublions pas, au-delà de cette merveilleuse diversité des côtes françaises, le littoral parce qu’entre terre et mer, vit, évolue et bouge… « Le littoral est cette ligne mouvante, trait d’union qui marque la triple frontière entre la terre, la mer et l’air. Ces trois composantes modulent son aspect et façonnent les paysages sous contrôle des changements climatiques qui, depuis toujours, animent et dessinent la géographie de la planète. », rappelle l’auteur.
Extrêmement bien réalisé et documenté, scientifique mais accessible, ce « Tour de France du littoral » permet, en effet, non seulement de découvrir l’ensemble et la diversité du littoral français, mais aussi et surtout d’en appréhender leur histoire et leur nature géologique. Que nous content, en effets, ces étendues de sable fin que nous avons parcouru cet été, quelle est « La petite histoire d’un grain de sable » ? Que disent ces dunes presque magiques qui « naissent et se déplacent ». C’est toute l’histoire du littoral du bassin parisien, du Massif armoricain, aquitain, méditerranéen et de l’outre-mer que nous racontent en ces pages.
Par cette compréhension, l’auteur François Michel, déjà auteur de nombreux ouvrages, entend aussi sensibiliser aux phénomènes affectant les multiples et variées côtes françaises. Vagues, marées, tempêtes, courants, bien peu de phénomènes garderont en ces pages leurs mystérieux secrets, sans oublier, bien sûr, l’impact du changement climatique sur l’ensemble du littoral français. À la lecture de cet ouvrage, nous comprenons comment et pourquoi certains phénomènes - pour certains imminents - sont ou peuvent être dès à présent prévisibles et comment nous pouvons dès aujourd’hui commencer à nous en protéger.
Un ouvrage, clair, détaillé et captivant livrant une merveilleuse et accessible compréhension du littoral français à mettre sans hésitation entre toutes les mains !
 

« Les hirondelles » de Georges Olioso, Éditions Delachaux & Niestlé, 2020.

Et si les hirondelles disparaissaient à jamais de nos maisons et jardins, à l’image des abeilles menacées ? C’est un cri d’alerte que lance Georges Olioso, spécialiste depuis plus de 40 ans de ces oiseaux, et qui a noté des comportements étranges concernant ces petits animaux pourtant si familiers des hommes depuis l’aube des temps.
Ainsi, l’auteur note-t-il qu’un grand nombre de nids se trouvent inoccupés année après année, et pire encore sont souvent arrachés par l’homme au prétexte que ces oiseaux seraient sources de nuisances dans notre quotidien… Pesticides, poteaux et autres pièges tendus par l’homme menacent également ces petites bêtes pourtant si utiles dans notre vie quotidienne, sans parler du plaisir esthétique à les regarder.
C’est pour éduquer les générations futures à leur préservation que cet ouvrage a été conçu, en proposant une réflexion particulièrement exhaustive sur cette famille d’oiseaux dont cinq espèces vivent en France alors que leurs congénères occupent tout aussi bien le Moyen-Orient, l’Alaska ou encore l’Égypte. L’auteur propose quelques repères utiles pour comprendre leur histoire la plus ancienne puisque ces petits volatiles trouveraient leur origine, certes lointaine, auprès des énormes dinosaures ! Leur mode de vie, leur reproduction et, bien sûr, leurs toujours aussi mystérieuses migrations se trouvent analysés dans ces pages à la fois accessibles, détaillées et joliment illustrées. La dernière partie, surtout, de l’ouvrage se doit d’être partagée avec le plus grand nombre possible de personnes au risque, un sombre matin, de ne plus voir aucune hirondelle zébrer nos ciels d’été…
Un plaidoyer passionné et passionnant qui encourage à la préservation de ces petits oiseaux si familiers et aimant tant partager nos granges, remises et habitations !
 

« Faune des villes - 300 espèces qui vivent parmi nous » de Vincent Albouy (Auteur), André Fouquet (Photographies), Relié, 224 p., Éditions Delachaux et Niestlé, 2020.

L’épidémie que le monde connaît actuellement donne une nouvelle actualité à la « Faune des villes », titre du dernier ouvrage paru aux éditions Delachaux et Niestlé. Le confinement provoqué par cette crise a, en effet, non seulement conduit nos contemporains à mieux observer ces êtres vivants bien souvent ignorés, mais qui plus est, à remarquer qu’ils profitaient de la situation pour être beaucoup plus visibles. Et que de diversité et découvertes !
« Faune des villes », ce guide écrit par Vincent Albouy, et nourri d’une abondante iconographie grâce aux belles photographies d’André Fouquet, invite justement le lecteur à cette rencontre fascinante, et connaître ces pas moins de 300 espèces qui vivent parmi nous dans nos villes, souvent à notre insu. Comme le souligne Vincent Albouy, les centres urbains les plus bétonnés peuvent paradoxalement accueillir une faune insoupçonnée, même si les dernières décennies démontrent une décroissance notable de leur diversité. Si nos communes commencent à prendre conscience de la nécessité de ne point faucher systématiquement les espaces publics afin d’encourager cette biodiversité, il n’empêche que rares sont devenus de nos jours les friches et terrains vagues qui abondaient il y a encore une trentaine d’années dans nos villes. Ce que l’homme a gagné sur la nature, cette dernière la retranche inexorablement de notre quotidien. Aussi est-il indispensable, notamment pour les futures générations, de sensibiliser le plus grand nombre à cette présence souvent discrète, et néanmoins indispensable.
Après avoir rappelé les grands principes indispensables à la préservation et encouragement de la biodiversité - tout à fait accessible au niveau individuel - ce précieux guide dévoile quelles sont précisément ces 300 espèces qui cohabitent, tant bien que mal, avec notre propre espèce. Ce sont tout d’abord les vertébrés bien connus avec les oiseaux, ceux bien familiers, bien entendu, tels nos pigeons, moineaux, canards et autres mouettes, et tant d’autres dont nous ignorons le nom. Mais aussi de plus rares qui s’installent parfois dans nos villes telles la cigogne blanche sur les clochers et les toits, les hérons au bord de nos plans d’eau ou encore ce beau et bleu Martin-Pêcheur d’Europe d’un si joli bleu… Pour chacun, une petite fiche pratique propose une photographie, ses caractéristiques, identification et biologie. Le lecteur pourra dès lors poursuivre son exploration naturaliste en découvrant au fil des chapitres cette étonnante diversité parmi les mammifères et autres vertébrés, puis les invertébrés avec les somptueux papillons, sans oublier les insectes de toute sorte, un fascinant bestiaire observable au seuil de notre porte !
 

"Le Guide de l'astronome débutant - Bien commencer dans l'observation du ciel" de Tom Kerss & Radmila Topalovic, Delachaux et Niestlé, 2020.

Si la voûte céleste s’offre à la vue de tout à chacun lorsque la pollution lumineuse s’estompe, sa découverte nécessite cependant quelques guides et conseils, au risque de céder trop rapidement au découragement. C’est l’objet de ce petit ouvrage pratique conçu par Tom Kerss et Radmila Topalovic, tous deux astronomes professionnels à l’Observatoire royal de Greenwich. Mais que l’on ne prenne pas peur, nos deux guides ont souhaité proposer un accompagnement des plus clairs et accessibles pour les néophytes comme l’indique le titre de l’ouvrage bénéficiant d’une belle iconographie malgré sa petite taille.
Tirant avantage du handicap certain de nos cieux urbains noyés de lumière la nuit, nos auteurs suggèrent justement de faire l’apprentissage dans ce contexte contraignant, avant de se rendre à la campagne ou en montagne où des myriades d’étoiles attendent chaque nuit l’astronome. À l’instar de chaque discipline, une séance d’astronomie ne s’improvise pas - et après avoir rappelé en une précieuse synthèse l’essentiel à connaître du ciel nocturne – ce guide précise dans le détail comment préparer une séance d’observation de manière très pratique. Habituer sa vision à la nuit, savoir distinguer les couleurs des astres et leurs significations, être capable de déchiffrer une carte du ciel et connaître les différentes magnitudes, sans oublier les récents logiciels d’astronomie disponibles sur smartphones et tablettes, c’est tout d’abord « avec les yeux » que les auteurs conseillent de découvrir la voûte céleste.
Puis viendront les séances magiques aux jumelles ou mieux encore au télescope qui révéleront le ciel profond, les fameux anneaux de Jupiter, sans oublier Dame Lune, si proche au grossissement de l’objectif que l’on croirait pouvoir la saisir…
La deuxième partie propose, enfin, une série d’objets à observer ainsi que différentes cartes saisonnières du ciel en fin d’ouvrage.
Un précieux guide à emporter lors de ses découvertes astronomiques à la campagne ou en ville du balcon de son appartement au cœur de la nuit étoilée !
 

« Des papillons dans mon jardin - Comment les attirer avec les plantes appropriées » de Bruno P. Kremer, 208 p., Format 15,5 x 22,5, Coll. Les guides du naturaliste, Éditions Delachaux et Niestlé, 2020.

Alors que la faune et la flore sont de plus en plus menacées par la pollution et le réchauffement climatique, les lépidoptères - ou papillons dans le langage courant - sont en première ligne des victimes de ces changements. Il devient de plus en plus rare en effet de les observer dans nos jardins et ce n’est que très récemment qu’une prise de conscience a été entreprise afin d’inverser cette tendance et de retrouver ces tableaux multicolores miniatures de nouveau sur les parterres de fleurs qu’ils affectionnent. C’est justement l’objet de ce petit livre informé, véritable guide illustré désireux d’accompagner tout amateur de papillons. L’ouvrage souligne deux points essentiels à respecter afin de favoriser cette présence tant souhaitée : bannir tous traitements chimiques de son jardin et choisir les bonnes plantes dont le nectar attirera sans hésitation ces nobles insectes. L’auteur, Bruno P. Kremer, offre dans cet ouvrage abondamment illustré la démarche à suivre, de manière simple et didactique à partir de 40 papillons fréquentant le plus souvent nos jardins et le choix de 80 plantes permettant de les attirer. La tâche n’apparaît plus aussi complexe après avoir retenu les nombreux et judicieux conseils de l’auteur ; La lecture des trois étapes essentielles au développement de l’espèce aideront à faire les bons choix pour pouvoir observer la chenille, puis la chrysalide, et enfin le papillon dans toute sa splendeur. Quels lieux retenir, quelle architecture florale, les plantes hôtes, les bonnes pratiques comme celle de laisser en paix certains coins du jardin où se cacheront les précieuses chenilles avant la phase de repos… tels sont les nombreux conseils avisés dispensés par l’auteur avant la seconde partie consacrée à la description détaillée des plantes favorisant la venue des papillons dans son jardin, des plantes de toutes les couleurs et pour tous les goûts afin de transformer nos espaces en un enchantement esthétique et vivant, une pratique écoresponsable indispensable à la survie de ces nobles insectes.
 

« Papillons des Alpes - 238 espèces de l'arc alpin » de Gianluca Ferretti, Coll. Les guides du naturaliste, Cartonné, 351 p., Editions Delachaux et Niestlé, 2020.

Alors que nombre de papillons ont malheureusement déserté nos villes et campagnes en raison de la trop grande pollution, il est des lieux cependant où leur habitat demeure encore – provisoirement ? – préservé, notamment les montagnes des Alpes. Quiconque a eu le plaisir de marcher, grimper ou crapaüter dans les alpages un jour d’été ensoleillé n’a pu qu’en garder un souvenir éblouissant, papillons et fleurs confondant leurs couleurs en un tableau impressionniste… Mais, le guide conçu avec science et pédagogie par Gianluca Ferretti permettra justement de mettre un peu d’ordre dans ces belles impressions, certes, mais demeurant le plus souvent vagues. Il est vrai que les Alpes comptant plus de 200 espèces de lépidoptères, de quoi faire un petit travail de révision sous la houlette de notre guide chevronné Gianluca Ferretti. L’auteur, Milanais de naissance, est en effet un passionné de cette faune de la chaîne alpine qu’il a parcourue de long en large, et par un rigoureux travail, il entend aujourd’hui proposer dans les pages de ce guide très complet une riche synthèse bénéficiant de très belles photographies, certaines même prises sur le vif. Cet ouvrage clair et accessible permettra ainsi aux néophytes de pouvoir identifier très rapidement les principales espèces grâce aux caractéristiques concises et précises rassemblées accompagnées de leurs visuels sur ces 238 espèces de l’arc alpin. Outre ces caractéristiques principales, l’aire de distribution et les périodes des stades de développement exposées permettront également à l’amateur de partir au bon endroit et à la bonne époque à la recherche de ces insectes sous la forme de chenille, chrysalide ou papillon. Le lecteur aura grand intérêt à s’imprégner des premières sections offrant un rapide, mais complet rappel sur la classification des lépidoptères, leur morphologie, cycle de développement, répartition et observation. Cet ouvrage pourra ainsi accompagner d’inoubliables randonnées en montagne pour les grands comme les petits afin d’identifier le plus grand nombre des papillons des Alpes et contribuer ainsi à leur préservation. Un émerveillement infini…
 

« La Grotte d’Enlène », Sous la direction de Dr Andreas Pastoors, Robert Begouën et Jean Clottes, In Fine éditions, 2019.

Ce magnifique volume, aussi beau que scientifique, vient compléter l’aventure consacrée aux trois cavernes de Volp. Ainsi, après le Sanctuaire secret des Bisons (2009), La Caverne des Trois-Frères (2014), c’est au tour de la grotte d’Enlène de profiter de cette exceptionnelle étude entièrement consacrée à cet habitat magdalénien trop peu connu du grand public. Avec 456 pages et autant d’illustrations, cet ouvrage offre une immersion au sens propre comme figuré dans cet habitat préhistorique unique pour en révéler tous les trésors. Outre la beauté exceptionnelle du site, cette publication est, aussi et surtout, l’occasion grâce à ses auteurs réputés de mieux comprendre le quotidien de ces chasseurs il y a 17 000 ans…
C’est, en effet, un véritable travail de bénédictin a été mis en œuvre, un travail minutieux que cet ouvrage recense et détaille page par page. Qu’on en juge ! : Pas moins de 6 000 objets photographiés, sans compter le lithique, quelque 60 000 coordonnées spatiales les plus divers enregistrées, inventaire exhaustif de tout le mobilier présent dans la grotte… Robert Bégouën souligne que cet immense travail qui constitue le plus souvent le quotidien de l’archéologue, fut en ces lieux uniques l’occasion d’admirer et d’apprécier la richesse, l’art et la spiritualité, une occasion exceptionnelle qui devaient animer leurs auteurs. Une splendeur que transmet idéalement ce remarquable ouvrage scientifique par son esthétique soignée qui ravira l’amateur. Accessible tout en offrant une étude précise et approfondie de cette culture magdalénienne, les auteurs ont fait choix de commencer par l’historique d’Enlène depuis sa description en 1805 par Pierre Dardenne. Le rôle essentiel joué par la famille Bégouën, avec ce rare souci de conservation et de préservation des lieux lors des fouilles de 1911 à 1937, est également rappelé par Robert Bégouën. Robert Bégouën qui perpétue cette belle aventure familiale jusqu’à nos jours. Sont ensuite présentées les années de recherches menées de 1970 à 2018, un travail collectif, notamment avec Jean Clottes, en une ambiance familiale assurant le gîte et le couvert des fouilleurs…
L’analyse détaillée du site et de son environnement permet de mieux comprendre la complexité de ce labyrinthe réunissant les trois sites des Cavernes du Volp, et dont fait partie la grotte d’Enlène à son extrême Est. Grâce à cette reconstitution exceptionnelle des différents espaces et de leurs artefacts représentatifs, le lecteur aura l’impression de visiter lui-même les lieux, salle après salle et détaillant les différentes zones d’activité préhistoriques. Les photographies qui ont également fait l’objet de tous les soins en remplaçant les appareils photo par les dernières innovations révèlent des détails insoupçonnés comme ces nombreux os fichés dans les fissures de certaines parois et dont la signification reste mystérieuse. L’étonnement saisit le lecteur lorsqu’il comprend que les habitants de ces grottes eurent à cœur de réunir de belles pierres et minéraux qui n’avaient d’autres utilités qu’esthétiques et peut-être magiques, une pratique qui nous rapproche ainsi de ces ancêtres pourtant si éloignés de nous… Les objets décorés quant à eux inscrivent encore plus ces Magdaléniens dans un processus créatif et artistique, allant de la plus simple incision jusqu’à la représentation figurative élaborée.
Ce livre incontournable marque une étape essentielle quant à l’étude du site, réunissant toutes les connaissances disponibles, et permettant, ainsi dès à présent, d’ouvrir vers d’autres recherches notamment quant au comportement et usages des Magdaléniens dans ces grottes. Passionnant.

 

« La vie des coléoptères d’Europe. », par Denis Richard et Pierre-Olivier d’Europe ; Préface de Vincent Albouy, Éditions Delachaux et Niestlé, 2019.

Savez-vous que les coléoptères constituent l’animal le plus nombreux et le plus diversifié habitant la planète avec plus de 450.000 espèces, dont 20.000 en Europe ? Qui ne s’est jamais arrêté pour observer avec étonnement une de ces petites bêtes ? Deux « coléoptéristes », experts scientifiques, Denis Richard et Pierre-Olivier d’Europe, auteurs déjà de nombreux ouvrages en ce domaine, ont eu l’heureuse idée de nous conter avec passion leur vie.
Un livre extrêmement bien réalisé ayant pour objectif d’introduire à ce monde fabuleux des coléoptères. Un univers fascinant dans lequel « L’extraordinaire est certainement ce qui caractérise le mieux les coléoptères », souligne Vincent Albouy dans sa préface. Ni encyclopédie ni traité, écartant toute savante exhaustivité, les auteurs ont fait choix de présenter les propriétés essentielles de ce monde vivant et d’en souligner la singularité. Une approche attrayante, réservant une multitude de surprises qui étonneront plus d’un lecteur, sans jamais négliger la rigueur scientifique qu’exige, néanmoins, un tel ouvrage.
D’où proviennent leurs coloris ? Pourquoi les verres luisants luisent-ils ? Pourquoi nos scarabées ont-ils des si belles cornes ? Autant de questions que tout à chacun s’est déjà posé et se pose régulièrement observant ce monde des plus fascinants et pourtant souvent bien mal connu !
Afin d’y remédier et de rendre accessibles au plus grand nombre les secrets de cet univers merveilleux des coléoptères, l’ouvrage propose d’en décrypter les comportements et de mieux comprendre leur rôle essentiel dans l’équilibre de notre écosystème, un équilibre aujourd’hui des plus menacés... Végétariens ou prédateurs, le lecteur découvrira aussi leurs modes d’organisation, de défense, de communication ou encore de reproduction. Douze chapitres, richement illustrés de photos couleur, intégrants des encadrés instructifs et ludiques, dans lesquels le monde des coléoptères se dévoile au sein même de leur milieu naturel aquatique ou souterrain… Savez-vous cependant qu’il n’existe pas de coléoptères marins ?
Un ouvrage qui intéressera tout autant les entomologistes, naturalistes que tout curieux, fruit d’un minutieux travail mené par Denis richard et Pierre-Olivier d’Europe et largement salué par le monde scientifique et Vincent Albouy : « Grâce à un travail patient et acharné, les auteurs nous offre un livre qui fera date sur la biologie des coléoptères. Il est digne de ceux publiés dans les années 1980 par Roy Crowson en anglais et Renaud Paulian en français, par la qualité et l’accessibilité du texte comme par l’originalité des illustrations. »
Après découverte et lecture de ce passionnant ouvrage, ce sera, donc, avec impatience que nous retrouverons, lors des premiers jours du printemps, la coccinelle qui dit le beau temps, le hanneton printanier ou le si majestueux cerf-volant de nos contrées, et bien d’autres coléoptères encore ! Un merveilleux monde aujourd’hui menacé si ne savons le comprendre et le préserver.
 

« Comprendre les plantes et les arbres, Forme, diversité, stratégie de survie. », Sous la direction de Stephen Blackmore, Préface de Peter Crane, Éditions Delachaux & Niestlé, 2019.

Que faire de mieux en ces temps d’hiver que de préparer nos premières escapades de printemps les premiers rayons de soleil venus ? C’est ce que nous propose avec des pages emplies de merveilles scientifiques cet ouvrage fort complet « Comprendre les plantes et les arbres » aux éditions Delachaux et Niestlé, sous la direction de Stephen Blackmore, botaniste anglais réputé, nommé botaniste de la reine d’Angleterre en Écosse depuis 2010. Un ouvrage extrêmement bien réalisé, à la mise en page claire, livrant dans un langage accessible et concis une multitude de précieuses informations que l’on ignore le plus souvent sur le règne végétal. Un monde fascinant apparu il y plus de 500 millions d’années sous formes d’algues et offrant une diversité étourdissante, des plantes reproductrices de poisson aux plantes urticantes ou carnivores, des mousses microscopiques aux arbres les plus géants ! Le lecteur ne pourra que demeurer stupéfait devant tant de beauté, de complexité et diversité…
Après avoir rappelé la morphologie des plantes, répondant ainsi à la question fort simple en apparence, mais à laquelle peu savent répondre - « C’est quoi une plante ? » ou encore « Pourquoi les plantes sont-elles vertes » - ce sont les racines, tiges et troncs qui sont présentés, décortiqués et expliqués. En deux chapitres, le lecteur découvrira avec étonnement le rôle, la dynamique, l’adaptation de ces plantes… qu’il s’agisse de racines enfouies ou aériennes, chacune livre leurs secrets.
L’étude des tiges et troncs apportera également son lot de surprises ; Croissance, structures, apport de l’eau, mais aussi les limites de la hauteur, les variétés de tiges. Servi par une très belle iconographie, le chapitre consacré aux feuilles explose de toutes ses couleurs. L’auteur souligne combien « Les feuilles vertes forment la trame de la vie sur terre et en leur sein. L’activité silencieuse de la photosynthèse alimente la majeure partie de cette vie. La photosynthèse est un remarquable exercice de magie chimique… ». Une magie essentielle et source de vie tant pour le règne végétal qu’animal, et donc pour l’homme. Formes, tailles, disposition, couleurs et même transpiration… rien n’échappe à cette étude aussi claire que complète. De nombreux encadrés viennent judicieusement offrir des focus instructifs ou divertissants. Abordant, également la reproduction, puis les cônes et les fleurs, c’est un incroyable royaume de formes et couleurs qui s’ouvre alors au lecteur. Que de diversité et ravissements ! Parfum, couleur, nectar qui donneront naissance aux graines et aux fruits, apparitions, développement, conservations y sont abordés.
L’auteur a fait choix, enfin, de clore ce bel et riche ouvrage par un dernier chapitre consacré à « L’homme et les plantes », conservation, comestibilité, et surtout « La préservation de la diversité végétale », une préservation plus qu’urgente dont dépend non seulement la survie du monde végétal, mais aussi du règne animal, y compris de l’Homme.
Un ouvrage, célébrant toute la beauté du monde végétal, aussi scientifique et encyclopédique qu’accessible, une merveille de réussite !
 

« Légendes de serpents. », Textes et photographies de Françoise Serre Collet, Éditions Delachaux et Niestlé, 2019.

« Quels sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes… » Ce pourrait bien être ceux de ces belles « Légendes de serpents » que nous propose aujourd’hui Françoise Serre Collet aux éditions Delachaux et Niestlé. Un ouvrage fort documenté et passionnant qui se laisse approcher, apprivoisé sans danger avec un rare bonheur. Rien d’étonnant à cela puisque Françoise Serre Collet est une herpétologue réputée, auteur déjà de nombreux ouvrages sur les reptiles, grenouilles ou encore salamandres. Autant dire que les serpents n’ont pour elle guère de secret. Et ce sont ces mille et un secrets que nous dévoile cet ouvrage sur plus de 250 pages.
Souvent redoutés, assimilés au mal et donc mal aimés, il n’en a cependant pas toujours été ainsi ; Bernard Le Garff, qui signe la préface de l’ouvrage, relève qu’ « Avec nos yeux d’Européens du XXIe siècle, on serait tenté de croire que cette phobie est universelle et a toujours existé. Or – souligne-t-il – elle est très spécifique de notre civilisation occidentale et relativement récente ». On songe, effectivement, au fameux serpent d’Esculape, serpent au pouvoir guérisseur qui se glissa jusqu’à Rome. De même, encore aujourd’hui, le venin de serpent est utilisé en pharmacopée… Mais, Bernard Le Garff souligne encore combien « les serpents ont le triste privilège d’être les plus mal aimés du règne animal ».
Les serpents, il est vrai, ont toujours fasciné, et ce depuis les temps les plus anciens. Présents dans la mythologie, on les retrouve dans quasiment toutes les religions, vénérés ou relégués au royaume du mal. Très représentés dans l’iconographie médiévale, ils ont toujours hanté les contes et légendes avant que la littérature ou le cinéma plus récemment, ne les convoquent… Et les Viperidés, Élapidés, Colubridés, Pythonidés ou encore Boïdés habitent, encore de nos jours, sans que l’on ne les connaisse précisément, bien des songes… Fort de sa puissance évocatrice, le serpent fut même investi depuis toujours d’un vigoureux pouvoir symbolique. Qui plus est, capable de changer de peau, l’image du serpent s’est bien souvent métamorphosée, et il n’est pas rare ainsi de les retrouver dans la mythologie ou les légendes en créatures hybrides chimériques fort étranges ; Mais, par ces instructives et merveilleuses pages, le basilic, l’Ouroboros ou encore le Tatzelwurm, n’auront plus de secret pour le lecteur… Ouvrage écrit et réalisé scientifiquement, l’ouvrage permettra aussi de ne plus mettre tous les serpents, nos serpents, dans le même panier, et de savoir les différencier ; ce qui peut être bien utile et évitera de tuer pour rien une inoffensive couleuvre.
Appuyé d’une belle et riche iconographie, dont l’auteur signe les photographies, ce sont tous ces pouvoirs, forces et facettes de ce fabuleux et fascinant animal, le serpent, que l’ouvrage aborde et déroule de chapitre en chapitre. Et après lecture, il faut avouer, que Françoise Serre Collet pourrait bien être une redoutable charmeuse de serpents !
 

Serge Hamon « L’odyssée des plantes sauvages et cultivées - Révolutions d’hier et défis de demain », Editions Quae, 2019.

À l’heure de la biodiversité et de la prise en compte des méfaits de l’activité humaine sur l'écosystème soulignés par le terme Anthropocène, l’ouvrage de Serge Hamon publié aux éditions Quae offrira une réflexion non seulement précieuse mais également enrichissante par son style accessible au plus grand nombre. L’auteur, généticien à l’IRD et spécialiste de la diversité et de l’adaptation des plantes invite son lecteur à explorer en effet notre rapport au végétal et à ces liens souvent intimes unissant les plantes et l’homme à commencer par la nourriture, mais aussi la santé, les matériaux… Sans plantes, pas d’oxygène, faut-il le rappeler ! Le point de départ est donc vital. Nous suivons ainsi cette extraordinaire odyssée des plantes que l’auteur nous révèle avec un talent didactique indéniable jusqu’à cette étape cruciale de la génétique avec la génomique qui pour la première fois dans l’humanité fait entrer le scientifique au cœur de ce qui constitue chaque plante. Des navigateurs rapportant dans la vieille Europe des plantes aujourd’hui considérées comme communes jusqu’à l’agrobiodiversité contemporaine, que de chemins parcourus par ces compagnes de l’homme. C’est dans la seconde partie de l’ouvrage que se situent les principaux défis pour l’homme dans son rapport au végétal, qu’il s’agisse de l’emprise génétique, mais aussi des changements climatiques sans oublier les nombreuses questions soulevées par la dégradation environnementale. Le lecteur y trouvera tous les éléments nécessaires à une meilleure compréhension des défis qui attendent notre planète et le monde végétal.
 

François Lasserre et Gilles Macagno : « Les super pouvoirs des petites bêtes », Éditions Delachaux et Niestlé, 2019.

« Les super pouvoirs des petites bêtes » est un petit ouvrage fourmillant de mille et une choses extraordinaires sur les insectes. Ces derniers sont nombreux et variés sur terre, mais avouons que nous ne savons souvent bien peu de chose d’eux ; quelques noms familiers que nous croisons dans notre environnement, quelques espèces que nous trouvons belles, surprenantes, parfois même un peu effrayantes, nous nous inquiétons aussi pour certaines de leur possible disparition, mais après ? Et si nous commencions par les connaître un peu mieux ? C’est à cette tache que se sont attelés les auteurs de ce fabuleux petit livre, François Lasserre et Gilles Macagno. Ces derniers, enseignant et professeur, tous deux très impliqués dans l’environnement et les sciences de la nature, n’en sont pas à leur premier coup de maître. Mais, ils fascineront, une nouvelle fois, tout autant petits et grands, avec ce dernier ouvrage aussi charmant qu’avenant, aux dessins et au style non dénués d’humour, et aux insolites connaissances… Sait-on par exemple que certaines fourmis sont des agricultrices chevronnées sachant avec science cultiver des champignons ? Et les amateurs gourmands de miel de sapin savent-ils que ce miel si goûteux est en vrai un miel de crottes de moucherons ? De même, savez-vous pourquoi nous ne sentons jamais un taon sur nous avant que cette « sale bestiole » ne nous pique ? Mais n’allons pas trop vite en qualificatifs, le lecteur découvrira aussi que certains moustiques – certes pas nécessairement ceux de nos contrées et chaudes nuits d’été, sont d’une rare beauté, « une forme animale » que n’aurait très probablement pas reniée Adolf Portmann. Un ouvrage passionnant à partager !
 SPORT

« Votre avenir sur ordonnance » du Dr Frédéric Saldmann, 320 p., 15,3 x 24 cm, Robert Laffont éditions, 2024.

Voici un ouvrage qui se doit d’être prescrit sans ordonnances pour éviter bien des soucis ! Le docteur Frédéric Saldmann convie en effet ses lecteurs à redécouvrir les principes traditionnels de la santé, des principes reposant sur le bon sens et surtout l’écoute de son corps que l’on oublie si souvent. À la fois informé et accessible, sérieux et ponctué d’humour, l’ouvrage de Frédéric Saldmann foisonne de conseils allant de la tête (cerveau si important à entretenir) aux pieds… C’est à une révolution de notre santé à laquelle invite le médecin qui donne la priorité à la prévention par le sommeil redécouvert et une alimentation repensée selon les règles les plus naturelles qui soient. L’ouvrage n’écarte pas pour autant les avancées de la science et fait état des dernières découvertes qui nous promettent des années de longévité… Reste que c’est ici et maintenant qui importe pour le docteur Saldmann, ce dernier nous enjoignant de ne pas perdre des années précieuses et de préparer dès aujourd’hui notre santé de demain ! Une voie rigoureuse, mais néanmoins accessible et rigoureuse pour retrouver et conserver la santé.

 

Henri Leconte : « balles neuves », Éditions Marabout, 2023.

Avec « Balles neuves », le célèbre joueur de tennis français, Henri Leconte, nous ouvre son cœur pour cet essai débridé. L’homme s’est assagi même si la passion transparaît régulièrement au fil des pages pour cette âme sensible, à fleur de peau et trop souvent incomprise. Si, depuis, Henri Leconte a bien réfléchi sur la place des vedettes et le rôle souvent trop excessif supporté par de jeunes personnes non formées à cet effet, il demeure que cela n’enlève pas toutes les blessures qui peuvent émailler un parcours pourtant prestigieux, finaliste de Roland Garros, 5e joueur mondial et vainqueur de la Coupe Davis en 1991…
L’homme, une fois de plus généreusement, nous fait partager ses victoires et ses blessures, ses instants de doute et de remise en question qui profiteront à tout à chacun tant ce témoignage se veut sans fards et direct. C’est la sérénité qui dorénavant guide cet homme qui ne renie rien de son passé même si - en grand joueur – il a su profiter de ses erreurs et en tirer des enseignements qu’il nous livre et qui pourront être suivis avec profit.
Henri Leconte continue de nous faire vibrer dans ces pages d’une rare sincérité, axées sur la résilience et la bienveillance qui le portent aujourd’hui vers d’autres horizons où cependant la petite balle jaune n’est jamais très loin ! Un témoignage inspirant qui dépasse largement la cible des passionnés du tennis.
 

« Manuel ultime de musculation - Connaissances scientifiques et méthodologie » de Christophe POURCELOT, Didier REISS, Frédéric CAVERNE et Yoann ALBIGNAC, Amphora éditions, 2023.

Nous sommes bien loin avec ce « Manuel ultime de musculation » des ouvrages publiés il y a quelques décennies dispensant quelques programmes à partir d’exercices plus ou moins efficaces. C’est à une véritable science de l’entraînement musculaire à laquelle nous convient, en effet, les auteurs – dont Christophe Pourcelot déjà présenté dans ces colonnes - de cette somme impressionnante de 448 pages et près de 1,5 kg !
En ces pages est réuni l’essentiel des connaissances scientifiques et pratiques sur la musculation à partir des dernières recherches en la matière. Le lecteur aura grand profit à intégrer la première partie assez ardue mais indispensable– oui, la muscu c’est également solliciter son cerveau ! – à la compréhension du corps humain, de la force, hypertrophie et endurance. La deuxième partie permettra ensuite de planifier idéalement son entraînement en fonction de ses priorités (jeunes, santé, force, etc.) alors que la troisième partie offre dans le détail une véritable méthodologie quant à la pratique de la musculation.
L’ouvrage va dans le sens d’un entraînement aussi fréquent que possible, un entraînement intensif et selon une exécution parfaite techniquement et en amplitude maximale (entendu comme degré articulaire) dans la mesure du possible, une notion très importante rangée sous l’acronyme ROM (Range of Motion).
Tout est abordé dans ce précieux ouvrage avec 70 repères méthodologiques structurés à partir de trois volets : la force, la masse et l’endurance de force. Un manuel incontournable et indispensable à la compréhension et à la bonne pratique de la musculation.
 

Pr Henri Joyeux et Jean Joyeux : « Centenaire et en pleine forme - Bien respirer, bien voir, bien entendre » ; Préface d’Edgar Morin, Editions du Rocher, 2023.

C’est un centenaire alerte qui signe la préface de cet ouvrage en la personne du célèbre penseur Edgar Morin ; Il est vrai que ce dernier, après avoir dépassé le seuil symbolique du siècle, affiche une forme intellectuelle toujours éclatante et impressionnante ! Le professeur Henri Joyeux et son fils, Jean, lui-même talentueux nutritionniste, insistent dans ces pages, à la fois accessibles et très complètes, sur le fait qu’un âge avancé de qualité se prépare à l’avance par des pratiques saines et sur le long cours. Le lecteur sera ainsi surpris parfois des conseils pourtant simples et souvent négligés telles l’importance d’une mastication lente et soignée, ou encore celle d’une respiration profonde et de qualité sans oublier la place tenue par le contrôle de l’audition ou encore de la vue. Ces sens qui constituent notre quotidien s’altèrent inexorablement avec le temps et accélérent ainsi la dégénérescence du corps avec le poids des années.
Si le vieillissement demeure encore incontournable, il est cependant possible, insistent les Professeurs Henri et Jean Joyeux, d’en ralentir le cours par des pratiques d’hygiène que rappelle cet ouvrage. La nutrition apparaîtra avec la respiration et l’hydratation au cœur des priorités, l’adage bien connu « creuser sa tombe avec ses dents » n’étant pas un vain mot. Nul besoin de supplémentations complexes ou couteuses mais une nutrition saine et équilibrée. Les conseils donnés par nos deux professeurs, Henri et Jean Joyeux, abondent et permettront à chaque lecteur – jeune ou moins jeune – de préparer avec connaissance et lucidité ses futures années afin de conserver le plus longtemps possible le lien social et le plein usage de ses sens.
Un ouvrage dont les conseils devraient figurer au sein de toute éducation et à conseiller au plus grand nombre !
 

« Tiens-toi droit !? » d’Antoine Couly et Olivia Ferrand ; Broché, 208 pages – 18,8 x 24 cm, Éditions Flammarion, 2022.

Voici un ouvrage décapant, dans tous les sens du terme. Les auteurs, tous deux praticiens (masseur-kinésithérapeute et ostéopathe) s’attaquent en effet dans cet ouvrage non dénué d’humour à un grand nombre d’idées reçues, 50 en l’espèce, sur notre forme et notre dos. S’appuyant sur un grand nombre d’études scientifiques comparées et soumises au filtre d’une expérience en cabinet, Antoine Couly et Olivia Ferrand passent en revue chaque thématique de manière critique en relevant ce qui s’avère du mythe pur et simple ou de l’assertion avérée selon les cas. Le propos est clair, argumenté et repose sur une ligne directrice : la position et l’attitude à privilégier demeurent liées à chaque personne et à sa propre histoire, plutôt qu’aux diktats souvent trompeurs.
Le lecteur s’étonnera ainsi de lire qu’une position avachie n’est pas forcément à bannir pour le dos, que plier les genoux pour soulever une petite charge (- de 15 kg) n’est pas toujours indispensable, bien des idées reçues qui ne résistent pas selon les auteurs à l’expérience des multiples consultations en cabinet, le mal de dos étant le « mal du siècle » selon l’expression convenue…
L’attitude primordiale sera donc de maintenir à tout prix le mouvement et une activité suffisante pour que les chaines musculaires et tendineuses soient régulièrement sollicitées et puissent contribuer au renouvellement des cartilages et tissus.
Pour remettre en question un grand nombre d’idées reçues et réapprendre à être à l’écoute de son corps et de ses douleurs en concertation avec son praticien si nécessaire, la lecture de cet ouvrage dynamique et sans complexe sera conseillée !
 

« Diététique de la musculation - Masse, force, perte de graisse, santé, performance » de Frédéric MOMPO et Olivia MEEUS ; Nouvelle édition augmentée, 272 p. 21 x 24, Éditions Amphora, 2021.

Classique parmi les ouvrages de diététique sportive, « Diététique de la musculation » fort de son succès a fait l’objet d’une nouvelle édition augmentée chez Amphora. Cet ouvrage qui offre les bases, et plus encore, de l’alimentation du sportif s’avère être en effet une mine incontournable pour celles et ceux souhaitant s’entraîner dans les meilleures conditions. On oublie trop souvent que le meilleur des entrainements peut être ruiné par une mauvaise alimentation, de nombreux entraîneurs n’hésitant pas à dire que celle-ci compte pour plus de 80 % de la réussite…
Or, une alimentation équilibrée et adaptée au sport, à l’âge et aux caractéristiques de chaque individu ne s’improvise pas ainsi qu’il résulte de la lecture de cet ouvrage passionnant et documenté. Ces principes ne sont pas empiriques mais imposent le respect et la connaissance de règles rappelées dans ces pages abondamment illustrées. Olivia Meeus, diététicienne nutritionniste, et Frédéric MOMPO, entraîneur national de culturisme et préparateur physique, ont ainsi réuni leurs savoirs pour composer cette bible de la diététique du sportif.
Nul gavage désordonné comme cela se pratique malheureusement encore trop souvent dans certaines disciplines mais une conduite rationnelle et progressive pour garder en fil directeur l’idéal premier du sportif : la santé. Qu’il s’agisse de prendre en masse, de perdre quelques kilos, d’adapter son alimentation pour certaines disciplines exigeantes comme le triathlon ou le marathon, ces pages offrent toutes les conduites à tenir et personnalisables. Les dimensions que ce soit végétarienne ou végane ont même été prises en compte, une mise à jour à saleur dans le domaine sportif !
Cet ouvrage demeurera de nombreuses années encore un classique à recommander aux sportifs
VIE PRATIQUE

« Soupes maison » d’Emilie Franzo, Marabout, 2023.

Emilie Franzo est assurément une amoureuse de la cuisine, cuisine qu’elle sert avec un plaisir certain par ses photographies inspirées mais aussi par des recettes alléchantes retenues spécialement pour cet ouvrage et exclusivement consacré aux soupes.
Plat essentiel des soirées d’hiver mais aussi lors des autres saisons, la soupe ne se limite pas aux traditionnels poireaux/pommes de terre ou carottes/céleri… L’auteur nous fait la démonstration en effet qu’en ce domaine la créativité n’a d’égale que l’inspiration pour proposer de délicieuses associations telles cette soupe de patate douce rôtie au sirop d’érable ou encore cette soupe froide d’ail des ours, pommes de terre & crème de feta ; à moins que l’on ne préfère cette soupe de champignons & crackers de parmesan.
Pas moins de 60 recettes organisées selon les saisons et les envies pour des repas gourmands et sains nous sont ainsi proposées par Emilie Franzo. Les recettes sont simples et accessibles, les conseils clairs et bien détaillés, plus aucune excuse dès lors pour ne pas se mettre au fourneau !

 

« Chef de famille Dépensez peu, mangez bien ! 120 recettes originales pour se régaler au quotidien » de Norbert Tarayre, Éditions Marabout, 2023.


« Faire à manger » ou cuisiner n’est pas si compliqué, une fois les bons conseils réunis !

Ce sera le cas assurément avec l’ouvrage « Chef de famille » proposé par le chef Nobert Tarayre. Ce dernier qui a pris la direction du restaurant Prince de Galles s’y entend, en effet, pour organiser tout aussi bien un repas gastronomique qu’une cuisine du quotidien accessible et néanmoins savoureuse ainsi qu’il ressort de ces pages agréablement illustrées par les photographies de Fabien Brueil.
120 recettes sont déclinées dans cet ouvrage alerte et décomplexé, le chef avouant que parfois être père de 4 enfants n’étant pas la tâche la plus aisée par rapport à la direction d’une brigade entière d’une grande cuisine ! Sa démarche se veut naturelle et spontanée : à partir de produits accessibles dans ses placards, l’auteur nous guide pas à pas, d’une salade vite faite à la réalisation plus délicate d’un bon plat.
Tartes, pâtes, gâteaux et autres délicieuses préparations abondent dans cet ouvrage didactique et destiné au plus grand nombre. L’auteur n’hésite pas à nous mettre les mains dans le pétrin en apprenant à réaliser soi-même pâte brisée, sucrée, à pizza, à beignets, à gyozas et même une pâte à pâtes ! Plus d’excuses pour ne pas revêtir un tablier et concocter au quotidien ou le week-end de savoureuses recettes !

 

L’apprentissage de l’italien grâce à ASSIMIL

Classique parmi les classiques, le coffret ASSIMIL « L’italien - niveau débutant B2 » dans la collection sans peine est devenu incontournable pour apprendre les bases d’une langue, dont l’italien, cette langue chantant le soleil et la bonne humeur ! Grâce à une méthode intuitive qui a fait largement ses preuves, le bénéficiaire de ce coffret se trouve immédiatement immergé, et ce, dès les premières leçons consacrées à l’oralité et aux fondamentaux de la grammaire italienne. Pour cela, ce coffret comprend un livret de 100 leçons complètes et progressives, 186 exercices accompagnées de leur corrigé, un double lexique pour le vocabulaire sans oublier une précieuse synthèse grammaticale indispensable pour asseoir ses connaissances. Les dialogues vivants plongent de suite dans le quotidien vécu de la langue avec des situations concrètes à une terrasse de café, dans un train ou encore à l’extérieur pour retrouver son chemin… En comptant sur une moyenne de 30 à 40 min par jour, la progression se fait naturellement grâce aux notes qui accompagnent les leçons et exercices proposés. Derrière l’apparente facilité se cache en fait une évolution grammaticale rigoureuse, transparente pour l’utilisateur, mais efficace, cette méthode naturelle reposant sur l’apprentissage progressif des jeunes enfants quant à leur langue maternelle ayant été, avec bénéfice, transposée pour adultes depuis déjà 90 ans. Grâce aujourd’hui au format MP3, les leçons sont téléchargeables sur son smartphone, son ordinateur ou tablette, permettant ainsi de continuer l’apprentissage chez soi ou à l’extérieur pour un gain de temps garanti lors des transports en commun ou dans les embouteillages !
 


La méthode « Apprendre l’italien A2 Ciao » propose avec un audio en streaming d’1h30 et 28 dialogues d’atteindre le minimum nécessaire pour pouvoir se débrouiller seul lors de son séjour en Italie, ce qui correspond au niveau A2. Suivant en cela les spécifications du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues établi par le Conseil de l’Europe, cet ouvrage va à l’essentiel grâce à la méthode éprouvée de dialogues « en situation » du quotidien. Ces mêmes dialogues sont accessibles sur de multiples plateformes de streaming afin de se familiariser avec la prononciation de la langue italienne. Chaque leçon s’organise ainsi à partir d’une situation quotidienne : shopping, cinéma, restaurant, administration, etc. Soulignons que la grammaire n’en est par pour autant oubliée avec de fréquents rappels des règles de base permettant ainsi de pouvoir comprendre et être compris dans des dialogues de base en langue italienne.
 


Enfin, les cahiers d’exercices ASSIMIL – Débutants et Faux – débutants – seront le complément idéal pour renforcer son apprentissage de la langue grâce à une présentation particulièrement ludique et attractive… Avec plus de deux cents exercices, jeux et entraînements, ces cahiers permettront d’aller plus loin dans la connaissance de l’italien, qu’il s’agisse du vocabulaire en situation, bien sûr, mais aussi de la conjugaison et de la grammaire, sans oublier l’indispensable prononciation, toujours délicate pour les Français oubliant trop souvent le fameux accent tonique…

 

« Soul of Rome – Guide des 30 Meilleures expériences » de Carolina Vincenti, 128 p., 20 x 13,5 cm, Editions Jonglez, 2023.
« Rome insolite et secrète » de Ginevra Lovatelli, Adriano Morabito, Marco Gradozzi et Nicole Cabassu, Editions Jonglez, 2023.

 « Soul of Rome » compte parmi ces guides confidentiels aux adresses aussi secrètes qu’originales connues habituellement des seuls habitants de la Ville Éternelle… Et Carolina Vincenti assistée des précieux conseils de Paolo Scotto di Castelbianco comptent assurément pour la plus grande joie du lecteur parmi ces guides privilégiés. Aussi est-ce une drastique sélection des 30 meilleures expériences romaines qui sont réunies dans cet ouvrage bien mené et que l’on n’hésitera pas à garder pour son prochain voyage de l’autre côté des Alpes !
Illustré d’inspirantes photos de Sofia Bernardini et Claire de Virieu, « Soul of Rome » plongera, en effet, littéralement le lecteur dans les ruelles méconnues de la capitale italienne tout autant que dans les lieux insolites à mille lieues de la foule touristique. Ces trente précieuses expériences sont livrées dans le détail avec en préambule une carte replaçant précisément chacune d’entre elles afin d’organiser au mieux à l’avance son périple romain. Qu’il s’agisse d’une brocante d’antiquaires, du barbier du Caravage au rasage à l’ancienne, de la meilleure glace de Rome (visiblement testée d’après les éloges !) ou encore d’un rooftop de rêve dominant les toits de la ville, « Soul of Rome » sort des sentiers battus et propose autant de découvertes singulières qui permettront de faire l’expérience d’une autre Rome que celle que l’on pensait pourtant connaître…

Pour une exploration plus exhaustive et complète de la Ville Éternelle, on pourra également se reporter à la collection désormais classique des guides écrits par les habitants eux-mêmes : « Rome insolite et secrète », un ouvrage permettant de découvrir des lieux habituellement fermés au public, des fresques époustouflantes de la Villa Farnesina, un message caché de la basilique des Santi Apostoli, la petite histoire du cerf perché au sommet de l’église Sant’Eustachio ou encore l’intrigante Pierre du diable… Ginevra Lovatelli, Adriano Morabito, Marco Gradozzi et Nicole Cabassu nous font partager leur connaissance intime de Rome pour des expériences sortant des sentiers battus.

À noter dans la même collection les guides consacrés pour l’Italie à Venise, Naples, Florence, Milan, Turin, Toscane, Dolomites…

 

 

« Cook, eat, love - Des aliments simples, des recettes irrésistibles. » de Dominique Gassin et Alice Pagès, Nathan Editions, 2023.

Dominique Gassin est une naturopathe d’origine australienne installée en France depuis une vingtaine d’années. Son credo : manger bien et sain, deux impératifs qu’elle conjugue à merveille dans ce dernier livre de recettes intitulé « Cook, eat, love - Des aliments simples, des recettes irrésistibles ». L’auteur sait de quoi elle parle puisqu’elle a su allier pour cela sa formation de naturopathe à sa propre expérience du restaurant Judy qu’elle a elle-même fondé.
En proposant au lecteur pas moins de 50 recettes retenues pour des plats aussi savoureux et que bons pour la santé, Dominique Gassin partage sa cuisine et ses recettes avec générosité. Avec des pages largement et agréablement illustrées, c’est une cuisine reposant sur la philosophie « qualitarienne » que l’auteur nous propose, à savoir des recettes privilégiant des produits non transformés, sans additifs, frais et si possible locaux. De l’entrée au dessert en passant par les boissons et même les épices, cet ouvrage fourmille d’idées simples et saines offrant des recettes diététiques aussi bonnes au goût que pour notre santé. Pourquoi attendre ?
 

 

 

« Turin insolite et secrète » d’Andrea Fabrizio, 10,5 x 19 cm, 304 p.; Editions Jonglez, 2023.
« Milan insolite et secrète » de Massimo Polidoro, 400 p., 10.5 x 19 cm, Editions Jonglez, 2023.


La désormais incontournable collection « Insolite et secrète » accueillent deux nouveaux titres consacrés à deux belles et grandes villes essentielles du nord de l’Italie, à savoir Turin et Milan.
Turin, tout d’abord, fait l’objet d’une visite pleine de paradoxes avec Andrea Fabrizio comme guide. Passionné par cette ville qui ne se laisse pas aborder facilement, l’auteur parvient admirablement à en déjouer les pièges en dévoilant les facettes méconnues, ces peintures invisibles pour la plupart mais qu’il sait mieux que quiconque traquer à l’image de ces mosaïques romaines, elles aussi par ailleurs souvent bien cachées ! Les instruments d’un bourreau, la seule église de style Liberty d’Italie ou encore l’impressionnant musée du fruit offriront autant d’angles inédits et plaisants pour découvrir avec Andrea Fabrizio aux éditions Jonglez cette ville « insolite et secrète » à la fois déroutante mais si séduisante…
Milan, capitale économique de l’Italie, réservera également en suivant les pas de Massimo Polidoro bien des surprises à celles et ceux qui souhaitent sortir des sentiers battus et des monuments incontournables bien connus. Le lecteur pourra ainsi découvrir une écluse conçue par Léonard de Vinci tout en s’émerveillant sur les secrets de la célèbre Cène qu’il faudra impérativement aller découvrir sur place… En déambulant par quartier, le promeneur milanais aura en un format réduit un guide de choix grâce à Massimo Polidoro qui connaît la ville mieux que quiconque. Avec lui, nous déambulerons ainsi à la recherche des trésors cachés du Palazzo Isimbardi dont l’admirable fresque méconnue de Tiépolo, les vertus de la chapelle Portinari ou encore la maison du monstre de la via Bagnera, tout un programme ! Éclectique et pleine de charme, cette promenade « insolite et secrète » des éditions Jonglez fera assurément d’un séjour à Milan un moment inoubliable et enrichissant.
 

« LAROUSSE – Planches insolites – 170 ans de trésors », 176 p., Editions Larousse, 2022.

C’est un merveilleux ouvrage aux réminiscences d’antan et de leçons de choses que nous proposent les éditions Larousse avec ces planches qui ont marqué l’imagination de tant de générations. Qui n’a en effet jamais rêvé devant ces fabuleuses pages de Larousse offrant au regard les différents costumes au fil des siècles, les multiples régiments ou encore armures…
Avec cet ouvrage aux saveurs aussi insolites que nostalgiques, Larousse fête ses 170 ans. Eh, oui par moins de « 170 ans de trésors », de découvertes et de rêveries. Botanique, zoologie, océanographie, mécanique, c’est effectivement un florilège esthétique des plus belles planches avec leurs traits et couleurs inimitables que l’on redécouvre dans ces délicieuses pages. Les ateliers, les danseurs et acrobates s’animent… Plus de 85 leçons de choses accompagnées de leurs explications et illustrations signées de plus grands dessinateurs du siècle dernier. À peine ouvert, la douceur et les couleurs chatoyantes des plumes et plumages s’envolent… Un régal !
 

« Shabbat dinners » de Vanessa Zibi , Leslie Gogois , Guillaume Czerw ; 19 x 25,5 cm, 324 pages, Éditions de La Martinière, 2021.

À celles et ceux qui seraient à court d’idées pour composer leurs diners et repas, « Shabbat dinners » leur est destiné ! La cuisine juive offre une multitude de plats savoureux et originaux, dépaysement garanti. Héritage ancestral, cette cuisine puise en effet dans la nuit des temps, chaque millénaire ayant légué une multitude de plats et recettes au fil des espaces géographiques. « Shabbat dinners » fait ainsi revivre cette tradition, souvent orale mais encore bien présente dans de nombreuses familles. Une tradition culinaire qu’il est tout à fait loisible d’adapter en dehors de tout contexte religieux. L’idée de partage au sein de la famille ou d’amis se trouve au cœur de cette cuisine née dans la solidarité d’un peuple souvent victime des pires pogroms. Cette identité a su justement marquer l’emploi des aliments, la manière de les préparer et accommoder, pour des recettes généreuses ainsi qu’en témoigne cet ouvrage conçu par Vanessa Zibi avec la collaboration de Leslier Gogois. Ce sont pas moins de 90 recettes qui sont en ces pages réunies, des recettes juives, séfarades, ashkénazes et israéliennes. Ce tour du monde culinaire conjugue tradition et modernité et se déroule en fonction des fêtes principales (Pessah, Rosh Hashana, Chavouot…). Pratique et instructif, l’ouvrage fourmille de renseignements sur l’origine de ces plats, leur signification et bien sûr la manière de les composer de nos jours. Qu’il s’agisse de la loubia algérienne, de la muhammara levantine ou de la bakhsh, plus facile à réaliser qu’à prononcer, ces recettes enchantent aussi bien la vue que le palais par leurs couleurs et saveurs exotiques. Un livre aussi inspirant que dépaysant !
 

 

 
 

« Traité de pâtisserie » de Darenne et Duval, École Lenôtre, Préface de Guy Krenzer, 888 pages - 137 x 207 mm, Flammarion, 2021.

Cette nouvelle édition du Darenne et Duval ne pourra que réjouir les professionnels de la pâtisserie et autres amateurs de créations gourmandes. Classique et incontournable, cette bible parue en 1909 et conçue par Émile Darenne et Émile Duval contient tout et plus sur l’art de la pâtisserie en partant des fondamentaux jusqu’aux subtilités les plus délicates. Guy Krener, double Meilleur Ouvrier de France et Directeur de la création chez Lenôtre souligne dans sa préface à l’ouvrage combien cette somme impressionnante de plus de 800 pages ouvre « les portes d’un monde de plaisirs délicats qui ont donné ses lettres de noblesse à l’art pâtissier français ». Car on l’oublie trop souvent que nombre de nouvelles créations sous les apparences de la modernité sont redevables à ces recettes classiques héritées des siècles passés et que les auteurs de cet ouvrage avaient décidé de réunir au début du XXe siècle. C’est cette « incroyable modernité du passé » que loue le préfacier avec justesse et modestie. Ce grand Chef avoue en effet humblement se référer encore aujourd’hui à cet ouvrage qui n’avait pas été réédité depuis longtemps. Le traité commence par les fondamentaux, les différentes pâtes (brioches, savarins, babas, biscuits, mousses…). Puis fait la part belle aux entremets, petits fours et autres confiseries qui feront saliver le lecteur avant même d’endosser le tablier… Les derniers chapitres sont réservés au « Pâtissier- traiteur » et introduisent quelques précieuses recettes salées dans le temple des délices sucrés. Une somme impressionnante qui inspirera encore bien des générations de pâtissiers…
 

« Atlas des épices » de Beena Paradin Migotto ; photographies de Delphine CONSTANTINI ; préface d’Olivier Roellinger ; 240 pages, 21,5 x 28,5 cm, Relié, Éditions Flammarion, 2021.

Un tel ouvrage manquait dans les bibliothèques culinaires ! Aussi, les éditions Flammarion ont-elles eu l’heureuse idée de publier cet atlas de Beena Paradin Migotto consacré aux épices du monde. Ce merveilleux voyage ne pouvait qu’être en effet proposé que par l’une des meilleures ambassadrices de la cuisine indienne en France. Ce sujet illimité quant à son histoire et à sa géographie transportera le lecteur aux confins de nos civilisations grâce à la synthèse instructive et agréable rappelée en début d’ouvrage. La fameuse route des épices n’aura plus de secrets alors qu’un très utile abécédaire vient compléter cette somme afin d’identifier et mieux connaître les différentes épices et l’art de les assembler. Car, à l’image des autres ingrédients dans la cuisine, il y a un art d’utiliser et d’associer les épices, au risque de dénaturer le plus beau des plats…
Subtilité et nuances prévalent, en effet, en ce domaine et cet Atlas offre justement tous les conseils nécessaires pour sublimer les plats, même les plus simples, ou rendre inoubliables les créations plus sophistiquées. L’auteur propose d’ailleurs à cet effet en dernière partie d’ouvrage différentes recettes allant de l’entrée au dessert et magnifiant l’art des épices. Pour concevoir un délicieux Curry vert thaïlandais, un bouillon Rasam au citron à l’indienne ou encore un inoubliable cabillaud aux cinq parfums chinois, l’ouvrage de Beena Paradin Migotto deviendra vite le compagnon de toute cuisine inspirée et ouverte aux horizons lointains.
Un ouvrage aussi savoureux que beau à découvrir grâce aux photographies de Delphine Constantini.
 

« Manger bien associé » d’Olivier Bourquin, Editions Favre, 2021.

C’est un ouvrage fort instructif et attrayant, alliant avec bonheur plaisir gustatif et santé, que nous propose aujourd’hui le nutritionniste Olivier Bourquin avec « Manger bien associé » qui vient de paraître aux éditions Favre.
Instructif parce que l’auteur éclaire un point de diététique trop souvent ignoré ou négligé, celui de l’association bénéfique des aliments pour optimiser leurs bienfaits pour notre corps. Il est vrai que l’étude des interactions des nutriments entre eux demeure récente et source de nombreuses découvertes. Adoptant une approche claire et didactique, Olivier Bourquin ne néglige en première lieu aucune précision ou explication. Ainsi, « Afin d’apprendre à manger bien associé mais aussi dissocié », l’auteur distingue-t-il les protéines fortes des farineux forts qu’il convient d’éviter d’associer lors d’un même repas pour une bonne digestion. Olivier Bourquin y aborde également la rythmonutrition, l’équilibre de l’index glycémique ou encore acido-basique... L’auteur, fort de nombreuses précisions et conseils, nous rappelle qu’un bon intestin nécessite de bonnes associations et assimilation, que notre foie est un filtre, et qu’une belle peau ou de bonnes et jolies jambes impose une réelle connaissance nutritionnelle. Une première partie théorique indispensable et précieuse pour comprendre comment les aliments peuvent développer ou renforcer tous leurs bienfaits, mais aussi les perdre. Et que d’erreurs ne commet-on pas ! Car leur association n’est pas anodine, loin s’en faut.
Attrayant et savoureux, enfin, puisque l’auteur n’hésite pas, en second lieu, à mettre en pratique ces précieux conseils avec cinquante délicieuses recettes. Des recettes simples ou de difficulté moyenne aussi bien pour le petit déjeuner, les déjeuners, goûters ou dîners. Des recettes également, bien sûr, adaptées aux sportifs, avant ou après l’entraînement. Peu carnées, souvent végétariennes ou sans gluten, ces recettes colorées à la fois faciles et peu onéreuses, exposées de manière claire et précise sont – après avoir été testées, réellement délicieuses. Omelette à la bananes pour un bon départ le matin, aubergines farcies à l’orge perlé ou ramen de bœuf à la thaï, des shakes maison pour l’entraînement, rösti aux oméga 3, nouilles sautées aux crevettes pour le soir... Les propositions équilibrées ne manquent pas. On y retrouve même cinq recettes exclusives pour les jours de fêtes du chef Jean-Yves Drevet.
Un ouvrage, décidément, aussi scientifique que savoureux !
 

Bruno Savoyat : "Si simple ! Mettez du PEP dans votre vie et votre travail", PEPworldwide, 2021.

Face à la complexité croissante de nos vies modernes, complexité accentuée par les hypersollicitations du monde connecté, Bruno Savoyat a souhaité proposer sa riche expertise en tant que conseil en organisation professionnelle et personnelle. Cet auteur prolixe dont les principes sont appréciés dans le monde de l’entreprise, tout autant que par des personnes privées, part du principe que nombre de méthodes simples existent afin d’alléger les contraintes du quotidien qui conduisent un nombre sans cesse croissant de nos contemporains à un burn-out, surtout en ces temps de pandémie mondiale.
Fort des préceptes des philosophes antiques, l’ouvrage adopte le principe que la vie est un développement personnel continu. Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’apprentissage ne se limite pas aux jeunes années d’étude et le fait d’acquérir de nouvelles compétences s’impose de plus en plus fréquemment au cours de la vie professionnelle. Pour Bruno Savoyat, être efficace, c’est justement se placer dans cette dynamique de changement, une adaptabilité de tous les instants aux conditions fluctuantes de la vie professionnelle mais aussi privée. Ce sont ces techniques d’efficacité que ce volumineux guide recense et explique dans le détail, un accompagnement sous la forme d’un coach prêt à guider ses lecteurs dans tous les aspects de sa carrière et de son entreprise.
Ce livre très pratique offre un grand nombre de réponses adaptées à la situation actuelle qui exige encore plus de concentration, mais aussi de focaliser son attention sur ses priorités ou encore de gérer le monde connecté tout en sachant faire des pauses salutaires telle la fameuse gestion des emails… L’ouvrage aborde une multitude d’aspects pratiques notamment les rangements de nos espaces et de ce qui encombre trop souvent notre vie, la gestion de notre agenda avec ses priorités tout en laissant la place à des temps de créativité.
Curieusement, le lecteur réalisera en refermant l’ouvrage de Bruno Savoyat que c’est en prenant sa vie à bras-le-corps que l’on peut trouver du temps, du temps pour bien d’autres choses et surtout à ce qui importe le plus. Un ouvrage inspirant et nécessaire.

À noter que cet ouvrage trouve son prolongement dans de nombreux bonus Web fournis complétant idéalement les conseils prodigués.
BD

« Don Juan – Tome 1/2 – L’abuseur de Séville », Coll. « La sagesse des mythes, contes et légendes » sous la direction de Luc Ferry ; Scénario de Clotilde Bruneau, Dessin et story-board de Diego Oddi ; Direction artistique par Didier poli ; Couleurs de Ruby, Couverture de Paolo Grella ; 24 x 32 cm, 56 p., Editions Glénat, 2023.

Dans la série si plébiscitée « La sagesse des mythes, contes et légendes » sous la direction du philosophe Luc Ferry, c’est avec plaisir que les lecteurs découvriront le célèbre et incontournable personnage de légende : « Don Juan », présenté, ici, en 2 volumes.
Pour ce premier tome - intitulé « L’abuseur de Séville » - nous retrouvons pour commencer les frasques de ce séducteur impénitent qu’est Don Juan parcourant les routes d’Italie, de Naples, mais aussi d’Espagne… Sans scrupules, accumulant les conquêtes, promettant le mariage et s’enfuyant jusqu’à Séville…
Soulignons que pour ce diptyque, Luc Ferry a fait choix de revenir et de retenir, non la célèbre pièce de Molière, mais celle de Tirso de Molina (1579-1648), grand auteur du Siècle d’or espagnol, moine de son état ; un choix en faveur d’une version, certes, moins connue en France et pourtant à l’origine du non moins célèbre personnage de Don Juan, avant qu’il ne soit repris en Italie, puis par Molière. Avec un découpage et des dessins soignés, réalistes et sans merci de Diego Oddi, le lecteur découvrira dans ce scénario signé Clotilde Bruneau un Don Juan plus démoniaque encore que le séducteur sans scrupules, sans loi ni morale de Molière…
Don Juan est un personnage assurément de légende et cet album accompagné de son dossier « Énigmatique Don Juan, démoniaque ou libertin ? » en témoigne !


Gilles Landais

 

« Batman – One bad day : Ra’s al Ghul » ; Scénario de Tom Taylor, Dessin d’Ivan Reis ; Coll. DC Deluxe, 72 p., Urban Comics Editions, 2023.

La série « One bad day » s’enrichit encore avec un nouvel album mettant en scène Batman et Ra’s al Ghul ; c’est dire combien ce nouvel opus promet d’être décapant !
Ra’s al Ghul a pendant des siècles tenté de sauver la Terre de la perdition en éliminant tous les responsables de cette inexorable destruction ; mais, en vain, tant les obstacles étaient et sont encore nombreux… Cependant, aujourd’hui, après une nouvelle renaissance et se souvenant des drames de son passé, Ra’s al Ghul a décidé, quoi qu’il arrive, d’apporter paix et prospérité à la Terre et d’éliminer s’il le faut le fameux détective du Gotham…
Signé Tom Taylor pour le scénario et Ivan Reis pour les dessins, « Batman – One bad day : Ra’s al Ghul » se veut – on l’aura compris - un hommage au « Killing Joke » d’Alan Moore et de Brian Bolland. Mettant en scène l’un des plus mystérieux ennemis de Batman, Tom Taylor a retenu, ici, un scénario des plus explosifs illustré à merveille par un découpage et des dessins non moins hallucinants d’Ivan Reis. On doit à ce dernier, ici encore, des cadrages magnifiques avec un ancrage de Danny Miki et idéalement rehaussés par les couleurs de Brad Anderson.
Bien qu’implacable, le lecteur retrouvera dans cet album les valeurs – écologie, transmission, filiation - pour lesquelles Taylor s’est fait connaître dans l’Univers DC.


Gilles Landais

 

« Wonder Woman Historia » ; Scénario de Kelly Sue DeConnick ; dessin de Phil Jimenez, Gene Ha et Nicola Scott ; Coll. « DC Black Label », 256 p., Editions Urban Comics, 2023.

Un album véritablement inouï ! avec des pages, une mise en planche, un découpage et des dessins effectivement époustouflants dans des couleurs choisies pour un scénario captivant signé Kelly Sue DeConnick.
« Wonder Woman Historia » offre, ici, une réinterprétation libre et audacieuse de la mythologie grecque et des fameuses Amazones de la Grèce antique, livrant au lecteur des déesses très décidées à revoir le genre masculin que ce soit celui des Dieux ou des hommes. Avec un programme donné pour infaillible, la reine Hera et ses déesses projettent ainsi un monde inédit, un monde d’Amazones… Mais, un tel plan ne pouvait, on s’en doute, que susciter la colère des Dieux…
Avec un scénario des plus dynamiques reprenant les 3 tomes de « Wonder Woman Historia », Kelly Sue DeConnick, qui livre avec cet album son premier grand récit chez DC, donne à découvrir un récit bien rythmé et haut en couleur de la guerre entre Amazones et Dieux. Une guerre sans merci qu’ont su rendre à merveille Phil Jimenez, Gene Ha et Nicola Scott. Une complicité de plume que le lecteur appréciera à sa juste valeur.
Avec, qui plus est, son « Guide des Tribus Amazones » en fin de volume, cet album de plus de 250 pages ne pourra qu’émerveiller !


Gilles Landais

 

« Le Héros du Louvre – Tome 2 – Mon Grand-père, ce héros ! » d’Elie Chouraquie avec des dessins de Letizia Depedri ; Cartonné, Coll. « Hors Collection », 21.5 x 29.3 cm, 64 p., Editions Glénat, 2023.

C’est une belle histoire que nous compte le scénariste Elie Chouraqui, celle de son grand-père, Babi Maklouf, arrivé en France dans les années 30…
Souvenons-nous que devenu gardien de nuit au Louvre, et alors que la Seconde Guerre mondiale a éclaté, le conservateur du musée, Jacques Jaujard lui a demandé de fuir la capitale avec femme et enfants en emportant avec lui à bord d’un camion les plus grands chefs d’œuvres du Louvre…
Ici, dans ce second tome, Babi est enfin sur les routes de France… mais mille soucis et dangers l’attendent, l’armistice annoncée par Pétain, une France occupée et divisée sans oublier le quotidien, trouver à manger, s’occuper des enfants ; bref, survivre coût que coût avec pour bagage des chefs-d’œuvre… Babi arrivera-t-il avec sa famille et les tableaux à bon port ?...
Appuyé, pour cette première BD chez Glénat, par des dessins joliment expressifs de Letizia Depedri, c’est un récit véridique et un grand-père assurément amoureux de la France, de la culture de la France, plus que courageux et loyal que le lecteur découvrira dans ces pages tirées de l’Histoire, de son histoire, le titre de ce second tome « Mon grand-père, ce héros ! » n’étant en rien usurpé. Et c’est avec émotion que l’on cède volontiers à l’injonction de l’auteur, Elie Chouraqui : « Imaginer le grand-père parfait et vous verrez apparaître devant vos yeux, Babi. »
Un très bel hommage à partager avec le plus grand nombre, petits et grands !


Gilles Landais

 

« Les Exilés de Mosseheim – Tome 1 – Réfugiés nucléaires » de Sylvain Runberg, Olivier Truc et Julien Carette ; Coll. « Grand Public », 24 x 32 cm, 88 p., Éditions Dupuis, 2023.

Un diptyque des plus tragiques qui a décidé de ne rien nous épargner ! Cela commence, en effet, par un attentat suicide sur la centrale de Mosseheim en Alsace, une catastrophe nucléaire comme on en a jamais vue en France (et qu’on espère ne pas en voir !...), cinq millions d’Européens ont ainsi basculé en quelques minutes dans un véritable cauchemar… C’est dans ce contexte d’effondrement général, des frontaliers et de l’Europe que la famille Murat et leurs enfants, fuyant la zone radioactive, va prendre le chemin de l’exil pour un des camps géants de Suède où les tensions diplomatiques et humaines seront à leur comble…
Signé à six mains, ce premier épisode retiendra assurément l’intention tant le déroulé est d’un réalisme époustouflant avec un découpage fonctionnel et un centrage sur les personnages. Nos compères et auteurs, Sylvain Runberg, Olivier Truc et Julien Carette affichent pour cette réalisation une belle complicité avec un récit non dénué de valeurs et de questionnements ; sur fond de crise sécuritaire, nucléaire et migratoire, notre petite famille exilée et dorénavant au statut de « réfugiée » en pays étranger aura bien du mal à se frayer un digne chemin, et le lecteur ne sortira peut-être pas indemne de sa lecture… Eh, oui, vous, qu’auriez-vous fait ?... Vous exaspérez, certes, peut-être, mais après ?!...
On ne peut qu’avec impatience attendre le second tome de ces « Exilés de Mosseheim » !


Gilles Landais

 

« Buck Danny Classic – Tome 10 – Molotok 41 ne répond plus » ; Scénario de Frédéric Zumbielh et Frédéric Marniquet ; Dessin d’André Lebras ; Coll. « Zéphir », 24 x 32 cm, 48 p., Editions Dupuis, 2023.

Rien ne va plus avec le tome 10 de Buck Danny Classic - suite et second volet du diptyque débuté par « Le Vol du Rapier », « Molotok 41 ne répond plus »!
Nous sommes maintenant en 1958, Buck Danny n’a toujours pas réussi à délivrer nos savants atomistes américains enlevés par l’URSS, 7 ans auparavant. Mais, il faut avouer que rien ne se passe comme prévu : revirements, situations désespérées et incroyables échappées aériennes ou autres… Buck Dany arrivera-t-il à déjouer les redoutables sbires du SMERSH, le service de contre-espionnage de l’armée rouge… ?
Rappelons que pour ce nouveau diptyque, Frédérique Zumbielh et Frédéric Marniquet se sont documentés auprès de Samuel Prétat et inspirés de faits historiques, la disparition réelle en Atlantique Nord de savants atomistes en 1951, une histoire toujours pas à ce jour élucidée.
Appuyé par les dessins à la ligne claire toujours impeccablement soignés d’André Lebras, ce second volet qui vient clore le cycle « Dans les griffes du SMERSH » offre une nouvelle poursuite époustouflante dans laquelle le lecteur tenu en haleine devra bien s’accrocher…


Gilles Landais

 

« Requiem – Tome 11 – Amours défuntes » ; Scénario de Pat Mills ; Dessin et couleur d’Oliver Ledroit ; Cartonné, 24 x 32 cm, 56 p., Coll. « 24x32 », Editions Glénat, 2023.

« Requiem, Chevalier Vampire » continue pour le plus grand bonheur de ses aficionados avec un tome 11 très réussi intitulé « Amours défuntes » et dans lequel ce dernier poursuit son désir de retrouver Rebecca, alors qu’elle erre en enfer… Dans un Berlin dévasté, Rebecca croise Dragon, un ami a priori de Requiem, mais tel le scorpion au milieu du fleuve, celui-ci pourra-t-il faire fi de sa nature de vampire ? Alors qu’une tempête des limbes sur Résurrection vient de séparer dans leur combat Requiem et Leah, réapparaissent aux abords du château de la comtesse Bathory, non seulement Dame Mitra, mais aussi Dame Vaudou…
Le lecteur habitué à Requiem appréciera une fois de plus la qualité et le dynamisme de la mise en planche de ce nouveau volume. Les couleurs et dessins d’Oliver Ledroit, travaillés et soignés, impressionnent encore, même après plus de 10 tomes ! Décidément, Requiem est un monde en soi à nul autre pareil… Un tome venant compléter sans rupture une série devenue culte.


Gilles Landais

 

« Captifs » ; Scénario de Benoît Rivière ; Dessin d’olivier Ormière ; Couleur de Silvia Fabris ; Cartonné, 24 x 32 cm, 112 p., Éditions Les Humanoïdes Associés, 2023.

A souligner la parution chez Les Humanoïdes associés d’une captivante fiction inspirée d’une histoire vraie vécue par une famille anglaise dans l’Amérique du XVIIIe siècle. Elle commence précisément à l’été 1754 en Nouvelle-Angleterre lorsque les Johnson - des colons et fermiers anglais - sont attaqués par des Indiens ; James Johnson et son épouse enceinte, Susanna, seront capturés avec leurs trois enfants et emmenés par cette tribu dénommée Abénaquis ; ils seront alors réduits en esclavage avant d’être vendus à Montréal aux Français alors que ces derniers s’opposent à cette époque aux Anglais pour ce Nouveau-Monde… « Captifs », les Johnson et leurs trois - et peut-être quatre - enfants pourront-ils tous survivre à ce véritable cauchemar?
Inspiré librement d’une histoire de captivité et d’esclavage dramatique réellement vécue dans cette Amérique du Nord au XVIIIe s., cet album retient indéniablement son lecteur en haleine jusqu’à la dernière des 112 pages. Traité sous forme de fiction, les auteurs - Benoît Rivière au scénario et Olivier Ormière pour les dessins – se sont inspirés du « Récit d’une captive en Nouvelle-France 1754-1760 » écrit réellement par Susannah Johnson à la fin du XIXe siècle et traduit seulement en 2005 en français. Le lecteur trouvera un extrait de ces mémoires dans le dossier « Dans l’atelier des auteurs » en fin de volume.
Le scénario, mené de mains de fer par Benoît Rivière, est mis en valeur par une mise en planche minutieuse dans laquelle s’intègrent parfaitement les dessins réalistes et tout aussi soignés d’Olivier Ormière. Mille détails retiennent le regard sans oublier le travail de colorisation de Silvia Fabris.
Tribu amérindienne, colonisation du Nouveau-Monde, guerre entre les Français et les Anglais…ce sont bien des thématiques porteuses que le lecteur découvrira au fil de cette aventure dramatique et de cet album informé et soigné.

Gilles Landais
 

« Elias Ferguson – Tome 2 – 1938, Les Océans de feu » ; Scénario de Simon Second ; dessin de Lender Shell ; Couleur d »Albertine Ralenti ; Coll. « 24x32 », Éditions Vents d’Ouest, 2023.

Après l’heureuse découverte de « L’Héritier », premier album de cette nouvelle série - « Elias Ferguson » - aux éditions Vents d’Ouest, c’était avec impatience que nous attendions déjà le tome 2 ; c’est chose faite avec ce deuxième volume intitulé « 1938, Les Océans de feu ».
Comme son titre l’indique, nous sommes maintenant en 1938, en hiver 1938, Ferguson a repris l’entreprise familiale et les ambitions de son cher père : la construction d’un incroyable train sous-marin reliant les USA à l’Europe progresse… Mais c’est sans compter les embuches, sabotages, difficultés et intimidations qu’Elias devra subir et braver ; Ferguson arrivera-t-il à mener à bien cet extraordinaire rêve paternel ? Pour l’heure, il se propose de mettre à la disposition du savant allemand juif Kurt Spire le Transatlantique afin de l’amener aux États-Unis, ce dernier détenant des informations capitales qui pourraient bien changer le cours du monde en cette année 1938… Une traversée qui ne va pas être sans périls tant pour le scientifique juif que pour Elias… Arriveront-ils à sortir indemnes des abysses de ces « Océans de feu » ?
Avec un scénario bien ficelé et maitrisé signé de nouveau Simon Second, ce nouvel album continue à tenir son lecteur en haleine du début jusqu’à la fin. Suspens, actions et rebondissements sont au rendez-vous avec une mise en planche efficace servie par la plume de Lender Shell ; les dessins au trait sec, aux portraits expressifs et à la gestuelle étudiée offrent, en effet, une belle mise en action alors qu’en cette année 1938 le cours de l’Histoire se joue…
Un deuxième album qui vient agréablement confirmer le succès rencontré dès le premier volume par cette nouvelle série « Elias Ferguson ». À suivre donc…


Gilles Landais

 

« Batman – One bad day : Catwoman » ; Scénario de G. Willow Wilson; Dessin de Jamie Mckelvie; Coll “DC Deluxe”, 72 p., Editions Urban Comics, 2023.

On ne résiste pas à une plongée des plus folles dans l’univers le plus ambivalent de Batman, celui de Catwoman…
Car, c’est bien dans cet univers avant tout féminin que nous entraîne avec cet album intitulé à juste titre - « Batman – One bad day – Catwoman » - la scénariste G. Willow Wilson connue dans le monde de la BD et du DC pour ses héroïnes féminines et engagements. Un scénario complet tendant à nous révéler comment une mauvaise journée, « One bad day », peut parfois suffire à faire basculer la vie d’une femme, en l’occurrence de Selina Kyle / Catwoman … Car lorsque Catwoman apprend que sa mère, lorsqu’elle était encore adolescente, a dû laisser à un prêteur à gage un bijou de famille aujourd’hui donné pour inestimable, Catwoman décide alors de reprendre ce trésor coût que coût et quoiqu’il arrive… Une décision qui pourrait bien déterminer le cours de son existence…
Car « A un moment donné, on comprend que personne ne nous rendra ce que l’histoire nous a pris », ainsi commence l’album, ouvrant sur un scénario sans merci, ambivalent et félin, servit avec brio, ici, par les dessins, l’encrage et les couleurs tout aussi impitoyables de Jamie McKelvine.
Comment effectivement résister à cet album voulu tel un hommage à Alan Moore et Brain Bolland pour leur « Killing Joke » ?


Gilles Landais

 

« Un Loup pour l’homme » ; scénario Mathieu Rynès ; Dessin et couleur Valérie Vernay ; Coll. « Grand Public », 21.8 x 30 cm, 184 p., Editions Dupuis, 2023.

C’est une captivante et bien étrange fable que nous livrent aujourd’hui aux éditions Dupuis Mathieu Reynès et Valérie Vernay après le succès de « Mémoire de l’eau » : Celle d’un étrange animal rodant, dans la France rurale des années 20, sur les terres d’un riche et terrible propriétaire terrien, Léopold Baron, qui voit se succéder soucis et problèmes… N’a-t-il pas, il est vrai, quelque temps auparavant agressé une de ses employées et fait chasser la petite fille de celle-ci, Maya ; Maya qui dès lors devra vivre ou plutôt survivra dans la forêt avec les loups… Que penser, que déduire ? Simples coïncidences, sortilèges ou autre chose encore… ?
On l’aura compris cet album merveilleusement illustré par les dessins et couleurs de Valérie Vernay pose le fameux débat du « Loup pour l’Homme »… Fort de ses 184 pages, « Un loup pour l’homme » entraîne son lecteur sans répit dans cette mystérieuse fable servie par un scénario bien pensé et construit par Mathieu Reynès. Le lecteur se laisse surprendre, absorber par cette forêt aux étranges et envoûtantes couleurs… Que lui cache-t-elle ? Qui protège-t-elle ?
Un album qui devrait être largement plébiscité !


Gilles Landais

 

 

« Lancelot - Tome 1 - Le Chevalier de la charrette », Clotilde Bruneau, Luc Ferry , Carlos Rafael Duarte, Didier Poli ; Coll. « La Sagesse des mythes, contes et légendes », Editions Glénat, 2023.

La collection - désormais incontournable - « La Sagesse des mythes, contes et légendes dirigée par le philosophe Luc Ferry compte aujourd’hui une nouvelle série dont le tout premier tome est consacré au héros de la quête du Graal, le fameux Lancelot. Didier Poli, auteur de BD, Clotilde Bruneau, scénariste et Carlo Rafael Duarte au dessin ont conjugué leur savoir afin de produire une aventure digne du preux chevalier du roi Arthur. Le récit fabuleux débute, en effet, par un défi, celui porté par un chevalier masqué de son heaume et s’infiltrant à la cour du roi Arthur pour lui faire savoir qu’il détient des membres de sa cour…
En un récit graphique rendant à la perfection l’ambiance de ces temps médiévaux et la fougue des chevaliers épris d’amour courtois quelque peu réinterprété par ces pages parfois cocasses… Ce premier volume ne manque assurément pas d’action, à l’image de ces anciens films ayant par le passé évoqué la légende arthurienne et le lecteur aura bien du mal à patienter pour découvrir la suite… au prochain numéro !
À noter comme à l’habitude dans cette collection didactique, le dossier bien ficelé relatant l’origine et le développement du roman courtois et permettant de mieux apprécier le contexte de cette nouvelle série.
 

Jules Buissonnet

 

« Champignac – Quelques Atomes de carbone » ; BEKA et David Etien ; 24 x 32 cm, 56 p., Éditions Dupuis, 2023.

Plaisir toujours renouvelé de découvrir une nouvelle aventure de Champignac !
Pour ce dernier album ou pour « Quelques Atomes de carbone », c’est une Américaine, infirmière new-yorkaise quelque peu excentrique qui débarque au château de Champignac, avide de connaître les recherches et avancées de notre fameux Compte de Champignac en matière de contraception… un sujet sensible qui le touche particulièrement, un passé et des années qui pèsent qui l’amèneront en 1951 à accompagner Margaret Sanger, personnage historique fondatrice du planning familial, à Boston, non sans péripéties… Mais, Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas, comte de Champignac n’ignore pas que la science n’est pas de tout repos !
Une nouvelle aventure audacieuse s’appuyant sur des faits et personnages réels signée, de nouveau, BEKA et David Etien. Mené rondement, l’album offre un scénario des plus dynamiques tendu par une mise en plage également des plus alertes. Une histoire alternant drames, émotions, rebondissements et courses-poursuites pour un album abordant des thèmes essentiels mais toujours délicats et sensibles même au XXIe siècle.


Gille Landais

 

« L’Homme qui voulut être roi » ; Adaptation de l’œuvre de Rudyard Kipling avec une préface de Didier Convard ; Scénario de Jean Christophe Derrien ; Dessin de Rémi Torregrossa ; couleurs d’Albertine Ralenti ; Cartonné, Coll. 24x32, 72 p., 24 x 22 cm, Editions Glénat, 2023.

La célèbre et captivante histoire de « L’Homme qui voulut être Roi » écrite par l’écrivain britannique Rudyard Kipling en 1888 fait l’objet d’une belle et très réussie adaptation en BD signée Derrien et Torregrossa aux éditions Glénat.
Rappelons brièvement histoire : Fin XIXe siècle aux Indes, deux amis, Daniel Dravot et Peachy Carnehan, tous deux anciens officiers britanniques et francs-maçons, projettent après un long périple de se rendre au Kafiristan, une contrée lointaine où aucun Européen n’est encore entré depuis Alexandre Le Grand ! leur but ? Tout simplement, y devenir Roi, rien de moins ! Dravot y réussira presque… mais c’était sans…
C’est l’adaptation en BD de cette incroyable aventure écrite par le célèbre écrivain et journaliste britannique que nous offre donc de découvrir Jean-Christophe Derrien au scénario et Rémi Torregrossa pour les dessins. Le duo n’en est pas à son premier coup de maître puisqu’ils ont déjà ensemble signé l’adaptation très saluée de « 1984 » de George Orwell. Ils récidivent donc aujourd’hui pour le plus grand plaisir des lecteurs avec cette œuvre littéraire non seulement haute en couleur, mais surtout haute en valeur ajoutée, codes, analyses et fine observation sans concession de l’espèce humaine tel était le grand talent du célèbre écrivain, Prix Nobel de littérature en 1907 et auteur également du « Livre de la Jungle » ou encore de « Kim ». Plus d’un siècle après, l’œuvre de Kipling n’a jamais, de génération en génération, pris une seule ride !
Ici, avec un scénario et une mise en page des plus serrées, des dessins rendant parfaitement l’ambiance et le climat tant du roman que de cette fin de siècle en Orient, ce One shot livre une adaptation passionnante et captivante de ce récit mythique ayant déjà fait l’objet dans le passé, en 1975, d’une fameuse adaptation cinématographique par John Huston avec Sean Connery et Michael Caine. En 2023, c’est donc une belle adaptation en BD avec une préface de Didier Convard que les Éditions Glénat nous proposent ; A découvrir sans tarder.


Gilles Landais

 

« « Harry Dickson – Tome 1 – Myteras » ; Scénario de Doug Headline et Luana Vergari ; Dessin de Onofrio Catacchio ; 24 x 32 cm, 64 p., Coll. « Grand-Public », Editions Dupuis, 2023.

Qui ne se réjouira de retrouver le fameux détective américain, Harry Dickson !
Pour ce retour en BD et en beauté, Doug Headlin et Luana Vergari ont fait choix de retenir un récit plus que haut en couleur adapté d’une histoire originale du célèbre auteur fantastique Jean Ray ; qu’on en juge :
Un condamné à mort exécuté qui s’évade, et à sa place, l’inventeur du prototype de la chaise électrique ayant servi à l’exécution retrouvé mort dans un bureau pourtant fermé de l’intérieur ; à cela s’ajoute une romancière enfermée, elle aussi, dans sa luxueuse tour observant la scène au télescope et qui disparait également le plus mystérieusement possible… Pas moins, donc, de trois passionnantes mais délicates énigmes – un ressuscité, un meurtre et une disparue, trois énigmes tout aussi inexpliquées qu’inexplicables, - confiées par Scotland Yard au plus fantastique des détectives, celui de l’étrange et du surnaturel : Harry Dickson, bien sûr, accompagné de son inséparable acolyte et assistant, Tom Wills... Mais, ici, devant cette complexité et ces énigmes multiples, réussira-t-il à nous impressionner, relèvera-t-il le défi de ce retour en BD ? Assurément, et ce premier tome porte bien son titre : « Mysteras » !
Adapté du maître donné en la matière, Jean Ray, l’album offre un fantastique de haut vol où créatures maléfiques, spectres et puissances occultes règnent sans partage. Angoisse, peur, épouvante et suspens sont au rendez-vous, exit le rationnel laissé à Sherlock Holmes ou à Arsène Lupin… Figure incontournable du « vrai » fantastique avec Poe et Lowecraft, Jean Ray donnera naissance à Harry Dickson dans les années 1930 avec plus d’une centaine d’aventures. Ce héros internationalement connu que l’on redécouvrira dans les années 1960, peu de temps avant la disparition de son créateur, entrera dans le monde de la BD dès les années 1986.
Les lecteurs apprécieront pour ce premier volume l’élégance des dessins et une mise en page à la fois dynamique et des plus soignées, signés Onofrio Catacchio.
Lorsque l’on connait le succès de Jean Ray et de son héros – Harry Dickson – on ne saurait douter du succès de ces retrouvailles tant avec ses fans et du réel plaisir qu’ils en éprouveront que de l’émerveillement des heureux chanceux qui aujourd’hui en feront la découverte en BD !
 

Gilles Landais

 

« Molière – Acte 3 – Survivre à Jean-Baptiste » ; Scénario de Vincent Delmas ; Dessin de Sergio Gerasi ; Cartonné, 24 x 32 cm, 48 pages, Coll. 24x32, Editions Glénat, 2023.

A noter sur vos tablettes, la parution du troisième et dernier volume de l’excellence série « Molière ». Une trilogie commencée en 2022 pour le 400e anniversaire de son baptême plus que saluée par la critique et le grand public, et qui s’achève en cette année 2023 marquant le 350e anniversaire de sa mort.
Pour cet acte 3, signé de nouveau pour le scénario Vincent Delmas et Sergio Gerasi pour les dessins, nous sommes en ce funeste soir de février 1673, le 17 précisément. Jean-Baptiste Poquelin dit Molière s’effondre sur scène en pleine représentation du Malade imaginaire… En ces heures et minutes qui comptent, le dramaturge revoit sa vie pendant que ses proches, son épouse Armande Béjart et son ami La Grange, tentent de convaincre un prêtre de lui donner la confession… Au-delà, c’est toute la question de la survie et notoriété de l’œuvre de Molière qui se pose…
Un ultime acte que tant Vincent Delmas que Sergio Gerasi par leur symbiose réussissent avec beaucoup de doigté. Molière y revit une dernière fois pour ses lecteurs avant que la postérité ne le fasse vivre à jamais avec des œuvres qui n’ont jamais cessé d’enchanter les scènes, le Français et surtout des générations…
On ne peut pour cette excellente trilogie que souhaiter et attendre avec impatience le coffret !


Gilles Landais

 

 « Musée » de Christophe Chabouté ; Coll. « Hors Collection », cartonné, 21.5 x 29.3 cm, 192 pages, Vents d’Ouest éditions, 2023.

Chabouté a décidé de tout chambouler, et c’est tant mieux ! Car cela donne un album des plus réussis, tout de noir et blanc, où bousculant tous les codes, l’humour, l’art et la poésie s’allient pour le plus grand bonheur des spectateurs… mais aussi celui des chefs d’œuvres du fameux Musée d’Orsay, heureux de se trouver ainsi réunis, plein de vie.
Christophe Chabouté, que l’on ne présente plus, a en effet, pour ce nouvel opus décidé de mettre la plus grande pagaille au Musée d’Orsay en permettant aux œuvres d’art, statues, peintures ou autres chefs-d’œuvre de nous raconter – une fois n’est pas coutume – ce qu’elles se disent la nuit entre elles, lorsque le musée a fermé ses portes à triples tours… Que d’expressions et de regards différents selon les âges ou caractères ! Dubitatifs, admiratifs ou encore scrutateurs, c’est ce que nous rappellent les premières planches de cet album - à la mise en page impeccable - aussi décapant que captivant… Car a-t-on imaginé, un jour, déambulant dans un musée, juste une seconde, ce que peuvent bien penser de nous ces statues et modèles des plus grands chefs-d’œuvre lorsqu’elles nous écoutent et nous regardent les regarder ?! Que pense sous son chapeau et le pinceau de Manet Berthe Morisot ? Ou encore van Gogh dans cet autoportrait de 1889 ?
Au-delà de cette pertinente question, c’est bien notre rapport à l’art qu’interroge Christophe Chabouté dans ce turbulent musée imaginaire … Un indiscret et savant désordre des plus instructifs, interpellant le lecteur… avant que l’aube n’invite statues, bustes et modèles à regagner leur place respective et à regarder de nouveau, inflexibles, les visiteurs du Musée d’Orsay passer…


Gilles Landais

 

« Les Vies de Charlie » ; Scénario de Kid Toussaint ; Dessin d’Aurélie Garino ; 24 x 32 cm, 128 p., Coll. « Grand Public », Editions Dupuis, 2023.

Que deviennent les âmes des défunts ? Une question que tout à chacun s’est un jour posé et à laquelle tente de répondre Charlie, employé modèle de la société « Recycle & Ternel ». Tout un programme… que Charlie tente avec zèle par téléphone d’expliciter aux familles qui souhaitent savoir comment et en quoi pourrait être transformé leur défunt. Naïf, émotif et empathique, plus que zélé mais plein de cœur, Charlie est – et ses collègues le savent bien – l’employé idéal pour résoudre les cas les plus délicats…
Signé Kid Toussaint (Magic 7 » ; « Télémaque » ou encore « Animal Jack » chez Dupuis…) et Aurélie Garino pour les dessins, cet album de plus de 120 pages aborde avec délicatesse et poésie bien des questions : la mort, bien sûr, mais aussi et surtout la vie après la mort sans oublier la puissance de l’amour. Que répondre en effet à ce jeune garçon qui demande à Charlie ce que va devenir l’âme de sa petite maman récemment décédée ?
Une fable-enquête sensible dans laquelle se lance et nous entraîne Charlie. Philosophie, théologie, croyances, coutumes et pratiques funéraires ouvrent bien des pistes et questionnements auxquels va se confronter Charlie. Kid Toussaint aborde, ici, avec doigté des thèmes délicats, la vie après la mort, le paradis et l’enfer que partagent bien des religions et croyances avec le christianisme ou encore la réincarnation et le bouddhisme…
Côté dessin, Aurélie Garino connue surtout dans le milieu « jeunesse » avoue avoir pour ces « Vies de Charlie » changé quelque peu son approche graphique : plus de relief et de profondeur souligne-t-elle. On appréciera effectivement la diversité de ses visages et expressions, tout autant que la redoutable mise en page, également efficace et dynamique, sans oublier enfin de judicieux gros plans ou de belles pleines pages.
Bien des atouts, donc, pour ces « Vies de Charlie » à découvrir !


Gilles Landais

 

 « Dossier Michel Vaillant - Les 100 ans du Mans », Editions Graton, 2023.

À l’occasion du centenaire des mythiques 24 Heures du Mans, le Dossier Michel Vaillant constitue un bel hommage en revenant dans le détail sur les origines de ce parcours et de cette course appelée à un avenir que leurs fondateurs ne pouvaient imaginer… Laurent Beauvallet, Christophe Bourgeois, Jean-Philippe Doret et Guillaume Nédelec signent cet album qui deviendra assurément un collector tant sa mise en page que les informations réunies et détaillées permettent de plonger son lecteur littéralement dans cet univers où défis et innovations ne feront que s’accélérer au rythme des années et des bolides…
Entre fiction et réalité, notre héros Michel Vaillant se fait, ici, à la fois témoin et acteur de cette riche histoire qui débute en 1923 avec 33 voitures affrontant des conditions climatiques extrêmes. Dès cette première course, la dimension sportive concurrencera les innovations technologiques, la course servant également de banc d’essai unique pour les inventions les plus folles. Au fil des pages, le lecteur pourra découvrir cette riche histoire parsemée d’anecdotes, de drames, parfois aussi, mais toujours animée à chaque épreuve de cette passion indéfectible !

À noter pour cette occasion la sortie du tome 12 La Cible de la Saison 2 – Michel Vaillant


Jules Buissonnet

 

« Mussolini » de Luca Blengino, Davide Goy, Andrea Meloni, Conseiller historique Catherine Brice ; Coll. « Ils ont fait l'Histoire », 24 x 32 cm, 56 p., Editions Glénat, 2022.

Si le personnage de Mussolini peut sembler bien connu avec ses fameuses diatribes, ses postures viriles et autres pantomimes, l’Histoire a légué cependant une réalité quelque peu plus complexe que ces images convenues. Et c’est l’un des intérêts de cet album signé Luca Blengino, Davide Goy, Andrea Meloni et Catherine Brice que de livrer une réalité moins caricaturale par le truchement de la BD.
A l’image de ce qui se passa en Allemagne, la Première Guerre mondiale a provoqué en Italie un mécontentement d’une partie de la population, population qui se regroupera rapidement sous la nouvelle bannière fasciste qui émergera alors au début des années 20. C’est en effet en 1922 que Benito Mussolini prendra la tête du gouvernement et imposera sa vision fasciste du pouvoir, vision faite de multiples références à l’identité nationale et au riche passé légué par l’antiquité… C’est ce chemin vers une Italie plus forte, xénophobe, antisémite et renaissant des cendres de sa gloire mythique qu’abordent nos auteurs dans ce récit graphique d’une rare qualité tant historique qu’esthétique. Plus qu’un énième documentaire, ces pages font entrer pleinement le lecteur dans l’Histoire aux côtés de ce personnage complexe que ces pages dessinées avec talent ont le mérite de rendre plus familier jusqu’à sa chute en 1945. A prolonger par le dossier très complet réuni en fin d’album par l’historienne Catherine Brice.


Jules Buissonnet

 

« Buck Danny – Origine – Tome 2 – Le fils du Viking noir » ; Scénario de Yann ; Dessin de Giuseppe De Lucas ; 24 x 30 cm, 48 pages, Coll. « Grand Public », Editions Dupuis, 2023.

Les aficionados de Buck Danny seront assurément ravis de découvrir dans ce second tome d’un diptyque incontournable consacré aux origines de Buck la jeunesse du légendaire pilote.
Nous sommes pour ce volume dénommé – Le fils du Viking noir – en plein cœur du Pacifique alors qu’en cette année 1943 la Seconde Guerre mondiale s’impose au monde entier. C’est dans ce contexte que le lecteur suivra les multiples exploits de Buck Danny affirmant autant son engagement que son talent, mais aussi et surtout découvrira par ses songes et réminiscences ses premiers vols et amours de jeunesse. Cependant derrière ces exploits et jolis souvenirs se cache aussi un sombre secret jamais révélé… Mais, le lecteur est-il prêt à le découvrir ? Il ne faut jamais juger trop vite…
Un second volume venant après « Le pilote à l’aile brisée » clore le premier diptyque consacré aux origines de Buck Danny. Un tome signé Yann de nouveau pour le scénario. Un scénario joliment serré appuyé par des dessins dynamiques et sans répit de la main de Guiseppe De Luca. Un album qui offre un plein d’actions, de revirements et suspens. Des batailles, des défaites et victoires et même des miracles. On y retrouve un Buck Danny entouré de ses compagnons sans oublier la séduisante et charmante Moira, mais aussi sa mère… On y retrouve surtout notre héros, ce légendaire pilote infatigable « au cœur posé sur un nuage »…


Gilles Landais

 

« Le Depisteur – Tome 1 – La Tondue » ; Scénario de Ozanam ; dessin de Marco Venanzi ; Cartonné, 24 x 32 cm, Coll. 34x32 cm, Editions Glénat, 2023.

Avec « Le Dépisteur », c’est un bien bel album que nous livrent Ozanam et Marco Venanzi aux éditions Glénat ; premier tome d’un excellent diptyque consacré aux enfants juifs rescapés de la Seconde Guerre mondiale.
Nous sommes, en effet, en 1951 et les « Dépisteurs », anciens scouts juifs regroupés sous le nom justement « Des Dépisteurs » dont fait partie Samuel, cherchent désespérément dans la campagne française les enfants juifs ayant été cachés et séparés de leurs parents pendant la guerre avec cet espoir inespéré de les ramener auprès de leur famille… C’est ainsi que Samuel part dans le Lot à la recherche de cette petite fille qui, en 1943, avait tout juste 1 an… Mais, lorsque Samuel arrive, tout semble perdu ! Personne ne semble se souvenir d’une enfant cachée et, aux dires d’un paysan, la famille d’accueil aurait été exécutée sous l’occupation… Derrière tous ces non-dits et secrets à démêler, Samuel retrouvera-t-il trace de cette petite-fille ?
Reposant sur un scénario certes fictionnel, mais fondé sur des faits historiques, Ozanam (reconnu chez Glénat pour « We are the night » et « Mauvaise réputation) signe, ici, avec « Le dépisteur » un premier tome travaillé et émouvant qui ne saurait laisser son lecteur indifférent. On y retrouve toute l’horreur, l’ignominie, mais aussi le désespoir, la solidarité et l’amour dont peut être capable la nature humaine… Des contrastes, secrets, découvertes et révélations qu’a su rendre avec talent Marco Venanzi au dessin. Des visages expressifs, des traits acérés, révélant cette France rurale d’après-guerre où sur la neige demeurent parfois « Les traces des enfants rescapés de la Shoah », des traces certes ténues, mais qu’il convient encore de nos jours de ne jamais oublier…
Gilles Landais
 

« Les Fusibles » ; Scénario de Joseph Safieddine ; Dessin de Cyril Doisneau ; Couleurs d’Isabelle Merlet ; Typographie de Jean-François Rey ; 20 x 26.5 cm ; 176 p., Coll. « Grand Public », Editions Dupuis, 2023.

Un très bel album engagé sur la force des liens qui nous relient à nos racines et sur la transmission intergénérationnelle.
Trente ans plutôt, dans un Liban (jamais nommé cependant) en effervescence, trois ados – Abel, Georges et leur amie Sarah - insouciants mais désirants rendre service décident de constituer une équipe secrète et de choc chargée de remettre en fonction les trop nombreux compteurs électriques coupés quotidiennement. Ce sont ces ados que nous retrouvons plus tard ; Abel, d’abord, installé depuis en France, entrepreneur et vivant avec sa fille, Billie, qu’il n’a jamais envisagé d’emmener au Liban et Georges qui débarque un week-end lui rendre visite… Dans ces souvenirs qui ressurgissent, Abel prendra-t-il conscience qu’il s’est toujours placé en « Fusible » entre ses racines, son père, sa vie et sa fille…
Mené de mains de maître par Joseph Safieddine au scénario, cet album revient sur les liens complexes qui se tissent entre ceux qui quittent leur pays, liens entre vie familiale et identité, entre enfance et vie actuelle… Joseph Safieddine n’en est pas à son premier coup de maître et a déjà avec succès abordé ces thèmes et le Liban ; Des thèmes dont celui essentiel de la transmission qui lui tiennent à cœur, on se souvient ainsi de « Yallah Bye » ou encore de « Monsieur Coucou ». Ce « Fusible », son père a toujours voulu l’être justement… Mais, très vite, Joseph Safieddine souligne cependant : « Finalement, la fiction me permet de parler de choses plus personnelles, de laisser l’inconscient s’exprimer, sans être inhibé par le besoin de coller à mon histoire familiale. La fiction, c’est très puissant ! ». Et dans cet album, effectivement, le mot fusible se conjugue au pluriel…
Des sentiments complexes et ambivalents qui interpellent et ne laissent indifférent, rendus ici avec beaucoup de sensibilité par le dessinateur Cyril Doisneau. Des dessins touchants en noirs et blanc faussement simples et épurés traduisant avec subtilité, nuances et humour la puissance des ressentiments, sans oublier ces pages choisies en couleur et la typographie respectivement d’Isabelle Merlet et de Jean-François Rey.
Une belle réussite qu’il convient de saluer.

Gilles Landais

 

« Psychothérapie – Paula et Gaby vont chez les psy » ; Scénario de jessica Holc et Ghismain Rincquesen ; Dessin et couleurs d’Emilano Tanzillo ; Cartonné, 19.8 x 26.6 cm, 80 p., Coll. Hors Collection, Editions Vents d’Ouest, 2023.

Une BD comme introduction, au sens premier du terme, à la psychothérapie. Signé par une psychologue de formation et psychothérapeute, Jessica Holc, et Ghislain de Rincquesen, analyste psycho-organique, l’album entend en effet dévoiler et initier aux différentes voies de la psychothérapie ou plus exactement aux « Psychothérapies » au pluriel tel que l’annonce le titre même de ce roman graphique.
En ces pages, le lecteur y découvrira, d’une part, Gaby, la trentaine. Lui, ne connait rien en psy ; c’est la première fois qu’il se rend dans le cabinet d’un psy, mais épuisé, il sent qu’il a plus que besoin de comprendre ses cauchemars et peurs qui l’assaillent ; d’autre part, Paula en thérapie depuis les attentats de Nice dont elle a vécu l’horreur…
C’est une véritable plongée dans l’univers des « Psychothérapies » que nous proposent avec cet album les auteurs. Un monde proposant, chacun à leur manière, un chemin de transformation intérieure affrontant larmes, peurs et cauchemars. Appuyé par les dessins réalistes et méticuleux d’Emiliano Tanzillo, le lecteur découvrira, en effet, les affres, émotions et difficultés de cette confrontation avec soi-même, mais aussi cette résiliente compréhension libératrice que peuvent offrir les thérapies, ce que reflètent parfaitement les couleurs retenues également par Emiliano Tanzillo, cette alternance de couleurs sépia et de bleu lavis…
Le lecteur découvrira également avec intérêt le dossier-postface « Exploration en terre intérieure » d’Éric Champ, psychologue clinicien, psychothérapeute et superviseur et formateur d’analystes psycho-organiques ; un dossier clef venant souligner toute la force de cette « parole qui guérit » lors d’une « relation thérapeutique ».
Un album dans la ligne de la série culte « En thérapie » qui ne saurait laisser son lecteur indifférent.

Gilles Landais

 

« El Alamein - De sable et de feu » ; Scénario de Thierry Lamy ; Dessin d’Alessio Cammardella, Col. « Les Grandes batailles de chars », 24 x 32 cm, Editions Glénat, 2023.

Rien ne prédestinait El Alamein, petite ville côtière égyptienne, à passer à la postérité dans les archives mémorables de l’Histoire, si ce n’est ce 1er juillet 1942, date à laquelle la guerre du désert fit rage en Afrique. En ce mois d’été, les troupes italo-allemandes dirigées par le maréchal Rommel menacent, en effet, l’armée anglaise malmenée à Tobrouk et retranchée sur une ligne entre El Alamein et le désert de Qattara pour un affrontement ultime… Tel est le thème de cette impressionnante collection « Les grandes batailles de chars » selon un scénario époustouflant de Thierry Lamy et le dessin fiévreux d’Alessio Cammardella qui parvient dès les premières planches à plonger le lecteur dans les sables et la chaleur implacable du désert libyen.
Avec une mise en planche haletante ne laissant guère de répits dans cet enfer mécanique, cette BD montre combien les chars d’assaut jouèrent un rôle déterminant sous la conduite du maréchal Romel face au général anglais Auchinleck, un homme austère mais d’une probité exceptionnelle. Histoires d’hommes et de machines, « El Alamein » impressionnera tant pour sa dimension historique que pour sa conception graphique de tout premier plan ! (À compléter impérativement par le dossier instructif réuni par Stéphane Dubreil intitulé « Le renard du désert pris au piège »).


À découvrir dans la même collection « Les Ardennes » de Dobbs et Fabrizio Fiorentino.

Jules Buissonnet

 

« Les aventures de Théodore Poussin – Tome 14 – Aro Satoe » de Frank Le Gall ; Coll. « Grand Public », 24 x 32 cm, 80 p., Editions Dupuis, 2023.

Théodore Poussin revient et n’en finit pas de nous enchanter en nous emmenant, cette fois-ci, sur l’île d’Aro Satoe dans la mer de Chine.
Pour le quatorzième épisode de cette fabuleuse et mythique série, après le « Dernier voyage de l’Amok », notre héros infatigable s’est, en effet, réfugié sur l’île de la séduisante Aro Satoe alors que son équipage, celui de L’Amok, est emprisonné pour acte de piraterie à Singapour. Là, il y découvre de troublants secrets le concernant…
Alors même que l’on croyait tout savoir sur Théodore Poussin, celui-ci réserve à ses lecteurs encore aujourd’hui, sous la signature de Frank Le Gall, en auteur complet, bien des aventures et péripéties sur fond de savoureuses révélations… Ce personnage emblématique des éditions Dupuis, né dans le « Journal de Spirou » en 1984, n’a en effet pas pris une ride depuis que le jeune employé de bureau, réservé et timide, s’est embarqué en 1928 sur le fameux Cap Padaran vers l’Indochine ! Que d’aventures pourtant…
Pour ce voyage quelque peu crépusculaire aussi que captivant qu’initiatique, Théodore Poussin devra affronter tout à la fois les autorités de Singapour et l’armée britannique ; rien de moins ! À moins qu’il ne s’enfonce dans les méandres de cette île si mystérieuse, l’île d’Aro Satoe…
Coup de théâtre garanti pour notre attachant héros !


Gilles Landais

 

« Hitler est mort ! - Tome 3 » ; Jean-Christophe Brisard (scénario), Alberto Pagliaro (Dessin), Collection 24x32, 72 p., Editions Glénat, 2022.

La mort d’Adolf Hitler demeure un mystère depuis sa disparition en 1945 qui a été traditionnellement présentée, à défaut de certitude, comme un suicide. Mais derrière l’Histoire officielle se cachent bien d’autres hypothèses et notamment celle retenue pour ce Tome 3 selon laquelle le terrible Führer aurait été retrouvé vivant d’après les enquêtes menées par une unité d’élite de l’Armée rouge.
Loin d’être un scénario fantaisiste, Jean-Christophe Brisard, ici, au scénario, a lui-même enquêté et les pièces qui ressortent du dossier secret réuni en fin d’album sont impressionnantes… Le lecteur découvrira avec intérêt et suspens cette aventure folle réunissant hypothèses de sosie, médecins légistes, prothésistes et autres nombreux mystères !
Alors que le chaos règne en cette fin de Troisième Reich sur fond de décombres, la disparition de celui qui initia une nouvelle et tragique vision du monde quelques années auparavant constitue un enjeu de taille que cet album présente avec brio et intelligence. Le dessinateur Alberto Pagliaro a su saisir ces enjeux avec ces visages taillés au couteau, ces couleurs contrastées et sombres. Le doute s’immisce et la paranoïa gagne le lecteur, et si l’Histoire n’était pas celle qui a jusqu’alors été écrite ?

Jules Buissonnet

 

« Histoire de Jérusalem » de Vincent Lemire et Christophe Gaultier, Les Arènes BD, 2022.

Jérusalem n’a pas fini de faire couler de l’encre depuis des millénaires et de susciter de belles évocations ainsi que le démontre cette première histoire de la Ville Sainte en BD ! Vincent Lemire, grand spécialiste de la ville et Christophe Gaultier dessinateur également inspiré ont uni, ici, leur talent pour offrir au lecteur pas moins de 4000 ans d’Histoire en quelques 256 pages, un pari plus que réussi :
Depuis les débuts de cette bourgade entre Méditerranée et désert et la grande cité actuelle, phare de cette région, que d’Histoire et d’histoires relatées dans ces pages enlevées et colorées au soleil d’Israël. Chaque grande étape se trouve rappelée par une synthèse remarquable rappelant les grandes sphères d’influence - égyptienne, perse, juive, grecque, romaine et bien d’autres encore…, ayant façonné et influencé la célèbre ville, tout en lui gardant cette identité parvenue jusqu’à nous. Admirée, redoutée, combattue, pillée, Jérusalem a connu tous les outrages et admirations imaginables. Cœur des plus grandes religions qui se disputent depuis l’aube des temps ses quartiers et monuments sacrés, Jérusalem est une ville de passions…
C’est cette « Histoire de Jérusalem » faite de passions, de croyances, de royautés et pouvoirs, que les auteurs donnent à lire en ces pages avec talent et humour; Convoquant historiens, archéologues d’hier et d’aujourd’hui et même guides imaginaires contemporains, la complexité et l’histoire de Jérusalem s’y dévoilent avec fluidité et un rare bonheur de lecture !
Une évocation en BD fidèle à l’Histoire qui devrait captiver et susciter bien des envies d’aller découvrir cette ville à nulle autre pareille !

Jules Buissonnet

 

« Les amis de Spirou – Tome 1 – Un ami de Spirou est franc et droit… », Jean-David Morvan, David Evrard et Ben BK ; Coll. « Tous publics », 24 x 32 cm, 72 p., Editions Dupuis, 2023.

Voilà un premier album d’une nouvelle série jeunesse qui devrait captiver autant les jeunes que les plus grands ! Signé par Jean-David Morvan avec David Evrard et Ben BK, cet album , premier donc d’une nouvelle série consacrée à l’Histoire de Spirou, s’inspire de vraies vies et de la grande Histoire notamment celle du premier rédacteur de Spirou, Jean Doisy, résistant lors de la Seconde Guerre mondiale et créateur du Club des Amis de Spirou, réunissant de nombreux jeunes lecteurs dont certains sont morts pour la Résistance.
Ouvrons ce premier album ! Nous sommes en 1943 et l’occupant nazi vient d’interdire la parution du « Journal de Spirou ». Les jeunes du Club des « Amis de Spirou », le club des AdS, sont littéralement atterrés. Vont-ils, en réponse, oser défier l’occupant nazi en éditant un nouveau journal de BD satirique antinazi ? Leur devise « Spirou, ami partout toujours ! ». Mais ont-ils conscience des réels dangers qu’ils encourent en ces temps de guerre ? Une histoire véridique et malheureusement tragique…
Jean-David Morvan, auteur notamment de « Madeleine Résistante » accompagné, ici, de David Evrard signe avec ce premier tome un album chargé d’Histoire, celle de la Seconde Guerre mondiale, celle de la Résistance belge, celle de l’Histoire du « Journal de Spirou » et celle tout aussi véridique, des « Amis de Spirou » créé en 1938 quelques mois après la création de Spirou, mais aussi celle de la fameuse imprimerie Marcinelle qui imprimera le célèbre « Journal de Spirou ». Les références aux dessinateurs de Spirou défilent en autant de clins d’œil et d’hommages, tout comme les références empreintes d’humour à cette aventure éditoriale ancrée dans l’Histoire ; l’Histoire tragique de la guerre, de la Seconde Guerre mondiale, du nazisme et de la Résistance…
Pour cette nouvelle série consacrée à l’Histoire de Spirou, Jean-David Morgan ne cache pas, tant au titre de nostalgie que d’hommage, son souhait d’une réelle filiation. Le lecteur retrouvera aussi dans les dessins de David Evrard offrant rondeur, chaleur et humour cette filiation graphique souhaitée.
Action, rebondissements et humour égrènent cet album tragique mais captivant à ne pas manquer !

Gilles Landais

 

« Saint-Just » ; Scénario Noël Simsolo et Jean Tulard ; Dessin de Mickaël Malatini ; Coll. « Ils ont fait l’Histoire », 24 x 32 cm, 56 p., Éditions Glénat, 2022.

Les férus d’Histoire seront ravis de découvrir ce nouvel album de la collection « Ils ont fait l’Histoire » consacré à l’une des plus grandes figures de la révolution en la personne de Saint-Just (1767-1794). Aux manettes de ce nouveau tome, Noël Simsolo et le réputé historien Jean Tulard, un gage assurément de sérieux.
Le lecteur découvrira tour à tour les différentes facettes de celui que Michelet surnomma « L’archange de la Terreur » ; proche de Robespierre qu’il admire, faisant partie des Montagnards, il votera l’abolition de la royauté ; tout à la fois, révolutionnaire, plus jeune député de la Convention, membre du Comité de salut public et chef de guerre… C’est un destin fulgurant et bref qui l’attend puisqu’il sera guillotiné, lors de la crise du 9 thermidor, le même jour que Robespierre. En ce 28 juillet 1794, il a 26 ans.
Ce grand et jeune orateur notamment au club des Jacobins, qui votera la mort du roi, qui inspirera la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, se rendra surtout célèbre pour l’intransigeance de ses principes, mais aussi pour ses nombreuses missions auprès des armées de la Révolution avec notamment la fameuse victoire de Fleurus...
Appuyé par les dessins acérés et reconnaissables de Mikaël Malatini, un habitué de la collection « Ils ont fait l’Histoire », cet album livre les pages les plus tumultueuses et captivantes de la Révolution française. Le lecteur retrouvera en fin de volume un concis mais efficace dossier historique.

Gilles Landais

 

« Michel Vaillant – Légendes – Tome 1 – Dans l’Enfer d’Indianapolis », 24 x 32 cm, 64 pages, Graton, 2022.

Le mythique parcours d’Indianapolis, comme si vous étiez ! Le tome 1 de la non moins mythique collection Michel Vaillant nous invite en effet à découvrir cette course emblématique en compagnie de Michel Vaillant, ce héros des courses automobiles. Autant dire que les vrombissements et autres effets de vitesse seront les invités d’honneur de cette BD signée Lapière et Dutreuil. Nous sommes en 1966 et l’édition de cette année resta gravée dans les mémoires non seulement pour les multiples incidents de course mais surtout pour la lutte acharnée entre Graham Hill et Jim Clark jusqu’à la victoire contestée de Graham Hill au final… C’est justement dans les arcanes de cette course légendaire que nous invitent nos deux auteurs avec un récit graphique époustouflant parvenant presque à reproduire les sons assourdissants des moteurs et des tôles froissées ! Mais « Dans l’enfer d’Indianapolis », ce sont également les coulisses de la course, avec l’enquête menée par notre héros afin de révéler les tenants et aboutissants des courses automobiles. Grâce à une intrigue captivante et un dessin des plus réussis, ce tome 1 des Légendes devrait réunir plus d’un aficionado !

Jules Buissonnet

 

« Toutankhamon, l’odyssée d’Howard Carter » de Paul Marcel et Patrick Mallet, Les Arènes BD, 2022.

L’album « Toutankhamon, l’odyssée d’Howard Carter », publié aux éditions Les Arènes BD, transporte le lecteur dans l’univers fascinant de l’illustre personnage, Toutankhamon, l’un des pharaons les plus connus au monde, un pharaon incontournable qui faillit pourtant bien tomber dans l’oubli… sans la si fameuse « Odyssée d’Howard Carter », cet archéologue et égyptologue anglais (1874-1939) qui fut l’une des plus grandes découvertes archéologique du XXe siècle.
Le pharaon qui succéda au célèbre Akhenaton en -1336 av. J.-C. ayant fait vaciller les fondements de la religion égyptienne en célébrant le dieu unique du soleil, Aton, avait fort à faire en souhaitant restaurer la religion égyptienne classique. Mais la célébrité de Toutankhamon aurait-elle pour autant si bien traversé les siècles et millénaires ? Sa célébrité, au-delà de son règne, a surtout été due à la redécouverte de sa tombe par le non moins fameux Howard Carter en 1922, dont nous avons fêté l’anniversaire l’année dernière.
C’est cette incroyable découverte ou odyssée qui se trouve être le sujet de cette passionnante BD conçue par Patrick Mallet pour le scénario et Paul Marcel pour le dessin. En ces pages mouvementées où l’action et les mystères foisonnent au fil des planches, les trésors du pharaon scintillent avec notamment ce célèbre masque mortuaire d’or et ce mobilier funéraire éclatant de pierres précieuses… Le pharaon représentant l’intermédiaire entre les dieux et ses sujets, son inhumation donnait lieu à d’innombrables rites et surtout à la présence de trésors plus précieux les uns que les autres… Mais cette découverte n’allait pas aller de soi et c’est un véritable roman d’aventure que signent nos deux auteurs avec cette BD aussi instructive que passionnante sur le célèbre pharaon redécouvert, Toutankhamon !


Jules Buissonnet

 

« Mémoires d’Alexandrie – Hérophile » de Chiara Raimondi ; Cartonné, 46 p., Editions Ankama, 2022.

Le premier album de la série les « Mémoires d’Alexandrie » est consacré à Hérophile. Personnage véridique et historique, plus précisément médecin grec réputé, Hérophile de Chalcédoine méritait bien de figurer dans les tomes de la mémoire de cette fameuse bibliothèque d’Alexandrie, celle qui fut l’une des plus grandes et imposantes bibliothèques du monde en Égypte au IIIe siècle av. J.-C.
Hérophile fut, en effet, un personnage hors du commun, un médecin audacieux, ne reculant devant rien pour faire avancer le monde des connaissances, de la science et des médecines. Né en Asie mineure, il s’installa à Alexandrie où il entreprit notamment de comprendre le fonctionnement du corps humain, disséquant et observant de nombreux organes. Cependant, dans cette Égypte du IIIe siècle av. J.-C., où Dieux et Déesses sont omniprésents, sa curiosité, son talent et audace n’est pas sans inquiéter voire être condamnée par l’élite pensante entourant le roi Ptolémée…
Bien que médecin et auteur grec célèbre à son époque, ces nombreux traités – donnés au nombre de neuf - furent malheureusement perdus lors de l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie.
Un premier album signé Chiara Raimondi instructif et bien mené offrant un récit quelque peu fictionnel mais captivant !


Gilles Landais

 

Jörg Mailliet, Matz, Olivier Guez : « La disparition de Josef Mengele », Éditions Les Arènes, 2022.

Voici une adaptation en BD et haute en couleur du fameux roman d’Olivier Guez, Prix Renaudot, sur la cavale du grand criminel de guerre, le médecin Joseph Mengele, tortionnaire d’Auschwitz, celui que l’on avait surnommé l’Ange de la Mort pour ses pseudo et effroyables expériences scientifiques sur les détenus des terribles camps de la mort. Au lieu d’être jugé pour ses multiples crimes à la sortie de la guerre, ce dernier pu mener une vie tranquille de longues années en Argentine grâce à la bienveillance du couple Peron. Mais une traque incessante rattrapera le tortionnaire dans sa retraite dorée, Mengele devant fuir son pays d’adoption pour le Paraguay, puis le Brésil, avant une issue aussi fatale que mystérieuse sur une plage en 1979…
Autant dire que cette BD composée à 6 mains captivera tous lecteurs passionnés d’Histoire et d’histoires. Véritable nœud inextricable, le contexte de l’après-guerre s’avère plus que complexe à l’égard des anciens bourreaux qui ont joui souvent pour un grand nombre d’entre eux d’une nouvelle vie dans des dictatures accueillantes. Restituant la dynamique du grand succès d’Olivier Guez en des planches à la fois saisissantes et sombres, cette adaptation graphique convaincante devrait rencontrer un franc succès.
 

Jules Buissonnet

 

« Primordial » ; Scénario de Jeff Lemire ; Dessin d’Andrea Sorrentino ; Cartonné, 176 pages, Urban Editions, 2022.


Un album passionnant revisitant la conquête spatiale. Sur fond de concurrence acharnée entre les États-Unis et ce qui se nommait à l’époque l’URSS, c’est un thriller captivant que découvrira le lecteur. Mettant les projecteurs sur les malheureux animaux ayant servi de cobayes pour les premiers vols spatiaux, la chienne Laïka pour l’URSS qui a cessé de donner signe de vie au bout de quelques heures ou encore Able et Baker, les deux singes envoyés dans l’espace par les États-Unis, l’album relance la fiction… Car sait-on vraiment de quoi sont morts ces animaux ? Et est-on même sûrs qu’ils soient bien morts ?
Avec talent, l’auteur canadien Jeff Lemire aux manettes du scénario livre, ici, un récit sur fond de guerre froide entre histoire et fiction, entre science et complotisme. Un déroulé serré habillement servi par les dessins de son fidèle complice Andrea Sorrentino et une colorisation de Dave Stewart. Un duo de choc dont on ne présente plus les coups de maître ; qui ne se souvient du « Mythe de l’ossuaire » ! Pour ce dernier album, leur complicité fonctionne à merveille avec un découpage et une mise en planche aussi originaux que dynamiques. Les visages sont superbement expressifs et on craque littéralement sur Laïka… On l’aura compris un album de 176 pages à réserver !


Gilles Landais

 

« La Buse – Tome 01 – La Chasse au trésor » de Jean-Yves Delitte ; Coll. 24x32, cartonné, 24 x 32 cm, 48 p., Editions Glénat, 2022.

Une nouvelle série très remarquée de corsaires et piraterie qui mérite d’être signalée.
L’histoire a lieu au XVIIIe siècle lorsqu’une paix durable semble s’imposer alors que l’Espagne a enfin mis fin à une intraitable guerre de succession. Nous sommes en 1714 et la paix signée, nombreux sont les corsaires qui se retrouvent dès lors sans employeur… Certains dont Olivier Levasseur – notre héros – va alors se tourner vers la piraterie… Or, l’étrange destin de Levasseur devenu le fameux pirate « La Buse » est loin de s’arrêter et marquera histoire et légende…
Un album haut en couleur d’océans et de mers offrant actions et rebondissements. Signé Jean-Yves Delitte, en auteur complet (« Black Beard »), ce premier tome réjouira assurément par son côté historique et la qualité de ses dessins offrant une minutie et d’infinis détails incomparables. Mais, est-il encore besoin de rappeler que Jean-Yves Delitte, peintre Officiel de la Marine belge est membre titulaire de l’académie des Arts et Sciences de la mer et président des Peintres de Marine belges. Ses albums très appréciés sont toujours, il est vrai, un régal !
Directeur chez Glénat « Des Grandes Batailles navales », la légende du fameux pirate « La Buse » ne pouvait, on s’en doute, que lui inspirer cette nouvelle série passionnément intrépide qui commence, ainsi que le rappelle l’auteur, par cette formule pleine de promesses : « Il était une fois en mer des Indes »...


Gilles Landais

 

« 1629 – Tome 1 » ; Scénario de Xavier Dorison ; Dessin de Thimothée Montaigne ; Cartonné, 25 x 34 cm, 136 p., Editions Glénat, 2022.

C’est un album (premier d’un diptyque) exceptionnel que nous proposent avec « 1629 » les éditions Glénat. Un incroyable récit maritime relatant avec forces et fracas l’effrayant et véridique naufrage du Jakarta. Un navire affrété par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et qui est, en ce XVIIe siècle, un véritable fleuron. Sur son pont, pas moins de trois cents matelots et marins issus pour beaucoup des sombres bas-fonds d’Amsterdam ; dans sa soute, de l’or et des diamants à profusion aux fins de corrompre l’Empereur de Sumatra en Indonésie et que protègent pas moins de trente canons. Telle aurait dû être la destinée du Batavia, renommé, ici, Jakarta (et dont une réplique est aujourd’hui visible au musée Batavialand aux Pays-Bas)…
Avec un scénario parfaitement maîtrisé et des dessins et un encrage d’une beauté et qualité à couper le souffle, ce thriller maritime inspiré d’une des pages les plus effroyables de l’histoire maritime ne pourra qu’emporter adhésion et vives acclamations, tant il est vrai que l’intrique psychologique, le récit du naufrage et cette lutte sans merci pour la survie dès ce premier tome font de cet album une véritable réussite.
Xavier Dorison, au scénario, que l’on ne présente plus ( notamment « Undertaker » 2015 ; « Le Château des animaux » 2019) et Thimothée Montaigne au dessin, livrent, il est vrai, avec notamment les personnages de Jeronimus Cornelius, apothicaire ruiné, recherché, prêt à tout pour prendre le pouvoir du Jakarta, et la belle, désinvolte, riche et séduisante Lucretia Hans, un récit sans failles sur la noirceur de l’âme humaine… Rien ne semble avoir échappé à ce duo de maître pour entraîner leur lecteur dans ce thriller et tragédie maritime magistralement effroyable. « De la simple acceptation des règles à leur refus, du refus apparent qui se révèle un moyen d’en créer d’autres, de l’acceptation de surface qui n’est qu’un stratagème pour jouir d’une vraie liberté, etc. Tout mon travail a ensuite consisté à piocher dans la réalité et à voir comment obtenir l’éventail psychologique le plus large par rapport à la question centrale que j’avais décidé de poser. » souligne Xavier Dorison.
Et, comment résister à tant d’atouts pour un premier album !


Gilles Landais

 

« L’Assommoir » d’après le chef-d'œuvre d’Emile Zola » d’Emmanuel Moyot, Mathieu Solal et Xavier Bernoud, ; 192 pages, Les Arènes BD, 2022.

À découvrir avec intérêt, cette adaptation actualisée en BD du fameux roman « L’Assommoir » d’Émile Zola. Une œuvre incontournable de la littérature française du XIXe siècle transposée à notre époque par un tout nouveau mais inspiré trio : Emmanuel Moyot / Mathieu Solal et Xavier Bernoud.
Débarquée de province à Paris, Gervaise, jeune mère de deux enfants et délaissée par son compagnon, tente coûte que coûte de faire son chemin et de survivre dans le monde d’aujourd’hui. Rien ne semble l’arrêter, hôtesse d’accueil puis esthéticienne, Gervaise remue ciel et terre pour sortir de la précarité avec à ses côtés son nouveau mari, livreur à vélo… Mais, tout cela suffira-t-il ?
Détresse, accidents, spirale infernale de la misère, le lecteur plonge avec l’héroïne Gervaise dans le sombre univers des travailleurs, celui du XIXe siècle de Zola transposé, ici, à notre XXIe siècle avec ses livreurs à vélo et la triste réalité des promesses faites aux travailleurs dits indépendants… Plantant le décor dans les quartiers nord de la capitale, les auteurs ont opté pour une actualisation de « L’Assommoir » sans mercis ni concessions, réseaux sociaux, alcool, crack ; on y retrouve «(…) la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans un milieu empesté de nos faubourgs », telle qu’avait souhaité la dépeindre Zola. Dans cette BD aux dessins réalistes et durs, incorporant en exergue des chapitres et dans les cartouches le texte même de « L’Assommoir », tout diffère et pourtant rien ne change vraiment dans ces mondes sans pitié de la pauvreté et de la misère, que celle-ci soit celle du siècle de Zola ou celle de notre époque…
Une adaptation qui vient confirmer, une nouvelle fois, que « L’Assommoir » de Zola est une grande-œuvre, une œuvre qui demeure malheureusement intemporelle… « (…) une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas, qui ait l’odeur du peuple » écrivait Zola à Paris, le 1er janvier 1877, année de la parution en livre de son célèbre roman, il y a précisément 145 ans.


Gilles Landais

 

« 421 – L’Intégrale – Tome 3/3 – 1988-1990 » de Stéphen Desberg et Eric Maltaite, 21.8 x 30 cm, 264 p., Coll. « Patrimoine », Editions Dupuis, 2022.

Nombreux seront ceux qui se réjouiront de découvrir le troisième et dernier volume de l’intégrale des aventures de 421, cet espion so british si séduisant ayant marqué des générations…
Une série d’espionnage et d’action emplie d’humour imaginée par le duo de choc Maltaite au scénario et Desberg pour les dessins, initialement pour le journal de Spirou en 1980, mais qui n’a pas pris une seule ride. Il est vrai que la fameuse série a su au fil des décennies largement évoluer, s’éloignant quelque peu de Spirou pour capter sa propre personnalité et s’imposer en tant que tel dans l’univers de la BD.
Les aficionados seront ainsi assurément heureux de retrouver dans ce dernier et troisième volume de l’intégrale des albums aussi fétiches que « Falco » sorti en 1988, « Les années brouillard » de 1989 ou encore « Morgan » et « Le seuil de Karlov » sortis respectivement en 1990 et 1992.
A ces souvenirs ou heureuses découvertes, c’est selon, viennent pour ce dernier tome s’ajouter de multiples images d’archives offrant ainsi un joli prologue ; prologue lui-même complété par de nombreuses propositions de suite pour cette célèbre et incontournable série 421.


Gilles Landais

 

Collection « La sagesse des mythes » dirigée par Luc Ferry BD, Editions Glénat, 2022.

Retrouvons le charme de la mythologie avec la collection « La sagesse des mythes » dirigée par le philosophe Luc Ferry ! Cette heureuse initiative qui rencontre un franc succès permet en effet d’allier l’utile à l’agréable en revisitant en docte compagnie les plus grands mythes que l’Antiquité nous a livrés et qui, il faut bien l’avouer, se trouvent quelque peu négligés par notre culture contemporaine…
Fort de ce constat Luc Ferry a souhaité rendre accessible, sans pour autant les réduire à de la Fantasy pure, ces histoires souvent hautes en couleur et qui ont envouté des siècles durant leurs lecteurs. Dorénavant, avec cette collection riche de nombreux volumes, il sera loisible à tout à chacun non seulement de lire, mais également de voir ces mythes mis en planche grâce à des scénaristes et dessinateurs talentueux tels Didier Poli, Clotilde Bruneau, Federico Santagati, Carlos Rafael Duarte, Guiseppe Baiguera et bien d’autres encore.
Le mythe de la déesse de l’amour Aphrodite en deux tomes, le règne des terribles Géants et du redoutable Typhon, fils de Gaia, sans oublier les innombrables amours de Zeus qui donnent naissance à tant de manœuvres et métamorphoses pour parvenir à ses fins, tels sont quelques-uns des thèmes passionnants abordés dans cette collection à recommander aussi bien aux adultes qu’aux plus jeunes.
A noter, à la fin de chaque album, le cahier philo préparé par Luc Ferry rappelant les grandes lignes du mythe traité, et offrant une synthèse rapide mais néanmoins complète, synthèse dont le philosophe a le secret.
Derniers volumes parus : « Aphrodite tome 2/2 - Amours et colères » ; « Les amours de Zeus » ; « Typhon ».
 

Jules Buissonnet

 

« Requiem – Tome 10 – Bain de sang » ; Scénario Pat Mills ; Dessin et couleurs olivier Ledroit ; Cartonné, 24 x 32 cm, 62 pages, Coll.24x32, Editions Glénat, 2022.

Pour ce dixième tome (Eh oui !, déjà), Pat Mills a opté pour un scénario dark fantasy ancré sur un récit véridique, celui de la comtesse Báthory. Un personnage cruel et mythique puisque la comtesse Báthory, obsédée par son souhait de jeunesse éternelle, avait choisi pour soin de beauté de se baigner dans le sang de vierges…
Ce nouveau volume réjouira assurément par ses pages et découpages énergiques et hauts en couleur. Le rythme dark fantasy, noir et cruel à souhait, signé Pat Mills est ici renforcé par les dessins et couleurs inimitables d’Olivier Le droit, sans oublier le côté envoutant imprimé par cette fameuse comtesse hongroise ayant réellement existé au XVIe siècle.
On l’aura compris le duo n’a pas lésiné sur les moyens et atouts pour ce nouvel opus de « Requiem » qui porte bien son triste nom !

Gilles Landais

 

« Les voitures de Lefranc » ; Scénario de Xavier Chimits ; Dessin de Jacques Martin ; Intégrale - Éditions spéciale, Coffret Univers d'auteur, BD, Editions Casterman, 2022.

Lefranc dans l’univers de la BD, c’est un mythe, une légende créée sous l’inspiration du génial Jacques Martin. Ce héros moderne à la mise impeccable déjoue, en effet, toutes les intrigues, même les plus machiavéliques, et ce depuis 1952, début d’une longue série de 33 albums plus captivants les uns que les autres…
Confronté à son adversaire de toujours, le terrible Axel Borg, le journaliste Guy Lefranc a fort à faire afin de déjouer toutes sortes de plans diaboliques inventés par Jacques Martin bientôt secondé par Bob de Moor avant que Gilles Chaillet ne reprenne graphiquement la série.
Avec l’album « Les voitures de Lefranc », Xavier Chimits rend hommage à la passion de Jacques Martin pour les plus beaux bolides. La place en effet des voitures demeure indissociables ?? des multiples pérégrinations de notre héros, des véhicules qui font l’objet d’ailleurs de courses-poursuites mémorables. Chimitz, lui-même, est un passionné d’automobile et de l’univers de la F1, univers qu’il parvient parfaitement à rendre dans ces pages trépidantes, réunissant les meilleures pages d’anthologie sur ce thème porteur dans la deuxième moitié du XXe s.

Jules Buissonnet

 

« Molière – Acte 2 – Le scandale tartuffe » ; Scénario Vincent Delmas ; Dessin Sergio Gerasi ; Cartonné, 24 x 32 cm, 48 pages, Coll. 24x32, Editions Glénat, 2022.

Il était plus qu’attendu… Voici, en cette fin d’année 2022, le deuxième tome consacré à « Molière ». Signé de nouveau Vincent Delmas pour le scénario et Sergio Gerasi pour les dessins, ce nouvel album débutant après un flash-back, en 1664, met les projecteurs sur la nouvelle pièce de Molière « Tartuffe »… Avec cette nouvelle création, Jean-Baptiste Poquelin devenu Molière attise définitivement, malgré sa belle notoriété et la protection du roi, les foudres de l’Eglise… « Tartuffe », et ce même si le roi a ri, fait plus encore que scandale ! C’est « Le scandale Tartuffe ».
La pièce est dès lors interdite par le roi et certains réclameront même pour Molière le bûcher. Les oppositions, avertissements et conseils de ses proches s’accumulent… Pourtant, jamais Molière ne cèdera et mènera ce combat qui a toujours été le sien, celui de la liberté d’expression.
Un album bien mené dans lequel le lecteur retrouvera les atouts du premier volet avec cette symbiose réussie entre le scénario de Vincent Delmas et les dessins au trait caractéristique de Sergio Gerasi notamment ces gros plans. Le lecteur y retrouvera surtout le grand Molière, celui qui jamais ne déçoit et s’impose comme l’un des plus grands auteurs de la littérature française. Incontournable Molière, surtout en cette année 2022 marquant le 400e anniversaire de son baptême.


Gilles Landais

 

« DC INFINITE FRONTIER – JUSTICE INCARNEE » ; Scénario de Joshua Williamson et Dennis Culver ; Dessin collectif ; 176 pages, Coll.DC INFINITE, Urban Comics, 2022.

Un incroyable DC signé d’un non moins incroyable duo de choc pour le scénario – Joshua Williamson épaulé par Dennis Culver - et accompagné d’une kyrielle de dessinateurs ! Eh oui, il n’en fallait pas moins pour revisiter de fond en comble le Multivers…
La Ligue de justice Incarnée est amenée à enquêter sur la menace que fait peser Darkseid sur l’ensemble des réalités pour devenir maître du Multivers. A cette fin, le président Superman Calvin Ellis de Terre-23 et le Batman de la chronologie Flashpoint, Thomas Wayne, entraînent les membres de la Ligue dans un vertigineux périple traversant une multitude de Terres parallèles, des univers tous plus déroutants et dangereux les uns que les autres… Arriveront-ils pour autant à réunir les plus grands héros issus de toutes les Terres du Multivers ? Surtout la Justice Incarnée pourra-t-elle faire face à une menace plus grande et dangereuse encore tapie dans l’ombre depuis des années et sortie tout droit des Ténèbres ?
Nous l’avons dit avec ce dernier DC INFINITE FRONTIER –JUSTICE INCARNEE, Joshua Williamson a entrepris de poursuivre sans état d’âme la refonte de l’univers DC déjà précédemment entamée. Pour cela, ce dernier a convoqué à ses côtés Dennis Culver et surtout une myriade de dessinateurs tous plus talentueux les uns que les autres. Le lecteur découvrira ainsi dans cette intrigue ficelée serrée une multitude de Terres parallèles au Multivers, des univers également tous plus étonnants les uns que les autres, entraînant rebondissements et de nombreux personnages connus ou revisités.
Un DC INFINITE FRONTIER incontournable qui annonce déjà une profonde crise de l’univers DC…
Impatience quand tu tiens le lecteur !


Gilles Landais

 

« Merel » de Clara Lodewick, Coll. « Les Ondes Marcinelle », Editions Dupuis, 2022.

À souligner un récit graphique doux-amer signé Clara Lodewick paru dans la nouvelle collection « Les Ondes Marcinelle » des éditions Dupuis.
Un premier récit très réussi dépeignant la dureté sociale dans un petit village flamand à notre époque. L’histoire commence banalement : Merel, quadra, qui se dit femme libre, sans enfants ni mari, semble heureuse entre son écriture, l’élevage de ses canards et le club de football, tout serait au mieux si… un soir, lors d’une soirée, cette dernière n’avait eu la bêtise de faire une blague grivoise quelque peu douteuse sur le mari d’une de ses voisines… Que n’avait-elle dit ! De là, Merel sera l’objet de tous les ragots et diffamation de ce village campagnard des Flandres faisant de la vie de Merel un véritable cauchemar…
La critique a largement salué la belle maturité tant du scénario que graphique de cette jeune bruxelloise, Clara Lodewick, pour ce premier et gros roman graphique. Il est vrai que l’auteur, ici en auteur complet, présente en ces pages un certain talent pour faire vivre ses personnages et leur accorder leur juste place, couleur, dureté ou hypocrisie dans ce rude milieu rural… Son héroïne, Merel, la quarantaine est attachante et l’ensemble de la narration ironique et sans merci sonne juste ; entre frustration et haine, le thème central du bouc émissaire est habilement exploité. À ces atouts, il faut ajouter une harmonie et dynamique des dessins très réussies.
Un roman graphique attachant gardant cette note d’espoir qui semble si chère à l’auteur !


Gilles Landais

 

« Sea of Stars » ; Scénario Jason Aaron et Dennis Hallum ; dessin de Stephen Green ; Couleur de Rico Renzi ; 288 p., Coll.Urban Indies, Editions Urban Comics, 2022.

Un récit spatial grandiose et haut en couleur signé d’un trio-choc : Jason Aaron, Dennis Hallum pour le scénario et Stephen Green pour les dessins :
Le jeune Kadyn s’ennuie fort dans le vaisseau convoyeur que pilote son père Gil… Soudain, l’idée lui vient d’explorer sans le dire la fameuse cargaison provenant d’un musée alien ; de là, que d’évènements, rebondissements, de créatures et suspens !
Les scénaristes, Jason Aaron (auteur notamment de « Thor » et « Southern Bastards ») et Dennis Hallum, auteur pour sa part de Dark Visions, ont décidé d’emmener pour cet album loin, très loin dans l’univers leurs lecteurs… Un voyage interstellaire incroyable rendu merveilleusement tant par les dessins de Stephen Green que par le choix des splendides couleurs de Rico Renzi. On ne peut que souligner les merveilleuses pleines-pages qui égrènent cet album ; une odyssée ou plutôt une double odyssée, celle de Kadyn et celle de Gil cherchant désespérément son fils après la rencontre d’une mystérieuse et dangereuse créature et l’explosion du vaisseau spatial. Séparés, seront-ils condamnés à errer éternellement ?
On ne ressort pas facilement de ce récit alternant entre l’univers des enfants et celui des adultes, associant mondes mythologiques, oniriques, science-fiction et tenant son lecteur en haleine. Actions, surprises et découvertes s’enchainent à une vitesse vertigineuse… On demeure étourdi, perdu dans l’immensité galactique, la tête pleine de couleurs, et ravi de cet album des plus divertissants !


Gilles Landais

 

« Les petits Monarques » de Jonathan Case, 19.1 x 24.8 cm, Coll. « Grand public », 256 p., Editions Dupuis, 2022.

Signée par Jonathan Case, ici, en auteur complet, cet album réjouira à n’en pas douter avec son orientation écologique petits et grands lecteurs de BD.
Ayant échoué à réguler la crise climatique, l’humanité s’est vue décimée par la maladie du soleil ; Les rares survivants vivent dorénavant sous terre, fuyant le jour et le soleil. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, Elvie et Flora, une biologiste, se sont risquées avec succès à sortir en plein jour… Leur secret ? Un antidote issu des écailles des jolis papillons Monarques. Mais, pourront-elles en trouver assez pour sauver l’humanité ? D’où le titre de cet album « Les petits Monarques »…
C’est toujours un plaisir de découvrir les albums signés Jonathan Case. Il faut dire que ce dernier n’en est pas à ses débuts, loin s’en faut – auteur notamment de « Dear Creature » ou encore « House of Night », il a toujours su afficher une belle indépendance. Ici, il opte pour un récit de fiction post-apocalyptique qui lui permet d’associer à merveille ses convictions et engagements écologiques avec un fécond imaginaire. Une maîtrise que le lecteur retrouvera pour ce récit graphique tant pour le scénario construit que pour les dessins et surtout le choix des couleurs. Le tout selon une mise en page des plus efficaces. Pas moins de douze chapitres qui s’enchaînent selon la migration dans l’Ouest américain et le rythme « papillonnaire » de ces jolis lépidoptères que sont les Monarques.


Gilles Landais

 

« Le bestiaire du crépuscule » de Daria Schmitt, 23.7 x 31 cm, 120 pages, Editions Aire Libre, 2022.

C’est un fort joli et fantastique album que nous livre avec « Le bestiaire du crépuscule » Daria Schmidt chez Aire Libre avec pour toile de fond un étrange et mystérieux jardin public… Car si pour les enfants du quartier, ce jardin est une jolie aire de jeux colorée de rires, celui-ci se révèle cependant pour Providence, son gardien, lorsque la nuit s’avance et que la lune se lève, un étrange repère d’horribles et crépusculaires créatures, un monde terrifiant qu’il est seul à voir… Et dans ce monde, son monde empreint de rêveries, Providence s’est donné pour mission de protéger malgré eux les enfants et promeneurs de ce parc. Mais pourra-t-il y arriver alors qu’une nouvelle directrice férue de management est nommée, qu’émerge du lac un étrange et terrifiant bestiaire et que le reflet d’une mystérieuse maison l’attire plus que tout...
Daria Schmidt a convoqué pour cet album un fabuleux monde imaginaire horrible et plein de poésie. Véritable hommage à Lovecraft, l’auteur n’a d’ailleurs pas hésité à se référer expressément dans son extraordinaire récit à une des nouvelles du maître incontesté de l’horreur. À ce talent de Daria Schmidt indéniable et salué par Philippe Druillet, vient s’ajouter un non moins fabuleux travail graphique, un trait sombre impressionnant et des plus soignés entre jeux d’ombres et de couleurs. Assurément, Doria Schmidt est à son tour une bien jolie conteuse de mondes fantastiques. On ne résiste pas !


Gilles Landais

 

"Albert Londres doit disparaître" ; Scénariste Frédéric Kinder ; Dessinateur Borris ; Coll.Treize étrange, 21,8 x 29,5 cm, Editions Glénat, 2022.

Passionnante et incontournable, cette BD consacrée au journaliste Albert Londres se devra de figurer parmi les prochaines lectures ! Ce récit est focalisé sur le dernier voyage en Chine qu’entreprendra le célèbre journaliste qui a donné son nom au Prix annuel récompensant le meilleur reporter francophone de moins de 40 ans. Il faut dire que ce parrain de choix aura toute sa vie durant choisi les thèmes et sujets les plus délicats, ce dernier voyage entrepris en Chine alors qu’il pensait par la suite se retirer du journalisme s’avérant en effet plus qu’épineux.
Borris et Frédéric Kinder, tous deux aux manettes, ont su conjuguer leur talent pour livrer un récit et un style qui aurait à n’en pas douter plu au célèbre journaliste… À partir d’une histoire véridique – l’étrange disparition du journaliste lors d’un naufrage alors qu’il enquêtait sur les liens troubles entre la Marine française et des trafics d’armes et d’opium en Chine – cette BD propose une version à mi-chemin entre enquête et fiction afin de retracer avec pertinence le caractère et courage de ce journaliste prêt à tout pour faire éclater la vérité, fut-ce au prix de sa vie.
En un passionnant voyage dans la Chine interlope des années 30, nos deux auteurs parviennent dès les premières planches à planter le décor de cette époque exotique sur fond de conflit sino-japonais. Shanghaï plus étrange que jamais, représentants de la communauté internationale cherchant pour chacun à tirer la couverture pour leurs intérêts plus ou moins troubles, et omniprésente, enfin, cette sourde angoisse de complots et secrets que notre journaliste cherchera à démêler jusqu’au bout forment les ingrédients de cette histoire captivante.
Ce récit sur plus de 90 pages et complété par un dossier nourri devrait en effet tenir en haleine tous les passionnés d’enquêtes et d’aventure !


Jules Buissonnet

 

« Carbone et Silicium » de Mathieu Bablet ; Edition spéciale – Or Noir ; 24 x 32 cm, 272 pages, Coll. 619, Editions Ankara, 2022.

C’est avec beaucoup de plaisir que les fans pourront découvrir cette nouvelle version 2022 de « Carbone & Silicium » dans une édition spéciale - tout de noir, blanc et or ; Cette nouvelle édition était, il faut l’avouer, largement plébiscitée puisque « Carbonne & Silicium » signé en auteur complet par Mathieu Bablet, sortie initialement en 2021, fut un franc et réel succès récompensé par le Prix BD Fnac / France Inter. C’est donc chose faite avec cette nouvelle édition luxueuse et limitée particulièrement réussie !
Le lecteur pourra en effet redécouvrir (ou pour les plus chanceux encore découvrir tout simplement) « Carbone & silicium » dans cette splendide version à laquelle un soin tout particulier a été apporté. Un plaisir pour les yeux ! Il est vrai que les dessins aux détails impressionnants de Mathieu Bablet se prêtent merveilleusement à cette version luxueuse et stylisée. Cette version « Or Noir » offre un écrin de choix pour le récit de « Carbone & Silicium ». Rappelons que nous sommes en 2046, et que nos deux super robots après avoir été élevés dans un cocon hautement protecteur se sont évadés et ont été séparés, chacun découvrant alors un monde à bout de souffle où catastrophes et crises s’enchaînement…
Avec, nous l’avons souligné, ce splendide travail de dessin minutieux et original, appuyé ici par une édition limitée non moins travaillée et soignée, cette version spéciale de « Carbone et Silicium » ne manquera pas assurément de faire date dans le monde de la BD.

Gilles Landais

 

« Aphrodite - Tome 1 » de Clotilde Bruneau et Luc Ferry (scénario), Dessinateur Giuseppe Baiguera, Directeur artistique : Didier Poli, Collection : La Sagesse des mythes, BD, Glénat, 2022.

La désormais classique collection « La Sagesse des mythes » dirigée par le philosophe Luc Ferry accueille avec ce premier tome un album consacré à l’une des déesses les plus attractives puisque selon la mythologie grecque, elle symbolise l’amour, la beauté et le désir. Reprise dans le panthéon romain sous le nom de Vénus, cette jeune femme qui a fait l’objet des plus belles représentations par les plus grands artistes est pourtant née de manière violente du membre d’Ouranos tranché par Cronos et lancé à la mer… Son destin scellera celui des femmes et des hommes qui rencontreront son chemin, la blonde déesse si bien évoquée par Botticelli abordera l’île de Cythère avant d’être présentée à l’Olympe… C’est le début d’une longue et riche histoire, mouvementée à souhait et dont les différents épisodes ont été retracés avec une fidélité adaptée à la forme BD de manière attractive et réussie. Le dessin et les couleurs retenus par Giuseppe Baiguera contribuent au charme de cette épopée divine, la couleur étincelante de la blonde chevelure d’Aphrodite alternant avec la pénombre des forges d’Héphaïstos. Un récit haut en couleur qui sera suivi d’un prochain tome plus qu’attendu !
 

Jules Buissonnet

À noter dans la même collection, le troisième et dernier tome qui vient de paraître sur la fameuse épopée de Gilgamesh.

 

« La Fortune des Winczlav – Tome 2 – Tom et Lisa » ; Scénario de Jean Van Hamme ; Dessins de Philippe Berthet ; 23,7 x 31,10 cm, 56 p., Éditions Dupuis, 2022.

Nous retrouvons avec un plaisir attendu et certain la suite de « La Fortune des Winczlav » avec ce nouvel album « Tom et Lisa », deuxième tome de cette fameuse trilogie révélant pour la première fois les origines de l’empire de Largo Winch, légende incontournable du monde de la BD.
Nous sommes en 1910 et Thomas Winczlav vient de découvrir qu’il est l’héritier avec sa sœur jumelle, Lisa Lafleur, de la fortune des riches Whiskies O’Casey. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Thomas adopte le nom de « Winch » et tente tant bien que mal de faire fructifier ses affaires, alors que sa sœur Lisa s’imposera en pilotant avec le fameux Baron Rouge…
Jean van Hamme, de nouveau aux commandes du scénario pour cet album, a retenu pour dérouler la saga familiale Winch la période de la Première Guerre mondiale. Là, deux destins que tout oppose, celui de Tom et de sa sœur Lise, emmenée encore enfant par sa mère en France, vont se croiser dans un scénario finement serré. Les dessins de Philippe Berthet rendent de nouveau avec talent et complicité tant la puissance des caractères des personnages que l’atmosphère de cette période troublée.
Un deuxième volume qui vient confirmer toute la force de cette grande saga familiale en trois actes révélant les origines de la fortune du fameux et célèbre Largo Winch.


Gilles Landais

 

« La Prière aux étoiles - 2ère partie » ; Serge Scotto, Eric Stoffel, Marko et Holgado ; Editions Grand Angle, 2022.

Attendu avec impatience, le volume 2 de « La Prière aux Etoiles » est enfin disponible aux éditions Grand Angle !
Rappelons que la série « La Prière aux Étoiles » est l’adaptation en BD d’un film jamais sorti de Marcel Pagnol. Signée Eric Stoffel pour le scénario, Marko pour le storyboard et Inaki Holgado pour les dessins, cette belle adaptation a déjà été, dès le tome 1er, largement plébiscitée.
Il est vrai que cette aventure dessinée redonne vie à ce film perdu que Marcel Pagnol avait refusé de terminer sous l’occupation et qu’il avait détruit. Une belle aventure, donc, surtout lorsque l’on se souvient que l’écrivain et réalisateur perdit également durant cette noire période sa femme et ses studios…
L’histoire n’est pas sans rappeler la vie même de Marcel Pagnol, et pour ce second et dernier tome, le lecteur retrouvera la belle et jeune actrice, Florence à Cassis, entre son passé avec Dominique son protecteur et amant, et Pierre dont elle est tombée éperdument amoureuse, mais qui jaloux ne peut entendre et supporter ce passé… L’amour triomphera-t-il ?
L’on retrouve pour ce second tome avec plaisir les jolies nuances de l’adaptation et les dessins stylisés d’Inaki Holgado.
Une série qui relève un beau défi de mémoire et qui, à ce titre, mérite d’être plus que saluée !


Gilles Landais

 

« Pigalle, 1950 » ; Scénario de Pierre Christin ; Dessin de Jean-Michel Arroyo ; Relié, 23.7 x31 cm, 152 pages, Éditions Aire Libre, 2022.

La parution aux éditions Aire Libre de « Pigalle, 1950 » offre un irrésistible polar signé d’un duo de choc - Pierre Christin / Jean-Michel Arroyo – et ayant pour toile de fond ou prétexte le Pigalle des années 1950.
Antoine, le jour même de ses 18 ans, décide de plaquer son Aubrac pour s’aventurer dans la grande capitale. Là, il y découvre tous les charmes et multiples fréquentations de Pigalle. Le cabaret « La Lune bleue » avec son patron « Beau-Beb » et ses danseuses, mais aussi « Pare-brise » ou encore « Poing-barre »… On l’aura compris il y a dans ce one shot toute la gouaille et l’ambiance aux néons des nuits chaudes du Pigalle des années 50.
Pierre Christin, également romancier et scénariste, sait à merveille entraîner son jeune Antoine devenu « Toinou » et son lecteur dans les arrières cours et sombres ruelles de ce Pigalle aux mille tentations, mais aussi mille dangers du grand banditisme… Un traitement digne des grands films noirs ! Une atmosphère à nulle autre pareille que Jean-Michel Arroyo fait revivre de plume de maître avec de superbes dessins soignés et stylisés. Optant paradoxalement, mais judicieusement, pour ce récit haut en couleur pour des camaïeux sépia, se sont de splendides planches - pour certaines pleines pages – et un découpage travaillé des plus réussis que le lecteur sous le charme découvrira.
« Pigalle, 1950 », un album à ne pas manquer !
 

Gilles Landais

 

« Un ennemi du peuple » de Javi Rey d’après la pièce d’Henrick Ibsen, 152 pages, Éditions Aire Libre, 2022.

À ne surtout pas manquer, le dernier album de Javi Rey « Un ennemi du peuple » aux éditions Dupuis d’après la pièce du célèbre auteur norvégien Henrik Ibsen (1828-1906).
Alors que la toute nouvelle station thermale de l’île de la Baleine s’attend à accueillir ses nombreux touristes, le docteur Stockmann découvre que l’eau de la station est contaminée. Mais alors qu’il en informe le maire, son propre frère, et entend rendre l’affaire publique, les autorités, la presse et sa ville se dressent contre lui ; Stockmann est devenu l’ennemi à abattre, « Un ennemi du peuple »…
Pièce majeure du dramaturge norvégien avec notamment « La maison de poupée », « Un ennemi du peuple » fut publié en 1882, il y a donc 140 ans, soit presque un siècle et demi. Aussi, bien que gardant tout sa force, le dessinateur Javi Rey (« Un Maillot pour l’Algérie » ; « Violette Moris »), ici en auteur complet, a-t-il fait choix pour cet album d’adapter la pièce et de livrer un récit graphique quelque peu recontextualisé et revisité.
Aux faiblesses de la démocratie soulignées par Ibsen lui-même – corruption, manipulation, populisme, démagogie, etc., Javi Rey a entendu « greffer » l’impuissance des démocraties occidentales modernes face aux injustices, aux inégalités et aux affres des crises financières. Ainsi que l’auteur a pu, à juste titre, le souligner : « C’est la force d’un classique d’être intemporel. Ibsen nous fait réfléchir sur des problématiques très contemporaines. » Et effectivement, face à cette étrange contamination, le Docteur Stockmann n’est-il pas, en effet, devenu un dérangeant « lanceur d’alerte » ?... comme un écho de notre société moderne.
Certes, l’absolutisme ou la radicalité du Docteur posés par Ibsen ont pu et peuvent encore apparaître ambigus ; aussi Javi Rey a-t-il également choisi -comme bien des metteurs en scène avant lui - de réécrire notamment le discours final du Docteur et de rappeler en exergue concernant la démocratie la fameuse phrase de Churchill : « C’est le pire système de gouvernement conçu par l’homme. À l’exception de tous les autres. »
Rey livre ainsi un récit graphique actualisé à la fois fluide et construit, tout en offrant un rythme et une dynamique propres avec des dialogues forts répondant à merveille aux dessins épurés volontairement rendus dans la ligne claire et aux couleurs réfléchies. « J’ai pensé toute la mise en scène graphique au service de la narration, en simplifiant le trait au maximum. » souligne le dessinateur. Une inclinaison que bien des lecteurs apprécieront et salueront.
Javi Rey parvient avec ce fabuleux album « Un Ennemi du peuple » travaillé et pensé à transmettre réactualisées l’atmosphère et la puissance de cette œuvre incontournable du grand dramaturge norvégien du XIXe siècle que fut Henrick Ibsen.
 

Gilles Landais

 

« Cinq Avril – Tome 1 – L’Héritier de Da Vinci »; Fred Duval, Michel Bussi et Noë Monin ; 21.8 x 30 cm, 64 pages, Coll. « Grand Public », Editions Dupuis, 2022.

Nous sommes au XVIe siècle, le 5 avril précisément, et un nouveau-né est déposé aux portes du fameux château du Clos Lucé où réside depuis 1516, appelé par François 1er, le célèbre peintre italien Léonard de Vinci. Il a pour seul bagage un étrange collier d’or. L’enfant adopté par les cuisinières et surnommé comme il se doit « Cinq Avril » sera pris sous l’aile protectrice de Léonard de Vinci lui-même et initié par ce dernier à de nombreux secrets… Entre le mystère de ses origines et le legs initiatique de son maître italien, « Cinq Avril » va découvrir à la mort de son protecteur qu’il a l’étrange pouvoir de changer le cours de l’Histoire !
C’est un fabuleux récit divertissant mêlant aventure et Histoire que nous propose avec cet album le trio Fred Duval, Michel Bussi et Noë Monin. Pour cette première série de Michel de Bussi, géographe, professeur à l’Université de Rouen et écrivain que l’on ne présente plus, rien ne semble avoir été omis : actions, complots, secrets font de ce dynamique récit de cape et d’épée haut en couleur et rebondissements un captivant album happant le lecteur. Aux bases historiques se mêlent humour et clins d’œil. Il est vrai que le scénariste reconnu Fred Duval et Michel Bussi n’en sont pas à leur première association à succès, on se souvient avec plaisir de « Nymphéas noir » récompensé en 2011.
Pour ce trépidant récit, leur talent ont rencontré celui du dessinateur Noé Monin (notamment « Les Larmes d’Âpretagne »). Des dessins présentant une énergie toute en rondeur attachante et ancrant joliment ce palpitant premier récit dont les lecteurs ne pourront qu’attendre avec impatience le prochain tome !


Gilles Landais

 

« L’Or d’El Ouafi » de Paul Carcenac et Pierre-Roland Saint-Didier (scénario) et Christophe Girard (dessin) ; Relié, 128 pages, Editions Michel Lafon, 2022.

A souligner ce bel et captivant album nous contant l’histoire trop peu connue du premier marathonien français médaillé d’or olympique aux éditions Michel Lafon. C’était à Amsterdam en 1928 et il s’appelait Boughera El Ouafi. Mais se souvient-on aujourd’hui vraiment de lui ?
Né dans le désert du Sahara en Algérie bien loin des pistes et stades olympiques, son histoire n’est pourtant pas des plus banales. Et c’est en hommage et pour réparer cet oubli injustifié de l’histoire du sport que Paul Carcenac, journaliste et passionné d’athlétisme, Pierre-Roland Saint-Didier, son petit-fils, et Christophe Girard ont souhaité associer leurs talents pour raconter la destinée de Boughera El Ouafi.
Au travers de ce récit mené pour le scénario à quatre mains par Paul Carcenac et Pierre-Roland Saint-Didier (auteur engagé ayant déjà signé notamment « Le Signal de l’Océan », « Le dernier Refuge » ou encore « Les adieux du rhinocéros), ce sont aussi les préjugés, les injustices, mais aussi la persévérance et le courage qu’ont entendu raconter nos deux scénaristes. Car El Ouafi ne fut pas seulement le premier marathonien africain médaillé d’or olympique, il fut également tirailleur algérien, ouvrier à l’usine Renault à Boulogne-Billancourt ou encore employé dans un cirque américain… Une destinée hors-norme joliment rendue par le trait et les couleurs inspirés et alertes de Christophe Girard. On se souvient dans le domaine sportif de ses deux albums avec Raymond Poulidor.
En refermant cet album aussi passionnant qu’émouvant, on ne peut que saluer l’initiative de Paul Carcenac, Pierre-Roland Saint-Didier et Christophe Girard d’avoir fait résonner une nouvelle fois la Marseillaise pour le marathonien El Ouafi en mémoire de cette médaille d’or olympique gagnée en 1928 !


Gilles Landais

 

« Wild West – Tome 3 – Scalps en série » ; Scénario de Thierry Gloris ; Dessins de Jacques Lamontagne ; Relié, 24 x 32 cm, 48 pages, Éditions Dupuis, 2022.

Chacun se souvient de cette géniale et historique légende du western dénommée « Wild West » tant sa parution fut saluée !
Après le succès indéniable de ce premier diptyque ( Camamity Jane et Will Bill), les auteurs - Thierry Gloris au scénario et Jacques Lamontagne pour les dessins - poursuivent pour la plus grande joie de leurs lecteurs leur féconde complicité en livrant aujourd’hui de nouvelles aventures de leur fameux duo.
Charlie Utter, un homme généreux et droit, a recueilli Martha Jane Cannary après la mort de son mari, abattu en légitime défense par Wild Bill Hickok ; Celle-ci noie son chagrin dans l’alcool et rumine sa vengeance… Mais, sur le chantier du nouveau chemin de fer en construction, Bill doit d’autre part, faire face à un mystérieux tueur, un tueur en série scalpant ses victimes…
Les aficionados de la série retrouveront dans ce nouvel album ce qui a fait le sel et la réussite incontestable de « Wild West ». Thierry Gloris y déploie un scénario bien ficelé qu’il déroule avec ingéniosité. Bill sera cette fois-ci accompagné d’un nouveau personnage, Charlie Utter, un personnage également historique de la légende de l’Ouest américain. Jacques Lamontagne livre, pour sa part, de nouveau, de fabuleux dessins aussi soignés et puissants que réalistes.
Un nouvel album offrant un plaisir de lecture rare.
 

Gilles Landais

 

« Les Dragons de la Frontière - Tome 2 - Cuerno Verde », Ivan Gil (dessin), Gregorio Muro Harriet (scénario), Coll. 24x32, 59 pages, Éditions Glénat, 2022.

Avec ce deuxième tome de la série « Les Dragons de la Frontière », les amateurs de BD western seront aux anges tant l’Ouest légendaire se déploie avec maestria au fil des planches signées Ivan Gil au dessin selon un scénario habile de Gregorio Muro Harriet. Il faut dire que tout ou presque a été réuni pour faire de cette BD un récit épique répondant aux codes du genre entre batailles meurtrières avec un chef de guerre Comanche, des miliciens espagnols sur fond de destin tragique d’une femme, Madeline, prisonnière d’un camp Comanche… Les somptueux paysages du nord-est de l’Arizona, les Indiens Hopis, un redoutable chef de guerre Comanche surnommé Cuerno Verde composent cette fresque haute en couleurs où guerre et violence ravagent hommes et femmes.
Nos deux auteurs parviennent avec ce deuxième tome à restituer l’esprit du western livré pendant des décennies au XXe siècle par le 7e art avec ces visions panoramiques, ces plans serrés sur les coutumes autochtones contrastant avec la cupidité des Espagnols du Nouveau-Mexique… Avec des paysages à couper le souffle dignes des plans en technicolor des westerns de légende, « Les Dragons de la frontière » tiendront le lecteur en haleine de la première planche jusqu’à son issue finale.
 

Jules Buissonnet

 

« La dernière Ombre – Tome 02 » ; Scénario de Denis-Pierre Filippi ; Dessins et couleurs de Gaspard Yvan ; Cartonné, 24 x 32 cm, 48 p., Coll. 24 x 32, Editions Vents d’ouest, 2022.

Pour ce second et dernier volume de « La dernière ombre », le sort des blessés demeure dans ce fameux manoir perdu au milieu d’une sombre forêt russe toujours plus qu’incertain, alors que le lieutenant Zvoga est mort. Mais comment partir dans cette tempête de neige et ce froid ? Qui plus est, les réserves de la Baronne propriétaire des lieux s’amenuisent de jour en jour. Parallèlement, pourtant, les enfants toujours cachés se content encore et encore des histoires… Mais, chacun sait, du moins ceux qui ont déjà découvert le premier volume, qu’il y a dans ce manoir isolé plus extraordinaire encore… « La dernière Ombre » saura-t-elle, pourra-t-elle les protéger ? Et finira-t-elle par dévoiler son secret ?
Denis-Pierre Filippi a fait le choix pour ce diptyque d’une fin tragique soulignant les affres de la guerre, la peur, la famine et le sang… lorsque l’imaginaire n’arrive plus à masquer l’horreur du réel. C’est un récit, en effet, bouleversant inspiré du « Labyrinthe de Pan » que le lecteur découvrira. Un récit dramatiquement mis en dessin avec talent par Gaspard Yvan, qui – rappelons-le – signe avec « La dernière Ombre » sa première contribution BD.
Un très beau et poignant diptyque.


Gilles Landais

 

« Batman Imposter » ; Scénario de Mattson Tomlin ; Dessin d’Andrea Sorrentino ; Couleurs Jordie Bellaire ; Coll. DC Black Label, 176 pages, Éditions Urban Comics, 2022.

Incontournable et inédit tel est assurément ce dernier Batman – « Batman Imposter » !
Grâce à Batman, le Gothman vient de connaître, après trois années sans relâche d’efforts et de persévérance, sa première nuit sans crime, et ce depuis 54 ans ! Cependant cette victoire, loin de satisfaire tout le monde, a surtout été atteinte au détriment de la santé de Bruce Wayne. Alors que le chevalier Noir est à bout, un étrange imposteur emprunte l’apparence de Batman et assassine publiquement d’anciens criminels…
C’est un Chevalier Noir totalement revisité que nous propose avec brio et audace cet album inédit signé Andrea Sorrentino et Mattson Tomlin – également co-scénariste avec Matt Reeves de « The Batman ». Le lecteur y découvrira, en effet, un Chevalier Noir à bout de souffle et se tournant vers de nouveaux alliés ; Gordon disparaît au profit notamment de l’inspectrice Blair Wong…
« Batman Imposter » fait, en effet, choix d’un récit narratif scrutant sans complaisance les ressorts psychologiques du Chevalier Noir ; Andrea Sorrentino (notamment « Joker – Killer Smile »), ici, en duo avec Mattson Tomlin accentue encore par sa griffe la tension psychologique de l’album. Un choix qui offre au Gothman City une nouvelle réalité, plus proche de la nôtre, et un Bruce Wayne moins parfait qu’on ne pouvait le penser. « Batman Imposter » livre ainsi une belle réflexion sur la place et le rôle des super héros. Un tournant inédit ouvrant un beau potentiel !


Gilles Landais

 

« Molière – Acte 1 – A l’École des femmes » ; Scénario Vincent Delmas ; Dessin Sergio Gerasi ; Cartonné, 24 x 32 cm, 48 pages, Coll. 24x32, Editions Glénat, 2021.

En cette année 2022 célébrant le 400e anniversaire de sa naissance (ou du moins de baptême), il faut saluer la parution de cet album entièrement consacré à l’un des auteurs les plus célèbres de la littérature française : Molière
Signé pour le scénario Vincent Delmas et Sergio Gerasi pour les dessins, ce premier volume commence par l’agonie de Molière à Paris le 17 février 1673 avant de revenir très vite par un flashback douze ans plus tôt. En 1661, Jean-Baptiste Poquelin a 40 ans. Devenu Molière, il est reconnu et apprécié du Roi Louis XIV ; Molière loge avec sa troupe à Paris au Palais-Royal, il y écrit une partie de ses plus grandes comédies – L’École des femmes, L’Impromptu, Tartuffe – et s’apprête à épouser Armande, la sœur ou fille de Madeleine Béjart, comédienne qui a également été sa maîtresse... Mais les critiques, rumeurs et scandales déjà se font entendre…
Vincent Delmas (coauteur connu de la collection « Ils ont fait l’histoire ») a fait choix pour ce récit biographique de Molière en trois actes ou volumes de mettre, au-delà des critiques notamment du clergé, en valeur toute la force intemporelle des œuvres du célèbre dramaturge. Car ce sont bien ces travers humains dénoncés en son temps avec dérision par le génie de Molière qui résonnent encore si bien aujourd’hui que l’on soit écolier, étudiant ou plus âgé…
Molière est incontournable !
En ces années 1660 où le roi réside encore à Saint-Germain-en-Laye, mais songe plus que jamais à Versailles, Molière s’impose, une posture et un combat dont rendent parfaitement compte non seulement le scénario, mais également les dessins de Sergio Gerasi notamment par ses portraits au trait gras en gros plans très expressifs.
Un premier volume à ne pas rater en attendant, bien sûr, l’acte deux de la vie de ce si célèbre et fameux Molière !


Gilles Landais

 

« Jean Gabin - L'Homme aux yeux bleus » ; Scénario de Noël Simsolo ; Dessin de Vincenzo Bizzarri, Coll. 9 ½, 20,2 x 26,8 cm, Éditions Glénat, 2021.

Le mythe Jean Gabin se trouve pour la première fois en France évoqué en une BD imposante, à l’image de la carrure du célèbre comédien aux éditions Glénat. C’est l’étonnant parcours d’Alexis Moncorgé, plus connu sous son nom de scène Jean Gabin, que sont parvenus à saisir Noël Simsolo et Vincenzo Bizzari dans ce récit graphique haut en couleur. Son regard singulier, sa présence sur scène crevant l’écran, sa gouaille, mais aussi sa profonde humanité transparaissant tout au long d’une impressionnante filmographie se trouvent évoqués dans cette BD passionnante à la hauteur du personnage.
Le récit débute un jour de juillet 1945 à la veille du 14 et de la célébration de la Libération. C’est l’occasion d’un flashback pour l’acteur, sur sa participation à la guerre alors qu’il était déjà une star du grand écran. Puis, en un retour en arrière encore plus grand, avec les années de jeunesse auprès de parents eux-mêmes artistes, un amour vif de la campagne, vite contrarié avec la survenue de la Première Guerre mondiale. Ces premières années seront décisives pour le jeune homme qui débutera comme chanteur de revue avant de participer à ses premiers rôles, le reste relevant de la légende parfaitement rappelée par cette BD trépidante. Grâce à un dessin épuré, aux teintes sépia et atténuées, seuls les yeux bleus de Gabin transparaissent pour mieux souligner sa présence étonnante tout au long de ces pages captivantes.


Jules Buissonnet

 

« Don Bosco – Ami des jeunes » de Jijé ; 26.8 x 23.8 cm, 120 pages, Éditions Dupuis, 2022.

Un régal ! Nombreux seront ceux qui se réjouiront de retrouver et de partager avec leurs enfants ou petits-enfants, cette incroyable réédition de « Don Bosco », ce fameux prêtre italien qui enthousiasma toute une génération.
Les éditions Dupuis ont fait le pari de rééditer aujourd’hui cet album mythique, « Don Bosco, ami des jeunes », dans sa version initiale de 1941. De par son année de parution sous l’occupation allemande, il ne put être imprimé à l’époque, en raison des restrictions de papier, à plus de 150 000 exemplaires. Pourtant « Don Bosco » allait s’imposer et fut le tout premier bestseller de Dupuis.
Et comment ne pas le comprendre !
« Don Bosco » dont nous est donné aujourd’hui l’exact facsimilé est un album au charme suranné irrésistible. Un plaisir de lecture et de beauté inégalé. C’est Jijé (Joseph Gillain) qui signa cet extraordinaire album biographique. Don Bosco fut, en effet, inspiré à son auteur par un véritable personnage, un charismatique prête italien (1815-1888) qui voua toute sa vie aux enfants défavorisés. Publié initialement dans le « Journal de Spirou », la vie et les valeurs de ce fameux prêtre salésien allaient marquer toute une génération de lecteurs. Pour cette nouvelle édition a été ajoutée une postface, un dossier exclusif bienvenu donnant aux lecteurs toutes les clés et précisions.
On ne résiste pas !

Gilles Landais

 

« Sandman – The Dreaming » ; Scénario de Neil Gaiman et Simon Spurrier ; Dessin, collectif ; 280 pages, Coll. DC Black Label, Éditions Urban Comics, 2022.

Avec cet album, les nombreux aficionados de la fameuse série « Sandman » se réjouiront de découvrir la suite de cette saga à succès. Un incroyable premier volume d’un diptyque inédit signé du duo Neil Gaiman et Simon Spurrier ; Incroyable, jugez-en !
Alors que le Royaume des rêves, le Songe, a été délaissé par son propre roi, Dream, alors que ses sujets s’entredéchirent et que ses frontières sont à feu et à sang, une menace pire encore émerge des ténèbres pour plonger le Royaume des Rêves dans le chao et faire du Songe un royaume sombre et sanglant…
Neil Gaiman et Simon Spurrier ont choisi, ici, de revisiter le Royaume des rêves et d’ajouter de nouveaux personnages ; Cela donne un album onirique à souhait, et c’est un « Sandman » différent que les lecteurs découvriront. Car, si les lecteurs retrouveront des personnages déjà connus du monde des Songes, notamment Lucien, Matthew, Ève ou Abel et Caïn, certains seront cependant surpris de retrouver un Daniel rajeuni ou encore Dora. Et alors que l’on aurait pu croire un Royaume des Songes libéré, c’est un univers onirique des plus troublés et menacés que développe en dix chapitres ou épisodes ce duo de choc Neil Gaiman / Simon Spurrier.
Un premier volumineux album très haut en couleur et graphisme (collectif) dont tout lecteur attendra assurément avec impatience le second volume.


Gilles Landais

 

« La Part de l'ombre - Tome 2 - Rendre justice » ; Scénariste : Patrice Perna ; Dessinateur : Francisco Ruizge ; Coll. 24X32, éditions Glénat, 2021.

C’est une évocation historique bien délicate dont se sont saisis Patrice Perna et Francisco Ruizge dans cette série historique. Ce tome 2 débute, en effet, à Berlin en avril 1955 alors qu’un tribunal de première instance vient de confirmer la condamnation de Maurice Bavaud qui avait tenté d’assassiner Adolf Hitler quatorze ans plus tôt…
Véritable enquête sur un sujet méconnu, les auteurs de ce récit graphique évoquent le combat d’un homme, Guntram Muller, souhaitant faire annuler cette décision et faire en sorte que Bavaud soit déclaré héros national, ce qui n’est pas une mince affaire à l’heure de la Guerre froide et des antagonismes internationaux.
C’est tout le devoir de mémoire qui se trouve évoqué dans ces pages passionnantes, aux teintes estompées afin de mieux faire valoir la dimension historique du récit grâce au talent du dessinateur espagnol François Ruizgé. Entre services secrets américains et autorités soviétiques à la veille de renier la politique criminelle de Staline, la mission de notre enquêteur est loin d’être aisée. Patrice Perna livre avec ce récit des planches captivantes mettant en concurrence mémoire et présent.

 
Jules Buissonnet

 

« BLACK BEARD -Tome 2 – Ma mort est douce » de Jean-Yves Delitte ; Cartonné, 24 x22 cm, 48 p., Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.

Ce second volume signé Jean-Yves Delitte, en auteur complet, et retraçant un captivant récit de piraterie dans la première partie du XVIIIe siècle était plus que vivement attendu.
Rappelons brièvement l’histoire : Nous sommes en 1721 et dans une geôle de la sombre prison londonienne Marshalsea, un marin crie ne pas avoir été le complice, mais la victime, du célèbre et fameux pirate Black Beard. Mais qui entendra son innocence ?
Ce récit de piraterie passionnant est une belle adaptation de l’ouvrage du célèbre romancier anglais Daniel Defoe, auteur de « Robinson Crusoé ». Au XVIIIe siècle, Defoe avait effectivement parcouru pour écrire une « Histoire générale des plus fameux pirates » les prisons anglaises pour entendre le récit de marins condamnés, parfois injustement…
C’est de ce roman attribué à Defoe que Jean-Yves Delitte s’est inspiré pour ce fabuleux diptyque retraçant et nous faisant découvrir le destin de l’un des plus célèbres pirates des mers des Caraïbes : Black Beard. Entre histoire et fiction, le scénario construit de ce second tome offre, de nouveau, l’occasion à Jean-Yves Delitte de donner à voir de fantastiques et magnifiques planches avec ce soin méticuleux des détails qu’il faut saluer. Il faut rappeler que Jean-Yves Delitte n’en est pas à son premier coup de maître ! Auteur déjà de nombreuses et grandes fresques maritimes dont la série « Black Crow » ou de « Les Grandes Batailles Navales » sans oublier cette célèbre collection consacrée aux plus belles frégates.
Une nouvelle fois, avec ce diptyque « Black Beard », Jean-Yves Delitte entraîne son lecteur dans un passionnant et haut en couleur récit de piraterie. Un régal !


Gilles Landais

 

« Love Love Love – Tome 2 – Bang Bang Shoot Shoot » ; Scénario de Kid Toussaint ; Dessin d’André Garrido ; Cartonné, 21.8 x 30 cm, 56 pages, Éditions Dupuis, 2022.

La saga futuriste « Love Love Love » se poursuit avec « Bang Bang Shoot Shoot » dans cette société dans laquelle les robots revendiquent leur liberté et refusent leur obsolescence programmée alors même que les humains les ont entassés dans des quartiers-ghettos. Karel, un mecha, toujours aussi fou amoureux d’Elie, une humaine, voit quant à lui la sienne se rapprocher, et ce alors que le révolte sourde et qu’un mystérieux tueur sévit…
Le deuxième tome de cette trilogie signée Kid Toussaint a opté pour continuer cette belle histoire d’amour futuriste entre un robot et une jeune femme humaine tout en y introduisant, de nouveau, actions et suspens, mais aussi d’incontournables interrogations. Car au- delà de cette fiction, ce sont aussi des questions de conventions, sociales et politiques que cette saga entend soulever. Le tout, dans un Paris futuriste avec des personnages singuliers rendus vivants par les dessins d’André Garrido.
Que deviendront Elie et Karel dans cette société où robots et humains ne peuvent et ne veulent coexister, et dans laquelle la révolte gronde ? Après « Yeah Yeah Yeah » et ce tome 2 « Bang Bang Shoot Shoot », les lecteurs ne pourront qu’attendre avec impatience « Bip Bip Yeah », le dernier tome de cette trilogie !


Gilles Landais

 

« Frankenstein – Mary Shelley » de Georges Bess ; 21.5 x 29.3 cm, 208 pages, Coll. Hors Collection, Editions Glénat, 2021.

Incontournable ! Tel est le qualificatif qui convient le mieux pour cet album signé Georges Bess et offrant une brillante adaptation du célèbre roman « Frankenstein » ; cette créature fantastique née au XIXe siècle sous la plume de la romancière britannique Mary Shelley et qui demeure aujourd’hui encore dans toutes les mémoires, au même titre que Dracula ou encore au XXe siècle, King Kong, pour le 7e art.
« Frankenstein », c’est le délire d’un savant qui fait naître un monstre, une « créature » innommable. Trop grande, laide aux yeux sans couleur, rejetée par tous et avant tout par son propre créateur, elle est vouée à la plus grande solitude et souffrance…
C’est à cet être innommable qui n’aspire pourtant qu’à aimer auquel Georges Bess redonne vie avec maestria dans ce fabuleux volume graphique. Auteur connu, signant récemment encore « Amens » chez Glénat, il opte, ici, judicieusement pour un récit tout de noir et blanc. Et c’est une très belle adaptation respectueuse du roman de Mary Shell que nous propose ainsi l’auteur évitant bien des erreurs ou amalgames notamment celui de prêter le nom de l’inventeur – Victor Frankenstein – à sa création, alors que celle-ci n’est dans le roman jamais nommée que « créature » ou « monstre »…
Roman fantastique écrit précisément en 1816 dans les brumes d’hiver sur le Léman à Genève dans la demeure de Lord Byron par Mary Godwin, devenue Mary Shelley par son mariage avec le poète Percy Shelley.
Georges Bess, en auteur complet, a su indéniablement redonner à cet extraordinaire récit toute sa magie et atmosphère que cela soit par l’absence de couleur, son trait ou encore l’encrage. Le découpage et la mise en planche pensés et travaillés fonctionnent à chaque chapitre idéalement. Une réussite graphique qu’il faut une nouvelle fois saluer ! Rappelons que Georges Bess avait déjà su s’imposer en 2019 avec une belle adaptation du roman « Dracula » également aux éditions Glénat.


Gilles Landais

 

« Clovis » ; Scénariste Wyctor ; Conseiller historique Bruno Dumézil ; Dessinateur Paolo Martinello ; Coloriste Luca Bulgheroni ; Coll. Ils ont fait l'Histoire, 24,2 x 32,1 cm, Éditions Glénat, 2021.

Qui ne se souvient de Clovis et du fameux vase de Soissons ? Vase qui soit dit en passant n’aurait peut-être pas été brisé, mais ceci est une autre histoire… Avec un scénario plus que ficelé par Victor Battaggion conseillé pour cet album par le réputé Bruno Dumézil, professeur à la Sorbonne, « Clovis » transporte le lecteur en ce VIe siècle après J.-C., une époque cruciale pour le royaume des Francs et la constitution d’une unité du pouvoir après le morcellement des peuples barbares ayant succédé à la chute de l’Empire romain.
Clovis est l’homme de la situation, lui qui sut très tôt s’appuyer sur l’Église, seule permanence des restes de l’Empire défunt. Aussi le célèbre baptême scelle-t-il une alliance essentielle qui ne fera qu’appuyer et renforcer plus encore le pouvoir de ce chef guerrier que nous retrouvons dans ces pages hautes en couleur grâce au dessin inspiré de Paolo Martinello.
Ce dernier parvient en effet dès les premières planches à restituer ce souffle épique d’une époque troublée nécessitant constamment des batailles rangées face aux autres peuplades barbares contestant l’autorité de Clovis. Avec des focus impressionnants, notamment le fameux baptême, cette BD avec ses teintes sépia et dégradés bleu-gris passionnera le lecteur épris d’Histoire, mais aussi l’amateur d’aventures dont ces pages abondent !

Jules Buissonnet

 

« Batman Mythology – La Batmobile et autres véhicules » ; Collectif, 296 pages, Coll. DC Deluxe, Urban Comics, 2021.

La Collection « Batman Mythology » s’enrichit d’un nouveau et sixième titre consacré à la « Batmobile et autres véhicules ». Ce nouvel et fabuleux album revient, en effet, sur le véhicule préféré de Batman, sa fameuse « Batmobile ». Un engin tout-terrain à nul autre pareil dont le look a su évoluer au fur à mesure des albums et années. Du banal véhicule des débuts, une Sedan rouge, le lecteur pourra suivre, récit après récit, l’évolution non seulement esthétique, mais aussi technologique de cette fameuse « Batmobile », suivant en cela l’évolution de la société américaine. La Batmobile demeure incontestablement un des emblèmes incontournables de la mythologie du Chevalier Noir. Un emblème qui prendra toute sa force symbolique et son nom dès 1941.
Avec pas moins de quatorze histoires, dont pour certaines inédites, le lecteur découvrira ainsi les différents engins de combat que Batman a utilisé dans sa lutte contre la pègre. Des histoires signées par les plus célèbres auteurs de l’univers du Chevalier Noir, dont Steve Englehart, Scott Snyder ou encore Chuck Dixon avec des dessins notamment de Tom Grummett, de J.H. Williams III, Bob Kane…
Mais, ce nouvel album de la collection « Batman Mythology » revient également sur d’autres véhicules, ceux de ses alliés : Robin et sa Redbird, Nightwing et sa caisse sans oublier la moto de Batgirl. Des engins pas toujours si simples à conduire…
Un sixième album de « Batman Mythology » comportant de beaux souvenirs nostalgiques, mais aussi quelques belles surprises !


Gilles Landais

 

"Conan le Cimmérien - Xuthal la Crépusculaire" ; Scénario de Christophe Bec ; Dessin de Stevan Subic ; D'après l'œuvre de Robert E. Howard ; 24,3 x 32 cm, 72 pages, Éditions Glénat, 2022.

Qui n’a jamais entendu parler de Conan le Barbare ? Médiatisé à l’écran sous la musculature impressionnante du bodybuilder Arnold Schwarzenegger, cette figure mythologique digne des péplums des années 50 appartient cependant à une histoire plus ancienne puisqu’elle remonte à 1932, date à laquelle l'écrivain Robert E. Howard conçut ce personnage sur 21 histoires.
Les éditions Glénat ont décidé à juste titre de faire revivre ces heures de gloire de l’Heroïc Fantasy. Adaptant ces histoires sous la plume et le dessin de brillants talents de la BD, cette collection offre un nouveau volume passionnant intitulé « Xuthal la crépusculaire » mettant aux prises notre héros à une cité effrayante soumise au dieu Thog.
Christophe Bec et Stevan Subic sont parvenus dans ce nouvel album à se saisir de ce récit mythique de manière décomplexée et avec de sublimes planches restituant à merveille le souffle épique de ces aventures. Entre pénombre crépusculaire, atmosphère inquiétante des intérieurs de la cité maudite et paysages époustouflants et sauvages traversés par nos héros, la pleine aventure –avec un érotisme certain –a la priorité ! Une réussite à partager au plus vite.


Jules Buissonnet

 

"Alfred Hitchcock - Tome 2 - Le Maître de l'angoisse" ; Scénariste Noël Simsolo, Dessinateur Dominique Hé ; Coll. 9 ½, 198 x 266 mm, 160 pages, Éditions Glénat, 2021.

Suite de cette passionnante aventure spécialement consacrée au grand réalisateur anglais Alfred Hitchcock, ce deuxième tome écrit par Noël Simsolo et dessiné par Dominique Hé porte le titre plus qu’approprié « Le Maître de l’angoisse ». Car il est vrai, en effet, que le nom même d’Hitchcock est depuis longtemps synonyme d’angoisse, ce sentiment sourd et poignant qui prend la plupart du temps le spectateur à chaque long-métrage du réalisateur. Il suffit pour s’en convaincre de prendre le fameux film « Les oiseaux » présenté il y a plus d’un demi-siècle en 1963 au Festival de Cannes. Le réalisateur reconnaissait alors qu’il s’agissait du film le plus terrifiant qu’il n’ait jamais fait. C’est sur cette scène que s’ouvre ce deuxième tome, après l’effroi suscité quelques années auparavant par « Psychose » faisant du réalisateur « le cinéaste de la peur ». Il faut dire que l’homme s’y entend pour ménager le suspense, bâtir progressivement une intrigue qui enserre tout autant ses acteurs que les spectateurs en un maillage de plus en plus étroit. C’est cette magie « Hitchcock » qu’analyse et parvient à rendre nos deux auteurs avec une BD à l’ancienne, totalement en noir & blanc pour notre plus grand plaisir. Les dialogues sont bien pensés, correspondant tout à fait à l’univers hitchcockien, le dessin ciselé de Dominique Hé venant appuyer ces études implacables de caractère. Ce roman graphique relate avec grand art cette époque à nulle autre pareille du cinéma hollywoodien, une histoire qui par le filtre d’un de ses protagonistes les plus contrastés parvient à nous tenir en haleine jusqu’à la dernière planche, passionnant !

Jules Buissonnet

 

« Largo Winch – Tome 23 – La frontière de la nuit » ; Dessins de Philippe Francq ; scénario d’Éric Giacometti ; 48 pages, Éditions Dupuis, 2021.

C’est un thriller écologique et spatial des plus réussis que réserve ce dernier Largo Winch !
Notre héros découvre, en effet, avec horreur que ses propres filiales emploient des enfants. Largo Winch décide dès lors de faire évoluer le groupe W vers une économie plus responsable, sociale et écologique. Se tournant vers les marchés spatiaux, le milliardaire va cependant croiser deux jeunes entrepreneurs milliardaires aux idées décapantes, Jarod et Demetria Manskind. Mais, cette rencontre ne sera pas sans conséquences notamment sur un fameux vol spatial…
Éric Giacometti et Philippe Francq ont opté pour ce dernier album pour un monde en pleine évolution et ont décidé d’envoyer Largo Winch dans l’espace. Philippe Francq avoue : « Quand on a un héros comme lui, on a envie de l’envoyer dans des milieux extrêmes ! »
Aventure spatiale, nouvelles technologies, internet, biotech, etc., rythment donc ce nouvel album plein d’actions et de rebondissements. Course spatiale, courses aux minerais, on l’aura compris Winch avec ce 23e tome entre de plain-pied dans le XXIe siècle et la nouvelle économie. Pour cela, que ce soit Éric Giacometti au scénario ou Philippe Francq pour les dessins, notre duo a su s’entourer et s’informer (ou presque… puisqu’ils avouent avoir ignoré que la première mission civile a été réservée par un milliardaire dénommé Jared !»). Philippe Francq livre ainsi des dessins réalistes soignés et méticuleux, d’une belle précision que viennent rehausser encore les couleurs travaillées avec Bertrand Denoulet.
Mais, notre héros, Largo Winch, sera-t-il à la hauteur de cette nouvelle économie ; Les deux jeunes milliardaires ne le raillent-ils pas sur les réseaux sociaux ?
On ne peut en douter, c’est un beau défi que relève Largo Winch avec ce présent album !


Gilles Landais

 

 « Les Tuniques Bleues - Tome 64 - Où est donc Arabesque ? » de Cauvin (scénario), Lambil (dessins), Éditions Dupuis, 2021.


Que se passe-t-il lorsqu’un cavalier des célèbres Tuniques Bleues, en l’espèce notre fameux Blutch, ne retrouve plus sa monture ? Cela donne un 64e album tout en couleurs et en nostalgie, car il s'agira du tout dernier Tuniques Bleues écrit par Raoul Cauvin, malheureusement disparu en août 2021, après 64 albums entrés dans l'Histoire de la BD… Mais revenons à notre intrigue servie avec inspiration par les dessins de Lambil qui s’y entend comme pas deux pour dessiner un équidé ! « Arabesque », c’est le nom du canasson, demeure introuvable. Notre cavalier est inconsolable, car sa monture est des plus caractérielles, elle a notamment l’art de faire la morte lorsqu’il s’agit de charger l’ennemi… Mais, en l’espèce, le cheval n’y est pour rien, car une autre unité nordiste s’en est emparé et Blutch ne décolère pas. Il décide alors de partir avec Chesterfield à sa recherche. Sur la route, qui sera longue, les embûches ne manqueront pas, pour le plus grand plaisir et souvent l’hilarité des lecteurs qui verseront assurément une dernière larme au terme de cette belle aventure.

Jules Buissonnet

 

« The Kong Crew – Tome 2/3 – Hudson Megalodon » d’Eric Hérenguel ; 24 x 32 cm, 72 pages, Éditions Ankama, 2021.

Le tome 1 du « The Kong Crew » avait réjoui bien des lecteurs en livrant une suite du fameux King Kong. Le deuxième tome de cette trilogie était depuis plus que vivement attendu. Intitulé « Hudson Megalodon », il offre une suite époustouflante faite d’action et de rebondissements en rebondissements, car ce nouvel album apporte bien des réponses aux nombreuses questions posées par le premier volume. Notamment où sont passés Jonas et Irvin ? Betty aura-t-elle des nouvelles de Virgil ?... Rappelons que nous sommes en 1947, soit quatorze ans après la victoire de Kong et que Manhattan a été évacuée et demeure zone interdite…
Éric Hérenguel, bien connu aux éditions Ankama pour avoir déjà scénarisé la célèbre série « Wakfu », et ici, en auteur complet, a opté pour un scénario serré très réussi réservant bien des surprises dans cette vision uchronique et délirante de Manhattan. Les lecteurs ne pourront qu’être conquis par cet album qui présente, en effet, bien des atouts : un scénario des plus dynamiques appuyé par des dessins tout aussi efficaces dans une mise en planche au rythme délibérément effréné. A cela viennent s’ajouter des dialogues choisis et surtout un humour souvent décalé omniprésent. Le lecteur est littéralement happé !
On ne peut qu’applaudir à cette série menée par Éric Hérenguel avec maestria.


Gilles Landais

 

« Michel Vaillant - Saison 2 - Tome 10 - Pikes Peak » ; Benéteau - Dutreuil – Lapière, 56 pages couleur, Éditions Graton / Dupuis, 2021.

Avec ce tome 10 de la Saison 2 « Michel Vaillant », les amateurs de la célèbre série seront aux anges ou plutôt embarqués sur une course automobile à nulle autre pareille ! Michel Vaillant a en effet souhaité relever un défi des plus étonnants en s’inscrivant dans la course de côte la plus folle du monde : la Pikes Peak Hill Climb. Comme son nom le présage, avec ce parcours, virages et montées seront au rendez-vous avec en prime une ascension à plus de 4 000 mètres d’altitude… Dans cette course de l’impossible, notre héros devra également compter sur un ennemi bien connu, Bob Cramer, pilote des Texas Drivers et qui n’entend pas lui laisser une victoire facile.
Le scénario de Denis Lapière a de quoi tenir le lecteur en haleine. Un lecteur qui aura peine à ne pas avoir le pied sur une pédale de frein imaginaire. Onomatopées à profusion pour évoquer les innombrables crissements de pneu, on s’y croirait sans peine ! Mais les frasques de courses automobiles ne sont pas les seuls moments palpitants de ce dixième tome, comme à l’accoutumée, derrière la course se cachent des enjeux que nos protagonistes auront également à affronter, suspens garanti !


Jules Buissonnet

 

« Le dernier Livre » de François Durpaire (scénario) et Brice Bingono (dessin) ; Relié, 24 x 32 cm, 72 pages, Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.

Sur fond de pandémie mondiale, ce fabuleux récit d’anticipation aurait pu au premier abord paraître presque trop banal, s’il ne se glissait avec « Le dernier livre » un bel éloge, tel un dernier cri d’espoir, du livre et de la littérature.
Nous sommes en 2040, à Paris, les écoles, librairies et bibliothèques sont fermées pour cause de pandémie. Avec la complicité des dirigeants politiques, les géants du numérique ont mis fin, puis interdit purement et simplement la production de papier. Une nouvelle société faite d’androïdes, d’implants et de super-programmation est née. Mais, un mystère demeure : certains enfants disparaissent sans laisser de traces…
François Durpaire, historien, écrivain et scénariste, a entendu avec cet album alerter en franchissant un pas ou plutôt un millimètre de plus pour nous donner à lire ce qui peut-être nous attend si nous n’y prenons garde, la disparition pure et simple du livre et de tout support papier. Or, on s’en doute, du moins on l’espérait, dans cette société sans livres, il y a heureusement quelques résistants souhaitant redonner aux nouvelles générations esprit critique et curiosité. Mais, leur entreprise est découverte et seul un petit groupe d’enfants parvient à s’échapper…
Déjà auteur scénariste chez Glénat en 2015 de « La présidente », François Durpaire opte ici pour un véritable thriller d’anticipation réaliste. Un univers futur déjà en route par lequel le lecteur ne pourra qu’être bien sûr interpelé. Un sombre monde parfaitement rendu par les dessins tout aussi futuristes et soignés de Brice Bingono.
Mais au-delà de ce thriller d’anticipation, c’est aussi et surtout une belle réflexion sur le livre, son histoire et le rôle de la littérature que nous proposent François Durpaire et Brice Bingono avec « Le dernier Livre ».
Mais, les enfants échappés pourront-ils, arriveront-ils à écrire un nouveau livre, un nouveau « premier livre » ? …


Gilles Landais

 

Buck Danny Classic – Tome 8 – Le repaire de l’aigle » ; Scénario de Zumbiehl et Marniquet ; dessin de Le Bras ; 24 x 32 cm, 48 pages, Éditions Dupuis, 2021.

Un album Buck Danny « Classic » qui était très attendu et qui marque avec maestria la fin de ce cycle argentin « Les aigles de l’Altiplano ». Pour ce tome 8 de la série « Classic », « Le repaire de l’aigle », deuxième volume du diptyque après Sea Dart, Zumbiehl et Marniquet ont en effet opté pour un scénario des plus spectaculaires. Alors que Buck Danny et l’agent du Mossad, Béate Akerman, sont à la recherche de Tumbler et de Sonny, ils aboutissent dans un curieux village digne d’un tableau bavarois, mais ce pittoresque village se révèle totalement déserté. Pourquoi ?...
Là, on ne peut que rester interloqué tant le scénario regorge de trouvailles et surprises. Assurément, Zumbiehl et Marniquet ont pour cette fin de cycle lâché les brides. Une technologie démentielle, un faux couple à couper le souffle et une incroyable base secrète… Le Bras au dessin s’en donne lui aussi à cœur joie ! Le lecteur n’est pas happé mais harponné littéralement par ce récit haut en couleur et néanmoins informé, mêlant habilement récit d’espionnage, fiction et Histoire.
Mais, Buck Danny, Sonny et Tumbler arriveront-ils pour autant à faire échouer l’émergence du Quatrième Reich ?
Un volume, et par la même un diptyque de Buck Danny Classic également disponible en coffret, offrant un réel plaisir de lecture !


Gilles Landais

 

« Batman – White Knight – Harley Quinn » ; Scénario de Sean Murphy et Katana Collins ; dessins de Matteo Scalera ; 176 pages, Coll. DC Black Label, Éditions Urban Comics, 2021.

Et si vous découvriez une nouvelle lecture de l’univers de Gotham ? C’est ce que nous propose ce nouvel album « Batman – White Knight – Harley Quinn », troisième récit de la saga « White Knight » signé pour le scénario par Sean Murphy en duo, ici, avec la romancière Katana Collins et Matteo Scalera pour les dessins.
Une série de meurtres d’anciennes vedettes du cinéma conduit le GCPD et le FBI à consulter une psychiatre spécialiste des criminels. Celle-ci n’est autre que Harleen Quinzel devenue mère célibataire de deux enfants après la disparition de son compagnon Jack Napier et l’incarcération de Bruce Wayne. Mais, son passé de criminelle va ressurgir au fil de l’enquête obligeant Harley Quinn à réapparaitre…
C’est, en effet, une lecture originale et captivante de l’Univers du Chevalier Noir que poursuit avec ce nouvel album Sean Murphy après « Batman White Knight » et « Batman – Curse of White Knight ». Un Sean Murphy accompagné pour l’occasion – une première ! – de la prolifique romancière américaine Katana Collins. Pour cela, Harley Quinn revient au centre de la scène avec une nouvelle approche ou psychologie plus moderne. Le lecteur découvrira ainsi comment Harleen a rencontré Jack Napier avant que celui-ci ne devienne le Joker. Une histoire aussi émouvante qu’époustouflante, mettant au centre du Gotham Harley Quinn, parfaitement rendue pour cet album par Matteo Scalera. Des dessins, séduisants, attachants, très réussis sans rupture avec les volumes précédents mais avec la griffe Matteo.
Avec ce dernier tome, c’est tout l’univers du Gotham qui se déploie ou plutôt se redéploie à merveille. Car, Harleen pourra-t-elle reprendre son destin en main ? Deviendra-t-elle la justicière qu’il manquait à Gotham ?

Gilles Landais

 

« DCEASED – Tome 2 » ; Scénario de Tom Taylor; Dessin de Trevor Hairsine; 208 pages, Coll. DC Deluxe, Éditions Urban Comics, 2021.

Suite directe de « DCEASED », ce sont Tom Taylor et Trevor Hairsine, duo de choc, qui signent une nouvelle fois l’album de cette fabuleuse série.
Une suite qui était plus que vivement attendue et dans laquelle le lecteur retrouvera tous les ingrédients qui ont fait le succès de « DCEASED ».
Avec ce nouveau tome, nous retrouvons nos héros DC, des héros rescapés d’une Terre annihilée par l’équation d’Anti-Vie de Darkseid. Rappelons que des surhommes infectés par l’Anti-Vie de Darkseid ont condamné la Terre. Celle-ci est devenue un enfer, les infectés se dévorant les uns les autres… Pour survivre, nos héros ont dû quitter la Terre, et se réfugier sur une nouvelle planète, mais là, les choses se compliquent encore… Un signal sonore leur parvient. Devront-ils revenir sur Terre, cet enfer infesté ? Surtout, la jeune génération de justiciers – la Justice league - saura-t-elle, pourra-t-elle redonner de l’espoir à l’humanité ?
Un « DCEASED 2 » offrant une intrigue palpitante qui ne peut que confirmer le succès déjà incontesté de DCEASED et réservant même quelques belles surprises !


Gilles Landais

 

Erre Fabrice - Savoia : « Le fil de l'Histoire raconté par Ariane & Nino - 1939-1945 » ; Coffret 3 volumes, BD, Éditions Dupuis, 2021.

Professeurs et parents se plaignent souvent que leurs enfants de nos jours ne connaissent plus l’Histoire… La série initiée aux éditions Dupuis par Sylvain Savoia et Fabrice Erre viendra à n’en pas douter combler ces lacunes ! Intitulé justement « Le fil de l’Histoire », deux sympathiques personnages Ariane & Nino se chargeront d’accompagner les plus jeunes (et moins jeunes) dans les arcanes complexes de la Seconde Guerre mondiale vue du côté de la France, de la Belgique et de l’Allemagne nazie. Autant rassurer ces jeunes âmes, le récit est clair et limpide, les auteurs étant conscients que ces sujets fort sérieux risquent de perdre leur lectorat. Aussi, cette BD alerte et non dénuée d’humour traite-t-elle de sujets aussi ardus que la défense Maginot, le fameux appel du 18 juin ou encore l’organisation de la Résistance en France, et ce, de manière accessible et plaisante. Le récit se trouve servi par un dessin toujours attractif, sachant capter l’attention des jeunes lecteurs en dispensant l’essentiel et en l’éclairant par des symboles forts grâce au talent des dessins de Sylvain Savoia. Fabrice Erre, professeur d’Histoire-Géographie, sait également transmettre sa verve pédagogique sous la forme de conversations à la fois brèves et marquantes entre les deux jeunes protagonistes, rappelant les faits et évènements majeurs de cette période tragique et déterminante pour l’Histoire du XXe siècle.
Une initiative remarquable à encourager et une idée cadeau plus qu’intelligente !
 

Jules Buissonnet

 

« Les Pharaons d'Alexandrie » de Rafaël Morales, Micheline Pochez (couleurs), Collection : 24X32 (Glénat BD), 240 x 320 mm, 152 p. Editions Glénat, 2021.

C’est à une fascinante plongée dans le monde des pharaons à l’ère ptolémaïque à laquelle nous convie cette somptueuse BD, un récit à la fois historique et servi par un graphisme des plus réussis grâce à Rafael Morales. Ce récit historique agrémenté d’une véritable histoire plonge littéralement en effet le lecteur dans le IIIe siècle égyptien avant notre ère, le récit débutant dans l’antique capitale religieuse de l’Égypte, Thèbes. La beauté des paysages et la précision des détails des palais séduiront spontanément tous les amoureux d’Histoire antique. La mise en couleurs réalisée par Micheline Pochez ajoute à ce charme ancien privilégiant les teintes nuancées aux couleurs trop vives.
Mais cette BD historique et réaliste a surtout le mérite d’offrir une évocation informée de l’Égypte de l’époque ptolémaïque. Une Égypte qui n’est plus celle des pharaons tout-puissants de l’âge classique, mais qui recèle encore de fameux mystères. L’histoire se concentre tout d’abord sur un personnage, Hotep, qui s’apprête à devenir Grand Prophète d’Amon. Mais cet homme soucieux du peuple s’avèrera rapidement un critique fervent des excès du pouvoir et de sa lourde fiscalité. Bien des menaces pèseront désormais sur lui…
Le classicisme de cette BD soignée n’empêchera pas le lecteur de profiter de moments inoubliables de suspens et d’aventures, l’auteur parvenant à ce délicat équilibre d’informer tout en divertissant, et ce de la plus esthétique manière !


Jules Buissonnet

 

« 421 - L’Intégrale -Tome 2 », Éric Maltaite et Stephen Desberg, Éditions Dupuis, 2021.

Il y a plus de quarante ans, une nouvelle série paraissait dans le Journal de Spirou et allait être appelée à un bel avenir. Son nom = « 421 » comme le fameux jeu de dé et matricule de Jimmy Plant, agent secret dans le style british. Éric Maltaite et Stephen Desberg signaient alors avec « L’épave et les millions » le premier opus de cette série qui allait offrir des aventures palpitantes, addict à souhait pour ces récits tenant en haleine le lecteur de la première planche à la dernière bulle !
Couleurs des années 80, actions trépidantes, le style Maltaite-Desberg fait rapidement mouche avec son héros disciple d’un certain James Bond, le nœud papillon en moins ! Ce deuxième tome de l’Intégrale 421 dénote un changement certain de paradigme ainsi que le rappelle la passionnante introduction à cette saga. « Suicides » l’une des histoires, délaisse quelque peu le style « enfantin » pour une touche plus acerbe et contemporaine, n’hésitant pourtant pas à avoir recours à des références littéraires tel le thème de « Suicides » inspiré d’une nouvelle de Maupassant. À mi-chemin entre références historiques et parodies, « 421 » rencontre rapidement un lectorat fidèle et passionné par ces récits ayant de plus en plus recours à des faits d’actualité. Le lecteur du XXIe siècle retrouvera ainsi avec un bonheur et un plaisir sans bornes ce style des années 80 et 90 évoluant au fil des années et des actualités mais toujours fidèle à un dessin infaillible, une mise en planche inspirée et une couleur détonante qui ne laisse pas de place à la grisaille !


Jules Buissonnet

 

« Frank Lee – L’Après – Alcatraz » ; scénario Hasteda ; DessinLudovic Chesnot; 24 x 32 cm; Label 619, 128 pages, Éditions Ankama, 2021.

L’album « Frank Lee – L’Après – Alcatraz » signé par le duo Hasteda / ludovic Chesnot propose une fantastique biographie imaginaire et originale, celle d’un évadé nommé « Frank Lee Morris ». Condamné pour braquage, incarcéré au fameux centre pénitentiaire d’Alcatraz et – précise sa fiche, au quotient intellectuel supérieur. Or c’est de cette prison basée sur l’Île d’Acartraz, l’une des plus sécurisées des États-Unis que Frank Lee va pourtant dans la nuit du 11 juin 1962 réussir à s’évader avec deux complices...
Etrangement, ni le corps de Frank Lee ni celui de ses complices ne furent retrouvés. Présumés noyés, le FBI n’a cependant jusqu’à ce jour jamais cessé ses recherches… Frank Lee ou l’un au moins de ses complices pourraient-ils être encore vivants ? Mais, où et comment ?
Sur la base de ce récit imaginaire captivant, Hasteda offre, ici, un scénario serré, bien construit conduisant de main de maître le lecteur dans ce mystérieux et passionnant thriller. Il faut dire que Hastena n’en est pas – loin de là, à son premier coup de maître ! Ayant rejoint le Label 619 et la Collection Doggy Bags en 2013, il a notamment signé déjà avec Ludovic Chesnot « Napple Squares ». Hasteda livre, ici, avec « Frank Lee – L’Après – Alcatraz » de nouveau un récit original appuyé par les dessins et le style graphique bien à lui de Ludovic Chesnot. Avec une mise en planche et découpage dynamique et efficace, cet album se lit comme un roman, un palpitant roman. Happé, le lecteur est tenu en haleine du début à la fin. Ce récit inédit d’une incroyable évasion mérite assurément d’être découvert avec ses carnets de croquis, ses cartes et bonus !


Gilles Landais

 

« James Cook – Tome 02 – « Aussi loin que possible » ; Scénario de LF Bollée ; Dessins de Federico Nardo ; Cartonné, 24 x 32 cm, Coll. Explora, Editions Glénat, 2021.

Nous retrouvons avec ce second tome, la suite de la biographie du fameux Capitaine James Cook, l’un des plus grands navigateurs et explorateurs maritimes du XVIIIe siècle.
James Cook, Capitaine britannique de la Royal Navy, a en effet consacré l’essentiel de sa carrière à naviguer sur les mers et océans du globe. Excellent cartographe, ses voyages, cartes et découvertes sont demeurés célèbres pour leur portée, notamment ceux réalisés dans l’océan Pacifique. Son premier voyage autour du monde sur le Endeavour sera, en effet, d’un apport considérable pour l’histoire géographique. Lors de ses autres voyages autour du monde, Cook, reconnu de ses pairs fera le tour de la Nouvelle-Zélande et explorera la Nouvelle-Calédonie, étudiera l’Île de Pâques, découvrira Hawaï et s’approchera enfin de l’Antarctique. D’où le titre parfaitement justifié de ce second tome « Aussi loin que possible ».
Ce sont ces extraordinaires et vraies expéditions maritimes ayant scandé la carrière et la vie du célèbre Capitaine Cook qui trouvera une mort tragique aux Îles Sandwiches (aujourd’hui Hawaï) en 1779 que les lecteurs fascinés pourront découvrir dans ces deux formidables albums. Des explorations rendues particulièrement vivantes et grandioses grâce aux dessins travaillés et soignés de Federico Nardo.
LF Bolée et Nardo avec ce diptyque rendent assurément un bel et captivant hommage à ce grand explorateur que fut James Cook. Deux volumes dignes de cette passionnante collection – Explora dirigée par Christian Clot- chez Glénat et consacrée aux plus grands explorateurs.


Gilles Landais

 

« Talleyrand » ; Scénario de Marie Bardinaux-Vaïente et de Waresquiel ; dessins d’Andrea Meloni ; 24 x 32 cm, Coll. Ils ont fait l’histoire », 56 pages, Éditions Glénat / Fayard, 2021.

A noter sur vos tablettes, cette excellente BD historique consacrée à Talleyrand (1775 -1838), l’un des personnages les plus controversés et reconnus de l’histoire de France. Il est vrai que ce personnage, diplomate hors pair, l’un des esprits les plus brillants de son temps traversa bien des régimes, occupa les plus hautes fonctions et sut construire lui-même sa propre légende. Appelé « l’homme aux treize serments » ou le « Diable boiteux » en raison de son pied bot, il connut les plus grands bouleversements ayant marqué la France durant le XVIIIe et XIXe siècle. Abbé de Périgord, agent général du clergé, évêque d’Autun, député en 1789, ministre en 1797 sous le Directoire, menant les affaires extérieures de la France sous le Consulat et l’Empire, ministre sous Louis XVIII, ambassadeur en 1830 à Londres sous Louis-Philippe.
Les auteurs, Marie Bardiaux-Vaïente et l’historien réputé Emmanuel de Waresquiel ont opté pour un focus judicieux : celui des années 1814-1815. Des années cruciales pour la France et l’Europe marquées par le Congrès de Vienne et mettant en lumière bien des facettes du Prince Charles-Maurice de Talleyrand Périgord. Des années mettant face à face également deux grands destins : celui de Napoléon Bonaparte et Talleyrand. Retraçant en quelques planches sa naissance, sa jeunesse, son éducation et sa formation, le lecteur appréciera les cartes et pages historiques signées par l’historien de Waresquiel et données à lire en fin d’album. Une rigueur de traitement que l’on retrouve également avec plaisir dans les dessins soignés d’Andrea Meloni.
Un bel et riche album se terminant sur le Congrès de Vienne, la paix, Louis XVIII et un fameux souper… « Le vice appuyé sur le bras du crime » écrira Chateaubriand dans « Les Mémoires d’outre-tombe »…


Gilles Landais

 

« Morgue pleine » de Doug Headline et Max Cabanes d’après une adaptation du polar de J-P Manchette ; 23.7 x 31 cm, Aire Libre, 2021.

Après la belle réception tant par la critique que par le public de l’adaptation du roman de J-P Manchette « La Princesse du sang » en 2009 (Prix Polar’Encontre 2010 pour le 1er tome), puis de Fatale en 2014 et Nada en 2018, le duo Cabanes / Doug régale une nouvelle fois ses lecteurs avec « Morgue pleine », de nouveau une adaptation d’un polar de Jean-Patrick Manchette ; un polar teinté de comique offrant, ici, un superbe album délirant et absolument captivant.
En 1975, à Paris, années seventies s’il en est, Eugène Tarpon établi en détective privé après une bavure dans la police a décidé un soir sombre après quelques verres de lâcher également son nouveau métier pour retourner chez sa mère en province. Mais, au beau milieu de cette nuit mémorable, une jeune femme en état de choc, Memphis Charles, se présente à sa porte totalement bouleversée. Sa colocataire a été égorgée et elle pense que la police va l’accuser. Eugène Tarpon, toujours prêt à venir en aide, va bien sûr se porter à son secours…
On l’aura compris, Eugène Tarpon est un brave type, serviable et prêt à aider ceux qu’il juge les plus faibles. Pris dans une avalanche d’évènements, cela donne une enquête à couper le souffle parfaitement menée tant par le scénario serré que par le graphisme et les couleurs de Cabanes, ici, en duo de choc avec Doug Headline. Une maîtrise et belle adaptation de Manchette. Mais pouvait-on en douter lorsque l’on sait que Doug Headline est le fils de Jean-Patrick Manchette (1942-1995) ?
Les planches et dessins- entre réalisme et caricatures - travaillés, soignés et dynamiques entraînent son lecteur à tout coup sûr dans un tourbillon et un beau suspens.


Gilles Landais

 

« Ciel sans pilote - Tome 2 - Le crépuscule des V1 », Wallace (scénario), Stephan Agosto (dessin), Ketty Formaggio (couleurs), 240 x 320 mm, 48 pages, Éditions Zéphir, 2021.

Le ciel de l’année 1944 s’assombrit plus encore entre la France et l’Angleterre lorsque les Allemands réussirent à inventer des engins volants sans pilote, entre bombe et avion, lancés à toute vitesse pour mettre le régime anglais à genoux… Il en fallait cependant plus pour abattre le courage de Churchill et de toute une nation derrière lui unie pour lutter contre l’ennemi. C’est cette lutte de vitesse contre une menace imminente qui forme la trame historique et bien réelle de ce second tome de « Ciel sans pilote » sous la plume inspirée de Wallace, passionné d’aviation et d’histoire militaire.
Dans cet album, Louise Simon, ingénieur chimiste, et Doug Hunter, un pilote de chasse talentueux, vont unir leur force pour trouver une solution à ce péril V1 risquant de complètement anéantir la capitale anglaise… L’objectif était d’avoir recours à des bombardiers bourrés d’explosifs et chargés de détruire les sites de lancement des V1 sur les côtes françaises. La première planche donne la tonalité de cette BD au rythme effréné, avec ce vrombissement assourdissant d’un V1 lancé à toute vitesse du nord de la France et avec comme direction… l’Angleterre !
Les traits lacérant le ciel, les éclairs et explosions laissent une petite idée de l’enfer vécu par les Londoniens recevant ces bombes d’un nouveau genre. Wallace parvient dès les premières pages à tenir le lecteur en haleine, d’autant plus que le dessin de Stephan Agosto appuie encore cette action effrénée avec des angles et des effets graphiques impressionnants. La couleur retenue par Ketty Formaggio ajoute à la réussite de cette aventure à couper le souffle avec des ciels crépusculaires, des bleus de toute beauté en une alternance à la fois tranchée et harmonieuse.
Une réussite en attendant la suite et fin de ce cycle dans le prochain tome !

Jules Buissonnet

 

« Batman : Trois jokers » ; Scénario de Geoff Johns ; dessins de Jason Fabok ; couleurs de Brad Anderson ; 176 pages, Coll. DC Black Label, Editions Urban Comics, 2021.

C’est un évènement attendu qui vient marquer le monde du DC Comics avec la parution chez Urban Comics de « Batman : Trois Jokers ». Un incroyable album signé Geoff Johns et Jason Fabok revenant non seulement sur les récits les plus plébiscités du Joker, mais offrant, aussi et surtout, une lecture renouvelée et originale des nombreuses et multiples facettes de cet effrayant personnage qu’est le Joker. Et si, derrière tout cela, il y avait en vrai « Trois Jokers » ?
Car, l’album propose sous la signature de Geoff John une lecture inédite, originale et choisie. Une approche parfaitement maîtrisée et mise en valeur par le fabuleux graphisme de Jason Fabok, sans oublier pour les couleurs Brad Anderson. Ainsi que le souligne Geoff John : « Je l’ai dit de nombreuses fois mais Jay (Fabok) et moi tenions à raconter la meilleure histoire du joker possible. Nous voulions qu’elle soit émouvante, surprenante et sérieuse… ». Défi relevé !
Un album fétiche qui s’imposait, il faut l’avouer, tant certains récits du Joker ont marqué les mémoires et rencontré un succès jusqu’à présent jamais démenti. Telle la toute première rencontre du Joker avec Batman, une rencontre mémorable remontant, eh oui !, déjà à 1940. Mais les auteurs ont aussi retenu pour emblématiques les récits de « The Killing » ou encore d’« Un Deuil en famille ». «Trois jokers » offre ainsi toute la force imaginative et la puissance créatrice du DC Comics et révèle tous les visages de la folie du Joker. Le lecteur pourra aussi découvrir une extraordinaire galerie des différentes couvertures et visages accordés au Joker. Ce plus vilain et effrayant des personnages, « irrécupérable » selon Geoff John lui-même, et dont on découvre, ici, estomaqué les coulisses !
À souligner que cet album déjà présenté – à juste titre – comme culte bénéficie parallèlement d’une belle édition limitée accompagnée d’une carte à jouer et proposée sous trois couvertures différentes.
Un album formidablement incontournable ! Et un bel hommage pour les 80 ans du Joker.
À vos marques, donc !


Gilles Landais

 

« Surcouf - Tome 4 - Par-delà toutes les mers », Arnaud Delalande, Érick Surcouf, Guy Michel, Coll. 24X32, Editions Glénat BD, 2021.

Avec ce quatrième tome prend fin l’extraordinaire aventure du plus connu des corsaires, une histoire d’autant plus véridique que le véritable descendant du célèbre aventurier - Érick Surcouf - se trouve parmi les signataires de cette BD haute en couleurs !
Au début du XIXe siècle, en 1801 précisément, Surcouf et son équipage regagnent les côtes françaises après une trêve avec les Anglais. Place aux amours et à la main demandée de Manon pour un peu de repos bien mérité… Mais malheureusement cette accalmie sera de courte durée et l’esprit belliqueux ayant repris, le bruit des canons et de la poudre se fait de nouveau entendre. Le Tigre des mers devra oublier quelque peu ses aspirations au calme et reprendre du service pour de nouvelles aventures avec le projet d’un nouveau navire au nom redoutable « Le Revenant ».
Ce scénario de main de maître coupe littéralement le souffle, faisant alterner périodes sur terre et navigations des plus inspirantes sur de magnifiques gréements ! Le dessin de Guy Michel fait mouche à chaque coup, le vent claquant sur les voiles se faisant presque entendre sur ces planches remarquablement mises en page. Ce dernier volet parvient à accomplir cette gageure de concurrencer les plus grands films de cape et d’épée, une réussite à retrouver au plus vite dans cette aventure épique.


Jules Buissonnet

 

« Chroniques de Roncevaux - Tome 1 - La Légende de Roland » de Jean Luis Landa, Editions Glénat, 2021.

Qui n’a jamais frémi en entendant les terribles récits de Roncevaux, cette épopée qui vit Charlemagne et ses armées protéger l’empire de l’Islam conquérant ? C’est cette chronique haute en couleurs dont s’est saisi Jean Luis Landa, un dessinateur talentueux et déjà auteur d’une BD remarquée « Arthus Trivium ». En ces pages au fracas assourdissant, les armes et le courage rivalisent d’ardeur lors de ces chroniques de Roncevaux. L’armée puissante de Charlemagne est en route vers Saragosse, mais l’empereur trahi va connaître l’un des désastres les plus retentissants de son règne. À partir de cette trame historique et de la fameuse Chanson de Roland narrant ces évènements, Jean Luis Landa bâtit une impressionnante fresque graphique qui happe l’attention du lecteur dès les premières planches. Dans la pénombre et le froid de la forêt de Teutberg, une armée affronte le froid qui se dispute avec la mort. Mais rapidement nous quitterons ces sombres forêts d’Allemagne pour rejoindre l’Espagne et ses terres arides. Là, l’affrontement attend les troupes de l’empereur à la barbe fleurie, mais aussi les trahisons. Fracas des armes, heurts des armées, violence omniprésente composent un univers plus sombre que celui de la fameuse Chanson de Roland. Mais la réussite est là : inviter le lecteur à un sombre Moyen Âge captivant par l’écriture et le dessin inspiré de l’auteur de cette BD saisissante !


Jules Buissonnet

 

« Fleur de nuit – Tome 02 – Âmes au crépuscule » ; Scénario Giovanna Furio, Dessins Marco Nizzoli ; 24 x 32 cm, 64 pages, Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.

Le diptyque « Fleur de nuit » est un beau et sombre récit signé Giovanna Furio mettant en scène trois jeunes protagonistes pendant la Seconde Guerre mondiale en Italie : Ester, sœur jumelle de Jacopo et le timide Hans. Les deux jeunes garçons vont en cet été 1933 vivre une histoire d’amour interdit et passionné immortalisé par le drame théâtral écrit par Ester sous le titre justement de « Fleur de nuit ».
Dans ce second tome, Jacopo retrouve, dix ans après, en 1943, Hans à Venise. Mais, Hans est devenu un officier SS ayant pour mission d’anéantir une cellule vénitienne résistante. Impitoyable, Hans entend bien de par son pouvoir éliminer tous ceux qui pourraient connaître et rappeler son passé… En danger, les jumeaux, Ester et Jacopo tentent de fuir en Suisse, mais ils sont arrêtés et emmenés dans une prison dirigée par Hans. Là, attendant d’être transférés dans un camp de concentration, pourront-ils sauver leur vie ?
Un récit bien construit et écrit avec élégance par Giovanna Furio, auteur déjà chez Glénat de « Cœurs Gelés ». Le lecteur y retrouvera sur fond de second conflit mondial les pulsions des plus viles aux plus belles de l’âme humaine. Giovanna Furio livre au travers de ces destins aux « Rêves brisés » (Tome 01) une finesse psychologique pour chacun de ses personnages et leur famille. Une finesse appuyée et servie par les dessins d’un réalisme très soigné et tout aussi élégant de Marco Nizzoli. À ce titre, le sous-titre de ce second album « Âmes au crépuscule » prend tout son sens.
Une atmosphère lourde et oppressante qui happe le lecteur et le hante à l’image de cette tragédie écrite par Ester qui hante encore, dans cette Venise occupée, tous les protagonistes.
Un beau et poignant récit à découvrir dans son intégralité.


Gilles Landais

 

« Télétravail – Nouveau mode d’emploi » ; Scénario de Goupil ; Dessins de Marmou ; Cartonné, 56 pages, Éditions Vents d’Ouest, 2021.

Une BD dans l’air du temps passant au crible le télétravail et qui – enfin - redonne le sourire !
Ne pouvant qu’être signée Jacky Goupil au scénario et Marmou pour les dessins, chacun s’y reconnaîtra ou reconnaitra son conjoint ou l’un de ses proches. Doit-on assortir ses chaussettes à son bas de pyjama ? Est-il plus judicieux d’investir la salle de bain que le cagibi pour télétravailler ?
Se voulant mode d’emploi, cet album sans préjugés ni tabous envisage ce nouveau mode de travail sous tous les angles, des plus avantageux aux plus horripilants avec un seul variant absolu : l’humour, l’humour contre vents et marées ! Bien sûr, cet album a été réalisé – cohérence oblige, en télétravail, précise la quatrième de couverture.
Sourires et rires assurés, et pourquoi en ces temps maussades s’en priver ?!


Gilles Landais

 

« Harmony – Tome 7 – In fine » de Mathieu Reynès, Coll. Tous Publics, 21.8 x 30 cm, 64 pages, Éditions Dupuis, 2021.

Harmony va-t-elle réussir finalement à l’emporter ?
Septième et dernier tome de cette fameuse série, cet album offre avec bonheur sans aucune rupture ou usure, rebondissements, retournements et trahissons restant ainsi dans la droite ligne d’ « Harmony » et de l’état d’esprit de son créateur Mathieu Reynès. Le lecteur y retrouvera sa signature avec des planches et cadrages soignés et ce style bien à lui aussi élégant qu’efficace.
Pour cet ultime volume, c’est vers la Jordanie qu’Harmony, et ses amis, Payne et Karl, partent espérant retrouver le tombeau de Nememtoth, le seul à pouvoir barrer la route à son frère Azhel et à ses sombres projets. Mais, les pouvoirs d’Hamony seront-ils suffisants pour sauver l’humanité ?
Dans cette bataille et cet ultime bras de fer entre le terrible Azhel et Harmony, chaque minute et planche comptent.
Assurément, les aficionados de cette fameuse série regretteront de devoir fermer ce captivant et dernier tome de cette série déjà largement plébiscitée.


Gilles Landais

 

"Pie VII - Résister à Napoléon", Philippe Thirault (Scénariste), Thomas Verguet (Dessinateur), Bernard Lecomte (Conseiller), Coll. Un pape dans l'Histoire, 24 x 32 cm, Éditions Glénat / Cerf, 2021.

Curieux destin que celui de Barnaba Niccolò Maria Luigi Chiaramonti, plus connu sous le nom succinct de Pie VII. Pie VII fut le pape qui assista à l’auto couronnement de Napoléon empereur en 1804 pour l’excommunier quelques années plus tard ! Philippe Thirault et Thomas Verguet avec le conseiller scientifique de cette série, Bernard Lecomte, offrent une BD remarquable qui fera entrer le lecteur dans les arcanes de cette grande et petite Histoire…
Ce récit singulier ne manque en effet pas de rebondissements et de passions… pas toujours catholiques. Les relations tendues entre les deux hommes, entre l’homme d’Église et Napoléon, conduiront même à l’emprisonnement du pape réfugié dans le château Saint-Ange à Rome et réveillé en pleine nuit par des coups de hache portés à sa porte par les forces aux ordres de l’Empereur.
Portée par un style très réaliste, privilégiant les expressions des différents protagonistes, cette BD allie en effet récit historique de grande qualité et action dont cette histoire est loin d’être avare. Des premiers pas, humbles et soumis, du jeune frère Grégoire jusqu’au conclave qui l’élira pape Pie VII, la vie trépidante de ce pape à la fois combattant et intègre passionnera, à n’en pas douter, les amateurs d’Histoire et de BD bien menées !

Jules Buissonnet

 

« Joker vs The Mask » ; henry Gilroy, John Arcudi, Alan Grant, Ramon F. Bachs et Doug Mahnke ; Coll. DC deluxe, 208 pages, Editions Urban Comics, 2021.

Lorsque le destin du Joker croise celui de The Mask, cela donne un incroyable comics !
A l’occasion d’une soirée et d’une expédition punitive au musée de Gotham City, le Joker et Harley Quinn trouvent une mystérieuse relique, un masque ancien de plus de 2 000 ans. Or, ce dernier se révèle être investi des pouvoirs démoniaques du fameux dieu farceur nordique Loki (une découverte qui aurait assurément intrigué le célèbre et regretté historien Georges Dumézil !). Le Joker ne peut dès lors, bien sûr, rester sans agir et user de ces démoniaques pouvoirs…
Que de rencontres dans ce fantastique comics : rencontre des Icônes du DC comics, le Joker, Harley Quinn, Batman et des retrouvailles ou découvertes pour le lecteur notamment de Stanley Ipkiss et de The Mask. Assurément The Mask a bien évolué au gré des influences et des années depuis que Mike Richardson a créé, à la fin des années 1980, son fameux personnage Stanley Ipkiss, incarné sous les traits de Jim Carrey. Eh oui ! Autre rencontre encore, lorsque le dieu Loki croisera en seconde partie de l’album le dernier Czarnien, qui n’est qu’autre que Lobo…
Le lecteur retrouvera avec bonheur en ces fabuleuses planches le style à la fois déjanté de Doug Mahnke pour « Joker vs The Mask », et celui à nul autre pareil de Ramon F.Bachs dans « The Mask vs Lobo ». Pouvoirs extraordinaires, désinhibition, violence, chao et, bien sûr, humour décapant, tout est ici réuni pour faire de cet extraordinaire « Joker vs The Mask » un splendide crossover !
Et vous, que feriez-vous avec de tels pouvoirs ?!


Gilles Landais

 

« Madeleine, résistante » de Jean-David Morvan et Dominique Bertail ; 23,7 x 31 cm, 128 pages, Éditions Aire libre, 2021.

C’est une très belle trilogie que nous livre J.-D. Morvan et Dominique Bertail avec « Madeleine, résistante » chez Aire libre.
Dans ce premier tome – « La Rose dégoupillée »- Madeleine, âgée de 15 ans, est lors de la Seconde Guerre mondiale séparée de ses parents. Atteinte de tuberculose, elle est envoyée seule dans un sanatorium. Là, l’adolescente décidera, malgré la maladie et les obstacles, d’entrer dans la Résistance et prendra le nom de « Rainer » en hommage au célèbre poète Rainer Maria Rilke…
Avec cette trilogie et ce tout premier volume, c’est un beau et touchant témoignage que le lecteur découvrira, celui-là même de Madeleine Riffaud, née en 1924 et aujourd’hui âgée de 97ans. Une mémoire que les auteurs, Morvan et Bertail, ont voulu porter en BD conscients que celle-ci ne devait s’effacer. Avec plus d’une centaine d’heures d’écoute et d’enregistrement, les talents conjugués et complémentaires des deux auteurs révèlent l’héroïsme de Madeleine Riffaud, échappant à la mort, subissant humiliation et atrocités. L’engagement de Madeleine que rien n’arrêtera marquera à jamais sa vie. Plus tard, elle s’engagera également contre le colonialisme. C’est une mémoire vivante, lucide et aiguisée qui nous est livrée en ces pages. Madeleine Riffaud qui deviendra après la guerre grand reporter. Poétesse et écrivain, elle sera l’amie notamment de Paul Éluard, de Picasso ou encore de Hô Chi Minh.
Un bel et grand récit graphique qui ne saurait laisser indifférent.


Gilles Landais

 

« Amen – T.02 – Kurtz, là où rêvent les nébuleuses » de Georges Bess ; 24 x 32 cm, 64 pages, Hors Collection, Comix Buro, 2021.

Après le succès de « Ishoa ou la précession des équinoxes », premier tome de la série « Amen », Georges Bess signe avec bonheur de nouveau, seul en auteur complet, le second et dernier volume de cette captivante intrigue de science-fiction. Une adaptation libre transposée dans un cadre interplanétaire à nul autre pareil et pour laquelle l’auteur s’est inspiré de l’œuvre « Au cœur des ténèbres » du grand romancier, d’origine polonaise mais d’expression anglaise, Joseph Conrad.
Après que les mercenaires de l’expédition Arcadia se soient entretués, et alors que la débâcle est inévitable, un étrange virus se répand. La nourriture manque et plus de la moitié des hommes restants meurent sans qu’aucune trace des deux précédentes expéditions n’ait été trouvée. Néanmoins, Ishoa persévère, bien décidé à découvrir le secret de cette planète Arcadia aux confins de l’univers. Suivant son instinct, il entreprend de suivre dans les plaines désertiques d’Arcadia un mystérieux personnage…
Pour ce deuxième tome, Georges Bess a lâché toutes les brides et confirme son souhait d’inscrire « Amen » dans la veine de Métal Hurlant » et en hommage aux Spaces opera. Violence, fanatismes, complots et réflexions politico-sociales rythment de nouveau avec brio ce second volet servi de mains de maître – tout comme le premier volume – par les dessins époustouflants de Georges Bess. Un découpage parfait et dynamique, des gros plans et des personnages incroyables. Le lecteur se retrouve littéralement une nouvelle fois happé par cet extraordinaire monde et ces fantastiques pages.
Et si le fabuleux secret de la planète Arcadia était un espoir ?


Gilles Landais

 

« La Geste des Princes-Démons – Tome 02 – Malagate le monstre ; Scénario Jean-David Morvan ; dessins Paolo Traisci ; Couleurs Fabio Marinacci ; Cartonné, 24 x 32 cm, 56 pages, Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.
Régal que de découvrir avec ce deuxième tome, « Malagate le monstre », le commencement de cette nouvelle saga « La Geste des Princes Démons » sous la signature de Jean-David Morvan. Un fantastique récit de science-fiction ayant pour inspiration l’adaptation du fameux et incontournable « Prince des étoiles » de Jack Vance paru en cinq volumes de 1964 à 1981. Une passionnante épopée spatiale sans merci.
Kirth Gersen, orphelin, a décidé de venger ses parents sauvagement assassinés par cinq Princes-Démons. « Le Monstre », Attel Malagate, sera sa première cible. Mais pour cela, Kirth Gersen doit avant traverser les galaxies et vaincre bien des obstacles…
Jean-David Morvan, scénariste de BD à succès que l’on ne présente plus, a retenu pour ce deuxième volume un scénario efficace et bien ficelé. A ses côté, Paolo Traisci offre de nouveau pour ce tome des dessins magnifiquement travaillés, un style entre réalisme et fiction maîtrisé et un découpage de planches énergique réussi. Il faut dire que ce duo de choc se connaît depuis de nombreuses années. Un duo associé, ici, comme pour le premier volume pour les couleurs à Fabio Marinacci ; de fabuleuses couleurs tout aussi choisies On le voit, cette première partie a bien des atouts !
Un début galaxique qui appelle indéniablement la suite de cette fantastique saga spatiale.


Gilles Landais.
 

 

« Corto Maltese – Océan Noir » ; Scénario de Martin Quenehen ; Dessins de Bastien Vives d’après Hugo Pratt ; Editions Casterman, 2021.

Hugo Pratt n’est plus mais son personnage Corto Maltese reprend vie à travers la plume de Martin Quenehen pour le scénario et retrouve son charme nonchalant sous les traits de dessins noir et blanc, encrés noir de Bastien Vives. Belle association de deux talents qui ne se sont pas fourvoyés en propulsant Corto Maltese, ce pirate infatigable dans ce nouvel opus « Océan Noir ». Dès la première planche, Corto est en mer à la poursuite d’un homme possédant un livre qui semble être un vrai trésor… « Los commentarios reales origen de los Yncas Roys du Peru ». Mais, que cache réellement ce livre ?
Évidemment Corto décide de prendre la tangente et de partir élucider cette étrange énigme ayant en mémoire le mystérieux mot prononcé dans un dernier souffle par ce japonais que Corto s’était engagé à protéger : callahuaya… Bien sûr dans la pure tradition de ses multiples aventures, rien ne se fera calmement, avec autant de rencontres nécessaires et surprenantes entre le Japon et le Pérou, jusqu’à croiser le chemin de cette vieille crapule de Raspoutine. Cent soixante-six pages et des dizaines de cases dessinées et dialogues qui ne laissent à aucun moment l’envie de fermer cet album sans en connaître la fin. Une fin qui laisse sous-entendre, semble-t-il, que Corto sera de nouveau sur le pont pour un prochain opus…


Sylvie Génot Molinaro

 

« Le Manoir Shéridan – Tome 01 – La Porte de Géhenne » ; Scénario de Jacques Lamontagne ; dessins et couleurs de Yi Ma ; Cartonné, 24 x 32 cm, Colle. 24x32, éditions Vents d’Ouest, 2021.


Nous sommes en 1922 au Québec. Daniel, petit voleur, englouti dans sa fuite avec son traineau dans un lac gelé, échappe à la mort grâce à Angus Mac Mahon qui l’emmène dans son manoir de Sheridan. Là, durant sa convalescence, Daniel va découvrir une aile cachée et fermée du manoir, et la belle Edana, la nièce d’Angus… A-t-il ouvert un monde paradisiaque ou cauchemardesque ?...
On l’aura compris, ce premier volume d’un diptyque développe une ambiance pesante et angoissante digne des nouvelles d’Edgar Poe. Une ambiance fantastique parfaitement maîtrisée par Jacques Lamontagne au scénario et les dessins de Yi Ma. Jacques Lamontagne n’en est pas à son premier album fantastique, il est l’auteur notamment de « Lancelot », « Les Druides » ou encore « Les Korrigans » avant son succès avec « Wild West ». Il livre, ici, un album envoûté à l’image du « Manoir de Shéridan » isolé et des plus inquiétants où défis, pactes, monde parallèle et créatures mystérieuses parsèment les pages… Des pages joliment mises en planches avec les dessins réalistes et les couleurs sombres et choisies de Yi Ma. Des planches qui enveloppent le lecteur pour mieux le transporter dans cette ambiance gothique aux rebondissements et étranges mystères…
Un premier tome prometteur en attendant la suite !


Gilles Landais

 

« La Fille du quai » d’Alexine et Fabrice Meddour ; Éditions Glénat, 2021.

On raconte que celui qui voit « La Fille du quai » sera frappé de malédiction et sera lié à elle pour toujours… C’est sur cette sombre légende qu’Alexine et Meddour ont construit leur album, un thriller fantastique fin et captivant. Il faut dire que l’album présente bien des atouts : angoissant et sanglant liant amour et érotisme… Rien ne semble manquer à cette histoire mettant en scène Haurel, lui qui par malchance a vu encore enfant, un jour, « La Fille du quai » sous son ombrelle. Haurel au destin tragique, lui qu’elle poursuit encore aujourd’hui sensuelle et envoûtante, et que seul Haurel peut voir ; lui, lié pour toujours à elle, jalouse et possessive, jusqu’à ce qu’elle décide de le faire périr…
Un scénario bien construit, écrit à quatre mains par ce fabuleux duo, Alexine / Meddour. Rappelons qu’Alexine est déjà l‘auteur de la série « Sorcières ». Un scénario, qui plus est, ici, très joliment mis en planches par les dessins soignés et couleurs choisies de Meddour.
« La Fille du quai » devrait rencontrer un franc succès.
 

Gilles Landais

 

« Le Monde sans fin » de Jean-Marc Jancovici pour le scénario et de Christophe Blain pour les dessins ; Couv. Cartonnée, Quadrichromie, 196 pages, Éditions Dargaud, 2021.

Un album incontournable proposant une prise de conscience et surtout une compréhension de ce qui nous arrive et de ce qui nous attend et attend la planète d’ici 2050, si... En ce milieu de siècle, la température pourrait, en effet, atteindre les 50 °C… C’est en entendant ces sombres prévisions d’un réchauffement climatique irréversible que le dessinateur Christophe Blain a eu l’heureuse idée de ce super album réalisé à quatre mains avec le spécialiste des énergies et du climat, Jean-Marc Jancovici, pour le scénario. Une réussite !
Jancovici nous raconte avec autant de pédagogie que de passion le monde d’aujourd’hui et de demain avec tous ses enjeux : l’économie, l’énergie, le pétrole, l’écologie… Didactique, usant de métaphores et d’humour, ce dernier nous montre à quel point nous sommes devenus dépendants de l’énergie. Il faut dire que Jancovici connaît mieux que quiconque son sujet : Ingénieur, diplômé de l’École Polytechnique et de l’École nationale supérieure des télécommunications, il est aujourd’hui enseignant à l’École des mines de Paris, préside le think tank The Shift Projet, et est l’un des fondateurs de Carbone 4. Aussi n’est-il pas étonnant que ce dernier nous livre en ces pages avec maîtrise, pédagogie et humour l’histoire énergétique et climatique de notre monde.
Un monde, ici, mis en image avec le talent de Christophe Blain. Pour une fois, le texte s’équilibre parfaitement avec les dessins. Explications, causes et conséquences s’enchaînent dans une redoutable et efficace mise en planche sans jamais perdre son lecteur. Et si c’est une étrange histoire que nous raconte le duo Jancovici / Blain, celle de notre monde, celle “Du miracle énergétique à la dérive climatique”, c’est aussi avec cette conviction et l’espoir que chacun de nous peut encore à son niveau changer le cours des choses.
Un duo de choc pour un très bon album à lire, relire et partager sans modération !
 

Gilles Landais

 

« La Moïra – Tome 01 – La Louve et l’enfant », Adapté des œuvres d’Henri Loevenbruck ; scénario de Lylian ; Dessins de Raka, Couleurs de Sébastien Bouet ; Cartonné, 24 x 32 cm, Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.

C’est une très jolie série « La Moïra » adaptée des célèbres romans fantasy d’Henri Loevenbruck que nous proposent aujourd’hui les éditions Glénat.
Le premier volume de cette Trilogie (« La Louve et l’enfant », « La Guerre des loups » et « La Nuit de la louve »), signé Lylian au scénario et Raka pour les dessins plongera délicieusement le lecteur dans cette ambiance de légendes celtiques, celle de « La Moïra », cette étrange force du destin, capricieuse, offrant ou volant vie et fortune…
Sur l’île de Gaelia, le seigneur noir entend, afin de s’emparer du pouvoir du puissant monarque chrétien, réduire le conseil des Druides. Mais, Aléa, une jeune fille de la rue, trouve alors sur un cadavre une bague aux étranges et mystérieux pouvoirs… ceux notamment qui lui feront rencontrer, Imala, la louve blanche chassée par sa meute mais guidée par un elfe des bois… Sauveront-elles l’île de Gaelia ?
Un univers magique merveilleusement adapté, ici, en bande dessinée avec l’omniprésence d’une voix off tout droit sortie de la célèbre œuvre d’Henri Loevenbruck. La griffe de Lylian, déjà auteur à succès chez Glénat avec la fameuse aventure de « Ewilan », s’impose également pour cet album avec un scénario laissant idéalement l’imaginaire s’exprimer. Un univers fantasy servi par une mise en planche à la fois dynamique, large et grandiose, et rehaussé par les dessins de Raka. Des dessins transportant le lecteur et offrant des personnages attachants.
Un premier album soumis au pouvoir et au destin de « La Moïra » des plus réussis !


Gilles Landais

 

« Robinson à Pékin ; Journal d’un reporter en Chine » d’Éric Meyer (Scénario) ; Dessins et couleurs d’Aude Massot ; Editions Urban graphic, 2021.

C’est une délicieuse BD que nous propose aujourd’hui avec « Robinson à Pékin » la collection Urban graphic. Un récit biographique passionnant conté par le journaliste Éric Meyer et illustré avec beaucoup de talent par Aude Massot.
Éric Meyer s’est, pour la première fois, envolé pour Pékin, le 5 septembre 1987. Pensant y rester quelques mois le temps d’un reportage, il y demeura pourtant plusieurs années… Ce sont ses deux premières années en Chine, années d’émerveillement, de surprises, mais aussi de déracinement que nous relate en ces pages Éric Meyer. Il y vécut notamment, en cette année 1989, « le printemps de Pékin ». On le voit, son acclimatation ne fut pas toujours de tout repos, appuyés par les dessins aussi vivants que tendres d’Aude Massot, le lecteur sourit, rit ou s’émeut avec l’auteur. Une BD offrant un récit autobiographique graphique, un reportage à nul autre pareil sur ce Pékin de la fin des années 80. Un album original instructif et émouvant qui ne saurait laisser indifférent.
À découvrir au plus vite !


Gilles Landais

 

«  Philosophix » d’Étienne Garcin et A. Dan, Editions Les Arènes, 2021.

Étienne Garcin spécialiste de la philosophie romantique s’est associé aux talents de A. Dan, auteur de BD et illustrateur pour nous livrer dix histoires sur la pensée philosophique. Le défi n’était pas mince tant cette discipline ne se prête guère aux images en raison des abondants concepts qui la caractérisent. Et pourtant les auteurs de cette BD font la démonstration inverse. Ils ont su retenir dix grands concepts passés à la postérité tels le fameux mythe de la caverne de Platon, le bateau de Thésée, la sandale d’Empédocle, les poires d’Augustin ou encore le roseau de Pascal pour amener le lecteur aux éléments essentiels de ces leçons de philosophie. Le propos est clair, allant droit à l’essentiel et épurant tout développement accessoire. Si les puristes s’inquiéteront d’une trop grande simplification, la démarche fait mouche en familiarisant le lecteur à ces leçons essentielles de vie et susciter par la suite la curiosité d’aller découvrir les œuvres originales. Une réussite tant pédagogique que graphique.

Jules Buissonnet

 

« Vague d’Amour » de François Ravard ; Préface d’Aurélie Valognes ; Éditions Glénat, 2021.

C’est un délicieux album dédié avec humour à la Bretagne que signe François Ravard chez Glénat, un auteur plus que salué, signant de nombreux albums régulièrement primés. La griffe de François Glénat ? Des aquarelles pleines de tendresse et de sourires, telle cette « Vague d’Amour » de la couverture.
L’amoureux de la Bretagne y retrouve avec plaisir ou nostalgie ses couleurs inimitables, son climat et ses ambiances, cette poésie que François Ravard sait si bien nous murmurer. L’humour y est distillé avec doigté, que ce soit « La Parisienne » en villégiature, « L’Élégante » classique bretonne, nos ados ou ces amoureux au pur clair de lune breton. On sourit devant cette délicieuse et cocasse « Sieste malouine »…
Chaque page est un régal, une « Vague d’Amour » ou de vie ! Ainsi que le souligne Aurélie Valognes dans sa préface : « Dans chacune de ses aquarelles, François détricote le temps qui passe. Il raconte la vie ordinaire, il évoque les risques existentiels, les absurdités contemporaines et les angoisses universelles de l’humain. »
Un merveilleux album qui réjouira assurément grands et petits, à partager !

Gilles Landais

 

« Jim Hawkins – tome 3 » de Sébastien Vastra ; 24 x 32 cm, 64 p., Éditions Ankama, 2021.

A noter sur vos tablettes, la sortie de « A cros et à sang », troisième et dernier tome de la fameuse trilogie « Jim Hawkins » chez Ankama. Les amateurs retrouveront dans cet ultime volume tous les ingrédients ayant fait le succès des précédents tomes. Une mise en planche dynamique et des plus efficaces offrant un scénario serré pour déchiffrer la fameuse carte et retrouver enfin le trésor. Une carte fort convoitée notamment par le terrible Kong John Silver qui entend bien user de tous les moyens pour barrer la route à Jim Hawkins… Mais sont-ils réellement les seuls sur cette étrange île ?
Sébastien Vastra, en auteur complet, a donné avec bonheur libre cours à son imagination pour cette trilogie inspirée librement du célèbre roman « L’Île au trésor » de l’écrivain et grand voyageur écossais Stevenson. Une vision subjective toute personnelle offrant au lecteur une chasse au trésor passionnante et captivante avec ses personnages entre animaux, hommes et monstres. Il faut dire que l’auteur avoue avoir été nourri dès sa plus tendre enfance par les plus grands classiques en la matière, Edgar Poe, Melville, Sherlock Holmes, Jules Vernes, Dumas et tant d’autres…
Soulignons, enfin, pour une plaisante idée cadeau que les trois volumes de «Jim Hawkins » viennent d’être réunis en coffret en tirage limité.


Gilles Landais

 

« La dernière Ombre – Tome 01 » ; Scénario de Denis-Pierre Filippi ; Dessins et couleurs de Gaspard Yvan ; Cartonné, 24 x 32 cm, 48 p., Coll. 24 x 32, Éditions Vents d’ouest, 2021.

C’est un très joli et passionnant album que nous proposent avec « La dernière Ombre » Denis-Pierre Filippi et Gaspard Yvan aux éditions Vents d’Ouest.
Durant la Première Guerre mondiale, Zvoga, ancien capitaine, envisage une halte et un temps de repos dans un manoir pour ses soldats, les blessés, des civils dont ses deux filles. La Baronne des lieux ne semble pas cependant les accueillir à bras ouverts, et pour cause puisque cette dernière cache un secret… mais il y a dans ce manoir isolé peut-être encore plus extraordinaire…
Avec ce volume, premier d’un diptyque, Denis-Pierre signe un scénario captivant sur les tourments et traumatismes de la guerre et sur la force de résilience de l’imaginaire. Un thème fort qui ne déplairait pas assurément à Boris Cyrulnik. Le lecteur plonge littéralement dans ce climat inspiré notamment par « le labyrinthe de Pan ». Une ambiance russe enveloppante appuyée avec merveille par les dessins, paysages et personnages de Gérard Yvan. Des dessins très joliment travaillés et colorés, pour ce jeune dessinateur qui signe avec « La dernière Ombre » sa première contribution BD.
Un album assurément captivant et envoutant qui réjouira bien des lecteurs en attendant avec impatience le prochain tome.
 

Gilles Landais.

 

« La Prière aux étoiles - 1ère partie » ; Serge Scotto, Eric Stoffel, Marko et Holgado ; Editions Grand Angle, 2021.

Les fans de Pagnol, cinéphiles et amateurs de beaux albums se réjouiront assurément de découvrir, pour la première fois, le film « La Prière aux étoiles » de Marcel Pagnol jamais sorti et adapté aujourd’hui avec bonheur en BD.
Rappelons que durant la Seconde Guerre mondiale, face à la pression tant des nazis que des fascistes, Marcel Pagnol vend à Gaumont ses studios et son réseau de distribution. À la même époque, l’écrivain et scénariste détruira également le film qu’il est en train de tourner « La Prière aux étoiles ». C’est ce film inachevé, détruit et inconnu donc du public que les éditions Grand Angle proposent aujourd’hui en BD. Nous devons cette belle initiative à Serge Scotto, Éric Stoffel, Marko et Holgado. Une réussite à 16 mains ! Serge Scotto et Éric Stoffel en qualité de scénaristes n’en sont pas, il est vrai, à leur première adaptation des œuvres de Pagnol en BD aux éditions Grand Angle. Marko, storyboardeur, et Holgado, dessinateur, ont pour leur part signé déjà ensemble la série « Verdun » avec Jean-Yves le Naour au scénario.
Le film « La Prière aux étoiles » n’est pas sans rappeler la vie même de Marcel Pagnol. Un amour tumultueux, peut-être celui qu’il vivait à l’époque avec Josette Day. Nicolas Pagnol dans son édito souligne : « L’auteur se livre tout entier dans ce récit…identifié par Frédéric, amour transi, trahi et déçu, et par Dominique, créateur en proie aux doutes dans ses choix ». Ce film détruit et perdu par Marcel lui-même marquera une période noire pour l’écrivain et le réalisateur, ce dernier perdant en ces sombres temps d’occupation sa compagne, ses sociétés et ce film.
Un film que les lecteurs retrouvent enfin aujourd’hui avec des dessins et décors stylisés, épurés fonctionnant à merveille et offrant des ambiances plus que réussies.
Assurément, un beau et inédit premier album qui ne peut qu’être salué en attendant impatiemment la suite…

Gilles Landais

 

 

« Nautilus - Tome 01 » ; Scénario de Mathieu Mariolle ; Dessins de Guénaël Grabowski ; Couleurs de Denis Béchu ; Cartonné, 24 x 32 cm, Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.

A découvrir au plus vite le premier volume de cette toute nouvelle série dénommée « Nautilus » ; Un premier tome passionnant d’un récit d’espionnage trépidant laissant présager une série des plus prometteuses.
En 1899, sur fond de guerre d’espionnage entre l’Empire britannique et la Russie tsariste, un paquebot anglais sur lequel se trouve, bien malgré lui, Kimball O’Hara, un agent des services secrets britanniques, est pris pour cible d’un attentat. Kimball O’hara est très vite désigné comme le coupable. Pour prouver son innocence, Kim doit dès lors absolument retrouver des documents secrets gisants dorénavant au fond de la baie dans l’épave du paquebot. Mais, seul un homme au monde est capable de plonger aussi profondément, Némo, et ce grâce à son super sous-marin, le Nautilus… Une série non sans clins d’œil au célèbre ouvrage « Vingt mille lieues sous les mers » de Jules Verne.
C’est Mathieu Mariolle, auteur notamment chez Glénat de « La voie du Sabre » et de « Dans la paume du Diable », qui signe le scénario de ce premier album. Un scénario sans temps morts ni répit où s’enchaînent courses poursuites, actions et rebondissements. Rien n’est épargné au lecteur, pas même des scènes spectaculaires ! Un récit d’espionnage des plus captivants servi, ici, de mains de maître par les dessins de Guénaël Grabowski pour ce premier album dessiné en solo. Une maîtrise, en effet, parfaite rendant à merveille avec les couleurs de Denis Béchu les scènes d’action et la complexité des protagonistes du récit.
Un premier album à ne pas laisser passer comprenant un cahier graphique réservé à cette première édition !

« Nautilus - Tome 02 – Mobilis in mobile » ; Scénario de Mathieu Mariolle ; Dessins de Guénaël Grabowski ; Couleurs de Denis Béchu ; Cartonné, 24 x 32 cm, Coll. 24x32, Éditions Glénat, 2021.

Très attendu, voici le deuxième tome de « Nautilus », une série d’espionnage des plus palpitantes !
Intitulé « Mobilis in Mobile », ce nouvel album met en scène un « nouveau » protagoniste, un agent du gouvernement français, Jean Paillole qui n’est autre en fait que Kimball lui-même. Celui-ci parvient enfin a libérer son capitaine Némo de la fameuse prison russe et le Nautilus peut enfin faire route vers la baie de Bombay afin de récupérer les fameux documents qui innocenteront Kimball. Mais, les choses ne vont pas de soi… L’évasion de Némo fait du bruit, Kimball est traqué et, qui plus est, l’entente entre ce dernier et son capitaine devient de plus en plus tendue. Qui trahira l’autre ?
Signé de nouveau pour le scénario Mathieu Mariolle (auteur chez Glénat de « La voie du Sabre » et « Dans la paume du Diable »), le lecteur retrouvera, ici, ce rythme effréné, cette course poursuite sans merci et un quadrillage serré sur fond d’espionnage. Des ingrédients efficaces et bien menés ayant déjà marqué avec succès le premier volume de la série.
Le lecteur est une nouvelle fois happé et tenu en haleine par ce récit d’espionnage haut en couleur et rebondissements. Largement inspiré de Jules Verne, le récit permet également une nouvelle fois au dessinateur Guénaël Grabowski de développer toute son expression avec des scènes grandioses et de splendides fonds marins.
A noter que cet album, à l’instar du premier volume, comprend un cahier graphique réservé à cette première édition.
Un impressionnant « Mobilis in mobile » !
 

Gilles Landais

 

« Ravage –Tome 3 » ; Scénario de Jean-David Morvan ; Dessins de Rey Macutay ; Couleurs de Walter ; Cartonné, 24 x 32, 48 p., Coll. 24 x 32, Éditions Glénat, 2021.

Beaucoup auront plaisir à retrouver en BD cette attrayante adaptation de « Ravage », la célèbre œuvre atemporelle de l’écrivain français René Barjavel parue en 1943. Largement saluée par la critique, Jean-David Morvan, auteur notamment de « Sillage » ou encore de « Zaya », accompagné de Rey Macutay au dessin signent aujourd’hui le troisième et dernier tome de cette fantastique adaptation moderne plus que réussie.
Les lecteurs y retrouveront, suivant en cela le roman d’anticipation de Barjavel, le naufrage d’une société suite à l’arrêt de l’électricité et des machines et, ici, des technologies. Anéantie, l’humanité sombre alors dans un total chaos. Société inhumaine, chacun survit comme il peut. Mais, si François, personnage principal du roman, n’a pu hésiter à accomplir les pires actes pour sauver les siens, ce dernier en vient cependant à se demander si ce cataclysme ne serait pas une punition encourue par cette société aveuglée par le progrès…
Avec un scénario choisi et serré, Jean-David Morvan laisse les protagonistes du roman parcourir les routes constatant violence et actes sans merci, mais aussi au fil des planches ce que le monde peut avoir gardé et peut encore offrir de meilleur. Un scénario qui s’appuie avec bonheur sur une mise en page dynamique et les dessins travaillés, pensés et réalistes de Macutay sans oublier les couleurs sombres de Walter.
Bien que donnée comme une œuvre de science-fiction située par Barjavel en 2052, cette œuvre trouve aujourd’hui notamment dans cette adaptation toute son actualité et toute sa pertinence. Soulignons cependant que René Barjavel ne s’opposait nullement à tout progrès, mais conscient des dérives possibles a toujours souhaité mettre en évidence ses limites, surtout en cette seconde moitié du XXe siècle marquée par l’exode rural.
Un tome 3 qui vient clore avec brio et espoir cette adaptation de la fameuse œuvre de Barjavel.


Gilles Landais

 

« DOGGYBAGS ONE-SHOT D.O.G. »; Scénario de Mud, Dessins et couleurs de Prozeel; 20 x 28 cm, 104 p., Coll. Label 619, Editions Ankama, 2021.

Avec « DOGGYBAGS ONE-SHOT D.O.G. », l’incontournable Mud signe un nouveau scénario de cette collection qui a su depuis 2018 avec ses quatre volumes s’imposer et enthousiasmer plus d’un lecteur.
Dans ce nouvel album, nos cinq compagnons se retrouvent englués dans une guerre civile. Pris au piège, unis par un survivalisme marqué, ces derniers ne peuvent qu’attendre avec leurs souvenirs et passé que les choses tournent… Un huis clos des plus oppressants.
Avec un scénario aussi trépidant que désespéré, mené tambour battant, dans un climat oppressant à souhait sur fond de coronavirus et de survivalisme, Mud signe et persiste – et c’est tant mieux – avec maestria dans cet esprit rock qui le caractérise. Toujours accompagné de l’inséparable Prozeel pour les dessins et couleurs, ce nouveau volume offre un récit sans répit à l’image de sa dynamique mise en planches. Les portraits des protagonistes croqués à forts traits par Prozeel demeurent incomparables d’expression et d’une efficacité redoutable.
Bref, rien ne semble avoir été laissé au hasard pour ce cinquième volume, action, rebondissements et retournement de situation. Les aficionados de comics et plus particulièrement de « DOGGYBAGS » ne pourront assurément que se régaler… Un duo Mud / Prozell qui a fait ses preuves et fonctionne, il faut l’avouer, à merveille.


Gilles Landais

 

« Batman Mythology – Bruce Wayne » ; Collectif, Coll. DC Deluxe, 296 p., Éditions Urban comics, 2021.

Les aficionados de Batman se frottent les mains ! La toute nouvelle, mais déjà très plébiscitée, collection « Batman Mythology » s’enrichit d’un nouveau et troisième titre « Batman Mythology – Bruce Wayne ». Un titre des plus prometteurs…
L’album livre en effet au lecteur les histoires relatant les secrets de la jeunesse et de la vie privée de Bruce Wayne. Et que de découvertes ! Car sait-on vraiment qui se cache derrière ce fameux playboy milliardaire, mondain et philanthrope ?
Qui plus est, ce recueil anthologique dédié aux origines et à l’univers du Chevalier Noir est signé de prestigieux et noms incontournables, tels que Alan Grand, Roy Thomas ou encore Dick Giordano. Avec plus d’une quinzaine d’histoires, dont certaines totalement inédites, c’est un album à la fois passionnant et suscitant avec de belles surprises du début jusqu’à la dernière planche une belle curiosité. Que de secrets dévoilés au gré des récits avec toujours ces dessins et traits si réalistes qui ont fait la réputation de Batman.
A l’évidence, une série anthologique dédiée au Chevalier Noir qui s’imposait parallèlement à la fameuse série « Batman Arkham » consacrée pour sa part aux principaux vilains de l’univers de Batman. Comment résister ?


Gilles Landais

 

« Ludwig et Beethoven » de Mikael Ross ; 196 pages, Quadrichromie, Éditions Dargaud, 2021.

Mikaël Ross est l’auteur d’un album singulier et passionnant sur le génial compositeur allemand Ludwig von Beethoven. C’est à la jeunesse du musicien et naissance de son génie auxquelles s’est attaché l’auteur en un récit à la fois fidèle et libre sur certains aspects.

L’histoire débute en 1778 par quelques planches épurées et au dessin minimaliste. Trois enfants jouent dans la neige, l’un d’entre eux se nomme Ludwig, Luddi pour ses compagnons, déjà un enfant prodige appelé à un grand destin… Le fil de l’histoire et de l’Histoire est servi par un style direct et incisif, Mikaël Ross sait bousculer les icônes et certaines irrévérences émaillent le récit pour le plus grand plaisir du lecteur. Mais cet album parvient rapidement à esquisser les grandes lignes de la naissance d’un génie avec la chance qui croise son chemin et le conduira jusqu’aux premiers succès publics, la rencontre avec le comte von Waldstein, puis le grand compositeur Joseph Haydn.

On s’amuse et on s’instruit en tournant les pages de ce volumineux récit graphique. Le XVIIIe siècle apparaît sous d’autres traits que ceux habituellement livrés dans les manuels d’histoire et surtout ces pages abondent de musiques, suggérées habilement mais omniprésentes.

Émotions et expressivité rythment les pages captivantes de ce bel album signé Mikaël Ross qui ne demande qu’une chose : la suite de cette passionnante histoire !

Jules Buissonnet

 

 

« Télémaque - Tome 4 - L'impossible retour" de Kenny Ruiz et Kid Toussaint, BD, Éditions Dupuis, 2021.

C’est malheureusement, avec ce tome 4, la fin de la passionnante épopée de Télémaque, le célèbre héros antique, fils du grand guerrier Ulysse… Si l’histoire est connue avec Homère et l’Odyssée, elle prend une autre saveur sous le trait et scénario de cette BD inspirée. Kenny Ruiz et Kid Toussaint ont en effet associé leur art afin de faire revivre cette grande fresque antique où guerres, aventures, mais aussi humour alternent avec bonheur.

La quête de Télémaque relèverait presque de la psychanalyse puisqu’il part à la recherche de son père, Ulysse, qui peine à retrouver son royaume Ithaque et dont la célèbre épopée « L’Iliade » narre les aventures. Mais, pour Télémaque, la grande histoire s’efface avec un personnage un brin maladroit et quelque peu prétentieux. Le lecteur ne devra pas s’étonner en découvrant les planches pleines de vie et de fracas si l’évocation mythologique a quelque peu été revisitée par nos auteurs ! Les couleurs abondent pour un récit enlevé et l’action ne tarit guère avec ce dernier opus qui lève le voile sur l’envers du décor… Mêlant à la fois des sources avérées du grand récit homérique et une propension à la dérision et à l’humour, « Télémaque » ravira petits et grands, une belle invitation à découvrir l’original dans Homère !

Jules Buissonnet

 

 

« Vei » de Sara B. Elfgren et Karl Johnson ; 18,3 x 26 cm, 344 p., Coll. Ankama BD, Editions Ankama, 2021.

C’est un fantastique album puisant sa toute force dans la mythologie scandinave que nous proposent les éditions Ankama ; Un vent venu du nord pour un volume néanmoins haut en actions et couleurs !
Vei, sauvée de la noyade, a été élevée dans le monde des Géants de Jötunheim. Jeune femme, elle est choisie selon un rituel pour combattre l’armée des guerriers des Ases dont le roi n’est autre qu’Odin. Vei réussira-t-elle à vaincre et sauver ainsi son peuple ? Réussira-t-elle à s’imposer comme championne et permettre ainsi le contrôle du monde humain, Midgard ?
Un album écrit et illustré à quatre mains par le duo Sarah B. Elfren et Karl Johnson, auteurs déjà de « The Tales from Engelsfors » dans la série à succès « the Circle ». Avec une mise en planches pensée et dynamique, des pleines pages envoûtantes et des personnages plus que vivants, les auteurs se sont emparés, ici, des célèbres et incontournables figures de la mythologie et légendes scandinaves, dont l’intrépide Loki et le vilain Odin. Un album qui n’aurait probablement pas déplu au renommé historien Dumézil…
On y retrouve ainsi le caractère puisant et avenant de ces belles légendes et aventures venues du Nord campées dans un décor de l’âge de bronze aux allures babyloniennes. Le lecteur demeure littéralement happé du début jusqu’à la fin de ce fort volume. Dix chapitres d'actions, rebondissements, retournements qui s’enchaînent au rythme effréné des héros et des dieux…
Un bel et haletant album qui ouvre la porte aux fantastiques légendes scandinaves telles que les a traduites en français le regretté Régis Boyer.
 

Gilles Landais

 

« Carthago – Tome 12 – Albinos » ; Scénario Christophe Bec ; Dessins de Ennio Bufi ; 24 x 32 cm, 56 p., Éditions Les Humanoïdes associés, 2021.

Ce douzième tome de Carthago – « Alibinos » - marque à regret la fin des trépidantes aventures de Kane…
Alors que Kane est retenu et utilisé dans des spectacles aquatiques, il demeure toujours recherché par Wolfgang Feiersinger et ses hommes. Une prime est même promise pour sa capture. Une traque sans répits s’organise alors, avec en prime les attaques mortelles et sans merci du fameux mégalodon albinos, cet ancêtre préhistorique du requin.
Pour ce dernier album qui complète le tome 11, nous retrouvons toute la force d’imagination de Christophe Bec au scénario et d’Ennio Bufi pour les dessins. L’univers de Carthago y est plus que jamais au rendez-vous : Le mégalodon albinos, ce prédateur des mers aux attaques mortelles; Feiersinger, le centenaire des Carpates ; Et, bien sûr, Kane, cet hybride dont on ne connaît pas bien les origines…
Un univers à nul autre pareil offrant une nouvelle fois au lecteur d’incroyables courses poursuites marquées par des scènes graphiquement impressionnantes. Avec un scénario effréné, une mise en planche comme toujours des plus dynamiques et des dessins plus que réussis, cet album réserve, en effet, bien des surprises… Car, Kane connaît-il, en fin de compte, cette étrange créature qui fut, il y 12 albums, libérée accidentellement lors d’un forage ? Que signifient ses attaques mortelles et répétées à l’encontre du monde des hommes ?
C’est un ultime album aussi captivant que le fut le tout premier qui vient clore avec maestria cette série des grands fonds fantastique aux accents écologiques nommée Carthago.
 

Gilles Landais

 

« Peter Dillon – L’énigme La Pérouse » de Boris Beuzelin ; Cartonné, 21.5 x 29.3 cm ; 96 p., Coll. Treize étrange, Éditions Glénat, 2021.

Boris Beuzelin s’est emparé de la fameuse et célèbre « Énigme La Pérouse » pour nous offrir chez Glénat un des meilleurs albums de ce printemps.
L’énigme Lapérouse, l’une des plus mystérieuses énigmes de l’histoire des explorations maritimes, a depuis le XVIIIe siècle marqué les mémoires et suscité bien des interrogations. C’est en 1785 que le Comte de La Pérouse, officier maritime et explorateur, est choisi par Louis XVI pour diriger une exploration autour du monde. Projet audacieux, il embarque ainsi au port de Brest avec deux frégates, l’Astrolabe et La Boussole. Mais, en 1788, l’expédition française disparaît mystérieusement au large des Îles Santa Cruz… Cela deviendra la fameuse énigme de la disparition de La Pérouse, surtout lorsqu’en 1826, ayant fait escale dans la baie de Tikopia, l’explorateur et négociant Peter Dillon (1788-1847) découvre sur la poignée d’une épée en argent vendue par un autochtone à un de ses marins une fleur de lys et un matricule…
L’auteur, Boris Beuzelin, est connu en qualité de dessinateur pour ses albums à succès ; on se souvient de la série d’aventure « Le Narval » en 2010 avec Olivier Supiot ou encore de « Les Sanson et l’amateur de souffrances » avec Patrick Mallet en 2019. Pour cet album, le dessinateur Boris Beuzelin opère en auteur complet, et c’est un régal !
Avec un scénario ciselé et des plus serrés, il embarque et entraîne son lecteur sur les traces de La Pérouse, l’une des plus grandes expéditions du XVIIIe siècle, mais surtout l’un des plus grands mystères de l’histoire maritime. L’énigme ou plus exactement les énigmes se succèdent, ici, au rythme des dessins, des dessins au graphisme pensé offrant un cadrage remarquable. Le lecteur demeure littéralement happé par ces visages aux traits gras, paysages ou fonds marins et la découverte, bien sûr, par l’explorateur et négociant Peter Dillon de L’astrolabe. Mais comment pourrait-il en être autrement dans ce fabuleux univers de La Pérouse que nous livre dans cet album Boris Beuzelin ?
Et si à cette époque, le mystère de l’autre frégate, La Boussole, reste encore entière (elle le sera jusqu’aux années 1960), reste que le mystère de La Pérouse demeure encore aujourd’hui grâce à ce fabuleux album l’un des plus passionnants récits d’aventure !
 

Gilles Landais

 

« Wild West - Tome 2 - Wild Bill »; Lamontagne - Thierry Gloris, Editions Dupuis, 2021.

Deuxième partie et suite de la sombre saga du Far West, « Wild Bill » transportera assurément le lecteur en un monde hostile et sauvage rendu avec un brio certain par Thierry Gloris et Jacques Lamontagne. Il faut dire que le sujet est prestigieux avec, au premier plan, pas moins que Calamity Jane et Will Bill réunis, une rencontre au sommet pour des as de la gâchette…
L’univers cruel et sans pitié du Far West se trouve particulièrement bien rendu par le dessin alerte et dynamique de Jacques Lamontagne parvenant ainsi à saisir cette force brute des éléments auquel répond la nature tout aussi sauvage des femmes et hommes de cette époque. Les décors de l’Ouest américain rivalisent de beauté et seul le scénario captivant de Thierry Gloris parvient à s’en abstraire quelque peu… Car « Wild Bill » n’est pas qu’une « belle » BD, l’histoire au cœur de cette seconde partie du premier diptyque de cette saga tient littéralement le lecteur en haleine de la première planche jusqu’à la dernière. Nous sommes bien loin des westerns idéalistes des années 50, avec ce nouveau volume, dont le réalisme saisira à coup sûr ses lecteurs !
 

Jules Buissonnet

 

« Plunge » ; Scénario de Joe Hill ; Dessins de Stuart Immonen ; Couleurs Dave Stewart ; 168 p., Coll. DC Black Label, Urban comics, 2021.


À découvrir « Plunge », un excellent thriller d’horreur largement salué par la critique signé Joe Hill. Ce dernier, romancier, est également l’auteur de « Locke & Key » ou encore de « Basketful of heads ».
Au milieu de l’Arctique, au large du détroit de Béring après un tsunami, un signal de détresse par les garde-côtes. Serait-ce l’épave du Derleth, ce navire d’exploration scientifique qui fit naufrage quarante ans plutôt alors qu’il explorait des gisements de pétrole et étudiait de possibles formes de vie rares ? Le capitaine Carpenter et Moriah Lamb, biologiste, sont chargés par un investisseur privé d’explorer et de remorquer le Derleth. Mais cette mission promet bien des frayeurs…
Avec cette plongée plus qu’effrayante, alliant fantastique et horreur, Joe Hill s’impose assurément, de nouveau, en maître de l’horreur. Un genre qui le fascine et dans lequel l’auteur, ici, complet, excelle et complète sa propre collection, « Hill House Comics » au sein du DC Black Label. Loin d’en être à son premier coup de maître, puisqu’il enchaine les succès, Joe Hill a toujours été passionné des films d’horreur des années 80 notamment du cinéma de John Carpenter ou encore des romans de H.P. Lovecraft. Des influences que l’auteur revendique et qui donnent, ici, un album captivant trouvant sa pleine puissance avec les dessins de Stuart Immonen. Des dessins expressifs et forts, tels que nous en a habitués Stuart Immonen, rehaussés par une mise en planche dynamique et fluide plongeant le lecteur littéralement dans l’horreur.
Un thriller fantastique et horrifique qui dans le genre s’impose déjà en album incontournable !


Gilles Landais.
 

 

« Requiem Chevalier Vampire - Tome 09 - La cité des pirates » écrit par Pat Mills et illustré par Olivier Ledroit, Éditions Glénat, 2021.


La désormais classique série « Requiem » fait plonger littéralement ses lecteurs dans le monde trouble et terrifiant de la DarkFantasy…
Ce neuvième opuscule de cet univers à nul autre pareil, né de l’imagination fertile de Pat Mills et de l’inspiration artistique d’Olivier Ledroit, oppose le royaume des vampires à la guilde des pirates en un combat sans merci. Le héros Requiem poursuit sa lutte effrénée dans le chaos de Résurrection, ce monde étrange où tout semble inversé, les terres comme le temps, monde qui se permet en plus d’envoyer des missionnaires sur terre au début des années 70…
Autant dire que dès les premières planches, l’univers fantasmagorique de Requiem troublera plus d’un lecteur, avec cette pénombre stylisée en d’obscurs aplats de bleu nuit d’où des rouges sang ressortent de manière contrastée. Âmes sensibles s’abstenir car la cité des pirates n’est pas de tout repos ! Des vampires assoiffés de sang se jettent sur leurs proies en un récit gothique terrifiant reléguant les histoires de Dracula au titre de contes pour enfants… Les personnages les plus hideux se disputent la prééminence de l’horreur. Des doubles pages phénoménales rivalisent avec les univers apocalyptiques du peintre Jérôme Bosch pour le plus grand plaisir du lecteur.
Tous les sens sont convoqués dans cette aventure haletante, y compris le bruit assourdissant de cette guerre cosmique et des heurts des hordes sauvages. Une fresque impressionnante servie par un dessin étourdissant !

Jules Buissonnet

 

« La Fortune de Winczlav – Tome 01 – Vanko, 1848 » ; Scénario de Jean Van Hamme ; Dessins de Philippe Berthet ; 23,7 x 31,10 cm, 56 p., Éditions Dupuis, 2021.

Et si on vous disait tout sur la fortune de Largo Winch ? C’est ce nous propose aujourd’hui le fameux duo Van Hamme / Berthet dans cette nouvelle trilogie « La fortune des Winczlav ». Trois tomes, trois générations d’une saga familiale à nulle autre pareille qui nous révèlent les origines de la fortune du fameux et si célèbre Largo Winch, entré dans la légende de la BD…
Le premier tome « Vanko – 1848 » de cette série plus que trépidante nous emmène précisément en 1848 à Monténégro. Là, on y retrouve, un jeune médecin qui n’est qu’autre que Vanko Winczlav. Idéaliste, ce dernier devra cependant fuir, après avoir été donné aux soldats, pour avoir pris le parti de l’insurrection des paysans contre le pouvoir tyrannique du prince-évêque. Dans cette fuite effrénée, Vanko rencontrera une jeune esclave bulgare avec laquelle il embarquera pour les Etats-Unis et qu’il épousera lors de la traversée. S’ouvre alors pour les Winczlav un Nouveau Monde en ébullition…
Jean Van Hamme ne signe pas seulement avec le premier volume de cette extraordinaire trilogie un fabuleux scénario, mais retrouve aussi son célèbre héros, imaginé dès 1973, mais créé en 1977 pour six romans et repris avec le succès que l’on sait par son créateur pour le monde de la BD en 1990. Van Hamme offre, ici, une saga familiale aussi trépidante que fascinante révélant à la fois les origines de Largo Winch et celles de sa fortune. Quel lecteur et amateur de ce héros hors norme ne s’est pas déjà interrogé sur les origines de son nom et fortune ?
Accompagné ici avec brio et complicité par Philippe Berthet, on y retrouve également la signature du dessinateur avec ces femmes qui ont fait sa notoriété. En ces planches au découpage serré et construit, il œuvre ici en collaboration de son épouse, Dominique David. Cela donne des dessins au trait vif et alerte qui font vivre, avec le talent qu’on lui connaît, la fabuleuse aventure de la famille Winczlav avec ses ancêtres et la fortune de Largo Winch. Car, la saga familiale des Winczlav, qui deviendra Winch et aux origines de l’empire du célèbre milliardaire humaniste, sera loin d’être un long fleuve tranquille…
Un premier tome, plus qu’attendu, qui se dévore !

Gilles Landais

 

« Les enquêtes de Lord Harold, douzième du nom – Tome 02 – Trois petites souris » ; Scénario de Philippe Charlot ; dessin de Xavier Fourquemin ; Cartonné, 24 x 32, 56 p., Vents d’Ouest, 2021.

Les enquêtes de Lord Harold se poursuivent avec ce deuxième volume aussi pétillant et enthousiaste que notre héros.
Rappelons que dans l’Angleterre Victorienne, le jeune Lord Harold, douzième du nom, a réussi à s’octroyer une petite place au sein même du commissariat de Blackchurch, l’un des plus bas quartiers de Londres. Il est aujourd’hui plus que jamais déterminé à démêler l’horrible affaire du bétail noyé… Une nouvelle enquête commence !
Philippe Charlot, opte de nouveau, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, pour un scénario policier décalé, plein d’humour et de clins d'œil dans cette Angleterre quelque peu étriquée.
Mais, notre jeune Lord arrivera-t-il à déjouer tous les obstacles qui se dressent devant lui et à trouver la solution de l’enquête ? Que ce soit la pègre, la Mystérieuse, plus énigmatique que jamais, ou encore les plus hautes sphères londoniennes, personne ne semble disposé à laisser notre jeune Lord avancer… Surtout pas, semble-t-il, « Trois petites souris »…
Les quiproquos s’enchainent au rythme effréné de cette nouvelle et passionnante enquête servie également pour ce deuxième tome par les dessins de Xavier Fourquemin. Un trait dynamique, des physionomies aussi expressives que loufoques et des sauts périlleux entraînent le lecteur dans cette nouvelle et intrépide enquête.
Une série qui ne manque pas d’atouts et d’humour, à découvrir.
 

Gilles Landais

 

« Ira Dei - Tome 04 - Mon nom est Tancrède" de Vincent Brugeas (Scénario), Ronan Toulhoat (Dessin, Couleurs), 56 pages, Éditions Dargaud, 2021.

Le souffle épique souffle encore avec vigueur pour ce quatrième tome qui clôt le cycle italien d’Ira Dei.
Le héros Tancrède est en mauvaise position. Après avoir été capturé par Hugues, il se trouve aux mains de Guillaume de Hauteville, chef des troupes normandes. Cherchant à réveiller son ardeur guerrière alors que sa situation de prisonnier l’a émoussé, des combats entre prisonniers captifs sont alors organisés. Si le danger rode une nouvelle fois, le héros pourra ainsi faire preuve de son courage et de sa force légendaires. C’est justement cette fameuse vaillance qui maintient en vie Tancrède qui fait l’objet de tant de calculs de la part de ses ennemis…
Avec ce tome 4, Vincent Brugeas, historien de formation, livre un scénario non seulement crédible, mais également passionnant pour son intrigue. « Mon nom est Tancrède » tient en effet en haleine le lecteur pour cette quatrième aventure remarquablement rendue par le dessin de Ronan Toulhoat, aussi habile pour rendre le dynamisme des actions trépidantes, que pour les scènes plus crépusculaires du héros. En une palette de couleurs très contrastées, nous passons des superbes paysages d’extérieur aux sombres ambiances moyenâgeuses du XIe siècle…
Après le cycle sicilien et le cycle italien, le lecteur ne pourra qu’espérer un autre cycle de cette qualité pour le reste de l’Europe du Moyen Âge !
 

Jules Buissonnet

 

« Bartleby, le scribe », Roman graphique de Jose Luis Munuera (Scénario, Dessin), Éditions Dargaud, 2021.

Avant même de se plonger dans la lecture de ce roman graphique adapté de la fameuse nouvelle d’Herman Melville, « Bartleby, le scribe » se présente comme un bel objet que l’on se surprend à caresser de la main avec sa jaquette recouvrant la couverture cartonnée, ces couleurs du temps passé et déjà l’admirable qualité du dessin de Jose Luis Munuera…
Promesses d’instants de plaisir, ce roman graphique s’attaque à l’un des monuments littéraires du XXe siècle avec ce curieux et désopilant personnage de Bartleby, bureaucrate appliqué à ses tâches du quotidien dans le quartier de Wall Street à New York City au milieu du XIXe siècle. Clerc de notaire, Bartleby occupe, en effet, la modeste fonction de copiste d’actes juridiques, mais une tâche qui lui tient à cœur et qu’il accomplit avec la plus grande attention. Une brèche s’immisce cependant un jour dans cette belle mécanique et alors que son patron lui confie une nouvelle mission à accomplir la fameuse phrase qui restera inexorablement associée à Bartleby fuse : « I would prefer not », ce qui traduit en français revient à un refus poli…
Il fallait toute la créativité de José Luis Munuera que nos lecteurs connaissent bien pour se saisir avec talent de ce monument littéraire, sans le dénaturer. En une succession de superbes petites miniatures, le dessinateur parvient à créer un New York à la fois fidèle et repensé au contexte du personnage central. Traits anguleux des visages à l’image des gratte-ciels de la city, atmosphères studieuses qui engloutissent les individualités, tout est posé avec finesse par José Luis Munuera qui parvient par son scénario et son dessin à évoquer ce curieux personnage dans toute sa complexité. Obéissance et résistance passive, collaboration et singularité, fragilité et désespoir rythment en filigrane ce roman graphique de grande qualité. Une réussite !

Jules Bissonnet

 

« Le Sarde » ; Scénario de Loulou Dedola ; Dessins de Lelio Bonaccorso, Couleurs d’Alessandro Buffa ; Cartonné, 24 x 32 cm, Éditions Glénat, 2021.

« Le Sarde », un album noir qui fait plonger son lecteur dans les arcanes les plus sombres de la mafia calabraise et du football professionnel.
Giacomino, dit « Le Sarde », dirige à Lyon au titre de couverture un restaurant branché. En ces lieux, Giacomino sait mieux que quiconque avec grand art y dissimuler ses affaires criminelles internationales. Mais, si tout semble au mieux pour lui dans ce monde, « Le Sarde » cache pourtant au plus profond de lui une blessure inguérissable, celle de la disparition de son frère par la mafia calabraise pour avoir signé sans en avoir référé un contrat avec un club de football. Cependant, un jour voyant un jeune réussir à effectuer une passe dont seul son frère avait le secret, il décide de lui venir en aide et le fait entrer grâce à son réseau dans un centre de formation. Mais, par cette protection, « Le Sarde » se sait maintenant vulnérable et son jeune protégé en danger…
C’est avec un scénario extrêmement bien ficelé que Loulou Dedola fait entrer son lecteur dans ce récit noir relatant le destin d’un malfrat pris à la gorge entre la mafia calabraise et le football professionnel. À ses côtés, le dessinateur Lelio Bonaccorso a su, ici, accentuer avec talent les gouffres de ce récit par ses traits anguleux et ses personnages aux faciès marqués, sans merci ni loi. Une ambiance de polar noir que les couleurs sombres d’Alessandro Buffa viennent accentuer plus encore. La mise en planche choisie et dynamique de cet album de plus de 100 pages tient le lecteur en haleine, pris dans le tourbillon d’une vie marquée par le vice, le crime et cet espoir de rédemption.
Mais, « Le Sarde » pourra-t-il sauver son jeune protégé et lui-même de ces mondes implacables et sans pitié ?
Une BD des plus réussies signée du duo Dedola / Bonaccorso, auteurs ensemble déjà de « 419 African Mafia », et de « Le Père Turc » chez Glénat.
 

Gilles Landais

 

« Mademoiselle Baudelaire » de Bernard Yslaire, Éditions Dupuis, 2021.

Paris, août 1867, au cimetière Montparnasse, on enterre Baudelaire. Là où il est maintenant, tout est-il luxe, calme et volupté ? Loin des souffrances physiques et psychiques… Loin des tortures du monde… Qui lui manquera et à qui va-t-il manquer… A sa mère, madame Aupick, certainement, mais surtout à Mademoiselle Baudelaire, comme signera sa maîtresse, Jeanne, sa Vénus noire, sa muse, au bas de la longue lettre qu’elle adresse à cette femme dans le deuil de son unique fils. C’est là le propos de ce roman graphique, donner la version de celle que Baudelaire a aimée et détestée, dans leurs amours tumultueuses, dans des draps de soie comme dans la pire misère, jusque dans la maladie où chacun a eu sa part de souffrance syphilitique et de déchéance physique. Cette femme, Jeanne, noire, petite actrice et grande prostituée partagera la vie de Charles au grand désespoir de sa mère comme de son beau-père et parfois même aux critiques de ses amis.
Les dessins d’Yslaire pour cet album sont d’une grande beauté et donnent une envolée poétique et dramatique à ce récit quand il le faut. Camaïeux de rouges, de violets, de terre de Sienne, de gris vert selon les chapitres, on avance dans les couleurs comme dans les dessins en suivant les marques d’amour et de haine, inspirant littéralement la poésie, les plus beaux vers qu’inspira Jeanne à Baudelaire. Quelle vie foutraque ils ont vécue, fuyant sans cesse les huissiers, cherchant de l’argent, vivant en marge et sous la tutelle du notaire Narcisse Ancelle, entourés des plus grands artistes de l’époque qui seront réunis sur cette toile célèbre de Courbet, un de ses proches. C’est toute cette vie que Jeanne veut faire connaître à la mère de Baudelaire, toute cette vie de lutte entre les maux et les mots jusqu’à la folie, jusqu’à l’horreur, jusqu’à la mort. Mademoiselle Baudelaire, c’était comme cela que Charles appelait sa divine maîtresse puisque jamais il n’aurait pu espérer lui faire l’honneur de l’épouser… Ce n’est pas un titre, ce n’est pas un héritage, juste la reconnaissance de son existence dans la vie de ce poète dont elle recopiait les vers la nuit. « Madame Aupick, à vous je peux le dire qui me demandez qui je suis. Mais, au risque de paraître orgueilleuse, aucun lecteur n’oubliera jamais la Vénus noire de Charles Baudelaire, la muse immorale, damnée du plus grande des poètes maudits. Oui, c’est moi, la belle ténébreuse, cette chère indolente, qui marche en cadence, belle d’abandon, comme un serpent qui danse… »
Bernard Yslaire semble avoir été habité par l’esprit de Jeanne jusqu’à lui rendre sa vérité, sans détour mais avec la grâce de son trait, il nous subjugue dans la beauté comme dans la violence de cette liaison hors du commun et source, deux cents ans après la naissance du poète, d’autant d’interprétations, de commentaires, de littérature autour de son œuvre et maintenant de cette traduction visuelle d’un dessinateur au sommet de son art. Yslaire aurait donc rencontré Baudelaire…


Sylvie Génot Molinaro

 

« Les Dragons de la Frontière – Tome 01 – La piste de Santa Fe » ; Scénario de Gregorio Muro Harriet ; Dessins d’Ivan Gil ; cartonné, 24 x 32 cm, 56 p., Éditions Glénat, 2021.

À découvrir cette nouvelle et palpitante série western, « Les Dragons de la Frontière », menée de main de maître pour ce premier tome par le duo Harriet /Gil.
Nous sommes dans l’Ouest américain, en 1778. Une troupe de cavaliers lanciers espagnole, les fameux dragons de Cuera, sont chargés de surveiller la frontière nord-américaine de l’empire espagnol et d’escorter une caravane de colons et de bétail se rendant à Santa Fe. Parmi eux, un jeune vétérinaire, Miguel, et une religieuse, Madeleine. Mais, celle-ci est capturée lors d’une attaque par les Apaches. Miguel ne peut que se lancer à sa recherche sur « La piste de Santa Fe »…
C’est Gregorio Muro Harriet qui est l’auteur du scénario, un auteur apprécié et bien connu chez Glénat, ayant déjà signé notamment avec succès « Justin Hiriart », « La sueur du soleil » ou encore récemment « La honte et l’oubli ». Il opte, ici, pour une narration dynamique et bien ficelée, renouvelant tout à la fois le genre western tout en conservant ses codes. Une réussite que nombre d’amateurs ne manqueront pas d’apprécier. Rebondissements, drames, honneur et héroïsme, rien n’a été négligé.
Un western servi, qui plus est, avec brio par les dessins d’Ivan Gil. C’est une mise en planche pleine de mouvements et de personnages expressifs pris dans une infernale tourmente de cavalcades dans les paysages du Nouveau-Mexique qui attendent le lecteur.
Car, Miguel se retrouvera, en effet, pris dans une effroyable guerre entre dragons de la Cuera, Apaches et Comanches… Un premier tome digne des meilleurs westerns, et laissant présager un franc succès pour ces « Dragons de la Frontière » !


Gilles Landais

 

« Spoon & White – Road’N’Trip » de Jean et Simon Léturgie ; 48 p., Bamboo Edition, 2021.

Quel immense plaisir que de retrouver sur la grande scène de la BD, Spoon & White, ces incroyables et pires flics newyorkais qui nous ont laissé tant de plaisants souvenirs…
Nos deux fameux inspecteurs de la NYPD (New York City Police Departement) ont fait choix pour ce grand retour de nous redonner à la fois leur première enquête avec « Requiem pour Dingos » et de nous épater avec un nouvel album « Road’N’Trip ».
Pour ce dernier, Spoon a décidé de suivre la journaliste Balconi qui entend réaliser un reportage sur l’exploitation d’une toute nouvelle énergie, le gaz de Shit. Il se retrouve dans la petite ville perdue de Mudtown dans le Kentucky. Et parce que Spoon y a grandi et que sa famille y demeure encore, ce dernier se persuade dès lors que Balconi est venue demander sa main à son père… Une idée des plus farfelues qui le mènera comme toujours à en faire trop et aux pires catastrophes…
Ce sont toujours Simon et Jean Léturgie (sans Yann) qui signent ce grand retour ! Un duo des plus inspiré qui livre ici un album follement drôle et rocambolesque n’ayant rien perdu de l’humour culte de Spoon & White. Deux acolytes que tout oppose et offrant ce piquant loufoque qui caractérise la série. Les deux auteurs avouent avoir un faible pour le personnage de Spoon ; « Sincère dans sa bêtise et (qui) symbolise très bien une certaine idée de l’Amérique : enfantin et surarmé » souligne Simon Léturgie. On y retrouve cette parodie humoristique à nulle autre pareille des films d’action qui a fait le succès de Spoon & white, et les clins d’œil et rires ne manquent pas !
A souligner, enfin, l’insertion pour cet album d’un supplément, un cahier graphique toujours apprécié. Comment dès lors ne pas sourire à ce beau retour de nos deux inspecteurs loufoques préférés « Spoon & White » !


Gilles Landais

 

« Amen – Tome 01 – Ishoa ou la précession des équinoxes » ; Scénario et dessins de Georges Bess ; cartonné, 24 x 32 cm, 64 p., Hors Collection, Comix Buro, 2021.

C’est un captivant et bel album de science-fiction que nous livre de nouveau en auteur complet Georges Bess avec « Amen – Ishoa ou la précession des équinoxes », une série en deux tomes, chez Comix Buro. L’auteur s’est pour cela inspiré de l’œuvre « Au cœur des ténèbres » du grand romancier, d’origine polonaise mais d’expression anglaise, Joseph Conrad ; une adaptation libre transposée ici dans un super cadre interplanétaire.
Alors que la galaxie en son ensemble est ravagée par de terribles et interminables guerres de religion, une planète particulièrement et étrangement – Arcadia – située aux confins de l’univers semble de par ses mystères détenir la solution. Après déjà deux vaines expéditions précédentes, une troisième commanditée par Sir Raleigh y est envoyée composée de frères prêcheurs, d’anciens forçats devenus mercenaires et d’esclaves, mutants et sherpas. Dirigée par le protégé de Sir Raleigh, Ishoa, un Yid, elle a pour mission, outre d’enquêter sur la disparition des deux précédentes missions, de rechercher d’éventuelles richesses minières et surtout d’évangéliser toute forme de vie…
Avec un scénario des plus remarquables de pure science-fiction, un style graphique à nul autre pareil tel qu’en a le secret Georges Bess, ce premier album entraine son lecteur dans un univers inquiétant bien particulier dans lequel se mêlent tout à la fois, complots politiques, violence sociale et fanatisme. S’y trouvent ainsi regroupés de sanguinaires mercenaires surarmés, un clergé fasciste et des dévots plus fanatiques que jamais. Le lecteur ne pourra pas, bien sûr, ne pas faire quelques parallèles… Offrant des protagonistes aux traits, visages et costumes variés et d’un extrême raffinement, des pleines pages et paysages interplanétaires à couper le souffle, Georges Bess a assurément mis de son côté beaucoup d’atouts pour ce nouvel album, tel un hommage aux Space-operas. Végétation luxuriante et oppressante, sols arides et désolés, faune sauvage et surtout folie et suspens… C’est, en effet, un univers littéralement des plus fascinants digne des meilleurs albums classiques de science-fiction dans lequel le lecteur plonge et se retrouve subjugué.
Mais, la dangereuse planète maudite d’Arcadia livrera-t-elle pour autant à Ishoa et Maki (un Mussel) ses secrets ? Pourront-ils y échapper ?
Un album excellent sous la signature de Georges Bess, et pour lequel on ne peut qu’attendre avec impatience le tome 2 !


Gilles Landais

 

« John Tanner, t. 2 : Le chasseur des hautes plaines de la Saskatchewan », Scénario Christian Perrissin et dessins de Boro Pavlovic, Éditions Glénat, 2021.

Après le succès rencontré par le premier album (« John Tanner, t.1 : Le captif du peuple des mille lacs ») déjà consacré à l’intrépide et vraie vie de John Tanner (1780-1845), les aventuriers seront ravis de le retrouver pour un second tome et de connaître la suite de son incroyable destin…
Au tournant du XVIIIe siècle, John Tanner, fils de pasteur américain, eut en effet un incroyable destin puisqu’il fut enlevé par les Indiens à 9 ans et qu’il passa plus de 30 années de sa vie auprès de ces peuples des Grands Lacs du Nord et de la grande nation des Algonquins. Ce destin hors du commun de John Tanner ne fut connu que grâce au docteur Edwin James qui incita fort heureusement, John, devenu adulte et son interprète au Fort Mackinac, à lui conter son extraordinaire vie.
Pour ce second tome, nous retrouvons Christian Perrissin pour le scénario. Un scénario mené, ici encore, de mains de maître et qui suit fidèlement cette passionnante histoire vraie. Dans les grandioses paysages des Grands Lacs du Nord et hautes plaines de la Saskatchewan , paysages plus vrais que nature, la vie et le quotidien des peuples Ojibwé, Ottawa, Cree et la vie du John Tanner se déroulent planche après planche sous nos yeux. Un réalisme rendu admirablement par le duo Perrissin / Boro Pavlovic, les auteurs de El Nino.
La vie de John Tanner servie, en effet, de nouveau par les magnifiques dessins de Boro Pavlovic happe l’imagination du lecteur du début jusqu’à la fin. Car, malheureusement ce second tome de ce récit historique a une fin… En effet, lorsque John eut terminé de conter ses souvenirs de chasseur des hautes plaines de la Saskatchewan en ce fameux été 1827, Edwin James rédigea alors un manuscrit et l’envoya à l’éditeur new-yorkais G. C. & H. Carvill…
Un extraordinaire et vrai roman d’aventure !


Gilles Landais

 

« Les As du Pacifique – t.2 – Gunfight at the OK Corail » ; Scénario de Pierre Veys ; Dessins d’Alberto Lingua ; Couleurs de Rémi Le Capon ; 24 x 32 cm, 48 p., Éditions Zéphir – Dupuis, 2021.

Quel plaisir de retrouver dans une nouvelle et palpitante aventure « Les As du Pacifique » !
C’est, en effet, une nouvelle épopée qui commence pour nos cinq jeunes pilotes débutants. Nous sommes en 1943, la guerre du Pacifique fait rage. Le fameux pilote américain Faust va reprendre le combat. Mais, il n’oublie pas, cependant, qu’il a été abattu au-dessus de la Nouvelle-Guinée alors même que les Japonais fanatisés sont prêts à tuer toute âme vivante de pilote américain. À ce titre, Faust devra s’affirmer, prouver qu’il est le meilleur et le plus performant des chasseurs…
Un deuxième tome intitulé « Gunfight at the OK Corail » qui réjouira assurément les amateurs de l’aéronautique. Avec un scénario informé et documenté, Pierre Veys entraîne, en effet, son lecteur dans un réel combat aérien, un combat à la vie à la mort, surtout lorsque le pilote Faust devra affronter le meilleur pilote japonais. Une aventure pleinement aérienne à laquelle Alberto Lingua donne par ses dessins précis et réalistes indéniablement souffle et vie.
Avec une mise en planche pensée d’une efficacité redoutable, des vues aériennes et de combats plus vrais que nature, sans oublier les couleurs choisies et contrastées de Rémi Le capon, rien ne manque pour cette extraordinaire et nouvelle aventure aéronautique. Nos cinq jeunes « As » des airs s’envolent, évoluent en plein vol, en plein combat, tirent, piquent et virevoltent dans une guerre du Pacifique sans répits et surtout non sans danger…
Un deuxième album plus que réussi qui devrait rencontrer un réel succès.
 

Gilles Landais

 

 “ Batman Arkham – tome 2 - Poison Ivy”, Coll. DC Nemesis, 334 p., Édition Urban Comics, 2021.

La nouvelle et captivante série de Batman Arkham convoquant les plus grands criminels ayant eu l’audace d’affronter le chevalier noir poursuit sa fantastique aventure avec ce nouveau volume entièrement dédié à la redoutable et vénéneuse Poison Ivy.
Protagoniste emblématique de l’univers de Batman, Poison Ivy était une jeune étudiante – Pamela Lillian Isley - fascinée de botanique et de toxicologie avant que le professeur Jason Woodrue n’expérimente sur elle de dangereux produits interdits. Engagée dès lors dans une lutte sans merci contre les plus grands pollueurs de la planète, contre les autorités et Batman, Poison Ivy n’aura de cesse de vouloir imposer le règne incontesté du monde des plantes… Une lutte redoutable puisque les expérimentations du professeur Woodrue lui ont donné de fabuleuses capacités paranormales, notamment d’étranges « potions » d’amour ou de vérité… Manipulatrice, fantasque et changeante, ses baisers peuvent être fatals…
Ce sont treize récits consacrés à cette redoutable Poison Ivry, « La Fleur du mal », que le lecteur retrouvera dans ce nouveau tome, des récits plus fascinants les uns que les autres signés des plus grands auteurs dont notamment Neil Gaiman, Mark Buckingham, Paul Dini, mais aussi Stjepan Sejic ou encore Guillem March.
Un extraordinaire volume haut en couleur réunissant les lois les plus cruelles aux fruits les plus défendus de la passion tels que les envisage la plus vénéneuse des criminels de l’univers Batman, Poison Ivy.
 

Gilles Landais

 

"Legio Patria Nostra - Main de bois" - Tome 2 ; Scénariste Jean-André Yerlès, Dessinateur Marc-Antoine Boidin, Éditions Glénat, 2021.

Avec ce deuxième tome, l’aventure de la Légion étrangère se poursuit avec toujours autant de péripéties ! Comment aurait-il pu en être autrement avec nos deux compères Yerlès et Boidin qui se sont saisis avec bonheur de ce thème populaire.
Avec les 5 volumes que comptera cette nouvelle série, « Legio Patria Nostra » convie le lecteur dans l’univers à la fois fascinant et secret de ces hommes d’élite réputés pour leur valeur au combat à l’image des légionnaires romains ou des soldats spartiates. Entrant par la petite porte de la grande Histoire, c’est avec le tambour Casimir Laï, orphelin des rues, que nous découvrons cette arme bien particulière qui gagna ses galons de bravoure lors de la fameuse bataille de Camerone au Mexique le 30 avril 1863.
Mais avant ce sanglant épisode, le destin de Casimir passe par la fameuse discipline de fer de la Légion dans laquelle il a décidé d’entrer aux côtés de camarades au passé souvent douteux. Le capitaine Danjou l’a vite repéré et souhaite lui faire oublier ses réflexes de vaurien malgré la réticence du jeune homme. C’est ce combat entre la rigueur de l’institution qui ne transige pas avec le code de l’honneur et les aspirations de Casimir à retrouver son passé qui rythme ces pages aux traits incisifs comme les lames de couteau dégainées. Action, coups de poing et romance fusent dans cette BD dynamique, une belle manière d’évoquer les premières heures de gloire de la Légion étrangère !

Jules Buissonnet

 

« Champignac – Tome 2 – Le patient « A » » ; Beka et David Etien ; 240 x 320 cm, 48 p., Éditions Dupuis, 2021.

Les aventures du fameux Comte de Champignac continuent ! Et les aficionados se réjouiront de découvrir dans ce nouveau tome « Le Patient A », le passé de notre Comte dans un récit d’espionnage historique et scientifique passionnant…
Nous sommes en mai 1941. Le Comte de Champignac et Blair McKenzie, tous deux connus pour leurs capacités de savants surdoués, ont été recrutés par Alan Turing afin de décrypter la machine Enigma. Nous retrouvons, ici, la fameuse machine des nazis… À cette occasion, nos deux surdoués se rejoignent, Champignac, toujours aussi loufoque et inventif, est tombé amoureux de la charmante Blair, et une idylle semble se dessiner… Mais, Champignac reçoit alors un étrange message codé. Il provient de deux scientifiques contraints et forcés de participer au programme de recherche des nazis. Or, après décodage, il s’agit de deux anciens amis de Champignac… L’aventure commence !
Pour ce deuxième album, Beka (Caroline Roch, Bertrand Sabatier) et David Etien ont opté une nouvelle fois pour un récit à la fois historique et scientifique situé en pleine Seconde Guerre mondiale. Cela donne, toujours sur toile de fond de cette fameuse machine nazie Enigma, une nouvelle aventure d’espionnage aussi véridique que trépidante. Informés et documentés, Beka et David Etien n’ont rien laissé au hasard, et surtout pas le rythme effréné des planches et des dessins mettant en scène un Comte de Champignac des plus inventifs et intrépides.
Car, Champignac pourra-t-il réussir à sauver ses amis dans ce voyage, non plus en Angleterre (on se souvient chez son ami le Professeur Black), mais maintenant à Berlin ; Un voyage risqué où il devra croiser non seulement Göring, mais encore Wernher von Braun, grand séducteur, et surtout, un certain « Patient A » drogué à la Pervitine ? Rien n’est moins sûr pour Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas, Comte de Champignac…
Un nouveau récit historique et scientifique bien mené donnant une histoire d’espionnage aussi vraie, intrépide que passionnante !
 

Gilles Landais

 

« USS Constitution - Tome 2 » de Franck Bonnet, 24X32, Éditions Glénat, 2021.

Poursuivant dans ce deuxième tome la grande fresque maritime à bord de l’USS Constitution, Franck Bonnet a plus que jamais pris le large avec ce nouvel épisode. L’escadre américaine parvient, en effet, au port de Syracuse en pleine guerre, celle qu’elle mène contre les Barbaresques. Le secret de Pierre-Marie jusqu’alors bien caché vient d’être dévoilé par Powlett qui a découvert qu’elle était en fait… une femme ! Le scélérat compte bien en profiter alors que la flotte mène une dernière mission à Malte où Pierre-Marie cherchera à venger le meurtre de sa mère par son oncle…
Ce qui aurait pu être une belle aventure née de l’esprit fertile de Franck Bonnet repose en fait sur une histoire vraie d’où néanmoins le romanesque n’est pas étranger. Mais avant tout les amoureux de la Marine seront aux anges avec ce soin méticuleux porté par cet auteur complet à chaque détail des navires et du matériel, son vocabulaire bien spécifique et surtout ces admirables dessins de gréements.
L’aventure maritime souffle à plein vent sur les voiles de l’USS Constitution. Véritables miniatures ciselées, chaque planche dessinée par Franck Bonnet ouvre sur des horizons lointains, où le rêve se dispute à l’aventure. Une réussite !


Jules Buissonnet

 

« Un papa, une maman, une famille formidable (la mienne) » de Florence Cestac ; Couverture cartonnée, Quadrichromie, 60 p., Éditions Dargaud, 2021.

Réellement réjouissant. On sourit et pouffe souvent à la lecture de ce savoureux album signé Florence Cestac.
L’histoire nous parle de cette femme, maman de trois enfants dont l’une n’est d’autre que l’auteur, Florence Cestac elle-même, ayant épousé tout simplement et bien malheureusement juste avant la Seconde Guerre un vrai tyran domestique qui n’entend bien que se faire servir… Heureusement, la maman, bien que sans aucun travail et à la merci donc de la générosité financière du papa, ne manque pas d’imagination et d’inventions pour arriver à arracher pour ses enfants et elle-même de véritables instants de bonheur. Et cela donne indéniablement « Un papa, une maman, une famille formidable (la mienne) », ainsi que l’annonce judicieusement le titre de l’album.
Florence Cestac a su mêler pour ce tome avec beaucoup de doigté à la fois la Grande histoire, celle de l’après-guerre et sa propre histoire. Que ce soit en duo ou comme ici en auteur complet, Florence Cestac confirme s’il en était encore besoin ce talent pour lequel elle a été plus d’une fois récompensée.
L’album est une réussite de trouvailles tirées des années des Trente Glorieuses et du début de la consommation de masse. On y retrouve ainsi avec humour les produits phares de l’époque, du transistor à la caméra… Les clins d’œil et l’humour de l’auteur se glissent aussi bien dans ses dialogues que dans des dessins et ses visages. Mais, l’auteur dans ce climat familial patriarcal tyrannique n’épargne rien, ou plutôt ne s’épargne cependant rien, ni la dyslexie de son frère et d’elle-même considérée dans ces années parce que non reconnue comme débilitante, ni l’amour de Florence pour ce père misogyne et blindé à vie (on ne dira jamais assez le rôle de révélateur de la moutarde ou vinaigre dans les salades). Florence pleurera de n’avoir de cesse de quémander toujours et encore cet infernal amour paternel…
Rien, cependant de larmoyant, bien au contraire, car c’est bien au-delà de cette ambiance, la joie de vivre, de la survie et de la débrouille qui dominent et tiennent à cœur Florence Cestac. Florence Cestac aime plus que tout sourire et faire rire son lecteur ; Une gaité qu'elle tient de sa mère et qu’elle a souhaité, même si la réalité fut plus dure, partager en ces planches avec son lecteur.
À ce titre, l’album est en lui-même un véritable petit bonheur de résistance et de résilience !

Gilles Landais

 

« BUCK DANNY – Tome 58 – Le Pacte », Gil Formosa et Frédéric Zumbiehl ; 21,8 x 30 cm, 48 p., Éditions Dupuis, 2021.

Assurément, les fans de Buck Danny seront plus que comblés par cette nouvelle aventure « Le pacte » venant – à regret cependant – clore cette série en trois tomes (« Vostok ne répond plus » et « Opération Vektor »), mais marquant cependant le 58e tome de notre héros, eh oui !
Buck, Tumb et Sonny continuent de survoler le désert entre les États-Unis et le Mexique à la recherche de Lady X et du fameux virus. Mais, alors qu’une aide inattendue attend nos compagnons, une aide apparemment précieuse et qui les conduira à élaborer dans la plus grande urgence un plan inimaginable des plus spéciaux, un nouveau protagoniste envoyé par le Cercle va cependant venir contrecarrer leur plan. Tout se complique alors pour nos héros…
Pour ce dernier volume, le duo Formasa / Zumbielh a lâché la bride de leur imagination en livrant une nouvelle aventure totalement inédite et survoltée. Ce ne sont que pièges, traitrises et retournement de situation. D’intrépides vols et d’audacieuses tentatives attendent, en effet, le lecteur, dans les paysages grandioses du désert américain jusqu’à un fameux Ranch en plein désert du Sonora. À chaque planche, s’enchaînent alors poursuite aérienne sur poursuite aérienne jusqu’aux plus fulgurantes… N’oublions pas que Frédéric Zumbiehl était pilote de chasse, puis pilote professionnel, et que Gil Formasa a signé notamment « Deux histoires authentiques de l’aéronautique » !
Mais, Buck Danny et ses compagnons pourront-ils éviter pour autant une pandémie et retrouver cette fameuse Lady X ou peut-être « Milady » ?!
Une nouvelle aventure que l’on referme à regret !
 

Gilles Landais

 

« Le Réveil du Tigre » d’Oliver TaDuc et Serge Le Tendre ; 23.7 x 31, 136 p., Éditions Aire Libre, 2021.

Bien qu’avec une pointe de regret, les amateurs de la célèbre série des aventures de « Chinaman » se réjouiront cependant à la lecture de cet ultime album tant le fameux et talentueux duo Taduc / Le Tendre y ont mis beaucoup d’eux-mêmes. Jugez-en !
Pour ce dernier album, nous faisons un saut dans le temps et Chinaman qui vit maintenant isolé dans la nature d’Idewild, a bien vieilli et pris pas mal de rides. Le vieux Tigre que rien n’arrêtait est usé, cassé par la vie, la guerre de Sécession, le bagne et les fumées d’opium… Et, pourtant, contre toute attente, Chinaman va retrouver son fils devenu adulte, Matt Monroe, jeune recrue de la célèbre agence de détectives privés, Les Pinkertons, et qui enquête sur l’assassinat de l’une des filles du riche banquier Kelley et une étrange série d’enlèvements. Ce sera, ainsi que l’annonce le titre de ce génial album, « Le réveil du Tigre » !
Bien que notre héros Chinaman tire, ici, sa révérence dans cette ultime aventure, il faut saluer l’énergie et la force de frappe que Serge Le Tendre a mises une fois de plus dans ce scénario aussi brillant que palpitant. Se souvenant que dans les précédents tomes, Chinaman avait eu un fils d’une femme blanche dont il était tombé amoureux, c’est ce fil narratif que Serge Le Tendre a souhaité tirer : « Mais, comme lui faire rencontrer un enfant de 10 ans aurait eu peu d’intérêt, nous avons vieilli Chinaman afin de lui offrir un fils adulte. » précise ce dernier. Occasion, pour notre duo de passer de la ruée vers l’or à l’or noir, d’aborder le thème du racisme asiatique notamment entre les origines d’immigré asiatique de Chinaman et son fils métis intégré à la société blanche, un thème qui tient à cœur Olivier TaDuc…
Occasion surtout, de permettre « Le réveil du Tigre » ! Une renaissance, ô combien, passionnante accentuée par les dessins sans concessions de TaDuc. Des planches et des traits tendus à souhait, d’une belle finesse et plus noirs que sombres offrant une progression pleinement maîtrisée. Olivier TaDuc confie que « lorsque j’ai créé Chinaman, j’avais en tête l’acteur Toshirô Mifune. Pour cet album j’ai donc regardé comment il avait vieilli… » Choix plus que judicieux lorsque l’on connaît le dynamisme de l’acteur japonais qui donne toute sa saveur à cette série et à cet album aussi palpitant qu’incontournable !
Et pour ceux qui auraient quelques regrets de refermer cette ultime aventure de Chinaman, soulignons que les éditions Aire Libre rééditent à l’occasion de cette dernière parution, les trois intégrales de la série Chinaman.
 

Gilles Landais

 

"Palais Bourbon, les coulisses de l'Assemblée nationale" de Kokopello (Scénario, Dessin, Couleurs), 136 pages, Dargaud / Seuil, 2021.

Il fallait oser réaliser une BD sur le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, à l’heure où l’abstention aux élections prédomine… Mais l’initiative se révèle audacieuse et féconde, car c’est justement afin de mieux faire connaître le rôle et les taches de nos députés que Kokopello, de son vrai nom Antoine Angé, dessinateur politique par excellence, a retenu ce lieu symbolique. Pour nous offrir ce reportage « animé », cet esprit curieux a entrepris un véritable travail d’enquête sur place, en suivant les députés au jour le jour. Déambulant dans les couloirs du Palais-Bourbon, le scénariste et dessinateur offre avec cet album atypique un témoignage captivant pour les néophytes, grands ou petits, s’interrogeant sur ce lieu symbolique et souvent mystérieux.
Cet album s’avère être au fil des pages un redoutable manuel du fonctionnement de l’Assemblée nationale, l’humour en plus. Des détails aussi précis que l’écharpe tricolore dont les nombreuses subtilités sont ici rappelées, la fameuse buvette de l’Assemblée ou le rôle des commissions permanentes sont rappelés de manière didactique et aisément compréhensible.
Kokopello sait plus que quiconque par son trait incisif saisir non seulement l’âme de l’hémicycle, mais également ses nombreuses coulisses, le tout avec humour et scènes bien croquées. Au final, le lecteur aura une connaissance approfondie de l’une des deux chambres formant le Parlement, avec cette impression d’en être un habitué !

Jules Buissonnet

 

« L’Homme de la situation » de Lou Lubie ; 19,6 x 25,8 cm, 144 p., Éditions Dupuis, 2021.

Signé, Lou Lubie, « L’Homme de la situation » est un récit psychologique qui déroute tout autant qu’il interpelle et questionne son lecteur.
Manu, instituteur 36 ans très investi dans son métier, a toujours assumé et revendiqué son statut d’homme fort et de protecteur. Mais, un jour, sa compagne le quitte, le laissant, là, en plan. Commence alors pour Manu une profonde descente aux enfers, surtout lorsque son directeur lui refuse, de surcroît, un poste au titre de la parité homme femme. Manu, « L’Homme fort et protecteur », pourra-t-il, saura-t-il exprimer toute sa détresse et s’avouer vulnérable ? Là, est la question, une question qui en cache bien d’autres…
Lou Lubie, auteur déjà de « Goupi ou face » et de l’album remarqué « La Fille dans l’écran » en 2019 avec Manon Desveaux, livre avec celui-ci un regard sans mercis sur le rôle des hommes dans notre société. Le lecteur comme pris au piège ne peut que reprendre souffle et questionner cette société qui dit tourner comme elle tourne. Quelle place aujourd’hui pour les hommes ?
Ici, Lou Lubie en auteur complet assoit son approche psychologique et sociétale sur des planches aux découpes choisies, mettant en jeux des personnages expressifs laissant entendre aux oreilles du lecteur ce qu’ils crient ou aimeraient tant qu’il entende. La variété de sa palette de couleurs vient encore accentuer cette gamme d’expressions et d’émotions sur laquelle l’auteur joue avec tact. Lou Lubie a su dans cet album avec des dessins épurés et des dialogues allant à l’essentiel mener son récit psychologique, là, où elle l’entendait, et par là même son lecteur…
Car, contre toute attente, Manu désespéré va se raccrocher à une fratrie de sept enfants en situation difficile. Celui-ci, qui se veut « L’Homme de la situation », va alors décider de les sauver et de les sortir de leur détresse… Mais, c’est aussi sa propre détresse et ses pires angoisses qu’il va alors rencontrer et devoir affronter…
À découvrir !
 

Gilles Landais

 

"Frantz Fanon" Frédéric CIRIEZ, Romain LAMY, roman graphique, Édition La Découverte, 2020.

Voici un sujet hors des sentiers battus dont s’est parfaitement saisi Frédéric Ciriez accompagné de Romain Lamy pour ce roman graphique atypique. Le nom de Frantz Fanon (1925 – 1961) est resté gravé dans les mémoires pour ses combats anticolonialistes, notamment lors de la guerre d’Algérie. Ce psychiatre et écrivain martiniquais rencontra notamment Jean-Paul Sartre à Rome l’été 1961, et ce sont ces trois journées étonnantes qui ont servi de base à ce récit graphique de Frédéric Ciriez, illustré par Romain Lamy.
Cette fabuleuse rencontre débute un vendredi, première page de ce volumineux récit de 231 pages. L’écrivain arrive à Rome et se trouve accueilli par Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann… À peine dans le taxi devant les mener à l’hôtel où Sartre les attend, les trois personnages entament une conversation à bâtons rompus sur l’état de la lutte pour l’indépendance algérienne, une drôle d’arrivée dans la Ville Éternelle ! Les premiers débats sont vifs et témoignent de l’admiration réciproque des protagonistes qui ne se font cependant aucune concession. Fanon se remettant difficilement d’un grave accident en Algérie alors qu’il organisait la lutte de l’armée de libération nationale sait qu’il a besoin de la gauche française tout en étant bien conscient des réticences de cette dernière à s’engager dans ce combat…
Ces trois jours seront dès lors l’occasion non seulement d’évoquer le parcours atypique de Frantz Fanon, mais aussi d’approfondir les notions d’engagement et de luttes sur fond de différences culturelles. Le style est incisif, le récit dynamique, porté par les dessins inspirés de Romain Lamy aux silhouettes épurées et lavis colorés. Une réussite !

Jules Buissonnet

 

« Le Roi de paille – Tome 02 – Le Couronnement de la reine morte » de Isabelle Dethan ; Couverture cartonnée, Quadrichromie, 56 p., Éditions Dargaud, 2021.

A noter sur vos tablettes la sortie très attendue du tome 02 du « Roi de Paille », un album qui vient clore le diptyque commencé avec « La fille de Pharaon ».
Sennedjem, le frère de Neith, a été choisi pour protéger le roi de Babylone et attirer sur lui la malédiction divine, incarnant ainsi un « Roi de paille ». Neith, qui a fui l’Égypte pour échapper à son père, le pharaon, a été vendue tout comme Sennedjem au souverain babylonien. Mais, des astres favorables semblent vouloir les aider. Amel, le fils du roi de Babylone, voulant échapper à un mariage arrangé s’enfuit dans le désert du Sinaï et dans sa fuite emmène avec lui Neith et Sennedjem, mais quel sera cependant leur destin ?
Si Isabelle Dethan a, de nouveau, adopté pour ce nouvel album pour un scénario géopolitique informé, entraînant le lecteur, de l’Égypte à la Mésopotamie, dans le monde impitoyable des deux empires les plus puissants de l’antiquité, cette dernière a également souhaité laisser toute leur place et respiration aux personnages. Des personnages expressifs et vivants, certes, plein d’illusions face au pouvoir et superstitions, mais aussi de rêves et d’espoir… cela donne une grande épopée tenant le lecteur en haleine du début jusqu’à la fin tant les péripéties ne cessent de s’enchainer…
En effet, lorsqu’Amel découvre que son père a fait tuer la femme qu’il aime, ce dernier décide de lui déclarer la guerre. Mais, Sennedjem, « Roi de paille » du Roi de Babylone, attirant sur lui la malédiction divine, pourra-t-il l’accompagner sans devenir le propre « Roi de paille » d’Amel ?...
Une belle et grande épopée rendue superbement par les dessins et couleurs d’Isabelle Dethan. Des aquarelles offrant toute la beauté et la lumière de ces anciennes civilisations fondatrices qui nous ont toujours fait rêver…

Gilles Landais

 

« Requiem – Tome 08 – La Reine des âmes mortes » ; Scénario de Pat Mills ; Dessins et couleurs d’Olivier Ledroit ; Cartonné, 24 x 32 cm, Coll. 24 x 32, Éditions Glénat, 2021.

Ce nouveau tome de la série culte « Requiem » devrait ravir plus d’un amateur tant l’intrigue tient, une fois de plus, son lecteur en haleine.
Alors que la panique se répand après l’attaque du couvent de sang, Requiem, en effet, se rend dans le donjon d’Otto afin de libérer la douce Rebecca. Mais là, il devra engager un combat sans merci, contre son ancien ami, le redoutable et puissant chevalier vampire. La force et la puissance de ce dernier sont cependant manifestes et Requiem se retrouve en grande difficulté...
Les dessins plus fantastiques que jamais et à nuls autres pareilles d’Olivier Ledroit, ses couleurs sombres et contrastées, appuient une nouvelle fois avec talent le scénario sans failles ni concessions de Patt Mills. Héros et protagonistes de cet album intitulé « La Reine des âmes mortes » y apparaissent plus encore sortis d’un imaginaire extraordinaire et inouï. Cela donne un album à l’énergie fantastique et fabuleuse, accentué par une savante mise en planche tout aussi réussie. Rien ne semble avoir été laissé au hasard !
Surtout, lorsque la douce Rebecca arrive à dérober dans l’arsenal du Donjon d’Otto une arme et à entrer ainsi dans le combat aux côtés de Requiem… Mais pourra-t-elle cependant arriver à temps pour le sauver ?
Ce huitième album de « Requiem » est, qui plus est, complété de deux bonus, « Les Arcanes du Hellfire Club » et « Le Bestiaire de Résurrection ».

Gilles Landais

 

« Buck Danny Classic - Tome 7 – Sea dart » ; Le Bras, Marniquet et Zumbiehl, Zéphyr Dupuis, 2020.

Le personnage de Buck Danny n’est plus à présenter, aussi cette nouvelle collection d’aventures du célèbre héros, pilot d’élite, lancée par les éditions Dupuis en collaboration avec les éditions Zéphyr tient-elle à la fois de l’hommage et de la continuité. Sans être pour autant une suite chronologique, la série Buck Danny Classic revisite certaines périodes clés de l’Histoire à travers les aventures du héros. Tel est le cas de ce tome 7 intitulé « Sea Dart » et narrant l’invention du premier hydravion supersonique du monde. Celui-ci transportera Buck Danny en terre argentine à l’époque du dictateur Peron et des agents nazis à sa solde…
Reprenant le souffle épique initié à l’origine par Georges Troisfontaines, Victor Hubinon et Jean-Michel Charlier, ce sont aussi trois auteurs de talent qui signent ce tome 7 : Frédéric Marniquet ayant par le passé rejoint l’armée de l’air, Frédéric Zumbiehl, ancien pilote de chasse et André Le Bras. Ce trio de choc ne pouvait qu’inspirer un album soigné ainsi qu’il ressort des premières planches. Opposant les couleurs brunes pour les nazis et le bleu marine des officiers américains, c’est une lutte acharnée qui va opposer les deux ennemis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en Amérique du Sud. Sur fond d’espionnage et d’inventions technologiques, Buck Danny devra mener l’enquête afin de découvrir l’existence d’une base secrète nazie cachée dans les montagnes de l’Altiplano.
Le rythme trépidant de cette nouvelle aventure s’inscrit bien dans la lignée des Buck Danny initiaux, véritable récit d’aventures. Ce tome ne laisse, en effet, pas une minute de répit au lecteur qui appréciera non seulement la qualité du scénario, mais également le dessin et la couleur également des plus réussis !

Jules Buissonnet

 

« Rendez-vous avec X - Diên Biên Phu » ; Dobbs (Scénariste) ; Mr Fab (Dessinateur) ; Patrick Pesnot (Conseiller historique), 240 x 320 mm, Éditions Comix Buro, 2020.

Diên Biên Phu compte assurément parmi les plus tristement célèbres noms de batailles désastreuses pour l’occident. Dobbs en qualité de scénariste et Mr Fab aux dessins ont uni leur talent afin raconter en une BD à la fois sobre et terriblement évocatrice le contexte de cette bataille lors de la guerre d’Indochine en 1954.
Le réalisateur Pierre Schoendoerffer avait témoigné pour Lexnews des conditions terribles qui y régnaient effectivement alors, et que nous retrouvons parfaitement rendues dans cet album plus que réussi : "La captivité a duré quatre mois, mais il y avait une longue route à faire pour arriver aux camps ! Entre 700 et 800 km dans la jungle, par les pistes, on n’avait presque rien à manger. Vraiment on crevait de faim ! Il y avait le paludisme, la dysenterie, le béribéri… J’ai tout eu, mais j’ai survécu, moi. Les trois quarts de mes camarades n’en sont pas revenus." Dira Pierre Schoendoerffer (Lire l’interview sur www.lexnews.fr). Mais, avant ces terribles conséquences de cette bataille perdue d’avance, l’album aux couleurs sépia, ocre et marron plonge le lecteur dans cet univers sauvage et hostile, à plus de 200 km de Hanoï. En ces lieux torrides, les soldats français font face aux forces vietminh largement supérieures en nombre. Cet étau se resserrera progressivement sur les militaires pris en tenaille face à un ennemi souvent invisible et harcelant jour et nuit les « ennemis » du communisme selon la propagande vietminh.
L’album « Diên Biên Phu » et le Dossier avec X de Patrick Pesnot qui l’accompagne, faisant référence à sa célèbre émission sur France Inter, offrent une compréhension et analyse des plus éclairantes sur ce conflit et de ses conséquences à une époque cruciale de la décolonisation.


Jules Buissonnet

 

« Le Spirou de Christian Durieux – Pacific Palace » ; Editions Dupuis, 2021.

Spirou se retrouve dans un paisible Palace, mais il regrette d’y avoir fait également embaucher en qualité de groom, Fantasio, ex-journaliste viré du Moustique. Celui-ci n’a de cesse de froisser leur supérieur M. Paul. Mais, il est déjà trop tard… Le Pacific Palace est confiné, fermé à la clientèle, pour abriter secrètement un dictateur et tyran du Karajan déchu et en fuite, Iliex Korda. Ce dernier est accompagné, outre de ses nombreux gardes du corps, de sa femme, et surtout, de sa belle et troublante fille, Elena…Spirou saura-t-il résister ?
C’est un album au scénario captivant que livre Christian Durieux avec « Pacific Palace ». Une intrigue politico-policière menée particulièrement de main de maitre, pleine de rebondissements et d’inattendus. Une atmosphère parfaitement soutenue par les dessins et couleurs également de Christian Durieux, qui s’impose ici avec brio en auteur complet, justifiant pleinement le titre: « Le Spirou de Christian Durieux » !
« Pacific Palace » est un Spirou aussi personnel que réussi mettant en scène une passionnante intrigue où il serait bien improbable que Spirou et Fantasio, durant trois jours et nuits, dans les longs couloirs de ce Palace empli de chambres, de salons et de négociations sur fond de vaine romance amoureuse, n’aient pas plus d’un rôle à jouer…
Assurément, une aventure politico-policière des plus captivantes digne de Spirou !
 

Gilles Landais

 

« Coda Omnibus» ; Scénario de Simon Spurrier ; dessin de Matias Bergara ; Relié, 27 x 26.5, 336 p., Éditions Glénat Comics, 2021.


« Coda » est assurément un album véritablement enraciné dans l’univers comics. Signé par deux des meilleurs auteurs Simon Spurrier pour le scénario et Matias Bergara pour les dessins, « Coda » ravit et happe dès les premières planches ses lecteurs.
Hum, un mystérieux barde, plutôt taiseux mais rusé, cherche désespérément un remède pour sauver l’âme de sa bien-aimée. Dans cette contrée désolée, il est accompagné pour monture d’une licorne mutante aussi volcanique qu’imprévisible. Mais, dans cette quête, son destin l’amènera à affronter le Sombre Seigneur, celui-là même qui a transformé le monde enchanteur et magnifique d’autrefois en un désolant et étrange univers… Mais, Hum saura-t-il trouver des alliés fidèles propres à le faire triompher ? Pourra-t-il restaurer cet ancien monde si enchanteur ?
Spurrier – auteur de « X-men », « Star Wars », « The power of Dark crystal » - offre pour ce fort et fantastique album un scénario adroitement serré, tel un filet finement tressé, dans lequel se glissent avec bonheur humour et clins d’œil. Avec une mise en planches des plus dynamiques et joliment travaillée, les dessins de Bergara suggèrent un univers captivant et envoûtant. Des personnages issus d’un bel et fantastique imaginaire, des couleurs contrastées et éclatantes, et une dynamique et énergie graphique à nulle autre pareille jamais interrompue. Une réussite !
A souligner, en supplément, un dossier complet sur « Le monde de Coda, avant et après » vient clore ce volumineux et ensorcelant album.
« Coda » n’est pas seulement un super album, c’est à lui seul un fantastique univers comics dans lequel le lecteur plonge avec ravissement.


Gilles Landais

 

« En Âge florissant – de la Renaissance à la Réforme » de Pascal Brioist (scénario) et Anne Simon (dessins), Collection Histoire dessinée de la France - Tome 9, Editions La Découverte, 2020.

Poursuivant cette heureuse initiative d’une Histoire de France en BD, les éditions La Découverte livrent avec ce tome 9 un album déterminant pour mieux comprendre une époque cruciale du XVIe siècle. Que de chefs-d’œuvre légués par cette période historiquement et culturellement riche demeurent, en effet, incompréhensibles en l’absence d’une connaissance des faits et dates qui comptèrent en ces temps marqués par les grands et célèbres noms de François 1er, Rabelais, Montaigne, Luther, Laurent de Médicis, Shakespeare, Ronsard, et bien d’autres piliers de la culture…
Pascal Brioist, historien passionné de ces périodes déterminantes, a mis à profit tout son savoir pédagogique afin de présenter en 168 pages une époque si riche qu’elle en donnerait autrement le tournis… Il fallait également le talent d’Anne Simon pour ne pas perdre le lecteur en route grâce à des dessins aux traits épurés, allant à l’essentiel, pour mieux mettre en évidence les lignes forces de cet Âge décidément florissant !
L’humanisme, mais aussi le schisme au sein du christianisme avec la Réforme, l’essor des sciences, les arts métamorphosés par le génie de Léonard de Vinci, Michel Ange, Titien… Les nombreux clins d’œil tel celui adressé au musicien Clément Marot, les confrontations des puissants de cette époque ou encore les conquêtes repoussant les frontières du monde connu… Nombreuses seront les découvertes pour le lecteur de ce passionnant album consacré de manière si pédagogique à la Renaissance.
 

Jules Buissonnet

 

« BLACK BEARD ; Pendez-les hauts et courts -Tome 1 » de Jean-Yves Delitte ; Cartonné, 24 x22 cm, 48 p., Coll. 24x32, Editions Glénat, 2020.

C’est un passionnant album que nous offre Jean-Yves Delitte avec « Blackbeard », un récit haut en couleur de piraterie dans les Caraïbes au XVIIIe siècle, entre histoire et fiction, livré en deux tomes, et comptant les mésaventures d’un miséreux mais ô combien captivant pirate…
Nous sommes en 1721, et dans l’obscurité et l’humidité d’une geôle de la triste et célèbre prison de Marshalsea à Londres et dans laquelle un homme crie à qui veut l’entendre son innocence. Non, Non, il n’a pas été le compagnon complice du plus célèbre et terrifiant pirate Blackbeard, même s’il avoue certes l’avoir rencontré et côtoyé. Mais, qui l’entendra ?
Ce sera le non moins célèbre écrivain britannique Defoe, ce dernier ayant décidé de parcourir les prisons pour y rencontrer des pirates condamnés parfois bien hâtivement ; aurait-il en tête l’écriture d’un livre sur les plus fameux pirates ? Quoi qu’il en soi, Defoe décide de s’entretenir avec ce marin criminel qui hurle son innocence… Ainsi s’ouvre ce haletant récit de piraterie qui servi de mains de maître par Jean-Yves Delitte tiendra assurément son lecteur en haleine jusqu’à la dernière planche.
Il faut dire que Jean-Yves Delitte a plus d’un atout pour lui. Peintre officiel de la Marine, membre titulaire de l’Académie des Arts et Sciences de la mer, il a déjà réalisé des très belles et grandes fresques maritimes dont « Black Crow », les aventures d’un corsaire amérindien au XVIIIe siècle, mais aussi « Les Grandes Batailles Navales » ou encore l’histoire des plus célèbres frégates ou trois-mâts. Des albums plus que salués tant par la critique que par le public.
Aussi, est-ce avec un réel bonheur que le lecteur retrouvera en auteur complet pour cette nouvelle aventure de piraterie, celle de « Blackbeard », Jean-Yves Delitte. Une épopée réellement palpitante servie par de merveilleux dessins, dessins soignés aux mille détails que ce soit les visages de ces fameux pirates du ce XVIIIe siècle, leurs costumes ou encore ces merveilleux navires et trois-mâts, rois en cette époque des mers et océans et donnés à admirer sur de pleines pages.
Un merveilleux album à découvrir au plus vite.


Gilles Landais

 

« Tome Agency ; Petit hanneton –Tome 2 » ; Scénario de Yann ; Dessins de Schwartz, Couleurs de Hubert et Isabelle Merlet ; 24 x32 cm, 56 p., Éditions Dupuis, 2020.

Enfin, le retour du vrai polar noir et des fifties !
« Atom Agency », en deux tomes signés Yann pour le scénario et Schwartz pour les dessins, redonne vie avec bonheur, en effet, au polar le plus noir dans la veine héritée de Maurice Tilleux.
Une belle ambulancière de l’unité féminine intégrée à la 2e division blindée du général Leclerc, reconnue pour son héroïsme, n’a plus jamais donné signe de vie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un de ses compagnons, cinq ans plus tard, entreprend de recourir au commissaire Vercorian pour la retrouver. Mais le fameux commissaire, sur le point de coffrer l’ ennemi n°1, n’a nul temps à lui consacrer. Aussi, ne trouve-t-il rien de mieux que de le renvoyer à son fils, détective privé de l’Atom Agency, qui selon lui, très talentueux ne pourra que démêler au mieux cette affaire…
C’est toute l’ambiance concentrée du polar noir que le lecteur pourra de nouveau retrouver dans ce second tome d’« Atom Agency ». Des dessins que l’on aime revoir et décortiquer avec cette atmosphère typique d’après- guerre rehaussée par les couleurs d’Hubert et d’Isabelle Merlet, et ces visages incomparables parmi lesquels le lecteur reconnaitra celui qui marqua ces années notamment au cinéma dans « Quai des brumes » ou encore dans « Pépé le Moko », sans oublier aussi Jeannot... Un choix judicieux qui annonce toute la gouaille croustillante et savoureuse des dialogues dont Yann s’est fait, depuis déjà longtemps, l’ambassadeur, mais aussi des détails cocasses savamment choisis et bien vus. Un véritable régal à chaque planche !
Un album assurément des plus réussis qui se laisse savourer d’une traite.


Gilles Landais

 

« James Cook ; L’appel du Pacifique – tome 01 » ; Scénario de Laurent-Fréderic Bollée ; Dessins de Federico Nardo ; Couleurs de Aretha Battistutta ; 24 x32 cm, 56 p., Coll. Explora, Éditions Glénat, 2020.

Plaisir que de découvrir contée en BD l’histoire de l’un des plus grands explorateurs maritimes de tous les temps, James Cook !
Capitaine de la Royal Navy, ce grand explorateur et cartographe du XVIIIe siècle a en effet passé toute sa vie à sillonner les mers et océans. James Cook fut à l’origine de fort nombreuses découvertes et cartes nous ayant permis d’avoir une plus juste et réelle vision du monde. C’est cette extraordinaire vie que nous offre de découvrir en deux tomes Laurent-Frédéric Bollée au titre de scénariste et Federico Nardo pour les dessins.
Bollée a opté avec ce premier album pour un scénario des plus serrés, retenant les événements majeurs ayant marqué ce destin hors pair, non seulement en qualité d’explorateur, mais aussi de cartographe. Le caractère de James Cook y est rendu avec justesse. Une maille fine à laquelle les magnifiques dessins de Nardo viennent donner vie. Des planches soignées offrant une finesse de détails, des personnages expressifs et des pleines pages ou larges vues absolument splendides. Rien ne manque à ce premier tome contant au plus près le fabuleux destin du capitaine James Cook.
James Cook commence sa carrière au sein de la Royal Navy en 1755 et devient très vite l’un des meilleurs cartographes de son époque. Il entreprend son premier voyage autour du monde en 1768 à bord de l’Endeavour. Ce voyage sera capital tant pour sa renommée que pour l’histoire de la géographie océanienne. Mais, James Cook ne s’arrêtera pas là ! Suivront en effet deux autres voyages, entreprenant le tour de la Nouvelle-Zélande, explorant la Nouvelle-Calédonie, étudiant l’Île de Pâques. IL s’approchera même de l’Antarctique avant de découvrir que le fameux continent austral n’existe pas et de découvrir l’Île Sandwich devenue depuis l’Île d’Hawaï. C’est sur cette Île que le célèbre capitaine James Cook mourra malheureusement tragiquement en 1779.
Conter en BD ce destin extraordinaire de l’un des plus grands explorateurs relevait à l’évidence du défi, un défi que relève avec une maestria certaine le duo Bollée/ Nardo.
Un bel hommage au capitaine James Cook assurément.

Gilles Landais

 

« Watching the Watchmen » de Dave Gibbons, Chip Kidd et Mike Essl ; 23 x 29.7, 272 p., Urban Comics Éditions, 2020.

Qui a pu oublier la série mythique Watchmen ? Douze tomes à nuls autres pareils signés, à partir de 1986, des non moins légendaires auteurs et dessinateurs Alan Moore et Dave Gibbons, sans oublier John Higgins pour les couleurs, et ayant su s’imposer au titre de l’une plus grandes et plus plébiscitées bandes dessinées du XXe siècle.
Les aficionados de Watchmen seront heureux de découvrir aujourd’hui aux éditions Urban Comics un album unique – et tant attendu ! – revenant en plus de 270 pages sur les fabuleuses origines de cette série de légende. Rappelons que Watchmen fut salué immédiatement rencontrant un succès sans précédent, et fut adapté aussi bien au cinéma en 2009 que dix ans plus tard, en 2019, pour la TV. Un immense succès qui visiblement plus de vingt ans après, et à juste titre, ne tarit pas ! Cet incroyable comic book n’a jamais pris une seule ride.
Aujourd’hui, avec cet album exceptionnel, « Watching the Watchmen », signé par Dave Gibbons lui-même, coauteur et dessinateur de Watchmen, ainsi que par Chip Kidd et Mike Essl, le lecteur découvrira avec un réel plaisir les multiples inspirations et recherches ayant précédé sa naissance, ainsi que les pistes ayant été explorées, mais laissées en route. Pas moins de dix-sept chapitres d’essais et de souvenirs à la pelle, de planches uniques et de l’humour (Gibbons ayant souhaité gommer – et ô combien on le comprend – les tensions et passages difficiles de la série).
Un véritable régal de découvertes, de réminiscences et de plaisir de lecture !
La naissance et l’histoire de cette incroyable série que fut Watchmen méritait et exigeait assurément un album à la hauteur de ce comic book iconique, c’est aujourd’hui chose réalisée avec tout le talent notamment de Dave Gibbons avec cet album d’exception, « Watching the Watchmen » chez Urban Comics.


Gilles Landais

 

« Burcke & Wills ; l’Australie, 1860 : l’impossible traversée. » ; Scénario de Nathalie Sergeeef ; Dessins de Fabio Pezzi, couleurs de ; Cartonné, 24 x 32 cm, 64 p., Colle. Explora, Éditions Glénat, 2020.

Un fantastique album contant avec brio la célèbre et tragique expédition de Robert O’Hara Burke et William John Wills en Australie dans la seconde moitié du XIXe siècle. Un périple vrai, réellement vécu et fascinant, digne des meilleurs romans d’aventure et donné aujourd’hui à découvrir en bande dessinée.
Nous sommes en 1860, précisément, et l’intérieur de l’Australie n’a encore jamais fait l’objet d’explorations par les colons européens. Aussi, n’est-ce pas tout à fait un hasard lorsque Robert O’Hara Burke, explorateur à la notoriété déjà bien assise, et le géomètre William John Wills sont mandatés par la Royal Society of Victoria afin de traverser ces terres intérieures inconnues du sud au nord, soit 2 800 km de Melbourne au golfe de Carpenterie. Ce sera la première expédition à traverser l’Australie méridionale !
Mais, l’expédition de Burke et Wills semble être placée sous une mauvaise étoile. Minée, en effet, de l’intérieur par de nombreux conflits, subissant, qui plus est, de multiples erreurs de calculs et de jugement, elle se heurtera, en plus, au climat aride du désert et aux marécages hostiles, sans oublier les aborigènes… Une extraordinaire aventure vécue palpitante et des plus périlleuses.
Le scénario bien mené et ficelé de Nathalie Sergeef, auteur déjà de nombreux albums, offre au lecteur une réelle, tragique et passionnante découverte, au même titre que celle vécue par Burke et Wills, de ces fameuses contrées inconnues et pleines de dangers que furent les terres d’Australie méridionale en ce XIXe siècle. Nathalie Sergeef est accompagnée, ici, une nouvelle fois, après « Tiago Solan », par le dessinateur Fabio Pezzi.
Les dessins soignés de ce dernier offrent des planches aux splendides paysages et des personnages très vivants venant appuyer avec bonheur le déroulement de cette aventure humaine entraînant le lecteur fasciné dans les multiples périples de Burcke et Wills.
Car, ces célèbres explorateurs, et leurs 18 hommes, arriveront-ils à mener à bien cette si difficile expédition, dénommée « L’impossible traversée » ?
Un album de la collection « Explora » aux éditions Glénat qui devrait assurément rencontrer un franc succès auprès d’un large public.
 

Gilles Landais

 

« Les Tuniques Bleues ; L'envoyé spécial - Tome 65 » ; BeKa – Munuera ; Couleurs de Sedyas, 56 p., Éditions Dupuis, 2020.

L’aventure des Tuniques Bleues en BD n’est plus à rappeler pour cette série désormais mythique. Mais lorsque le tome 65 paraît avant le numéro 64, promis pour l’automne prochain, cela exige quelques explications… Raoul Cauvin, en effet, décidé de se retirer de la série, Lambil, le dessinateur des Tuniques Bleues a dès lors choisi de poursuivre l’aventure, mais a souhaité cependant d’un peu de temps pour réfléchir à l’évolution de la série. C’est pourquoi BeKa et Jose Luis Munuera sont, aujourd’hui, les signataires de ce tome 65, un nouvel album à tout point de vue inédit.
Cette nouvelle histoire des Tuniques Bleues retiendra assurément l’attention du lecteur fidèle en raison de son passionnant sujet. En effet, l’un des héros n’est rien d’autre que le journaliste William Howard Russell, un personnage historique d’un flegme haut en couleur. Un carnet introductif permettra justement de s’immerger dans ce récit tenant à la fois du récit trépidant et de la fresque historique puisque Russell fut en quelque sorte le premier correspondant de guerre de l’Histoire.
Humour et analyse de ce qui constitue le quotidien de la presse et des journalistes de guerre sont donc au rendez-vous de ce tome 65 qui ne s’est en rien départi de la ligne traditionnelle de la série. Le journaliste anglais William Russell est envoyé couvrir pour le Times la guerre de Sécession qui fait rage en Amérique. Monté sur une mule, ce drôle de personnage ayant réellement existé fait la démonstration au lecteur que l’indépendance de la presse n’est jamais chose acquise. Entre instrumentalisation et objectivité, c’est une longue chevauchée qui attend notre héros, flegmatique à souhait, sur le champ de bataille !
Tout en restant dans la ligne graphique semi-réaliste de Lambil, c’est un entrelacs d’histoires qui fourmillent pour le plus grand bonheur du lecteur. Ce regard porté sur l’information et la presse, sublimé par un dessin aux lignes parfaites, devrait non seulement réjouir les habitués de la série mais également rallier de nouveaux lecteurs !

Jules Buissonnet

 

Servais : "Le loup m'a dit" - Première partie ; 237 x 310 mm, 80 p., Éditions AIRE LIBRE, 2020.

Jean-Claude Servais nourrit depuis longtemps un lien étroit et intime avec la nature, c’est ce lien secret qu’il parvient à rendre avec nuances et sensibilité dans cette belle histoire d’une jeune enfant de la Préhistoire grandissant jusqu’à notre époque avec comme fil directeur le loup…
Si l’adage latin « l’homme est un loup pour l’homme » ne semble guère reluisant pour notre espèce, la relation qui l’unit à l’animal et notamment le loup peut dans certains cas aller au-delà, en une vision quasi chamanique, ainsi qu’il ressort de ce fabuleux album traversant les temps.
Le lecteur est spontanément happé par le style et l’histoire de cette étonnante aventure qui, si elle ne débute par le traditionnel « il était une fois… », nous plonge néanmoins dans la savane herbeuse des chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire. La rencontre d’Ambre avec le loup est sublime, instants rêvés qui dépassent les peurs ancestrales de l’homme, proximité de l’homme et de l’animal. À partir de cette rencontre, Servais tisse une longue histoire selon les âges où chaque protagoniste jouera son rôle et ne s’en départira qu’en de rares occasions et dont l’auteur de ce magnifique album saura se saisir avec talent et une belle sensibilité au vivant !
 

Jules Buissonnet

 

« Labyrinthus – La Machine – Tome 02 » ; Scénario de Christiphe Bec, ; dessins de Fabrice Neaud ; Couleurs de Simon Champelovier ; Cartonné, 24 x 32 cm, 64 p., Éditions Glénat, 2020.

Saurons-nous enfin, dans ce tome 2 de « Labyrinthus », d’où provient la fameuse et mortelle « cendre » ?
Les fans du premier volume se souviennent qu’en 2057 la terre a été entièrement, après le passage de curieux typhons, recouverte d’une étrange et mortelle cendre recouvrant villes et campagnes de manière uniforme. Un phénomène mystérieux, mortel, puisque partout dans le monde des cas de maladies respiratoires graves se sont développés à une vitesse vertigineuse. Les autorités tant politiques que sanitaires concluent ensemble à une arme de destruction massive envoyée sur terre pour rayer l’humanité…
Pour le deuxième tome de ce diptyque, Christophe Bec (auteur aussi prolixe que talentueux) toujours aux commandes de ce captivant thriller de science-fiction, a opté pour un scénario des plus dynamiques et haletants. Le lecteur est plongé dans le grand cosmos avec une impression d’accélération permanente et d’anxiété. Un sentiment de mystère et d’angoisse que vient avec talent renforcer les dessins de Fabrice Neaud et les couleurs de Simon Champelovier.
Car, dans ce nouvel album, « La Machine », parallèlement à la mission américaine envoyée vers le satellite de Mars, Phobos, pour comprendre et enrayer l’étrange phénomène ayant entraîné la pandémie, une mission concurrente, cette fois-ci, chinoise a également fait route… Toutes deux vont alors découvrir que le fameux satellite de Mars n’est en réalité qu’un satellite totalement artificiel et ayant été conçu par une intelligence extraterrestre située en son cœur même…
Vont-ils réussir à l’atteindre alors même que Phobos mute et se réorganise en fonction de ceux qui pénètrent ? Serait-ce un piège motel ?...
Un album posant bien des questions écologiques qui ne manque ni d’action ni d’humour et encore moins de surprises !
 

Gilles Landais

 

« A Game of Thrones – La Bataille des rois – Tome 1 », Scénario Landry Walker ; Dessins Mel Rubi ; Couleurs Ivan Numes, d’après le roman de George R.R. Martin ; Couv.cartonnée, Quadrochromie, 180 p., Editions Dargaud, 2020.

Plaisir que de retrouver pour une deuxième série en quatre tomes tout l’univers de « Games of Thrones », après le faramineux succès rencontré par la première saison ! C’est tout l’univers du célèbre romancier américain George R.R. Martin en BD que les lecteurs pourront de nouveau découvrir dans ce premier volume de cette deuxième série. Son titre même « La Bataille des rois » est annonciateur de l’indéniable poursuite de cette incroyable fantasy dans ce Moyen-Âge fantasmé dès plus réussi.
Cette fois-ci, c’est Landry Walker –auteur notamment de « Odd Thomas » - qui en signe le scénario, prenant ainsi la suite de Daniel Abraham. L’histoire commence avec un étrange présage de mort… la vision de la queue d’une comète de feu, rouge sang, une comète déchirant « le ciel au-dessus des rochers escarpés de Peyredragon, telle une blessure ». Ainsi débute ce volume alors même que Lord Stark et le roi Baratheon, trahis pour la couronne et morts, ne peuvent plus garantir la paix. Le plus grand chaos menace le royaume après 10 ans de paix et d’abondance… Qui prendra le pouvoir et le trône ? C’est une « Bataille de rois » effrénée et sans lois qui va alors commencer…
Une bataille plus que jamais fantastique et impitoyable comme on n’en a jamais vue, merveilleusement rendue, en ces pages, par les dessins de Mel Rubi, dessinateur ayant déjà à son actif plus d’un personnage de comics dont Doctor Strange ou encore Wolreine, et prenant pour ce volume la suite de Tommy Patterson. Aux visages acérés, cruellement expressifs s’ajoute un découpage choisi tant vertical qu’horizontal ; Des dessins et planches que viennent rehausser pour cette « bataille des rois » impitoyable les couleurs contrastées de Ivan Numes.
Car, ce ne sont pas moins de six prétendants à la couronne, six trônes plus ou moins légitimes, qui vont ainsi dans cet univers au bord de l’explosion s’affronter. Des ambitions démesurées que rien ne semble arrêter, fratricides, sexe, inceste, meurtres, magie et sorcellerie dicteront les armes et les lois de cette lutte pour le pouvoir sans merci.
Le lecteur de cet incroyable volume ne pourra qu’attendre avec impatience le tome 2 de cette série culte donnée, ici, en BD pour une deuxième série.
 

Gilles Landais

 

« L’Âge d’or » de Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa ; 237 x 310 mm, 192 p., Éditions Aire Libre, 2020.

Heureuse nouvelle que de découvrir que le second tome de « l’Âge d’or » vient de paraître aux éditions Aire Libre.
Pour ce dernier, les auteurs, Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa (primé à de multiples reprises) ont laissé plus que jamais libre cours à leur imagination afin de clore merveilleusement cette fabuleuse aventure de « L’Âge d’or ». Et c’est un vrai régal !
Alors que la guerre en un froid hiver a débuté, l’orgueilleuse princesse Tilda, sûre de sa légitimité et assoiffée de pouvoir, assiège, refusant toute alliance, le château de son frère afin d’en reconquérir le trône. A l’intérieur du château assiégé, Bertil, le fidèle de la princesse, qui a rejoint la rébellion, risque dès lors la pendaison. Mais, du haut des remparts, les « gueux » sont prêts à affronter les assaillants…
Les auteurs ont souhaité donner, ici, au récit médiéval, au-delà des luttes de pouvoirs, des trahisons et violences, une véritable dimension de fable sociale. Cela donne un album plaisamment travaillé offrant pour ce flamboyant conte fantastique médiéval une très belle atmosphère onirique.
Des personnages stylisés ou esquissés, des visages croqués souvent grotesques, donnent un récit moyenâgeux revisité et singulier, fort joliment rendu par des pleines ou doubles pages d’une belle poésie.
Avec un scénario bien mené rehaussé de camaïeux et couleurs chatoyantes, ce second et dernier tome de «L’Âge d’or » pourrait bien relever le défi d’être ce fameux livre « au pouvoir si grand qu’il peut changer la face du monde et de ceux qui le peuple… »
Car dans cette conquête et lutte sans merci, un précieux et extraordinaire livre perdu « L’Âge d’or » pourrait bien venir effectivement en façonner le destin…


Gilles Landais

 

« Conan le Cimmérien - La Maison aux trois bandits » de Patrice Louinet (scénario) et Paolo Martinello (Dessins & couleurs), Editions Glénat, 2020.

À celles et ceux qui penseraient, à tort, que le célèbre héros musculeux Conan le Barbare est né avec l’acteur bodybuildé Arnold Schwarzenegger dans les années 80, cette série leur est assurément destinée ! En effet, c’est l'écrivain Robert E. Howard en 1932 qui eut l’idée d’évoquer le premier les péripéties de ce héros solitaire en 21 histoires. Conan est un Cimmérien, ces peuples d’avant la préhistoire dont l’origine reste obscure.
Pour cet épisode intitulé « La Maison aux trois bandits », Patrice Louinet en qualité de scénariste et Paolo Martinello pour les dessins et couleurs ont uni leur talent afin de développer cette truculente histoire qui se déroule dans une cité-état entre Zamora et Corinthia. Alors que notre héros se trouve enfermé en prison, Murilo, un aristocrate rusé souhaite utiliser la force invincible de ce dernier afin de se débarrasser de son adversaire politique, le prêtre rouge Nabonidus. Conan parvient à s’évader et met à exécution le plan visant à éliminer Nabonidus jusqu’à ce que les choses ne tournent pas comme elles avaient été trop facilement prévues…
Nos deux auteurs ont retenu pour cet album un Conan inhabituel, voleur et assassin, en marge du redresseur de torts auquel le héros nous avait jusqu’alors habitués. Dès les premières planches, le décor est dressé : ambiances urbaines néo-antiques, couleurs sombres et crépusculaires, visages tourmentés et émaciés des protagonistes. Le rythme est rapidement enlevé laissant les scènes d’action se succéder à une vitesse effroyable. Les turpitudes et fourberies sont légion dans cet album atypique et néanmoins passionnant jusqu’à la dernière page !
 

Jules Buissonnet

 

"Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent" de Stephen R Covey, un livre audio lu par Benoit Grimmiaux, Audiolib.

 

Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent compte très certainement parmi les livres les plus importants du XX° siècle en matière de développement personnel. Son auteur, Stephen R. Covey (lire notre interview) disparu en 2012, a réuni dans cet ouvrage dense et exigeant la quintessence de décennies de lectures, travaux, conférences, séminaires sur le sens de nos vies. Il est aujourd’hui – heureuse initiative – disponible en audiolivre aux Éditions Audiolib. L’auditeur de ce livre, admirablement lu par Benoît Grimmiaux, avancera par étapes à la recherche de ce qui importe le plus dans sa vie, à mille lieues des recettes aussi faciles qu’inutiles. Stephen R. Covey nous apprend ainsi progressivement à sortir de nos ornières du quotidien, de ces réactivités qui minent nos relations et nos vues à court terme qui entament notre vie sans que ces temps gâchés ne puissent revenir à nouveau. Et c’est bien effectivement à vivre de nouveau ou autrement que propose R.Covey dans cet ouvrage audio, sans prosélytisme, ni idéologie, même si l’auteur ne cache pas son attachement à sa foi, attachement qui n’est nullement ostentatoire ni indispensable à l’écoute de ces lignes qu’il offre généreusement à ses lecteurs. Apprenons donc à identifier ces schémas erronés, à redéfinir notre mission à partir de ce qui importe le plus pour nous – un examen souvent difficile, mais si indispensable à la vraie vie – puis faisons en sorte que, jour après jour, notre quotidien se rapproche de cette vue idéale, avec ses aléas, mais aussi ses victoires. Une belle aventure à écouter avec Audiolib en téléchargement ou en librairie.

 

ARCHIVES 

Dossier Marcel Proust

« Les Amis de Marcel Proust » de Georges Cattaui ; Avant-propos de Jean-Yves Tadié, Éditions de L’Herne, 2021.
 


Avec un avant-propos signé Jean-Yves Tadié, spécialiste incontournable de Proust, c’est un ouvrage exquis que nous proposent les éditions de L’Herne. Tel un album de photographies d’antan que l’on constituait dès le plus jeune âge des enfants et que l’on poursuivait sa vie durant, cet ouvrage à la couverture bleue soignée livre, en effet, à la rêverie, à l’observation, mais aussi à la découverte plus d’une centaine de photographies consacrées à l’univers de Marcel Proust. « Famille, amis, enfance, âge adulte, biographie ordonnée par la chronologie des poses, parfois dues à des photographes connus, Otto, Nadar fils. Pas d’instantanés ici. Et des mystères (…)» souligne Jean-Yves Tadié.
Nous devons cette inestimable réunion de photographies à Georges Catttaui qui la fera paraître - il sera l’un des premiers, à Genève sous le titre « Proust documents iconographiques » chez l’éditeur d’art Pierre Cailler en 1956 ; divisé en deux parties, le lecteur y retrouvera à la fois les proches de Marcel Proust – son frère Robert, sa grand-mère, bien sûr, mais aussi un grand nombre de ses amis dont le fameux comte Robert de Montesquieu ou encore Reynaldo Hahn devant son piano. « Les Maîtres, les modèles et les amis » de l’écrivain s’y croisent au gré des pages. Photographies, toiles avec notamment le célèbre portrait de Proust par Jacques-Emile Blanche qui ouvre l’album, croquis, dessins et reproductions jalonnent ainsi le siècle de Proust et celui d’ « A la recherche du temps perdu ».
Mais, cet ouvrage offre au lecteur bien plus qu’un pur album photographique, il nous redonne à lire ou relire cet admirable texte, sensible et profond, écrit par Georges Cattaui lors de la première parution de l’ouvrage. Un subtil alliage d’observations, de réflexions et de subjectivité conférant à ces photographies, telles des pierres précieuses serties, une profonde et délicate lumière. C’est le monde de Marcel Proust mais aussi celui quelque part de « A la recherche du temps perdu » qui se dévoilent... « La littérature est une hallucination, ce que nous allons entendre, ce sont les phrases d’A la recherche du temps perdu. » écrit Jean-Yves Tadié.
 

L.B.K
 

Marcel Proust : « Lettres à Horace Finally » ; Edition établie par Thierry Laget ; Avant-propos de Jacques Letertre ; Collection Blanche, Gallimard, 2022.
 


Horace Finaly compte parmi ces grands banquiers d’affaires de l’entre-deux-guerres ayant joué un rôle essentiel à la Banque de Paris et des Pays-Bas. Curieusement, son nom tombé dans l’oubli resurgit aujourd’hui par le truchement de son célèbre camarade de classe au Lycée Condorcet, un certain Marcel Proust…
Devenu personnage de roman pour Giraudoux dans « Bella » et pour certains identifié à Bloch dans la « Recherche », cet ami de toujours, disponible alors que son agenda ne le permettait guère, aidera Proust dans les problèmes rencontrés avec son encombrant compagnon de l’époque Henri Rochat. Sollicitant les relations du banquier pour lui trouver un poste au lointain Brésil, Finaly s’exécutera généreusement malgré les déconvenues survenues par l’attitude de l’encombrant personnage, ainsi que le rappelle Jacques Letertre en avant-propos.
Le présent recueil de cette correspondance inédite s’ouvre sur une lettre datée de 1920, le reste de la correspondance de jeunesse étant malheureusement perdue. L’auteur de la « Recherche » s’adresse à son « cher ami d’autrefois et de toujours » en souvenir des années passées à Condorcet. Proust au fil des lettres égrène ses chers souvenirs même si les « espérances ne se réalisent pas », le passé n’étant jamais perdu pour l’écrivain. La maladie de Proust, cloué maintenant la plupart du temps au lit, est omniprésente, ce qui ne l’empêche pas pour autant de « caser » son protégé loin de l’Hexagone grâce à l’influence et relations de son vieil ami.
Pointent quelques traits d’humour « proustiques » ainsi qu’il se qualifie lui-même. Rochat se trouve finalement envoyé en Amérique du Sud par Finaly, au lieu de la Chine initialement prévue. Puis viendront les tendres et touchants témoignages d’amitié lors du décès de l’épouse tant aimée d’Horace en mai 1921, témoignages émaillés par les frasques de Rochat au Brésil, sans oublier les multiples fièvres de la santé déclinante de Marcel Proust au terme de sa vie. Durant ces derniers mois qui lui restent à vivre, l’écrivain adressera en avril 1922 un dernier témoignage à son ami de toujours sous la forme d’un envoi autographe sur la page de garde du tome I de « Sodome et Gomorrhe » paru le même mois. Dans cette ultime adresse, Marcel Proust, même s’il « n’aime pas mêler de la littérature à un souvenir douloureux et vivant en moi » pense une dernière fois à son fidèle ami sous le signe de l’amitié et du souvenir de sa défunte épouse. Un vibrant et ultime témoignage un siècle exactement après la disparition de l’écrivain.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

 

« Proust, la fabrique de l'œuvre » sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fait et Nathalie Mauriac Dyer, catalogue d’exposition BNF, 240 pages, Gallimard, 2022.
 

 

 


Vaste entreprise que d’explorer la fabrique de l’œuvre de Marcel Proust ! Mais, une heureuse initiative entreprise aujourd’hui sous la direction d’Antoine Compagnon de l’Académie française à l’occasion de l’exposition éponyme actuellement à la BnF. A l’image d’un abécédaire littéraire des plus nourris, le présent catalogue présente de A à Z, la création littéraire proustienne avec des entrées aussi variées et pittoresques que « Water-closet », « Zut, zut, zut, zut » ou « Kapitalissime »… Derrière l’apparent farfelu de certaines de ces thématiques se trouve cependant développé avec brio et passion le véritable laboratoire d’écriture de l’auteur de La Recherche. Ainsi que le relèvent Antoine Compagnon, Guillaume Fait et Nathalie Mauriac Dyer « la vision de l’écrivain au travail dans ses manuscrits s’impose aussitôt au lecteur », évoquant les fameuses paperoles qui accompagnaient ce travail souvent long et répété de rédaction se nourrissant de multiples références croisées. Comment cependant recoller tous ces morceaux accumulés par ce long processus de composition ? Quelle relation entretenait l’écrivain avec le temps, ce fameux « Temps », tout au long de la genèse de l’œuvre à accomplir ? Comment avons-nous reçu ce legs un siècle après et que faire de ces multiples manuscrits constituant la création proustienne ? C’est à ces questions auxquelles répond avec précision et clarté ce riche catalogue illustré, bien sûr, par de nombreuses reproductions des manuscrits de Marcel Proust, mais aussi de photographies d’époque et autres œuvres d’art. Pour les amateurs du célèbre écrivain, mais aussi pour les esprits curieux souhaitant vagabonder de page en page dans l’immense laboratoire de la création littéraire d’A la recherche du temps perdu, cet abécédaire réservera bien des agréments et exquises surprises.
 

 

« Jacques-Emile Blanche – Portrait de Marcel Proust en jeune homme » ; Préface de Jérôme Neutres ; Éditions Bartillat, 2021.
 


À souligner, en cette année 2022 marquant le centenaire de la mort de Marcel Proust, la réédition de l’ouvrage intitulé « Portrait de Marcel Proust en jeune homme » aux éditions Bartillat ; un ouvrage réunissant quatre textes signés Jacques-Emile Blanche, tous consacrés à l’auteur de « À la recherche du temps perdu ». Peintre, critique et écrivain, aujourd’hui certes moins connu que son contemporain, Jacques-Emile Blanche fut, cependant, un peintre réputé ; on lui doit notamment des portraits de Liszt, Montesquiou, Gide, Cocteau ou Mauriac… Il est surtout l’auteur du fameux portrait de Marcel Proust, jeune homme, en 1892 ; un des rares portraits qui nous soit parvenu de Proust, que ce dernier conserva près de lui toute sa vie, aujourd’hui au Musée d’Orsay et qui illustre la couverture de cet ouvrage.
Jérôme Neutres revient dans sa préface sur ces deux destins qui n’ont eu de cesse de se croiser sans jamais avoir cependant la même trajectoire. Marcel Proust, de dix ans son cadet, connut enfant Jacques-Emile, fils du célèbre psychiatre Blanche. Se retrouvant étudiants, ayant des amis en commun dont Robert de Montesquiou ou encore François Mauriac, ils se croisèrent et se brouillèrent à maintes reprises ; si leur amitié fut, ainsi que le souligne Jérôme Neutres, asymétrique, Blanche vouera cependant une amitié et admiration indéfectibles envers le jeune homme, le dandy et l’auteur de la Recherche… « Le succès de Proust ne signe-t-il pas le seul vrai accomplissement de Blanche qui aura été de peindre et de révéler le plus grand écrivain du XXe siècle ? » interroge le préfacier. Aussi est-ce avec un intérêt certain que le lecteur pourra découvrir ces délicieux écrits de Jacques-Emile Blanche.
Deux ont été rédigés du vivant même de Proust dont l’un daté de 1914 ; publié dans « L’Écho de Paris » à l’occasion de la parution l’année précédente « Du côté de chez Swann », Jacques-Emile, en visionnaire, y loue ce premier volume « sans précédent dans notre littérature ». Les deux autres textes ont été écrits par le critique et ami après la disparition de Proust ; le premier est un émouvant témoignage paru dans le numéro spécial de la NRF, « Hommage à Marcel Proust », en 1923 ; le dernier écrit, plus qu’élogieux et touchant, est extrait de l’ouvrage de Blanche « Mes Modèles » paru en 1929.
Un portrait et quatre textes qui dépeignent ce même jeune homme à l’orchidée qu’admira toute sa vie le peintre et écrivain. « (…) Blanche aura au fond recommencé toute sa vie le portrait de Proust en jeune homme. Il aura remis régulièrement son plus célèbre tableau sur son chevalet, pour le décrire et le commenter avec des mots. » souligne encore en sa préface Jérôme Neutres.
 

L.B.K.

 

Jean-Yves Tadié : « Proust et la société », Éditions Gallimard, 2021.
 


C’est à la recherche d’un Proust dans son temps, dans sa société auquel nous convie Jean-Yves Tadié avec cet ouvrage « Proust et la société » qui vient de paraître aux éditions Gallimard. L’auteur nous dévoile, tour à tour, un Marcel Proust sociologue, géographe, historien ou encore psychologue. Le lecteur retrouvera ainsi Proust dans son milieu avec ses domestiques mais aussi le dandy regardant la société et « le peuple ». En ce tournant du siècle, on découvre également un Proust bien ancré dans le monde de la finance même si ses placements seront souvent malheureux et que l’écrivain se dit plus d’une fois exagérément ruiné… L’auteur revient ainsi sur les rapports que l’écrivain entretenait avec l’argent.
Mais, pour cet ouvrage, Jean-Yves Tadié ne s’est pas limité à nous révéler un Marcel Proust en son temps, il a également entendu faire dialoguer cette société contemporaine avec celle-là même de A la Recherche du temps perdu. Ce monde que dépeint et fit vivre avec sa sensibilité et ses émotions l’écrivain en des pages mémorables, modifiant, changeant noms et lieux tout en leur laissant une certaine part de réalité. Ce n’est pas un regard, mais des regards que livre la Recherche. Ainsi, Jean-Yves Tadié analyse-t-il « La France de 1871 et la famille de Marcel Proust » ou ces « Figures de la modernité », que l’on retrouve tout au long de la Recherche et que Marcel Proust, Alfred Agostinelli, mais aussi Albertine, connurent en leur temps. L’auteur ne souligne-t-il pas en son introduction que Marcel Proust fut « un prodigieux observateur, et, d’après les souvenirs de ses amis, dans les salons, les restaurants, voire les maisons closes, un enquêteur infatigable ». La Recherche rend compte d’une société, celle dans laquelle l’écrivain non seulement évolua, celle qu’il observa, scruta, mais aussi celle qu’il écrivit et imagina. Or, « la société décrite et analysée par Proust, parce qu’elle est représentée de manière symbolique, est encore vivante, et même « créatrice ». Les structures profondes échappent au temps et aux modes. Il y a une mode des modes qui, elle, ne se démode pas. », ajoute Jean-Yves Tadié.
Qu’il soit boursicoteur peu chanceux, technophile amoureux, géographe des lieux…, c’est le portrait d’un Marcel Proust moins connu, parfois inédit que convoque en ces pages Jean-Yves Tadié, et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur.

 

L.B.K.

 

« PROUST, Le Concert Retrouvé / Un concert au Ritz à la Belle Époque » ; Théotime Langlois de Swarte (violon), Tanguy de Williencourt (piano) ; CD, Stradivari Musée de la musique Paris, Harmonia Mundi, 2021.
 


Le temps d’un enregistrement – ce temps si précieux à Marcel Proust –c’est l’univers de la Recherche qui vient occuper tout l’espace sonore subtilement déployé par deux musiciens talentueux, Théotime Langlois de Swarte au violon et Tanguy de Williencourt au piano. Le disque paru chez Harmonia Mundi s’intitule en effet « Proust, le concert retrouvé ». Il n’est cependant pas ici question de quelques vagues programmes « à la manière de », mais bien d’une véritable recherche musicale sur un concert ayant réellement eu lieu, le 1er juillet 1907 à l’hôtel Ritz de Paris.
C’est une lettre écrite par Proust deux jours après ce fameux concert à son ami Reynaldo Hahn qui nous en dévoile toute la saveur, saveur qui fait l’objet du présent enregistrement. L’univers musical des salons parisiens se trouve spontanément révélé, dépassant la chronologie, pour composer de véritables tableaux de musique.

Proust avait des choix bien arrêtés en matière d’art, en témoignent ses nombreuses références à la peinture et à la sculpture dans son œuvre, et la musique ne faisait pas exception. Il retint lui-même le programme de ce concert ainsi que le choix de ses interprètes. Son amour pour la musique de Fauré n’a d’égal que son admiration pour les choix révolutionnaires introduits par Wagner, Proust n’hésitant pas à faire des parallèles entre la mort d’Isolde et celle de la grand-mère dans la Recherche

(...) Nos deux interprètes ont su se saisir de cette « matière » musicale ample et disparate pour en restituer toute l’unité féconde qu’avait souhaitée l’écrivain en concevant ce programme. Proposant ces œuvres sur des instruments d’époque, le fameux « Davidoff », l’un des cinq Stradivarius de la collection du Musée de la musique de Paris, ainsi qu’un généreux Érard datant de 1891 restituant fidèlement et avec rondeur ces morceaux choisis.

Dans ce « Concert retrouvé », un arrangement de la fameuse pièce « A Chloris » ouvre tout en sensibilité ce disque. Ravissement également pour cette séduisante interprétation de la Sonate pour violon et piano n° 1 en La majeur op. 13 de Fauré, une œuvre au charme spontané et aux « hardiesses les plus violentes », ainsi que le souligna en son temps Camille Saint-Saëns. Saut dans le temps voulu par Proust avec Couperin et « Les Barricades mystérieuses » qui ne pouvait que séduire par son style luthé l’écrivain amoureux de Versailles. Mais aussi, l’incontournable Chopin, omniprésent dans les salons parisiens, Robert Schumann et « Das Abends » dont le mélomane n’aura aucune peine à imaginer l’effet sur les heureux invités de ce concert. Un merveilleux enregistrement, qui en plus d’être un hommage inspiré à Marcel Proust en cette année anniversaire, offre ce portrait délicieux de toute une époque saisie avec talent par les deux interprètes.

 

« Marcel Proust – Une vie de lettres et d’images » de Pedro Corrêa do Lago ; Préface de Jean-Yves Tadié ; 19.5 x 25 cm, 288 pages, Editions Gallimard, 2022.
 


Parmi les nombreuses publications consacrées à Marcel Proust, l’ouvrage « Marcel Proust – Une vie de lettres et d’images » retiendra assurément l’attention, offrant à la lecture un fécond et foisonnant dialogue. Plaisir, en effet, que d’ouvrir ces pages et de se promener dans ces multiples entrées où biographie, photographies, manuscrits et documents se répondent tels des échos infinis de la « Recherche ». Plus de 300 documents y sont réunis et présentés par les plus grands soins de Pedro Corrêa do Lago, passionné par Marcel Proust depuis plus de quarante ans. L’auteur n’a pas hésité pour cet ouvrage préfacé par Jean-Yves Tadié à ouvrir au lecteur sa propre collection privée, l’une des plus grandes collections au monde de lettres et manuscrits autographes. Cet ouvrage construit de manière chronologique propose de nombreuses entrées et thèmes abordés qui interpellent ou surprennent au gré de ces lettres, billets, dessins ou photographies rarement montrés en un vertigineux kaléidoscope ; le lecteur parcourt ainsi, sur plus de 260 pages de documents pour la plupart inédits, tant la vie de Marcel Proust, sa famille, ses amis, ses goûts et déceptions et sa « Conquête du grand monde », mais aussi, en contre point, la fabrication de la « Recherche » et la reconnaissance de l’un des plus grands écrivains français… C’est tout l’univers proustien, passionnant et tourbillonnant, qui se donne ainsi à voir, à lire et à découvrir telle une merveilleuse lanterne magique…
 

L.B.K.

 

Jean-Yves Tadié : « Proust et la société », Éditions Gallimard, 2021.
 


C’est à la recherche d’un Proust dans son temps, dans sa société auquel nous convie Jean-Yves Tadié avec cet ouvrage « Proust et la société » qui vient de paraître aux éditions Gallimard. L’auteur nous dévoile, tour à tour, un Marcel Proust sociologue, géographe, historien ou encore psychologue. Le lecteur retrouvera ainsi Proust dans son milieu avec ses domestiques mais aussi le dandy regardant la société et « le peuple ». En ce tournant du siècle, on découvre également un Proust bien ancré dans le monde de la finance même si ses placements seront souvent malheureux et que l’écrivain se dit plus d’une fois exagérément ruiné… L’auteur revient ainsi sur les rapports que l’écrivain entretenait avec l’argent.
Mais, pour cet ouvrage, Jean-Yves Tadié ne s’est pas limité à nous révéler un Marcel Proust en son temps, il a également entendu faire dialoguer cette société contemporaine avec celle-là même de A la Recherche du temps perdu. Ce monde que dépeint et fit vivre avec sa sensibilité et ses émotions l’écrivain en des pages mémorables, modifiant, changeant noms et lieux tout en leur laissant une certaine part de réalité. Ce n’est pas un regard, mais des regards que livre la Recherche. Ainsi, Jean-Yves Tadié analyse-t-il « La France de 1871 et la famille de Marcel Proust » ou ces « Figures de la modernité », que l’on retrouve tout au long de la Recherche et que Marcel Proust, Alfred Agostinelli, mais aussi Albertine, connurent en leur temps. L’auteur ne souligne-t-il pas en son introduction que Marcel Proust fut « un prodigieux observateur, et, d’après les souvenirs de ses amis, dans les salons, les restaurants, voire les maisons closes, un enquêteur infatigable ». La Recherche rend compte d’une société, celle dans laquelle l’écrivain non seulement évolua, celle qu’il observa, scruta, mais aussi celle qu’il écrivit et imagina. Or, « la société décrite et analysée par Proust, parce qu’elle est représentée de manière symbolique, est encore vivante, et même « créatrice ». Les structures profondes échappent au temps et aux modes. Il y a une mode des modes qui, elle, ne se démode pas. », ajoute Jean-Yves Tadié.
Qu’il soit boursicoteur peu chanceux, technophile amoureux, géographe des lieux…, c’est le portrait d’un Marcel Proust moins connu, parfois inédit que convoque en ces pages Jean-Yves Tadié, et ce, pour le plus grand plaisir du lecteur.

 

L.B.K.

 

« Marcel Proust » ; Cahier de l’Herne dirigé par Jean-Yves Tadié, 304 pp., Éditions de l’Herne, 2021.
 

 


Ces deux dernières années se présentent décidément riches en inédits ou documents rares proustiens. Avec la parution des soixante-quinze feuillets, le somptueux Cahier des éditions de l’Herne consacré à l’auteur de la Recherche s’avère non seulement l’occasion de revisiter l’œuvre du grand écrivain, mais aussi d’entrer au cœur même de la création proustienne, démarche exigeante ainsi qu’en témoignent les études et documents réunis.

Jean-Yves Tadié, grand spécialiste de Proust et coordinateur de cette édition, ouvre son avant-propos en rappelant que « le grand mystère de la littérature véritable, c’est, comme disait Saint-John Perse (…) l’obscure naissance du langage ».

Une conception qui s’entend de manière plurielle, qu’il s’agisse de cette hypersensibilité de l’écrivain au monde qui l’entoure ou de son rapport à l’histoire de l’art, de la musique, et bien entendu, la littérature. Ce Cahier ouvre ses pages aux témoignages moins connus, une cousine, Valérie Thomson, des amis, les Schiff, son dernier secrétaire, Henri Rochat. Tous ont en commun d’avoir connu l’écrivain et d’en livrer l’une des nombreuses facettes à l’image de la fameuse lanterne magique… Ainsi que le souligne très justement Jean-Yves Tadié, cette impressionnante réunion d’études vise moins à « accroître nos connaissances que de maintenir une œuvre en vie et de lui garantir la jeunesse et une forme d’immortalité ». À l’heure de la sollicitation incessante de nos contemporains par le monde numérique qui entraîne souvent une perte de concentration pour aborder de grandes œuvres volumineuses, cette tentative s’avère non seulement non seulement plus que louable, mais aussi indispensable au risque de perdre encore tout un pan de la culture classique déjà bien entamée.
De nombreux inédits puisés dans les Cahiers de Marcel Proust, un article inconnu de Reynaldo Hahn, grand ami de Proust, des témoignages de nombreux contributeurs sur la manière dont ils considèrent l’écrivain, habile façon de le découvrir sous d’autres angles, telles sont les multiples entrées de ce Cahier incontournable pour les amoureux de Proust et de la littérature !

 

 

Marcel Proust : « Les soixante-quinze feuillets. Et autres manuscrits inédits » ; Édition de Nathalie Mauriac ; Préface de Jean-Yves Tadié, ; Collection Blanche, Éditions Gallimard, 2021.


 

 


Véritable coup de tonnerre dans l’univers proustien, la publication inédite des « Soixante-quinze feuillets » de Marcel Proust aux éditions Gallimard met en émoi chercheurs et passionnés pour ce qui peut être considéré comme les prémices de la Recherche… Ces soixante-quinze feuillets anticipant la Recherche sont conservés aujourd’hui à la Bibliothèque nationale après que l’éditeur Bernard de Fallois en ait fait la donation à sa mort.
La dimension autobiographique récurrente de cette première ébauche élaborée entre la fin 1907 et le début de l’année 1908, qui s’estompera par la suite dans la version définitive du roman, retiendra à l’évidence l’attention des littéraires. C’est en effet avec émotion que le lecteur attentif relèvera, dans ces feuillets la présence des prénoms effectifs de sa mère, Jeanne, de sa grand-mère, Adèle, sans oublier le frère de l’écrivain, Robert, qui disparaîtra quant à lui par la suite dans le roman. Le tableau familial et les repères de l’écrivain trouvent ainsi dans ces textes leur première expression avant de constituer le terreau fertile duquel fleurira la grande œuvre.
Cette « découverte » grâce à la remarquable édition réalisée par Nathalie Mauriac Dyer, arrière-petite-fille de Robert Proust, vient aussi lever le voile sur ce que beaucoup pressentaient. La genèse de l’un des plus grands romans du XXe siècle prend bien ici la forme d’une ébauche, à l’image des sinopie pour les fresques italiennes. Couchée sur de larges pages de 36 x 23 cm, la fine écriture de Proust anticipe les futurs Cahiers que l’écrivain retiendra pour la rédaction définitive de son roman. Si de nombreuses ratures témoignent des balbutiements du chef-d’œuvre futur, il n’y a guère encore de paperolles, ces célèbres bouts de papier collés et corrigeant presque à l’infini le manuscrit final. Seuls quelques dessins et surtout les fondations du futur monument littéraire occupent l’espace des soixante-quinze feuillets dont les titres ont été ajoutés.
Quel paysage ressort de ces ébauches ? Avant tout celui de l’enfance chérie de l’écrivain et notamment cette « Soirée à la campagne » qui ouvre le récit : « On avait rentré les précieux fauteuils d’osier sous la vérandah car il commençait à tomber quelques gouttes de pluie et mes parents après avoir lutté une seconde sur les chaises de fer étaient revenus s’asseoir à l’abri »… Dès les premières lignes, cette sensibilité à fleur d’encre fait avouer au narrateur - qui demeure l’écrivain – ses tremblements, ses fureurs et ses pleurs. Ces premiers feuillets sont l’occasion d’introduire des thèmes qui seront chers à Marcel Proust et qui les développera par la suite avec le génie que l’on sait. La campagne, le charme de ses jardins, l’esquisse de la fameuse scène du coucher et du baiser tant espéré. Cette sensibilité qui a fait la fortune, et les peines, du romancier apparaît en contre-jour d’un univers composé de nostalgie encore autobiographique, mais que le génie de l’écrivain métamorphosera pour la ciseler en roman. Ce thème de l’enfance si précieux à Proust occupe ainsi déjà l’espace de ces feuillets, une enfance aux accents souvent malheureux alternant avec des rayons de bonheur. Transcendant l’exercice des mémoires – déjà si souvent abordés par ses illustres prédécesseurs – Proust espère encore avec ces brouillons faire œuvre à l’image de Balzac ou Dostoïevski, avant de les abandonner, déçu. Cette germination du futur roman s’accomplira cependant subrepticement, à son insu, à partir de l’évocation de ces instants vécus et relatés comme pour mieux les sublimer par la suite.
Ce sont ces piliers essentiels de la Recherche soutenant l’architecture à venir, l’enfance à la campagne, les séjours à la Mer, les jeunes filles, Venise ou encore cet attrait pour la noblesse que le lecteur aura le bonheur de découvrir dans ces « Soixante-quinze feuillets. Et autres manuscrits inédits »… C’est, en effet, du dépassement de l’élément autobiographique en façonnant de véritables personnages autonomes de roman que résidera le génie du futur roman.
Il faut encore souligner pour conclure l’immense travail critique réalisé en un temps record par Nathalie Mauriac Dyer sur près de 200 pages de notice et de notes offrant ainsi différents niveaux de lecture de cette unique introduction à la Recherche !

 

Marcel Proust : "A la recherche du temps perdu" - nouvelle version en 35 CD MP3 et 7 petits coffrets ; Présentation de Jean-Yves Tadié dans le livret d'accompagnement ; lu par : André DUSSOLLIER, Lambert WILSON, Denis PODALYDÈS, Guillaume GALLIENNE, Robin RENUCCI, Michaël LONSDALE, Editions Thélème.

 

Les éditions Thélème ont réussi ce pari impensable d’enregistrer l’intégralité d’un des romans les plus connus de la littérature, A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. L’entreprise étonne et surprend tant l’ampleur de la tache aurait pu dissuader d’enregistrer une œuvre aussi importante. Pour relever ce défi, les plus grands acteurs ont été invités à cette réalisation exceptionnelle : André DUSSOLLIER, Lambert WILSON, Denis PODALYDÈS, Guillaume GALLIENNE, Robin RENUCCI, Michaël LONSDALE prêtent ainsi leur voix au narrateur de la Recherche. Et la magie opère, car comme le soulignait justement Raphaël Enthoven dans l’entretien accordé à notre revue «… la Recherche est une machine à éterniser les instants, même les plus insignifiants » et les voix de ces enregistrements, faisant revivre les évocations de Marcel Proust dans sa grande œuvre, offrent à leur tour de nouveaux éclairages, une nouvelle manière de percevoir le style, les images et les tonalités du roman. Toujours dans le même entretien, Jean-Paul Enthoven reconnaissait : « A chacune de ses lectures, il me paraît nouveau. Si je relis Voyage au bout de la nuit de Céline ou Une ténébreuse affaire de Balzac, j’ai le sentiment de lire toujours la même œuvre. Il y a chez Proust quelque chose de très mystérieux qui fait que ce qu’il écrit entre toujours en résonance avec l’état d’esprit du lecteur et l’état de son développement sentimental, psychique, intellectuel. C’est une magie. » Et répétons-le, c’est bien justement cette fabuleuse magie qui opère à l’écoute de ces CD. Le grand spécialiste de Proust, Jean-Yves Tadié, note également combien il est difficile de résumer une telle œuvre aussi vaste tant en raison du déroulement qui n’est pas linéaire chez l’écrivain que par les impressions et souvenirs du narrateur qui comptent souvent autant que les actions. Ces enregistrements réunis dans un luxueux coffret sont divisés en sept parties correspondant aux sept romans du cycle. Pour chacun d’entre eux, les personnages sont présentés, ce qui est une aide précieuse pour se familiariser avec les protagonistes de l’œuvre. De même un index détaillé permet de retrouver immédiatement un passage de l’œuvre dans chacun des CD par le recours au système des pistes audio. Par cette initiative des éditions Thélème, les amoureux de Proust pourront ainsi retrouver à tout instant avec un lecteur MP3, un lecteur CD ou un autoradio, ces voix magiques qui évoquent les nuits d’insomnie, la chambre du Grand Hotel de la Plage à Balbec avec les reflets de la mer ponctués par les plinthes en acajou ou encore le passage guetté de la duchesse de Guermantes et les désirs voluptueux du souvenir…

 

 

Dossier Romain Gary

(1914-1980)

 

 

La vie de Romain Gary est un roman, à moins que l’inverse ne soit plus proche de la réalité. Véritable caméléon posé sur un tartan écossais comme il aimait à le faire remarquer, l’écrivain et l’homme se confondent au point parfois de ne plus se distinguer. Romain Gary, Émile Ajar, Fosco Sinibaldi, Shatan Bagat, tels sont les multiples pseudos et facettes de cet homme insaisissable. Gary a toujours reconnu avoir deux amours dans sa vie, celles de la littérature et des femmes.

 

 

Amour de sa mère tout d’abord, personnage truculent auquel l’écrivain rendra hommage notamment dans « La promesse de l’aube » récit « autobiographique » - l’adjectif est toujours délicat avec Gary – haut en couleur qui retrace à grandes lignes le destin écrit à l’avance par la mère du futur écrivain, ambassadeur, héros de guerre et bien d’autres titres honorifiques qu’il accomplira consciencieusement ( ouvrage qui sera idéalement complété par le long entretien « La nuit sera calme »)…
 

 

Dès le plus jeune âge, Romain souhaite écrire, inscrire son nom dans le panthéon des lettres et c’est avec « Éducation européenne » qu’il entamera cette longue carrière d’écrivain, un récit publié après la Seconde Guerre mondiale à laquelle Gary participera activement en ralliant le général de Gaulle dès la première heure. Ses multiples identités, russe de naissance, puis polonaise et enfin française à partir de 1928 façonneront son écriture à la fois précise et tendue, incisive et toujours attendrie par la matière humaine.

Biographie et littérature tisseront dès lors des liens étroits, « les Racines du ciel » consacre l’écrivain avec le prix Goncourt en 1956 et témoigne d’une conscience précoce de l’écologie avant l’heure par sa défense des éléphants, métaphore élargie à toutes les menaces pesant sur le vivant. L’humour – noir parfois, grinçant, souvent – vaut à Romain Gary la réputation d’un électron libre, à la fois fidèle en amitié – soutien indéfectible au général de Gaulle - tout en dénonçant impitoyablement la bêtise humaine.

 

 

 « La Vie devant soi » lui vaut un second prix Goncourt en 1975 sous le pseudonyme d’Émile Ajar, un pavé jeté alors dans la mare qui provoqua plus d’un remous dans le monde littéraire ; On mettra longtemps à lui pardonner ce canular…

 


(auto)-dérision (« Au-delà de cette limite »), profondeur des sentiments (« Clair de femme »), sagacité sur le phénomène humain (« Les oiseaux vont mourir au Pérou »), ironie et lucidité (« Les clowns lyriques »), nombreux sont les thèmes qui accompagnent et entrelacent l’écriture toujours juste de l’écrivain, une flèche incisive frappant droit au cœur de la cible. Romain Gary s’est essayé à de nombreux métiers, de scénariste-réalisateur au diplomate, en passant par le garçon de café, le résistant de la première heure et bien d’autres encore, mais c’est avant tout en fabuleux conteur de l’âme humaine qu’il a toujours su exceller et dont ses nombreux romans disponibles en poche Folio témoignent !

 

 

A la découverte de...

Edmond Jabès (1912-1991)

 

 

Edmond Jabès, natif du Caire, garda toute sa vie la nostalgie de son pays, et de manière plus générale de la Méditerranée qui le vit naître en 1912. 1957 marque une rupture lorsque l’écrivain quitte son pays mythique pour rejoindre la capitale française où il sera accueilli par des auteurs qui compteront beaucoup tel Max Jacob qui l’aidera à trouver sa propre voix. Jabès n’en oubliera pas pour autant ses origines juives et cette ville de frontières qu’était le Caire dans la première moitié du XXe siècle.

 


C‘est dès lors une parole d’exil qui jalonnera ses différents écrits, parole privilégiant un questionnement incessant plus que des réponses illusoires. « Le Livre des Questions » constituera ainsi une véritable aventure, un parcours où le désert sera omniprésent, ce lieu de silence propice au questionnement de la mémoire et de l’exil. L’écoute prend alors valeur de jalon essentiel chez le poète-écrivain, le silence du désert prolongeant très souvent l’incomplétude des mots ainsi qu’il ressort de sa poésie « Le Seuil, Le Sable » allant de 1943 jusqu’à 1988.

 

Amateur de contradictions, Edmond Jabès explore ces contraires qui tissent la richesse de la matière humaine. C’est à partir de ces oppositions que l’écrivain élaborera sa pensée et favorisera le dialogue. Jabès considèrera d’ailleurs toute sa vie que cette aspiration au dialogue caractérisait son oeuvre, ses livres constituant une succession de dialogues dans et hors le temps.

 

 

Cet inlassable questionnement le conduisit progressivement alors à une certaine épuration de la pensée, loin de tout dogmatisme. À l’image des vieux sages mystiques, Jabès accompagne, guide, suggère mais n’assène jamais de certitudes. Jabès fait alors de l’inaccompli une certaine jouissance là où d’autres auraient ressenti de la frustration.

 

 

« L’inaccompli, c’est la vie » n’hésite-t-il pas à souligner et tout le défi étant d’accepter cette part obscure et apparemment vide, à l’image du désert. Edmond Jabès croit ainsi au manque, ce qui est dit soulignant souvent l’indicible.

 

 


 

Les livres d’Edmond Jabès vont successivement questionner ce silence, tenter de lever les contradictions tout en acceptant leur incomplétude, un questionnement incessant qui imprègne « Le Livre des Ressemblances ». La judéité, l’exil, l’omniprésence du Livre, la condition de l’écrivain formeront les thèmes récurrents de l’œuvre de Jabès qui voyait dans chaque désert le livre par excellence.

 

700ème anniversaire

de la disparition de Dante Alighieri

©Lexnews

« La Divine Comédie – Le Paradis » Dante Alighieri ; Traduction de Michel Orcel, Éditions La Dogana, 2021.
 


Avec « Le Paradis » s’achève l’un des plus extraordinaires voyages livré par l’histoire de la poésie occidentale. Sept siècles ont en effet passé depuis ces derniers vers de Dante Alighieri (1265-1321) :

« Ma haute fantaisie lors défaillit,
mais jà menait mon désir et vouloir,
comme une roue qu’on tourne également,
l’Amour qui meut Soleil et toute étoile ».


Quel est cet Amour auquel Michel Orcel prend soin d’ajouter une majuscule ? Celui pour Béatrice qui fit traverser le poète en compagnie de Virgile parmi les cercles et autres cloaques de l’Enfer ? Dante, au terme de cette longue pérégrination, atteint une autre dimension, quittant celle des hommes pour une lumière absolue sublimant celle des astres les plus éblouissants.

 

 

 

À l’opposé des pleurs et remords des défunts n’ayant pas su et voulu en faire le phare de leur vie, « Le Paradis » décrit en compagnie de la bien-aimée Béatrice d’autres sphères, célestes celles-ci, jusqu’à l’Empyrée où la gloire de Dieu rayonne au point d’éclipser la quête initiale.

Comment dès lors évoquer ce Paradis ? Même le génial Liszt hésita suivant les conseils de son ami Richard Wagner à oser l’irreprésentable en ne composant pour ce troisième volet de sa fameuse Dante-Symphonie qu’un Magnificat au lieu et place d’un Paradis

 

Dante parvint cependant à quitter l’omniprésente « paura » de l’Enfer pour tisser une incomparable broderie où la Lumière éternelle unifie et dépasse toutes les particularités et individualités. Le lecteur de cette admirable traduction de l’écrivain et poète Michel Orcel réalisera alors la difficulté de rendre toutes ces subtilités et nuances, cette « fabrication d’espaces » de la Divine Comédie ainsi que le qualifia Carlo Ossola. Les valeurs d’éternité se dessinent ainsi progressivement au fil des pages, d’une glorification de Béatrice aperçue en rêve au Paradis à la Lumière divine omniprésente, terme du long voyage, si différent de celui d’Ulysse…

 

 

Dante explore en une quête alliant poésie et théologie la science de l’éternel suivant un rythme tripartite symbolisant La Trinité chrétienne de Dieu le Père, du Christ et de l’Esprit Saint. Cette lumière si bien rendue par la traduction cristalline de Michel Orcel enveloppe le lecteur et l’encourage à dépasser sa condition humaine afin d’atteindre une autre dimension suggérée dans les dernières pages de cet incomparable poème.

 

Quittant les choses contingentes, la poésie s’élance vers l’absolu représenté par cette lumière transcendante, un « Amour qui meut Soleil et tout étoile » et dont nous pouvons remercier Michel Orcel d’en laisser percevoir les éclats au terme de cette belle et longue quête poétique.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

A découvrir également aux éditions Aracdès Ambo les deux préfaces écrites par Gabrielle d'Annunzio à une traduction en français de l'Enfer "Dant de Flovrence" 2021.

Interview Michel Orcel

Dante Alighieri "La Divine Comédie - Le Purgatoire"

La Dogana, 2020.

 

Quel a été le point de départ de cette nouvelle traduction d’une œuvre légendaire, La Divine Comédie de Dante Alighieri, que vous avez entreprise depuis quelques années ?
 

Michel Orcel : "Je l’ai brièvement dit dans ma préface à l’Enfer, c’est l’indignation qui m’a mû. Une sainte indignation devant des traductions qui, soit par la complexité presque extravagante de leur langue (je pense évidemment à Pézard) soit par leur absence totale de musicalité (ce qui ne veut pas dire de mélodisme : il y a une vraie âpreté dantesque, et non moins d’opacité dans nombres de vers de la Comédie), me semblent faire obstacle à une lecture à la fois fidèle et contemporaine de ce chef-d'œuvre fondateur de la langue italienne, qui est aussi un sommet de la littérature universelle. Mais ma colère visait également les traductions qui aplatissent le discours de la Comédie. Je pense non seulement à la traduction de Jacqueline Risset (en vers libres), dont personne n’a jamais observé qu’elle est totalement dénuée de l’élément rythmique fondateur du poème, mais surtout à celle qu’un écrivain a récemment donnée chez un grand éditeur en mettant le poème de Dante en… octosyllabes, amputant ainsi de moitié l’ampleur poétique, intellectuelle et théologique de l’ouvrage, qui devient une sorte de « traduction de gare », comme on dit un « roman de gare ». J’écris en italiques le mot octosyllabe, car en vérité les « vers » de cette traduction sont des phrasettes de huit pieds, qui ignorent totalement la structure du vers octosyllabique – laquelle ne convient absolument pas à l’esprit du poème (il suffit pour s’en convaincre de relire les Chansons des rues et des bois d’Hugo). Cette tentative grotesque m’évoque les réécritures qu’on donne aujourd’hui de nos livres d’enfant : on supprime les mots un peu difficiles, on coupe en deux les phrases trop longues, on simplifie la syntaxe, on « modernise » la langue (« nous » devient « on »), etc. - Je l’ai dit aussi : je n’ai jamais pensé que je serais un jour conduit à traduire Dante, qui m’a longtemps semblé un massif inaccessible, mais, quand la chance m’en a été offerte par Florian Rodari, j’avais par rapport à mes concurrents l’avantage considérable d’avoir traduit les autres grands chefs-d’œuvre italiens en décasyllabes, et notamment les 39 000 vers du Roland furieux et les 15 000 vers de la Jérusalem délivrée, sans parler de Michel-Ange, poète obscur et rude s’il en est, et des poésies lyriques du Tasse. Pour traduire Dante, aucune autre solution ne s’offre en français que celle de la traduction en décasyllabes, vers qui est l’équivalent exact de l’hendécasyllabe italien. Mais un décasyllabe dont il faut posséder l’usage, ce qui sous-entend de longs exercices et une féconde méditation des vieux poètes français.
 

Avez-vous rencontré des problématiques particulières pour la traduction du Purgatoire par rapport à celle de l’Enfer ?


Michel Orcel : "Non, mais vous me donnez l’occasion de m’expliquer un peu mieux là-dessus. La souplesse de son style permet à Dante d’adopter dans le Purgatoire les mots, les tons, le phrasé qui conviennent évidemment à son objet ; le lexique, par exemple, n’use plus des couleurs violentes et parfois obscènes de l’Enfer, mais l’appareil stylistique (tropes hardis, syntaxe remodelée, métaphores concrètes, etc.) et la langue ne sont pas substantiellement différents. Ce qui diffère, en revanche, ce sont les moyens du traducteur, qui, d’une part éprouve un soulagement à quitter le monde infernal (où les émotions sont intenses mais désespérées), et qui d’autre part pénètre toujours plus profondément dans l’œuvre et se prend du même coup à modeler de plus en plus près son vers sur le vers italien. De telle sorte que, si je n’ai jamais cherché à reproduire le système des rimes (ABA BCB CDC, etc.) - ce qu’a tenté une récente traductrice (traductrice – mais certainement pas poète), montrant ainsi que c’est une entreprise impossible si l’on veut sauver la grandeur et la complexité du tissu poétique de Dante -, j’ai spontanément trouvé des échos plus flagrants, des rimes plus fréquentes, notamment entre le premier et le troisième vers du tercet. Pour ne rien vous cacher, la chose s’est d’ailleurs vérifiée et accrue dans la traduction du Paradis. Pour répondre à votre question : loin d’avoir rencontré de nouveaux obstacles, les difficultés se sont faites moins pesantes.

Quelle vision selon vous nous livre Dante du Purgatoire sachant que ce concept est né au Moyen Âge ainsi que l’a brillamment rappelé le médiéviste Jacques Le Goff (lire notre interview) ?


Michel Orcel : "C’est une vision très proche de la théologie chrétienne (saint Thomas et la théorie de l’amour détourné de son vrai but sont bien là en arrière-plan) mais, en même temps, profondément personnelle. De même qu’il avait sauvé dans les « Limbes » de l’Enfer de grands personnages de l’Antiquité (Homère, Horace, Aristote, Platon, etc., et jusqu’à Démocrite, étonnant choix !) ou même du monde païen (Averroès, Saladin), de même le Purgatoire est marqué par la présence de trois grandes figures de l’Antiquité : Caton, qui accueille le poète dans l’anté-Purgatoire ; Virgile, le « très tendre père » qui guide le poète depuis les Enfers et le quittera (terrible moment !) au seuil du Paradis terrestre, sommet du Purgatoire, et un autre poète latin, Stace, qui va le conduire vers Mathilde et puis Béatrice. La présence de Caton n’est pas peu étonnante, si l’on y réfléchit. Stace peut surprendre aussi, car on ne sache pas que ce grand poète (si mal connu aujourd’hui) soit jamais devenu chrétien. Cela dit, la structure de la Divine Comédie est très pensée, et le Purgatoire est construit de façon spéculaire par rapport à l’Enfer : au lieu d’un gouffre structuré en « cercles » descendants, c’est une montagne qu’on gravit par corniches jusqu’au Paradis terrestre, qui se trouve inclus (c’est une invention de Dante) dans le Purgatoire.

Pensez-vous que cette vision de Dante soit encore compréhensible et accessible aux jeunes générations d’aujourd’hui ?


Michel Orcel : "Je dirai d’abord que, depuis au moins deux siècles, lire Dante n’exige en aucune manière de croire en Dieu et a fortiori à la réalité de l’Enfer et du Purgatoire.

Si les Italiens de tous âges continuent à être profondément émus par la lecture de la Comédie, c’est, non seulement parce que Dante est le père nourricier de la langue italienne et un pôle symbolique (comme Verdi) en qui se reconnaissent les Italiens, mais aussi parce que son poème décrit l’humanité avec violence, crudité, verdeur, ironie, humour, mais aussi tendresse, amitié, passion et compassion. Tous les sentiments, des plus beaux aux plus bas, tous les amours et les vices des hommes y sont peints sous des couleurs vivantes, tantôt pleines d’horreur, tantôt de pitié et de sympathie. Dans l’Enfer, la tendresse ne se faisait un chemin qu’à travers la figure de Virgile (le « très tendre père »), envers lequel Dante - qu’on représente si grave et si sévère - se montre comme un enfant à la fois craintif et confiant, ou de Brunetto Latini, le maître du poète, ainsi que dans des figures historiques mais déjà légendaires. Je pense notamment à Paolo et Francesca da Rimini, unis pour l’éternité dans un amour à la fois pur et coupable, ainsi qu’au comte Ugolin et à ses petits-enfants, mourant de faim les uns après les autres au fond de leur cachot… Cette tendresse se fait plus générale dans le Purgatoire ; les vices y sont certes durement punis mais rédimés, et tout le cantique mène vers le Paradis terrestre dans un grand mouvement amoureux qui préfigure déjà les joies du Paradis. Dans les années 80, Carmelo Bene (acteur et cinéaste avant-gardiste) déchaînait à Ravenne un stade empli de jeunes gens en leur lisant la Comédie… En 2006, c’était Roberto Benigni, sur la place Santa-Croce, qui commentait et récitait devant des foules passionnées les chants du grand poème : un spectacle qui a été repris dans diverses villes d’Italie et du monde, qui a été télévisé (on peut en voir de nombreux extraits sur Youtube) et a sans doute été vu par dix millions de personnes… C’est dire qu’en italien, la Comédie peut encore bouleverser des foules plus ou moins cultivées. Je ne crois pas, hélas, que ce puisse être le cas en France, non pas tant à cause de la traduction (ma version, en tout cas, est passée par le « gueuloir », contrairement aux autres, à ce qu’il semble si l’on fait l’expérience d’une lecture à haute voix), mais surtout parce que notre pays est aujourd’hui totalement déséduqué et que le nom de Dante est plutôt connu pour être le prénom d’un footballeur (d’ailleurs médiocre) que celui d’un des plus grands poètes que le monde ait connus… Cela dit, laissons aux jeunes gens toutes les chances d’ouvrir un jour la Comédie et de s’y plonger sans tenir grand compte des innombrables références historiques ou théo-logiques, mais en le lisant comme un poème aux métaphores les plus concrètes et les plus variées, comme un merveilleux kaléidoscope d’aventures et de caractères, enfin comme une initiation de l’amour à l’Amour.

 

Est-ce la joie qui vous guide maintenant pour la dernière étape avec la traduction du Paradis qui viendra conclure cette vaste entreprise ?


Michel Orcel : "Pour être tout à fait franc, j’ai achevé il y a quelques jours à peine (le 29 juin) le premier jet de ma traduction du Paradis. Et en effet j’ai traduit ce chant dans une joie croissante, à peine ralentie ici et là, lorsque Dante nous inflige quelques tercets de pure théologie... Ce qui est plus puissant que toute dogmatique, c’est la grande symphonie de la Lumière et de l’Amour qui anime tout le cantique et achève le poème sur le fameux vers : « Amor che move il Sol e l’altre stelle » (« Amour qui meut Soleil et les autres étoiles »). N’oublions pas que la religion de Dante – pour être tout à fait orthodoxe – est le fruit d’une bouleversante expérience amoureuse de sa prime jeunesse dont, après des aventures sensuelles, il tirera tout le suc et le sens de la Comédie. Il est d’ailleurs remarquable (et la potentielle influence de l’islam sur Dante a été brillamment soutenue autrefois par Miguel Asin Palacios) que ce que Béatrice fut à Dante soit très semblable à ce que Nîzham fut pour le grand mystique musulman Ibn ‘Arabî, « la manifestation terrestre, la figure théophanique de la Sophia aeterna » (H. Corbin).

Rien n’est ébranlé des fondements les plus purs du christianisme – le seul Médiateur est le Christ, la Vierge mère est « fille de (son) Fils (…), etc. –, mais le moyen par lequel Dante est éveillé à l’Amour divin passe par les yeux d’une femme. (Comment, à ce point, ne pas se rappeler l’Éternel Féminin / (qui) nous entraîne vers le haut » de Gœthe ?) De même que Dante avait inventé le mot « transhumaner » pour désigner le passage potentiel de l’homme à la surnature (la nature humaine déifiée), de même peut-on dire qu’il est le plus haut représentant d’un « féminisme » avant la lettre qui fait de la Femme le véhicule primordial de l’initiation au secret de l’amour divin".

 

© Lexnews

 

- "Le Purgatoire - La Divine Comédie" par Dante Alighieri, traduction nouvelle de Michel Orcel, 464 p. La Dogana, 2020.

 

 

Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

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Jean Starobinski

L'historien de la pensée

Jean Starobinski : "Le Corps et ses raisons", collection La Librairie du XXIe siècle, 544 p., Éditions Seuil, 2020.
 


Le corps et l’écriture ont toujours été intimement liés pour Jean Starobinski, ainsi qu’en témoigne cet ouvrage posthume « Le corps et ses raisons » qui vient de paraître au Seuil, un an après la disparition du grand historien des idées et des arts. Des textes riches et multiples s’attachant à un domaine de prédilection du grand historien, celui de la perception du corps, de la médecine, de son histoire, mais aussi de l’histoire de la pensée.


Rappelons qu’alors qu’il était encore jeune étudiant, Jean Starobinski enchaîna de l’automne 1939 à 1948 dans les Facultés de Genève, des études de lettres, mais aussi des études de médecine. Une façon pour le jeune intellectuel et fils de médecin qu’il était alors, de réconcilier les concepts littéraires et philosophiques et la rigueur d’une approche pragmatique, à une époque où la littérature lui paraissait peu encline à lui assurer son avenir.

Mais, l’attraction pour le texte littéraire ne cessera pas pour autant, et Jean Starobinski, bien que devenu psychiatre, questionnera sa vie durant la littérature, les textes et les mots. Jean Starobinski aura, cependant, aussi à cœur de garder des liens et amitiés privilégiés du côté de l’Hôpital et de l’Institut d’histoire de la médecine (lire notre interview).

Nombre de ses écrits et non des moindres, dont sa thèse consacrée à « l’Histoire de la mélancolie », témoignent de cette attirance et de ce désir de dresser des ponts entre littérature et médecine.

 

Ce dernier ouvrage paru aux éditions du Seuil et consacré à la fois au corps et à sa perception tant en médecine, en histoire, en philosophie qu’en littérature, illustre une nouvelle fois, cette aspiration pour l’historien de ne jamais trop séparer ou séquencer.
Starobinski s’attacha, en effet, à chaque fois que l’occasion lui en était donnée, à isoler le domaine des perceptions corporelles afin d’en analyser leurs différents registres. Ce fut alors un champ immense d’observations et d’analyses qui s’ouvrit pour l’historien, ces recherches visant notamment à distinguer les perceptions en lien avec l'élément de plaisir ou de souffrance qui peuvent affecter le corps.
L’exemple de Montaigne est révélateur, cet homme n’eut de cesse de chercher à jouir de la vie alors même qu’il possédait un corps souffrant atrocement de la fameuse maladie de la pierre (calculs rénaux). Le regard critique de Starobinski ne pouvait pas, non plus, ignorer ces fameux « symptômes » de fièvre d’Emma Bovary, entre chaud et froid, qui jalonnent le roman de Flaubert. Cette perception corporelle s’inscrit dans un réseau de phénomènes sensoriels suivant un ordre bien particulier, un ordre étudié dans « Le corps écrit », mais qui viennent également s’inscrire quant à leurs fonctions à l’intérieur même des différents mouvements narratifs du roman. Ainsi, l’historien dresse-t-il la carte, au fil de ces chapitres et œuvres littéraires – Molière et les médecins, ou encore Camus et la peste…, des liens ténus qui unissent « Le corps et ses raisons ». Que dit ou a dit le corps ; ce qu’il peut ou ne peut dire, le corps au travers de l’histoire de la médecine, le visage, le génie poétique, l’art et la schizophrénie jusqu’à « La présence au monde » d’aujourd’hui… études précises, colloques ou hommages, chaque texte apporte sa pierre à un édifice érudit, passionnant et accessible.


Délaissant les nomenclatures et autres systématiques trop contraignantes, Starobinski leur préfère une relation critique, à la fois rigoureuse méthodiquement et souple lorsqu’il s’agit de l’individu, en psychiatrie notamment, discipline dans laquelle il s’était spécialisé. C’est cette souplesse exigeante qui caractérise l’approche de Jean Starobinski en une focale tour à tour macroscopique et microscopique, entre le texte et les registres des émotions émanant du corps, entre l’histoire de la médecine, le passé et l’avenir. Avec un style d’une limpidité à la hauteur des analyses de l’historien, « Le corps et ses raisons » s’avère être l’un des derniers témoignages d’un esprit rapprochant de manière lumineuse bien des aspects épars de la pensée humaine.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

 

Jean Starobinski : « Histoire de la médecine », édition établie et présentée par Vincent Barras, illustrations Nicolas Bouvier, Éditions Héros-Limite, 2020.
 


Cette « Histoire de la médecine » conçue sous la plume de l’historien des idées et de la culture Jean Starobinski avec la collaboration de Nicolas Bouvier en 1963 était depuis longtemps introuvable et les éditions suisses Héros-Limite ont eu l’heureuse initiative de la rendre à nouveau disponible en une édition soignée grâce aux soins de Vincent Barras.
Bénéficiant d’une iconographie signée Nicolas Bouvier, initiateur de ce projet auprès de son ancien professeur et ami Starobinski, le lecteur découvrant cet ouvrage se retrouve immédiatement à la croisée des disciplines et des idées.
Cet ouvrage, en un peu plus d’une centaine de pages, explore les frontières où médecine, histoire, philosophie, littérature, arts délimitent la place et le rôle du médecin.

« Qu’avons-nous demandé et que peut-on aujourd’hui encore demander à la science ? ». Ainsi que le relève Vincent Barras en préface : « Pour Starobinski, ouvrir la médecine contemporaine à ce ‘paysage de fond qu’offre le passé’, c’est aussi bien, faire de la médecine sous une forme qui est la sienne propre ». Ce qu’a accompli - avec le génie de la synthèse que l’on sait - l’historien des idées dans cet ouvrage destiné aussi bien aux spécialistes qu’au grand public. L’auteur n’a pas retenu – comme toujours - une démarche strictement linéaire pour cette histoire, mais a recherché un réseau d’idées fondateur et constructif, loin cependant de toute systématique dont Starobinski se méfiait toujours. Les fins de la médecine, notre rapport à elle, ouvrent ainsi en ces pages à tout un réseau de questionnements et de prises de conscience multiples.


Cependant, Jean Starobinski prend soin d’avertir, au terme de cette étude, qu’il n’est pas possible d’exiger de la médecine de définir des normes et des valeurs, domaine relevant de la sagesse. Sa mission est de contribuer à la vie, non d’y donner un sens. Par contre, sa finalité sera atteinte si nous apprenons ce que nous pouvons lui demander, suivant en cela les conseils antiques d’Hippocrate qui rappelait que « le médecin ami de la sagesse est égal aux dieux ».


A la suite de cette première publication, Jean Starobinski avait également projeté une histoire de la médecine et de la perception du corps avec son ancien élève et ami Nicolas Bouvier. Malheureusement ce projet ne put aboutir en raison de la disparition de l’écrivain voyageur, en 1998. Reste que cinquante après, la lecture de cette réédition de cette « Histoire de la médecine » de 1963 demeure indéniablement toujours aussi vivifiante. Une lecture plus que bien venue en ces temps troublés et difficiles et à l’heure des nombreux enjeux posés par la biotechnologie.

 

Philippe-Emmanuel Krautter

Centenaire Jean Starobinski (1920–2020)

Exposition virtuelle

Sous l’impulsion des ALS et de l’EPFL+ECAL Lab, le projet d’exposition virtuelle sur Jean Starobinski a réuni pendant deux ans, au gré d’un vaste chantier expérimental, des experts de littérature, en recherche muséale, en design, en ingénierie et psychologie.

L’exposition Relations critiques a gagné le Prix « Le Meilleur du Web » 2020 dans la catégorie User Experience.

 
www.expo-starobinski.ch

Interview de Jean Starobinski (Lexnews, 29/01/2013)

 

 

Dossier Jean de La Fontaine (1621-1695)

400e anniversaire

 

Nous fêtons en cette année le 400e anniversaire de la naissance de Jean de la Fontaine. Et pour cet évènement, un grand nombre de belles publications rendent hommage à l’un des plus grands poètes que le Grand Siècle ait compté. Sa jeunesse lui apprit très tôt à profiter des enseignements de la vie, son esprit s’enquit dès lors de toutes ces histoires que l’on rapportait dans les campagnes et qu’il sut garder en mémoire afin de les associer par la suite à celles puisées dans l’Histoire. Nombreux sont les paradoxes qui nourriront ainsi sa vie, puis alimenteront l’encre de sa plume. Se découvrant une vocation précoce, il entre à l’Oratoire et suit un noviciat qui finalement n’atteindra pas la deuxième année… Même si son esprit le portait à la méditation intérieure, le futur auteur des Contes licencieux n’avait pas l’âme suffisamment orientée vers le retrait de la vie ainsi qu’en témoignent ces quelques jugements sur les hommes d’Église :


« Monsieur l’abbé trouvait cela bien dur
Comme prélat qu'il était, partant homme
Fuyant la peine, aimant le plaisir pur,
Ainsi que fait tout bon suppôt de Rome ».


Toute sa vie, cette double inspiration le guidera, tantôt vers le libertinage, tantôt vers la vie dévote, notamment du côté de Port Royal où le poète se fit de nombreux amis.
Mais, sa grande œuvre connue dans le monde entier et qui a gravé son nom à jamais dans le panthéon littéraire réside dans ses « Fables choisies mises en vers ». Les premières verront le jour en l’année 1668, quelques années après les « Contes ». C’est l’antique qui inspire tout d’abord Jean de La Fontaine, ainsi que deux autres auteurs, Ésope et Phèdre, auprès desquels le poète puisera également ses sources. Mais loin d’en être un servile traducteur, La Fontaine fourmille d’inventions et de créativité dans ce cadre seulement en apparence rigide. Et là, réside indéniablement le génie de son œuvre, dépasser ces histoires qui n’auront pas seulement une valeur morale, mais présenteront plutôt les divers chatoiements de l’âme humaine.

 


C’est ce génial esprit qui ressort de la remarquable édition élaborée par Jean-Pierre Collinet pour la collection de La Pléiade aux éditions Gallimard. Ce travail, fruit d’une longue et patiente recherche, offre pour la première fois le texte intégral des « Fables » accompagné d’illustrations de Grandville. Le vis-à-vis de toutes ces gravures et dessins répondant à la poésie de La Fontaine enchante la lecture suscitant un fabuleux système de renvois inconscients entre le vers et l’image. Il suffira, pour s’en convaincre, d’observer avec attention le regard cupide de l’Avare à l’encontre de sa pauvre poule aux œufs d’or venant d’être éventrée pour comprendre toute la misère humaine lorsqu’elle cède à ses instincts les plus vils… La truculence du verbe et du trait vont ainsi de pair, non sans un certain effroi lorsque les sentiments touchent de près l’âme dans ce qu’elle a de plus fragile. La Fontaine sut, plus que nul autre, de quelques traits saisir l’esprit d’une situation, le caractère caustique d’un évènement. C’est grâce au verbe qu’il opéra de la plus saisissante manière tout en avouant modestement :

« Je ne suis pas un grand prophète,
Cependant je lis dans les cieux
Que bientôt ses faits glorieux
Demanderont plusieurs Homères ;
Et ce temps-ci n’en produit guères. »
(Le loup et le renard) p. 785


Ainsi que le souligne Yves Le Pestipon dans la préface, « le pouvoir des Fables de La Fontaine est loin d’être épuisé » car sa vocation universelle lui permet d’attirer petits et grands, de ce côté-ci de l’Atlantique comme de l’autre, laissant ainsi présager que cette belle édition profitera encore de nombreuses années d’une longue postérité.


Jean de La Fontaine : "Fables" ; Édition de Jean-Pierre Collinet ; Préface d'Yves Le Pestipon ; Illustrations de Grandville ; Bibliothèque de la Pléiade, 1248 pages, ill., rel. Peau, 105 x 170 mm, Gallimard, 2021.

Les Contes de La Fontaine peuvent également être découverts aux éditions Dianes de Selliers, édités aujourd’hui dans la version « La Petite Collection ». L’intérêt de cette édition consacrée aux Contes réside dans l’admirable travail iconographique entrepris par Diane de Selliers qu’elle sut saisir à l’occasion d’une exposition au musée du Petit Palais consacrée au peintre Fragonard et le dessin au XVIIIe s. C’est en découvrant dans la dernière salle, soixante lavis du peintre pour une édition manuscrite des Contes du poète que l’idée lui vint de proposer au lecteur contemporain une nouvelle édition à partir de ces cinquante-sept dessins originaux de Fragonard.

 

 

Un véritable travail technique a été rendu indispensable afin de reproduire avec la plus grande fidélité possible ces sources toujours délicates en photogravure. Une coopération étroite avec le musée du Petit Palais a permis de rendre les blancs de ces lavis de bistre, restituant ainsi toutes leurs nuances notamment dans les visages. Cette délicatesse en vis-à-vis des Contes de La Fontaine saisira spontanément le lecteur lorsqu’il découvrira ces jeux de lumière à peine suggérés en de délicats contrastes, un éclairage proche d’une chandelle que le lecteur pourra notamment admirer dans le conte « La Mandragore », une nouvelle tirée de Machiavel.
Mais, qu’on ne s’y trompe pas, les Contes n’ont rien d’angélique et La Fontaine avait convenu lui-même que son livre était licencieux en confessant :

«
Qui pense finement et s’exprime avec grâce,
Fait tout passer car tout passe. »


Boileau l’avait déjà condamné pour avoir rendu le vice aimable là où le poète ne voyait qu’une facette de plus de son art, quel qu’en soit le thème… Ainsi que le souligne José-Luis de Los Llanos, conservateur au musée du Petit Palais, «

 

 

Avec les Contes, La Fontaine livre ainsi un art poétique de sa manière où il entend bien démontrer qu’il n’est, à son sens, d’autre exigence au poète que la finesse de la pensée et la grâce de l’expression ». Là, réside la beauté de la présente édition. La même exigence de finesse et de grâce réunit le poète et le peintre en ce XVIIIe siècle si porté aux Goûts réunis… Malgré les condamnations et les critiques qui s’abattirent sur l’ouvrage, celui-ci ne cessera d’être remis sur le métier par son auteur et de gagner en notoriété. Et même si le poète au seuil du trépas se laissa influencer par un Père confesseur trop entreprenant pour son salut en condamnant lui-même son propre travail, les Contes avaient déjà acquis leur propre vie, indépendamment de celle déclinante de leur géniteur. Ils deviendront dès le XVIIIe siècle l’un des archétypes de l’art galant, influençant les artistes dont Fragonard. Ce dernier saura plus que quiconque saisir l’esprit et la grâce de la poésie de La Fontaine, la truculence également.

 


Les drapés suggérés, la pénombre esquissée, la théâtralité magnifiée sans excès, tous les ingrédients sont, ici, réunis pour un accompagnement agréable et léger, dans tous les sens du terme grâce à cette remarquable édition.


"Contes" de La Fontaine illustrés par Fragonard, 57 dessins au lavis de bistre et 15 tableaux en couleurs de Fragonard, 54 dessins et gravures galants du XVIIIe siècle , 1 volume relié, 352 pages, 19 × 26 cm. Éditions Diane de Selliers, 2009.

« Jean de La Fontaine – Il faut que je vous apprenne jusqu’à mes songes » ; Correspondance intégrale réunie et présentée par Pascal Tonazzi ; 280 p, Coll. « Le Passeur Poche », Éditions Le Paseur, 2021.

 

 

Bien sûr, nous connaissons tous Jean de La Fontaine, l’un des plus grands poètes du XVIIe siècle et nous nous souvenons tous de ses fabuleuses fables devenues immortelles, mais connaissons-nous pour autant l’homme ? Or, c’est tout le mérite de cet ouvrage que de nous donner à découvrir bien d’autres facettes cachées ou moins connues du poète. C’est, en effet, un Jean de La Fontaine plus intime qui se révèle au travers cette correspondance réunie pour la première fois par les soins de Pascal Tonazzi et publiée par les éditions Le Passeur.

L’ouvrage rassemble une cinquantaine de lettres de Jean de la Fontaine ou lui ayant été adressées allant de 1656, une dizaine d’années avant qu’il ne soit au faîte de sa gloire, à 1695, au seuil de sa mort. Bien qu’il soit assurément un grand épistolier, ce sont pourtant et malheureusement les seules et uniques lettres du poète qui nous soient parvenues. Des lettres d’autant plus précieuses qu’elles nous dévoilent l’homme tel qu’il fut dans ses liens avec son épouse, son oncle Jannart, ses amis dont Maucroix ou encore son mécène. Que de noms connus apparaissent dans ces exercices épistolaires, Fouquet dont il était très proche, le prince de Conti, mais aussi le duc de Vendôme ou encore Racine... Contant à sa femme avec verve et virtuosité son voyage à Limoges avec Jannart, discutant comptes, plus graves lorsqu’il s’agira de son ami Fouquet ou encore toute de galanterie à Mademoiselle de Champmeslé, chaque lettre est une découverte apportant une touche personnelle, livrant jugements, confidences et détails cocasses.

On y lit ses questionnements, ses doutes ou peurs, mais aussi ses amours ou penchants sans oublier cette légendaire paresse qu’il aimait s’attribuer et qu’il inscrira dans son épitaphe. La dernière lettre de l’ouvrage datée du 10 février 1695 écrite par Jean de La Fontaine à son ami Maucroix est des plus émouvantes ; le poète, malade après une mauvaise chute, se sent partir. « Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l’Éternité seront peut-être ouvertes pour moi », écrira-t-il. Cette dernière missive fut écrite deux mois avant sa mort survenue à Paris le 13 avril 1695.
Bien que plus personnelle que ses Fables ou Contes, Jean de La fontaine garde dans cette correspondance la même aisance, pétulance et virtuosité qui firent sa renommée, nous offrant ainsi toujours un même bonheur de lecture.

 

 

Escapade littéraire Trieste

Samuel Brussell : « Alphabet triestin », Éditions La Baconnière, 2021.



L’écrivain et éditeur Samuel Brussell compte parmi ces cosmopolites dont les pas ne pouvaient que porter vers la cité triestine. Ces lieux en effet à la croisée des cultures bruissent d’autant de fascinations que d’échos à la suite desquels l’auteur s’est lancé à la poursuite dans cette agréable digression littéraire.

Le lieu, tout d’abord, attire le voyageur qui vit ses premières expériences dans la foulée d’Umberto Saba, Italo Svevo, Roberto Bazlen, Anita Pittoni et bien d’autres encore… Entre hôtels et cafés littéraires, archives et librairies augustes, c’est en pérégrin familier de ce microcosme ouvert sur le monde que Samuel Brussell arpente Trieste. S’égrène alors un véritable alphabet triestin, ainsi que le rappelle le titre de ce plaisant voyage dans les lettres italiennes où une diaspora se délectait du commerce des mots et des phrases, en poésie, comme en prose. Ces bribes parfois si ténues, voire infimes aux yeux du vulgaire, forment des trésors qui ont empli et justifié des vies entières toutes dédiées à cette cause.
À l’heure des best-sellers et du commerce de la culture, comment comprendre un Roberto Bazlen qui refusa de publier tout écrit au prétexte que tout avait déjà été dit, tout en vouant son énergie à valoriser les créations de ceux qu’il jugeait digne… Ces femmes et ces hommes partagent cet héritage bien particulier de savoir regarder « le monde avec des yeux comme le tien » confiait le poète Biagio Marin à sa consœur en poésie Anita Pittoni.
Mondialisation battue en brèche où chaque voix, parvenue de loin, portait sans pour autant conduire à une regrettable uniformisation, Trieste a laissé un témoignage, entre ombres et murmures, à qui ce bel essai redonne vie.

 

 

Centenaire naissance

Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

 

 

La biographie de Pier Paolo Pasolini rédigée par René de Ceccatty en 2005, et complétée cette année (Folio biographies 2022), est certainement celle qui fait référence en langue française, tant son auteur a su capter les multiples facettes de l’intellectuel italien disparu tragiquement en 1975. C’est justement sur les conditions obscures de ce meurtre jusqu’aujourd’hui resté sans issue judiciaire déterminante que le traducteur et auteur de nombreux romans revient avec un chapitre inédit. Alors que nous fêtons le centième anniversaire du poète, romancier, cinéaste, dramaturge, les raisons pour lesquelles il fut lâchement assassiné sur une plage d’Ostie une nuit de novembre demeurent, en effet, encore dans l’ombre même si plusieurs thèses ont été avancées. René de Ceccatty en un chapitre final intitulé « Une ordalie » revient ainsi sur les multiples arguments avancés – thèse politico-économique avec son fameux roman inachevé Pétrole, relations tumultueuses avec les voyous romains…, pour conclure que rien ne saurait être écrit définitivement, les véritables motifs de cette disparition tragique restant encore prisonniers sous une chape de silence.

 


René de Ceccatty signe également « Avec Pier Paolo Pasolini » paru aux éditions du Rocher – 2022, un fort volume de 557 pages réunissant à l’occasion du centenaire de la naissance de Pasolini une partie importante du travail d’une vie, celui qu’a consacré Ceccatty pour un artiste qu’il sut admirer dès son plus jeune âge. Fil directeur de sa propre création, Pasolini a, en effet, joué et joue encore un rôle essentiel pour le romancier et traducteur français, et cette somme en témoigne de la manière la plus touchante.

 

Touchante comme cette lettre écrite en 1970 en retour d’un courrier du jeune Ceccatty à Pasolini sur son avis pour un premier roman inspiré du film « Théorème ». Appartenant à sa « vie intérieure », Pasolini ne cessera d’accompagner René de Ceccatty, comme le révèle l’ensemble de ces contributions réunies en ces pages et qui permettront d’approcher les multiples facettes d’une personnalité difficilement saisissable.

 

Les éditions du Seuil publient pour la célébration de ce centenaire de la naissance de Pasolini des entretiens passionnants avec le journaliste irlandais Jon Halliday, fruits d’une interview approfondie de Pasolini pendant deux semaines à la fin du tournage de « Théorème ». Plus qu’un portrait, cette conversation intime avec l’intellectuel italien fait entrer le lecteur au cœur de la création pasolinienne, passant de la tragédie de Sophocle au cœur du thème d’Œdipe si cher à Pasolini (voir les rapports plus que conflictuels entretenus avec son père et ceux très forts avec sa mère avec qui il partagera sa vie jusqu’à sa mort) à la beauté morale lors du travail sur « L’Évangile selon saint Matthieu » en 1964. Le lecteur y découvrira cet amour irréductible pour l’authenticité des paysages afin de saisir ce qu’il savait plus que quiconque menacé de disparaître, cette quête existentielle pour approcher l’homme au plus près, tout en sachant qu’une part importante serait toujours hors d’atteinte, rejoignant parfois une certaine transcendance qu’il refusa pourtant toute sa vie. Illustrée par de très nombreuses photographies de plateau et d’archives, cette porte d’entrée sur l’œuvre et une grande partie de la vie de Pasolini ne pourra que passionner les amateurs du grand intellectuel italien.

 


Enfin, le titre de cette somme pasolinienne « Tout sur Pasolini » n’apparaîtra guère usurpé lorsque l’on se plongera dans cette impressionnante recension du travail protéiforme du grand intellectuel italien. Les éditions Gremese viennent en effet de publier un immense travail collectif réalisé sous la direction de Jean Gili, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo et Piero Spila, un dictionnaire embrassant tout l’œuvre de Pasolini et sa pensée.
En partant de la lettre A pour le film emblématique « Accattone » jusqu’à la lettre Z consacrée à Giuseppe Zigaina, le peintre dont l’amitié se prolongea bien au-delà de la mort. La poésie si chère à Pasolini, mais aussi bien sûr le cinéma sans oublier le théâtre, la philosophie, la politique engagée, son amour des arts, chacune de ces entrées fourmille d’enseignements précieux sur cette personnalité unique du XXe siècle italien. Des dizaines de contributeurs, pour la plupart les meilleurs spécialistes sur la question, ont été convoqués pour porter chacun un angle de vue sur cette œuvre immense si l’on considère la disparition prématurée de Pasolini, la cinquantaine à peine dépassée (53 ans).
« Tout sur Pasolini » illustré par une remarquable iconographie forme la première anthologie critique et à la tonalité non académique en langue française sur l’œuvre de l’intellectuel italien que fut Pier Paolo Pasolini.

"La Macchinazione"

Interview David Grieco

 

 Interview exclusive

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Pier Paolo Pasolini

la rage poétique

 

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