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Plutarque
: « Consolation à sa femme », Traduction de Nicolas Waquet, Préface de
Maxime Rovère, Éditions Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2018.
Si dans cet ouvrage, c’est à sa femme tant aimée Timoxena que Plutarque
s’adresse après la perte de leur enfant, ces pages de deuil,
Consolation dans la grande tradition littéraire de la Grèce
Hellénistique, toucheront bien des cœurs brisés ou blessés. Nourri de
platonisme et de stoïcisme, Plutarque y prône une construction intime de
maîtrise de soi, la mise à distance de la charge négative du souvenir et
de toute compassion trop naïve. Une édition dans une nouvelle traduction
de Nicolas Waquet préfacée par Maxime Rovère d’un des plus beaux ouvrages
de la littérature antique admiré notamment par La Boétie. |
Ivan
Tourgéniev : « Assia », Folio Bilingue, 2018.
C’est avec un cœur blessé que le narrateur de ce récit - écrit par
Tourgéniev en 1857 - rencontre Assia, une jeune femme solitaire et
indépendante proche de la nature. Si elle tente de l’éviter, il arrive
néanmoins à l’apprivoiser, laissant ainsi petit à petit au fil de leurs
conversations les émotions et l’amour naître et grandir entre eux… Mais,
en écrivain russe, Tourguéniev y tisse aussi et surtout les liens étroits
qu’entretiennent, au plus près de ces battements du cœur, la crainte, la
peur et la raison, cette complexité humaine poussant les êtres parfois à
commettre l’irréversible. Édition bilingue. |
Arthur
Rimbaud : « Lettres de la vie littéraire », réunies et annotées par
Jean-Marie Carré, Coll. L’Imaginaire, Gallimard, 2018.
21 lettres signées Arthur Rimbaud. Écrites entre 1870, alors qu’il n’a pas
encore seize ans, et 1875, adressées principalement à T. de Branville, son
Maître, ou à son professeur G. Izambard, elles contiennent de nombreux
poèmes de celui qui si jeune écrivait déjà : « Je veux être poète, et
je travaille à me rendre voyant… ». Des lettres à son ami Delahaye, à
sa mère, mais aussi celles datées de 1873 écrites de Londres et ayant pour
destinataire Paul Verlaine peu avant l’épisode de Bruxelles qui débute par
ces mots lourds de sens pour la suite : « Reviens, reviens, cher ami,
reviens. Je te jure que je serai bon »… (Inclut un extrait de la
déposition d’A. Rimbaud au Juge d’Instruction). S’ajoute enfin une longue
lettre dans laquelle Arthur Rimbaud relate son voyage en Éthiopie, mais
ainsi que le souligne Jean-Marie Carré ayant réuni et annoté ces lettres,
le poète est alors bien loin… |
Italo
Calvino : « La route de San Giovanni », Folio, 2018.
Cinq récits autobiographiques, traduits de l’italien et présentés par
J.-P. Manganaro, ayant été écrits entre 1963 et 1977 et rassemblés après
la disparition de l’écrivain. Des récits empreints de souvenirs, de
nostalgie parfois ou de joie retrouvée et par lesquels Italo Calvino
s’interroge sur les pouvoirs et mystérieuses forces des souvenirs et de la
mémoire. Une couleur, une topographie, un geste et c’est toute l’écriture
de l’écrivain qui surgit… Une bataille sous la résistance, souvenirs
gravés à jamais, mais aussi tout aussi vivantes ces réminiscences avec
affection non émaillée d’humour de son père, de la « Poubelle agréée
» ou encore ces joyeuses souvenances de ce cinéma de jeunesse si cher à de
nombreux écrivains… Un ouvrage dans lequel toute la curiosité de
l’écrivain italien Italo Calvino s’exprime et se dit. |
Littérature - Poésie - Romans
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Ivan Tourgueniev « Poèmes en prose
et autres poèmes inédits » traduit du russe par Christian Mouze, éditions
Maurice Nadeau, 2018.

Le nom d’Ivan Tourgueniev, mort sur le sol français à Bougival en 1883,
est plus passé à la postérité pour la force de ses romans, tel Pères et
Fils aux élans précurseurs de révolution qui se profilent avec ses
oppositions de générations. Mais pour le deux centième anniversaire de sa
naissance en 1818, les éditions Maurice Nadeau ont eu la belle initiative
de réunir, pour la première fois en français, une facette plus méconnue du
grand écrivain russe avec l’intégralité de ses Poèmes en prose.
Tourgueniev ne les conçut pas en un ordre cohérent, mais comme une leçon
tirée de sa vie, une vie qui se conclut. Que découvrons-nous dans ces
pages ? Le recueil commence par une ode à la langue russe, seul soutien et
appui du poète dans les temps troublés de la Russie alors qu’il ne lui
reste plus qu’une seule année à vivre. Mais, la littérature perdure,
certes, après la mort, et les liens entre les vivants et ceux qui ne le
sont plus se métamorphosent grâce à la lecture, ce « Quand je ne serai
plus… ». La poésie de Tourgueniev peut se faire grave lorsqu’elle
ouvre les portes de la mémoire, « ces roses étaient belles et fraîches…
», réminiscences des temps d’été en Russie qui distillaient leur douceur
contrastant avec le froid ressenti désormais par le poète dans sa datcha
où tout devient sombre et glacial. Nous imaginons le regard perdu de
Tourgueniev, sa main tenant sa barbe blanche en la seule compagnie de son
vieux chien. L’âme russe transparaît dans ces poésies de mémoire, subtiles
associations de nostalgie teintées d’espoir, où la force de l’amour peut
terrasser l’implacable mort, lorsqu’elle prend la forme du face-à-face
d’un inoffensif passereau et d’un redoutable chien de chasse. Au terme du
chemin de sa vie, Tourgueniev livre un recueil d’une âme qui malgré les
années n’a pas perdu de la stridence des choses de la vie. Un rare moment
d’intimité avec le grand écrivain.
« Eluard, Picasso ; Pour la paix
», accompagné de « Pablo Picasso, mon ami sublime » signé Michel Murat,
éditions Hazan, 2018.

Ravissement que d’ouvrir cet ouvrage consacré à la Paix,
qui plus est lorsque cette paix est célébrée par les vers de Paul Eluard
et illustrée par les traits et dessins de Pablo Picasso.
L’ouvrage construit autour de « Le visage de la paix », ce recueil
né d’une intime collaboration entre le poète et le peintre en 1951,
contient également bien d’autres poèmes et recueils de Paul Eluard dans
lesquels s’entrelacent les dessins et portraits de Picasso, à l’image de
leur indéfectible amitié.
Le livre s’ouvre, ainsi, sur « Poèmes pour la paix » que le poète a
écrits en 1918 et imprimés à l’adresse de « toutes les personnalités
engagées dans ou contre la conduite de la guerre ». Le pacifisme de
Paul Eluard est connu, et Michel Murat qui signe le livret « Pablo
Picasso, mon ami sublime » accompagnant l’ouvrage souligne : « une
conviction profonde, qui peu à peu va devenir une manière d’être au monde
et de s’adresser aux hommes, un « cours naturel » de la pensée,
indissociable de sa personnalité : un pacifisme capable de rayonner en
temps de guerre. » Emplis de tendresse, ces poèmes donnent place à la
femme, au couple, et à Gala, sa première femme qu’il a épousée en 1917.
Suivent « Cours naturels », « Les armes de la douleur », «
La victoire de Guernica » et autres poèmes des années 38-40, des
poèmes pour une paix souhaitée, revendiquée et qui trouveront leur plein
écho dans « Le visage de la paix », fruit de cette amitié qui liera
leur vie durant le poète et l’artiste.
Eluard et Picasso se sont, en effet, rencontrés dans les années 30, après
la rupture de Picasso, devenu déjà célèbre, avec sa première épouse et les
mondanités. Eluard, pour sa part, qui avait déjà auparavant acheté
quelques toiles de peintre, est littéralement séduit par l’œuvre et la
personnalité du peintre. Poèmes faisant l’éloge de Picasso et portraits du
poète et de Nusch signés Pablo Picasso, s’enchaînent alors se répondant en
un dialogue qui témoigne de cette profonde et fertile amitié scellée plus
encore lors de la guerre d’Espagne. Il faudra attendre 1944, pour que Paul
Eluard reprenant l’idée de l’éditeur italien Vittorini, rassemble et
publie sous le titre « A Pablo Picasso » les nombreux poèmes qu’il a
écrits et dédiés au peintre et son « ami sublime ». Ce sont ces poèmes
écrits entre 1926 et 1944 que le lecteur retrouvera également dans cet
écrin de poésie.
Un écrin d’où s’envolent la fameuse colombe de Picasso devenue symbole
universel de la paix et les si célèbres vers « Liberté… J’écris ton nom
»…
L.B.K.
Dominique Rolin « Lettres à
Philippe Sollers 1958-1980 » Gallimard, 2018.

Lorsque Philippe Sollers rencontre Dominique Rolin, il a vingt-deux ans,
elle en a quarante-cinq. Tant d’années les séparent, mais qui vont
justement les rapprocher. Une rencontre qui se traduit immédiatement en
termes de clandestinité et de secret pour protéger cet amour qui dérange
et peut-être dérange encore de nos jours ? Pourtant contre vents et
marées, océans et lagunes, en une véritable communion, ces deux esprits
libres vont évoluer au fil des années. C’est cette passion, la leur,
tissée de cœur, d’esprit et de lettres entrelacées qui se trouvent réunies
aujourd’hui en un deuxième volume. Après le volume paru l’année dernière
des lettres de Philippe Sollers écrites à Dominique Rolin, c’est au tour
de celles écrites par Dominique Rolin à Philippe Sollers d’être ainsi
publiées et offrant au lecteur le point de vue de l’écrivain déjà établi
lorsqu’elle signe ses premières correspondances. La littérature unit ces
deux êtres mus par une passion pour l’écriture, ce dont témoignent ces
lettres des premières années où Dominique Rolin découvre « Une curieuse
solitude » paru en 1958 où elle perçoit déjà cet « extraordinaire
instinct de lumière ». L’écriture de leur livre respectif occupe leur
esprit, les réunit et les fait échanger en un même élan. Un véritable
axiome lie ces deux êtres passionnés en un projet de vie, exigeant action
pour une œuvre à façonner. Les inquiétudes et blessures nombreuses dans la
vie de Dominique Rolin transparaissent dans ces premières lettres d’une
âme sensible prête à se soumettre de nouveau à la passion tout en sachant
les risques encourus, mais l’amour est plus fort : « D’ailleurs il
n’est plus question d’hésiter ou de feindre » souligne-t-elle… Cette
éternelle jeune femme jusqu’à un âge avancé connaît la solitude, a su
composer avec elle jusqu’à l’ivresse. « L’Infini chez soi », «
Le Marais » ont déjà exploré les méandres autobiographiques qui ont su
préserver cette « sauvegarde de soi » grâce à l’écriture et à la force des
mots. Chacun respecte cet espace inconditionnel même si quelques mots
encouragent le jeune Sollers sur « cette zone d’inquiétude qui te fait
doute de toi, de ton énergie. Toujours tu en seras blessé, de cette
inquiétude, car c’est cela même qui te préserve et te sauve (…)
Rends-lui grâce car elle te fait au lieu de te défaire ». La passion
amoureuse scande chaque lettre au fil des années rapprochant les deux
amants souvent éloignés. Passion des arts, musiques suggérées par Philippe
Sollers, peintures commentées par Dominique Rolin, le regard et l’écoute
réunis. Les lieux sont essentiels et si Venise qui unit les deux écrivains
dans l’anonymat le plus complet n’est pas présente si ce n’est dans un
dessin reproduit, l’île de Ré est en revanche offerte par les lettres
reçues par Dominique Rolin : « Chaque jour tu m’envoies une part de cet
éclair tranquille qui t’habite et que tu dévides… », lieu de la
création. La correspondance laisse filtrer quelques nouvelles du monde et
de ses actualités, toujours avec la distance critique qui caractérise les
deux intellectuels : « Je me disais que le monde est une chose bien
emmerdante : il a toujours mal quelque part : à l’Algérie, au Cuba, au
Congo, au Berlin, et maintenant à sa Tunisie ». Les années filent et
le bonheur d’écrire demeure intact : « t’écrire ainsi chaque matin est
indispensable » en une veine intarissable jusqu’à la date du 13 août 1980,
dans l’attente du retour de Philippe Sollers et dernière lettre reproduite
dans ce témoignage romanesque d’une belle histoire d’amour.
Philippe-Emmanuel Krautter
Jacques Damade : « Darwin au bord
de l’eau ; Le monde humain II », Coll. L’Ombre animale, Ed. La
Bibliothèque, 2018.

« Darwin au bord de l’eau » emmène son lecteur en d’étonnantes
promenades sur la côte normande, à Houlgate, en compagnie de Darwin et de
ce narrateur solitaire dont jamais on ne saura le nom. Ce dernier se
promène, la mer et la longue plage normande, partant parfois à l’ouest
vers la Dives ou plus souvent vers l’est, non vers les Roches noires de
Marguerite Duras, mais vers ces Vaches noires qu’il fait siennes le temps
d’une promenade, d’un ouvrage. « L’immobilité du ciel sans nuage, la
sauvagerie de la houle – un fond sonore parfaitement rythmé - mettent en
relief la solennité des falaises. Elles m’enseignent un savoir que mes
congénères ignorent. Elles sont les maîtresses du temps, d’un temps long,
vertigineux… ». Longeant ces falaises millénaires habitées de
fossiles, croisant mouettes, cormorans de toujours, et bipèdes
d’aujourd’hui, c’est à une jolie et profonde réflexion sur « Le monde
humain », le vivant à laquelle l’auteur nous convie subrepticement.
Dans un style à la fois aérien au rythme des flux et reflux, des vagues et
de la lumière que vient assombrir parfois l’ombre des nuages sur le sable,
adoptant un rythme cadencé sans jamais de hâte ou nonchalant selon son
humeur ou celui du temps, brume cotonneuse des matins normands, bruine
scintillante se jouant des reflets ou gros grain qui vous menace de son
regard, l’auteur en compagnie de son narrateur nu-pied ou botté poursuit,
en ces pages, son idée, sa réflexion, ici, sur l’échelle de Darwin du "Monde
humain ». C’est ainsi au gré de ses pérégrinations que le narrateur en
« sapiens à l’heure de l’anthropocène » interpelle le bipède, le
loup aussi d’ailleurs, le vivant, Darwin et questionne, sans théorie ou
militantisme, « L’évolution des espèces » et le temps qui s’écoule
tel le sable de cette plage dans un immense et infini sablier…
« Pourquoi en est-on resté à la survie ? »,
questionne le narrateur avant de poursuivre : « Pour faire vite : Comme
elle est la clé de l’évolution, par un tour de passe-passe on en a fait la
clé de la vie sur terre. On est passé par-dessus la distinction entre la
vie, ses conditions pendant le temps de passage sur terre, et les raisons
de l’évolution des vivants… Darwin d’ailleurs ne parle pas toujours de
survie dans la structuration du vivant – pourquoi ce papillon a telle
couleur, ce type des pattes antérieures, pourquoi le corps du sapiens
s’allonge-t-il, pourquoi le duvet a donné la plume, puis le vol, etc.
».
Et la magie opère. Jacques Damade, il est vrai, n’en est
pas à son premier essai et a déjà été salué pour « Les Îles disparues
de Paris » ou encore « Les Abattoirs de Chicago ; Le monde humain I
». Bien que changeant ici de décor, joliment illustré par Thomas Beulaguet,
c’est toujours avec ce même style singulier, alliance de légèreté, de
profondeur et de poésie, que l’auteur laisse aller le regard, les pensées
et les rêveries de son narrateur… Un essai aux changements de rythmes et
césures qui se veut mi-sérieux mi-raisin, associant dialogues cocasses,
gravité et images poétiques, et convoquant tour à tour Mandelstam,
Portmann, Caillois mais aussi des peintres, Constable, Boudin... Une
musicalité bien à lui entre bruine, gouttes de pluie, rupture et
accélération, où Darwin pourrait interpréter quelques notes de «
Jardins sous la pluie » d’un Claude Debussy, lui qui arpenta également
cette même plage, sans jamais cependant y composer. Longtemps après avoir
refermé l’ouvrage, ce sont encore ces sonorités singulières de « Darwin
au bord de l’eau » qui jouent et résonnent…
L.B.K.
Benjamin Whitmer : « CRY FATHER »,
Gallmeister, Paris 2018.

« La plus part du temps je vois ton visage, il ne me quitte pas. Et la
plupart du temps je fais en sorte que ce soit le cas. Je t'écris parce que
ça me force à te hisser hors de ma mémoire pour te placer devant moi. … Je
sais que si je m'arrête d'écrire tu couleras si profond qu'il me sera
impossible de te hisser de nouveau à la surface. Tu couleras à jamais et
il ne me restera plus que ce qu'il reste à tout le monde. Le souvenir d'un
très gentil petit garçon aujourd'hui disparu. Mais tu n'as pas disparu
pour moi. »
C'est pour conjurer cette perte et cette douleur profonde quasi
insurmontable que Patterson va parcourir aussi l'Amérique pour y exercer
un métier des plus pénibles, déblayer les décombres des zones sinistrées.
Quand il peut, épuisé, il va près de Denver dans sa petite cabane, mais
rien, ni l'alcool ni les bagarres, ni les vieux soûlards qui lui servent
d'amis, ni les femmes trop faciles, ni la drogue ni les courtes visites à
Laney, sa femme et leur autre fils Gabe, rien n'arrive à le sortir de la
spirale violente dans laquelle il se laisse engloutir. Il y a bien Junior,
qui lui rappelle Justin, son fils, et auquel il s'attache sincèrement et
qu'il veut aider pour un avenir meilleur... ou pour le pire... C'est un
roman construit autour de dialogues percutants sans place pour les petites
natures, qui tel un western des temps modernes, montre une Amérique loin
des clichés du rêve américain. Efficace dès les premières phrases, le
décor est planté et l'ambiance pesante s'installe entre les personnages et
le lecteur : « Patterson Wells pousse la porte d'entrée et trouve Chase
au travail devant un tas de cristal meth gros comme son crâne réduit –
Assieds-toi, fils de pute, dit Chase, accroupi, perché comme un oiseau sur
le canapé, les yeux fumants comme s'il s'était injecté cette merde
directement dans les conduits lacrymaux. »
C'est un univers d'hommes largués, abîmés par la vie, les excès en tous
genres et la gâchette facile, qui jouent leur vie comme s’ils en avaient
plusieurs, sauf que… Benjamin Whitmer livre avec Cry Father un très
beau roman où une certaine pudeur impossible à exprimer plane sur chacun
des personnages et qui sera pour certains un linceul plus doux que la vie
réelle. Un roman sur une douleur sourde qui percute l'âme et se révèle
être aussi celui d'un amour paternel plus fort que tout jusqu’au jour où
Patterson fermera les yeux pour rejoindre Justin... Mais en attendant, il
lui écrit.
Sylvie Génot-Molinaro
Un million de minutes de Wolf
KÜPER, Actes Sud, 2018.

« On ne peut pas dire que c'est à cause du Dr K. F.
Finkelbach que je suis, en ce moment même - comme tous les jours depuis
72331 minutes - allongé dans mon hamac sur la plage d'une île relativement
isolée au sud de la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande. À côté de
moi, les enfants... Mais rien ne s'était passé comme prévu, et quelque
part, c'était aussi un peu grâce au Dr Finkelbach... » En posant la
question numéro 5 du test officiel d'intelligence et de comportement à
Nina, quatre ans, la petite fille de Wolf et de Véra, ce psychologue
renommé resté perplexe par les premières réponses de la fillette annonça :
- Qu’est-ce qui est mouillé et qui tombe du ciel ?
- Un chien répondit Nina après une longue réflexion...
Pourrait-on dire que Nina vit dans une autre dimension, dans un autre
imaginaire avec d'autres repères ? Une chose est sûre, Nina a un rythme
personnel et sa normalité n'est pas la nôtre. En revanche, Nina est
pertinente dans ce qu'elle perçoit et un soir où son papa, docteur en
politiques internationales de l'environnement, expert auprès des Nations
Unies, n'avait que dix minutes à lui consacrer pour les histoires du soir,
Nina l'a gentiment houspillé :
- Dix minutes ? Dix minutes pour trois histoires ? T'es pas bien dans
ta tête ? Ah, papa, je voudrais un million de minutes avec toi. Rien que
pour les jolies choses, tu vois ? a dit Nina en écrasant mes joues entre
ses mains...Un million de minutes. Demain tu me racontes une histoire d'un
million de minutes d'accord ? Et comme ça, aujourd'hui, tu peux régler
tout ton stress, ça marche ?
Après quelques rapides calculs, cela faisait bien deux ans... OK, Nina
aura bien son million de minutes. Toute la famille largue les amarres,
Nina qui a tant besoin de temps pour grandir, apprendre tranquillement et
s'adapter le mieux possible dans le monde où elle est née, Mister Simon,
son petit frère, Véra et Wolf. Ce récit n'est ni une utopie, ni un caprice
d'enfant, ni une fuite, ni une décision prise à la légère. C'est
réellement ce million de minutes consigné dans le livre de bord de Wolf
qui y est raconté, une épopée à la recherche des plus jolies choses, la
nature, la vie, l'amour, les rencontres, les coups durs, les doutes, les
petites et grandes victoires de chacun et chacune, apportées comme temps
de bonheur à sa famille. Un million de minutes vécues entre la Thaïlande,
l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le retour en Allemagne après que le
sablier se soit entièrement vidé. Wolf Küper n’écrit pas, là, seulement
trois cent vingt-sept pages, non, mais bien une PAGE, celle d'un amour
total pour ce qui lui est devenu essentiel. Il nous fait partager sa
réflexion d'un million de minutes avec humour et tendresse, parfois aussi
avec une émotion telle qu'elle prend le lecteur et l’emmène, pourquoi pas,
vers ce million de minutes qui a radicalement changé sa vie et celle de sa
famille. Ne rien dévoiler de plus, il faut tout simplement lire ce
livre... Aujourd'hui, il réside au Cap, en Afrique du Sud, où il vit de sa
plume.
Sylvie Génot Molinaro
Giorgio Manganelli « Salons
» traduit de l’italien par Philippe di Meo, L’Atelier contemporain, 2018.

Si le nom de Giorgio Manganelli est moins familier de ce côté-ci des
Alpes, cet écrivain italien jouit pourtant dans son pays natal d’une
solide réputation depuis la publication d’Hilarotragaedia en 1964,
plus de 50 ans maintenant, ainsi que le rappelle le traducteur Philippe di
Meo dans sa présentation de l’ouvrage. C’est une singularité nourrie de
fictions et d’irréalité, rejetant toute œuvre programmatique pour leur
préférer une convergence d’inspirations qui donne ce style unique à
l’écriture de Manganelli. Salons, publié aujourd’hui en langue
française par les éditions de L’Atelier contemporain, est un recueil de
chroniques d’expositions imaginaires que l’auteur fit à la suite d’images
disparates (tabatières, armoires, éventails, tableaux célèbres…) soumises
à son regard par l’éditeur Franco Maria Ricci. La qualité de ces petites
chroniques et leur élan à dépasser les cadres convenus leur valurent
d’être reprises par les éditions Adelphi.
Les devanciers de Manganelli sont illustres quant à la thématique des
Salons, Diderot, Baudelaire ont eux aussi avant lui cherché à déceler ce
qui nourrit et transcende l’œuvre d’art. Giorgi Manganelli suit de ce fait
leurs traces, mais de manière toute personnelle. L’ouvrage débute par «
Toutes les couleurs du fool » et le peintre et chimiste Édouard
Bénédictus, un nom qui ravit notre chroniqueur pour toutes ses promesses,
et qui pour l’anecdote aurait inspiré à Céline le personnage de Sosthène
de Rodiencourt de Guignol’s band . La rencontre du sérieux du
chimiste et de l’alchimiste de la peinture donne naissance à des
métamorphoses qui enchantent Manganelli, visiblement séduit par cette
personnalité si difficile à appréhender. Il y a un goût certain pour
l’héraldique chez Manganelli, une curiosité qui le pousse vers ces
Initiés, capables de tout comme ces Infrangibles fantômes
perceptibles dans l’œuvre de Lalique. Du célèbre verre naît, en effet, des
métamorphoses extatiques, une vie infinie sans dégradation, pureté fragile
qui fascine l’écrivain-poète. Une exposition d’éventails est, elle aussi,
prétexte à ces irruptions du temps sur l’évanescence, gestes rageurs d’une
femme parfois plus définitifs pour le fragile objet que le temps qui
passe. Et « l’éventail se fait fabuliste, porteur d’images, et confie
sa propre survie à sa capacité à mêler une fable microscopique, une
citation orgueilleuse au privé et au solennel… ». Que de secrets et
indiscrétions, ces objets amis d’Éole ont à nous murmurer, et Manganelli
de se réjouir de ces confidences de…l’éventail ! Ces petits riens
signifient beaucoup dans la prose de notre auteur italien, rares sont les
choses insignifiantes lorsqu’elles ont su retenir son attention, et le
lecteur aura grand plaisir à découvrir ces lignes dans la belle traduction
que nous laisse Philippe di Meo, restituant à merveille ce style
hypnotique qui attire dans les méandres symboliques de ces méditations
atypiques sur l’art.
Philippe-Emmanuel Krautter
Pitigrilli : « Cocaïne », Coll. L’indéFINIE,
Editions Séguier, 2018.

Nombreux sont les livres drôles mais celui-ci, « Cocaïne » de
Pitigrilli aux éditions Séguier, n’est pas seulement drôle, il est, qui
plus est, savoureux sans aucun sérieux. Sous le pseudonyme Pitigrilli, se
cache cependant, Dino Segre, cet italien né en 1893, et dont la vie et les
actes de collaboration avec le régime fasciste font malheureusement moins
sourire. On songe notamment à la regrettable détention de Carlo Levi dont
il sera tenu coresponsable. Journaliste, romancier reconnu à la réputation
sulfureuse dans l’entre-deux guerres pour ses nouvelles et récits
notamment érotiques, Dino Segre fuira en Argentine. Ce n’est que depuis
quelques décennies que ses ouvrages trouvent une certaine réhabilitation.
Reste que dans « Cocaïne », en un style maniant aussi bien l’image
décapante que les épithètes désopilantes, Pitigrilli ravit son lecteur.
Sur fond de cocaïne, de débauche et bien d’autres choses encore, passant
des hauts quartiers malfamés de Paris, Montmartre, Clichy, aux froids
quartiers luxueux plus bas de la capitale ou ailleurs encore, défilent
sous la plume de Pitigrilli, et par la verve de son narrateur, journaliste
dandy italien, fraîchement arrivé à Paris, sujets cocasses et corrosifs,
les femmes avec une irrévérence, le journalisme sans concession, les
drogues, les amours et l’amour libre, une décapitation capitale presque
publique, et même dieu, « ce grand farceur » ! Hésitant entre un
humour décapant et un irrésistible cynisme, dandy devenu audacieusement
journaliste, désinvolte et sceptique, le narrateur ne peut rester en place
et demeure incapable d’offrir à ses interlocuteurs, et donc au lecteur, ce
commun sérieux tenu pour raisonnable. Ici, les femmes sniffent de la
cocaïne comme d’autres se repoudrent le nez ; Là, les hommes prennent des
têtes de « cocu convalescent » ou de « cocu chronique »
lorsque leur femme, passant de la Butte à Chaillot, « offrent les plus
impressionnants phénomènes de mimétisme du monde animal ». L’effronté
journaliste s’embarquera alors pour de luxueuses croisières ou stations
balnéaires, tous lieux de paradis artificiels et décadents où s’enchaînent
jeux de mots, paradoxes grinçants, audacieuses impertinences et cocasserie
des images, jusqu’à…
Publié en 1921, « Cocaïne », premier et l’un des plus célèbres
romans de Dino Segre fut l’objet d’une vive polémique lors de sa parution
quant à son sujet la drogue, mis à l’index par l’Église, il demeurera
longtemps écarté des éditions. Aujourd’hui, sa réédition notamment en
langue française aux éditions Séguier s’accompagne d’une poste-face
d’Umberto Eco intitulée « Pitigrilli, l’homme qui fit rougir ma mère
». Dans cette dernière, Umberto Eco, sans pour autant le qualifier de très
grand écrivain, n’hésite cependant pas à souligner, parallèlement aux
influences d’Annunziennes, le côté parisien de Pitigrilli, « une forme
d’élégance boulevardière », une influence toute parisienne modelant «
non seulement son style, brillant, spontané, à la syntaxe dépouillée,
mais jusqu‘à son onomastique… ». Une postface jetant un éclairage sur
l’œuvre entière de Pitigrilli, de « Cocaïne » jusqu’ à ses derniers
récits, après sa conversion au catholicisme.
Bernhard Schlink : « La femme sur
l’escalier », Coll. Folio, Gallimard, Paris 2018.

« La femme sur l’escalier » est avant tout l’histoire d’un
intriguant tableau. Sur cette toile, d’une belle taille, une hauteur de
porte, une jeune femme, jolie et longiligne, nue, descend un escalier. On
pourrait le rapprocher du « Nu descendant un escalier » de Marcel
Duchamp, mais non, justement, il en est l’opposé, l’entière contradiction,
il ressemblerait plutôt au tableau de Gerhard Richter intitulé « Ema
(Nu sur un escalier) », mais là, aussi, l’auteur avertit ses
lecteurs que toute ressemblance avec ce dernier serait fortuite. Qui
est-elle, cette femme, alors ? Elle est l’épouse d’un riche homme
d’affaires allemand prêt à tout pour la reprendre, elle, qui l’a quitté
pour le jeune peintre, auteur du tableau. Ce dernier, lui, est prêt à
l’échanger pour récupérer sa toile, son chef œuvre. Un jeune avocat
allemand, brillant, en établira le contrat, mais… L’histoire n’est pas non
plus sans rappeler un certain portrait, lui écrit et signé O. Wilde, mais
là encore on se tromperait. Non, décidément, l’histoire de ce tableau, de
cette femme est encore autre, une intrigue bien ficelée par Bernhard
Schlink, auteur déjà d’une dizaine de romans et à son actif le fameux
best-seller « Le liseur ». La femme, après avoir été aidée par le
jeune avocat, veuf et amoureux transi, disparaît avec le tableau qui
miraculeusement réapparaît, quarante ans tard, lors d’une exposition à
l’Art Galery de Sidney…L’avocat, maintenant moins jeune, va-t-il enfin
comprendre comment, lui, alors brillant et cultivé avait-il pu se laisser
si facilement berné ? Après tout, elle n’était entrée dans sa vie que nue
sur un tableau. Que peut faire ou obtenir une femme telle qu’Irène
Grundlach ? Car, tel est son nom, Irène Grundlach, née Adler. Les choses
auraient-elles pu se passer autrement ? L’avocat, du haut de son
implacable rigueur, de son pragmatisme et de sa carrière, parviendra-t-il,
aujourd’hui, tant d’années après, enfin à le savoir ? L’auteur se joue et
déroute son lecteur autant que l'est le narrateur ; s’entrecroisent alors
le monde de la finance, de l’art et les paradigmes, étriqués, audacieux,
déterminés, de chacun, et puis les failles comme un château de sable qui
se fissure… Mais, peut-on réparer les griffures, les blessures ou brûlures
du passé ? Retenez bien son nom, « La femme sur l’escalier », un
roman captivant à lire d’une traite.
Michel Dansel « Paris secret »
Bouquins, Robert Laffont, 2017.

L’écrivain et poète Michel Dansel avait déjà emporté l’adhésion avec la
parution de son essai consacré aux « excentriques », un regard
transversal sur la singularité d’individus ayant décidé de ne pas se
fondre dans la masse de leurs congénères. Il récidive pour le plus grand
plaisir de ses lecteurs avec la parution toute récente de « Paris
secret » dans la collection Bouquins. C’est, en effet, un peu de cette
même veine qui coule dans ce nouvel opus « Paris secret », une
ville tout autre que celle des guides, notices d’encyclopédies ou idées
reçues. Adepte de l’humour décalé, préférant les ruelles aux autoroutes,
l’auteur dédie en ouverture ce livre à toutes les bestioles de la capitale
: chiens, chats, hamsters, poissons rouges et même coccinelles comme
l’égrène à l’envi la Bible dans la Genèse… À défaut d’en faire ses
lecteurs privilégiés, ce qu’il aurait souhaité, Michel Dansel a concédé
ces pages alertes – et parfois iconoclastes – à ceux de ses congénères qui
seront les « moins dramatiquement géométriques », au risque d’une
incompréhension totale… Nous commençons ce voyage lutétien avec Charles
Baudelaire et ses souvenirs « plus lourds que des rocs ». Paris «
mosaïque polychrome » comme la nomme Michel Dansel en une belle
métaphore que nos aïeux mérovingiens n’auraient pas reniée. Tesselles de
vies accumulées depuis l’antique, espoirs uniques et pourtant si voisins,
Paris peine à dévoiler tous ces trésors accumulés et exige acuité,
sagacité et avant tout poésie. L’auteur parcourt les arrondissements avec
nonchalance et gourmandise, en picorant ici ou là de quoi étancher une
soif intarissable pour ces trésors cachés, ces perles méconnues d’un Paris
profane ou sacré selon les lieux. Mystères de la colonne Vendôme, Zarafa,
la fameuse « girafe » du Jardin des Plantes, Deyrolle et ses autres
animaux – moins vivants - sans oublier les frasques d’un autre animal, le
président Félix Faure dont le trépas est passé à la postérité dans la
capitale… Entre histoire, légendes, phantasme et inconscient collectif,
chaque ligne tisse un réseau de références qui laisse une couleur
étonnante à la ville que nous pensions pourtant bien connaître. C’est tout
l’art de Michel Dansel que d’évoquer ces nouveaux « Tableaux parisiens
» en une vision à la fois héritéedes générations passées et
drolatiquement personnelle, un Paris de métamorphoses permanentes comme il
les nomme, des « légendes bétonnées » qui ne sauraient se fissurer
que grâce à l’humour et au talent de celui qui les a si habilement
rassemblées.
Philippe-Emmanuel Krautter
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José-Flore Tappy Trás-os-Montes
(poèmes) La Dogana, 2018.

Dans ce dernier recueil Trás-os-Montes, José-Flore Tappy nous
transporte dans l’une de ces provinces de l’ancien royaume de Portugal,
une contrée « derrière les monts ». Retenons ces premiers vers où une
Vierge byzantine esseulée verse des larmes sur la vacuité de nos vies.
Quelle prière murmurent ces larmes ? L’oubli dans la fuite, fuite de ce
temps qui rattrape inexorablement de son ombre. La pénombre gagne,
omniprésente alors que la nuit insaisissable fixe les choses, comme les
êtres. Nuit non transfigurée qui voit renaître le quotidien avec ces
tâches que l’on tente de laver à grande eau…
« l’eau, tu la jettes sur la pierre sale,
la fais glisser, on voudrait l’éponger,
mais tu vas vite, effaces en hâte
les marques de pas,
les traces noirâtres »
José-Flore Tappy se saisit du temps par le silence « comme une
urgence sans fin ». Les ombres et la lumière dessinent des parcours
existentiels que le vent balaie parfois sur le potager, réminiscences
sensibles et aiguisées par la lucidité :
« Dans l’intervalle, parfois,
s’immisce comme un regret,
mais elle le pousse du pied,
scorie sans intérêt »
La solitude héritée devient refuge les jours d’orage, la poétesse en un
camaïeu de transparences cherche à percer la pénombre, cette alternance
« du clair, du sombre », quête fragile de l’exercice de mémoire,
dans cette campagne qui a laissé des traces indélébiles sur ces vers
sensibles. La nuit revient toujours, « pourquoi la craindre, vouloir
à tout prix la chasser ? » s’interroge José-Flore Tappy en une
poésie cristalline que seule trouble la vibration du souvenir. Lorsque
l’aube guette, devant ces instants fragiles, ces pages manifestent un
déploiement d’espérances et un renouvellement de la vie par cette voix
si ténue, espoir du poète et souffle léger que ce recueil délicat
imprime jusqu’à la dernière page tournée.
Philippe-Emmanuel Krautter
La fille au Leica d''Helena Janeczek.
éditions Actes Sud, 2018.

Elle s'appelait Gerda Pohorylle mais pour tous elle était
Gerda, Gerda Taro. Elle était belle, jeune, étincelante, vive et se
débrouillait dans sa vie compliquée en exil, elle s'était engagée
politiquement, elle photographiait les combattants sur les terrains
dangereux de la guerre d'Espagne. Qui se souvient d'elle ? Personne...
Il s'appelait André Friedmann mais pour tous il était Robert Capa ou
Bob. Il était beau, jeune et photographe reporter et il témoignait aussi
en images de ce qui se passait sur le terrain pendant la guerre
d'Espagne. Qui se souvient de lui ? Tous... Ils se sont rencontrés à
Paris, se sont admirés, se sont aimés, se sont presque confondus dans
leurs travaux, se croyaient immortels, si jeunes, si pleins de talent et
pourtant, un jour ...
« Tu imagines alors que quelqu'un lit à voix haute un quotidien daté
du 27 juillet 1937, le 1er août de cette année elle aurait eu 27 ans...
Il est écrit que Madrid résiste héroïquement même si, avec le secours
criminel de l'aviation allemande, l'ennemi a progressé en direction de
Brunete où s'est déroulé un fait tragique. Une photographe est morte,
alors qu'elle était venue de loin pour immortaliser la lutte du peuple
espagnol : un exemple de valeur tel que le général Enrique Lister s'est
incliné devant son cercueil et que le poète Rafael Alberti a dédié les
paroles les plus solennelles à la camarade Gerda Taro ». Le monde
s'écroule pour tous ses amis, ses complices, ses amours, tous
inconsolables... Qui était donc cette étoile filante ? Dans ce beau
roman, Helena Janeczek, l'auteur, nous raconte à travers les souvenirs
de trois personnes qui l’ont connue, aimée d'amour ou d'amitié, ont pris
parti et position pour Gerda et qui tous traversés par la douleur de sa
perte vont décider, mémoire vivante, de conter ce qu'ils ont partagé
avec elle.
Ainsi la vie de Gerda se dessine ligne après ligne, à travers les
souvenirs du Dr Willy Chardack (Buffalo – N.Y. 1960), de Georg Kuritzkes
(Rome 1960) et de Ruth Cerf (Paris 1938), aussi vivante que possible, là
à chaque ligne. Cette grande photographe engagée qu'a été Gerda et
injustement oubliée devait ressurgir de l'ombre de Robert Capa, et ce
roman, qui se lit comme une enquête, redonne à cette toute jeune femme
une place prépondérante dans cette période de trouble politique où il
fallait négocier, se cacher, courir plus vite , fuir parfois, et obtenir
des images qui pourront témoigner du monde et de la lutte. « Malgré
ta mort et ta dépouille – l'or ancien dans tes cheveux – la fraîche
fleur de ton sourire au vent et la grâce quand tu sautais en te riant
des balles pour fixer les scènes de combat, tout cela, Gerda, nous
réconforte encore. » À Gerda Taro, morte sur le front de Brunete»,
écrira Luis Pérez Infante. Roman très documenté « La fille au leica »
est aussi une page d'histoire qu'il ne faut ni négliger ni oublier.
C'est dans un contexte politique charnière pour l'Espagne que cette
jeune femme émancipée va laisser sa trace. « Et puis, Mlle Pohorylle,
citoyenne polonaise née à Stuttgart, possédait les vertus martiales que
Hitler exigeait de la jeunesse allemande : agile comme un lévrier,
résistante comme le cuir et parfois dure comme l'acier. Mais la
résistance et la dureté de Gerda étaient faites d'une autre pâte : ni
guerrière ni mortuaire. Vivre coûte que coûte, mais pas à n'importe quel
prix, Gerda le désirait plus que tous les autres réunis. Et en effet,
elle surmontait les contraintes et les obstacles qui s'opposaient à ce
désir avec un élan irréfrénable, que seule la masse métallique d'un tank
avait réussi à écraser. » Et ce roman signé Helena Janeczek, ayant
reçu le prix Strega 2018, en témoigne.
Sylvie Génot-Molinaro
Curzio
Malaparte « Journal d’un étranger à Paris » traduit de l’italien par
Gabrielle Cabrini, coll. Petite Vermillon, La Table Ronde éditions, 2018.

En 1947, l’écrivain italien Curzio Malaparte revient à Paris, ville qu’il
redécouvre « après quatorze ans d’exil en Italie ». Et de ce retour
naîtront ces pages jubilatoires d’un « Journal d’un étranger à Paris
». Après ses arrestations et séjours en prison pour ses activités
antifascistes (après avoir été un théoricien du fascisme dans
l’entre-deux-guerres…), Paris fait figure de vent de liberté
qu’accompagnent les quelques rares amis qui lui ont gardé un indéfectible
soutien, ce dont l’écrivain leur sera toujours reconnaissant. Dans la
capitale française de cette époque, c’est un bouillonnement d’idées que le
diariste vit à pleines dents avec dîners, rencontres de figures en vue,
François Mauriac, André Malraux, Albert Camus et bien d’autres encore.
Parmi ces belles rencontres, fuse son humour grinçant dans les pages de ce
journal où l’écrivain préfèrerait être mort pour la libération de l’hôtel
Excelsior plutôt que celle de Rome… Malaparte avoue hurler parfois avec
les chiens toute une soirée, une conversation qui le nourrit parfois plus
que celle de ses congénères, une lecture d’une douce acidité dans ce style
qui lui fût propre.
Pierre Reverdy – Pablo Picasso «
Le Chant de morts » préface de François Chapon, Poésie Nrf, Gallimard,
2018.

À celles et ceux qui auront eu le bonheur de découvrir les originaux de
cette incommensurable poésie de Pierre Reverdy lors de l’exposition
Picasso Chefs-d’œuvre, ce petit opuscule de la célèbre
collection Poésie/Gallimard les réjouira assurément ! Si l’ampleur et la
taille de l’ouvrage ne pouvaient être respectées pour une édition de
poche accessible, la beauté et la poésie nouées de manière inextricable
dans ce recueil subsistent, la magie opère et la graphie du poète et
celle du peintre, entrelacées, demeurent d’une extrême lisibilité. Ainsi
que le souligne François Chapon dans sa préface, ce volume provoque «
un saisissement par l’impact de son dévidement linéaire et des balafres
sanglantes qui le scandent », un saisissement hypnotique serait-on
tenté d’ajouter tant le concert des arts s’accomplit en ces pages au
plus haut degré. Picasso tel un calligraphe peint et « écrit »,
l’étymologie du mot grec graphein renvoyant indistinctement à ces
deux procédés. Mémorables vers où le poète évoque : « Je me suis pris
à l’aile exquise du hasard » et le peintre de se faire l’écho de ce
vol extatique d’un trait d’hirondelle… Le lecteur se réjouira de lire
d’un seul souffle ce poème, et se ravira d’en redécouvrir de temps à
autre une page retenue par le hasard, une compagnie fertile à savourer
par à cette belle initiative.
Picasso « Le regard du minotaure
– 1881-1937- tome 1 » et « Si jamais je mourrais -1938-1973 – tome 2 »
de Sophie Chauveau. Éditions Télémaque, 2018.

Il ne fallait pas moins de ces deux tomes pour permettre à Sophie
Chauveau, auteur reconnu pour ses romans biographiques, d’explorer la
personnalité complexe et pour le moins contradictoire de Pablo Picasso,
surtout par ce choix audacieux de retenir le prisme de la vie privée de
l’homme avant celle de l’artiste, marque de fabrique – il est vrai, de
l'auteur. Le sujet et l’objet même de l’ouvrage n'est pas ici d'admirer
ou de détester plus que de raison cet immense artiste, nombreux sont
ceux l’ayant déjà fait et qui le feront encore, Picasso étant une
légende de la peinture, un monstre sacré dans l'histoire de l'art. Ce
statut l'a mené, aussi loin que Sophie Chauveau remonte dans son passé,
dans un labyrinthe de sentiments aussi créatifs que destructeurs ; «
Ce qui est terrible, c'est qu'on est à soi-même son propre aigle de
Prométhée, à la fois celui qui dévore et celui qui est dévoré »,
lucidité ? Cet homme est dès son plus jeune âge un ogre en devenir. Rien
ne lui résiste, il n'a qu'une seule ennemie, la mort qui de toute façon
gagne toujours et l’obsédera jusqu'à la dernière minute de son long
passage sur terre. Pourquoi perdre du temps dans ce qui n'est pas
essentiel, créer, aimer, boire, manger, fumer jusqu'à tout détruire.
Picasso souffre dans sa chair de la mort de sa sœur. « Pas un jour
sans jouir, pas un jour sans peindre », une revanche sur
l'insupportable ? Non « Le terrible, c'est qu'on a jamais fini avec
la peinture. Il n'y a pas un moment où tu te dis : Allez, j'ai bien
travaillé et demain c'est dimanche. Non, dès que tu t'arrêtes, c'est que
tu as déjà recommencé. En peinture, on ne peut jamais lettre le mot «
Fin ». En peinture, en dessin, en sculpture, en collages divers, en
céramique, en toutes techniques qu'il aura abordées, touchées, et
maîtrisées jamais de fin et les sources d'inspirations sont si
nombreuses autour de lui, chez les autres artistes et tout prendre, tout
comprendre, tout digérer et tout rendre « à la Picasso »... Également
tout critiquer et tout révolutionner... Mais, qui admirer quand on se
prend un peu pour Dieu ? Restent les grands, les très grands, Delacroix,
Caillebotte, David, Corot, Ingres, Daumiers, Manet, Degas ou Bazille,
Cézanne... et Matisse, le seul qu'il respectera au-delà de tous. Picasso
dévore et jouit de tout et en premières victimes des femmes, de ses
femmes dont les prénoms resteront à jamais liés à ces amours autant qu’à
son œuvre. Tristes sorts pour celles qu'il a séduites, admirées, faites
mères, trahies, délaissées, abandonnées, trompées, laissées crever sans
bouger le petit doigt, ou tout au contraire dans la plus grande
discrétion aidées, ses femmes comme ses amis, comme ses enfants...
Rédemption ? Oh, non Picasso y trouve encore une nouvelle force pour
créer ! Créer, être reconnu de son vivant et vivre de son art, quel
artiste de son siècle n'a pas espéré le millième de ce que Picasso a pu
engranger d'argent (caché en Suisse), de célébrations à travers la
monde, de vente aux plus grands collectionneurs ? Matisse, lui ne
fantasme pas sur Picasso, de douze ans son aîné, il n'a pas toujours
considéré l'Espagnol, c'est peut-être cela qui attire le catalan vers
cet alter ego.
Deux tomes pour être au plus près de cet artiste incontournable et de
ses chefs-d’œuvre, deux tomes pour entrer dans sa vie sans être voyeur,
sans être vu du maître, et porter un regard distant sur ses peurs, ses
envies, ses dénis, ses fantômes et les puissances destructrices qui le
hantent, son « bordel » intérieur qui hurle à la vie, à la mort et à son
œuvre. Deux tomes pour tenter d’offrir au lecteur une autre approche de
tout ce qui a, en fin de compte, fait du petit Pablito ce géant
qui souffrira toute sa vie de sa petite taille dévorant tout sur son
passage. Une immersion privée dévoilant l’homme face à son œuvre. «
Celui qui a vécu jusqu'au bout l’orgueil de la solitude n'a plus qu'un
seul rival : Dieu », écrivit si justement Emil Cioran.
Et peut-être, ne jamais oublier que l’on n’en a jamais fini avec
Picasso.
Sylvie Génot
Benoît Castillon du Perron : « Mourir
avec la rivière », éditions Arcades Ambo, 2018.

« Mourir avec la rivière » signé Benoît Castillon
du Perron et publié aux éditions Arcades Ambo raconte ou plutôt conte
l’univers biographique d’un petit garçon qui grandit et qui, un jour,
est devenu grand… Un univers, tout d’abord, doré, fait de vastes parcs,
de hauts et grands escaliers ornés de tableaux tout aussi grands qu’eux,
mais un univers bien trop vaste et hermétique pour ce petit être, tenu à
l’écart du monde des adultes et du club de ses trois sœurs, seul dans la
chambre verte de l’oncle Romain, seul à regarder l’horizon et cette
rivière, sa rivière et cette photo en noir blanc donnée en couverture de
l’ouvrage : « Et c’est ainsi que je reviens au bord de la rivière, ma
rivière, ma douce, ma si jolie et ma si tendre morte. Je ne sais plus,
tant le temps a passé, si le noir des trous d’eau, entre les nénuphars,
s’est élargi au soir, définitif, qui tuera tout et tous, ou si je puis
encore m’éveiller, réveiller avec vous ce qui fut l’une de mes plus
grandes joies, et fouler à nouveau, en une danse légère, nécessaire et
sacrée, les chemins d’autrefois pour moi seuls inventés, et retourner,
sans doute pour la dernière fois, parmi joncs et roseaux délicatement
froissés, revoir luire au bas du talus, là-bas, au pied des peupliers,
les trésors de l’essentielle enfance où j’allais puiser sans fin, par
les beaux soirs d’été. »
Et c’est dans la mémoire de cette rivière, devenue matrice, refuge, dans
laquelle on entre, pas à pas, avant que subrepticement, elle n’entraîne
le lecteur dans cette enfance où déjà se dessinent les ombres. Une
enfance aux nombreuses pages et souvenirs qui jamais ne lassent tant
elle s’écoule en de jolis moments et phrases comme la douce rivière du
garçonnet ou ces notes d’un nocturne de Chopin joué pour lui seul par
une complice grand-mère. Mais les étés se suivent laissant aussi advenir
un long et doux ennui qui grandit malgré les portes ouvertes des
greniers, malgré la rivière, ne laissant « Jamais apaisée, cette
envie de partir comme j’étais parti dans tes bras, ce désir d’écarter
les murs, d’élargir l’horizon, cette pulsion montante, de plus en plus
puissante au fur à mesure que je grandissais ; tout cela qui ne
supportait plus, maintenant, la contrainte d’une porte, d’un simple
verrou fermé… ».
Entre pêche et jeux, percent les illusions, désillusions
et secrets des adultes, la larme vite cachée de sa grand-mère, un père
de plus en plus absent que remplacent les certitudes toujours plus
implacables de cette mère à l’affection si mondaine, alors s’ajoutant à
l’ennui, s’immisce le manque, ce puits qui se creuse. « Allongé,
presque nu, à l’avant du bateau, je joue à être mort. Mes pieds, mes
mains traînent dans l’eau. Dans le bleu flamboyant du ciel, je regarde
fondre les nuages. Mes paupières se ferment, rougissent, s’emplissent de
tâches noires… La brise, sur ma peau, fait comme l’empreinte
irrésistible d’une lèvre. Mais mourir n’est pas si aisé. »
Entre souvenirs et mots choisis, l’auteur saisit, navigant tout à la
fois entre sensibilité à fleurs d’âge de l’enfance et émotion des
souvenirs de l’adulte, les moments clefs de ce paradis de l’enfance qui
se fissure, la rivière de La Saulière qui laisse place à celle de
l’Abbaye, au collège, à la séparation, aux crises et aux cris, et aux
années 68... L’adolescence qui accoste se fait maintenant empreinte. Les
morceaux du puzzle des vies s’ajustent avec en contrepoint les larcins,
vengeances et mensonges d’un adolescent poursuivant encore l’auteur des
lignes, champs de bataille de pulsions. Le rythme s’accélère malmenant
la monotonie des étés et des rentrées. Les photos du vieux Leïca fixent
le lecteur et s’enchaînent alors comme un film en 24 x36, aujourd’hui,
remastérisé et gravé par les mots de l’auteur jusqu’à ses 17 ans,
lorsqu’on n’est pas sérieux.
Puis, le cinéma encore, la poésie, la littérature plus
encore et les rencontres d’amis, ceux que l’on n’oubliera jamais, amis
perdus ou ennemis de demain et frères de toujours… Époque des amitiés
profondes, des séparations familiales, des chambres de bonne, des
premiers emplois où la vie de bohème vibre de sa jeunesse et de sa
beauté.
Notre narrateur, après un intermède flashback, est devenu Jean (Jean,
ici, aussi…), et c’est bien ainsi. Jean est devenu un peu adulte, mais
pas encore assez pour retenir la belle Maud et les autres. Puis, Joy
apparut et demeura. Entouré maintenant de sa famille, de sa femme et de
ses enfants déjà grands, le narrateur regarde Jean s’avancer vers lui,
éclairé par la lune, jusqu’à cette étrange bulle… La réalité, « Cela
faisait bien longtemps qu’il n’y croyait plus, tout au moins pas au sens
où tout le monde l’entend.» ! Demeure l’âme de la rivière. Un joli
ouvrage où le travail de l’écriture s’efface pour laisser place à un
style personnel au rythme scandant ceux de la vie qui grandit,
s’affirme, se vit et s’écrit.
L.B.K.
Marc Pautrel : « La vie princière. »,
Gallimard, 2018.

Le dernier roman de Marc Pautrel, « La vie princière », commence
par une lettre, une lettre adressée à une femme. Celle-ci débute ainsi :
« Chère L***, Je voudrais pouvoir te remercier de tout. Rester à tes
côtés pendant ces quelques jours a été merveilleux, de la première à la
dernière minute. » Tout et dit et rien ne l’est… Rien n’est jamais
aussi simple, surtout lorsqu’on est écrivain, l’inconscient efface, les
souvenirs persistent, le corps résiste. Dans un style qui se veut net,
comme un regard lointain qui se souvient trop bien, et dont aucune mise
au point ne serait nécessaire, le narrateur, pensionnaire de ce vaste
Domaine à la végétation tout italienne, se souvient…
Elle, elle à ses côtés. L***, italienne, venue pour une semaine, et
n’être qu’avec elle. L***, belle, intelligente, vive, qui aimait, aime
tant parler, parler et parler, marcher aussi… Et, maintenant, repartie,
et lui, seul, face à lui-même, sans elle à ses côtés, avouant comme on
confesse, quelques lignes plus loin : « […] je ne pouvais plus faire
qu’une chose, la seule chose que je sache faire dans la vie : me nourrir
de mes propres phrases, et qu’il allait me suffire de t’écrire une
lettre […] ».
Une lettre pour ouverture d’un livre qui s’écrit, ne peut que s’écrire…
écrire contre le temps, retisser la ligne de vie d’une rencontre
amoureuse avant qu’elle ne perde sa réalité. Retenir, tenir encore ce «
dernier moment où en une demi-seconde tout pourrait encore changer
[…] ». Une écriture fluide, diaphane, transparence d’une lumière
italienne, pour réminiscence de ces instants où ils dévalèrent ensemble
la pente des collines du vaste Domaine, laissant les mots glisser, et «
[…] t’expliquer que j’étais tombé amoureux de toi, de te dire ce qui
s’était passé et comment c’était arrivé […] ». Chaque mot est là,
présent, tout proche, à portée de pages. « Redoubler l’éternité
», écrit le narrateur… L***, dans les allées de « La vie princière
», avec ce désir de laisser les phrases dirent chaque minute, chaque
journée de cette présence d’L*** dans l’ombre des grands pins du
Domaine, juste dire et pouvoir écrire : « Et qu’alors, je serais
soulagé. »
Pierre Voélin « Sur la mort brève »
Fata Morgana, 2017.

Pierre Voélin signe avec Sur la mort brève un
recueil de poésie à la fois empreint de gravité et en même temps d’un
souffle qui dépasse celui des contingences des vies humaines. La nature
est complice de la poésie de l’auteur, tour à tour témoin ou
participant, rarement indifférente. « L’esprit s’ouvre à des puits de
neige », des « Sentinelles obscures » et « D’anciennes
fêtes rouvrant leur manteau et la miséricorde en pleurs » ponctuent
nos marches obscures. Comme un espace à la fois feutré et paradoxalement
sonore, la nuit osseuse a des accents de barque antique traversant le
Styx… Poudroiement de graines exquises pour un cœur pris dans les étaux
du lierre, végétal enserrant la mémoire du poète en une étreinte
mortelle. La mort rôde sans que nous sachions si elle est miroir ou
reflet, et si nos prières dans le « bréviaire des étoiles »
offrent une voie ou une voix « d’une langue incertaine » ? Le
poète s’interroge plus qu’il n’assène, une invitation à la patience des
incertitudes. « Sur la mort brève » rappelle la mémoire
implacable du « battement sourd des heures », cette « mémoire
glisse comme un lac de montagne. L’implacable mémoire ». Caractère
inéluctable des instants où tout bascule, « Elle marche, On ne
l’entend pas venir » ; et le poète, de préciser en un rappel
inéluctable, ce témoignage indicible et inouï de la nature : « Seules
des feuilles récitent », et nous nous ferons complices avec lui de
ces murmures qui signent nos fins. Un recueil aux murmures et au timbre
mélodieusement grave comme un bruissement d’automne.
En une éternelle confession avec la mémoire et la nature, Pierre Voélin
signe également « De l’enfance éperdue » aux mêmes éditions Fata
Morgana.

Philippe-Emmanuel Krautter
Philippe Sollers « Beauté » roman,
Gallimard, 2017.

Euterpe, la muse grecque sait plaire selon l’étymologie de son
nom et ses charmes ont certainement inspiré l’écrivain Philippe Sollers
pour son dernier roman Beauté. Elle est associée à la musique et
le lecteur pourra s’interroger : la muse ne s’est-elle pas substituée à
Lisa, cette pianiste aimée par le narrateur dans ses pérégrinations
grecques ? Notre rhapsode des temps modernes loue depuis longtemps déjà
les arts et la beauté qui s’en dégage de différentes manières. Comme ses
antiques devanciers, Philippe Sollers sait mettre en avant ce qui est
plus que ce qui paraît. Le romancier excelle dans l’art de la
variation - mélodique, rythmique ou harmonique - peu importe. Ainsi, la
référence récurrente dans Beauté aux Variations pour piano,
opus 27 d’Anton Webern rattache tout naturellement aux dieux grecs
pour l’écrivain, l’écoute des rares fragments d’hymnes à Apollon
parvenus jusqu’à nous lui donne raison. Sa pensée et ses œuvres tissent
sur un métier une toile infinie, et Beauté ajoute encore quelques
pages encourageant à cette prise de conscience : notre monde ne cesse de
s’enlaidir. Les voix s’élèvent alors tel un chœur de vierges
effarouchées, Sollers réactionnaire, Sollers conservateur, Sollers
rétrograde ! Non point, Sollers plutôt optimiste, La beauté sauvera
le monde aurait pu être de sa plume si Dostoïevski ne l’avait
devancé. Du chaos peut ressortir la beauté, c’est un thème récurrent de
tous les mythes fondateurs et des sagesses millénaires. Webern aimait
citer Hölderlin qui estimait que « Vivre, c’est défendre une forme
», ce qui perdure malgré les aléas du temps. Face à cela, l’obscénité
inconsciente prédomine sur les écrans comme dans la vie quotidienne,
les deux se confondant. Les dieux grecs font signe pour Hölderlin, le
poète croit en leur résurrection, ce qui fait dire trop rapidement à
Schelling qu’il a perdu l’esprit, image qui fait penser à la « folie »
présumée de Nietzsche, mais en sommes-nous si sûrs ? Pour cela, pourquoi
ne pas rêvrer comme l’y invite Philippe Sollers, un rêve vrai
pour lequel il faut se rendre disponible, se déconnecter des
interminables sollicitations modernes. Jüng a également fait ces
voyages, Ulysse aussi, en enlevant ses bouchons de cire, mais attention
au chant des sirènes… On retrouve dans ces pages inspirées les touches
en botte du fin escrimeur qu’est Philippe Sollers qui encourage de lire
Hamlet plutôt que d’assister à une de ces représentations
contemporaines « foireuses » ! Le narrateur est dans les cieux
avec Lisa alors que l’interminable guerre de Troie a toujours lieu, en
bas. « Les phénomènes passent, je cherche les lois ». Face à la
manipulation de l’ignorance, l’omniprésence des projecteurs aveuglants
et du bruit médiatique, le sacré se voile, l’ennui guette, alors il est
temps d’entendre et d’écouter ce que les anciens Grecs percevaient déjà,
leurs dieux et leurs éclairs n’ont pas disparu, Beauté en
témoigne !
Philippe-Emmanuel Krautter
Stéphan Huynh Tan « Anarchie en
France, en Allemagne et en Savoie » Pierre Guillaume de Roux éditions,
2018.

Stéphan Huynh Tan est un écrivain au long cours qui puise son encre dans
la mémoire de ses pérégrinations autour du monde et des plus belles
pages de la littérature qu’il ne cesse également d’explorer. Que peuvent
bien avoir en commun Stendhal, Gobineau, Ernst Jünger et Xavier de
Maistre ? Sous la plume de notre essayiste, qui a notamment déjà publié
un Dictionnaire de Chateaubriand, leurs aspirations mais aussi leurs
contradictions tissent un maillage serré qui peut paraître bien souvent
incommode à démêler pour le lecteur noyé par les sollicitations
médiatiques du XXIe siècle. Mais Stéphan Huynh Tan, lui, est en retrait
du monde, sait prendre le temps d’aborder ces rivages comme le faisaient
nos aïeux, otium revisité des temps modernes où le lecteur
gourmand se met à table avec Henri Beyle, la duchesse de Sanseverina
n’est jamais très loin, pour « un bon dîner dans la compagnie d’un
esprit libre »… Le promeneur écrivain sillonne les clues de Barle,
non loin de Digne-les-Bains, une manière de retrouver le temps
primordial, grandeur discrète, d’où tout est parti ou presque. Nos
cathédrales des temps modernes comme il les nomme avec une pointe
caustique où s’entassent caddies et monceaux de victuailles ne
rassasient pas notre homme, il leur préfère les vraies, non cet amas de
ferrailles et de plastique, mais celles en pierre où le lecteur
impénitent retrouve les souvenirs de l’auteur des Chroniques
italiennes et des Promenades dans Rome. La saveur de la
lecture de Stéphan Huynh Tan est d’apporter à ces textes que nous
pensions pourtant connaître de nouvelles épices, une lumière rasante
d’un soleil de fin d’été sur la garrigue. Avec le comte Arthur de
Gobineau, nous filons à Turin, une ville secrète qui ne se livre pas au
premier venu. L’endroit sied à l’auteur de L’Essai sur l’inégalité
des races humaines, et notre essayiste de ne pas résister à plonger
dans la lecture de ce pavé de mille deux cents pages développant des
théories plus que controversées sur les races… Le mythe aryen, la race
blanche dissoute dans ses métissages multiples, sombre constat de ce que
la pensée peut produire dans ses contradictions, lui qui pourtant
s’avérait philosémite. Le livre poursuit cette exploration de ces
auteurs aux frontières de l’Histoire, tel Ersnt Jünger dont la valeur
militaire n’attendra pas le nombre des années, un courage que certains
souhaitent obscurcir par certains de ses écrits nationalistes avant la
Seconde Guerre mondiale alors que l’écrivain se retirera de la vie
publique et de toute participation au régime nazi qu’il détestait. Le
livre conclut avec Xavier de Maistre, le frère de Joseph, exilé de sa
bien-aimée Savoie. Il y a comme une curiosité d’entomologiste chez
Stéphan Huynh Tan, passion d’ailleurs partagée par Ernst Jünger, curieux
de ces insectes étonnants que sont parfois les écrivains, et dont il
sait avec une verve bien singulière rendre la grandeur comme les
contours plus obscurs. C’est un étrange plaisir que de lire les pages de
ce dilettante à la rigueur caustique et implacable, de ce plaisir qui
saisit le lecteur comme un décapant étourdissement.
Philippe-Emmanuel Krautter
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Christine de Pizan "Cent
ballades d'amant et de dame" Édition bilingue et trad. de l'ancien
français par Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Collection Poésie/Gallimard
(n° 540), Gallimard, 2019.

Il est grand temps de lire ou relire ces Cent ballades d’amant et de
dame à l’occasion de la nouvelle traduction de Jacqueline
Cerquiglini-Toulet dans la collection Poésie/Gallimard. Car ces Ballades
courtoises sont le fait d’un grand poète, une femme de surcroît,
Christine de Pizan, née à Venise en 1364 et morte à Poissy en 1430.
Curieusement, le lecteur découvrira qu’en plus d’un art consommé du
vers, cette femme sut s’imposer également dans d’autres domaines comme
celui de l’art militaire en rédigeant un traité sur cette matière
pourtant bien peu féminine à l’époque… Veuve et néanmoins femme libre,
auteur de plusieurs ouvrages, Christine de Pizan a décidé de vivre de sa
plume, et fût même, souligne Éric Dussert dans « Cachées par la forêt
» (vr. : notre
chronique), la première femme à faire de son écriture une activité à
part entière, une activité d’homme fait plus que rare à l’époque. Mais
curieusement et paradoxalement, c’est plus par la contrainte, par une
commande qui lui a été faite que celle-ci va réaliser ce recueil de
Ballades qui portera son nom à la postérité. L’amour est alors décliné à
partir de deux personnages, un amant et une dame, sans oublier un mari
jaloux, une sobriété propre à l’art courtois, point de roman en ces
pages. Trame classique d’un amant aimant, d’une femme ignorant en
apparence ce sentiment, s’en suit une menace de suicide et une inflexion
progressive des réserves de la dame qui entend à ce qu’on l’aimât
pleinement. Empêchement, honneur, jalousie et autres sentiments mettent
à l’épreuve l’amour en une balance aussi inexorable que fragile dans le
prolongement du temps. Variations sur l’amour et non point traité,
Cent ballades d’amant et de dame convoquent son lecteur pour mieux
en comprendre les paradoxes, les fragilités et cette fatalité d’une
ombre grandissante qui vient tout emporter. Jacqueline
Cerquiglini-Toulet est parvenue avec un talent certain à restituer ces
vibrations de la plume de Christine de Pizan, ce rythme donnant toute sa
force à cette poésie que le lecteur plus assidu pourra suivre dans le
texte original placé en regard. Une ballade en terre amoureuse avec
l’une de ses plus belles messagères !
Philippe-Emmanuel Krautter
"Transport" d'Yves Flank
– roman, Éditions de L'Antilope.

« Transport », premier roman d'Yves Flank est
d'une force étrange qui nous transporte de l'inhumain à un érotisme
suave, d’une réalité brutale aux rêves secrets d’alcôves, de la puanteur
de la mort aux parfums musqués de l'amour... « Transport »
pénètre les sens, fait couler des larmes de rage. « Transport » est
un huit clos dans un wagon. Un wagon de ces trains maudits qui
transportaient les juifs vers un destin funeste, femmes, hommes et
enfants de tous âges, de toutes provenances, qui au fil des quelques
jours qu'ils partagèrent connurent toutes les étapes psychiques et
physiques de l'espoir à l'abandon total. Et pour beaucoup à une
certaine forme de libération, mourant à même le sol, pour d'autres
espérant juste sortir de ce wagon, lucides d'un enfer proche. « Il
faut résister, ne pas perdre espoir, quand les portes s'ouvriront, car
elles s'ouvriront, tous auront la force de se précipiter dehors, et peu
importe, je sauterai et vous sauterez avec moi, il y aura de l'eau ou de
l'herbe ou des cailloux, on sautera tous, moi la première, vous me
suivrez, toi, toi, toi et toi aussi. » Là, un homme et une femme
essayent de survivre. Les pensées et les paroles s'entremêlent aux
gestes. Espérer tous ensemble, renoncer seul...
Sommes-nous réellement dans ce wagon ? Réalité et rêves sont
omniprésents dans les quatre parties de ce texte bouleversant. Toutes
sortes de bruits, d'odeurs, de sensations, de mots et de phrases dans
des langues différentes, de souvenirs, d'appels au secours, toutes
sortes d'humanités dans quelques mètres carrés... Les pensées
peuvent-elles adoucir, sauver l'âme de la perte de tout repère, de tout
? Des pensées qui s'entrechoquent à un autre niveau de conscience.
Celles de l'homme, de la femme qui à chaque fois, vivante, mourante ou
morte demande à son amant : « Mon amour, sors-moi de cet enfer,
souviens-toi, mon amour (...) tu vois, mon amour, ils reculent déjà,
leurs yeux témoignent de leur frayeur et de leur désarroi, notre amour
les éloigne, ce ne sont plus que quelques points noirs s'évanouissant
dans la poussière, nous pouvons entrer dans le sommeil... »
Ce premier roman tente de dire l'indicible ; Ne rien en dire
d'autre, juste le lire.
Sylvie Génot Molinaro
Gilles Voirin : « La Pierre et le bocal ;
Les mots d’Owen.», Librinova, 2018.

Voici un ouvrage dont la lecture pourrait bien avoir sur le
lecteur des effets immédiats, étonnants et intéressants à observer !
Si vous aimez les mots étranges et venus d’ailleurs, les
personnages infiniment sympathiques, attachants - autant pour leurs
failles que pour leur force, si vous aimez les belles histoires d’amour et
d’amitiés, ces grandes histoires de vie qui se nouent parfois entre
Z’Humains et Z’Animaux, si vous aimez surtout les histoires qui
ressemblent à s’y méprendre à des histoires vraies, alors ce livre est
peut-être fait pour vous…
L’ouvrage suscite bien des souvenirs, réflexions, sourires
et élans de tendresse, toutes ces sortes de choses qui nous font nous
sentir vivants et nous donnent envie de nous mettre debout pour dire : « Oui,
moi aussi, il me faut dès maintenant et pour toujours, faire ce qui est si
important pour moi, depuis si longtemps ! ».
Le récit, ponctué d’accroches et d’approches variées, est
imagé. La poésie y est permanente, le vocabulaire riche et étonnant, son
rythme foisonnant. La Vie est simplement là, présente ou perturbante
parfois comme peut l’être la rencontre avec de jolis mots comme " Hyaline "
ou "Alliciant"…
Certaines définitions pourront, certes, paraître acides
telle celle des « Fêtes de fin d’année : (…) orgies de grosses bouffes
et de petits sentiments », mais bien d’autres, aux airs de sentence,
suscitent une bouffée d’oxygène aux effets roboratifs indéniables ; Ainsi,
peut-on lire : « (Être) libre de pouvoir se donner le droit, comme une
autorisation que l’on se donne à soi-même (…) de pouvoir réaliser son
rêve.»
Écrit « mots à maux », ce texte exprime l’intime « en
gardant l’essentiel, (…) l’intelligence de soi ». Un ensemble, très
coloré aux multiples nuances possédant cette rare qualité d’être animé de
l’intérieur par une présence, celle de « l’Unité ». Le fond et la
forme se marient en ces pages avec constance en un élan qui traverse
l’écriture, le récit et ses personnages. La construction des phrases bien
qu’enfantine parfois lorsqu’il s’agît de raconter la jeunesse, devient
plus élaborée quand le narrateur aborde la maturité naissante. Et si
quelque chose de la simplicité règne, c’est bien cette harmonie qui donne
à l’ensemble une puissance dépassant largement la force de chacun des
éléments pour constituer le tout.
Avec ce récit initiatique, Gilles Voirin affronte
l’écriture pour que son héros puisse « écrire des livres qui lui
ressemblent et qui le rassemblent », et incontestablement celui-ci est
l’un d’eux.
Dorothée Dora.
« L’Égal des Dieux ; Cent et une
versions d’un poème de Sappho recueillies par Philippe Brunet », Préface
Karen Haddad, Éditions Allia, 2018.

Ce joli opuscule intitulé « L’Égal des Dieux ; Cent et une versions
d’un poème de Sappho » se doit d’être ouvert avec sa couleur sépia
comme une malle aux mille trésors. Car s’il est exclusivement consacré
au fameux poème « Une femme aimée » de la poétesse antique
Sappho, il comporte en ses pages bien plus d’un trésor… Fabuleuse et
véritable mosaïque, il offre en effet une multitude extraordinaire de
traductions de ce poème allant de celle de Catulle à la plus moderne
signée Philippe Brunet de 2018. Une diversité de versions qui révèle
dans leurs variations ou appropriations toute la beauté et la richesse
de ces quelques vers de la poétesse demeurés inachevés. Une initiative
éditoriale précieuse des Éditions Allia sous la direction de Philippe
Brunet avec une riche préface signée Karen Haddad. Ce sont ainsi pas
moins de cent et une variations que découvrira le lecteur, chacune
apportant sa singularité, son style et rythme, selon son auteur et
époque. Ainsi, pouvons-nous retenir à titre d’illustration le titre même
du poème donné pour « Chanson » par Pierre de Ronsard, «
Chansonnettes » au XVIe s. ou « Ode » au XVIIe s. dont «
Ode à Vénus » notamment, puis traduit selon par « L’Aveu, A Thaïs
», « Les Symptômes d’amour », « Les effets de l’amour » ou
encore « A une maîtresse », « A une femme », « A
l’objet aimé », « A une femme aimée », « A la bien aimée
», « A Lesbie » ou encore « Passion » ou même «
Déclarations »… Variation de versification ou de prose, effets
rhétoriques ou métaphoriques, « aussi variables que l’état amoureux
lui-même », se donnent ici pour honorer les vers de celle qui fût
l’une des plus grandes poétesses antiques. Ce « Sublime » pour
reprendre le titre même de ce traité grec de l’époque romaine de Longin
donnant en grec les vers de la poétesse, version grecque reproduite en
début de l’ouvrage et dont « Catulle a inventé la traduction comme
détournement et donné l’exemple », souligne Philippe Brunet dans la
postface de ce travail de longue haleine. Suivront alors versions
latines, puis… « Cent et une versions » jusqu’à nos jours…
Ces différentes traductions ne doivent pas être comparées ou opposées,
mais bien découvertes pour elles-mêmes s’ajoutant, se complétant et
s’entrelaçant. Une démarche ou choix éditorial qui se justifie d’autant
plus que le poème initial demeure parcellaire ou fragmentaire. Cette
multitude de versions joue comme un rayon ultraviolet laissant
apparaître, selon les auteurs, tel ou tel passage. Des initiatives ou
choix qui parfois interpellent, signés souvent par de bien grands noms
tels que Ronsard, de Baïf, Racine, Lamartine, mais aussi Alexandre Dumas
ou plus près de nous Margueritte Yourcenar ou encore André Markowicz. Le
lecteur plonge littéralement dans cette lecture, ces lectures plus
exactement, avec une délectation, un amour certain y trouvant parfois la
voie d’exercices poétiques lui révélant toute la beauté de ces vers
murmurés par cette voix lointaine à nulle autre pareille, celle de
Sappho elle-même.
« Il me semble égal à
un dieu, cet homme,
Quel qu’il soit, assis devant toi, de face,
Qui t’écoute, proche, si proche, douce,
Lorsque tu parles,
»
(Traduction Ph.Brunet, p.137).
L.B.K.
Éric Dussert : « Cachées par la
forêt », Editions La table Ronde, 2018.

C’est avec une infatigable passion littéraire pour les écrivains oubliés
ou cachés qu’Éric Dussert nous fait découvrir aujourd’hui avec «
Cachées par la forêt » pas moins de 138 femmes de lettres
injustement effacées des mémoires. Essayiste, critique littéraire et
directeur de collection, il nous avait déjà enthousiasmés avec « Une
forêt cachée » réunissant plus de 150 écrivains également méconnus
(Éd. La Table Ronde). Et si ce premier volume avait été en 2013
fortement salué pour ces pépites, gageons que le nouveau, entièrement
consacré aux femmes, par son audacieuse curiosité ne pourra l’être que
tout autant sinon plus.
Ni anthologie ni recueil de textes, mais abordées par ordre
chronologique, partant de l’Asie du IXe siècle aux dernières décennies
du XXe siècle européen, ce sont les vies et œuvres de ces femmes de
lettres aujourd’hui injustement méconnues qui, avec la complicité de
l’auteur, reprennent vie comme pour mieux conjurer le sort et le temps.
De ces femmes, à tort trop vite oubliées, peu sont effectivement connues
de nos jours, du moins de nous ; peut-être, Mary Wollstonecraft
(1757-1797), mère de Mary Godwin, elle-même, auteur de Frankenstein
et épouse de Percy Shelley ? Et « Le Dit du Genji » ? Sait-on
seulement que là encore son auteur est une femme ? Et pourtant, ainsi
que le souligne avec malice l’auteur : « On aura beau observer le
paysage sous toutes ses coutures, on aura beau s’en étonner, en rester
ébahi, il n’en apparaît pas moins que l’histoire du roman est éminemment
féminine. ».
Et c’est tout le talent d’Éric Dussert, par cet ouvrage revigorant, au
rythme avenant et non dénué d’humour, de les faire revivre, suscitant
ainsi notre curiosité pour ce monde des lettres tout féminin
malencontreusement dérobé à la mémoire. Certes, certains fâcheux
pourront toujours relever un ou deux noms manquants, une ironie qui
serait presque de bon aloi ! Notons cependant que certains noms absents
de ce volume féminin sont à rechercher dans le premier plus général où
elles avaient déjà été intégrées, ce qui est tout à l’honneur de
l’auteur.
Fruit d’un long travail de recherches, cet ouvrage se laisse lire comme
une multitude de fructueuses rencontres, différentes chaque fois, mais
offrant toutes, selon leur origine et époque, une singularité, si ce
n’est un certain talent. Que de femmes, en effet, « Cachées par la
forêt » ont osé – car c’est bien d’audace qu’il faut parler – prendre un
pinceau, une plume d’oie, un stylo… avec enthousiasme ou timidité,
conviction ou réticence, mais souvent avec talent pour écrire et dire
leurs pensées, leurs imaginaires ou idéaux, et tels des soldats
inconnus, ont un jour souhaité avec leurs mots écrire les pleins et les
déliés de l’histoire littéraire. Il n’était pas seulement temps de les
réhabiliter, de leur redonner cette visibilité méritée, c’était
nécessité. Ainsi que le souligne Éric Dussert en ouverture : « Ne
reste qu’à désencombrer la réceptivité de la société, des lecteurs et
lectrices en premier lieu, et des institutions pour finir. En somme,
d’ouvrir les esprits. Mais après avoir observé ce que le siècle de
Simone Veil, de Joan Didion, de Virgina Woolf, d’Herta Müller, de Leylà
Erbil et de Svetlana Aleksievitch pouvait entretenir d’espérance et de
frustrations, il convient désormais de concevoir l’enjeu avec toute sa
taraudante exigence : fermer les yeux n’annihilera pas des siècles de
production littéraire. » Que rajouter ?!
L.B.K.
Véronique Le Goaziou : «
Monsieur Viannet », Editions La Table Ronde, 2018.

Un début sombre. La triste vie de Monsieur Viannet, avec en arrière fond
une triste et sale histoire, les séjours en prison, les foyers et
centres d’hébergement, et aujourd’hui ce sondage pour lequel la
narratrice, comme tant d’autres (éducateurs, juges, policiers, etc.) lui
pose et repose les mêmes questions dans ce minuscule appartement, avec
sa femme, belle, quasi silencieuse et la télé pour décor. Chez lui,
avant, quand il était petit, on ne questionnait pas, dit-il. La
narratrice, elle, ne sait pas, ne connaît pas, elle questionne, c’est
son métier… Qu’est-ce qui a changé dans sa vie après le centre
d’hébergement ? Bien sûr, elle n’en a pas la moindre idée, que
pourrait-elle savoir d’ailleurs ?
Véronique le Goaziou, sociologue et chercheuse, dépeint avec ce
quatrième roman l’univers, gris, glauque de ceux qui un jour ont
décroché de la société, vers ce hors où l’être glisse et se perd.
Pourquoi glisse-t-on, rechute-t-on ? « Des gens comme vous ne vont
pas dans les centres comme ça. », dit M. Viannet, « Y a ceux qui
y vont et y a ceux qui n’y vont pas. C’est comme ça, non ? non ? ».
L’auteur campe le décor, un décor désœuvré où dans le froid de la petite
pièce non chauffée, l’économie des meubles, des gestes et des mots
laisse une part belle au dialogue, à ces dires qui voudraient tant dire
et où l’être tente encore, entre deux bières, de se débattre. Mais c’est
si difficile et s’il s’énervait, se demande la narratrice ? M. Viannet
lui a dit qu’il n’était pas un gars de la rue, lui, d’ailleurs
aujourd’hui il ne sort plus, maigre, vouté, assis sur son canapé. «
Il y a des gars, ils portent depuis qui sont tout petit »,
rajoute-t-il, « des sacrées glissades, putain ! »… L’auteur
dépeint patiemment en creux des dialogues, minutieusement à l’image de
la narratrice posant doucement ses questions, les postures, les mains,
le dos et les choses, un canapé, un canapé comme tout le monde, souligne
M. Viannet, et puis, la famille, les enfants, mais les mots se
cherchent, se bousculent et s’enrayent… L’univers de M. Viannet se
rétrécit, s’enferme sur lui-même, bière après bière. « Ce n’est pas
une vie. » – lit-on? Mais la narratrice est là pour un sondage, non
pour poser des questions, elle se doit de garder dans son métier ses
distances, elle n’est pas là pour les aider, les aimer… Le sombre début
se durcit comme sous l’effet d’un pigment noir. Dans la petite pièce
devenue glaciale, les doigts de la narratrice se sont tendus, crispés,
les bières se sont accumulées et l’air enfumé comme un étau s’est
resserré. La narratrice sent le poids, l’émotion, les larmes de la
femme, la grisaille été comme hiver, le désœuvrement, l’enfer de
l’ennui, « La lassitude, la douleur, le néant, et puis… ? » Elle
devrait s’en aller, partir maintenant, mais elle a des questions, son
métier, et puis… Parce que « ce n’est pas une vie, mais c’est sa vie
», celle d’Alexandre Viannet, d’un homme, encore un peu vivant,
humain, elle décidera de revenir ; oui, revenir encore, jusqu’à ce jour,
ce 22 décembre…
Entre des dialogues pris sur le vif et les profonds silences des
existences, Véronique Le Goaziou relève le défi de décrire avec à la
fois réalisme et une tendresse sans concessions, ces vies contemporaines
laissées pour compte au trop lourd destin et le désespoir si peu dicible
de ces naufragés de la vie.
L.B.K.
Paola Masino : « La Massaia ;
Naissance et mort de la fée du foyer. », trad. Marilène Raiola, Éditions
de La Martinière, 2018.

« La Massaia », qui signifie femme au foyer en italien, est un
bien beau et étrange roman, étonnement publié qu’aujourd’hui en langue
française. Écrit par Paola Masino dans les années 38-40, dans une Italie
marquée par la propagande mussolinienne, c’est avant tout l’écriture
d’un refus, d’une révolte féminine, qui sera nommée quelques décennies
plus tard féministe. L’auteur, Paola Masino, femme éprise de liberté,
compagne de Massimo Botempelli, fondateur avec Malaparte de la revue
900, mettra plus de 15 ans à voir son ouvrage publié après avoir subi
bien des vicissitudes, celles de la censure italienne de l’époque et de
la guerre.
Avec une singulière sensibilité, toute empreinte de réalité magique, de
fantastique, se cognant à la dureté d’une lumière trop forte, ce roman
révèle, comme pourrait le faire la restauration délicate et douloureuse
d’une œuvre d’art, les couleurs existentielles ensevelies sous des
strates de peinture et de mauvais vernis. « Massaia » est le nom
même que l’auteur a donné à cette jeune enfant, une étrange petite fille
qui a décidé de grandir ou plutôt de demeurer enfouie, blottie, sale et
poisseuse, dans une vielle malle avec pour seule compagnie une
couverture aussi sale qu’elle, tapissée de toiles d’araignées, de
miettes de trognons de pain rassis et moisis, et de livres, beaucoup de
livres… Massai ne voit le monde, sa mère toujours prête à mourir de
chagrin et ses vilaines sœurs, que de cette vielle malle où en accord
avec son être peut-être le plus profond et intime, elle demeura jusqu’à
l’adolescence. Car un beau jour, soudainement, elle décide d’en sortir
et de devenir après maints lavages et décapages, une belle et jolie
jeune fille à marier… Une métamorphose qui ne saurait être cependant
pour Massaia un conte de fées. Loin de Cendrillon, cette soudaine
transformation, tant souhaitée par son entourage, sonne pour elle non
une naissance, mais le glas de son enfance, une mise à mort sans
qu’aucun ange ou buisson ne puisse arrêter le bras levé tenant le
couteau... « Moi, je voulais une robe noire. Celle-ci, je vais toute
la salir, j’en suis sûre. Une robe noire pour marquer la fin de mon
unique enfance. »
Alors commence, pour elle, la vie d’épouse, de mère, de femme au foyer,
de ménagère et d’un quotidien qui toujours et inlassablement s’impose.
Massaia saura-t-elle, pourrait-elle même s’y plier et devenir la fée du
foyer ? C’est tout l’enjeu et la force de ce roman singulier que de
recourir aux symboles, au fantastique, aux coups de théâtre et au
comique pour mieux convoquer à la fois une lucidité sans concession et
cette autre réalité plus diffuse, subtile, onirique et magique que
Bontempelli, puis Pier Paolo Pasolini, rechercheront également, et qui
conduira l’auteur à croire ce livre, pourtant salué par Italo Calvino,
véritablement maudit.
L’ouvrage, en effet, dut subir avant de pouvoir paraître dans cette
Italie d’avant-guerre de Mussolini bien des censures et coupures, et ne
sera imprimé en un seul volume qu’en 1943. Mais, tout juste imprimé,
l’ouvrage est détruit par un incendie dans les entrepôts de l’éditeur.
Puis, ce fut, de par la guerre, la clandestinité pour le couple
Masino-Bontempelli… Ce n’est qu’en 1945 qu’il paraîtra enfin en Italie.
Plus étrange encore, il aura fallu attendre 2018 et cette heureuse
initiative des Éditions de La Martinière pour que ce fort et beau roman
italien puisse, enfin, avec une traduction de Marilène Raiola, être
découvert avec bonheur par un large public francophone.
L.B.K.
Goliarda Sapienza : «
Rendez-vous à Positano », Coll. Météores (n°16), éditions Le Tripode,
2018.

Littéralement subjuguée lors d’un simple repérage par ce petit village
du nom de Positano perché sur la côte amalfitaine, comme suspendu entre
mer et ciel, à quelques kilomètres de Naples, Goliarda, la narratrice,
ne peut s’en détacher. Fascinée par la beauté des lieux, par ses
villageois, et surtout par cette énigmatique femme dont la beauté
rivalise avec le paysage, elle entreprend d’y demeurer et d’en savoir
plus… Se nouera alors, entre ces deux femmes, une profonde amitié quasi
amoureuse de plus de vingt ans. Par une étrange alchimie menée entre
vécu et roman, entre réminiscences et songes, l’auteur happe à son tour
son lecteur et l’entraîne dans la sensualité des criques brûlées de
soleil méditerranéen ou dans la fraîcheur des ruelles étroites de
Positano avec son dédale d’escaliers de pierre à la rencontre d’Erica.
Erica, si belle, si mystérieuse enveloppée dans son élégant halo, et
habitant cette maison quasi-inaccessible au plus haut du village, à la
fois retirée, fermée et ouverte sur toute la beauté de cette baie
infinie. Qui est Erica avec sa fine et élégante silhouette quasi
mystique, sa pâleur et cette froide aura tenant à distance tout Positano
émerveillé ? Goliarda apprendra à la connaître et se tisseront alors
entre elles deux, dans cette atmosphère à la fois insaisissable et
palpable de tendresse, de sensualité, ces liens forts faits de silences,
de rires et de larmes. Hypnotisé, on plonge doucement dans ces vies, la
mer, Positano, enveloppé dans le voile léger de la tendresse, celui qui
pudiquement cache les brûlures du désir et la violence des amours. Car,
dans ces confessions se distillera aussi le lancinant poison des secrets
dévoilés… Et s’engouffreront dans ces vies et ces pages, comme le vent
et les pluies diluviennes d’une fin d’été dans les ruelles de Positano,
pulsions, battements de vie, de survie et de mort. Vie marquée de revers
de fortune, de déceptions et de joies consolatrices avec pour fond,
Positano, petit village perdu dans la tourmente de l’histoire de
l’Italie et de l’après-guerre. Auteur engagé, on y retrouve des thèmes
chers aux intellectuels italiens de cette époque notamment de Pier Paolo
Pasolini avec la modernité avançant implacablement, l’argent comme
nouvelle force fasciste et ce temps ancestral marquant Positano comme un
axis mundi. Erica et Goliarda sauront elles y échapper ?
Sortiront-elles indemnes de la tourmente de la force des orages de la
vie ? Se refuser à partir, fuir ou accepter ce « Rendez-vous à
Positano » hors du temps… Goliarda ne retournera dans cette baie
cachée « au-delà des monts, frontière métaphysique entre le rêve et
le réel créé », que bien après, longtemps après…
« Ce n’est qu’après avoir, moi aussi, osé jeter un regard dans le
trou noir du non-être, sans pour autant arriver à m’y abandonner,
retenue peut-être par une curiosité démesurée qui a toujours été l’axe
de ma nature, ou seulement parce que je ne trouvais personne de vraiment
décidé à me donner un bon coup de pouce, que le désir me reprit de
retourner dans ce petit village encore intact dans son humanité de
visages et de pierres, avec sa mer limpide où laver nos « péchés » et
ceux des autres. Où je pourrais poser les paumes de mes mains sur les
rochers et les troncs des caroubiers encore intouchés et prier là où le
bonheur d’être jeune était encore intact – en esprit du moins – comme un
papillon bloqué sous la vitre immortelle du souvenir. »
« Rendez-vous à Positano » est l’un des derniers ouvrages écrits
par Goliarda Sapienza alors que sa monumentale œuvre « L’art de la
joie » n’a pas encore rencontré le succès qu’il méritait et qu’il
aura seulement quelques années après, lors de sa publication posthume en
France en 2005, puis en 2018 aux éditions Le Tripode.
G. Sapienza découvrit Positano à la fin des années 40
lors d’un repérage cinématographique avec le cinéaste Francesco Masseli,
son premier mari. Trop beau, le film sera tourné ailleurs. Pour autant,
Goliarda Sapienza, tout comme sa narratrice, ne pourra se décider à
partir et il faudra que Luchino Visconti s’impatiente à Rome pour la
faire rentrer ! Mais, Goliarda Sapienza ne tardera pas à y revenir…
jusqu’à écrire cet ouvrage. Achevé en 1994, juste deux ans avant sa
mort, « Appuntamento a Positano », aujourd’hui traduit en
français par Nathalie Castagné et également édité par les éditions Le
Tripode, bien que moins volumineux que « L’art de la joie », mais
méritant tout autant d’être connu, réunit à lui seul toute la fascinante
et fragile force d’écriture propre à son auteur.
L.B.K.
Goliarda Sapienza : « L’Art de la joie
», Coll. Météores, Editions Le Tripode, 2016.
Angelo Maria Pellegrino : « Goliarda Sapienza, telle que je l'ai connue.
», Editions Le Tripode, 2015.


« Raconte, Modesta, raconte. » ;
Cette phrase devenue célèbre est la dernière phrase du roman « L’art
de la joie », un roman vertigineux écrit de plume de femme, Goliarda
Sapienza. D’une écriture très personnelle, qui touche au plus profond de
l’être et émeut, l’ouvrage raconte la vie romanesque de cette femme
nommée Modesta dans la Sicile et l’Italie de la fin du XIXe siècle. Mais
comment ne pas dévoiler la vie si haute en couleur de cette petite fille
du sud de l’Italie qui au-delà de la pauvreté, des malheurs et horreurs,
des peurs que lui infligera le destin, au-delà aussi des bonheurs et des
étoiles que lui offriront le ciel et les gouffres insondables de l’âme
humaine, s’accrochera désespérément, dans un entêtement vital, toute sa
vie durant, à la seule compagne peut-être qui vaille : « L’Art de la
joie ». « L’Art de la joie » comme firmament ; « Le
firmament, quel beau mot…peut-être le plus resplendissant du firmament
des mots », dira enfant encore l’héroïne, Modesta.
Alliant en une belle écriture, réalisme cru et magnifique imagination,
l’ouvrage se heurtera pourtant aux heures sombres de l’Italie de la fin
des années 1970 et ne trouvera pas d’éditeur ; il faudra attendre 1998
et toute la ténacité de son dernier compagnon Angelo Maria Pellegrino
pour qu’enfin une première version posthume complète paraisse en Italie.
Mais ce sera surtout sa parution française aux éditions Viviane Hamy en
2005 avec une traduction de Nathalie Castagné, aujourd’hui aux éditions
Le Tripode, et son immense succès qui apporteront à « L’Art de la
joie » et à son auteur, enfin publiée et reconnue en France et dans
son Italie natale, toute la reconnaissance méritée.
D’une écriture inconsolable de joie, d’une sensualité à fleur de mot,
maniant fines nuances et couleurs chatoyantes ou crues, aussi
changeantes que les ailes de papillon, à l’image peut-être des
photographies de l’auteur, Goliarda Sapienza, l’héroïne grandit et
affronte dans un face à face étourdissant son destin, celui qui condamne
ou qui sauve, et qui l’arrachera des brûlures pour le couvent et du
puits pour une vie de Princesse… Habitée d’une insatiable ténacité de
vie, d’une volonté d’une inconsciente légèreté avec sur ses pas l’ombre
implacable d’une réalité toujours trop réelle, Modesta, insoumise, vit
et affronte, en effet, sa destinée, et celle de la Sicile et de l’Italie
au tournant du XXe siècle. Devenue une femme à la sensibilité aussi
grande que son caractère, instruite, Modesta demeurera toujours ouverte
aux idées modernes, dérangeantes, provocantes de son temps, et sera
sensible aux idées des féministes et des socialistes anarchistes de
cette fin et début de siècle, sans jamais cependant en oublier son sens
critique acéré et épris de liberté. Ainsi affrontera-t-elle avec volonté
ou impuissance, mais toujours force, détermination et patience, les
amours et les maternités, les deuils et la guerre, la folie aussi ; la
folie de la vie contre celle de la mort.
L’héroïne n’est pas, bien sûr, sans rappeler la personnalité singulière
de l’auteur, née, elle aussi en Italie du sud à Catane, de père avocat
et d’une mère se faisant, avec son mari, l’écho des luttes socialistes
et de la résistance au fascisme. Entourée de nombreux frères et sœurs,
l’auteur sera, en effet, comédienne, féministe, socialiste anarchiste,
mais surtout et avant tout écrivain. Il faut lire avant, après ou
parallèlement à « L’Art de la joie » pour en saisir tout le
rapprochement l’ouvrage que lui consacre son dernier compagnon Angelo
Maria Pellegrino « Goliarda Sapienza... », paru également aux
éditions Le Tripode qui ont, sous l'initiative audacieuse de son
directeur Frédéric Martin, entrepris de publier l'intégralité de
son oeuvre.
« L’Art de la joie », passant d’une tendre lucidité à une
impitoyable imagination avec des phrases terriblement splendides, offre
cette écriture aussi particulière que la personnalité même de son
auteur, Goliarda Sapienza, qui au travers de la vie mouvementée de
Modesta, enrobe, happe et vous kidnappe par ce souffle de liberté
et de vie. Dans un style singulier alliant douceur et dureté, l’intime
et le lointain, changeant de narration pour ne pas lasser, se faisant
distant, épistolier, confident, les chapitres viennent rythmer le récit
comme ils rythment la vie. Mais, sous le charme d’un roman de « châle et
d’épée », c’est bien un roman existentiel sensible et profond qui se
dévoile au lecteur. Un livre fort qui marque au-delà de la mémoire,
lorsqu’on se surprend à dire : " Raconte, Modesta, raconte »,
encore...
« Et peut-être parce que je m’attendais à le voir d’en haut comme
avant, je dus lever les yeux pour trouver ce ciel liquide renversé qui
fuyait calmement vers une liberté sans limite. De grands oiseaux blancs
glissaient dans ce vertige de vent. Mes poumons libérés s’ouvraient et,
pour la première fois, je respirais. Pour la première fois des larmes de
reconnaissance me descendaient sur les lèvres. Ou était-ce le goût sec
et fort de ce vent qui s’inclinait sur ma bouche pour la baiser ? »
L.B.K.
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BEAUX
LIVRES et CATALOGUES D'EXPOSITION
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« Le Talisman de Sérusier » catalogue sous la
direction de Claire Bernardi et Estelle Guille des Buttes-Fresneau, Musée
d’Orsay, RMN, 2018.

C’est bien évidemment le tableau de Paul Sérusier Le Talisman qui
orne la couverture de ce catalogue dont le revers a été reproduit au
quatrième de couverture, une intimité à l’œuvre voulue et à laquelle
invitent les commissaires de l’exposition.

La valeur
iconique du tableau Le Talisman, superbement mis en lumière par
l’exposition qui lui est consacrée au musée d’Orsay, fait l’objet dans le
catalogue qui l’accompagne d’une première étude signée Estelle Guille des
Buttes-Fresneau par laquelle cette dernière souligne le basculement auquel
invitera l’œuvre de la reproduction à la suggestion. Cette
leçon « initiatique » sera relayée par Maurice Denis qui conservera toute
sa vie ce tableautin auquel il tenait tant.

Maurice Denis (1870 - 1943)Paysage aux arbres verts ou Les Hêtres de
Kerduel1893Huile sur toileH. 46 ; L. 43 cmParis, musée d'Orsay © RMN-Grand
Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
L’œuvre
va rapidement acquérir un statut mythique, servant de fondation et
d’attraction pour les contemporains et successeurs de Sérusier ainsi que
l’analyse dans sa contribution Catherine Méneux. Une dimension également
étudiée par Claire Bernardi qui montre bien comment Le Talisman est
devenu une création plus regardée en tant qu’icône de l’histoire de la
peinture que pour elle-même. Chaque discours fait sur elle, avec Maurice
Denis tout d’abord, a accentué cette valeur programmatique, ce qu’elle
n’avait pas initialement, si ce n’est des intuitions « nébuleuses » comme
le reconnaissait Sérusier lui-même. Ce catalogue propose ainsi de
parcourir par ses riches et analytiques contributions ces chemins sinueux
entre couleurs qui s’émancipent et formes qui s’amenuisent. Des décors qui
prennent ainsi une autre dimension, nourris d’interrogations
transcendantales, laissant place à des paysages rêvés sinon vécus et dont
le lecteur peinera à sortir… Et n’est-ce pas, là, toute l’énigmatique
puissance du Talisman de Sérusier ?
« La Bible et les peintres de la Renaissance »
sous la direction de Roselyne de Ayala, préface de Jean Delumeau,
Citadelles & Mazenod, 2018.

La Renaissance ne saurait être dissociée de ses peintres à la renommée
indiscutable qui ont su par leur génie en marquer à jamais toute la
grandeur ; Michel-Ange, Raphaël, Titien, Giovanni Bellini… sont des noms
qui à eux seuls suscitent l’émerveillement. De son côté, la Bible de par
la force de ses récits a marqué, depuis plus longtemps, les esprits et les
imaginations, que l’on songe notamment au récit de la Genèse ou de
l’Apocalypse... Il n’est donc en rien étonnant que les grands peintres de
la Renaissance imprégnés de sentiments religieux aient entretenu et tissé
de par leurs œuvres des liens étroits avec la Bible, source privilégiée
dont sont nés nombre de chefs-d’œuvre de la Renaissance. Mais,
connaissons-nous cependant encore de nos jours ces rapports privilégiés ?
C’est sous cet angle, riche d’analyses et de surprises, que les éditions
Citadelles & Mazenod publient aujourd’hui ce remarquable ouvrage "La
Bible et les peintres de la Renaissance" préfacé par l’académicien,
historien et spécialiste de l’histoire des mentalités religieuses, Jean
Delumeau (lire notre interview), et placé sous la direction de Roselyne de
Ayala.
Jean Delumeau prend soin de rappeler dès les premières lignes : «
Associer Bible et Renaissance, c’est ouvrir un immense dossier, et
nécessairement, recourir à plusieurs clés de lecture auxquelles il faut
tour à tour faire appel. » Ce sont ces clés passionnantes, parfois
surprenantes, mais toujours instructives que le lecteur découvre page
après page. Avec une iconographie plus que choisie et soignée de plus de
200 reproductions d’œuvres ou détails pour beaucoup pleine page ou double
page, l’ouvrage réjouira à n’en pas douter tout amoureux d’art religieux
qu’il soit historien, théologien ou amateur d’art plus généralement.

Présentés selon deux parties – l’Ancien Testament et le Nouveau, ce sont
les grands thèmes bibliques et les œuvres des peintres de la Renaissance
les ayant retenus qui se succèdent dans un vis-à-vis époustouflant : La
Genèse, l’Exode, Les livres des Prophètes, etc., mais aussi les Évangiles,
les Actes des Apôtres et l’Apocalypse. Le chapitre consacré à La Genèse
rappelle dès les premières pages combien les peintres de la Renaissance
ont su avec force représenter cet épisode biblique avec pour chacun leurs
évocations et phantasmes, leurs manières, leurs couleurs traduisant ainsi
leur foi, mais aussi parfois leurs suspicions ou malice. Il suffit pour
s’en convaincre de rapprocher les détails des célèbres fresques de Raphaël
au Vatican du triptyque « La Création du Monde » de Jérôme Bosch ou
encore de « La Création du monde et L’Expulsion du Paradis » de G.
di Paolo ; trois représentations, trois Univers ou Créations du Monde si
différentes et pourtant représentant toutes le même premier livre du
Pentateuque… Pour autant, nous ne sommes pas encore au Siècle des
Lumières, et à l’époque de la Renaissance - souligne Jean Delumeau - les
artistes qu’ils soient religieux ou non n’auraient jamais eu l’audace de
remettre en cause la véracité ou l’historicité des récits bibliques. Ces
représentations exigent aujourd’hui pour être pleinement appréhendées
d’être remises dans leur contexte historique et religieux, notamment à la
lumière des querelles religieuses. Ainsi, les convictions de Luther
ont-elles profondément modifié les représentations que l’homme de la
Renaissance se faisait du Paradis terrestre. Une mise en perspective
révélant toute la complexité de l’homme de la Renaissance, sorti certes du
Moyen-Âge, mais non encore entré dans le Siècle des Lumières, et demeurant
tiraillé entre un fort sentiment eschatologique et une indéniable
ouverture sur le monde.
Ce sont aussi les différentes et célèbres représentations des grandes
figures de la Bible que le lecteur découvrira : Samson, David ou encore
Saul, Salomon, mais aussi des femmes, Ruth, Esther, Judith… Le lecteur ne
pourra également que demeurer émerveillé devant la diversité, la force et
la grandeur, des œuvres illustrant la vie de Jésus qu’elles soient signées
Fra Angelico, Piero della Francesca, Le Pérugin, Botticelli, Véronèse ou
encore Vasari… Des représentations où l’art occidental de la Renaissance
se détache de celui d’orient, plus intériorisé et méditant, pour se
tourner résolument vers l’extérieur et le concret, ainsi que le souligne
encore Jean Delumeau. L’ouvrage qui a retenu pour couverture un détail de
la célèbre toile « Ève » de L. Cranach l’Ancien se ferme pour
dernier chapitre sur la Vierge Marie avec notamment la célèbre «
Assomption de la Vierge » rouge du Titien de l’église Santa Maria dei
Frari de Venise.
Une magnifique lecture de la Bible, de l’Ancien et du Nouveau Testament,
mise en lumière, en perspective par les plus belles représentations que
nous ont offert et transmis les grands peintres de la Renaissance. Et
c’est assurément pour ce splendide ouvrage sur « Le jardin des délices
» de Jérôme Bosch illustrant le paradis terrestre qu’il convient de
terminer.
Casanova « Mes années vénitiennes », Anthologie
réunie et présentée par Michel Delon, 448 pages, relié en soie sous boîte
en tissu damassé vénitien, 250 ill couleurs, 19 x 25,5 cm, Citadelles &
Mazenod, 2018.

L’ombre de la célèbre basilique San Marco l’a vu naître et
jusqu’à sa rocambolesque évasion d’une prison – les terribles Plombs –
dont personne ne s’était échappé jusqu’alors, ce n’est qu’une histoire
d’amour avec Casanova. Amour pour une ville, amour des femmes et de la
vie, vie que cet esprit libre du XVIIIe siècle a toujours su magnifier et
intensifier à l’extrême. Lorsque le regard se porte sur cette ancienne
prison des Plombs de Casanova à Venise, à droite du Palais des Doges, et
que ses terribles cachots laissent imaginer la rigueur de la captivité, on
se dit que rien, vraiment rien, ne pouvait arrêter la fougue de cet homme
épris de liberté.
Les Plombs [la prison de Venise] en quinze mois me donnèrent le temps
de connaître toutes les maladies de mon esprit ; mais il m’aurait été
nécessaire d’y demeurer davantage pour me fixer à des maximes faites pour
les guérir.
Le jeune homme aurait pourtant pu être homme d’Église, il avait même reçu
les ordres mineurs mais… Est-il besoin de rappeler que Giacomo Girolamo
Casanova, né en 1725, aura toute sa vie durant sensuellement savourer le
goût des fêtes et de la séduction, mais aussi de l’aventure et de la
politique après avoir renoncé à sa charge d’ecclésiastique… L’homme, fin
stratège, fut habile dans la dissimulation – et parfois même la tromperie
– pour parvenir à ses fins, des qualités qui lui permirent également de
satisfaire aux fonctions d’espion.

Cette figure
emblématique de libertin du XVIIIe siècle ne pouvait se suffire du cadre
aussi doré fut-il de la Sérénissime, il entreprendra aussi une succession
de voyages, Constantinople, Corfou… qui feront de lui un européen avant
l’heure. Son impétuosité n’a d’égale que son audace, il sait tout faire ou
presque, séduire, danser, d’une élégance rare, alchimiste à ses heures, et
bien sûr aussi écrivain... Sa faconde émerveille la gent masculine et bien
entendu féminine, pour celui qui n’eut qu’un seul amour celui qu’il sut
donner et recevoir des femmes. Venise est comme le point d’attraction
inexorable pour cette âme qui choisira ou sera obligé, de se déplacer loin
d’elle, mais ce sera toujours pour y revenir, physiquement, par la pensée
et surtout par l’écriture qu’il servit si bien. Car on oublie trop
souvent, pour ne retenir que ses frasques charnelles, que Casanova est un
véritable écrivain, ce qu’a toujours souligné et souligne encore Michel
Delon, professeur émérite de littérature française à la Sorbonne et grand
spécialiste du siècle des Lumières et de la littérature libertine.

Le français
savoureux – car Casanova écrit dans la langue de Molière - garde un accent
italien dont le diapason sert les propos les plus graves comme les plus
légers. Sa plume convoque tout autant l’histoire de la Sérénissime que
celle de l’Europe, les deux étant indissociables même si la grandeur de
Venise se conjugue déjà au passé en ce XVIIIe siècle. Ces pages
savoureuses sont tour à tour magie, philosophie, littérature, politique,
diplomatie et bien d’autres qualificatifs qui ne suffisent jamais à
embrasser la totalité de ce personnage aux mille et une vies. Casanova vit
dans un monde d’images, ce dont témoigne ce livre somptueux à
l’iconographie soignée et dont les pages font revivre, le temps d’un
somptueux voyage inséré dans un délicat écrin de soie, ces années
vénitiennes, plurielles et uniques.
"Trésors des cathédrales" sous la direction de
Judith Kagan et Marie-Anne Sire, Collection Patrimoines en perspective,
Pages : 320Illustrations : 350Format : 24 x 30, Éditions du Patrimoine,
2018.

Redécouvrons les trésors que recèlent nos cathédrales ! Tel pourrait être
le mot d’ordre lancé par cet ouvrage non seulement beau mais savant, au
sens noble du terme. Une telle synthèse s’avérait indispensable si l’on
songe qu’aucune somme de ce genre n’avait été entreprise depuis un
demi-siècle… Un tel oubli est réparé grâce à l’entreprise dirigée par
Judith Kagan et Marie-Anne Sire qui ont osé ouvrir les portes de ces lieux
souvent méconnus, pour ne pas dire ignorés du grand public. On oublie en
effet trop souvent que l’idée même de Trésors d’une cathédrale
correspondait et correspond encore dans certains cas (lire
notre dossier Milan) à des institutions spécifiques, souvent
multiséculaires, et possédant des œuvres d’art que nombre de musées
internationaux envient. Point de bondieuseries dans ces lieux, mais bien
plutôt tout ce que le sacré a su inspirer de beautés et de virtuosités aux
plus grands artistes, connus ou anonymes, qu’il s’agisse d’orfèvrerie,
émaux, textiles, objets d’art voire d’objets insolites…

C’est cette histoire des trésors que retracent tout d’abord les auteurs,
des trésors « ensembles miroirs témoins de l’Histoire », ainsi que le
souligne Marie-Anne Sire rappelant que ces premières réalités naissent
après l’édit de Milan en 313 de notre ère, et avec la liberté de culte
instituée par Constantin aux chrétiens. Ces constitutions de trésors
servent initialement à faire vivre des communautés encore fragiles, voire
persécutées par l’extérieur. Progressivement, ces trésors auront pour
fonction d’asseoir l’autorité de ces églises et leur rayonnement. Lieu de
foi mais aussi de pouvoir, cette puissance s’évalue en fonction de son
poids en or, argent, pierres précieuses tout autant, si ce n’est plus, que
la qualité de sa prédication et évangélisation. Qu’allaient devenir tous
ces biens passé le vent de la Révolution française ?

Entre
dispersions, pillages et transferts à des musées publics, leur destin sera
tributaire des lieux et des personnes, et ce qui en est resté témoigne de
la magnificence de ces Trésors d’Ancien Régime dont aujourd’hui l’État a
la charge en tant que « monuments historiques », une charge qui implique
une véritable politique spécifique de conservation et de valorisation
ainsi qu’en témoigne ce beau livre richement illustré. La seconde partie
de l’ouvrage donne une idée de ces magnifiques témoignages de l’art sacré
livrés siècle après siècle, avec notamment la présentation de 30 trésors
ouverts au public. Que l’on soit croyant ou non, ces objets rares et
précieux ont encore beaucoup de choses à nous dire, sur notre histoire,
notre patrimoine, nos croyances et par-dessus tout sur notre sens de la
beauté.
Trésors de Kyoto, trois siècles de création Rinpa Musée Cernuschi -
Paris Musées, 2018.

Le courant artistique Rinpa est considéré, ainsi que
le relève Hosomi Yoshiyuki, directeur du musée Hosomi, comme l’un des arts
les plus représentatifs du Japon. Le mot Rinpa vient du nom d’un artiste
du milieu de l’époque d’Edo, Ogata Korin dont le caractère « rin »
fut repris. Mais, ce seront surtout Hon’ami Koetsu et Tawaraya Sotatsu qui
seront les fondateurs de ce mouvement né dans ce Japon du début du XVIIe
siècle. Ils puiseront leur source d’inspiration majeure essentiellement
dans l’Époque de Heian avec l’élégance et le raffinement qui
caractérisaient la Cour impériale. Les thèmes de la nature et des arts
vont ainsi être développés à l’envi et donner naissance à cette émotion
permanente encore perceptible de nos jours en plein cœur de Tokyo au rouge
des érables à l’automne ou au délicat rose des fleurs de cerisier au
printemps…
Okudaira Shunroku consacre ainsi en ouverture de ce riche catalogue un
essai introductif sur ce qui fût peut être un des actes de naissance de ce
mouvement en s’interrogeant sur la créativité de Sotatsu et sur l’élégance
de Korin, créativité et élégance qui seront reprises par leurs différents
successeurs les siècles suivants comme le rappelle Fukui Masumi dans sa
propre contribution. Unité et sensibilités distinctes selon les artistes,
un souffle qui animera des artistes au siècle passé avec Kamisaka Sekka
dont l’œuvre est analysée par Manuela Moscatiello, ce pionnier du design
japonais moderne du XXe siècle. À la lecture de ce catalogue à la fois
esthétique par sa mise en page soignée et fort instructif de par les
éléments culturels indissociables de l’Histoire du Japon, on ne pourra que
découvrir ou revoir cet évènement incontournable qui se tient actuellement
au musée Cernuschi.
Yoshitoshi « Cent aspects de
la lune » John Stevenson, Coffret illustré de 23,5 x 33,5 cm comprenant :
un livret de commentaires de 192 pages et 160 illustrations couleur, relié
à la japonaise ; un fac-similé de 208 pages et 102 illustrations couleur,
relié sous toile, Citadelles & Mazenod, 2018.

Grand maître de
l’estampe japonaise, si Yoshitoshi fut l’héritier de la tradition de
l’estampe classique, il instilla cependant dans son œuvre diverses
influences dont certaines héritées de l’Occident dans ce Japon de l’ère
Meiji qui vient de s’ouvrir (
lire
l’exposition Meiji). Injustement méconnu en Occident, ce coffret lui
rend en quelque sorte hommage en rendant enfin accessible les « Cent
aspects de la lune » de l’artiste, cent estampes intégralement reproduites
selon l’édition originale. John Stevenson grand spécialiste de l’art
asiatique a accompagné ce somptueux fac-similé révélant toute la
virtuosité de cet artiste japonais dans le rendu des émotions de ses
personnages historiques et légendaires d’un riche livret permettant sa
compréhension au-delà de son seul aspect esthétique. Nous y apprenons
ainsi que le travail de Yoshitoshi connut de son vivant un vif succès et
ses œuvres à peine parues étaient épuisées le jour même, signe de
l’intérêt que suscitait sa manière originale de rendre le Japon ancestral
et de son temps. L’auteur y accompagne son lecteur planche après planche
afin de mieux comprendre l’originalité de Yoshitoshi et ce paradoxe qu’il
induit dans son œuvre : Car, si l’artiste a, en effet, recours à de
nombreuses influences témoignant de la modernité (clair-obscur, modelé des
personnages), c’est pour mieux mettre en valeur l’importance du legs du
Japon ancestral, clé de la lecture de son approche.

L’exemple de
l’estampe Gosechi no myobu (Dame Gosechi) éclaire cette démarche et
volonté de Yoshitoshi. Trois personnages y sont assis sous la lune dans la
véranda d’un palais en ruine. L’un d’entre eux est grave alors que l’autre
essuie des larmes de son visage du pan de son kimono. Sont-ce des
fantômes, des nostalgiques d’un temps révolu ? Yoshitoshi ne répond pas,
bien sûr, mais laisse le doute s’immiscer donnant voix aux émotions qui
émanent de ces corps courbés par la peine. L’imagination de cet artiste
que l’on présente instable et bipolaire est puissante et irradie son œuvre
en livrant, tour à tour, des estampes colorées pleines de poésie ou des
ambiances crépusculaires et propices aux esprits…
C’est ce témoignage sensible d’un monde flottant qui se dissipe dans les
brumes de la modernité dont témoigne l’œuvre de Yoshitoshi. Un éclairage
rendu accessible aujourd’hui aux Occidentaux grâce à cette très belle
édition Citadelles & Mazenod d’une œuvre étonnante, trop méconnue, qui
méritait assurément d’être découverte à part entière dans toute sa
spécificité.
Hokusai : « Les trente-six vues du Mont Fuji », Éditions Hazan, 2018.

Pour les amoureux des estampes japonaises, et tout aussi réussi, ce
coffret, plus grand format, d’un joli bleu de Prusse japonisant, et
entièrement consacré à la série des « Trente-six vues du Mont Fuji »
réalisée par l’un des plus grands Maîtres de l’estampe japonaise :
Katsushika Hokusai.
Présentées dans leur intégralité avec leur reliure japonaise en accordéon,
ce sont ainsi les plus belles et célèbres estampes d’Hokusai qui sont
ainsi offertes au regard de celui qui en dépliera les feuillets. Mont
Fuji, ponts, sentiers et la célèbre « Vague de Kanagawa » ne cessent, en
ces pages, de forcer l’admiration. Le Maître également surnommé le « fou
du dessin » a réalisé cette série dans les années 1830 ; A l’apogée de son
art, chacune d’elle, de par son originalité, révèle toute la force et
spécificité de l’artiste. Celui qui sut saisir les influences de
l’occident, notamment de la perspective, tout en préservant l’héritage de
la grande tradition classique de l’estampe japonaise. Ainsi, si le Mont
Fuji ou l’art japonais du paysage s’imposent, ici, de par leurs couleurs
et originalité, c’est avant tout et au-delà le rapport à la nature même
qui doit s’y lire. Une nature qui laisse le Mont Fuji s’y montrer sous
tous les points de vue, en toutes saisons, de l’aurore à l’aube, par temps
clair ou sous la célèbre estampe « L’orage au sommet »…
A ces « Trente-six vues » viennent s’ajouter dix autres estampes
supplémentaires du Maître, intégrées à la série et qu’Hokusai réalisa,
après l’immense succès rencontré, à la demande de son éditeur. La
célébrité de cette série fut telle qu’elle influencera nombre d’artistes
occidentaux, peintres dont van Gogh, Monet, mais aussi des compositeurs,
on songe bien sûr à Claude Debussy…
46 estampes, donc, accompagnées de leur livret sous la plume d’Amélie
Balcou, à plier, déplier à loisir avec toujours ce même immense plaisir
des yeux.
« Les Saisons par les grands Maîtres de
l’Estampe japonaise », éditions Hazan, 2018.

Voilà, un bien
joli petit coffret qui ne manquera pas de plaire ! Dans un écrin rose, en
un pliage en accordéon, s’y trouvent réunies les plus belles et célèbres
estampes japonaises. Côte à côte reliées et rangées selon les quatre
saisons, ce sont paysages, finesse et couleurs des estampes japonaises qui
défilent et se révèlent ainsi au regard. Quatre saisons, pour 56 estampes
signées des plus grands Maîtres japonais, allant de l’époque d’Hokusai à
celle d'Hasui. Magnifiques et rares estampes vêtues du manteau des flocons
de neige, pluies de printemps laissant éclore les fragiles fleurs de
cerisiers japonais, couleurs franches des étés japonais en miroir de la
mer ou du Mont Fuji… Des estampes signées des grands maîtres Hokusai,
Hiroshige, mais aussi bien sûr, Utamaro, Gakutia ou encore Sanabon, Eisen…
Présentées pour beaucoup sur deux pages, ces estampes rappellent combien
les artistes japonais furent toujours très fortement attachés à la nature
et aux saisons avec notamment, rappelons-le, un calendrier luni-solaire
suivi, avant l’adoption du calendrier grégorien, jusqu’en 1873.
Le coffret, format quadri, est accompagné d’un livret donnant les clés
pour admirer au mieux ce panorama inédit dédié aux « Grands Maitres de
l’estampe japonaise ». Outre l’auteur, la date, dimension, etc., de chaque
estampe présentée, est également donnée en vis-à-vis de manière concise
son contexte pictural, historique ou littéraire. Un ensemble présenté par
un texte introductif signé Amélie Balcou en cette année marquant le 150e
anniversaire de l’ère Meiji (Vr
: notre chronique de l’exposition) et le 160e anniversaire des
relations diplomatiques entre le Japon et la France.
The Red Book Hours - Discovering C.G. Jung's Art
Mediums and Creative Process, Jill Mellick, 1st edition, 2018 Text English,
Hardback, leather-bound, 452 pages, 545 color and 22 b/w illustrations 24
x 30 cm, Verlag Scheidegger & Spiess, 2018.

Cette parution exceptionnelle des éditions Verlag Scheidegger & Spiess
plongera le lecteur dans l’univers incroyable et souvent méconnu du
célèbre Livre Rouge du psychiatre et psychanalyste suisse Carl
Gustav Jung. Véritable genèse et exploration de cette réflexion ultime du
grand savant, The Red Book Hours offre, pour sa part sous la forme
d’un très bel ouvrage, de nombreuses clés de lecture de cette pensée
profonde et féconde, mais souvent délicate et difficile à appréhender que
fut celle de C.G.Jung.
Rappelons dès avant que l’ouvrage de C.G. Jung nommé Le Livre Rouge
s’avère être le livre de l’ensemble des mythes intérieurs vus par le grand
psychanalyste en un face à face inouï avec l’inconscient, parallèlement à
son travail scientifique : "Les années durant lesquelles j’étais à
l’écoute des images intérieures constituèrent l’époque la plus importante
de ma vie, au cours de laquelle toutes les choses essentielles se
décidèrent. Car c’est là que celles-ci prirent leur essor et les détails
qui suivirent ne furent que des compléments, des illustrations et des
éclaircissements. Toute mon activité ultérieure consista à élaborer ce qui
avait jailli de l’inconscient au long de ces années et qui tout d’abord
m’inonda. Ce fut la matière première pour l’œuvre d’une vie."
Mais pour parvenir là, Carl Gustav Jung a toujours ressenti le besoin de «
quelque chose » de plus que ses analyses et ses écrits sur la question. Le
fait de représenter un grand nombre d’intuitions sur la pierre ou à l’aide
de pigments a assurément ouvert des horizons inconnus de lui jusqu’alors.
À la lecture de cet ouvrage dénommé à juste titre The Red Book Hours,
abondamment illustré d’éléments personnels de C.G. Jung, notamment ses
intérieurs, sa maison de Bollingen et de Küsnacht, nous découvrons que
Le Livre Rouge est très certainement la face immergée de
l’iceberg du grand penseur suisse. Jill Mellick , professeur émérite et
psychologue clinicienne, a mené pour cette parution exceptionnelle avec
passion cette quête, ayant elle-même exploré la place des arts créatifs
dans les dimensions psychologiques et spirituelles. C’est en 1913 que Jung
fait l’expérience personnelle de visions très puissantes, et pour
certaines d’entre elles terrifiantes. Ce qui aurait pu pourtant l’anéantir
a été cependant le moteur d’explorations inédites et inouïes dans cet
univers singulier et sortant du connu. Toutes ces expériences furent
consignées méticuleusement par le psychanalyste zurichois, année après
année, en une succession de journaux, notes et commentaires avec une rare
acribie. Ce sont ces précieuses notes qui seront finalement retranscrites
par C.G. Jung lui-même en un même volume relié de cuir rouge et écrit en
une calligraphie soignée accompagnée d’enluminures, le Liber Novus,
titre original en latin pour Le Livre Rouge. Ce livre étonnant ne
fut pourtant étrangement jamais publié de son vivant et ce n’est que
récemment qu’il a été édité. The Red Book Hours est le complément
indispensable à la compréhension de cette somme unique qui n’a pas
d’équivalent dans la littérature occidentale du XXe siècle. En explorant
les affinités de C.G. Jung avec les arts et les processus créatifs, allant
jusqu’au détail de l’analyse des nombreux pigments que conservait le
psychanalyste vivant au bord du lac de Zurich, Jill Mellick éclaire par ce
riche travail présenté par cette belle édition, les recherches de Jung
ayant abouti à la rédaction finale du célèbre Livre Rouge. Nous
entrons ainsi dans ce processus créatif interdépendant de l’environnement
géographique de Jung avec cette omniprésence des éléments, l’eau, la
terre, l’air, mais aussi ces « pigments de l’imagination » chers au
psychanalyste suisse nourri d’alchimie, l’auteur ayant eu accès à sa
collection personnelle. C’est le laboratoire d’une pensée à nulle autre
pareille au siècle dernier qui se dévoile dans ces pages à l’iconographie
soignée, pensée qui n’a pas fini de livrer ses trésors ainsi qu’en
témoigne avec beauté ce livre d’art.
"Monastères d'Europe - Les témoins de
l'invisible" de Jacques Debs Marie Arnaud, Zodiaque Arte Éditions, 2018.

Les monastères ont recouvert les étendues du monde ancien de leurs
édifices, pôles actifs des sociétés dès la fin de l’Antiquité. Ils
représentaient alors les centres religieux, politiques, sociaux et
économiques incontournables de leur temps, mais qu’en reste-t-il de nos
jours ? Sont-ils voués à un destin de reliques et de témoins du passé ou
ont-ils encore quelque chose à nous dire dans notre monde désacralisé. Les
incessantes marches vers Saint-Jacques-de-Compostelle, les nombreuses
retraites de croyants qu’ils hébergent mais aussi de personnes en quête de
sens laissent entendre qu’il y a encore peut-être une « actualité » des
monastères à notre époque. Quête de sens, de spiritualité d’hier,
d’aujourd’hui et de demain ? C’est cette interrogation qui a animé Jacques
Debs et Marie Arnaud dans cet ouvrage à l’abondante iconographie nous
faisant entrer dans le cœur vivant des monastères d’Europe, de
l’Atlantique à l’Oural. Une histoire de pierres et d’âmes dont les deux
dimensions s’entrecroisant en une piété vivante et intime. La beauté de la
plupart de ces édifices témoigne de cette quête de la transcendance,
horizontalité pour ces femmes et ces hommes ayant dédié leur vie à Dieu
par l’accueil de touristes, de fidèles, le chant, la production de biens
artisanaux… Verticalité à tous les instants de la journée et de la nuit en
une prière unie dans des lieux réputés comme le Mont Saint-Michel ou
isolés au fin fond des terres d’Arménie tel St Grégoire de Tatev qui ne
compte qu’un seul moine. Le principal enseignement de ce beau livre est
que tous ces lieux sont des témoignages de vie et d’espérance et non des
musées poussiéreux. Il suffit pour s’en persuader d’observer ces visages
rayonnants, caustiques parfois, bienveillants toujours. De belles pages
mettent en vis-à-vis d’admirables fresques héritées du XIe siècle en
Géorgie face à ce moine barbu en méditation, permanence de la foi. Toutes
et tous témoignent de cet élan conscient d’un monde en difficulté et du
rôle qu’ils ont à jouer, en toute humilité pour rester des phares allumés
dans la nuit. C’est cette quête de la transcendance ouverte sur le monde
qui surabonde dans ces pages inspirées, un beau témoignage enjoignant le
lecteur à pousser les portes toujours ouvertes de nos monastères.
« Monastères d’Europe – Les témoins de
l’invisible » une série documentaire de Marie Arnaud et Jacques Debs, DVD,
Arte, 2018.

La série de documentaires consacrée aux monastères d’Europe est un
véritable pèlerinage en images dans l’intimité de ces lieux de prière. La
première impression ? Celle de lieux inspirés où des femmes et des hommes
témoignent d’une joie et d’une intensité de vie souvent méconnue lorsque
l’on pense à ces lieux de méditation. Certaines moniales avouent même sous
le micro, qu’initialement, jamais elles n’auraient pensé s’enfermer le
reste de leur vie dans des lieux qu’elles estimaient obscurs et peu
attractifs. C’est cette lumière qui irradie la plupart des visages
rencontrés du Nord au Sud de l’Ouest à l’Est de cette Europe. Tous les
charismes sont bien entendu réunis dans ces cinq épisodes qui s’articulent
autour de thématiques variées comme les éléments, les situations
géographiques extrêmes jusqu’aux monastères botaniques. Qu’ils soient à
quelques kilomètres de nos vies ou à l’autre bout du monde, ces lieux de
prière livrent leur intimité, leurs questionnements et doutes parfois,
mais toujours resplendissent de cette lumière de la foi qui n’a cessé de
briller depuis les débuts du christianisme. Point de prosélytisme
cependant dans ces documentaires menés avec un sens de l’esthétique et une
empathie manifeste pour recueillir ces témoignages vibrants de sincérité.
Tout n’est pas rose dans les monastères et les réalités rattrapent parfois
les vocations, les résistances aux nombreuses tentations de la vie moderne
notamment lorsque ces mêmes monastères ne vivent que du tourisme, mais à
chaque fois la transcendance qui secourt ces âmes vouées à l’intercession
et à la prière méditante supplante ces difficultés pour la plupart. Unique
en son genre, cette odyssée auprès des monastères ayant bravé les siècles
devrait inspirer plus d’un spectateur, qu’il soit croyant ou non croyant.
« William Bouguereau » de Frederick C. Ross &
Kara Lysandra Ross, 240 pages, format :24 x 30,5 cm , 200 illustrations en
couleur, La Bibliothèque des Arts, 2018.

C’est un académisme de toute une époque qui a inspiré cette représentation
touchante de deux jeunes filles en une scène toute bucolique à souhait «
La pêche aux grenouilles », et reproduite sur la couverture de
cette belle monographie consacrée au peintre William Bouguereau.
L’impressionnisme et la peinture moderne avaient fait injustement quelque
peu sombrer dans l’oubli ce peintre né à La Rochelle en 1825, et ayant eu
son heure de gloire au cœur du XIXe siècle. Las de ces scènes jugées trop
convenues, le public s’est détaché de cet artiste jusqu’à quasiment
totalement l’oublier. Et pourtant, si l’on considère cette œuvre
reproduite, le jugement est sévère, ce regard mi-amusé, mi-interrogatif de
la jeune enfant aux pieds effleurant l’onde semble refléter
l’introspection de sa voisine dont le regard s’abime sur cette même onde.
Trouée de lumière sur l’étang, plissés des vêtements réalistes jusqu’aux
moindres détails, tout est vie dans cette scène pourtant si statique. De
nos jours, Bouguereau fait l’objet d’une redécouverte et d’une heureuse
réhabilitation, sa cote ne cessant d’augmenter pour celui qui fut Prix de
Rome en 1950 et Grand officier de la Légion d’honneur en 1903.
Curieusement, aucune publication monographique sur lui n’avait été publiée
jusqu’à maintenant en français. Erreur réparée par ce bel ouvrage,
abondamment illustré, et signé Frederick C. Ross, diplômé de Columbia
University, président du Art Renewal Center (ARC) et co-auteur d’un
catalogue raisonné en deux volumes de l’œuvre de William Bouguereau. Kara
Lysandra Ross, sa fille, historienne de l’art et vice-présidente de l’ARC
l’a accompagné dans cette réalisation permettant, enfin, de découvrir
toutes les facettes de cet artiste prolifique avec plus de 800 œuvres
achevées. Bouguereau s’avère être un peintre des émotions, ainsi que le
souligne Kara Lysandra Ross, et ce n’est pas cette scène cocasse de
nymphes se jouant d’un satyre qui le démentira. L’artiste était également
connu pour sa générosité aidant les pauvres et les opprimés auxquels il
consacrait une grande partie de son temps. Faut-il voir dans cette
empathie le reflet de cette acuité émotionnelle ? Probablement. La
peinture académique a longtemps souffert de cette image figée et
conventionnelle dont on l’a souvent affublée parfois non sans raison. Or,
avec William Bouguereau, c’est autre chose qui transparaît dans un grand
nombre de ses œuvres, même si, bien entendu, ses scènes mythologiques sont
marquées par la grandeur de leur évocation. C’est surtout dans son art
consommé du portrait que sa sensibilité se fait peut-être le plus
ressentir. Il suffit pour s’en convaincre d’observer avec attention cette
intensité du regard d’un grand nombre d’entre eux, au point de s’attendre
à un clignement de cils… La lumière, le rendu de la carnation, le détail
d’un plissé, tout pourrait écraser et plaquer, or rien de tel ne survient
avec Bouguereau. Que ces femmes soient altières, lointaines ou au
contraire mutines, la vie surgit sur ses toiles même dans les instants les
plus tragiques comme ce terrible tableau « Premier deuil ». Une
générosité perceptible dans l’œuvre du peintre, et bien rendue par les
auteurs de cette riche monographie, devrait réchauffer le cœur et le
regard de celles et ceux qui auront le plaisir de découvrir cet ouvrage.
"Egon Schiele" Édition sous la direction de Dieter Buchhart avec la
collaboration d'Anna Karina Hofbauer, Coédition Gallimard / Fondation
Louis Vuitton, Livres d'Art, Gallimard, 2018.

C’est l’autoportrait au gilet qui illustre la couverture du
catalogue « Egon Schiele » paru sous la direction Dieter Buchhart aux
éditions Gallimard. Le peintre et dessinateur viennois a excellé, en
effet, dans cet art de se représenter, une approche que certains
qualifieront de narcissique. Pourtant, ce narcissisme présumé s’avère
peut-être le plus proche du mythe originel en la quête éternelle de son
image. L’œil semble fier, l’allure altière, l’élégance du vêtement
jusqu’aux cheveux étirés pourraient laisser croire à un certain dandysme,
or avec Schiele, il n’en est rien. Le riche catalogue élaboré à l’occasion
de l’exposition Schiele à la Fondation Vuitton invite son lecteur à une
exploration des talents de cet artiste trop vite disparu, tel Narcisse une
nouvelle fois. Avec des textes signés de Dieter Buchhart, Jean Clair,
Alessandra Comini et Jane Kallir, l’ouvrage invite à découvrir l’intimité
de l’œuvre de celui qui choqua et bouleversa les codes esthétiques de son
temps, celle de la Vienne du début du siècle avec cet esprit de Sécession
qu’il partageait avec son aîné et ami Gustav Klimt. Suzanne Pagé en
ouverture souligne la rétivité de Schiele à tout académisme, alors que
Dieter Buchart distingue la force de la ligne dans le parcours de
l’artiste, d’un trait ornemental à la ligne amputée et fragmentée, en
passant par une ligne existentielle. Dix années seulement séparent sa
rupture avec l’académisme, de sa mort en 1918, distance étonnante et
révélatrice de sa fulgurance. Belle métaphore opérée par Alessandra Comini
avec l’image de la ligne de vie chez l’artiste, une ligne qui cherche à
évoquer les contours du moi tout en dressant un contour pour le protéger.
Jean Clair replace la comète Schiele dans le contexte de la Vienne
cosmopolite, point de cristallisation irréversible entre l’orient et
l’occident, le christianisme et le judaïsme, prélude aux bouleversements à
venir. Schiele accompagne, sans le savoir, la révolution en marche opérée
par la psychanalyse, dans cette même ville, par Freud. La beauté héritée
de l’antiquité s’estompe, pour laisser la place à l’introspection de
l’humain, une voie suggérée par Schiele dans l’art au début du XXe siècle,
ainsi qu’en témoigne ce beau catalogue.
Jean-Louis Gaillemin : « Egon
Schiele. Narcisse écorché » Collection Découvertes Gallimard (n° 475),
Série Arts, Gallimard, 2005.

C’est cette même image de Narcisse que reprend Jean-Louis Gaillemin dans
ce Découvertes Gallimard consacré au peintre et qui accompagnera
idéalement le visiteur de l’exposition à la Fondation Vuitton. Délaissant
les images convenues de l’artiste maudit – Schiele eut à souffrir en effet
un certain nombre de peines durant sa courte vie, l’auteur de ce
Découvertes, Jean-Louis Gaillemin, lui a préféré une analyse de la quête
artistique de l’artiste, celle qui mena en déstructurant les corps jusqu’à
l’impossible. Une lutte obstinée contre la mort environnante, celle qui
emportera trop tôt son épouse, et quelques jours plus tard, l’artiste
lui-même. Une alchimie en peinture qui le conduira jusqu’aux extrêmes, une
manière une fois de plus de revenir au mythe initial, Narcisse cessa de
vivre lorsqu’il découvrit son image…
"Toutânkhamon. Le voyage dans l'au-delà" de
Sandro Vannini, relié avec 3 pages dépliantes, 25 x 34 cm, 448 pages,
Taschen, 2018.

À personnage de légende tel Toutânkhamon, il fallait un livre d’envergure,
et c’est avec brio ce qu’a réalisé Sandro Vannini à partir de
reproductions photographiques exceptionnelles. L’auteur a commencé sa
carrière en tant que photographe et c’est à partir de cet art qu’il a pu
réaliser des clichés dans les lieux les plus exclusifs – et le plus
souvent interdits au public – pour proposer cette somme de 444 pages en
grand format. Travaillant sur les sites égyptiens depuis 1997, cette
connaissance intime de l’Égypte antique lui a permis d’élaborer patiemment
une véritable collection d’archives visuelles à partir de laquelle il a pu
concevoir cet ouvrage. Les conditions climatiques extrêmes de la vallée
des Rois exigeaient une connaissance professionnelle de la photographie
numérique de pointe, c’est cette maîtrise qui a valu à son auteur de
collaborer avec le Musée égyptien du Caire pour la restauration de pièces
antiques détruites.

Sandro Vannini
évoque ainsi dans ces pages magnifiquement illustrées par ses clichés le
chemin de Toutânkhamon vers le paradis grâce aux trésors de l’Égypte
antique. Réalisé en hommage au centenaire de la première expédition
d’Howard Carter, ce livre d’art d’exception, grâce à ses images de très
haute résolution, fait partager à son lecteur cet extraordinaire voyage
dans l’au-delà de l’un des pharaons les plus célèbres. Les témoignages
exhumés par l’archéologue en 1922, après 34 siècles d’oubli, reprennent
ainsi vie sous l’objectif de l’auteur en un luxe de détails qui éclairent
la conception de la vie après la mort que pouvaient avoir les Égyptiens de
cette époque. Les couleurs et les détails sont révélés grâce à la
persévérance et l’acuité du photographe.

Troublants
regards sur fond d’or évoquant par leur hiératisme l’attente de la vie
éternelle, offrandes et rites qui en disent long sur la conception de la
vie et de la mort des Égyptiens antiques contemporains du célèbre pharaon,
funérailles sous les atermoiements des pleureuses que l’on croirait
percevoir de ces pages inoubliables… Un étonnant voyage en images dont les
légendes sont signées par le spécialiste Mohamed Megahed et les
avant-propos de chaque partie rédigés par des égyptologues réputés. Sandro
Vannini confiait : « J’ai toujours cultivé l’illusion de capter une
part de l’âme de l’ancienne Égypte dans mes photos, de la faire voyager et
de la préserver pour toujours », avec ce livre ses vœux sont
indéniablement exaucés !
Italy around 1900. Un portrait en couleur,
Taschen, 2018.

Qui n’a jamais rêvé devant ces photographies anciennes cette Italie
enchantée et enchanteresse du début du XXe siècle, ensemble composant un
paysage entre onirisme et représentation artistique un brin surannée ?
L’éditeur Marc Walter, designer graphique et photographe, Sabine Arqué,
documentaliste et chercheur photographe, et l’auteur Giovanni Fanelli,
professeur en histoire de l’architecture à l’université de Florence font
revivre en un somptueux livre d’art cet univers si particulier. Alors que
l’unité de l’Italie est encore à peine établie, ses paysages nourrissent
depuis l’Antiquité l’imaginaire des voyageurs qui n’ont eu de cesse d’en
découvrir les charmes. Étape obligée du Grand Tour réalisé par les membres
de l’aristocratie européenne, l’Italie compte parmi ses paysages des noms
incontournables tels les lacs, celui de Côme ou Majeur, Venise, Florence,
Pise, Rome, Naples… chacun de ces lieux, dont la seule évocation du nom
vous entraîne, a été immortalisé par la peinture puis par la photographie
en des prises de vues inoubliables.

C’est tout cet
univers à jamais disparu qui resurgit dans ces pages à l’iconographie
soignée. Paysage spectaculaire du lac de Côme, lieu d’un tourisme de
qualité initié notamment sous l’influence anglaise avec ses palaces encore
présents aujourd’hui, telle la Villa Serbelloni présentée dans nos pages,
ruelles populaires où une foule de riverains vaque à leurs occupations
quotidiennes, scènes bucoliques que l’on dirait sorties tout droit d’un
roman de Stendhal… La Méditerranée décline sa palette de bleus et de
verts, et unit ce qui jusque-là résidait sous des influences européennes
diverses et multiples, l’Autriche, la Sardaigne, les États pontificaux…
Les arts, la musique avec l’esprit national vibrant de Giuseppe Verdi,
tout fait signe pour rappeler l’antique fondation de l’Empire romain
métamorphosée en nation, fraîchement reconnue internationalement.

Cette
extraordinaire sélection de photochromes provenant de la collection de
Marc Walter fait revivre, page après page, ces cités fastueuses dont le
seul nom compose un paysage mental enrichi par ces impressions colorées à
la délicieuse touche vintage. Le lecteur parvient ainsi à refaire ce Grand
Tour en visitant les sites classiques de la Place Saint-Marc curieusement
esseulée, du Panthéon à Rome où se reposent quelques charrettes tractées
par des chevaux. Chaque lieu semble offrir une nouvelle fraîcheur, celle
provenant d’une époque où ces lieux étaient avant tout des endroits de vie
et non encore des musées à ciel ouvert. Il n’est pas rare de nos jours
d’entendre à Venise quelques touristes innocents s’interroger sur les
heures de fermeture de la Cité des Doges la nuit approchant ! Les
présentes pages révèlent avec une splendide magie combien d’eau a coulé
sous le Pont des Soupirs depuis cette Italie du tournant du siècle passé.
Un merveilleux témoignage livré par les auteurs, mais également
malheureusement un bel hommage à Marc Walter qui vient juste de nous
quitter.
« Bijoux d’Artistes de Calder à Koons ; La
collection idéale de Diane Venet », Flammarion, 2018.

L’ouvrage « Bijoux d’artistes, de Calder à Koons ; La collection de
Diane Venet » réunit à lui seul, avec pas moins de 220 pages, plus de 200
bijoux d’exception d’artistes du XX et XXI siècles. Bagues, bracelets,
colliers, signés des plus grands : A. Giacometti, Louise Bourgeois,
Fernand Léger, Jacques Lipchitz, Louise Nevelson ou encore Dali, A & G.
Pomodoro pour n’en citer que certains. Ce sont des noms prestigieux qui
scandent de leurs éblouissantes créations les pages de ce livre, objets de
cette collection originale et singulière, toute d’élégance et de goût,
signée Diane Venet. Une collection, que vous avez peut-être eu la chance
de voir ce printemps au musée des Arts décoratifs de Paris, née d’une
vraie passion ; « Ma passion pour le bijou d’artiste est née il y a une
trentaine d’années – souligne en début de l’ouvrage Diane Venet, le jour
où Bernar s’est amusé à enrouler autour de mon doigt une fine baguette
d’argent pour en faire une alliance… ». Des bijoux fabuleux d’artistes
incontournables ou parfois plus surprenants en ce domaine tels que Pablo
Picasso, Braque, Sonia Delaunay, Fontana, G. de Chirico, Man Ray, Niki de
Saint-Phalle ou encore A. Warhol ou Anish Kapoor. C’est à un véritable
musée imaginaire auquel nous convie Diane Venet. Certains ont été offerts
par des artistes contemporains, notamment César, J. Chamberlain, Jacques
Villeglé, des bagues, pendentifs, broches… Ou encore ces lunettes
d’exception comme ces audacieuses créations signées Hiroshi Sugimoto ou
Avish Khebrehzadeh. Une collection inédite qui s’offre ainsi à portée
d’yeux du lecteur. Ainsi que le souligne en introduction Olivier Gabet,
directeur du musée des Arts décoratifs de Paris, « Les meilleures
collections ne sont pas exhaustives, les plus chères, les plus
obsessionnelles : les plus belles collections sont celles où une
sensibilité singulière se conjugue au goût, à l’originalité et à beaucoup
d’amour. ». Et que d’amour d’or, d’argent, de cuivre, de joyaux et de
beauté il y a en ces splendides pages aux mille et un trésors ! Servie par
une iconographie remarquable, chaque création exceptionnelle au nom
d’artistes majestueux ou moins connus, chaque bijou unique, précieux, se
dévoile pour le lecteur sur sa pleine page. Certains ont été portés comme
ce collier de Louise Bourgeois, ainsi qu’en témoigne l’émouvante
photographie d’elle avec son père en 1948 ; ou ces colliers aux géométries
inspirées de la Grèce archaïque de Costa Coulentianos qu’il offrit à ses
femmes aimées et qu’elles portèrent, toutes, lors de ses obsèques. Tous,
exceptionnels dans leur originalité et singularité, sont ici présentés,
par ordre alphabétique selon le nom de leur créateur, avec pour chaque
création, descriptions, détails, précisions ou anecdotes. Un bel écrin
tout de noir et d’or, pour cette collection idéale et inédite de Diane
Venet, qui ne pourra qu’enchanter et susciter plus d’un joli rêve…
L.B.K.
« L’ENVOL ou le rêve de voler », Collectif,
co-édition Maison Rouge et Flammarion, 2018.

Le bel ouvrage « L’envol ou le rêve de voler » accompagne, au titre
de catalogue, l’ultime exposition de la Maison Rouge – Fondation A.Galbert
qui fermera malheureusement définitivement ses portes fin octobre 2018.
C’est dire combien le joli bleu retenu pour la couverture de cet ouvrage
se teinte et se recouvre, pour beaucoup, de gris et de regrets… Mais le
thème même - « L’envol ou le rêve de voler » est si beau, si
profondément intime à l’homme que ce dernier catalogue ne pourra
qu’emporter pour longtemps par son envol, dans les mémoires, les souvenirs
de la Maison Rouge.
Avec une iconographie des plus soignées (158 illustrations, pour de
nombreuses en couleur et pleine-page), l’ouvrage présente quelque 200
créations évoquant ce désir si cher à l’homme, celui de voler, de perdre
pied, de se détacher de la terre… Photos, peintures, sculptures,
réalisations et dessins, sont accompagnés de textes d’auteurs venant
d’horizons fort divers – psychanalystes, philosophes, historiens,
théologiens, professeurs, offrant ainsi au lecteur une diversité et
richesse de regards croisés. Retenons notamment en signature de ces
contributions : Jérôme Alexandre, Marie Darrieussecq, Beatrice Steiner ou
encore Antoine Gabert. Suivant une thématique, elle aussi, large et
diversifiée, le lecteur pourra tout à loisir voler d’un thème à l’autre
selon ses inspirations ; Machine et esprit, danse, extase et chutes,
fictions, etc. Retenant des œuvres modernes ou contemporaines, sans
remonter au-delà du XXe siècle mais, sans cependant tout à fait oublier
les ailes d’Icare et le caractère archétypal du thème, l’ouvrage livre aux
lecteurs bien des espaces, des horizons et des ciels propices aux jeux et
à la liberté. Et si on y trouve nombre de machines, des plus sophistiquées
aux plus extravagantes, s’y déploient également des ailes et des plumes
convoquant avec délices et malice l’imaginaire et les rêves… Un très beau
catalogue à partager en famille pour rêver et peut-être… s’envoler !
« Picasso ; Lever de rideau ; L’arène, l’atelier,
l’alcôve. », Catalogue sous la direction de F.Rodari, Ed. Musée
Jenisch-Vevey - Cabinet cantonal des estampes et 5 Continents Editions,
2018.

Le catalogue « Picasso ; Lever de rideau ; L’arène, l’atelier, l’alcôve
», catalogue d’exception, accompagnant l’exposition au Cabinet cantonal
des estampes du musée Jenisch-Vevey à Vevey (Suisse), réjouira tout autant
les spécialistes, amateurs avertis que ceux n’ayant eu la chance de voir
cet événement. Car il s’agit bien d’un événement ! Réunissant estampes,
eaux fortes et lithographies, sous la direction de Florian Rodari, c’est
toute la passion de Picasso pour l’art gravé qu’il pratiqua ou plus
exactement qu’il expérimenta toute sa vie qui se trouve ainsi présentée.
L’ouvrage donne en effet à voir, et surtout, à découvrir une large et très
belle étendue de l’œuvre gravé de l’artiste avec des planches provenant de
deux collections majeures déposées au musée Jenisch-Vevey, celle de Jean
et Suzanne Planque et celle de Wener Coninx. Florian Rodari et Camille
Jaquier offrent au lecteur en ouverture de l’ouvrage le portrait de ces
deux collectionneurs suisses, trop souvent méconnus du public, que furent
Wener Coninx (1911-1980) et Jean Planque (1910-1998). Des œuvres rares,
allant des années 1905 avec des planches de la Suite des Saltimbanques
aux années 1968 avec la fameuse Suite des 347, qui permettent de
parcourir avec celles issues de la Suite Vollard (1930-1937), et
autres eaux fortes ou lithographies, plus de 60 ans de l’œuvre gravé de
Picasso.
Fort d’une belle iconographie soignée et de riches contributions signées
Florian Rodari, Élisa de Halleux, historienne de l’art, C et Sébastien
Goeppert, auteurs du catalogue raisonné des livres illustrés de Picasso,
ce catalogue présente ces œuvres gravées de Pablo Picasso selon les grands
thèmes chers à l’artiste, suivant en cela le parcourt de l’exposition.
Florian Rodari nous en offre les clefs avec quatre textes consacrés
respectivement à l’arène, l’atelier et l’alcôve, sans oublier « La
Célestine », ce thème typiquement picassien issu de la littérature
espagnole du XVe siècle. Défilent, alors, cirques, chevaux, corridas,
taureaux, toréadors, et bien sûr, ces corps enlacés, enchaînés, déchaînés
avec toujours proche l’image du Minotaure… Des estampes osées,
obsessionnelles, telles que Pablo Picasso en aura dessiné, peint, gravé
toute sa vie ; une puissance de vie, de création, comme un défi surhumain
pour ce démiurge ayant cherché et puisé inlassablement, avec cette
ténacité qui lui était propre, le dépassement de l’artiste, de l’œuvre, de
lui-même. Une angoisse existentielle transformée, métamorphosée en énergie
créatrice, parcourt l’ensemble de son œuvre gravé comme si l’artiste, lui
Pablo Picasso, avait voulu, contrairement au poème de Pierre Seghers, non
pas perdre la mémoire, mais bien se perdre pour ne jamais rien perdre.
C’est cette immense et insondable énergie créatrice que nous donne à
comprendre par leurs contributions et essais, Florian Rodari avec le thème
du regard, de la théâtralisation, du jeu même du « Théâtre du regard
» dans l’œuvre de Picasso ; une étude suivie du thème « Le couple comme
dialectique créatrice dans l’œuvre gravé de Picasso » signée Élisa de
Halleux et de « L’ultime combat du Minotaure » par C.
Goeppert-Franck et Sébastien Goeppert.
Un catalogue « quasi raisonné », précieux, offrant ainsi des œuvres,
estampes, lithographies rarement montrées dont de nombreuses issues de la
Suite Vollard ou la Série des 347, avec pas moins de 120
illustrations, pour certaines pleines pages. Des œuvres gravées, eaux
fortes, aquatintes, sur cuivre, zinc, sur vélin, à la craie, au pinceau,
etc., ayant jalonné toute la vie de Picasso. Un ouvrage placé, ainsi que
le souligne Florian Rodari, sous « l’enseigne du théâtre et du désir
qui anime chaque spectateur dans l’attente des trois coups, quand l’esprit
se réjouit, que le rideau se lève enfin et révèle aux yeux ce qui est
encore de l’ordre de l’inconnu. » Et c’est effectivement un splendide
lever de rideau, justifiant pleinement le titre de cet ouvrage de
référence, qui se lève sur plus de 200 œuvres gravées de Picasso provenant
de ces deux collections uniques, celle de Jean Planque et celle de Wener
Coninx, et conférant à cet événement un caractère exceptionnel.
Van Dongen & le Bateau-Lavoir catalogue
d’exposition, Somogy, 2018.

C’est le portrait de Fernande Olivier réalisé en 1907 par le peintre Kees
van Dongen qui illustre la couverture de ce catalogue consacré au peintre
et au Bateau-Lavoir. La compagne et modèle de Pablo Picasso prêta ses
traits à la toile de celui qui partageait leur vie au fameux Bateau-Lavoir,
des années de bohême fertiles, gravées à jamais sur ces œuvres. Le présent
catalogue étudie ainsi ces années, bien que courtes en fin de compte, deux
ans seulement, mais si riches d’expériences et d’enseignement pour Van
Dongen, laissant dans son œuvre une influence si marquante. Ainsi que le
relève Geneviève Rossillon, présidente du musée de Montmartre, Van Dongen
s’intéresse à cette époque essentiellement à la vie artistique au
Bateau-Lavoir, berceau de l’Art moderne. Anita Hopmans explore, quant à
elle, ces deux années à nulle autre pareille qui demeureront précieuses
chez l’artiste jusqu’à ses dernières années à Monaco où il s’éteindra à
l’âge de 91 ans.

Kees van Dongen, Montmartre, le Sacré-Coeur, 1904
huile sur toile, 81 x 65 cm, Nouveau Musée national de Monaco
© ADAGP 2018, Paris
C’est l’esprit
des lieux qui happe le peintre, saisi dans sa jeunesse et dans sa fougue
par tous ces possibles autorisés par l’extrême liberté de création qui
régnait alors dans cet atelier géant. « La bande à Picasso », ainsi
nommée, avec Salmon, Apollinaire, Max Jacob et tant d’autres fourmille
d’idées et de talents dans une incroyable vie en commun. Van Dongen a pris
sa part dans l’élaboration de cet art moderne, une contribution, certes,
plus discrète que l’auteur des Demoiselles d’Avignon, mais
néanmoins certaine si l’on songe à cet emploi de la couleur et à ces
formes que le peintre donne à ses Lutteuses de Tabarin, avec déjà
leurs yeux cernés de noir, ces visages énigmatiques et lointains,
impression accentuée plus tard dans l’évolution de son art. La lumière de
Van Dongen s’établit sous l’éclairage électrique du monde du spectacle, sa
chaleur excessive sur la peau des artistes, jusqu’à l’extrême. Le peintre
gardera longtemps la mémoire nostalgique de ces années ainsi qu’en
témoignent ses illustrations pour le texte de Roland Dorgelès, paru en
1949, intitulé Au beau temps de la Butte. On y voit l’incomparable
Max Jacob « pauvre guilleret, minable le matin et en frac le soir
», ces couleurs vives et caricatures exacerbées, c’est une époque révolue,
les deux hommes le savent. La deuxième partie du catalogue permettra,
enfin, au lecteur de plonger plus encore dans cet univers captivant avec
la reproduction des œuvres présentées lors de l’exposition consacrée au
peintre au Musée de Montmartre, une ode à la liberté et à la couleur.
La Bible de Gutenberg de 1454 Stephan Füssel
Relié, 2. vol. avec livret, 23,5 x 33 cm, 1400 pages, Taschen, 2018.

2018 marque
l’année du 550e anniversaire de la mort du célèbre imprimeur Johannes
Gutenberg (1394-1468). A cette occasion, les éditions Taschen ont fait le
choix – et quel choix ! – de rééditer dans une somptueuse publication la
fameuse Bible de l’imprimeur germanique dans sa version intégrale et
originelle. C’est un spécialiste des sciences du livre qui est à l’origine
de cette édition exceptionnelle de la célèbre Bible Gutenberg datant de
1454. Stephan Füssel est en effet directeur de l’Institut des sciences du
livre de la Johannes-Gutenberg-Universität de Mayence (ville natale de
Johannes Gutenberg) où il est titulaire de la chaire Gutenberg.
Ayant une
connaissance intime des débuts de l’imprimerie et du rôle du livre du
XVIIIe au XXe siècle, Stephan Füssel a su également repousser son champ
d’études en l’élargissant à l’avenir des nouveaux médias. Il n’est donc
pas étonnant que cette fabuleuse édition en deux volumes ait été confiée à
ses soins, d’autant plus que la version de la Bible de Gutenberg demeure,
rappelons-le, la Bible la plus connue du grand public.

Cet ouvrage
sacré a été en effet le symbole d’une véritable révolution puisqu’elle fut
le premier livre d’importance à avoir été imprimé avec des caractères en
métal mobiles, à la différence des manuscrits jusque-là réalisés par les
moines copistes. Ce fut au milieu du XVe siècle une profonde évolution qui
allait élargir la diffusion des idées ouvrant sur la Renaissance et plus
tard sur le Siècle des Lumières, le savoir se trouvant ainsi partagé et
accessible à un plus grand nombre, multipliant des écrits jusqu’alors
trésors des bibliothèques des monastères, une révolution donc que seules
les technologies de la fin du XXe siècle tenteront d’égaler avec Internet.
C’est à partir de l’exemplaire conservé à la bibliothèque de Göttingen
qu’a été réalisée cette somptueuse réédition, un exemplaire imprimé en
latin sur vélin et l’un des rares au monde qui soit parvenu jusqu’à nous,
ce qui explique que l’UNESCO l’ait fait figurer au Registre de la mémoire
du monde. Le lecteur aura grand intérêt en découvrant cet ouvrage divisé
en deux volumes réunis en coffret à commencer par l’étude proposée par
Stephan Füssel exposant la personnalité de Gutenberg et les conséquences
de l’imprimerie qu’il initiera, prenant bien soin de rappeler que si le
procédé existait auparavant en Asie, en Europe, il fut en revanche le
premier à inviter ce système de caractères métalliques mobiles appelé à un
incroyable avenir.

Avec ses 1 282
pages, cette édition offre deux sources essentielles pour l’histoire du
livre et de la culture : le livre modèle de Göttingen et le seul acte
officiel subsistant sur la Bible de Gutenberg rédigé par Ulrich
Helmasperger. Fort de ces informations, il sera alors loisible de
feuilleter ces pages étonnantes pour celles et ceux habitués à la froideur
des typographies modernes pourtant héritées de cette invention. L’héritage
des manuscrits enluminés se fond avec la typographie fleurie conçue par
Gutenberg, rencontre de deux univers appelés progressivement à se séparer
de plus en plus et que ce magnifique coffret fait revivre, le temps d’une
édition d’exception.
"Guernica" édition publiée sous la direction d'Émilie Bouvard et
Géraldine Mercier, Coédition Gallimard / Musée national Picasso-Paris,
Gallimard, 2018.

La quatrième de couverture du catalogue Guernica publié aux éditions
Gallimard reproduit une citation de Picasso suffisamment évocatrice : «
Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un
instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi »… Cet
engagement entier de la personne et de l’art du peintre transcende en
effet la dimension esthétique d’une manière radicale dans l’œuvre de
Picasso et notamment pour Guernica. Ce cheval hennissant dont la
langue acérée est pointée comme une lame de rasoir témoigne de la violence
au cœur de cette œuvre iconique de l’engagement de l’artiste. Émilie
Bouvard rappelle la destinée de cette peinture à l’huile de taille
monumentale de plus de 3 mètres de haut sur plus de 7 mètres de long.
Témoin de la guerre d’Espagne vue de Paris par un artiste espagnol en
1937, Guernica cristallise l’aboutissement du peintre à cette
époque et les fracas de la guerre, tout d’abord civile puis mondiale
quelques années plus tard.

Dora Maar, Huile sur toile "Guernica" en cours d'exécution, état VII,
atelier des Grands-Augustins, Pari, en mai-juin 1937, Paris, 1937, Musée
national Picasso-Paris, don Succession Picasso, 1992 © RMN‐Grand Palais /
Mathieu Rabeau © Succession Picasso 2018
Exposer
Guernica ne saurait ainsi être un accrochage de plus, mais bien un
engagement prolongeant celui de l’artiste au risque d’en dénaturer
l’originalité et les sens. Tant d’interprétations ont été portées sur
cette œuvre dont elle s’est trouvée enrichie ou alourdie selon les cas. On
connaît l’intérêt que porta André Malraux à l’œuvre de Picasso à qui il
consacra son fameux livre La Tête d’obsidienne en 1974, deux ans
avant de disparaître. Pour le ministre, romancier et passionné de l’art «
Picasso fut habité par la métamorphose plus profondément que par la
mort », même dans cette œuvre où elle rôde incontestablement.
Les
métamorphoses opérées par Picasso trouvent leur origine dans le regard
insatiable de l’artiste porté sur des sources iconographiques diverses et
variées que rappelle le catalogue ; allant de l’Apocalypse de
Saint-Sever (XI° s.) jusqu’à Delacroix avec Le 28 juillet,
Tauromachie, Minotaure, cheval, chacun de ces emblèmes puissants dans
l’œuvre de Picasso avant Guernica vont converger de manière éblouissante
dans cette arène internationale anticipée. Le lecteur aura cette chance
avec ce précieux catalogue de faire défiler les pages du laboratoire
intérieur de l’artiste de manière contextuelle et selon une nouvelle
approche qui sort des sentiers battus et à laquelle le lecteur est convié
de manière dynamique.
Till-Holger Borchert « Peinture flamande de
Van Eyck à Rubens » 360 illustrations couleur, relié sous jaquette, format
30 x 39 cm, nombre de pages 498 pages, 2014, Citadelles & Mazenod, 2014.

Till-Holger Borchert,
spécialiste réputé de la peinture des Pays-Bas et conservateur en chef du
Groeningemuseum de Bruges, a réalisé avec « Peinture flamande de Van
Eyck à Rubens » aux éditions Mazenod un somptueux ouvrage, véritable
promenade d’art avec les plus grands artistes de ce courant de peinture.
Par sa connaissance intime de ces peintres qu’il fréquente depuis
longtemps et ses différentes fonctions de conservateur et de commissaire
d’expositions ( « Jan van Eyck, les primitifs flamands et le Sud » en 2002
et « De Van Eyck à Dürer – les primitifs flamands et l’Europe centrale »
en 2010-2011), l’auteur a retenu à juste titre un dialogue au cœur de ces
œuvres. Grâce à des détails extraordinaires révélés par le grand format de
l’ouvrage et la qualité des illustrations, c’est tout l’art du détail
caractérisant la peinture flamande qui se trouve placé au premier plan de
ce livre d’art. L’auteur en avant-propos rappelle d’ailleurs ce jugement
repris par le grand historien de l’art Aby Warburg « Le diable est dans
les détails… », ce qui s’applique notamment aux arts plastiques… Rares
sont les observateurs d’œuvres d’une telle richesse ayant le temps, la
patience et l’acuité d’en découvrir les infimes contours et recoins lors
d’une visite dans une exposition ou un musée.
Aussi Till-Holger Borchert se fera-t-il dans ces pages, le
temps d’une lecture, le guide de cette intimité, qui exige recul et
connaissance, ce que l’auteur transmet avec une générosité sans bornes et
invitant d’ailleurs son lecteur à faire suivre cette découverte par celle
des œuvres in situ, une approche incontournable pour lui. C’est une
sélection d’une quarantaine de chefs d’œuvres qui ont été retenus pour
leur importance, richesse symbolique et caractère de la peinture flamande.
Le livre débute naturellement par Jan Van Eyck, celui qui fut considéré
comme le père de l’art pictural flamand pour le réalisme de ses détails et
la beauté de ses paysages. L’Agneau mystique du peintre étudié en
ouverture donne une idée de la démarche entreprise par Till-Holger
Borchert qui n’est pas sans rappeler celle d’un cinéaste : vue éloignée du
polyptyque fermé puis ouvert, avant d’entrer dans le cœur de l’oeuvre en
une succession de gros plans éclairés par une « voix off », celle de
l’historien de l’art. Il ne manque que la musique pour que l’expérience
soit complète, une belle leçon. Plutôt que de privilégier un nombre
incalculable d’œuvres, l’auteur a fait choix de retenir une sélection
réduite mais donnant lieu à une initiation entière et complète.

Ainsi au fil des pages, l’historien de l’art fera-t-il défiler pour le
lecteur de ces chefs-d’œuvre déterminants pour l’art européen, des toiles
effarantes de Jérôme Bosch qui semblent encore plus psychédéliques avec
force détails proposés par l’auteur, au dramatisme puissant de Rubens avec
La Descente de Croix de la cathédrale d’Anvers, sans oublier la
joie transmissible de Jordaens avec Le roi boit ! Une expérience
unique au cœur de l’intimité de la peinture flamande.
Pierre-Joseph Redouté « Le livre des fleurs »
Werner Dressendörfer, H. Walter Lack, relié, reliure tissu, imprimé sur
papier Acquerello, avec ruban marque-page, 28,5 x 39,5 cm, 336 pages, dans
une mallette en carton avec poignée, Édition multilingue: Allemand,
Anglais, Français, 2018.

Redouté, un nom qui évoque subrepticement un bouquet de couleurs et de
senteurs, une poésie florale qu’aucune technologie numérique n’est
parvenue à ce jour à égaler. C’est l’œuvre et le génie d’un visionnaire et
d’un poète, Pierre-Joseph Redouté, qui fait pour le grand des bonheurs
l’objet du présent ouvrage réunissant somptueusement 144 gravures en grand
format. Né en plein siècle des Lumières, c’est à la veille des heures
révolutionnaires qu’il s’oriente dans l’illustration botanique, qu’il est
introduit à la cour de Versailles et très tôt remarqué par la reine
Marie-Antoinette. Il deviendra même dessinateur et peintre officiel du
Cabinet de la Reine, sa consécration est dès lors établie.

La tempête
révolutionnaire n’éteint pas son génie, il entre à l’Académie des
sciences, se fait remarquer par Joséphine de Beauharnais qui le protégera
et en fera son peintre officiel. Les régimes passent, mais la
reconnaissance de Redouté ne faiblit pas, et ce dernier traverse les
affres des régimes politiques et voit son œuvre encensée pour sa qualité
botanique et son esthétique unanimement saluée. Les gravures réunies dans
ce livre d’art exceptionnel témoignent du soin apporté par l’artiste pour
associer exactitude scientifique et esthétique avec ces mises en couleur à
la main de fleurs, fruits et rameaux. Afin de rendre plus exactement les
détails de ses représentations, Redouté va jusqu’à perfectionner la
technique de gravure au pointillé en ayant recours à de minuscules points
de couleur plutôt qu’aux lignes pour mieux rendre les infimes variations
de couleur dans ses œuvres.

Car si l’on
associe très souvent le nom de Redouté à ses fameuses roses inoubliables,
on oublie parfois que l’artiste a manifesté un intérêt insatiable à l’art
botanique de manière générale, les plantes les plus méconnues retenant
également son attention. La légende aime à dire que Marie-Antoinette
aurait convoqué Redouté à minuit pour qu’il lui peigne un cactus, ceci
n’aurait rien d’étonnant pour cet artiste curieux de tout. L’éphémère des
fleurs, et notamment de ses roses, est comme un rappel philosophique du
caractère transitoire des choses et des régimes politiques qui ne
parviendront pas à abattre son génie. 144 espèces de fleurs, rameaux
d’arbres et fruits sont ainsi réunis dans cette réédition exceptionnelle
qui attire le regard pour sa beauté indéniable, mais dont il ne faudra pas
négliger la valeur scientifique à l’époque qui fit de Redouté, mort en
1840, un artiste également aimé des sciences.
« Une lutte moderne, de Delacroix à nos jours » catalogue sous la
direction de Dominique de Font-Réaulx et Marie Monfort, Louvre éditions –
Le Passage, 2018.

C’est un détail de La Lutte de Jacob avec l’ange qui orne la
couverture de cet ouvrage collectif consacré aux trois œuvres peintes tout
spécialement par Eugène Delacroix en l’église Saint-Sulpice de Paris, une
commande reçue pour la chapelle des Saints-Anges et qui l’occupa jusqu’en
1861. Métaphore de l’artiste en lutte avec son art mais aussi avec ces
questions existentielles se posant à l’homme quant à son destin. Cette
œuvre est souvent présentée, à juste titre, comme le
testament
spirituel du peintre qui disparaît trois ans plus tard.
À l’occasion de
l’exposition consacrée au musée Eugène Delacroix à ces trois œuvres et
venant de faire récemment l’objet d’une restauration exemplaire, le
présent ouvrage revient sur la genèse de ce projet, ses sources
d’inspirations puisées auprès des grands maîtres et sur l’influence
qu’eurent ces toiles sur les successeurs de l’artiste tels Maurice Denis,
Gustave Moreau, Marc Chagall… Il aura fallu une restauration complète des
œuvres de la chapelle des Saints-Anges pour redécouvrir ce qui restait
jusqu’alors caché sous un voile de brume et d’opacité rendant quasi
impossible leur lecture. Si les mouvements et le dynamisme des actions
pouvaient être devinés, les couleurs et les jeux de miroirs restaient
absents jusqu’à ce mois de novembre 2016 où les couleurs comme par
enchantement ont retrouvé leur place et leur éclat. Ainsi que le
soulignent les auteurs en introduction, unir les œuvres de la chapelle au
musée Delacroix en une thématique commune renoue ainsi ce lien
indéfectible qui unit le peintre entre son atelier souhaité proche du lieu
de la commande qu’il lui échut et lui demanda tant d’énergie. Grâce aux
nombreux détails et informations rendus visibles par la restauration,
c’est toute l’histoire du projet de Delacroix qui est de nouveau
compréhensible et partageable au plus grand nombre ainsi qu’en témoignent
les essais réunis dans cet ouvrage.
Glacis inutiles
supprimés, lisibilité des compositions améliorée, chaque strate
interrogée, toutes ces questions techniques de restauration offrent une
mine d’informations précieuses sur l’art et la technique du grand peintre
du XIX° s. Par ailleurs, l’ouvrage rappelle les sources essentielles de
Delacroix pour concevoir et élaborer ces œuvres de grand format, le
peintre ayant toute sa vie durant manifesté un respect pour ses illustres
prédécesseurs tels Raphaël, Titien, Tintoret, Véronèse, Rubens ou
Rembrandt. En fin de carrière, le peintre ne désavoue pas, bien au
contraire, ces inspirations qui nourrissent son art et tout
particulièrement ce projet pour l’église Saint-Sulpice. Nous pourrons
ainsi grâce aux nombreuses contributions réunies pour cet ouvrage mieux
saisir les nombreuses intrications artistiques, historiques, religieuses
et métaphysiques qui caractérisent ces trois chefs œuvres et que ce livre
encourage à aller sans plus tarder redécouvrir in situ en passant et
s’arrêtant, bien entendu, préalablement à la très belle exposition qui
leur est consacrée au musée Delacroix.
« Delacroix » de Peter Rautmann Citadelles & Mazenod, 2018.

Peter Rautmann propose avec cette monographie
d’exception parue aux éditions Mazenod un regard autre sur ce grand
peintre que fut Eugène Delacroix, celui de la modernité et ses liens avec
la création européenne de son temps. Historien de l’art et spécialiste du
romantisme allemand et européen, « son » Delacroix s’ouvre sur un détail
du tableau Les Convulsionnaires de Tanger, toile où la couleur
dialogue avec le sujet en un lien à la fois intime et puissant de ces
visages tendus sur un fond d’azur immaculé. Partant des crises artistiques
du début du XIXe siècle, le livre explore cette expérience de son art
entreprise par Delacroix tout au long de sa riche et fertile carrière. Ne
recherchant pas une étude exhaustive mais privilégiant plutôt une étude
approfondie de certaines œuvres déterminantes, Peter Rautmann analyse le
processus même du travail artistique du peintre invitant pour cela toutes
les étapes allant du projet, des esquisses, dessins, gravures,
photographies jusqu’à l’œuvre inachevée. Dépassant les idées
traditionnelles avancées pour caractériser l’art de Delacroix, notamment
l’importance et la force de la couleur, l’auteur entreprend également
l’étude d’autres clés ouvrant à une plus profonde compréhension de son
œuvre, l’aspect graphiste avec l’importance du noir et des ténèbres, ainsi
que celle de la ligne, du mouvement et de l’espace. La dimension
subjective n’est pas non plus occultée dans ces pages superbement mises en
pages et illustrées par une iconographie choisie avec attention pour ces
320 illustrations couleur. La personnalité de Delacroix s’immisce dans ses
tableaux avec une sensibilité psychique et émotionnelle à fleur de toile,
ce dont témoignent d’ailleurs les pages de son fameux Journal.
Retraçant les déterminantes années 1820, la tempête romantique, l’ouvrage
ouvre également sur d’autres espaces et horizons avec la découverte
essentielle pour Delacroix de l’Orient, irradiant son travail de lumière
et de mouvements. De par sa formation, Peter Rautmann invite d’autres
disciplines pour jeter des ponts avec l’œuvre de Delacroix notamment
l’esthétique, la musique, les sciences, la littérature… En ces pages,
Eugène Delacroix se révèle être non seulement un homme de son temps ne
reniant pas l’héritage du passé, mais aussi une figure de proue d’un
courant artistique ouvrant sur les siècles à venir avec le modernisme dont
il est d’une certaine manière le prophète et l’avant-garde.
L'épopée du
canal de Suez sous la direction de Gilles Gauthier Coédition Gallimard /
Institut du monde arabe / Musée d'Histoire de Marseille, Gallimard, 2018.

Si le mot « canal » renvoie plus de nos jours à des chaines de diffusion
médiatiques qu’aux cours d’eau artificiels que creusa l’homme dès le début
de son histoire pour dépasser le cadre de sa géographie, il demeure
cependant que de tout temps, relier mer et terre a été une priorité. Le
canal de Suez compte assurément parmi ces efforts insensés si l’on pense à
la difficulté de la tâche : permettre à des bateaux de passer du Nil à la
mer Rouge, et permettre à la Méditerranée et mer Rouge de se rejoindre, de
communiquer… Si l’on ajoute à cela que, ce qui deviendra le canal de Suez
se trouve au croisement de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe, il est
plus facile de comprendre pour quelles raisons dès l’Antiquité cette tache
surhumaine a été au cœur des projets des puissants, notamment de
Sésostris, le pharaon mythique. L’égyptologue Christiane Ziegler souligne
combien son tracé, connu à l’époque des sources antiques, reste de nos
jours sujet à discussion, la topographie se modifiant considérablement au
fil des siècles. L’homme moderne redonnera vie à cette voie mythique avec,
en 1859, le creusement du Grand Canal de Suez reliant la Méditerranée à la
mer Rouge sur une étroite bande de terre de 125 km comme le rappelle
Ghislaine Alleaume. Le présent catalogue retrace cette aventure avec force
archives photographiques sépia qui ne pourront que laisser une nostalgie
certaine de ces lieux plus proches alors de l’Antiquité que de la
modernité… Et pourtant c’est bien la modernité et cette force de l’homme
sur la nature qui motivent le percement « pharaonique » de cet isthme sous
la direction de Ferdinand de Lesseps avec des moyens, certes, plus
modestes que ceux entrepris il y a quelque temps pour relier l’Angleterre
à la France sous la Manche. Philippe Régnier rappelle, pour sa part, les
différents projets proposés avant celui retenu définitivement alors que
Caroline Piquet met dans sa contribution en évidence les enjeux
stratégiques des puissances internationales concernées par ce nouveau mode
de communication fluvial inauguré en 1869. Il faudra en effet dix ans pour
que cette entreprise soit accomplie avec un prix humain non négligeable si
l’on pense à ces milliers d’ouvriers qui y laisseront leur vie. Ce sera
également le point de départ de nouveaux équilibres : nationalisme arabe,
lutte pour l’indépendance de l’Égypte… Cette épopée est retracée avec un
nombre important de documents reproduits, une histoire prolongée par les
questions d’actualité et des projets d’extension, de doublement du canal.
Une aventure pouvant être précédée, suivie ou compétée par la visite de
l’exposition sur ce même thème se tenant actuellement à l’Institut du
Monde Arabe.
Alice au Pays des Merveilles et De l'autre côté
du Miroir de Lewis Carroll illustrés par Pat Andrea (édition bilingue) 49
œuvres de Pat Andrea et 120 détails. 1 volume broché sous jaquette, 400
pages, 25 X 23 cm, La Petite Collection Editions Diane de Selliers, 2018.

L’œuvre de Lewis Carroll Alice au Pays des Merveilles fait partie
du patrimoine littéraire depuis de nombreuses années au même titre que
Le Petit Prince. Et en effet, quelle joie inépuisable que de découvrir
à chaque nouvelle lecture ces mots et tour de passe-passe, ces écrits aux
entrées multiples, surtout lorsqu’ils font l’objet d’une édition aussi
singulière que celle réalisée par les éditions Diane de Selliers
réunissant Alice au Pays de Merveilles et De l’autre côté du Miroir. Afin
de proposer au lecteur, grand ou petit, la meilleure introduction à ce
texte conçu non seulement par un écrivain, mais aussi par un logicien et
mathématicien averti, quarante-neuf toiles originales ont été commandées à
l’artiste Pat Andrea ; des œuvres qui accompagnent idéalement la
traduction d’Henri Parisot.

Avant de plonger dans la lecture de ces deux œuvres
emblématiques, il suffit de feuilleter les 400 pages de cette édition pour
mesurer combien l’artiste Pat Andrea est littéralement habité par
l’écriture et l’univers de Lewis Carroll. Ainsi que le souligne Diane de
Selliers, l’artiste fut dès le départ de ce projet fasciné par les
correspondances de son travail avec ces œuvres. Le travail de ce peintre
et sculpteur néerlandais est en effet marqué par le sexe, la violence
sourde, ces rapports de tension entre les êtres et les choses aux lignes
brisées. Ces huis clos, inversions et autres étrangetés trouvent des échos
dans l’univers carrollien où les corps sont souvent étirés ou réduits
selon leur rapport aux adultes. Chaque œuvre est présentée en deux parties
offrant le plaisir d’une lecture intégrale du texte ou au contraire de
s’arrêter plus longtemps sur des extraits bilingues nouant des rapports
intimes aux œuvres de Pat Andrea. Le lecteur pourra ainsi avec délectation
découvrir ou redécouvrir ces œuvres si familières sous un autre angle,
angle idéalement complété par l’appareil critique de Jean Gattégno, l’un
des grands spécialistes de Lewis Carroll.
« Chantilly, le domaine des princes », photographies de Marc Walter,
Format : 245 x 335 cm, 488 pages dont 3 dépliants de 8 pages, Environ 450
illustrations en couleurs, Relié plein papier, fer à dorer, signet, sous
étui illustré, Swan éditeur – Domaine de Chantilly, 2017.

A lieu d’exception, livre d’exception,
c’est désormais chose faite avec la splendide édition Chantilly, le
domaine des princes (Swan éditeur), un livre d’art et d’histoire, servi
par une iconographie remarquable. Le lecteur est en effet invité en
ouvrant ce coffret raffiné à entrer dans cet univers d’ors et de moulures
anciennes qu’une couronne princière souligne. Les splendides photographies
de Marc Walter font immédiatement participer à cet univers qui pourrait
relever du domaine onirique si nous n’étions pas en ces lieux en plein
cœur de l’Histoire, celle du royaume de France jusqu’à l’actuel Domaine de
Chantilly, au XXIe siècle. Qu’il s’agisse d’un détail de marqueteries
précieuses, d’un ciel d’orage soulignant les dentelles de pierre du
château ou de l’eau qui se joue des reflets de l’auguste demeure, chaque
image participe à ce joyau dont l’histoire reste mouvementée par ces
multiples facettes.

Regarder les façades du château de Chantilly de nos jours,
c’est se tourner vers une belle utopie, celle d’Henri d’Orléans, duc
d’Aumale (1822-1897), cinquième fils de la reine Marie-Amélie et du roi
Louis Philippe, dernier roi des Français, et qui décida un demi-siècle
après que la Révolution eut abattu les murs de ce château de redonner vie
à ce phénix princier. Sa devise était « J’attendrai », c’est dire si la
résolution de l’homme était aussi grande que son souhait, alors qu’il
vécut plus de vingt ans en exil en Angleterre. Mais il est des attentes
qui dépassent celle des hommes pour rejoindre celles des siècles, une
prédestination à recomposer ce qui avait été à tort défait. Aujourd’hui plus personne ne remet en cause cette réhabilitation,
bien au contraire, des foules de touristes s’empressent pour découvrir une
partie de ce patrimoine réhabilité par cet homme qui s’éteindra dans son
domaine de Zucco en Sicile, trois ans avant le début du nouveau siècle.
L’ouvrage fait défiler cette riche histoire, page après page, de la forêt
des origines avec Anne de Montmorency, connétable de France aux XVe et
XVIe siècles jusqu’au fameux Condé au XVIIe siècle, descendant de saint
Louis, et qui offrira à ce lieu sa splendeur toute princière grâce au
concours d’un jardinier appelé à un destin célèbre, André Le Nôtre…

Le Grand Condé aimait la rivalité et
notamment à l’encontre de son royal cousin auquel il emprunta le génie
d’un de ses plus brillants architectes, Jules Hardouin-Mansart. Chaque
génération des Bourbon-Condé apportera sa pierre à cet édifice faisant
l’admiration de tous, Grands Appartements, Singeries, Grandes Écuries,
Petit Parc, Jeu de Paume, Hameau dont s’inspirera Marie-Antoinette et
jardin anglais passeront à la postérité jusqu’à ce qu’Henri d’Orléans ne
redonne vie à cette splendeur au XIXe siècle après les ravages de la
Révolution. Une partie entière de ce livre est d’ailleurs consacrée aux
fameuses collections du Duc d’Aumale, un musée unique dont la seule visite
donne le vertige tant les œuvres d’art réunies par cet esthète laissent
sans voix. Lui qui interdit dans son legs de modifier l’accrochage ou de
prêter et faire sortir du domaine la moindre œuvre de sa collection. Il
suffit pour s’en convaincre de déplier les doubles pages successives de la
Galerie de peinture insérées dans cet ouvrage d’art…

Les expériences seront multiples à la
lecture de ce livre incontournable, la plus précieuse d’entre elles sera
notamment ce désir irrépressible de partir à la découverte toujours
renouvelée des charmes du Domaine de Chantilly.
L’effet boomerang – Les arts aborigènes et
insulaires d'Australie,
160 pages - photos et illustrations couleurs et noir et blanc, Éditions In
folio/ MEG - Musée d'ethnographie de Genève, 2017.

Le catalogue de l'exposition « L'effet boomerang, les arts aborigènes
d'Australie », exposition qui s'est achevée il y a quelques semaines au
musée d'ethnologie de Genève, permet de revenir sur les nombreuses pièces
exposées grâce aux riches contributions. Qu’il s’agisse des liens profonds
qui relient chaque objet à la terre des ancêtres, aux territoires du Temps
du Rêves ou au temps de l'histoire des luttes des populations autochtones
pour la reconnaissance de leurs droits, il n'y a pas d'objet en bois,
armes, boucliers, pointes de lances, propulseurs, ornements, masques, bois
gravés, peintures corporelles, représentations sur écorces ou aujourd'hui
sur toile ou papier qui n’ait sens et n’ait fait l’objet d’une minutieuse
analyse.
Les auteurs de ce catalogue, sous la direction de Roberta Colombo Dougoud
(conservatrice du département Océanie du Musée d’Ethnographie de Genève et
commissaire de cette exposition) ont pour chacun apporté dans leur domaine
respectif une extrême attention à la conservation et mise en valeur des
gestes culturels ancestraux, rappelant ainsi à quel point la culture
australienne des origines, donc aborigène, porte en elle tout une part de
l'art de l'humanité et de sa mémoire collective. Que ce soit Brook Andrew,
artiste australien, Philip Jones, Eric Venbrux, Perrine Saini, Marcia
Langton, Clotilde Wuthrich ou Nicholas Thomas, chacun aborde cette culture
et les arts aborigènes avec un regard ethnologique, historique,
scientifique, anthropologique, artistique ou muséologique permettant de
mieux découvrir et appréhender les collections de M.E.G, dont le fonds
australien ne compte pas moins de 850 œuvres, et ainsi de comprendre,
depuis la colonisation de ces terres en 1788, l'effacement progressif de
la culture aborigène et la mise à l'écart flagrante des populations
autochtones des différentes régions du continent. Les collectes des objets
présentés dans ce catalogue témoignent du chemin parcouru depuis les
premiers contacts avec les anthropologues européens comme Norman Tindale
en 1921 jusqu'à la reconnaissance actuelle des arts insulaires. « Les
Noirs affirment qu'aux « Temps du Rêves » d'un passé très lointain, leurs
ancêtres sont entrés dans le pays avec tous leurs totems, qu'ils gardent
précieusement avec eux. En ces temps-là, ils n’étaient pas très sûrs de
leur nature ; ceux qui possédaient le totem disons du canard sauvage
étaient-ils vraiment des êtres humains, ou étaient-ils en partie l'animal
ou la plante dont ils portaient le nom ? » Le chemin pour retrouver
les traces des ancêtres est complexe mais évident pour qui sait lire sur
la terre, à travers la voie lactée, au milieu des déserts, et seuls savent
ceux qui y sont initiés... C’est avec les premiers objets rapportés au
M.E.G, le 3 juillet 1880, très précisément, et leurs les observations que
commence la collection particulièrement riche et diversifiée d'objets.
Observations qui permettront aux chercheurs de classifier minutieusement
les productions des peuples aborigènes des différentes localités
géographiques et leurs utilisations précises, tels ces coolamon ou
pitchi tantôt récipient pour l'eau ou pour la nourriture, tantôt
berceau pour les nouveaux-nés. Les Aborigènes du Nord, dès le XVIIe siècle
et jusqu'au début du XXe siècle, ont entretenu des échanges culturels avec
les marins indonésiens et autres habitants de Madagascar... Leur histoire
se lit comme un roman jusqu'à aujourd'hui et les nouvelles créations d'art
contemporain recyclant des filets de pêche usés (installation du requin de
récif Ged Nor Beizam – Queensland) comme les toiles acryliques des
grands artistes partis pour d’autres rêves ou actuellement vivants, ont
pris, depuis quelques années, toute leur place sur le marché de l'art
international. Nombre de ces œuvres figurent aujourd’hui dans les musées
et galeries du monde, gardant cependant toujours cette part de mystère…
C'est cette histoire de groupes, familles, sociétés complexes au plus
proche d'un environnement difficile, toute cette richesse de styles et de
créations que viennent illustrer les très belles photographies que l'on
redécouvre sous une perspective nouvelle par ce livre faisant déjà
référence en matière d’arts aborigènes. Alors le lire et y revenir, c'est
aussi cela, l'effet boomerang...
Sylvie Génot-Molinaro
Jean-Pascal Léger : « Tal Coat. Pierre et Front
de bois », Editions Somogy, 2017.

A noter la
parution aux éditions Somogy d’une belle monographie consacrée au peintre
Tal Coat. Appuyée par un riche texte documenté et soigné signé Jean Pascal
Léger, cette dernière parution s’est vite imposée comme ouvrage de
référence. Jean Pascal léger, écrivain, critique d’art et commissaire
d’expositions, a bien connu et côtoyé le peintre à maintes reprises et lui
a consacré de nombreux textes, entretiens ou émissions ("L'Immobilité
battante" L'Atelier contemporain, 2017). Et comme on le
comprend ! Comment ne pas apprécier, en effet, cet artiste (1905-1985)
dont toute l’œuvre puise sa force dans la terre, les rochers et les
arbres, dans cette nature qu’il aimait appeler tout simplement « le
monde ». Pour cet ouvrage, l’auteur a retenu pas moins de 150
illustrations ; retenues, souligne-t-il, comme il aurait choisi des toiles
pour une exposition : « J’ai fait mes choix comme pour un accrochage,
je vais à la rencontre des tableaux comme on va trouver des personnes.
Mais surtout j’ai adopté la méthode Tal Coat. Certains tableaux ont pris
l’initiative »…
Tal Coat aimait avant tout les arbres, ces grands et hauts arbres, son nom
de peintre signifie d’ailleurs en breton « front d’arbre », prémonition ou
avertissement ? Ce Breton d’origine et de caractère l’a dit et peint,
peint et redit, lui épris avant tout de liberté. Il aimait aussi peindre
les rochers qu’il escaladait volontiers, la terre, ses ocres et les champs
dans lesquels sa peinture s’enracine. « Certes, lorsque Tal Coat, au
printemps, couvrait ses tableaux des jaunes acidulés et des verts vifs de
la campagne, ce sont bien des tableaux verts et des tableaux jaunes, les
Mai, Vient mai, Mariés (au mois de Marie) et des Colzas. Mais ces mêmes
tableaux pouvaient se couvrir de coquelicots, de chaumes puis de cendres.
Un tableau de Tal Coat est l’équivalent d’un champ, une parcelle de
peinture », écrit Jean-Pascal Léger se souvenant de ce que lui avait
dit le peintre, un jour, à propos d’une toile :
« Laissez-le faire son effet !
C’est un peu terne mais il y a les coquelicots en dessous, je peux aller
chercher le coquelicot ».
Sa peinture aux couleurs puissantes ne pouvait dès lors qu’interpeller et
reçut tôt dans sa carrière la reconnaissance de ses pairs, mais aussi de
poètes ou d’écrivains. Aujourd’hui, c’est une large admiration qui est
vouée à ce peintre qui sut aussi, avec une rare sensibilité, laisser
transparaître dans ses peintures toute la fragilité de l’être. Les champs
verts d’un printemps ou ses nombreuses toiles sur le thème de l’eau
traduisent ces sourdes failles aux côtés de toiles plus sombres et des
carrières qu’il affectionnera également. La série Les failles de
Tal Coat révèle cette sensibilité « Comme l’écume frange la mer, comme
l’air flotte ou tremble quand il brûle et suspend notre jugement »,
écrit encore Jean-Pascal Léger citant un peu plus loin André du Boucher
« La faille tient lieu de corps, le rocher devient blanc. Dur comme
pierre, ou dur comme l’air. »
En onze chapitres aux titres choisis – dont « Carrières », «
Profils sous l’eau », « L’eau lustrale », « vert mai »,
comme une fenêtre que l’on ouvrirait sur un paysage, celui de Tal Coat,
lui qui aspirait à se défaire des cadres. Avec délicatesse et finesse,
moins comme un formel hommage, mais plus une réminiscence qui se veut
partage, Jean-Pascal Léger mène de chapitre en chapitre le lecteur « A
la rencontre de Tal Coat », photographié dans son atelier de Dormont
avec l’auteur en 1983. Page après page, l’œuvre se déplie, déploie,
offrant toute sa force et dévoilant toujours un peu plus la singularité de
l’artiste et la pudeur de l’homme. « Il faut beaucoup de temps et
beaucoup d’espaces pour qu’apparaisse l’œuvre de Tal Coat dans sa juste
lumière. », écrit, en toute fin de ce bel ouvrage, Jean-Pascal Léger.
L.B.K.
« Schoendorff – Ces lavis… », Préface de Florian
Rodari, Editions de La fosse aux ours, 2017.

Comment parler de cet ouvrage paru aux éditions La fosse aux ours et
consacré à ces lavis énigmatiques signés Max Schoendorff ? Qu’ajouter au
texte que nous livre pour l’occasion Florian Rodari en un prologue nommé «
Théâtre des origines » et dont aucune phrase ou mot n’enserre ou ne
vient figer ces œuvres à nulles autres pareilles ? L’ouvrage s’intitule
simplement « Schoendorff – Ces lavis… », et c’est bien ainsi ! Ici,
les figures, l’érotisme connus de l’artiste (1934-2012) se sont effacés ou
plutôt ont pris d’autres formes. Ce sont vingt-neuf lavis, autant de faces
de l’astre lunaire qui naissent ici, se déroulent et s’enroulent comme au
commencement. Cette série à la monochromie puissante retient le regard
comme pour mieux l’ouvrir. On s’approche, s’éloigne, laissant apparaître
ou disparaître du chaos de la surface les contours et les formes. Là, une
ligne, mais rien pourtant de linéaire ; ici, des rondeurs mais sans
courbes, des élancements sans direction… Paysages au visage minéral qui
n’auraient probablement pas déplu à Roger Caillois, on songe en regardant
« L’haleine emprisonnée des cavernes » aux mystères des cœurs des
agates emprisonnant en leur sein cette fascinante bulle de gaz liquide
primordial ; ou encore, découvrant le lavis « En barque » aux
fascinantes paésines avec leurs oniriques univers engloutis dans une
création millénaire. Évocations d’un infiniment petit laissant jouer un
inconnaissable qui se fait visible, « Ce sont des traces du vivant qui
passe, qui remue, spectacles nés d’un subit obscurcissement aussi bien que
d’un accroissement de la conscience, comme si sur un écran tout à coup
rapproché de l’œil parvenaient en désordre des messages sans liens, des
résidus de la mémoire de l’univers que l’artiste aurait un instant
reconnus pour siens, mais pas davantage », écrit en prologue Florian
Rodari. Métamorphose permanente, la structure des formes laisse surgir
l’immédiateté de l’instant. Détails, spores, écailles nacrées ou autres
encore pour lesquelles Ernst Haeckel a pu, lui aussi à sa manière, se
passionner. Des plumes aussi, comme des masques ou brocarts vénitiens aux
étranges éclats tels le « Retour aux sources » ou « La montée au
Brocken ». Echos de l’infiniment grand avec ces hiérophanies
stellaires qu’efface un lavis comme s’effacent les destins. «
Scintillations, échos, informations brèves, allusives, en transit, sur
nous-mêmes ou sur d’autres univers, qu’en sait-on vraiment ? et qui
disparaissent sans que cela ait une incidence plus grave que cela »,
écrit encore Florian Rodari sur ces lavis d’un artiste nourri et épris de
littérature et de philosophie allemande et antique. Parfois, une source,
une « Rencontre avec une cascade » comme celle de Nachi qui
provoqua chez certains célèbres écrivains par son paradoxal mouvement un
subit état extatique. Songes éveillés dans lesquels vivent aussi tapies,
blotties ou cachées d’étranges et multiples créatures. C’est autant dans
les taches d’encre et dessins hugoliens, ainsi que le souligne Florian
Rodari, que dans l’univers des fonds ou gouffres marins des «
Travailleurs de la mer » que « Ces lavis… » signés Max
Schoendorff prennent toute leur toute puissante énergie.
L.B.K.
« Rome. Portrait d’une
ville » de Giovanni Fanelli, Relié, 25 x 34 cm, 486 pages, Édition
multilingue, Taschen, 2017.

Giovanni Fanelli, professeur d’histoire de l’architecture est un amoureux
de longue date de la ville éternelle à laquelle il a consacré de nombreux
ouvrages. Alors que se profile le 150e anniversaire de la ville (en 2020)
comme capitale de l’Italie, et alors même que cette auguste cité a presque
aujourd’hui trois mille ans d’une riche histoire, il fallait assurément un
ouvrage à la hauteur de la tâche ! Et c’est ce que réalise avec bonheur et
merveille l’auteur en signant ce bel ouvrage alliant à la rigueur
scientifique un style alerte et accessible. D’un format généreux (25 x 34
cm), « Rome ; Portrait d’une ville » séduit par cette narration jamais
rébarbative mais qui bien au contraire tient en haleine son lecteur en
raison de la diversité des angles adoptés. Rome bénéficie en effet de
cette singularité qui la distingue de bien d’autres villes de réunir en de
mêmes lieux antiquité, renaissance, baroque et temps modernes sans
qu’aucune césure ne semble inopportune au regard. La culture est bien
entendu au cœur de ce livre superbement illustré, une culture justement au
diapason de cette diversité historique selon les différentes époques
concernées et évoquées par l’auteur partant de 1839 où Rome était encore
la capitale des États pontificaux jusqu’à nos jours.

Qu’il s’agisse
de l’incontournable Colisée, forums et autres Thermes, des splendeurs de
la Cité du Vatican avec sa place dessinée par Le Bernin, la chapelle
Sixtine, véritable concours des meilleurs artistes de la Renaissance,
jusqu’à nos jours si l’on pense notamment au fameux EUR souhaité par
Mussolini pour la glorification du fascisme… Le livre réunit quelque cinq
cents images allant des années 1840 jusqu’à nos jours pour composer un
véritable album de ce patrimoine unique, point de convergence d’un
tourisme international incessant année après année.

Il faut dire que
Rome offre à chacun un éventail non seulement large, mais également varié,
les amoureux de pierres antiques étant aussi servis que ceux rêvant de la
Dolce Vita de Fellini ou des pérégrinations littéraires de Pier Paolo
Pasolini. Nous retrouvons ainsi avec un rare bonheur des clichés anciens
en noir et blanc d’une époque révolue où les monuments n’étaient pas
encore balisés et restaurés. Les artistes tels Giacomo Caneva, Pompeo
Molins, Giuseppe Primoli, Alfred Eisenstaedt, Carlo Bavagnoli, Henri
Cartier-Bresson, Pasquale De Antonis, Peter Lindbergh, Slim Aarons et
William Klein offrent leur regard sur la ville éternelle au travers de
leurs œuvres, ce qui ajoute au charme d’un livre décidément pluriel et que
l’on aura plaisir à découvrir avant, après son voyage à Rome ou tout
simplement chez soi pour rêver!
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« Le Musée imaginaire de Michel Butor ; 105
œuvres décisives de la peinture occidentale », Flammarion, 2019.

Dernier ouvrage
paru de Michel Butor avant sa disparition, c’est dans une belle et
nouvelle édition que le lecteur pourra le retrouver aujourd’hui aux
Éditions Flammarion. À l’instar de celui d’André Malraux, le poète évoque
ou plus précisément dévoile dans ce « Musée imaginaire » les chefs
œuvres de l’histoire de l’art occidental qui ont jalonné tout autant sa
vie que son œuvre et poésie. De Giotto à Basquiat, passant par Cranach
l’ancien, Johannes Vermeer ou encore Caspar David Friedrich, Monnet,
Bonnard…
Michel Butor livre en ces pages au lecteur de fines synthèses telles
celles consacrées à Turner ou Corot, mais aussi l’amène à saisir avec son
acuité empreinte de poésie et d’imaginaire certains personnages ou détails
qui sous son regard et sa plume s’animent comme pour mieux subjuguer.
C’est un véritable dialogue vivant qui s’établit alors entre le poète,
l’œuvre et le lecteur, l’invitant à déambuler ou voyager dans cette
fabuleuse et choisie histoire de l’Art. Une expérience alliant art et
littérature avec ce style avenant et généreux qui caractérise les œuvres
de Michel Butor, telles notamment ces pages consacrées à la Pièta
de Villeneuve-lès-Avignon attribuée à Enguerrand Quarton exposée au Louvre
et qui laisseront le lecteur songeur… Nous dévoilant ce qui doit être
visible, lisible « qu’avec un certain regard ».
Un intime tête à tête avec plus de 100 chefs œuvres majeurs de l’Art
occidental que le poète nous propose au regard, un regard plein de
curiosité et d’originalité avec parfois aussi des œuvres ou des peintres
moins connus. Chaque choix et texte signé du poète, écrivain et essayiste,
dans une mise une page soignée, vient souligner avec justesse et
pertinence dans un vis-à-vis saisissant les œuvres de ce « Musée
imaginaire de Michel Butor ». Et, chaque page se révèle être ainsi
sous ses mots plus qu’une belle découverte, mais bien une mise en
perspective et lumière à laquelle le lecteur est chaleureusement et
intimement convié.
« Vézelay » sous la direction de Mgr Hervé
Giraud, direction scientifique : Christian Sapin et Nicolas Tafoiry,
photographies de Pascal Lemaître, Aude Boissaye et Sébastien Randé,
collection La Grâce d’une cathédrale, La Nuée Bleue, 2018.

Jules Roy aimait
à comparer la basilique de Vézelay , au pied de laquelle il vécut si
longtemps, à la longue chevelure de la Magdaléenne, nommée aussi Marie de
Magdala ou Marie Madeleine. Consacrée, en effet, à Marie Madeleine avec
l’arrivée de ses reliques au IXe siècle, la Basilique de Vézelay a
toujours exercé une attraction puissante. Sa position haute perchée en
haut de ce célèbre promontoire dominant tout le paysage, la renommée de ce
lieu incontournable du pèlerinage vers Compostelle, les nombreux
évènements inscrits dans sa mémoire collective telle la croisade prêchée
par saint Bernard à Pâques 1146, n’ont fait que renforcer jusqu’à nos
jours la notoriété de cette grande et si belle basilique.
La collection « La Grâce d’une cathédrale » ne pouvait que consacrer un
volume à cet édifice à nul autre pareil. Autant de facettes, autant
d’inspirations qui toutes élèvent le regard vers le sommet de ses voutes,
inexorablement. C’est cette attraction qu’ont souhaité rendre Christian
Sapin et Nicolas Tafoiry, les auteurs de ce très beau volume placé sous la
direction de Mgr Hervé Giraud. Servi par de magnifiques photographies de
Pascal Lemaître, Aude Boissaye et Sébastien Randé, l’ouvrage invite à
entrer page après page dans l’intimité du lieu, avec son architecture
fusionnant introspection romane et élan gothique en son for intérieur.
Même les âmes peu tournées vers la transcendance se trouvent ébranlées par
la puissance spirituelle qui se dégage des lieux. Une harmonie
cristallisée à différentes époques de son évolution, des pierres façonnées
par le souffle de l’Histoire, et avant toute chose une lumière unique qui
happe le visiteur solitaire même parmi la foule des belles saisons.

Mgr Hervé Giraud, archevêque de Sens et évêque d’Auxerre, souligne que «
tout Vézelay » est questionnement, « un questionnement éternel
», ce qui est certainement l’une des portes d’entrée les plus fertiles
pour découvrir l’édifice et ce qu’il représente véritablement. « Qui
cherches-tu ? » interroge le Christ ressuscité à Marie Madeleine au
matin de Pâques, une interrogation qui ne peut être que notre en entrant
dans ce carrefour et en découvrant cette pierre angulaire
comme le rappelle Mgr Hervé Giraud dans sa préface. Le pèlerin ou le
simple visiteur, le curieux ou l’âme en recherche de foi ne pourront, en
effet, que demeurer hypnotisés et interroger chacun des deux cents
chapiteaux romans. Parole gravée, évangélisation pourtant si fluide qu’on
la croirait mobile, cette pierre de Vézelay ne saurait se réduire
incontestablement à celle d’un pur chef-d’œuvre de l’art, ce qu’elle est
manifestement, certes, mais... C’est à cette découverte à laquelle
invitent les auteurs de cette étude complète qui débute avec les origines
du site accueillant un sanctuaire gallo-romain, transformé au IXe siècle
en communauté de prière chrétienne avant l’établissement du monastère.
C’est bien entendu l’arrivée des reliques de Marie Madeleine au XIe siècle
qui métamorphosera la destinée de Vézelay, le rayonnement qui sera alors
le sien s’étendra à toute l’Europe et de nombreux pèlerins convergeront
vers elle dans leur cheminement vers Compostelle. Nous découvrons ses
grandeurs, mais aussi ses vicissitudes dues aux rivalités avec des abbayes
concurrentes, les terribles ravages occasionnés par les Guerres de
religion, sans omettre le coup de glas apporté par la Révolution. Mais
l’attraction de Vézelay fut telle qu’elle sut résister à toutes ces
épreuves, y compris celles de ses restaurations audacieuses, en
bénéficiant en 1979 du classement de l’UNESCO. A l’évidence, Vézelay n’a
pas fini de questionner celles et ceux qui découvriront cet ouvrage
indispensable à la compréhension de ce lieu unique.
Philippe-Emmanuel Krautter
« La cuisine indienne végétarienne », Pushpesh
Pant, Editions Phaidon, 2018.

Végétariens ou en voie de le devenir pourquoi ne pas adopter la cuisine
indienne végétarienne ? Des idées rafraîchissantes et de couleurs… Mais,
la cuisine indienne si attrayante et savoureuse soit-elle ne s’invente
pas, inutile de sortir toutes les épices entassées dans le placard !
La dernière parution des éditions Phaidon « La cuisine végétarienne
indienne » vous guidera incontestablement dans le choix des bons
ingrédients et proportions pour réaliser de savoureux menus indiens
végétariens propres à égayer vos quotidiens ou repas de fêtes. L’ouvrage
propose en effet pas moins de 130 recettes de cuisine indienne à base de
légumes, graines, légumineuses et fruits. Choux, pommes de terre,
aubergine, potiron, etc., chaque recette, simple ou plus sophistiquée,
présentée sur deux pages avec en vis-à-vis sa splendide illustration photo
pleine-page, est une promesse de régal et de plaisir pour les sens ; Le
choux s’illumine d’épices orangées, les lentilles s’enrobent de douces et
joyeuses couleurs et les aubergines au yaourt s’égayent de soleil…
L’auteur, Pushpesh Pant, indien d’origine et critique gastronomique n’en
est pas à son premier ouvrage de cuisine, des ouvrages toujours attendus
et largement salués. Celui-ci prend soin avant tout chose en introduction
de nous rappeler les biens faits des légumes, surtout « comment apprendre
à les aimer » et à les faire aimer des grands et petits. C’est de sa mère
et grand-mère qu’il apprit jeune le goût des subtiles saveurs des plats
traditionnels indiens avec leur diversité et spécificité selon les
régions. Morilles au yaourt, pommes de terre au sésame, potiron à la noix
de coco, ragoût de légumes ou encore purée d’aubergines aux saveurs
indiennes, etc., enchantent avec leur fiche de préparation simple et
claire.
Avec ces recettes signées Pushpesh, toutes plus appétissantes et
réjouissantes les unes que les autres, même les radis, patates ou épinards
ravissent et prennent couleurs et saveurs. Pour cette cuisine
nutritionnelle et saine, l’auteur rappelle qu’il n’utilise que des herbes
fraîches, du lait entier et du beurre doux. Présentées par grands
chapitres, partant des épices et de leur mélange, les recettes égrainent
les légumes et légumes-feuilles jusqu’aux desserts et boissons en passant
par les légumes-racines, légumes-fruits, les cucurbitacées, gousses et
graines, légumes secs et fruits. Des chapitres et des recettes de «
Cuisine indienne végétarienne » pour toutes les saisons et occasions !
Orphée de Jean Cocteau, Nouvelle collection : les
livres rares et illustrés, Nombre de pages : 144, Hauteur : 33 cm, Largeur
: 24 cm, Profondeur : 4 cm, Poids : 1,6 kg, Éditions des Saints Pères,
2018.

Les éditions des Saints Pères viennent de créer une nouvelle collection de
livres rares illustrés. Une promesse d’ouvrages uniques et splendides que
ne dément pas la toute première édition consacrée à Orphée de Jean
Cocteau. Le point de départ de cette belle initiative se trouve dans la
volonté de fait revivre des éditions d'ouvrages rares, réalisés par de
grands artistes, et ce avec des lithographies spécialement créées à cette
occasion. Quel meilleur exemple de cette démarche conjuguée des arts et de
la littérature que celui de ce magnifique Orphée signé Jean Cocteau ?
L’auteur eut à cœur de transposer à l’époque moderne, en 1925, le célèbre
mythe d’Orphée, deux ans après la disparition de Raymond Radiguet, une
perte douloureuse qui le plongea dans un désespoir profond. Cocteau résume
ainsi l’histoire tragique d’Orphée : « Vous connaissez le mythe :
Orphée, le grand poète de Thrace, passait pour dompter les fauves. Or, il
venait de réussir quelque chose de beaucoup plus difficile : il venait de
charmer une jeune fille, Eurydice, de l’arracher au mauvais milieu des
Bacchantes. La reine des Bacchantes, furieuse, empoisonna la jeune femme.
Orphée obtint d’aller la chercher aux Enfers, mais le pacte lui
interdisait de se retourner vers elle ; s’il se retournait, il la perdait
pour toujours. Il se retourna. Les Bacchantes l’assaillirent et le
décapitèrent, et, décapité, sa tête appelait encore Eurydice ». Cette
tragédie en un acte et un intervalle réinterprète le mythe antique dans
une Thrace de son inspiration. Un cheval qu’Orphée a ramené lui délivre un
message mystérieux : « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers »,
curieux message dont les initiales du message sont soulignées dans
l’oeuvre… Avec cette entrée en matière, Cocteau ne dénature pas le mythe
mais décide de le revisiter au XXe siècle. De nouveaux personnages
s’invitent dans ce récit, l’ange Heurtebise, la Mort, un commissaire, sans
oublier… le fameux cheval blanc ! Cocteau par cette tragédie sensible
traverse la réalité et rejoint de manière bien singulière ces fameux
mystères dionysiaques où la poésie sera reine et où la mort perd son
pouvoir.
«Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par
lesquelles la Mort va et vient. Ne le dites à personne » . Cocteau,
Orphée, 1925
Et même si Eurydice meurt, et qu’Orphée éploré part à sa recherche –
comment ne pas voir là une quête personnelle de l’auteur endeuillé – les
deux amants sont réunis dans l’au-delà. Le temps est aboli, ce que la
poésie consacre. Cocteau était très fier de l’édition qui parut en 1944
aux éditions Rombaldi présentée dans un coffret avec serpents et quarante
lithographies de la main du poète.

C’est
cette même édition qui fait aujourd’hui l’objet d’une superbe reproduction
aux éditions des Saints Pères. Imprimées en noir et blanc, bleu pour les
noms des personnages, ces pleines pages sont scandées par les dessins du
poète, dessins passés à la postérité depuis. Véritables entrelacs
participant à l’évocation poétique, ces représentations ouvrent à bien
d’autres horizons suggérés par l’inspiration du poète. Serons-nous initiés
aux mythes orphiques ? L’art de Cocteau mis en valeur par cette
remarquable édition contribuera à assurément élever l’âme de son lecteur,
ce qui n’est déjà pas, tant s'en faut, le moindre de ses mérites.

À noter la postface de Dominique Marny, écrivain, commissaire
d’expositions et présidente du Comité Cocteau. Elle a consacré cinq livres
à son grand-oncle, Jean Cocteau, dont Jean Cocteau ou le roman d’un
funambule (éditions du Rocher). Elle est présidente du Comité Jean
Cocteau. Le livre a été imprimé sur les presses de l'imprimerie de Bayeux.
Chaque coffret est fabriqué à la main.
The Art of C. G. Jung, , Hardcover, 249 x 287 mm
/ 192 pages, The Foundation of the Works of C.G. Jung (Author), W. W.
Norton & Company, 2018.

L’approche des arts réalisée par le célèbre médecin psychiatre Carl Gustav
Jung dépasse largement un pur intérêt artistique si l’on considère les
enseignements qu’il en tirera pour ses recherches. Cet explorateur de
l’inconscient et des archétypes n’aura en effet eu cesse de chercher à
travers le dessin, la peinture sans oublier la sculpture qu’il pratiquât
également ces « signes » témoignant de cette psyché en syntonie avec le
cosmos, ce que ses détracteurs qualifieront injustement de mysticisme ou
de spiritualisme. Son acuité pour les couleurs et les formes, jamais
innocentes et toujours pleines de ressources, ne cesse de fasciner
plusieurs décennies après sa mort, ainsi qu’en témoigne ce très bel
ouvrage « The Art of C.G. Jung » réalisé par Ulrich Hoerni,, Thomas
Fischer et Bettina Kaufmann et édité par la Fondation des œuvres de C.J.
Jung chez W. W. Norton & Company.
Ces images surgies de l’inconscient ne sont pas ces invraisemblances que
nous ressentons souvent au réveil le matin mais bien un dialogue plus ou
moins ouvert avec cette part de nous-mêmes que nous ignorons trop souvent…
à nos dépens. Les auteurs révèlent une partie secrète du travail du grand
psychiatre suisse en exposant et expliquant cette sensibilité que Jung eut
toute sa vie et jusqu’à ses derniers jours pour la représentation
artistique, en tant que spectateur ou créateur. Qu’il s’agisse de
réactions au modernisme dadaïste ou des influences des enluminures
médiévales sur le Livre Rouge, tout fait signe ou presque pour cet
homme qui passera sa vie à griffonner des croquis de fortifications se
métamorphosant en mandala, de magnifiques pastels où d’inspirants nuages
témoignent de sa sensibilité jusqu’à ce bois aux reflets aquatiques
proches d’inspirations nabistes. Jung ne souhaita pas de son vivant que
ces œuvres soient publiées sous son nom et les présenta souvent de manière
anonyme. L’ouvrage abondamment illustré sera aussi l’occasion de découvrir
le monde intérieur de C.G. Jung avec ces personnages énigmatiques telle
cette représentation de Phanès, divinité primordiale relevant de la
théogonie orphique réinterprétée par lui en une constellation proche de
Gustav Klimt. L’abstraction gagne avec les représentations alchimistes
relevant du Livre Rouge, symboles spirituels, forces primordiales
et visions transcendantes scandent chaque peinture ou dessin en d’étranges
entrelacs. C’est cette part du travail de Jung que Freud écarta
radicalement, et c’est elle qui aujourd’hui séduit dans ces pages
inspirées et qui ont tant à nous dire !
L'annuel 2018 de l'AFP, 2018 en photo, le choix
de l'AFP, AFP (AGENCE FRANCE PRESSE), La Découverte, 2018.

Si le sigle AFP est familier à toute personne s’intéressant à l’actualité,
les photos livrées par cette institution incontournable de l’information
ne sont pas toujours connues de tous selon les journaux ou médias suivis.
Avec cette sélection de l’année 2018 en photos, nous pourrons refaire
défiler cette année riche en évènements aux quatre coins du globe. C’est
en effet souvent par le filtre des meilleurs photographes de l’Agence que
l’instantané d’un évènement majeur se révèle de manière frontale ou plus
indirecte. Près de trois cents clichés sont ainsi réunis dans ce livre,
dont certains tragiques si l’on pense à Shah Marai, chef des photographes
de l’AFP à Kaboul, tué en avril dernier, d’autres plus bucoliques avec ces
meules de foin dans un champ de Normandie… Chaque photographie concentre
non seulement une ambiance mais invite aussi à une réflexion personnelle
sur le sens de la modernité tel ce cliché d’une sieste urbaine en plein
cœur de New York dans des cabines prévues à cet effet. Les conflits
scandent malheureusement trop souvent cette année avec ses malheurs gravés
dans la chair ou l’âme de ces visages abattus, résignés ou révoltés.
Paradoxe d’un drap levé en signe d’espoir sur un champ de ruines devant un
camp de réfugiés palestiniens, éternels visages d’enfants victimes de la
folie guerrière des hommes, colère du Kenya après un vote ou une famine
oubliée, difficile de trouver des pauses d’humanité dans ces actualités
criantes. Quelques victoires tout de même avec l’équipe de France de
Football ou encore l’élan fou d’un jeune sans jambes rivalisant de
virtuosité au skate, ces petits riens ou un grand tout qui ont composé la
vie de nos semblables et la nôtre en cette année 2018.
Simone Zanoni : « Mon Italie », Éditions de La
Martinière, 2018.

Simone Zanoni, célèbre chef, aujourd’hui du non moins célèbre restaurant
étoilé Le George du George V – Four saisons - Paris, n’est plus à
présenter ! Paris, donc, après des années anglaises auprès de Gordon
Ramsay, puis à Versailles en qualité de Chef du restaurant du Trianon
Palace pendant plus de dix ans. Mais, si Simone Zanoni est connu pour son
exceptionnel parcours, c’est aussi et avant tout – à n’en pas douter –
pour l’excellence de son savoir-faire par lequel cet italien d’origine a
su acquérir cette notoriété enviée et que rien ne semble démentir.
Aujourd’hui, avec cet ouvrage, c’est ce savoir-faire d’excellence que le
chef Simone Zanoni entend partager avec vous, à vos côtés dans votre
cuisine et autour de votre table. Avec Simone Zanoni, c’est donc toute
l’Italie qui s’invite. « Mes racines sont en Italie bien entendu, là où
je suis né. C’est avec ma mère et ma grand-mère que m’est venu le gout
pour la cuisine. Je me souviens que je restais longtemps avec elles au
fourneau où j’apprenais progressivement les recettes traditionnelles de
notre pays, les ragouts, la manière de préparer les pasta, etc. »
aime-t-il rappeler. Non seulement une Italie ensoleillée, mais bien, son
Italie, « Mon Italie », ainsi que le souligne le titre même de cette bible
de la gastronomie italienne. Une gastronomie italienne toute de couleurs
et de saveurs qu’il décline passionnément de plat en plat, des entrées ou
antipasti jusqu’aux desserts, ces dolci si doux à l’oreille comme au
palais. En tout, pas moins de 120 recettes, ses recettes, exposées de
manière concise et claire, et servies par de splendides photographies
signées Jean-Claude Amiel. Chaque page est un régal pour les yeux et une
promesse de plaisirs à renouveler. Pâtes, risotto, pizza, etc., chaque
recette révèle tout le talent et la passion du bien-faire de ce chef à la
personnalité généreuse et attachante. Mais, le chef Simone Zanoni,
conscient avant toute prouesse de l’importance des produits même, de leur
qualité, choix et préparation, n’a pas hésité à consacrer une première
partie de son ouvrage aux produits de base. Italien d’origine et de cœur,
ce sont aussi les différentes régions de son pays avec leur spécificité et
leurs spécialités dans lesquelles il nous emmène en de véritables
reportages. Ce sont ainsi toutes les saveurs gorgées de soleil de la
gastronomie italienne, en des recettes accessibles, que nous livre par cet
ouvrage le célèbre Chef Simone Zanoni.
Stella Paul : « L’histoire de la couleur dans
l’art », Éditions Phaidon, 2018.

Un ouvrage passionnant et haut en couleur ! Notre monde habitué
aujourd’hui à la couleur dans tous les domaines, n’en ignore plus la force
évocatrice, mais en connaît-on vraiment les significations, et ce plus
particulièrement dans le domaine de l’art ? Pour répondre à cette
interrogation et nous éclairer, Stella Paul explore dans cet ouvrage la
longue histoire de la couleur ou plus exactement des couleurs dans celle
de l’art ; Quelles sont ou ont été dans l’histoire de l’art les émotions
suscitées et le langage des couleurs ? Dans cette histoire qui s’écrit,
l’auteur convoque œuvres, courants, théories et même découvertes
scientifiques. Les couleurs, il est vrai, ne se laissent pas cernées si
facilement, leur langage va bien au-delà d’une classique sémantique ;
valeur symbolique, rapport à l’espace, relation avec la lumière,
métamorphoses, communication subliminale… Qui plus est, ainsi que le
souligne l’auteur, « Toutes les couleurs ne sont pas égales et leurs
valeurs changent selon le contexte culturel et temporel. » Que nous
disent les couleurs dans les œuvres d’art au fil des siècles ? L’or des
icônes, le bleu de Pablo Picasso, les couleurs du bonheur d’un Matisse ou
celles du Maître des impressionnistes que fut Monet ?
Pour ce thème captivant, l’auteur a choisi de traiter la force
d’expression de chaque couleur prise une à une, du rouge au noir, en
passant par l’or distinct du jaune, bien sûr, ou encore le gris… Que
révèle ce rouge écarlate, ce vermillon ? Pigments aux multiples mystères
qui furent longtemps étroitement liés à alchimie, il garde encore dans
l’art une profonde force symbolique. Nombre de couleurs révèlent aussi un
pouvoir contradictoire, presque versatile, tel le vert. Certains pigments
peuvent même changer parfois du tout au tout lorsqu’on y ajoute une autre
couleur, on pense notamment au rose ou encore aux multiples nuances de
gris, gris-jaune, gris-bleu...
Pour cet ouvrage, Stella Paul n’a pas hésité à partir de loin, de très
loin même avec les premiers hominidés et les couleurs pariétales ; la
couleur étant « au cœur de l’art depuis que les premiers hominidés ont
extrait de l’ocre du sol et qu’ils ont appliqué des pigments sur des os,
sur des parois des cavernes et, sans doute sur d’autres surfaces,
aujourd’hui disparues », souligne l’auteur qui n’a pas hésité non plus
à retenir pour ce nuancier approfondi comme premier chapitre cette
couleur-mère de toutes les couleurs, « Les couleurs de la terre ».
Appuyé par une riche iconographie, cet ouvrage ne manquera pas de trouver
bonne place dans les bibliothèques des amateurs des arts.
Les Triomphes de Pétrarque illustrés par le
vitrail de l'Aube au XVIe siècle 100 vitraux de l'Aube du XVIe siècle, 336
pages, illustrées, au format 24,5 x 33 cm, 1 volume sous coffret, Editions
Diane de Selliers, 2018.

Pétrarque subit avec Dante les conséquences des luttes florentines entre
guelfes et gibelins. Tous deux furent en effet exclus de la grande cité,
et leur exil donnera naissance aux plus belles pages de la poésie
italienne du trecento. Pétrarque est né en 1304 à Arezzo près de Florence,
mais son père ayant été éloigné comme indésirable, le jeune homme ira de
ville en ville du sud de la France Avignon, Carpentras, Montpellier et
Bologne. Sa rencontre avec Laure marquera définitivement l’âme du jeune
homme, à l’image de Béatrice pour Dante. La muse se métamorphosera et
inspirera le génie poétique de celui qui ne cessera de décliner les vers
de cet amour impossible. Humaniste complet avant la Renaissance, sa soif
de découvrir les sources antiques comme les Pères de l’Église n’a d’égale
que son élan pour soutenir la papauté romaine contre Avignon.
 
Diane de Selliers rêvait de réunir dans ses éditions les trois couronnes
de la littérature italienne que représentent Dante, Boccace et Pétrarque.
Défi relevé puisque après les deux premiers, c’est aujourd’hui au
troisième illustre nom d’entrer dans la prestigieuse collection « Les
Grandes Rencontres » avec l’une de ses œuvres allégoriques majeures
Les Triomphes. Bien que s’inspirant du modèle antique du triomphe
militaire romain - Pétrarque était un familier de Cicéron et mourut en
traduisant César – le poète écrivait pourtant en langue vulgaire toscane.
Un choix qui révèle sa quête ? Toute sa vie, en effet, le poète cherchera
à convaincre ses contemporains d’évoquer le thème amoureux d’une manière
différente de ce qui se pratiquait jusqu’alors. La subjectivité et la
sensibilité extrême enlacent toute sa poésie :
« Je vis à quel servage, à quel supplice, à quelle mort qui tombe
amoureux court »…
L’Amour, la Chasteté, la Mort, la Renommée, le Temps et l’Éternité
scandent Les Triomphes, ce long poème né d’un songe un jour au pied
d’un arbre… Triomphes , dans lequel à chaque vers, chacune de ces
allégories, en un long écho, tente de supplanter les autres du haut d’un
char à l’antique.

L’amour pour
Laure nourrit en filigrane cette longue respiration entreprise dès 1338 à
34 ans, et qui demeurera d’ailleurs inachevée à sa mort en 1374. Voyage
initiatique, c’est lorsque le poète ferme les yeux que son regard se fait
le plus lucide en s’ouvrant vers l’Éternité et l’amour sacré. Cette œuvre
connaîtra une postérité remarquable aux siècles suivants et inspirera un
grand nombre d’œuvres d’art. Cette exceptionnelle édition a retenu l’angle
original des vitraux pour l’illustration, et parmi eux un lieu méconnu,
celui de la baie d’Ervy-le-Châtel dans l’Aube près de Troyes. Ces vitraux
du XVIe siècle forment la seule œuvre de ce genre à illustrer Les
Triomphes de Pétrarque, ce qui laisse à penser que le manuscrit du
poète a bien voyagé jusqu’à ces contrées septentrionales pour inspirer un
talentueux maître -verrier.

Il faut en
tournant ces pages ne pas oublier les difficultés qu’ont pu rencontrer le
photographe Christophe Deschanel et la conservatrice Flavie Vincent-Petit
pour capter l’essence même d’un vitrail, véritable jeu de cache-cache avec
la lumière, les surfaces et les profondeurs. Ce sont ces choix de détails
originaux, de cadrages artistiques qui viennent par magie renforcer encore
cette impression de dialogues étroits noués entre l’œuvre et le vitrail ;
ces « Goûts réunis », leitmotiv du travail des éditions Diane de Selliers
depuis leur création. Ainsi, ce dialogue terrifiant du Triomphe de la mort
avec ce détail du vitrail où la mort couronnée reflétée par un miroir
répond aux vers du poète :
« Or je consens à te faire honneur
que je n’ai point coutume d’accorder :
tu passeras sans peur et sans souffrance »
Les Éditions Diane de Selliers ont fait appel pour cette traduction
inédite des Triomphes au poète Jean-Yves Masson. Ce dernier a pour
celle-ci retenu la régularité du rythme avec le choix du décasyllabe aux
fins de rester au plus près de l’ hendécasyllabe italien de Pétrarque. Les
choix opérés par Jean-Yves Masson visent à inscrire ce texte classique en
notre siècle et accessible à nos contemporains. Point d’archaïsme, subtil
équilibre entre l’héritage du poète et la vue de cette poésie au XXIe
siècle, laissant loisir aux puristes de passer de la traduction au texte
original placé en vis-à-vis.
A cette traduction, s’ajoute un véritable appareil critique dont les
introductions signées également Jean-Yves Masson et Paule Amblard (que nos
lecteurs connaissent pour son livre remarqué « Un pèlerinage intérieur »)
et qui explore l’univers symbolique de la baie d’Ervy-le-Châtel comme une
initiation, et des textes passionnants signés Flavie Vincent-Petit
consacrés à l’âge d’or du vitrail champenois. Que pouvait-on rêver de plus
pour une telle édition d’exception ?
MEIJI - Splendeurs du Japon impérial sous
la direction de Sophie Makariou et Nasser D. Khalili, MNAG Liénart
Editions, 2018.

Il serait
réducteur de présenter l’ère Meiji comme une pure ouverture du Japon à la
fin du XIXe siècle sur le monde balayant d’un revers de Kimono toute la
tradition sur ce passage. Et si ce détail d’une paire de paravents peints
par Ando Jûbei trahit quelques concessions à la modernité, ces impressions
cotonneuses de palais enneigés et ce silence à peine troublé par
l’irisation de l’onde par les carpes représentées relèvent cependant des
codes classiques hérités du Japon traditionnel. C’est donc avec mesure et
bien des nuances qu’il faudra aborder cette période charnière du Japon,
ainsi qu’en témoigne le catalogue de l’exposition qui en révèle toutes les
splendeurs. Aucune société, même la plus soumise, n’a su balayer ses
acquis culturels par l’influence de courants extérieurs, surtout lorsqu’il
s’agit du Japon, toujours volontaire pour observer et adapter, sans pour
autant abandonner ses traits culturels classiques, même dans la plus
grande modernité.
Et si le droit
romain abordera les rives du pays du Soleil Levant en son Code civil et
que le katana ne sera, plus guère porté sur la hanche gauche du samouraï,
la fascination pour le mont Fuji dont témoigne le même Jûbei, maître du
cloisonné, en dit long sur les permanences culturelles d’un pays à la
longue et riche histoire. Le Japon produira certes en masse pour
l’Occident avec toutes les dérives que comporte ce genre de massification
de l’art, mais gardera cependant et préservera tout une portion de cette
production plus réussie et plus soignée pour des acquéreurs japonais.
Académies et institutions vont alors concurrencer le modèle traditionnel
reposant sur la relation maître (sensei) et disciple. Des estampes
se colorisent à souhait, révélant des vêtements à l’occidentale, les «
longs nez » font leur apparition dans les représentations, les codes
s’élargissent pour un Japon qui s’industrialise de manière étonnante si
l’on considère ses codes féodaux à peine consumés. Le lecteur appréciera
aussi le renouveau cloisonné résultant de ces mutations.
Un style et avec
lequel l’occidental a depuis longtemps entretenu une certaine attirance et
familiarité due notamment au Japonisme déferlant en Occident
concomitamment et faisant le bonheur des premiers collectionneurs et
esthètes tels les Goncourt ou encore l’esthète et dandy Robert de
Montesquiou qui n’hésita pas, dès la fin du XIXe siècle, à employer les
services d’un jardinier venant tout droit du Japon... C’est tout un pan de
l’Histoire du Japon moderne qui se dévoile dans ces pages colorées et
riches d’enseignements, du point de l’Extrême-Orient, comme de l’Occident.
« Ando. L’œuvre complet de 1975 à nos jours » de
Philip Jodidio, relié, 30,8 x 39 cm, 740 pages, Taschen, 2018.

Il fallait une
édition à l’envergure de celle du grand architecte japonais pour lui
rendre l’hommage que son art mérite. Un défi relevé avec esthétique et
élégance, comme il se devait, par les éditions Taschen avec ce monumental
ouvrage intitulé simplement « Ando. L’œuvre complet de 1975 à nos jours ».
L’ouvrage offre à l’amateur de belles architectures toute la quintessence
de cet artiste dont les plus belles réalisations se trouvent présentées
dans ce luxueux ouvrage de taille impressionnante 30,8 x 39 cm.
Somptueuse, cette monographie sous la plume avisée du spécialiste Philip
Jodidio permet chapitre après chapitre une découverte intime du travail de
l’architecte. Le nom de Tadao Ando est suffisamment connu de par le monde
pour ne pas rappeler son parcours si ce n’est qu’il est le seul architecte
à avoir remporté les quatre plus prestigieuses distinctions de son art :
les prix Pritzker, Carlsberg, Kyoto et le Praemium Imperiale. Débutant
dans la boxe, puis autodidacte en architecture, cet homme au parcours
singulier n’a pas cessé sa vie durant de sortir des chemins battus.

Inspiré par la sensibilité de son pays d’origine, Ando a su puiser ses
sources d’inspiration dans la notion d’espace qu’il perçoit comme une
sagesse physique. Ses créations sont souvent présentées comme des haïkus
architecturaux pour leur minimalisme concentrant l’essentiel des choses et
des espaces et où la lumière rythme la matière, le béton lisse notamment.
L’architecture conçue par Ando voit converger la dimension humaine aux
volumes géométriques simples, les accords nature-espace-matière.
L’architecte Ando a forgé son style par une observation incessante des
différentes architectures afin d’y privilégier cette harmonie entre la
construction et la joie ressentie par ses habitants en son sein. Ando a
ainsi réussi à faire reculer les limites du rapport dimension, hauteur,
surface et volumes tridimensionnels, laissant toujours la lumière lier ces
éléments dans sa diversité.

Plus de 700 pages dressent ainsi le parcours de cette carrière foisonnante
depuis le milieu des années 70 jusqu’aux toutes dernières créations de
l’architecte avec le Poly Theater de Shanghai et le Clark Center du Clark
Art Institute de Williamstown (Massachusetts). L’origine, les plans
architecturaux ainsi que de splendides photographies des plus belles
constructions sont ainsi proposés qu’il s’agisse de résidences privées,
d’églises, de musées ou d’espaces culturels dans les pays du monde entier
en format XXL.

Également disponible en une Édition d’art limitée à 100 exemplaires,
comprenant un dessin original signé par Tadao Ando
« Gravure en clair-obscur. Cranach, Raphaël, Rubens » sous la direction
de Séverine Lepape, département des Arts Graphiques du musée du Louvre,
19,7 x 25 cm, 224 pages, 150 illustrations, broché avec grands rabats,
Coédité avec le musée du Louvre, Lienart éditions, 2018.

Entrer dans la matérialité de l’œuvre, tout en s’en éloignant suffisamment
pour mieux en juger la portée, voilà le fil directeur qui anime les
auteurs de ce catalogue « Gravure en clair-obscur. Cranach, Raphaël,
Rubens » accompagnant idéalement l’exposition du musée du Louvre « Gravure
en clair-obscur ». Ce jeu de proximité et d’éloignement, parallèle à celui
de l’ombre et de la lumière, offre non seulement une meilleure
compréhension de l’art d’une époque, mais invite également à de nouvelles
recherches sur les usages des encres, des couleurs grâce à des procédés
d’investigation scientifique tels que cela ressort dans l’impressionnant
tableau joint en annexe du projet CLARO. Ce remarquable catalogue
s’inscrit également dans la collection « Arts graphiques / Musée du Louvre
» initialement présentée dans nos colonnes avec « À l’ombre des
frondaisons d’Arcueil » jusqu’à l’avant-dernière publication consacrée aux
dessins d’Israël Silvestre.

Monogrammiste ND_Sainte Famille avec sainte Elisabeth gravure en couleur
PD W-4-27The Trustees of the British Museum
Séverine Lepape,
commissaire de l’exposition, dresse un tableau des nouvelles recherches
autour des estampes en clair-obscur, insistant justement sur les avancées
de la recherche quant à cette matérialité des estampes en couleur depuis
une vingtaine d’années. Peter Fuhring, quant à lui, évoque cet art de la
collection de l’estampe en couleurs en France avec bien des noms passés à
la postérité tels Marolles, Rothschild, Lugt sans oublier Pierre Jean
Mariette qui a également laissé son nom à sa fameuse collection. Vanessa
Selbach retrace le gout pour l’estampe en couleurs en France dans le
premier tiers du XVIIe siècle, période de transition importante du bois à
la taille-douce sur cuivre. La deuxième partie de cet ouvrage abondamment
illustré reproduit les feuilles présentées dans l’exposition accompagnées
de notices complètes, une agréable manière de prendre son temps, avant ou
après l’exposition, afin de mieux explorer cet univers de nuances infinies
si bien évoqué dans ces pages.
« Les premiers voyageurs photographes ; 1850-1914
», sous la direction d’Olivier Loiseaux, préface de Jean-Robert Pitte,
textes d’Olivier Loiseaux et Gilles Fumey, co-éditions BnF, Société de
géographie et Editions Glénat, 2018.

C’est à un fabuleux voyage autour du monde et dans le temps auquel nous
convie ce bel ouvrage réalisé sous la direction d’Olivier Loiseaux,
conservateur en chef du département des cartes et plans à la Bibliothèque
nationale de France. Un voyage privilégié dans l’espace-temps grâce à ces
clichés pris, il y a plus d’un siècle voire presque un siècle et demi,
entre 1850-1914, par des voyageurs photographes (explorateurs, savants,
aventuriers, militaires, missionnaires…) et auxquels l’ouvrage rend par
ces pages un bel hommage.
De par l’esthétique même de ces photographies anciennes, pour nombre
prises dans des situations extrêmes, nous mesurons combien ces
photographes voyageurs, professionnels ou non, avaient déjà acquis une
maîtrise impressionnante de la technique photographique. Certains clichés
sont l’œuvre de célèbres photographes tels Felice Beato, Désiré Charnay,
Timothy O’Sullivan ou encore William Henri Jackson, dont un des clichés,
pris dans ces hauteurs rocheuses que l’on devine vertigineuses, a été
retenu pour couverture de l’ouvrage. C’est en effet une étonnante
esthétique intemporelle que nous révèlent ces photographies d’un temps
ancien, déjà lointain, notamment celles de Philippe Remélé du désert de
Libye, de Victor Deporter de la citadelle de D’El Goléa dans le Sahara
algérien. Les clichés d'Édouard Joseph Bidault de Glatiné nous content
encore aujourd’hui les rêves d’un Arthur Rimbaud au pays Harrar en
Éthiopie en 1888, les inoubliables photographies des charmes de
Constantinople en 1860 des frères Habdullah devancent quelque peu les
célèbres pages de Pierre Loti, et les clichés de Julien Thoulet en Terre
Neuve ou de William Libbey en Alaska, évoquent encore l’histoire devenue
légendaire « Des derniers rois de Thulé »…
Rangés par continent puis par région, apparaissent alors aux yeux du
lecteur ces pays, paysages ou scènes d’un autre temps tels ces horizons
époustouflants de la fin du XIXe siècle d’Angkor et signés Louis Lucien
Fournereau ou ceux de Perse, d’Inde, d’Arizona ou ceux peut-être plus
époustouflants encore du Colorado de Timothy O’Sullivan. Des clichés du
Canal de Suez en construction, de New York ou du Queensland au tournant du
siècle dernier, nous rappellent également combien ces hommes du XIXe et
début du XXe siècle avaient foi dans un progrès - dont nous connaissons
aujourd’hui les limites, mais qui conduisit non seulement ces voyageurs,
professionnels ou non, à utiliser avec conviction et talent cette nouvelle
technique, la photographie, mais aussi à en explorer avec audace de
multiples variantes ( Tirages albuminés, sur verre, positifs de projection
ou encore cyanotypes). Une audace pleine de promesses qui, bousculant
quelque peu peintres et peinture, donnera à la photographie ses lettres de
noblesse légitimant la naissance d’un nouvel art.
Si ces aventuriers d’un autre siècle ont ainsi pu transmettre à leurs
contemporains, connaissances, sciences et cultures, ce sont aussi par ces
mêmes clichés extraordinaires qu’ils nous lèguent aujourd’hui encore, à
nous homme du XXIe siècle, ce siècle de la fiction et des voyages
virtuels, les traces de civilisations ou de paysages pour nous méconnus ou
aujourd’hui disparus.
Avec une préface de Jean-Robert Pitte, président de la Société de
géographie, et des textes signés Olivier Loiseaux et Gilles Fumey,
professeur des universités, docteur en géographie et chercheur au CNRS,
l’ouvrage offre ainsi à ses lecteurs de fructueux regards croisés mêlant
géographie, histoire, ethnographie, architecture… Cette belle réalisation
n’aurait, enfin, pas été possible sans les fabuleuses collections de la
Société de géographie de Paris, la toute première Société de géographie de
par le monde, fondée en 1821, et dont la bibliothèque ne regroupe pas
moins de 145 000 photographies. C’est à cette Société de géographie que
les auteurs ont souhaité dédier le dernier chapitre.
Un ouvrage offrant au lecteur de merveilleux souvenirs d’un voyage inédit
de par le monde et le temps en compagnie de voyageurs photographes de
jadis aux rêves aussi grands que leur talent.
Cités millénaires - Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, ouvrage
collectif sous la direction d'Aurélie Clemente-Ruiz, Hazan, 2018.

Si l’exposition actuellement proposée à l’IMA sur
les cités millénaires donne la priorité à la réalité virtuelle, et donc au
numérique, le présent catalogue sur papier aura également toute sa place
afin de mieux situer cette extraordinaire aventure dans son contexte
scientifique, archéologique et culturel. Ainsi que le souligne en
ouverture Audrey Azoulay, présidente de l’Unesco, les conflits qui
déchirent une partie du monde arabe ont été source d’incommensurables
souffrances humaines et d’atteintes irréversibles au patrimoine culturel
de leurs pays. La réalité virtuelle ne peut, certes, remédier à tout cela,
mais elle offre cette possibilité d’une action de mémoire indéniable à
l’heure où les réflexes des nouvelles générations se réalisent plus à
partir d’une démarche audiovisuelle que littéraire. C’est le contexte de
ces quatre régions concernées par l’exposition, que sont Mossoul, Alep,
Palmyre et Leptis Magna qui se trouve ainsi complété dans ces pages
informées. Véritable état des lieux de ces sites, l’ouvrage a donné la
parole à de nombreux témoins ayant vécu ces bouleversements, qu’il
s’agisse d’archéologues, d’historiens, mais aussi d’architectes, écrivains
ou poète notamment le poète Adonis. Évocations des contextes historiques,
focus sur tel ou tel bâtiment, questions fondamentales posées telle celle
de la reconstruction de Palmyre, nombreux sont les angles qui complètent
idéalement la visite virtuelle proposée par l’IMA avec l’exposition Cités
millénaires - Voyage virtuel de Palmyre à Mossoul.
« Picasso bleu et rose » Catalogue officiel de l’exposition au musée
d’Orsay du 18 septembre 2018 au 6 janvier 2019, Hazan, 2018.

« J’ai voulu être peintre et je suis devenu Picasso », qui d’autre
que le peintre pouvait mieux illustrer le 4e de couverture du catalogue
publié à l’occasion de l’exposition du musée d’Orsay « Picasso, bleu et
rose » ? Picasso s’avère en effet la plus belle illustration de
consentement à son destin en devenant lui-même dans son art, et non un
peintre académique de plus tel que l’eut plus probablement souhaité son
père. Or cette métamorphose s’accomplit très tôt dans le parcours de
l’artiste, lors de ces années qualifiées de bleu et rose, ces couleurs
devenues « période » dans l’œuvre de l’artiste et qui, en effet,
prédominent dans ce très beau catalogue à l’iconographie abondante.
Réalisé sous la direction de Laurent Le Bon, l’ouvrage explore ces années
cruciales du début du XXe siècle allant de 1900 à 1906, six années
seulement qui tissent la trame de la tapisserie monumentale à venir et
dont l’artiste allait étendre toutes les possibilités tout au long de sa
carrière. « La première étincelle d’un feu d’artifice » telle est
l’autre métaphore employée par les auteurs pour cet artiste hors-norme qui
écrivit son destin en une mission si personnelle qu’elle ne convainc à ses
débuts que l’ artiste, lui-même, déroutant même ses proches.
Face au « succès
Picasso » dont l’exposition et le catalogue témoignent, on oublie trop
souvent les phases d’extrême solitude et de désespoir qu’eut affrontées
l’artiste devant l’incompréhension générale jusqu’au cercle de ses amis
les plus intimes. Les différentes contributions insistent sur cette idée
de continuum quant à ces influences bleues et roses au lieu d’une
conception cloisonnée, ces fils, une fois de plus restant tissés dans la
trame picassienne de manière inexorable. Qu’il s’agisse de l’entretien
avec le spécialiste John Richardson ou du journal de ces premières années
du siècle dans la capitale française pour le jeune artiste, c’est une
connaissance presque intime qui est donnée au lecteur de ce qui composera
le paysage intellectuel, artistique et émotionnel de Picasso, entre musées
et galeries, misère et vie nocturne, sans oublier les amis omniprésents.
Nous tournons les pages de ce Journal, année après année, voyant ces
évènements cruciaux surgirent dans la vie de l’artiste comme cette année
1901 qui vit le suicide de son meilleur ami Casagemas, et qui aura un
impact si important sur la couleur bleue prédominante dans l’œuvre de
l’artiste, couleur froide synonyme de mort avant que le rose et l’ocre-rose
n’adviennent. Quelques touches de couleurs égaient encore sa création avec
La Naine et L’Attente, mais ces dernières laissent déjà
entrapercevoir une vision tragique de la vie, manifeste dans La Buveuse
d’absinthe dont les plaisirs apparaissent mortifères. Au terme de
cette abondante somme, le lecteur réalisera combien certaines périodes –
six années seulement – peuvent contenir en germe une abondante moisson
présente et à venir, c’est toute la réussite de cette exposition et de ce
catalogue qui l’accompagne.
"Freud. Du regard à l'écoute" sous la direction de Jean Clair, 336
pages, ill., sous couverture illustrée, 190 x 240 mm, cartonné, Coédition
Gallimard / Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, 2018.

Comment les sciences, l’art et la spiritualité convergent avec la
psychanalyse à partir de la figure centrale de Sigmund Freud, médecin
viennois né au milieu du XIXe siècle et mort à Londres, après avoir fui
tardivement et malade, Vienne, l’Allemagne et la tragédie de la Shoah ?
Fort d’une iconographie remarquable, c’est à partir de cette forte et
riche personnalité, fondatrice de la psychanalyse, la replaçant dans son
temps, que l’ouvrage étudie ces différents angles. Même si Freud se
qualifiait de « juif tout à fait sans Dieu », ainsi que le rappelle
le directeur du mahJ, Paul Salmona, le judaïsme demeure pourtant
indissociable d’un grand nombre de traits marquant ayant conduit à la
naissance de la psychanalyse, dont la méthode interprétative. Jean Clair,
en ouverture, souligne également l’importance du cadre viennois pour la
naissance de la psychanalyse, un bouillonnement culturel propice à une
exploration du bouillonnement de l’inconscient. Une ébullition des idées
ayant conduit à tous les possibles, aux fantaisies les plus incroyables,
étudiées dans une riche contribution par Laura Bossi.

Une leçon clinique à la Salpêtrière, André Brouillet,
1887 Huile sur toile, 300 x 425 cm
Qu’il s’agisse
du principe de biogénétique fondamental développé par Ernst Haeckel aux
rapprochements phylogénétiques opérés par Freud entre psychanalyse,
anthropologie et ethnologie, ces éléments se devaient de retrouver leur
juste place.
"L’art et la science
d’Ernst Haeckel »
Lire
notre chronique
La place
justement des images, analysées également dans une riche contribution par
Philippe Colmar, s’avère essentielle dans ses rapports avec la
psychanalyse, entre ce qui est montré et suggéré, explicite ou refoulé.
Exposer un motif, c’est s’exposer, surtout lorsqu’il s’agit de
représentations à connotations sexuelles. Le judaïsme chez Freud nourrit
bien des réflexions, objet de la présente exposition au Musée des arts et
d’histoire du Judaïsme, ainsi que l’illustre la contribution de Gérard
Haddad.
À la lecture de
cet essai, l’empreinte du judaïsme sur cette science naissante au XXe
siècle est bien moins ténue qu’il n’y paraît, même si la volonté expresse
de son fondateur de les dissocier a certainement joué dans cet éloignement
apparent. Nombreux seront les angles proposés pour mieux comprendre la
place de Freud et cette pensée fondatrice, passionnante et foisonnante du
père de la psychanalyse : Freud neurobiologiste, évolutionniste, amateur
d’art, explorateur des rêves et de la sexualité… avant d’aborder au final
une sélection de textes réunis en anthologie sous la signature d’auteurs
tels Ernst Gombrich, Jean-Bertrand Pontalis, Yosef Hayim Yerushalmi et
bien d’autres encore contribuant à une meilleure connaissance de cette
figure intellectuelle majeure du siècle passé. Un ouvrage qui ne pourra
que passionner et susciter la curiosité des professionnels, mais aussi de
tout à chacun ouvert à la pensée de Freud ou curieux de psychanalyse.
"Londres" de Florence Bourgne, Jacques Carré et
Jean-Claude Garcias, Citadelles & Mazenod, 2018.

Londres, ville familière même lorsqu’elle n’a pas encore été arpentée, et
secrète tant qu’elle n’a pas été vécue de l’intérieur, n’a de cesse
d’attirer à elle comme un joyau aimanté. Étirée tout au long de la Tamise,
fleuve emblématique de son identité, Londres est plurielle, non seulement
dans la géographie de ses quartiers, mais également quant aux multiples
sensibilités qui s’y côtoient. Les trois auteurs, universitaires et
amoureux de la capitale anglaise, offrent avec ce bel ouvrage plus qu’une
mémoire de la ville anglaise, une visite d’exception. Avec plus de 500
reproductions, c’est au cœur de la ville et de ses périphéries qu’ils ont
su plonger pour capter ses pulsations, secrètes pour certaines, familières
pour d’autres. Si l’idée de centre est toujours délicate pour Londres, il
demeure cependant des pôles définis par leur histoire et leur culture. Le
centre politique bien entendu, certainement le plus connu
internationalement pour ses icônes architecturales avec Westminster, mais
aussi le West End et Camden pour leurs célèbres grands magasins et
institutions culturelles, sans oublier Mayfair pour ses galeries tout
aussi réputées. Les premières reproductions donnent la tonalité de cet
ouvrage magnifique avec l’incontournable brume sur Big Ben et la Tamise,
l’enchevêtrement inextricable d’architectures de différents siècles où la
modernité surgit de manière impromptue des habitations de naguère.
Car il ne faut
jamais oublier les racines médiévales de la cité qui irriguent encore
inconsciemment ses habitants, ses rues, avenues et ses quartiers. Déjà, en
ces temps reculés, la capitale est cosmopolite et culturelle, une
diversité qu’elle n’a cessé de préserver depuis, et l’image d’Épinal d’un
blouson de cuir côtoyant un costume trois-pièces de Saville Row n’est pas
si éculée… Les auteurs invitent le lecteur à découvrir cette riche
Histoire sans laquelle la connaissance de la ville demeurerait toujours
imparfaite, les origines du commerce, les lieux de pouvoir, la place des
artistes et l’esthétique selon les époques, tout fait signe à Londres,
même plusieurs siècles après les ravages causés par la Seconde Guerre
mondiale. Le lecteur plus pressé, à la veille de son voyage, jettera son
dévolu sur ce chapitre plus proche de nous « Du modernisme au
postmodernisme", un chapitre dressant en une centaine de pages un
portrait concis et complet de Londres telle que le visiteur peut la vivre
aujourd’hui. Mais il reviendra à n’en pas douter à cette Histoire si
prégnante chez ce peuple un brin traditionaliste dans une âme ouverte aux
changements, une alchimie qui échappe souvent au continental venu de
l’autre côté du Channel et que ce bel ouvrage contribue à mieux
comprendre.
« Picasso Chefs-d’œuvre ! » collectif sous la direction de Coline
Zellal, Musée Picasso Paris - Éditions Gallimard, 2018.

Quel est le rapport de Picasso au concept de
chef-d’œuvre ? À partir de cette interrogation riche et fertile chez
l’artiste le plus connu du XXe siècle, le présent catalogue a proposé
plusieurs pistes de recherche. Si les témoignages directs manquent sur la
manière dont Picasso pouvait considérer lui-même ce rapport, Émilie
Bouvard rappelle en introduction que l’artiste était néanmoins soucieux de
sa réception et qu’il établissait une hiérarchie parmi ses créations en
conservant certaines d’entre elles tout au long de sa vie. L’homme était
cependant particulièrement conservateur, non seulement en matière
d’œuvres, mais aussi à l’égard de toutes sortes d’objets qui croisaient sa
vie.
Alors,
rechercher ce qu’il avait pu juger réussi est une tâche ardue qui dépasse
le « cadre » de l’artiste, pour l’élargir à sa réception par la critique,
le public et la postérité. Les notions de séries compliquent encore cette
approche, à partir de quand un chef-d’œuvre répété garde-t-il ce caractère
? Question délicate si l’on songe aux nombreux Arlequins et
Baigneuses réunies dans ces pages. La frénésie créatrice de Picasso
peut laisser entendre que l’ultime chef-d’oeuvre relève plus d’une quête
de l’absolu inatteignable qu’une réalité concrète du quotidien de
l’artiste. C’est pour mieux appréhender cette question que le parcours
conçu par l’exposition offre de circonscrire l’œuvre de Picasso quant à sa
réception sur près d’un siècle. L’impressionnante iconographie réunie dans
ces pages montre combien cette réception participe à l’élaboration du
chef-d’oeuvre, une œuvre rangée au statut iconique parfois comme pour
Les Demoiselles d’Avignon et Guernica, plus discrète pour
d’autres, mais non moins importante pour l’artiste. Il apparaît vite que
le peintre, sculpteur, graveur dépasse la notion même de chef-d’œuvre
matérialisé par une œuvre unique pour lui donner une dimension qui
transcende l’espace et le temps à partir de sa création, sans cesse
renouvelée tout au long de sa vie. La flamme vive de son regard démontre
qu’il cherchait quelque chose dont il avait la prescience et dont il se
rapprocha toute sa vie. L’a-t-il atteinte ? Son œuvre et ce riche
catalogue contribueront peut-être à s’approcher au plus près de la
réponse.
"André Gide, André Malraux. L’amitié à l'œuvre
(1922-1951)" un livre de Jean-Pierre Prévost, avec la collaboration de
l'Alban Cerisier, avant-propos de Peter Schnyder, Coédition Gallimard /
Fondation Catherine Gide, 2018.

La rencontre entre André Malraux et André Gide, entre ces deux André, ces
deux écrivains ayant, et l’un et l’autre, laissé leur nom à la postérité
littéraire du XXe siècle, a lieu en 1922. À cette date, André Malraux n’a
que vingt et un ans, et un avenir prometteur comme le juge son aîné, André
Gide, qui lui, a dépassé la cinquantaine, et demeure intrigué par le
talent précoce du jeune homme. Ce sera le début d’une longue amitié, une
estime mutuelle sur une trentaine d’années, ayant pour cadre principal les
éditions Gallimard et plus particulièrement la NRF. André Malraux entre en
effet dans la célèbre maison grâce à cet appui prestigieux et offrira en
retour une collaboration active, non seulement en tant que directeur
artistique, mais aussi membre du comité de lecture dès 1928, et le jeune
écrivain dirigera l’édition des œuvres complètes de Gide. Une amitié
littéraire indéfectible qui se doublera d’un combat commun contre le
fascisme dans les années 1930. Les deux hommes feront également le fameux
voyage à Moscou avec, pour Gide, la désillusion évoquée dans son célèbre
livre Retour d’URSS. Malraux choisira, lui, la guerre d’Espagne et
le combat auprès des Républicains espagnols. Jean-Pierre Prévost a réussi
à faire revivre cette amitié par une abondante réunion de documents et
d’archives souvent inédits accompagnés d’une iconographie remarquable. Un
album mémoire de cette amitié tissée entre les deux intellectuels avant
tout à partir d’affinités littéraires dès les premières années, avec cet
amour indéfectible des livres. C’est un jugement sur l’œuvre de Gide d’une
étonnante maturité pour un jeune homme de cet âge qui scelle leur
rapprochement, un intérêt vite réciproque lorsque André Gide volera au
secours de l’imprudent téméraire, parti à Angkor pour un trafic illégal de
vestiges archéologiques et condamné à trois ans de prison par la justice
coloniale. Ce sera le point de départ d’une vaste réflexion sur la
politique coloniale des puissances européennes bien avant 1950, et qui
anticipera les futures crises de la décolonisation, ainsi qu’une critique
radicale des fascismes qui grondent avant 1940. La littérature s’inscrit
en un tout chez ces deux personnalités radicalement différentes, mais
toutes deux mues par une haute conception de l’écriture. Avec cet album,
ce sont d’inoubliables photographies d’époque du premier congrès des
écrivains soviétiques où nous voyons un André Malraux griffonner
nerveusement quelques notes, alors que quelques pages plus loin André
Gide, à un autre congrès au côté de son jeune ami, affiche un visage
stoïque… La Condition humaine en 1933 récompensé par le Goncourt et
Le Temps du mépris en 1935 consacrent le talent d’André
Malraux sans que cela n’affecte les relations entre les deux hommes. Au
lendemain de la guerre, si les rencontres entre les deux amis
s’espacèrent, les liens n’en restèrent pas moins solides. Seul bémol,
après la mort de Gide, Malraux s’agace de l’idolâtrie faite à son ami et
décline tout témoignage sur le vif. Un peu plus tard, cette réserve sur la
portée de l’œuvre de Gide se confirmera, non pour renier cette amitié,
mais pour souligner combien l’Histoire y faisait défaut. Une amitié
décidément exigeante jusqu’à son terme.
« La Beauté du Temps » de François Chaille,
Dominique Fléchon, 280 pages - 241 x 286 mm Couleur - Relié sous jaquette,
Flammarion, 2018.

Tempus fugit, l’adage est bien connu et nous sommes prévenus, et
pourtant nous courrons inlassablement après ce temps si évanescent…
Cependant, cette quête aussi vaine qu’infernale est loin d’être
contemporaine, déjà les Antiques s’interrogeaient tels Sénèque ou encore
Marc-Aurèle sur ce que nous faisions de ce temps imparti aux hommes,
synonyme de vie et de quête existentielle. Nul étonnement alors que depuis
les temps anciens, créateurs et autres inventeurs aient cherché à capter
d’une manière ou d’une autre ce temps notamment grâce cloches, campaniles,
puis les horloges, pendules, montres de poche, puis de poignet. François
Chaille et Dominique Fléchon sont partis à la recherche du temps, non
point dans la littérature, mais dans l’horlogerie proprement dite, celle
qui offre, elle aussi, un miroir toujours évocateur sur la manière dont
l’homme a appréhendé le temps, et a souhaité le dompter en des mécanismes
de plus en plus complexes et esthétiques. Les auteurs ont entrepris une
longue quête dont le point de départ est le temps des cathédrales, si cher
au médiéviste Georges Duby, et qui marque le cœur battant de la vie
quotidienne et spirituelle de cette époque. Cette pulsation se devait
d’être audible, ce seront alors ces magnifiques créations horlogères qui
donneront à entendre le temps des offices et des prières scandant les
journées. La Renaissance apportera, quant à elle, un vent d’ouverture
conduisant l’homme à s’interroger sur sa place dans le monde, un monde qui
voit ses frontières s’élargir et ose aborder l’inconnu. L’horlogerie a su
traduire cette audace, les complications horlogères se développèrent,
alors, marquant ce rien n’est impossible. Chaque siècle a apporté
son lot d’inventions, mais également sa propre esthétique, sans cesse
renouvelée, affinée, se faisant ainsi l’écho des plus belles créations
artistiques de leur époque. La somptueuse iconographie réunie par les
auteurs en témoigne de la manière la plus brillante. Comment ne pas
s’extasier sur cette montre de la duchesse de Luynes où or, argent, rubis
et jaspe, sans oublier les diamants bien sûr, composent le plus bel écrin
pour égrener les heures ? Les avant-gardes ne sont pas, eux aussi,
oubliés, avec des créations étonnantes traduisant tout autant les
évolutions technologiques qu’esthétiques, telles cette grande complication
de Patek Philippe ou cette non moins fastueuse montre-bracelet à heure
sautante pour femme d’Audemars Piguet… Nul doute alors que la raffinée
duchesse de Windsor, Wallis Simpson, ait jeté son dévolu sur cet esprit du
temps avec des créations qu’elle inspira à Van Cleef & Arpels notamment
cette fameuse montre cadenas. Le temps file, avons-nous dit, et ce bel
ouvrage nous emporte non point jusqu’à son terme, mais tout au moins vers
les créations les plus récentes de notre siècle, une belle manière de ne
point négliger l’une des données qui nous est la plus précieuse, ainsi
qu’en témoignent ces pages sur La Beauté du Temps.
Xavier Salmon « Pastels du musée du Louvre XVIIe – XVIIIe siècles »
format : 257 x 292 mm, 384 pages,Louvre éditions, Hazan, 2018.

Les détails des différents portraits réunis dans les premières pages de ce
magnifique livre édité par Hazan en coédition avec Louvre éditions donnent
immédiatement la tonalité de l’ouvrage : émerveillement et raffinement.
Émerveillement tout d’abord de la fraîcheur de ces œuvres que le temps
n’est pas parvenu à altérer, chose remarquable lorsque l’on sait la
fragilité de la poudre laissée par ces bâtonnets et les vicissitudes
qu’elles eurent à connaître avec la période révolutionnaire. Raffinement
aussi avec le soyeux de ces étoffes rendu par la main de l’artiste ou ces
regards pétillants captés à jamais par le geste du pastelliste. Xavier
Salmon va droit au but lorsqu’il rappelle avec raison qu’aucune collection
de pastels de ces XVIIe et XVIIIe siècles n’égale celle du Louvre.
Couvrant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, ces instantanés fragiles
reflètent l’esprit d’une société, celle de l’Ancien Régime, qui par ces
portraits semble encore vibrer devant l’œil du lecteur. C’est cette magie
qui capte immédiatement l’attention, le geste d’une main dont les veines
trahissent discrètement l’âge, un regard énigmatique dont on ne sait s’il
est complice ou distant, voire ironique, bruissement des étoffes
perceptibles au seul regard ou encore cette étonnante fraîcheur carnée de
Madame de Pompadour captée par Maurice Quentin de la Tour… Le Siècle des
Lumières scintille avec le génie de ses plus grands artistes qui se sont
essayés à cet art plus discret que la peinture à l’huile.

Perronneau Marie-Anne Huquier Musée du Louvre
©
RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
Cette magnifique
galerie défile au gré des pages avec les notices détaillées pour chaque
œuvre et ce plaisir de glaner au hasard de ses affinités tel portrait, tel
détail, telle sensation avec les pastels de Rosalba Carriera, Maurice
Quentin de la Tour, Jean-Baptiste Siméon Chardin, Jean-Baptiste
Perronneau, Jean Étienne Liotard, Jean-Marc Nattier ou encore Élisabeth
Louise Vigée Le Brun, sans oublier certains artistes moins connus comme
Marie-Suzanne Giroust, Adélaïde Labille-Guiard, Joseph Boze ou Joseph
Ducreux. Un ouvrage qui trouvera assurément une belle place dans les
bibliothèques.
« Les Impressionnistes à Londres, Artistes français en exil, 1870-1904
» catalogue de l’exposition sous la direction de Caroline Corbeau-Parsons
avec la collaboration scientifique d’Isabelle Collet, Editions Paris
Musées, 2018.

C’est un détail de l’œuvre fameuse de Claude Monet «
Le Parlement de Londres » peint au tournant du siècle qui illustre
la couverture du catalogue « Les Impressionnistes à Londres »,
rappelant ainsi le contexte de cette célèbre vue. Si Claude Monet avoue «
Je dois reconnaître que le climat est des plus surprenants : les
merveilleux effets que j’ai pu voir durant les deux mois passés à observer
sans cesse la Tamise sont incroyables », il ne faut pas oublier que ce
jugement n’est pas celui d’un artiste en voyage d’agrément mais d’un exilé
forcé de quitter son pays. Quittant la France en guerre, ces artistes de
cette fin de siècle en mal d’acheteurs et de commandes trouvent dans ce
pays d’accueil non seulement de nouvelles sources d’inspiration ainsi
qu’en témoigne le jugement de Claude Monet également de nombreuses
relations utiles à leurs affaires grâce aux réseaux d’artistes déjà
installés. Daubigny, Legros précèdent en effet Monet, Pissarro, Tissot et
Sisley accompagnés de sculpteurs tels Carpeaux, Dalou, Rodin… un nombre
suffisamment important pour que cette période anglaise ait eu une
influence sur chacun d’entre eux, ce dont témoignent les articles réunis
dans ce riche catalogue. Entre la chute du Second Empire et le début de la
IIIe République, la défaite de Sedan joue, en effet, un rôle déterminant
pour le départ de ces artistes comme le rappelle Caroline Corbeau-Parsons
dans en introduction. Les différentes contributions du catalogue analysent
la situation de ces peintres dans cet exil artistique de 1870 à 1904 avec,
en premier lieu, cette Année terrible avant l’exil en 1871.

James Abbott McNeill Whistler, Noctune en bleu et argent : les lumières de
Cremorne, huile sur bois, 1872 Tate, Londres, legs d’Arthur Studd en 1919.
© Tate 2017. Photo : Joe Humphrys
Puis, c’est de
l’autre côté de la Manche que se penchent les analyses proposées : comment
ces artistes parvinrent-ils à s’implanter dans la capitale britannique ?
Avec quelles aides et pour quels résultats ? Les échanges entre artistes
anglais et français sont également éclairés avant d’étudier le célèbre
motif de la Tamise et de Westminster cher notamment à Monet. Une
chronologie, une bibliographie ainsi que la liste des œuvres exposées
complètent ce catalogue à l’iconographie soignée et nombreuse (250
illustrations pour 272 pages).
UAM une aventure moderne, catalogue sous la direction d'Olivier
Cinqualbre, Frédéric Migayrou et Anne-Marie Zucchelli, Centre Pompidou
éditions, 2018.

Jouant sur la dénomination du sigle UAM, Union des
Artistes Modernes, le catalogue publié à l’occasion de l’exposition au
Centre Pompidou a retenu comme sous-titre Une Aventure Moderne, un
choix approprié si l’on pense à la durée de ce mouvement prolifique sur
près de trente années et dont le champ d’action fut sans frontières.
Renouant en quelque sorte avec certaines époques de l’Ancien Régime
réunissant tous les arts, ce mouvement a également su associer artistes
français et étrangers pour une aventure dans la modernité du XXe siècle.
La maquette du livre a, bien à propos, retenu une esthétique dans l’esprit
de ce courant, privilégiant une abondante iconographie qui permet au
lecteur de plonger littéralement dans cet univers créatif. Reflet d’une
période et d’une société, ainsi que le souligne le directeur du musée des
arts décoratifs Olivier Gabet, la perception de l’UMA a évolué au fil des
années. C’est moins sa rupture avec la production antérieure qui retient
désormais l’attention que cette « dissidence » incertaine qui marque ces
créations. En faisant défiler les pages de ce catalogue, les créations de
Francis Jourdain, Fernand Léger, Sonia Delaunay ou encore Le Corbusier
lancent indéniablement un défi au siècle de la science et de la technique.

Le Corbusier (1887 - 1965) Pavillon des temps nouveaux, panneau mural
"Habiter"
1937 Papiers découpés et encre brune sur papier 21 x 31 cm
© Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
© F.L.C. / Adagp, Paris
Rêver l’avenir
en appréhendant le présent au quotidien, dans tous ses possibles, du
Pavillon de l’Esprit nouveau de Le Corbusier et Pierre Jeanneret à
l’hôtel particulier de Jacques Doucet. Les fauteuils perdent leurs pieds,
acier et métal peint nouent des mariages inattendus, un élan vers plus de
pureté, une simplification des moyens vers l’essentiel et ce « besoin
de créer pour le plus grand nombre » comme l’affirment Carlu, Salomon
et Pingusson. Cet élan se matérialise par de grandes manifestations et
notamment les quatre salons tenus par l’UAM de 1930 à 1933, tentative
d’apporter une réponse aux problèmes artistiques vécus en ces temps
troublés. L’architecture et la création des grandes villas emblématiques
de ce courant étonnent encore le regard du XXIe siècle avec cette
interpénétration de volumes éclatés, jeux de lumière et de formes d’une
rare liberté. Cette impulsion se prolonge encore vers des créations plus
collectives, scolaires, sociales… un mouvement qui ne se tarira
officiellement qu’à la fin des années 50 avec la disparition de l’UAM,
mais dont les créations, même si le courant lui-même a pu souffrir quelque
peu de l’oubli, continueront à inspirer nombre d’artistes et de créateurs
jusqu’à nos jours.
« Indiennes, un tissu révolutionne le monde ! »
Collectif, 232 p., Format :25 x 28,5 cm, 250 ill. couleur, reliure :
Reliure couture au fil, La Bibliothèque des Arts, 2018.

Les Indiennes, ces tissus de coton imprimé dans les tons de rouge issus de
la garance remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles et nous sont plus
familières que l’on ne pourrait le penser. Venus des comptoirs des Indes
lointaines à ces époques où seuls de longs voyages en bateau en ramenaient
les étoffes, ces trésors étaient non seulement rares et précieux par leur
provenance mais également recherchés car ils étaient synonymes d’exotisme
et d’évasion en un siècle ouvert sur l’extérieur et sur les plaisirs,
ainsi que le relève le romancier Jean-Claude Gorgy en 1789 : « Le
plaisir s’établit dans l’alcôve au lieu du luxe qui l’avait occupée
jusqu’alors. » À partir de ces tissus qui connurent une diffusion
mondiale, seront produites des multitudes de motifs allant des fleurs aux
allégories, en passant par des paysages et autres thèmes littéraires. Le
présent livre explore l’une des collections privées françaises les plus
riches en la matière, celle de Xavier Petitcol, acquise récemment par le
Musée national suisse. Les Indiennes ou « Toiles cirées peintes »
vont connaître une véritable folie, une mode qui gagnera toute l’Europe et
rapidement toutes les couches sociales. Chefs-d’oeuvre pour les plus
belles qui sont peintes, et réalisations plus communes, cohabiteront par
la suite, contrepartie d’un succès mondial. Les auteurs de ce livre
illustré par les plus belles pièces de la collection nous font entrer dans
cette aventure passionnante qui - au-delà de ces beaux tissus- transporte
le lecteur dans le commerce et les plus grandes manufactures françaises et
suisses de ces époques, une manière de mieux comprendre cette histoire qui
eut tant d’influences sur l’habillement, l’ameublement et la décoration.
Nous entrons au cœur des procédés de fabrication, découvrons l’encadrement
réglementaire avec ses prohibitions afin de protéger le marché national
des manufactures, le développement de ces manufactures en Suisse puis en
Amérique et en Afrique. Les siècles suivants par leur développement d’une
production de masse contribueront à lui faire perdre son identité au
profit d’un marché sans limites, celui des cotonnades imprimées. Partons à
la découverte des Indiennes, véritables narrations miniatures qui
décoraient – et décorent parfois encore – des alcôves et autres chambres à
coucher, doux rêves de paysages animés et d’histoires merveilleuses que ce
livre nous fait revivre bien agréablement.
Les auteurs : Helen Bieri-Thomson, directrice du Château de Prangins-Musée
national suisse ; Bernard Jacqué, historien des arts industriels et ancien
maître de conférence à l’Université de Haute-Alsace ; Jacqueline Bacqué,
conservatrice honoraire du Musée de l’impression sur étoffes, Mulhouse ;
Liliane Mottu, professeure titulaire émérite, Université de Genève ;
Xavier Petitcol, collectionneur de tissus imprimés et expert honoraire en
étoffes anciennes. Diplômé de l’École du Louvre ; Margret Ribert,
conservatrice des arts décoratifs, Musée historique, Bâle ; Patrick Verley,
historien de l’histoire économique des XVllle et XlXe siècles.
Nymphéas, l’abstraction américaine et le dernier Monet, 208 pages – 25
x 30 cm – 128 illustrations, coédition Musée d’Orsay / RMN GP, 2018.

C’est à une véritable plongée dans l’abstraction des
formes et des couleurs à laquelle invite ce catalogue prolongeant
l’exposition du musée de l’Orangerie en cours jusqu’au 20 aout 2018. Ainsi
que le rappelle en ouverture Cécile Debray, commissaire de l’exposition et
directrice du musée de l’Orangerie, Claude Monet consacrera les trois
quarts de sa production à des vues de son jardin et des nymphéas de
Giverny. Ce chiffre éloquent montre combien au-delà de la représentation
du réel, le peintre se tourne de plus en plus vers le formel en
d’inlassables recherches jusqu’à ses derniers jours.

Philip Guston : Painting, 1954. Huile sur toile, 160,6 cm x 152,7. The
Estate of Philip Guston, courtesy Hauser & Wirth
Illustré par de
nombreux détails d’œuvres de Monet, le catalogue invite le lecteur à
retrouver ces liens parfois évidents, d’autres fois plus ténus, entre la
fin de l’impressionnisme marqué par ces dernières toiles et les créations
de l’expressionnisme américain. La réception des Nymphéas dans
l’entre-deux-guerres ne peut que laisser dubitatif si l’on songe au «
critique » François Fosca qui ne voit là qu’un essai raté d’un vieillard…

Guston, Philip, Dial, 1956 © New York, Whitney Museum of American Art /
The Estate of Philip Guston, courtesy Hauser & Wirth / musée de
l'Orangerie
Le retour à l’ordre après le premier désastre mondial ne s’accommode pas
des explorations picturales allant vers l’abstraction, on veut de l’ordre,
du concret et du sérieux comme le souligne Laurence Bertrand Dorléac. Il
faudra attendre l’après-Seconde Guerre mondiale et les années 50 pour
qu’enfin ce legs soit apprécié à sa juste valeur et prolongé par le
travail d’artistes de l’expressionnisme abstrait comme le rappelle
Jean-Pierre Criqui ; un nouvel élan autorisé en cela par les œuvres
tardives du peintre français qui avait banni depuis longtemps toute figure
humaine, facilitant ainsi leur réception par l’abstraction. De nombreux
documents, témoignages et études complètent le présent catalogue qui
permettra d’apprécier respectivement les œuvres tardives de Monet et
celles de l’expressionnisme américain sous un nouveau regard.
« Âmes sauvages. Le symbolisme dans les pays baltes » Catalogue
d'exposition sous la direction de Rodolphe Rapetti, 23,5 × 30,5 cm - 312
p. - 177 ill., Musée d'Orsay / RMN-GP - 2018

Prélude indispensable à l’émancipation politique, la
prise de conscience d’une identité culturelle a été très tôt associée au
symbolisme européen dans les pays baltes anticipant ainsi leur
indépendance survenue au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le
présent catalogue qui reproduit en couverture le détail de l’œuvre de
Johann Walter Jeune paysanne interroge le lecteur et l’invite à entrer
dans cet univers marqué par un symbolisme omniprésent et protéiforme selon
la sensibilité de chaque artiste. Servi par une mise en page et une
iconographie soignées, cet ouvrage retrace ces légendes et ce folklore qui
ont construit l’identité et nourri l’âme de l'Estonie, Lettonie et
Lituanie.

Konrad Mägi (1878-1925)Paysage de Norvège au
pin1908-1910Huile sur toileH. 58,5 ; L. 75,2 cmTallinn, Musée d’art
d’Estonie© Photo courtoisie du Musée d’art d’Estonie
Si les influences d’artistes comme Munch, Gauguin ou encore Van Gogh ont
pu être perceptibles dans le travail des artistes baltes, c’est bien une
identité propre qui se constitue et qui au-delà des différences de ces
trois pays converge vers un symbolisme commun. Rodolphe Rapetti et Julien
Gueslin font entrer le lecteur dans ce kaléidoscope balte et aux origines
de ces trois cultures nationales. Chaque pays est ensuite étudié dans son
propre rapport à l’art et à l’histoire. Puis les trois sections de
l’exposition sont présentées avec la reproduction des œuvres accompagnées
de notices complètes permettant ainsi de plonger dans cet univers complexe
et passionnant, un prélude indispensable pour mieux comprendre ce qui
nourrit ces « âmes sauvages » !
Didier Ben Loulou : « SUD », Editions La Table
Ronde, 2018.

Ouvrir le dernier recueil de photographies de Didier Ben Loulou, qui vient
de paraître aux éditions de La Table Ronde, intitulé tout simplement «
SUD », c’est accepter la promesse d’un long voyage, d’un ailleurs,
celui de la Méditerranée… Un monde où la vie bat, tape comme le soleil du
sud ou gronde comme un ciel d’orage en plein été. Telle la première
photographie de cet ouvrage avec l’ange de Jaffa, annonciateur, guerrier
ou ange déterminé ?... Il faut regarder ces tirages pris entre 1980 et
2017, revenir, tourner les pages, oser comme on se souvient des morts et
de la vie. Le photographe n’a pas souhaité pour ce recueil de chronologie,
de titres, d’ordre, Jérusalem, Marseille, l’Espagne, la Sicile, le Maroc,
Jaffa, mais le SUD. Seulement partir pour un long voyage, prendre
son envol sur les ailes du large à San Remo ou à Marseille, se poser comme
l’oiseau de Jaffa avant de repartir en bateau avec pour seule trace la
vapeur du ferry dans la brume du Golf Saronique, ou à cheval, temps qui se
croisent, et dans l’écume, les vagues, la houle d’une calanque de
Marseille ou de La Ciotat, oser plonger. Didier Ben Loulou ne cherche ni
les belles et tendres couleurs ni à témoigner, il photographie et n’ignore
ni le rouge ni les couleurs éclatantes de Jaffa, de Marseille, Jérusalem,
du « SUD ». Là où s’insuffle la vie de la Méditerranée, faite tout
autant de bleu azuréen que de nuages, de confrontation de bateaux et
d’âmes échouées. Il sait que dans ce long périple, il y aussi les chiens
errants d’Athènes ou de Palerme, mais au-delà aussi le jaune d’un
printemps à Jaffa qui éclate ou le jaune d’un camion qui éclaire, ou cet
imperturbable vert le long d’une balustrade sicilienne ou encore le rose
vif d’un tee-shirt sur la peau mate d’une jeune fille. Ses photographies
parlent ou plutôt écrivent, « graphent », cette Méditerranée, ce «
SUD » ( D. Ben Loulou est également l’auteur des « Chroniques de
Jérusalem et d’ailleurs », Éd. Arnaud Bizalion, 2016). L’attente aussi le
photographe la connait, l’attente des silhouettes dans ces rues vides,
désertées, plein soleil d’Israël ou d’Espagne. Didier Ben Loulou aime
aussi à ravir ces visages, détail d’une main, profils saisis avec ses
empreintes et brûlures des vies… Et le photographe de continuer sa route,
les prises, les paris. Percevoir les vies, la vie, ombres de Jérusalem,
ombre sur un carrelage ensoleillé ou longeant un mur d’ocre et de jaune.
C’est l’enfant de Jaffa, l’homme de dos de Sicile… et ce baiser repris
pour couverture telle une promesse d’instant de vie, l’aube d’une étape,
celle du « SUD » qui s’éveille et interpelle. Un très bel album qui
fait suite et confirme la valeur du travail du photographe Didier Ben
Loulou.
L.B.K.
A regarder notre interview
vidéo de Didier Ben Loulou
« Le pain est d’or » de Massimo Bottura & Friends,
Phaidon, 2018.

Il fallait oser et le chef triplement étoilé Massimo Bottura et ses amis
ont conçu un livre de recettes à partir d’ingrédients ordinaires pour
réaliser des recettes extraordinaires ! Militant contre le gaspillage
alimentaire international, Massimo Bottura a eu recours à sa notoriété
pour mobiliser la profession et un public le plus large possible afin de
proposer des alternatives à ce qu’il estime à bon droit ne pas être une
fatalité. Le chef a fait ses preuves, dans ce qui n’est pas un coup
médiatique de plus, mais une vraie action militante de fond depuis 2015 et
l’Exposition Universelle de Milan avec la création du Refettorio
Ambrosiano dans la banlieue italienne où sont servis au quotidien des
repas aux plus démunis à partir des surplus abimés lors de l’exposition.
Invitant les plus grands chefs à proposer leurs recettes de ces petits
restes qui honoreraient plus d’une table de qualité, cette vaste
expérience a donné également lieu à un beau livre édité par Phaidon et qui
a pour nom « Le Pain est d’or » du nom d’une recette de sa mère à base de
pain rassis, de lait chaud et de sucre… Chaque cuisinier sait par
expérience que c’est lorsque les ingrédients viennent à manquer que
l’imagination est de ce fait sollicitée pour plus de créativité. Alain
Ducasse, Yannick Alléno, Michel Troisgros, Mario Batali, Joan Rocca et
bien d’autres toques célèbres ont prêté leurs concours et sollicité leur
mémoire pour proposer des recettes inventives à partir de produits
accessibles pour des recettes savoureuses présentées dans le détail et
avec une mise en page joliment réussie sur papier sépia. Envie de pâtes au
pesto menthe-chapelure, un poulet xinxim, ragout de veau ou de poisson ?
Les idées ne manqueront pas avec « Le pain est d’or », un livre aisément
applicable au quotidien et agréable à feuilleter avec ses nombreuses
illustrations et ses éventuelles « notes » personnelles laissées à
discrétion !
« Delacroix (1798-1863) » sous la direction de
Sébastien Allard et Côme Fabre, Hazan, 2018.

Le quatrième de couverture de l’imposant catalogue de l’exposition
Delacroix du musée du Louvre paru aux éditions Hazan annonce la couleur :
« Prie le ciel que je sois un grand homme » implore Delacroix, un
peintre pourtant peu porté aux questions religieuses dans la première
partie de sa vie… C’est l’un des paradoxes de cet artiste aux multiples
facettes, et talents, qui fait de Delacroix un peintre original et
complexe dont la critique et le public n’ont pas fini d’explorer la
portée. En un remarquable travail de synthèse, ce catalogue fort de 480
pages et de 250 illustrations retrace la longue carrière de l’artiste sur
40 ans. Si les débuts de l’artiste sont plus familiers, les trente années
qui suivent sont cependant plus méconnues du fait qu’un grand nombre de
ces œuvres ne se trouvent pas dans des musées, mais dans des églises,
grands bâtiments publics tels le Sénat, la Chambre des députés ou encore
des musées américains. Le catalogue avec des études soignées et une riche
iconographie offre ainsi au lecteur une meilleure connaissance de ces
créations un peu en marge et qui ne correspondent pas à l’étiquette
convenue de romantique que l’on accole traditionnellement à Delacroix.
L’ouvrage dévoile alors un autre Delacroix, pour qui « La gloire n’est
pas un vain mot… » comme le rappelle Sébastien Allard en introduction,
une volonté et « Ce besoin de faire grand… » également rappelé par
Côme Fabre, des dimensions qui sont complétées par des sensibilités
successives, voire parfois concomitantes, d’élans artistiques et
métaphysiques sur près de 40 ans. La complexité de Delacroix transparaît
ainsi au fil de ces essais et des peintures reproduites avec qualité –
parfois en double page - mais aussi des dessins, carnets, croquis,
gravures, lithographies pour lesquels Delacroix a souvent été pionnier,
sans oublier ses écrits tout aussi nombreux.
Corot, le peintre et ses modèles par Sébastien
Allard, Hazan, 2018.

C’est à un Corot plus méconnu auquel invite ce catalogue écrit, à
l’occasion de l’exposition consacrée au peintre au Musée Marmottan Paris,
par l’un de ses meilleurs spécialistes, Sébastien Allard, directeur du
département des Peintures du musée du Louvre. L’ouvrage est illustré par
une couverture attractive puisqu’il s’agit d’un des chefs-d’oeuvre du
peintre en matière de portrait avec La Dame en bleu du Louvre, un
portrait où la couleur et l’étoffe de la robe prédominent sur le modèle…
Il faut avouer que le lecteur est plus familier des paysages représentés
par le peintre que de ses portraits, angle original choisi par le musée
Marmottan, et le présent catalogue, pour mieux faire connaître une facette
inattendue, plus intime et secrète de l’artiste. Loin d’être une pratique
résiduelle ou contingente, avec la représentation d’enfants, de proches ou
de modèles, Corot prolonge ses recherches picturales en un dialogue
incessant entre nature et figures. Ni ancien ni moderne, Corot est un
homme de son temps qui cherche à capter l’insaisissable, à offrir un
reflet de ce que le regard perçoit souvent subrepticement sans savoir
l’isoler, l’instantané qui révèle…
Il suffit pour
s’en convaincre de scruter attentivement les nombreuses illustrations
réunies dans ce catalogue soigné pour mieux percevoir cette acuité, a
priori discrète mais véridique. Corot porte son regard au-delà de
l’apparence, à l’image d’ailleurs de ses tableaux de nature, les deux se
confondant parfois. Ainsi que le rappelle Patrick de Carolis, directeur du
musée Marmottan, Corot est indissociable des débuts de l’impressionnisme
avec son sens de la lumière et son attirance pour le travail sur le motif
et du souvenir. Méconnaître le peintre de figures que fut également Corot
reviendrait à oublier une part intime et profonde de l’artiste, une
intrication héritée du Titien, Rubens ou Watteau comme le souligne
Sébastien Allard. Le genre du portrait chez Corot se concentre
essentiellement entre les années 1820 et 1840 pour se métamorphoser par la
suite en représentation de la « figure » avec un modèle « désindividualisé
». Le portrait chez Corot se réalise principalement à partir de proches
(amis et famille) avec une acuité particulière quant aux portraits
d’enfants, genre dans lequel le peintre exprime sans retenue l’éventail de
sa palette et de sa sensibilité, sans « influence » excessive du modèle.
Avec ce livre
abondamment illustré des œuvres de Corot, le lecteur entre ainsi dans
l’univers intime, plus méconnu et secret de l’artiste, un angle inhabituel
pour mieux comprendre l’art du grand peintre de paysages qu’il fut et
demeure.
« Tintoret
» Guillaume Cassegrain Hazan 2018.

C’est une somme incontournable consacrée au grand maître
italien Tintoret qui est proposée par les éditions Hazan en un luxueux
ouvrage relié sous coffret. Guillaume Cassegrain, auteur de ce bel
ouvrage, est un spécialiste de la peinture vénitienne et cette monographie
compte parmi les ouvrages essentiels sur le peintre. Venise au début du
XVIe siècle est en période de transition, entre son passé prestigieux et
son orientation vers l’industrie et les manufactures, un autre visage
s’offrant à elle. Alors que l’on peut parler d’un certain déclin, Venise
reste cependant une cité riche et prospère. Si Titien et Véronèse ont
souvent occulté des artistes comme Tintoret, ce dernier-né à Venise va
néanmoins s’imposer et radicalement repenser les codes de son époque,
notamment en contournant l’opposition classique du colorito local
et du disegno toscan. Le peintre va développer son art avec une
rapidité à la hauteur de ses ambitions et concurrencera avec génie son
aîné Titien. La narration se métamorphose sous le pinceau du jeune
artiste, une narration faite d’emprunts et d’un dynamisme novateur. Vasari
décrit Tintoret comme un être extravagant et bizarre, faisant de l’art de
la peinture un jeu. Ce personnage « capricieux », toujours selon Vasari,
place en effet le dynamisme au cœur de sa création Guillaume Cassegrain
souligne combien le « cas » Tintoret démontre qu’il n’a jamais été à sa
place. S’il a été apprécié des artistes et des écrivains, les siècles qui
suivirent n’ont pas su replacer son génie à sa juste place. Le peintre
s’intéresse à l’architecture et à la sculpture qui nourrissent directement
son inspiration. L’impulsivité qui le caractérise se réalise dans le
mouvement et la perspective, notamment dans L’Origine de la voie lactée
et Le Martyre de sainte Catherine. Le Massacre des Innocents
fait souffler un vent pictural d’une modernité surprenante en ce milieu de
XVIe s. Les thèmes auxquels a recours Tintoret sont rarement inédits et
ont longtemps fait du peintre un artiste produisant des images simples
destinées à des illettrés ou des gens de condition modeste, un jugement
réducteur ainsi que le souligne encore Guillaume Cassegrain. Tintoret se
plait à mêler au discours symbolique traditionnel d’autres messages,
parfois grivois, comiques ou parodiques. Ainsi représente-t-il d’une
nouvelle manière l’espace en réinterprétant les thèmes classiques sur
d’autres registres. Guillaume Cassegrain évoque également dans le chapitre
« Le regard matériel » l’approche de Tintoret pour les peintures disposées
sur les murs latéraux des chapelles, un genre important chez l’artiste.
Cet art implique davantage le spectateur dans l’image représentée, une
expérience que chacun peut faire en observant ses œuvres à Venise
notamment. Cette prise en considération du point de vue de l’observateur
et de ses différentes perceptions implique celui-ci dans un rapport
nouveau qui se perpétuera jusqu’à nos jours, et entretenant un dialogue
sans cesse renouvelé grâce à la mobilité et au dynamisme de l’image
anticipant ainsi le baroque à venir. Avec cet ouvrage somptueusement
illustré par une remarquable iconographie, notre regard sur Tintoret est
renouvelé à sa pleine mesure, son originalité et sa richesse étant
pleinement mises en évidence par l’auteur, Guillaume Cassegrain.
« Tintoret,
naissance d’un génie » sous la direction de Roland Krischel, RMN, 2018.

Si l’œuvre classique de ce maître de la renaissance italienne est bien
connue, ses années de formation le sont nettement moins, et discerner les
diverses influences de sa propre originalité est justement l’objet de cet
ambitieux programme développé dans ce riche catalogue publié par la RMN à
l’occasion de l’exposition consacrée à ce grand maître au musée du
Luxembourg. Ainsi que le relève Sylvie Hubac, présidente de la Réunion des
musées nationaux, c’est grâce à un long travail de coordination et
d’années de recherches que l’exposition rétrospective consacrée à Tintoret
a été rendue possible en ce 500e anniversaire de sa naissance. C’est une
vision plurielle du contexte artistique des années de formation du jeune
peintre qui est adoptée pour cette étude comme le souligne Roland Krischel
en introduction de l’ouvrage. Il est intéressant de noter que si les
années 1990 ont vu se développer les études sur le Tintoret, ces dernières
années, l’image du peintre se trouve cependant plus figée. Et pourtant, la
recherche s’impose pour un peintre aussi fertile, ambitieux quant à son
projet artistique reflétant l’esprit de son époque, celle de la Venise du
XVIe siècle.
Les essais
réunis dans la première partie du catalogue font, ainsi, un état des
connaissances sur le peintre depuis l’ouvrage fondateur de Rodolfo
Pallucchini en 1950 « La Giovinezza del Tintoretto » souligné dans l’étude
de Stefania Mason. Giuseppe Gullino, pour sa part, retrace dans sa
contribution le contexte historique contemporain aux jeunes années du
peintre, une époque de renouveau propice aux novations artistiques, et
dont Linda Borean explore, quant à elle, documents et sources pour mieux
saisir les années de formation du futur maître de Venise. L’article de
Michel Hochmann « Tintoret et son atelier dans les années 1530-1540 »
souligne, cependant, combien nous avons peu d’informations sur ces jeunes
années d’apprentissage notamment auprès du Titien. Mais avec une analyse
croisée de ce qui se passait dans les ateliers de cette époque à Venise,
le lecteur peut se faire une idée de ce que dut être la formation du jeune
peintre, une interrogation prolongée par la contribution de Roland
Krischel, « Qui est le jeune Tintoret ? ». Enfin, la seconde partie de
l’ouvrage dresse le catalogue des œuvres présentées dans l’exposition du
musée du Luxembourg avec des notices particulièrement utiles à la
compréhension des œuvres reproduites en pleine, voire double page. Le
lecteur pourra ainsi prolonger ou anticiper sa découverte des œuvres de
jeunesse du Tintoret grâce à cet ouvrage à la mise en page soignée et
complétée d’une bibliographie et d’un index.
« Daimyo, seigneurs de la guerre au Japon » sous
la direction de Jean-Christophe Charbonnier, éditions Toriilinks, 2018.

Complétant idéalement l’exposition Daimyo, le catalogue paru sous la
direction de Jean-Christophe Charbonnier fait entrer le lecteur dans
l’univers de ces parures guerrières avec un luxe de détails qui rend leur
compréhension plus aisée. Contrairement à ce que le néophyte pourrait de
prime abord penser, ces armures, sabres, casques et autres armements
correspondent non seulement à une esthétique évoluant au fil des siècles,
mais répondent également à un code strict de règles à partir desquelles la
créativité des artisans a pu s’exprimer. Trois années ont été nécessaires,
rappelle la présidente du musée Sophie Makariou, pour monter cet ensemble
unique d’armures japonaises à partir de collections publiques et privées.

L’armure
Matsuaira acquise récemment par le musée Guimet fait bien entendu partie
de ces trésors, aussi riche par sa valeur esthétique que par l’Histoire
qu’elle évoque, un choc esthétique, mais aussi un imaginaire sollicité par
ces parures guerrières indissociables de l’univers mental associé au Japon
médiéval et ses fameux samouraïs. Michel Maucuer retrace l’histoire de
l’institution des daimyo, moins connus en Occident que les shoguns ou les
samouraïs en soulignant combien ce maillon s’avéra vite essentiel dans la
féodalité japonaise.

Jean-Christophe
Charbonnier retrace, quant à lui, l’histoire et l’évolution de l’armure au
Japon, des temps anciens jusqu’aux armures du temps de paix (époque Edo).
Suivent des sections où chaque armure, casque, masque, sabre, textile et
autre accessoire fait l’objet d’une présentation détaillée, permettant au
lecteur de mieux se familiariser avec cet armement complexe, et d’en
saisir plus aisément la valeur esthétique. Des annexes précieuses
détaillent, enfin, chaque partie des armures, casques et sabres avec son
nom japonais et sa fonction, et rappellent les principaux armuriers cités.
Une chronologie et une carte des provinces du Japon complètent cet
ensemble unique sur l’univers des Damyo.
Marianne Mathieu et Dominique Lobstein : « Monet,
Collectionneur », Editions hazan, 2017.

Claude Monet était un grand collectionneur, c’est aujourd’hui un fait
connu ; Mais connaissons-nous pour autant cette fantastique collection de
peinture, estampes, sculptures, dessins qu’il constitua avec passion toute
sa vie durant ? Les éditions Hazan avec la parution de l’ouvrage «
Monet Collectionneur » offre l’occasion de découvrir cette formidable
collection, Sa collection, véritable trésor que l’artiste gardait
jalousement auprès de lui. Ce bel ouvrage signé Marianne Mathieu, adjointe
au directeur, chargée des collections du musée Marmottan et commissaire
d’expositions, et Dominique Lobstein, historien de l’art, vient idéalement
compléter l’exposition du même nom de cet automne-hiver au Musée Marmottan,
permettant ainsi de retrouver tout à loisir ou de découvrir pour ceux qui
n’ont pas eu la chance de la voir, ce foisonnement de peintres et d’œuvres
entourant Claude Monet et signées notamment Renoir, Delacroix, Corot,
Boudin, et tant d’autres encore, si célèbres et que sut en son temps
aimer, repérer et collectionner le chef de file de l’impressionnisme.
Préfacé par Patrick de Carolis, c’est l’ensemble de la collection du
Maître qui est ainsi dévoilé avec un soin tout particulier apporté aux
sources, textes et spécialistes retenus pour l’occasion, une étude appuyée
par plus de 180 illustrations couleur dont de nombreuse pleine page,
lettres, photographies, carnets, listes ou autres documents.
Après « Une brève histoire d’une collection » et un rappel des
sources documentaires qui réjouiront les historiens de l’art ou amateurs
avertis, l’ouvrage donne une première place de choix à la collection
d’estampes japonaises d’Utagawa Hiroshige qu’affectionnait tout
particulièrement Claude Monet, et dont la seule évocation nous transporte
dans l’univers jaune de la salle à manger. Puis, chapitre après chapitre,
14 au total, avec de riches contributions sous la signature des meilleurs
spécialistes, la voix est donnée aux artistes, peintre ou sculpteur,
choisis par le Maître et aux œuvres négociées, achetées ou offertes :
Delacroix, Manet, Renoir, Caillebotte, etc. C’est un véritable dialogue
qui s’établit alors entre Monet, ces autres peintres, non des moindres,
ses aînés ou pour nombre d’entre eux ses amis, et le lecteur. Monet ne
possédait pas moins de 14 œuvres de Renoir qu’il admirait et qu’une
profonde amitié réunissait. S’y révèlent ainsi les liens étroits
qu’entretenait Claude Monet avec chacun de ces peintres, artistes choisis
et ses œuvres. Comme invité, on entre dans l’intimité de Claude Monet, son
salon-atelier dans lequel il aimait recevoir aux côtés des « Nymphéas
» d’autres grandes toiles, et ce couloir intime, presque secret, et dont
les toiles et portraits collectionnés le menaient jusqu’à sa chambre où
régnaient sur son sommeil des œuvres de Delacroix, Boudin, Corot ou
Constantin Guys. L’ouvrage évoque pour finir avec une dernière
contribution signée Marianne Mathieu, un angle moins connu, celui de Monet
non plus collectionneur mais donateur. À ces riches et nombreuses études,
viennent s’ajouter enfin, outre une bibliographie, deux « Vues synoptiques
», de la collection elle-même et des carnets japonais de celle-ci. Un
ouvrage soigneusement documenté qui s’impose en référence.
Hiroshige & Eisen. Les soixante-neuf stations
de la route Kisokaido, Andreas Marks, Rhiannon Paget, reliure japonaise
sous coffret pleine toile, 44 x 30 cm, 234 pages, dans une mallette en
carton avec poignée, Édition multilingue : Allemand, Anglais, Français,
Taschen, 2017.

A tout amateur d’estampes japonaises ou des arts d’Extrême Orient plus
largement, cet ouvrage d’exception sera assurément destiné ! Le format XXL
retenu pour cette splendide édition des fameuses soixante-neuf stations
de la route Kisokaido offre un voyage à nul autre pareil sur la route
historique reliant Edo (l’actuelle Tokyo), lieu de résidence du shogun,
jusqu’à Kyoto où séjournait l’empereur. Ce format 44 x 30 cm rend ainsi
accessible le rare privilège d’apprécier la composition de l’estampe dans
toute sa finesse, avec son luxe des détails si nombreux chez Utagawa
Hiroshige et Keisai Eisen au XIXe siècle, l’un des derniers témoignages
avant l’arrivée imminente de la modernité avec l’ère Meiji à la fin de ce
même siècle. Réalisée avec une reliure japonaise et présenté sous un
coffret pleine toile lui-même protégé d’une mallette carton avec poignée,
nous sommes sans aucun doute dans une édition d’exception multilingue
destinée à faire date. C’est à partir d’un exemplaire d’une fraîcheur
remarquable que cette édition a pu être réalisée, on sait combien les
tirages d’estampes peuvent varier selon les temps. Andreas Marks
spécialiste des arts japonais et conservateur d’art japonais et coréen de
la collection Mary Griggs Burke, directeur du département d’art japonais
et coréen, et directeur du Clark Center for Japanese Art au Minneapolis
Institute of Art a relevé le défi de cet admirable travail éditorial avec
Rhiannon Paget, conservatrice d’art asiatique au John & Mable Ringling
Museum of Art à Sarasota, en Floride.

Le lecteur
occidental ne sait pas toujours que le réaménagement de cette route
ancienne de la Kisokaidō qui traverse le Japon fut ordonnée par Tokugawa
Ieyasu. Shogun fameux, il s’imposa au début du XVIIe siècle et contribua à
l’unification d’un Japon qui souffrait d’un morcellement cruel dû à la
féodalité et aux rivalités des clans. Pour affirmer son pouvoir et
réaliser son projet, une voie sûre et aménagée était nécessaire avec ses
auberges et restaurants, sources d’inspirations par la suite pour de
nombreux artistes dont Keisai Eisen, puis Utagawa Hiroshige qui resteront
les plus célèbres. C’est une commande qui échoit au premier en 1835, Eisen
doit en effet réaliser une série d’œuvres évoquant ce fameux itinéraire de
la Kisokaidō et qui donnera naissance à 24 estampes mémorables. Eisen sera
remplacé par Hiroshige qui complètera cette commande en 1838. Cette série
est ainsi l’évocation par deux artistes majeurs du Japon à la sensibilité
différente de ces relais et lieux typiques.

Eisen a produit
vingt-trois stations ainsi que le point de départ nommé le Nihonbashi,
lieu très animé. Hiroshige réalisera le reste de la série avec pas moins
de quarante-sept estampes, soit au total 71 estampes d’une qualité
exceptionnelle et dont certaines ont acquis avec les siècles une célébrité
inébranlable. En feuilletant les pages de ce livre d’exception, nous
retrouvons le style délicat et sobre d’Eisen avec ses femmes élégantes,
ces petits détails de la vie quotidienne qui surgissent au gré du voyage
et dont l’artiste fait son miel. Les paysages d’Hiroshige, auteur
également remarqué des Cinquante-trois Stations du Tōkaidō, sont
quant à eux grandioses, fleuves et cols, cieux nocturnes rivalisent d’une
beauté époustouflante avec un rendu impressionnant sur ce grand format.
Que le lecteur s’attarde sur ce cavalier traversant un pont sous la lune
en une représentation puissante ou cette cascade non moins remarquable
sous le regard étonné des voyageurs, il aura fait un beau et lointain
voyage en terre nippone du XIXe siècle grâce à cette édition
époustouflante.
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LA PLEIADE |
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Daniel Defoe
"Robinson Crusoé" Trad. de l'anglais par Pétrus Borel. Édition de Baudouin
Millet, Bibliothèque de la Pléiade, 1040 pages, 209 ill., rel. Peau, 105 x
170 mm, Gallimard, 2018.
Si aujourd’hui l’œuvre « Robinson Crusoé » est inexorablement associée à son
auteur Daniel Defoe, il peut être nécessaire de rappeler qu’il n’en fut pas
été toujours ainsi. C’est en effet seulement plusieurs décennies après la
mort du romancier que son œuvre lui sera véritablement attribuée au grand
jour. Comment expliquer ce mutisme de Defoe ? Alors qu’il sera à juste titre
présenté comme «l'un des premiers maîtres du roman», selon Virginia Woolf,
l’homme souhaita pourtant sa vie durant rester dans l’ombre en tant
qu’espion et auteur de pamphlets politiques. Ainsi, lors de la parution de
la première partie du livre en 1719, Defoe n’en revendique pas la paternité
malgré le succès immédiat. L’auteur qui approchait de la soixantaine avait
besoin d’argent, notamment pour ses filles qu’il devait marier. Aussi, c’est
dans l’anonymat qu’il passe commande du livre à son éditeur Taylor, en lui
demandant d’omettre son nom, une aventure digne de celle de son héros !
Robinson Crusoé est incontestablement l’un des livres les plus connus de la
littérature mondiale. L’histoire est inspirée de celle du marin Selkirk
abandonné en 1705 dans une île au large du Chili. Il ne fut libéré de sa
captivité solitaire que par le passage du capitaine Rogers quatre années
plus tard alors que Selkirk était devenu presque sauvage. Il n’en fallait
pas plus pour Daniel Defoe, soucieux d’écrire un récit le plus proche de la
véracité. Curieusement, c’est surtout la première partie qui se trouve le
plus souvent lue, celle évoquant la vie solitaire de Robinson Crusoé sur son
île. Or, l’auteur avait fait suivre cette première partie d’une seconde
écrite dans la foulée et qui diffère quelque peu de l’épisode insulaire par
ses aventures rocambolesques. Pour l’auteur, le lecteur devait croire au
caractère vraisemblable de ces récits qui devaient passer pour être de
véritables mémoires de l’aventurier, ce que fit Defoe avec un plaisir
manifeste. Le lecteur retrouvera le récit haut en couleur avec le naufrage
du navire près de l’Orénoque, sa vie solitaire sur cette île abandonnée, son
organisation, ses doutes, sa rencontre avec Vendredi qu’il éduque aux
valeurs de la société anglaise en encourageant à abandonner le cannibalisme
pratiqué par sa tribu et en le revêtant de vêtements. La seconde partie plus
méconnue s’avère également enlevée, notre héros ayant quitté sa solitude
pour embrasser les grands espaces : Madagascar, Indes, Chine jusqu’en
Russie. Curieusement, Defoe n’avait guère quitté l’Angleterre et c’est grâce
à une documentation et une imagination sans bornes qu’il parviendra à bâtir
ce récit étonnant qui rencontrera immédiatement un succès similaire. Il faut
dire que l’auteur fait preuve d’un art consommé pour puiser son inspiration
dans les attentes de ses lecteurs. Et en suivant les aventures de notre
héros, qui peut se rapprocher à maintes reprises du personnage de Don
Quichotte, nous réalisons combien ce roman a pu souffrir de son succès en le
reléguant aux rayons de la littérature enfantine, ce a quoi il ne saurait
pourtant être réduit . Rousseau n’écrivait-il pas à propos de Robinson : «
«Tant que notre goût ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours».
Pour André Malraux, « trois livres tiennent en face de la prison : Robinson,
Don Quichotte, l’Idiot… Le premier lutte par le travail, le second par le
rêve, le troisième par la sainteté »…
L'ouvrage bénéficie d’un appareil critique proposé par Baudouin Millet, la
traduction étant celle de Pétrus Borel, une traduction datant de 1836 et
louée par Baudelaire. Le texte se trouve, enfin, accompagné pour la première
fois par les cent cinquante gravures que l'artiste suisse F.A.L. Dumoulin
(1753-1834) avait réalisées à partir du roman, et est complété par un
dossier iconographique retraçant deux cents ans d'illustrations, symbole
éclatant de l’immense succès et postérité de cette œuvre dont le relais est
tendu aux lecteurs du XXIe siècle de bien belle manière !
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Sören Kierkegaard
Œuvres I, II Coffret de deux volumes vendus ensemble Édition et trad. du
danois par Régis Boyer avec la collaboration de Michel Forget, Bibliothèque
de la Pléiade, 2784 pages, rel. Peau, 105 x 170 mm, Gallimard, 2018.
Heureuse initiative que cette publication en deux volumes des œuvres du
philosophe danois Søren Kierkegaard dans la collection de La Pléiade. En une
belle traduction du regretté Régis Boyer disparu l’année dernière (lire
notre interview), cette publication parvient à rendre toutes les
subtilités d’une langue toujours délicate et d’une pensée atypique. Les
philosophes existentialistes du siècle dernier tels Sartre et Merleau-Ponty
ne purent découvrir cette réflexion qu’à partir des seules traductions
allemandes, premières à diffuser la pensée d’un intellectuel singulier qui
ne cherchait pas à faire système formel mais plutôt à inviter son lecteur à
être soi-même grâce à une acuité toujours renouvelée. Le philosophe a
lui-même, il est vrai, une personnalité complexe, et de sa Copenhague natale
qu’il arpenta quasiment toute sa vie à l’exception de quelques courts
voyages à Berlin, il ne cessa de poser son regard acéré sur la ville et ses
habitants, faisant ainsi de la capitale un véritable laboratoire en
réduction de la vie qu’il étudia dans ses plus infimes détails, souvent sans
complaisance. Son caractère et son approche hors des systèmes de son temps –
il ne fut ni universitaire et vivait de ses rentes – invite à le rapprocher
d’un autre philosophe Nietzsche dont le regard et une pensée toute aussi
exigeante rivalisaient avec sa nature complexe et souvent maladive, les deux
philosophes ayant d’ailleurs eu à subir les affres d’une éducation marquée
par le piétisme et l’austérité. Avec ces nouvelles traductions des œuvres
majeures du philosophe danois, le lecteur français pourra découvrir une
pensée, certes, complexe, mais accessible au questionnement de notre époque.
L’ironie et la sensibilité de Kierkegaard invitent à assumer notre part de
responsabilité en évitant d’être éloigné de soi-même, une obligation divine
pour le philosophe qui ne détacha pas sa réflexion d’un sens théologique
très profond. Luthérien convaincu, il fut cependant souvent en décalage avec
l’Église danoise de son époque, notamment avec ses onze pamphlets,
L’Instant, à la hauteur des exigences du philosophe théologien également
perceptibles dans sa Pratique du christianisme que l’on pourra
découvrir avec attention dans le deuxième volume de cette parution pour
mieux comprendre les soubassements souvent ignorés de sa pensée. La
mélancolie et l’hypersensibilité de Søren Kierkegaard vont être à la fois
les moteurs de sa pensée et les entraves de sa vie, et conduiront à l’échec
sentimental de son seul amour avec Regine Olsen, mais une rupture source de
l’une des plus connues de ses œuvres majeures : Le Journal du séducteur.
« Ou bien… Ou bien », incluant Le Journal du séducteur, dégage
les fameux deux stades - esthétique et éthique – suivis d’un troisième,
spirituel qui complètera et caractérisera sa pensée. En réunissant en soi
ces deux dimensions, l’individu atteint la plénitude, en évitant la
recherche du plaisir pour le plaisir à l’image du modèle de Don Juan tant
vénéré par le jeune Kierkegaard ou l’écueil inverse de l’enfermement dans un
raisonnement moralisateur sans limites, lui ouvrant ainsi pleinement
l’ultime stade spirituel. La vraie vie est à ce prix et le philosophe n’aura
cesse d’user de pseudonymes pour présenter sa pensée, chacun ayant un rôle,
à son lecteur en s’effaçant derrière son anonymat à l’exception de ses
textes sur la foi qui l’engagent personnellement et qu’il signe de son nom.
Une démarche que l’on retrouvera chez Pessoa. Kierkegaard apparaît dans ces
œuvres réunies comme le précurseur de notre manière de voir le monde. Ainsi,
l’angoisse trouve-t-elle place au cœur de l’une de ses ouvres majeures, «
Le concept d’angoisse », angoisse qui doit être surmontée pour
s’éloigner du péché et être soi en devenant un homme. Or, le divertissement
pour le philosophe s’avère être un bruit qui voile cette réalité et risque
de faire trébucher l’homme dans cette quête, une pensée d’une acuité si
sensible de nos jours où être soi passe par les filtres formatés de la
communication imposés par les Marchés financiers. Tout ce qui n’élève pas
l’âme est dangereux pour le philosophe danois, sans imposer de moralisme
mais en rappelant une exigence la plupart du temps ignorée des hommes. Une
pensée puissante et actuelle servie par une traduction remarquable. |
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Victor Hugo "Les
Misérables" édition d'Henri Scepi avec la collaboration de Dominique
Moncond'huy, Bibliothèque de la Pléiade, n° 85, 1824 pages, 28 ill., rel.
Peau, 105 x 170 mm, Gallimard, 2018.
Les Misérables de Victor Hugo comptent parmi les classiques dont nul
ne saurait contester la grandeur de nos jours. Et pourtant, c’est
tardivement que la reconnaissance prévaudra pour ce roman social et
historique paru en 1862. Si l’auteur, qui plaidait dès 1829 contre la peine
de mort avec Le Dernier Jour d’un condamné, rencontre un vif succès
populaire avec la sortie des Misérables , oeuvre qu’il considérait
comme majeure, la réception auprès de la critique fut plus que sceptique et
divisée tel Sainte-Beuve qui n’hésita pas à relever que « Le goût du
public est décidément bien malade. Le succès des Misérables a sévi et
continue de sévir au-delà de tout ce qu’on pouvait craindre » ou encore
Alexandre Dumas qui le juge ennuyeux et Flaubert qui n’y trouve « ni
vérité ni grandeur ». Le début du XXe siècle restera encore frileux à sa
grandeur et rares furent les écrivains comme Malraux à soutenir la force de
cette œuvre. Cette nouvelle édition établie par Henri Scepi avec la
collaboration de Dominique Moncond’huy fait pourtant le pari d’en démontrer
non seulement toute la richesse mais encore la portée, l’auteur lui-même
considérant cette œuvre comme « un essai sur l’infini ». Cet essai de
poésie sociale qui attira Baudelaire et Rimbaud fait l’objet d’un nouveau
texte pourtant publié du vivant de l’auteur et entré au catalogue de La
Pléiade en 1951. Ainsi que le souligne Henri Scepi en introduction Les
Misérables est une œuvre de notre temps, non en une illusoire
transposition sociale fidèle, mais dans la manière dont l’auteur a figuré
l’humain « dans les profondeurs du temps et de la conscience »,
caractère en effet indiscutable de cette écriture puissante dont la force
opère tout autant en notre époque. Atemporel et livre de son siècle, Les
Misérables se jouent des paradoxes et c’est une des raisons qui motive
cette nouvelle édition avec un appareil critique permettant au lecteur du
XXIe s. non seulement de replacer cette œuvre géante dans le reste de la
création de Victor Hugo, mais également de mieux la situer sur cette période
chronologique allant de Waterloo (1815) à l’insurrection de 1832. Appendice,
pages écartées, projets de préface, les illustrations comme les adaptations
sont invités en un passionnant dossier pour mieux apprécier ce puissant
buissonnement littéraire. Nous pensions connaître Jean Valjean, Cosette et
autres Thénardier, et pourtant la lecture de ce nouveau volume de la Pléiade
renouvellera le plaisir de nombreuses découvertes de cette œuvre au sujet de
laquelle une fois terminée son auteur affirma : « Je peux mourir ». |
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Jules Verne «
Voyages extraordinaires - Michel Strogoff et autres romans » édition publiée
sous la direction de Jean-Luc Steinmetz avec la collaboration de
Jacques-Remi Dahan, Marie-Hélène Huet et Henri Scepi, Bibliothèque de la
Pléiade, n° 626, 1280 pages, 238 ill., rel. Peau, 105 x 170 mm, Gallimard,
2017.
En préface à cette édition des Voyages de Jules Verne dans la
Bibliothèque de la Pléiade, Jean-Luc Steinmetz rappelle combien l’adjectif «
extraordinaire » revêt chez l’auteur de multiples aspects, allant de
l’imprévu à l’inouïe, de l’incongru au fantastique. Cette variété des effets
ne conduit pas pour autant à une surenchère souligne le directeur de cette
édition qui inclut non seulement les œuvres fameuses, Le tour du monde en
quatre-vingts jours et Michel Strogoff, mais également Les
Tribulations d'un Chinois en Chine et Le Château des Carpathes.
Une surenchère, en effet, qui traduit le mieux peut-être l’une des forces
incroyables de l’écriture et du style de Jules Verne. Inutile de rappeler le
succès de la plupart de ces œuvres qui ont non seulement nourri l’imaginaire
de bien des générations depuis, mais ont également inspiré créateurs au
théâtre comme au cinéma, un juste retour des choses pour certaines œuvres
conçues initialement pour les planches. Le génie de Jules Verne tient dans
cette puissance de l’évocation qui, la plupart du temps découverte à un âge
encore précoce, perdure avec les années en une mémoire indélébile. Jules
Verne explore les confins de notre humanité par l’angle original des
sciences en plein essor à son époque. Avec la Révolution industrielle, les
techniques et les avancées scientifiques offrent à qui peut les appréhender
grâce à l’écriture un incroyable réservoir de réalités et de rêves, un
voyage qui sort de l’ordinaire et que l’écrivain sut saisir à merveille non
seulement pour la jeunesse, mais également pour un large public avide de
découvertes à une époque où les transports n’étaient pas ce qu’ils sont
devenus depuis. Déjà, Jules Verne réalise que ces territoires commencent à
être connus et ajoute à leur évocation une autre dimension – extraordinaire
– quatre-vingts jours pour faire le tour du monde, une soif inextinguible de
vitesse, anticipant sur les siècles qui suivront. L’imaginaire reste au cœur
de ces voyages même si les machines qui traversent le récit n’anticipent que
de peu la réalité. L’homme cherche à gagner sur la nature, un élan qui
motive une certaine allégresse dans l’écriture de ces romans qui
conserveront cette dimension théâtrale initiale et inoubliable. Ce qui peut
paraître comme une hâte dans le récit inaugure, curieusement, la frénésie du
voyage au long cours que la deuxième moitié du XXe et le XXIe siècle ne
feront que confirmer. Il faut accomplir cette « révolution » opérée par le
voyage, « faire » un pays ou le tour de notre planète. Jules Verne demeure
encore pour quelques années dans la phase optimiste de son travail, il faut
pour l’écriture, comme pour les protagonistes de ses romans, gagner ce pari
du terme et de la vitesse. Dans Le Château des Carpathes, moins
connu, le paysage diffère déjà légèrement. C’est bien d’un récit de voyage
dont il s’agit, mais avec une autre priorité, plus existentielle, celle des
limites entre la vie et la mort : est-il possible de redonner vie à un être
par l’image et par la voix ? Singulièrement, le roman paraît trois ans avant
les premières projections des frères Lumière et lance une interrogation qui
va bien au-delà des anticipations qui le caractérisent souvent, une
subreptice manière d’interroger ses contemporains – et nous-mêmes encore
aujourd’hui – sur le sens de notre vie, une quête, il est vrai sans limites.
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Joseph Conrad « Au
cœur des ténèbres et autres écrits » Trad. de l'anglais par Henriette
Bordenave, Pierre Coustillas, Jean Deurbergue, Maurice-Paul Gautier, André
Gide, Florence Herbulot, Robert d' Humières, Philippe Jaudel, Georges
Jean-Aubry et Sylvère Monod. Préface de Marc Porée, Présentations et
annotations des traductrices et des traducteurs, Collection Bibliothèque de
la Pléiade, Gallimard, 2017.
La parution dans la collection de la Pléiade d’un tirage spécial consacré au
célèbre écrivain Joseph Conrad, trop souvent à tort aujourd’hui ignoré, ne
peut qu’être salué !
Joseph Conrad, écrivain majeur du XXe siècle, d’origine polonaise mais de
langue anglaise, hérite dans ses jeunes années d’une situation familiale
chargée : son père fut déporté du fait de son soutien à la lutte patriotique
pour la Pologne et sa mère s’éteint à l’âge de 39 ans en raison de la
rigueur de la déportation. Confié à son oncle Thaddée puis à la mer qui se
subsistera à l’être disparu, Conrad sillonne les mers durant une vingtaine
d’années, de quoi nourrir son inspiration et son écriture. Paradoxalement,
c’est avec le large et ses horizons étendus qu’il tisse des récits en huis
clos, une façon de retrouver son destin tragique et ceux de ses congénères.
En une dizaine d’années, il passe de cette riche expérience sur les mers à
l’écriture de chefs d’œuvres dont un grand nombre se trouve réuni dans ce
volume tels Le Nègre du Narcisse, Lord Jim, Typhon,
Au cœur des ténèbres, Le Duel et bien d’autres encore… Si la
narration glisse au gré des vagues et des embruns, Conrad n’est pas pour
autant un romancier d’aventures. Lord Jim, en partie biographique,
s’il évoque les aventures d’un officier de marine britannique plonge,
cependant, plus le lecteur dans les affres de la conscience humaine que dans
celles des périples maritimes pourtant nombreux. Entre le modèle du héros,
du surhomme nietzschéen et la lucidité tragique de l’auteur, les filigranes
sont nombreux dans l’écriture de Conrad, des prismes précieux offrant
différents niveaux de lecture portés par les voix des protagonistes, ce qui
explique que ces romans aient tant inspiré des réalisateurs au cinéma
(inoubliable Peter O’Tool dans Lord Jim…). André Gide ne s’était pas
trompé lorsqu’il estimait qu’il n’y avait « aucune outrance dans ses
peintures : elles restent cruellement exactes ». Point de lyrisme
philosophique ni de réalisme cru, mais un sentiment sourd, un « insistant
ténébrisme », un incertain érigé en interrogation perpétuelle qui marque au
cœur l’écriture et l’âme de ses romans notamment l’incontournable « Au
cœur des ténèbres ». Ainsi que le rappelle Marc Porée dans sa préface,
plus qu’un écrivain de la mer, qualificatif qui avait le don d’ailleurs
d’exaspérer Conrad, c’est celui de romancier géologue qui serait plus proche
de la réalité, un amoureux des stratigraphies de l’âme humaine dont il sut
tout au long de son parcours explorer les couches souvent perméables et qui
justifie de plonger dans cet univers à partir des œuvres réunies dans ce
tirage spécial de La Pléiade venant compléter ainsi les cinq volumes de la
collection de la Pléiade lui étant déjà consacrés.
« Il régnait une grande paix, comme si la terre eût été une seule tombe,
et pendant un moment je restai là à penser surtout aux vivants, qui,
enterrés dans des lieux écartés et inconnus du reste de l’humanité, sont
cependant condamnés à partager ses tragiques ou ridicules misères ».
(Lord Jim) |
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Honoré de Balzac «
Correspondance » Tome III 1842-1850, édition de Roger Pierrot et Hervé Yon,
Bibliothèque de la Pléiade, n° 627 1424 pages, rel. Peau, 105 x 170 mm,
Gallimard, 2017.
La plume de Balzac, ce n’est un secret pour personne, a fait couler des
flots d’encre qui ont valu à la littérature un chef-d’œuvre – La Comédie
humaine - précurseur de grandes fresques à venir telle celle de Proust
avec La Recherche. Mais cet écrivain insatiable eut tout autant à
cœur d’entretenir une correspondance nourrie, dont le troisième et dernier
volume vient de paraître dans la collection La Pléiade. Roger Pierrot et
Hervé Yon soulignent en avant-propos à cet ensemble de lettres couvrant une
période de neuf ans (1842-1850) combien ce « forçat de la plume » semble
s’assagir avec un travail moins intense. Pour quelles raisons ? Balzac
apprend au tout début de l’année 1842 la mort du mari de la comtesse Évelyne
Hańska pour qui il voue une passion fougueuse, née d’ailleurs d’une
correspondance au cours de laquelle chacun des épistoliers avait enrichi un
imaginaire passionné sans limites. Désormais, leur amour peut s’afficher
plus librement, et notre écrivain a plus la tête à accompagner son amante,
qu’à noircir des feuilles. Saint-Pétersbourg, l’Allemagne, les provinces
françaises, les Pays-Bas, la Belgique, l’Italie, la Suisse… ce ne sont que
successions de voyages et de découvertes qui ressortent de la correspondance
qu’il adresse notamment à sa mère et à sa sœur. L’argent si longtemps
problématique coule à flots grâce à sa riche compagne. Projet de maison et
achats sans limites d’objets divers – telle sa fameuse robe de chambre en
termolama dont il ne tarit pas d’éloges sur une lettre entière – et qui
viennent occuper l’esprit de l’auteur de La Comédie humaine. Ce qui
ne l’empêche pas de s’intéresser de très près à l’édition de sa grande
œuvre, tel que cela ressort de ses nombreuses lettres à Pierre-Jules Hetzel
: « Hugo m’a dit que bien des personnes voyaient en moi un très audacieux
architecte et que La Comédie humaine avait toutes les proportions d’un grand
monument, ainsi, du moment où les lacunes nuisaient à la vente, je m’y suis
mis avec intrépidité, mais il ne faut pas que les Éditeurs nuisent aux
lacunes » ! Des courriers adressés à d’autres éditeurs annoncent des
œuvres majeures de ses dernières années : Splendeurs et misères des
courtisanes, La Cousine Bette, Le Cousin Pons et bien
d’autres encore… Le théâtre fait également partie de ses préoccupations dans
ces lettres, et Balzac souhaite adapter à la scène certains de ses plus
grands succès de librairie, un espoir vite déçu par leur réussite mitigée.
Parmi cette correspondance transparaît aussi des décisions émouvantes, comme
ce testament par lequel Balzac, conscient de son état de santé, décide de
léguer tous ses biens à sa bien-aimée comtesse Évelyne de Hanska, devenue «
Madame Hanska ». Ses toutes dernières années trahissent l’obsession
qu’est la sienne d’offrir à son épouse une maison digne d’elle, lui qui
évoquait sa demeure en Ukraine semblable au Louvre ! Le bonheur ne devait
décidément pas rester bien longtemps dans le cœur et la vie d’Honoré de
Balzac, 1850 sera l’année de son mariage et, quelques mois plus tard, de sa
mort avec « la seule femme que j’ai aimée, que j’aime plus que jamais et
que j’aimerai jusqu’à la mort ». Comment sur de tels aveux ne pas ouvrir
ce troisième et dernier volume de correspondance de la Pléiade consacré à
Honoré. |
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Blaise Cendrars
Œuvres romanesques précédé de Poésies complètes, Tome I Édition publiée sous
la direction de Claude Leroy avec la collaboration de Jean-Carlo Flückiger
et Christine Le Quellec Cottier, Bibliothèque de la Pléiade, n° 628, 1696
pages, rel. Peau, 104 x 169 mm, Tome II Édition publiée sous la direction de
Claude Leroy avec la collaboration de Marie-Paule Berranger, Myriam
Boucharenc, Jean-Carlo Flückiger et Christine Le Quellec Cottier,
Bibliothèque de la Pléiade, n° 629 1456 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm,
Gallimard, 2017.
Cendrars dans la Pléiade, c’était déjà deux volumes consacrés à ses œuvres
autobiographiques, véritable œuvre dédaléenne où l’exactitude se confond
avec l’imagination la plus fertile. Avec ces deux nouveaux volumes, ce sont
les poésies complètes et les œuvres romanesques qui sont proposées au
lecteur amateur de l’écriture de Freddy Sauser, plus connu sous son nom de
plume Blaise Cendrars qu’il prit une fameuse nuit du 6 avril 1912, hésitant
entre « Cendrart » et ce « s » formant arabesques, et promis à cette
postérité que l’on connait…
Cette édition réalisée sous la direction de Claude Leroy démontrera
rapidement à ce même lecteur que les divisions entre poésie, roman et
autobiographie ont tôt fait, lorsqu’il s’agit de Cendrars, de fondre dans la
main – main gauche, main coupée, ou encore de cette main aux lignes
du destin et dessinée par Conrad Moricand – de cet écrivain singulier,
francophone né en Suisse. Cette poésie débute par Les Pâques à New York
et par ces vers nourris d’inquiétude et de ferveur en un élan enflammé qui
eut tant d’influences sur la poésie de son temps et notamment Apollinaire
qui lui vint en aide lorsque Cendrars fut emprisonné pour avoir volé à
l’étalage l’un de ses recueils… Ainsi que le relève justement Claude Leroy
dans sa préface en citant l’aphorisme d’Oscar Wilde, le secret de la vie
consiste à reproduire le plus souvent possible la seule grande expérience
éprouvée. C’est un véritable kaléidoscope que la vie, la création et
l’expérience de Blaise Cendrars, un rhizome pénétrant sans que l’on ne sache
exactement sa portée. Le poète et romancier lui-même s’amusait de ce qui
pouvait être véridique ou imaginaire à partir du moment où en le lisant, ces
faits devenaient réalité. Blaise Cendrars invente comme d’autres invitent, «
une vie en forme de fugue » où la modernité a toute sa place, sans
fuite pour autant. Entre 1917 et 1924, Cendrars renonce au poème, sans
reléguer la poésie à l’oubli. Il ne faut pas faire cependant de l’auteur de
L’Or et Moravagine un avant-gardiste, son inspiration est à trouver dans la
vie, ses voyages, non dans sa contestation. L’aventure, ses nombreux voyages
nourrissent son inspiration après l’épreuve terrible de la guerre où il
perdra la main avec laquelle il écrivait jusqu’alors. Cette amputation
libère son auteur des cadres rigides, plus encore elle affranchit Cendrars
des débats qu’il juge stériles, même lorsqu’ils proviennent des dadaïstes et
surréalistes. Les frontières s’effacent, de nouveaux horizons s’offrent à
cette fugue littéraire nourrie aux contrées lointaines du Brésil et qui
donneront L’Or, Moravagine, Le Plan de l’Aiguille,
Les Confessions de Dan Yack. Le cinéma ouvre ses portes à cet esprit
insatiable et curieux de tout, il devient l’assistant d’Abel Gance et écrira
cet ABC du cinéma, un art à la hauteur de son imagination, mais qui
laissera Cendrars, poète et écrivain. Et, même si l’écrivain embrasse le
métier de reporter, il sera correspondant pour Paris-Soir notamment
lors du voyage inaugural du paquebot Normandie, c’est avant tout,
puisant à même la vie sa source littéraire, le poète de la main gauche,
l’écrivain qu’il sut forger, qui s’imposeront. Tout est signe littéraire
pour cet esprit curieux, mais quand Cendrars aime, il sait partir, en
prose comme en pensée… « Quand tu aimes il faut partir… » |
PHILOSOPHIE - SOCIETE - ESSAIS |
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Ok-Kyung Pak : « Les plongeuses Jamnyo de Jeju en Corée », Éditions Ides et
Calendes, 2019.
« Les plongeuses Jamnyo de Jeju en Corée » est une étude
anthropologique singulière puisqu’elle nous invite à découvrir l’univers
secret et peu connu de l’extrême sud-ouest de la péninsule coréenne, et plus
précisément l’île de Jeju. Cette dernière est également appelée l’île aux
trois abondances - les vents, les pierres et les femmes, une appellation
trouvant sa justification en ces lieux arides où curieusement les hommes
sont peu nombreux. Pour affronter le sol volcanique et les vents puissants,
il fallait la force d’âme de femmes courageuses, début d’une légende
matrilinéaire et d’une réalité constatée au fil des temps. C’est dans cet
environnement atypique que l’anthropologue Ok-Kyung Pak a ainsi entrepris,
en 2016, une étude de terrain qui l’a conduite à étudier plus
particulièrement ces plongeuses en apnée, une activité habituellement
réservée aux hommes dans les autres sociétés. C’est ainsi l’univers
singulier de cette Île, de ses habitants, et surtout de ses plongeuses
nommées Jamnyo que Ok-Kyung pak nous offre de découvrir, une analyse
appuyée par plus de 130 illustrations, cartes, schémas et photographies
couleur.
Or, ici, c’est par leur seul souffle et une ceinture lestée de plomb que ces
femmes risquent leur vie à chaque plongée pour pêcher 15 jours par mois
ormeaux, conques, varech… Chaque journée compte 4 à 7 heures de plongée,
chacune durant près de 2 mn jusqu’à 20 mètres de profondeur, ce qui est un
exploit physique étonnant et pourtant anonyme. Car en ces lieux, il n’est
point question de compétition ou de grand bleu, mais de l’intime conviction
d’appartenir à un ancêtre commun, la déesse-mère Seolmundae Halmang pour qui
chaque plongeuse réalise un rituel chamanique lors des plongées. Leur vie
est d’ailleurs entendue également en un sens collectif puisque le fruit de
chaque plongée est partagé et toute idée de pêche intensive écartée. Cette
approche communautaire, étroitement liée aux éléments naturels dont la mer
constitue la force la plus manifeste, offre un rare témoignage de ces temps
anciens où l’homme n’avait point comme seul horizon le profit intensif. Au
XXIe siècle à des milliers de kilomètres de nous existe encore une société
malheureusement en déclin en raison de la pollution des mers et du
développement industriel qui perpétue cet étonnant héritage ainsi qu’en
témoigne cette belle étude ! |
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Metin
Arditi Dictionnaire amoureux de l’Esprit français éditions Plon & Grasset,
2019.
Audacieux et téméraire en nos temps troublés que d’aborder le thème de l’Esprit
français illustré en page de couverture d’un Cyrano arborant la cocarde
multicolore ! Et pourtant cette initiative n’a rien de politique puisqu’elle
est le fait de l’écrivain suisse d’origine turque Metin Arditi, envoyé
spécial de l’UNESCO pour le dialogue interculturel, ce à quoi cette plume
s’adonne avec un plaisir jubilatoire dans ce Dictionnaire amoureux
des éditions Plon & Grasset. Partant de cette idée de séduction dont on
affuble souvent les Français, l’écrivain talentueux ayant signé de nombreux
romans dont Le Turquetto, La Confrérie des moins volants, L’enfant qui
mesurait le monde… transporte les lecteurs de ce Dictionnaire dans des
entrées qui ne manquent pas d’audace, telles les entrées proches -
alphabétiquement s’entend – comme Céline et Dreyfus avec
l’antisémitisme en toile de fond… Quel que soit le choix effectué par
Metin Arditi, le plaisir manifeste demeure non point de cerner, mais de
révéler par petites touches l’Esprit français, ce dernier se matérialise par
une mosaïque de points de vue, indispensables selon l’auteur pour répondre
au vœu de Molière : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de
toutes les règles n’est pas de plaire ». La beauté compte certainement
parmi cette identité, beauté multiple et variable qu’elle se manifeste dans
l’art d’Édith Piaf ou de Marcel Proust, des Jardins à la française ou de
Brassens. Les grands écarts certes ne manquent pas avec l’entrée
Jambon-beurre qui suit celle du Jacobinisme et précède
Jankélévitch. Ce sont justement dans ces contrastes que le tableau de
cet Esprit insaisissable peut certainement le plus facilement se laisser
dévoiler, la France aime et cultive les contrastes jusqu’aux conflits et
oppositions comme l’avait déjà relevé Jules César dans sa Guerre des
Gaules, et plus récemment le Général de Gaulle dans ses Mémoires…
En découvrant au fil des pages et de ses thèmes ce Dictionnaire amoureux vu
par un « étranger » si familier de la France, l’envie prend immédiatement de
prolonger chacune de ces entrées, d’en faire des pistes de lectures et
découvertes supplémentaires pour ne point passer à côté de cet Esprit
français que restitue si admirablement Metin Arditi dans ces pages
truculentes ! |
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Pier
Paolo Pasolini « Écrits corsaires » traduction de Philippe Guilhon 288 pages
- 140 x 200 mm, collection Champs arts Flammarion, 2018.
Pier Paolo Pasolini a assurément pris au pied de la lettre le titre donné à
ces articles réunis dans un livre « Écrits corsaires » et aujourd’hui
publiés en français dans la collection Champs arts Flammarion avec une
traduction de Philippe Guilhon. Corsaire est, en effet, bien
l’attitude adoptée par l’écrivain italien et pour l’occasion essayiste
polémique, dans ces articles sans concessions parus dans la presse jusqu’aux
derniers mois avant sa mort. Le lecteur retrouvera dans certaines
contributions le regard lucide de celui qui n’écarta pas les paradoxes les
plus inattendus ; le poète hors convention avoue ainsi, bien que n’aimant
pas ces jeunes gens aux cheveux longs qu’il décrit, se rallier finalement à
leur cause lorsqu’ils font l’objet d’une attaque de la part de la société
bourgeoise bien pensante de son époque. Pasolini ne choisit pas la voie
facile, n’est en aucune manière partisan du choix médian, mais adopte le ton
de la polémique, du combat même, avec sa plume acérée qui lui a valu tant
d’inimitiés jusqu’à sa mort, dans l’opposition politique à ses idées jusqu’à
la gauche italienne… Adepte de la microrésistance, apôtre des arts dans
lesquels il excelle avec une facilité déconcertante, Pasolini pointe et fait
mouche en bien des domaines qu’il aborde dans ces pages. Du fameux article
sur La disparition des lucioles, métaphore de l’extinction du parti
communiste, jusqu’au fascisme des antifascistes, Pasolini se trouve
là où on l’attend le moins, décalage toujours fécond qui invite à de
nouveaux points de vue, un regard lavé des conventions. Si certains textes
sont conjoncturels, la réflexion mise en œuvre peut la plupart du temps être
reprise dans bien d’autres contextes actuels, dont Pasolini avait si
distinctement prévu l’évolution de manière confondante. Pointent
régulièrement dans ces pages alertes, non seulement l’analyste de son temps,
mais aussi le poète qu’il ne cessa d’être, l’écrivain parfois, le cinéaste
dans d’autres contextes encore, car pour Pasolini, les arts n’étaient en
rien questions de disciplines, mais de vie, cette vie qu’il mena intensément
jusqu’à son terme pour mieux en explorer les confins. |
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Nietzsche
« Sur l’invention de la morale » présentation par Arnaud Sorosina, édition
avec dossier, Garnier Flammarion, 2018.
Quel rapport entretenons-nous avec les valeurs comme le bien, le mal, la
bonté, la justice ? Nietzsche invite le lecteur à s’interroger à leur
sujet et à mieux considérer leur origine, moins naturelle qu’elle ne
pourrait paraître selon le philosophe. La religion, bien entendu, apparaît
vite au banc des accusés pour le philosophe critique de la culture
occidentale. La faute et la culpabilité sont responsables des maux de
l’homme moderne qui cherche l’oubli dans le remords et la veulerie, une
approche qui ne sera pas étrangère à la psychanalyse quelques décennies
plus tard. Arnaud Sorosina, par sa présentation, accompagne le lecteur
dans sa découverte de ce livre de Nietzsche. Le texte est ainsi précédé
d’une introduction éclairante quant à l’évaluation faite par le philosophe
des valeurs : leur origine, leurs développements au cours de l’Histoire
par la religion, ainsi que leurs méfaits sur l’homme qui a perdu à cause
d’elles sa noblesse et sa santé. Peut-on se libérer de la morale ? Belle
interrogation qui accompagnera le lecteur tout au long de ce texte à
redécouvrir en nos temps troublés. |
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Jean-Jacques Bedu : « Les Initiés ; De l’an mil à nos jours », Collection
Bouquin, Robert Laffont, 2018.
Somme considérable, incontournable ! L’ouvrage « Les Initiés de l’an mil
à nos jours » signé Jean-Jacques Bedu ne peut, en effet, que faire date
et s’imposer, de par l’imposant travail présenté, en ouvrage de référence.
Un joli défi relevé, et ce à bien plus d’un titre.
Audacieux, en premier lieu, l’ouvrage, dans un style volontairement
accessible, propose au lecteur pas moins de 2000 ans d’histoire d’initiés,
de courants et traditions initiatiques avec plus de 115 entrées ou noms
d’initiés, avec pour chacun, sa vie et son parcours condensés, certes, mais
jamais de manière lapidaire. On y trouve, bien sûr, Avicenne, Hildegarde,
Ibn d’Arabi, Maître Eckhart, Léonard de Vinci, Swedenborg, Papus et Péladan
ou encore Krishnamurti, et bien sûr, pour un tel ouvrage, René Guenon…
Retenant, par souci de clarté, un ordre chronologique, regroupant ces
initiés en 4 grandes périodes – L’an mil ; La Renaissance ; Le Grand Siècle
au Siècle des Lumières ; le XIXe siècle ; et le XX siècle débordant sur le
XXIe siècle, soit de leur éclosion à aujourd’hui. L’auteur balaye tant
l’occident que l’orient ou l’extrême orient, mettant ainsi en évidence les
grands courants dans lesquels viennent s’inscrire ces initiés de tous les
temps et époques : alchimie, magie, kabbale, Soufisme, Théosophisme,
Templiers, Rose-croix, Franc-maçonnerie, occultisme, etc. Courants
entremêlant tant les grandes religions et ses différentes doctrines que les
sociétés secrètes ou l’occultisme, hermétisme, prophétisme, etc.
Audace, aussi, d’avoir su allier dans ce dédale d’initiés, de sensibilités
multiples et croisées ,un riche travail de qualité à une approche accessible
et claire dans un style fluide fort plaisant, faisant de cette somme un
ouvrage se lisant comme un roman, enchaînant aventures, légendes et destins
hors normes. Que de vies, de destins… d’initiés ! On songe à Blake, à
Nicolas de Flamel et « son » livre si cher à C.G. Jung.
A ces titres, l’ouvrage ne peut que séduire un large public, chercheurs,
universitaires, lecteurs souhaitant être initiés ou tout lecteur curieux ou
avide de vies romanesques. Dans ces initiés, un grand nombre de noms
séduira, aussi, les littéraires tels Rabelais, Cyrano de Bergerac, Novalis,
Goethe, Gérard de Nerval, Victor Hugo, Villiers de l’Isle-Adam, Huysmans, ou
encore les amateurs d’art avec notamment William Blake, Joséphin de Péladan
ou de musique avec Mozart.
Non dénué d’humour, Jean-Jacques Bedu n’hésite pas, d’ailleurs, à ouvrir son
ouvrage avec Gerbert d’Aurillac, un non-initié, et à terminer cette longue
histoire d’initiés à travers les âges et les siècles avec Steve Jobs ! Mais,
l’auteur ne manque pas, non plus, avec pertinence de sens critique et de
prises de position souvent bien venues. Le texte consacré à Louis Massignon
est très beau et très justement présenté. Jean-Jacques Bedu n’hésite pas,
également, à douter, à souligner, mettre à plat ou purement et simplement
écarter. Eh ! oui, parmi ces initiés se cachent parfois quelques imposteurs
ou légendes inopportunes ; on songe notamment à Rabelais ou à Victor Hugo.
Soucieux cependant d’objectivité, l’auteur sait aussi mettre en balance son
scepticisme avec le poids des légendes, mythes ou à renvoyer les
controverses entretenues dos à dos, notamment pour Nostradamus, invitant par
là même ses lecteurs à se tourner vers la biographie informée donnée pour
chaque entrée. L’ouvrage comporte, par ailleurs, en fin de volume de très
riches orientations biographiques thématiques, ainsi qu’un très complet
index des noms fort utile ou encore un glossaire.
Y a-t-il encore des initiés en 2018 ? Nous l’avons souligné, l’auteur
termine par un clin œil avec Steve Jobs ; que l’on soit séduit ou non par ce
dernier choix (n’a-t-il pas plus initié qu’il n’a été initié ?), il demeure
que la question reste entière et d’actualité, révélant tout l’intérêt et le
mérite de cet ouvrage consacré aux « Initiés de l’an mil à nos jours
».
L.B.K. |
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Pasolini's Bodies and Places (en anglais) Michele Mancini and
Giuseppe Perrella N° 241, relié, 640 pages, 22 × 21 cm, anglais, Benedikt
Reichenbach, Editions Patrick Frey, 2017.
Pasolini's Bodies and Places est un ouvrage à la fois savant mais
parfaitement accessible à tout amateur du cinéma et de l’univers pasolinien.
À partir d’hypothèses de travail exprimées au début du livre par l’écrivain,
poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini, les auteurs de cet ouvrage, Michele
Mancini et Giuseppe Perrella, ont réuni 1734 reproductions de scènes de ses
films, archivées et analysées à partir de thématiques centrées sur les corps
et les lieux. Véritable cartographie anthropologique s’étendant sur trois
continents (Europe, Afrique et Asie), cette réflexion retient cette attitude
chère à Pasolini d’établir des chemins et des correspondances entre les
borgate de Rome, le Tiers-Monde et les villes soumises au développement
néocapitaliste. Ces archives offrent ainsi un témoignage unique sur de
véritables univers disparus ou appelés à disparaître et fixés à jamais par
la caméra et le regard critique de ce visionnaire que fut Pasolini. À partir
de classifications détaillées de postures, expressions du visage, gestes,
grimaces, sourires, rires et bien d’autres encore, c’est un véritable
laboratoire d’analyses anthropologiques que proposent les auteurs à partir
des films du cinéaste. Le lecteur habitué à l’univers pasolinien retrouvera
alors bien des correspondances avec les écrits majeurs de Pasolini, les
frontières entre les arts s’effaçant sous son regard. Les cultures des
périphéries émergent alors, subrepticement, au détour d’un cadrage, ici pour
souligner un détail ethnique, là, pour évoquer une attitude à jamais
révolue. Les lieux si importants pour Pier Paolo Pasolini rythment la caméra
et ses mouvements, qu’il s’agisse d’un environnement fermé comme une prison,
un hôpital ou un bar, ou encore ouvert comme le désert ou le mont des
Oliviers… Une fois de plus, les mutations imprègnent la pellicule, de
manière express ou sous-entendue selon les films. L’aliénation culturelle
broyée sous la mondialisation conduit à une uniformité des corps et des
lieux, une tendance à l’extrême opposé au cinéma et à l’œuvre de Pasolini,
tel est le mérite de l’analyse de ces pages. Une bibliographie et
filmographie complètent cette somme incontournable pour tout passionné de
l’œuvre de Pasolini. |
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Élisabeth Roudinesco « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse », Édition
Plon/Seuil 2017.
L’historienne et psychanalyste Élisabeth Roudinesco signe le «
Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse » aux éditions Plon. Après son
célèbre « Dictionnaire de Psychanalyse » dont on ne compte plus les
rééditions qu’elle rédigea avec Michel Plon en 1997, l’auteur précise avoir
hésité pour cette nouvelle et autre entreprise. Mais, Élisabeth Roudinesco
avoue également avoir « toujours aimé les dictionnaires. Ils recèlent un
savoir qui ressemble à un mystère », écrit-elle en incipit de son texte
introductif à ce « Dictionnaire amoureux de la Psychanalyse ». Et
effectivement, Élisabeth Roudinesco nous livre par cet ouvrage un véritable
dictionnaire amoureux, empreint de toute la subjectivité de l’auteur, et
dont les mots-clés ou entrées surprendront agréablement le lecteur. Pas de
mots classico-magiques de la psychanalyse, pas de grands concepts ou noms
trop incontournables pour liste d’entrées, mais des noms de ville, beaucoup
de villes, Berlin, Buenos Aires, Francfort, Rome, Vienne, Zurich, etc., dans
lesquelles s’inscrivent des choix et enchaînements révélant toute la
distance et l’audace de l’auteur. « Des territoires réunis de façon
arbitraire », souligne Élisabeth Roudinesco, abordant ce vaste
territoire de la psychanalyse par des thèmes aux prises directes avec la
société de ce début de siècle : éros, amour, famille, désir, bonheur, les
animaux et, bien sûr, l’argent avec celui notamment qui fâche, contre ou
entre psychanalystes, et si ce n’est Freud, c’est donc Lacan… Et même si
Jung n’a jamais en tant que tel acquis sa maison de Bolligen mais l’a bel et
bien bâtie, ce qui l’eut privé de nombre d’analyses et inspirations, le
lecteur sourira à l’évocation de certaines entrées telle « Sherlock Holmes
», surprenantes avec « Philippe Roth » ou les « Présidents américains ».
Parfois les mots s’assombrissent sous les destins notamment de « Marylin
Monroe » ou deviennent graves. La femme y trouve une belle place avec des
entrées telles que le « Deuxième sexe » ou tout simplement « femmes » pour
celle qui avoue n’avoir – en partie grâce à sa mère – accordé la place qui
se devait à Beauvoir que tardivement. L’enfance, enfin, ne pouvait être
omise, et lui sont accordées de nombreuses pages de ce territoire aux
multiples rives. C’est bien à un voyage d’une subjectivité tout amoureuse en
ce territoire parfois choisi, parfois rejeté ou maudit, mais toujours
fascinant de la psychanalyse auquel nous convie Élisabeth Roudinesco, «
un voyage au cœur d’un lac inconnu situé au-delà du miroir de la conscience.» |
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Jean-Louis Servan-Schreiber "L'Humanité, apothéose ou apocalypse ?" Fayard,
2017.
Jean-Louis Servan-Schreiber réfléchit depuis des décennies au sens de nos
vies et de la vie, qu’il s’agisse de l’emploi du temps que nous lui
réservons, tout aussi bien que du sens que nous lui assignons. Avec ce
dernier livre « L’humanité », l’auteur prend encore plus de recul, une
distance facilitée par l’âge et ce sentiment que notre époque est plus que
jamais touchée par le « court-termisme » comme il le nomme. N’ayant plus le
temps de réfléchir au passé, souffrant du présent et redoutant d’envisager
le futur, nous sommes de nouveau dans la situation que soulignait déjà en
son temps Sénèque dans son De Brevitate Vitae, malades de notre temps
et de nos vies. Et pourtant, Jean-Louis Servan-Schreiber ne compte pas parmi
ces pessimistes invétérés qui inondent de leurs prédictions tragiques
l’environnement médiatique. Relevant, avec raison, combien le XXe siècle a
pu être à l’origine de formidables progrès pour une grande partie de
l’humanité, sans pour autant oublier ses laissés-pour-compte et tout en
soulignant l’individualisme galopant qui en a résulté, jamais l’humanité
jusqu’à aujourd’hui n’a eu autant d’impact sur son environnement et ses
semblables. Faut-il s’en inquiéter, faut-il s’en réjouir ? Apothéose ou
apocalypse ? Telles sont les interrogations soulevées avec humilité par cet
éternel scrutateur de notre société, un questionnement nourri par le
témoignage d’un certain nombre de personnalités telles Jacques Attali, André
Comte-Sponville, Roger Pol Droit, Marcel Gauchet, Pascal Picq ou encore
Edgar Morin…
L’accélération des moyens technos-scientifiques laisse l’impression d’une
accélération du temps dont nos contemporains ne cessent de souffrir, ce dont
a témoigné avec acuité l’auteur dans ses précédents ouvrages. Mais,
aujourd’hui, se posent de nouveaux problèmes : que faisons-nous de ces
progrès ? Ne sont-ils pas susceptibles d’aller jusqu’à la transformation de
l’humain si l’on pense aux avancées de la génétique et du transhumanisme ?
Saurons-nous faire face à cet écart grandissant entre une partie de
l’humanité ayant plus que le nécessaire, et une partie plus grande encore de
cette même humanité qui réclame de n’être pas exclue de ce progrès ? Sans
prétendre avoir les réponses à ces questions de fond, l’ouvrage invite à
élargir notre regard sur notre époque, dépasser le rythme effréné des
news alarmistes qui empêchent le recul et la réflexion, prendre une
partie de ce temps si cher à Jean-Louis Servan-Schreiber pour penser à notre
avenir, au-delà d’un clivage optimistes-pessimistes.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Lucien Jerphagnon « L’au-delà de tout » préface du
cardinal Poupard, Collection Bouquins, Robert Laffont, 2017.
Six ans déjà que Lucien Jerphagnon nous a quittés, et pourtant son sourire
malicieux et son regard pétillant semblent encore si présents ! Ce grand
spécialiste de la philosophie antique et médiévale aimait à se présenter
comme un historien de la philosophie, et non en philosophe, n’ayant pas de «
jerphagnonisme » à proposer comme il le rappelait d’un clin d’œil
complice. Né en 1921, Plotin et saint Augustin, entre autres, n’avaient
aucun secret pour lui. La collection Bouquins, après le premier
volume Les Armes et les Mots réunissant les titres les plus connus de
l’auteur vient de lui consacrer un deuxième volume intitulé « L’au-delà
de tout » et réunissant des titres méconnus s’inscrivant dans la période
1955-1962. C’est la pensée intime d’un esprit à la fois jaillissant et
secret qui se révèle au fil de ces pages à la saveur incomparable. Ainsi que
le rappelle le cardinal Poupard qui signe la préface de ce fort volume, si
la pensée et les convictions spirituelles de Jerphagnon ont pu évoluer au
cours de son riche parcours, il demeure certaines convictions de fond,
immuables, et que résume à elle seule, de manière évocatrice, la phrase
d’André Malraux mise en exergue par Jerphagnon lui-même de son essai « Le
Mal et l’Existence » : « Tous les grains pourrissent d’abord, mais il
y a ceux qui germent… Un monde sans espoir est irrespirable. » André
Malraux, L’Espoir, ouvrage qui ouvre aujourd’hui ce recueil.
Le thème du mal et de la souffrance qu’il engendre est récurrent depuis
l’aube de l’humanité croyante, et bien souvent un argument avancé pour
critiquer l’idée même de transcendance. Si Dieu est amour, comment peut-il
accepter que sa création subisse le mal ? Plutôt que de partir de cette
traditionnelle opposition amour / mal, Lucien Jerphagnon souligne combien il
s’agit là d’un mystère qui ne saurait être réduit à une « explication
» rationnelle, mais à une interrogation sur la propension de l’homme à se
diviser. L’auteur développe le fameux exemple de Job dans la Bible, comme
l’illustration de l’impuissance de l’homme à comprendre les maux qui peuvent
s’abattre sur lui, des épreuves souvent initiatiques qui invitent à un
rapprochement de la source transcendante, au lieu de l’en éloigner, ce qui
arrive parfois. Prolongeant sa réflexion sur le mal, Lucien Jerphagnon étend
son analyse notamment au philosophe Pascal auquel il consacrera un premier
essai « Pascal et la souffrance », complété par un autre titre «
Pascal », et enfin « Le Caractère de Pascal », chacun de ces
ouvrages explorant la position philosophique de celui qui estimait que
l’homme est inévitablement malheureux en raison de sa nature même mue par un
mécanisme absurde le poussant à être inconstant et misérable. Seule la
rencontre du Crucifié, le Dieu humilié, peut confondre le mal et réduire à
néant les misères de l’homme. La lecture de ces essais ne peut être
dissociée de cette période bien particulière de l’auteur – longtemps tue et
ignorée du public, période durant laquelle il fut ordonné prêtre en 1950
avant de quitter les ordres dix ans plus tard, une parenthèse de vie sur
laquelle il garda un silence absolu. Ce deuxième recueil démontre, s’il en
était encore besoin, que l’on a encore beaucoup à apprendre sur et de ce
grand maître, Lucien Jerphagnon.
Philippe-Emmanuel Krautter
(à
lire notre interview
de Lucien Jerphagnon)

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Baudouin de Bodinat : « Au fond de la couche
gazeuse ; 2011-2015 », Editions Fario.
« Au fond de la couche gazeuse ; 2011-2015 », le dernier ouvrage de
Baudouin de Bodinat paru aux éditions Fario qui fait suite à « La Vie sur
Terre » (T. 1 & 2, Ed. de l’Encyclopédie des nuisances) est un livre
lumineux à l’écriture implacable dont la lecture, certes exigeante, ne
pourra laisser le lecteur indifférent. C’est, en effet, un regard lucide que
pose l’auteur sur le monde « comme il va ». Désastres écologiques,
pollution de l’air et des mers, effets dévastateurs méconnus ou volontiers
ignorés du numérique, des nanotechnologies, etc. rien n’échappe vraiment à
Baudouin de Bodinat. L’auteur n’a de cesse, non de dénoncer, mais bien de
penser. Ne posant ni jugements, ni procès, il mène une inlassable réflexion
comme d’autres respirent ; une pensée comme quelque chose de vital, dans ce
monde où la pollution lumineuse laisse l’homme moderne s’engloutir dans un
somnambulisme numérique d’où la mémoire de la voie lactée et de l’homme
lui-même se perdent sans bruit. Dans cette vaste réflexion menée sur
plusieurs années, il s’interroge notamment sur l’abîme qui se glisse
inexorablement entre l’intelligence émotionnelle et le numérique, le partage
de la prétendue intelligence des Smartphones dans ce monde panoptique
ou encore sur ce temps numérique « en simultanéité planétaire, dans ce
présent stationnaire où l’histoire est rentrée en phase gazeuse (un gaz
explosif) ; qui substitue ainsi à la durée psychique de la rotation des
aiguilles (en analogie à la course du soleil, à la succession des jours et
des nuits) sa chronométrie d’instants égrenés au compteur du processus en
cours, où nous n’importons pas avec nos allées et venues… »
Baudouin de Bodinat ne se complait cependant pas dans un pur et sombre
pessimisme, mais propose, dans une langue ciselée, une prise de conscience,
un avertissement, « une expansion de la conscience, qui puisse la nourrir
et l’accroître, étendre ses perspicacités dans les choses d’où dépend la
conduite de la vie », souligne-t-il à propos des livres « papiers
». Laisser encore un peu de place à la pensée, à l’imagination, aux
fantasmagories qui font le temps et les mystères de la vie. Enrayer cette
vaine course folle à la performance et au « toujours plus ». Il y a
chez lui comme une volonté de conjuration face au sort de ce monde dévasté.
Comme Eugène Atget, à qui il a consacré un petit ouvrage (éd. Fario 2014 ;
notre chronique),
il capture par son écriture les dernières images d’un monde qui s’éteint, et
se souvient d’une rangée de haricots, des pois de senteur, ou de la valeur
d’un livre papier tenu entre les mains comme un éveil des sens ; «
certains matins la beauté inaugurale du ciel s’illuminant au levant infuse
l’âme tout entière, et profondément alors nous accorde à notre partie
terrestre » écrit-il. Et de son regard, comme par la lucarne d’un
téléobjectif, il nous décrit ce monde déjà présent qui nous apparaît à tort
comme l’impensable ; une cartographie de cet indéniable saccage qualifié
étrangement d’inimaginable. Sa pensée n’est pas éloignée d’autres
philosophes engagés tel que Miguel Benasayag dont les écrits, dans une
tonalité certes différente, avertissent des mêmes dérapages et dangers
imminents. Perdre de vue la terre et tout ce qui fait l’homme. Car si
l’humanité du XXe siècle fut la première à aller, certes, sur la lune, mais
aussi à acquérir la capacité de s’autodétruire, elle est surtout, en ce
début de XXIe siècle, la première à ne plus savoir comment arrêter ce compte
à rebours d’un suicide généralisé et autoprogrammé.
Un ouvrage qui interroge, interpelle et rappelle combien il est nécessaire
et urgent pour l’homme d’aujourd’hui de ne plus se vouloir aveugle et de
regarder « au fond de la couche gazeuse », en se souvenant que la «
chose qui surprend les astronautes […] – souligne Baudouin de Bodinat
- c’est la minceur de la couche d’atmosphère entourant notre globe ; la
ténuité de cette enveloppe gazeuse autorisant la vie en bas, la respiration
de la nature ensoleillée en rotation dans l’obscurité intersidérale ;
l’existence de ces milliards d’humains s’activant sans relâche dans leurs
villes énormes, leurs fumées, leurs radiations. »
L.B.K. |
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François Jacob : « Voltaire », Gallimard, Coll.
Folio biographies, 2015.
Voltaire, oui, bien sûr. Cité de gauche à droite, de haut en bas, toujours.
Mais connaît-on pour autant au-delà des citations la vie de François-Marie
Arouet (1694-1778) destiné à devenir Arouet de Voltaire puis Voltaire, «
notre » Voltaire ? Connaît-on, en effet, celui qui se plaisait à affirmer,
même encore à 83 ans l’année de sa mort, qu’il n’était pas né contrairement
à ce que mentionnait son certificat de baptême le 21 novembre 1694 ?
Connaît-on la vie de celui qui par ailleurs n’avait pas écarté d’être le «
bâtard » du noble et ombrageux mousquetaire du roi Claude Guérin de
Rochebrune, et qui enfin préféra pour des raisons demeurées encore
énigmatiques choisir le pseudonyme de Voltaire ? Voltaire quel choix ! La
vie du grand philosophe, figure emblématique de la pensée française et qui
fut plus que salué lors de son retour à Paris après presque trente ans
d’absence, méritait bien une biographie supplémentaire accessible, claire et
faisant le point sur de nombreuses questions plus que jamais d’actualité.
C’est cette biographie inédite parue dans la collection Gallimard-Folio
biographies que nous propose aujourd’hui François Jacob dans un style
vif et non dénué d’humour pour ce grand penseur qui aimait et maniait si
bien cet art difficile qu’est l’ironie. L’auteur, conservateur de la
Bibliothèque de Genève en charge de l’Institut et du Musée Voltaire de
Genève, spécialiste du XVIIIe siècle, a consacré déjà de nombreux ouvrages
au philosophe et à son plus fervent ennemi à partir de 1660 Jean-Jacques
Rousseau admis au Panthéon trois ans après Voltaire. Suivant une ligne
biographique strictement chronologique, on y retrouve les amitiés et les
influences marquantes du jeune François-Marie au Lycée jésuite
Louis-le-Grand, les affinités et inimitiés du penseur, les démêlés du
philosophe, les ambitions de l’écrivain, œuvres philosophiques, théâtrales,
conteur, romancier, poète, grand épistolaire et historien. Il fut
contemporain et historien de Louis XIV ; il a, en effet, 21 ans lorsque
Louis meurt et il regarde passer le cortège royal, quarante ans plus tard,
il écrira « Le siècle de Louis XIV »… (Folio classique, 2015). C’est
une vie indissociable d’une pensée et d’une œuvre immense que nous donne à
lire François Jacob dans cette biographie ; des pages où s’enchaînent les
rencontres du penseur avec les grands et les plus influents intellectuels de
son siècle faites de positions anticléricales, de débats pour une monarchie
modérée et libérale, de luttes contre le fanatisme religieux et de combats
pour la tolérance, la liberté, la justice, pour cette pensée éclairée des
Lumières. |
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Elisabeth de Fontenay « La prière d’Esther » Seuil,
2014.
Élisabeth de Fontenay signe avec La prière d’Esther un livre très
personnel, à mi-chemin entre l’évocation cathartique et la digression
savante invitant pour ce faire l’Ancien Testament, Racine ou encore Proust à
ces conversations intimes. La philosophe incite à ouvrir la Bible, celle de
Sacy de préférence pour son admirable traduction qui nous transporte à
Port-Royal et à sa sobre élégance, afin d’y relire la mémorable prière
d’Esther, personnage éponyme du livre de l’Ancien Testament. La prière
d’Esther, épouse du roi de Perse Assuérus et originaire de Judée, débute
ainsi :
O roi, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, je vous conjure de
m'accorder, s'il vous plaît, ma propre vie pour laquelle je vous prie, et
celle de mon peuple pour lequel je vous supplie. Car nous avons été livrés,
moi et mon peuple, pour être foulés aux pieds, pour être égorgés et
exterminés. Et plût à Dieu qu'on nous vendît au moins, hommes et femmes,
comme des esclaves ! ce mal serait supportable, et je me contenterais de
gémir dans le silence ; mais maintenant nous avons un ennemi dont la cruauté
retombe sur le roi.
Racine reprit dans sa tragédie Esther, en écho cette antique
supplique commémorée chaque année lors de la fête de Pourim, et dont les
premiers vers commencent ainsi :
Ô mon souverain Roi !
Me voici donc tremblante et seule devant toi.
Mon père mille fois m’a dit dans mon enfance
Qu’avec nous tu juras une sainte alliance,
Quand pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
Il plut à ton amour de choisir nos aïeux.
Même tu leur promis de ta bouche sacrée,
Une postérité d'éternelle durée.
Hélas ! ce peuple ingrat a méprisé ta loi.
La nation chérie a violé sa foi.
Elle a répudié son époux, et son père,
Pour rendre à d'autres dieux un honneur adultère.
Maintenant elle sert sous un maître étranger.
Mais c'est peu d'être esclave, on la veut égorger.
Élisabeth de Fontenay a dès son plus jeune âge retenu par cœur cette prière,
dans laquelle elle se réfugiait inconsciemment avant d’apprendre le terrible
secret de famille : élevée dans la religion catholique afin de la protéger
de la barbarie nazie, une grande partie de sa famille maternelle fut
exterminée dans les camps de la mort. Petite, Élisabeth de Fontenay s’est
identifiée à cette prière, jusqu’à la savoir par cœur, tout en « ignorant »
qu’elle était issue de cette antique lignée célébrée dans la prière. Les
raccourcis sont toujours rapides lorsqu’il s’agit de rechercher là son
attachement avec les sans-voix que l’on mène chaque jour à l’abattoir, la
philosophe est prudente et nous comprendrons mieux pour quelles raisons en
découvrant cet essai inspirant à plus d’un titre. Le premier d’entre eux
vient très certainement de cette idée évoquée par Walter Benjamin selon
laquelle « entre les générations passées et la nôtre existe un rendez-vous
mystérieux ». Ces instants de rencontre se font souvent à l’insu des
protagonistes comme le démontre cette prière venue de la plus ancienne
Histoire biblique aux oreilles d’une jeune enfant pourtant bercée par le
rite catholique romain. Et cette fulguration, comme le rappelle la
philosophie, a choisi un intermédiaire de choix en la personne de Racine. Ce
n’est en effet pas par le texte biblique directement, mais par son heureuse
variation léguée par le théâtre racinien que la jeune fille put en fin de
compte cristalliser ce message par une anamnèse irréversible. Qu’allait-elle
en faire cependant ? L’ensemble de l’œuvre d’Élisabeth de Fontenay en est en
quelque sorte la réponse et cet essai, cette forte « prière d’Esther » en
donne en filigrane une belle démonstration. L’intellectuelle, par-delà la
mémoire particulière, est consciente des risques que font courir les
enjambements temporels comme elle les nomme, ainsi que la continuité à
travers les temps. Aussi, se garde-t-elle des généralisations qui réduisent
et ouvrent les voies aux faux prophètes. Nous la suivrons alors dans ces
habiles sinuosités d’un texte dont les multiples traductions sont autant de
témoins convoqués à cette brillante conversation avec elle-même, et avec ses
lecteurs…
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Miguel Benasayag avec la collaboration d’Angélique
del Rey : « Clinique du mal-être ; la psy face aux nouvelles souffrances
psychiques », Editions La Découverte, 2015.
Après le livre La fragilité réédité en 2014, Miguel Benasayag avec la
collaboration d’Angélique del Rey propose avec ce dernier ouvrage
Clinique du mal-être de nouvelles réflexions sur les souffrances de
l’homme moderne, mais ici confrontées à la psychanalyse, psychiatrie, et
autres pratiques de psychothérapie, ou dit plus rapidement face au monde de
la psy selon le titre de l’ouvrage. Comme à son habitude, Miguel
Benasayag – philosophe et psychanalyste - ne prend ni détours ni gants pour
dresser un bilan et les défis que doit aujourd’hui relever la psy face
aux nouvelles souffrances psychologiques. Pour ce faire, l’auteur
expose, en premier lieu, la solitude profonde qui touche l’homme et les
femmes, mais aussi les enfants et ados dans notre monde occidental
contemporain. Or, s’il existe bien une solitude existentielle inévitable
propre à la condition humaine, à la condition d’être vivant limité,
pour le psychanalyste Miguel Benasayag, l’homme moderne se cogne cependant
aujourd’hui à une solitude ontologique. Les auteurs soulignent combien les
liens qui structurent l’être sont de nos jours brisés voire absents,
faussement remplacés par des liens ou réseaux toujours plus factices,
oubliant ainsi la question de la séparation, et laissant l’homme moderne,
seul, coupé de tout, de tous, et en premier lieu de lui-même ; Or, cette
solitude ontologique est productrice de souffrances originales au sens où
elle engendre l’impuissance. L’agir est en effet profondément attaché à nos
liens éprouvés avec le monde, avec l’étendue de notre surface d’affection
[…] souligne l’auteur qui s’inscrit dans la lignée de la psychiatrie et
des psychothérapies alternatives ; or, pour répondre à cette souffrance,
l’homme moderne est de plus en plus conduit à choisir une adaptation
excessive, une mobilité intérieure, qui ne peut entraîner
malheureusement qu’une détérioration de sa propre intériorité aggravant
ainsi ses maux psychologiques. Bien plus, note encore Miguel Benasayag, la
souffrance de l’homme moderne est elle-même dénoncée comme déviance,
déviance bien vite récupérée et prise en charge par le corps médical ; une
médicalisation et médication conduisant à une désubjectivation de la
souffrance engendrant ainsi encore une plus grande souffrance.
La psy se doit donc de répondre à ces nouvelles afflictions psychiques de
l’homme du XXIe siècle qui se traduisent par de nouvelles demandes. Car,
aujourd’hui, ce ne sont plus les classiques interrogations, Pourquoi je
souffre ? D’où vient cette souffrance ?, qui sont posées au psy, mais
comment recoller, comment être performant, réparer ? … comme on répare
ou booste un moteur ! Car l’homme, la femme, l’ado sont bien perçus
aujourd’hui – et se perçoivent – comme un pur mécanisme ou agrégat qu’il
suffirait de démonter et de remonter dans le sens souhaité. Il y a, souligne
Miguel Benasayag, une déconstruction, désintégration de l’intériorité de
l’homme, ce dernier étant devenu – avec plus ou moins de complicité –
toujours plus transparent et panoptique. Dépliant avec délectation, il est
vrai, à l’aide de son smartphone, son appareil photo ou autres, sa vie, ses
plaisirs et son propre divan, à tout moment et en tous lieux… Plus de plis
pour reprendre Deleuze, plus de jardin secret, mais bien un dépliement
quotidien de l’homme moderne. Face à ces nouvelles souffrances, nouvelles
demandes, c’est à une véritable obligation de résultat à laquelle sont
confrontés les psychiatres, psychanalystes et cliniciens. La vie de
l’individu est devenue de plus en plus une stricte petite affaire
personnelle n’aspirant plus qu’à trouver de pures techniques de bien-être
sur la table de chevet du divan… Néanmoins, Miguel Benasayag, s’appuyant sur
ses nombreuses années de pratique, n’entend pas pour autant dédouaner la
psychanalyse ; selon lui, cette dernière avec ses querelles de clocher, ses
dogmes, a raté également bien des rendez-vous, et notamment celui essentiel
de sa dimension de recherches et de questionnements, et au lieu de
participer - souligne-t-il - à la déconstruction de la figure de
l’homme moderne, comme son origine pourtant l’y destinait, la psychanalyse
se mit alors rapidement – ou disons cycliquement (elle finissait toujours
par revenir à ce geste de restauration) – à fabriquer de l’individu. Et
si la psychanalyse, par tradition, a trop tendance à recentrer l’individu
sur son petit moi, les autres psychothérapies ont, quant à elles, en
revanche, trop vite fait de le disloquer, le diluer dans des techniques qui
lui demeurent trop souvent extérieures voire exotiques.
Or, pour l’auteur, le défi essentiel de la psychanalyse aujourd’hui est de
remettre l’homme moderne, ni au centre ni à l’autre bout du monde, mais bien
en situation, l’amener à reconsidérer ses souffrances eu égard à
l’imbrication des circonstances, une mise en perspective tant individuelle
que sociétale ou idéologique. C’est cette imbrication situationnelle, et non
dislocation ou autocentrage de l’individu, que doivent rechercher en commun
tant l’analyste que le patient dans une ouverture de non-savoir, de
non-déterminisme ou quadrillage préétabli. Du ça m’arrive vers la
compréhension du ça arrive… souligne l’auteur. Aborder, ou plus
exactement accueillir la thérapie avec notamment un temps multidimensionnel
et une recontextualisation permettant à l’analyse d’être pleinement
situationnelle. Dans une approche spinoziste, se plaçant sur une
connaissance du second genre, ce n’est plus un Connais-toi toi-même
stricto-perso que préconise le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag,
mais bien un Connais-toi dans ce monde et connais comment le monde se
manifeste à toi. Pour l’auteur de Connaître, c’est agir (La
Découverte 2006), l’analyse situationnelle doit amener le patient et
l’analyste à appréhender – ensemble - les possibles concrets pour un agir
tout aussi concret. Dépasser le narcissisme, tendre vers une «
désidentification » des rôles sclérosés et sclérosants pour mieux connaître
cette géographie intérieure (avec ses failles, son corps, ses ruses
pour refouler sa propre négativité…) n’excluant ni réalité psychique ni
extérieure, mais entendre ce qui cogne et ne demande qu’à déborder et happer
chacun de nous. Ma vie ce n’est pas moi, souligne le philosophe et
psychanalyste, telle est sans doute la conclusion à laquelle on arrive
quand on se laisse capturer par les traits de singularité qui nous
traversent. Plus je m’oublie, plus j’existe, car le moi est la prison
de la vie. La thérapie situationnelle a précisément comme objectif d’aider
cet « oubli » comme on permet à la porte de la cellule de s’ouvrir. Cet
ouvrage captivant et stimulant, qui invite à un autre regard sur la
thérapie, l’analyste et le patient, ne saurait être réservé aux seuls
professionnels, mais captivera toute personne s’interrogeant sur l’humain,
sur ce qui le traverse, sur la vie.
L.B.K. |
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Aristote Œuvres complètes, sous la direction de
Pierre Pellegrin, Flammarion, 2014.
C’est l’ensemble des œuvres attribuées à Aristote qui se trouvent réunies en
un impressionnant volume de 2925 pages dans cette nouvelle édition réalisée
sous la direction de Pierre Pellegrin. L’introduction qu’il a rédigée à
l’occasion de ce travail dont on imagine l’ampleur permet de revenir sur
certains points de la vie de celui qu’il faut toujours appréhender par des
intermédiaires, antiques, médiévaux ou plus contemporains. Aristote ne peut
être perçu de manière indépendante, par un témoignage direct, mais bien plus
par le regard de ceux qui se sont eux-mêmes penchés sur lui. Aristote aurait
pu être médecin s’il avait suivi la voie de son père, mais c’est à dix-sept
ans qu’il ira suivre à Athènes les enseignements de l’Académie platonicienne
pendant vingt années, avec les conséquences que cela aura pour les idées qui
les réuniront, et celles qui les distingueront. Cette formation jouera
beaucoup sur les branches du savoir qu’il étudiera et sur lesquelles le
Stagirite deviendra l’incontournable référence pour les générations et
civilisations à venir, de l’Occident, comme de l’Orient. Pierre Pellegrin
insiste, bien sûr, également sur la différence entre le corpus platonicien
et aristotélicien. Si le premier est né essentiellement des notes dictées
par lui, les sources collectives qui caractérisent les textes attribués à
Aristote rendent plus délicates les attributions exclusivement nominatives
surtout avec la redistribution réalisée sur eux par Andronicos de Rhodes au
Ier siècle av. J.-C., une donnée qui n’était pas rare dans l’Antiquité, même
si elle ne peut que surprendre nos contemporains. Si Aristote appréhende
tous les domaines du savoir, il ne prône pas pour autant une raison unifiée.
Sa curiosité le portera à étudier tous les domaines de la connaissance comme
en témoigne l’extrême diversité des textes réunis dans cette édition,
diversité qui ne devra pas faire oublier que seule une petite partie de ces
textes est parvenue jusqu’à nous. A la différence de Platon évoquant une
science universelle, Aristote distingue les domaines des connaissances, et
pour chacune d’elles des règles spécifiques : celles des sciences
théorétiques qui visent à la connaissance (les mathématiques, la physique,
la théologie) et celles des sciences pratiques où l’on prescrit des
conduites. Comme le souligne Pierre Pellegrin, « Aristote est un philosophe
critique envers les unités factices ». Aussi, notre époque moderne, après
une relative désaffection pour la pensée aristotélicienne ces derniers
siècles, réapprend à interroger selon chaque discipline, et sans recherche
de synthèse, les leçons léguées par le fondateur du Lycée en une archéologie
du savoir à laquelle cette édition contribue d’admirable manière.
Cette édition comprend la totalité des œuvres authentiques d’Aristote,
ainsi que la traduction inédite en français des Fragments. Elle comporte en
outre une introduction générale, des notices de présentation pour chaque
groupe de traités, un index des notions et un index des philosophes. |
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L’Ultima
intervista di Pasolini Furio Colombo, Gian Carlo Ferretti, Traduit de
l'italien par Hélène Frappat. Allia.
Les éditions Allia offrent aux lecteurs français la chance de lire le
dernier témoignage de Pier Paolo Pasolini sous la forme d’un entretien
accordé par l’écrivain italien à Furio Colombo le samedi 1er novembre 1975,
quelques heures avant son assassinat. Ce dernier témoignage ne vient bien
entendu pas remplacer des années d’interventions, la plupart du temps
engagées et volontairement provocatrices, mais il a -en quelques lignes- le
mérite d’offrir un instantané dans lequel s’est engagé celui qui pouvait en
effet se sentir menacé lorsqu’il faisait remarquer à son interlocuteur pour
le choix du titre à cette rencontre : « Voilà le germe, le sens de tout,
a-t-il dit. Toi, tu ne sais même pas qui est en train d’envisager de te
tuer. Choisis ce titre, si tu veux : ‘Parce que nous sommes tous en
danger’. » Et même si nous ignorons encore aujourd’hui, la nature exacte du
danger qui a réellement pesé sur l’auteur du dernier roman subversif
Pétrole, et la véracité des thèses des complots politiques qui auraient
souhaité la disparition d’un esprit trop libre, l’essentiel est à la fois
ailleurs sans pour autant être absent de ces interrogations. Pour Pasolini,
l’Italie, et bien entendu le reste du monde occidental, est en danger depuis
longtemps déjà. Et même si l’intellectuel est bien conscient des limites de
son combat avec les armes pourtant variées de son art (poésie, littérature,
cinéma, théâtre…), il reste persuadé que la résistance n’a pas besoin du
nombre et de l’influence pour porter ses coups à un système qui reste sourd
aux cris de l’humain. Il n’hésite pas d’ailleurs à souligner combien le
refus a toujours constitué un geste essentiel, celles et ceux qui ont
toujours su dire non… Car c’est bien de l’humain dont il s’agit et qui
touche le cœur même des angoisses de Pasolini : « La tragédie est qu’il
n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les uns
contre les autres », cela pourrait faire sourire, si cela n’avait pas
été prononcé en 1975, il y a bientôt quarante ans… |
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“The Vatican
manuscript of Spinoza’s Ethica » by Leen Spruit & Pina Totaro, Brill,
2012.
12838, tel est le numéro de la Bibliothèque Vaticane indexant l’un des
manuscrits les plus importants de Spinoza puisqu’il s’agit du texte complet
de l’Éthique, seul manuscrit restant de l’auteur. Or, Leen Spruit et
Pina Totaro ont réalisé une véritable redécouverte, en retrouvant les traces
de ce manuscrit qui s’avère être le plus ancien connu de Spinoza. Le lecteur
pourra ainsi suivre le parcours de ce texte depuis la main de son auteur
jusqu’à son transfert dans la Bibliothèque vaticane apostolique en 1922,
après être resté dans les archives du Saint-Office depuis 1677. C’est, en
effet, cette incroyable aventure qui est retracée dans ce livre en
introduction, avant de proposer le texte latin de l’œuvre majeure du
philosophe hollandais. Cette œuvre fut interdite alors même que son auteur
souhaitait démontrer que l’homme devait dépasser l’esclavage de ses
déterminismes et de ses passions pour atteindre la liberté, une position qui
ne devait pas rencontrer l’assentiment du Saint Office.
Une édition critique de ce manuscrit est également proposée dans cet ouvrage
parallèlement à l’étude détaillée de la vie de ce précieux document archivé.
Cette parution permettra également au lecteur du XXI° siècle, à condition
qu’il sache lire le latin, de prendre connaissance de la plus ancienne
version du texte de l’Éthique dont nous puissions disposer aujourd’hui.
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Histoire, Ethnologie,
Essais... |
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"L'Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 avant notre ère – XVIIe
siècle" sous la direction de François-Xavier Fauvelle, collection Mondes
anciens, Belin, 2018.
Une telle somme sur l’Afrique ancienne manquait indéniablement dans la
bibliographie française et c’est par un travail remarquable réalisé sous la
direction de François-Xavier Fauvelle pour la collection Mondes anciens
aux éditions Belin que cette lacune est enfin comblée. Travail remarquable
tout d’abord au regard de l’ampleur du sujet, l’Afrique pour désigner un tel
continent immense ne pouvait, en effet, que s’entendre au pluriel, et ce,
dès lors que les auteurs entendaient entrer au cœur de son histoire dont
nous savons depuis les découvertes des préhominidés qu’elle est à l’origine
de notre humanité. Ces vingt mille ans jusqu’au XVIIe siècle représentent,
certes, une échelle non seulement vertigineuse, mais également et surtout
une diversité de cultures, de sociétés et de populations dont ce riche
ouvrage parvient à nous dresser un inventaire très clair et didactique. Un
défi relevé avec brio. L’homme occidental peine à sortir des préjugés
coloniaux en estimant que l’histoire de l’Afrique est celle de sa découverte
par les puissances étrangères qui, si elles lui ont apporté la modernité,
ont souvent causé plus de désordres dans ses traditions et héritages que
d’actions bénéfiques. Les meilleurs spécialistes mondiaux offrent ainsi au
lecteur les éléments essentiels pour connaître non seulement ces sociétés
africaines qui ont pour nom Kerma, Aksum, Mali, Kanem, Makouria, Abyssinie,
Ifât, Ifé, Kongo, Zimbabwe, mais aussi prolonger la réflexion quant aux
domaines artistiques, littéraires, techniques… Et ces mêmes auteurs de
répéter inlassablement que l’Afrique a bien une Histoire et non point de
belles histoires de safaris et autres vues aussi exotiques qu’erronées sur
ce continent. Ces études détaillées, mais toujours accessibles, soulignent
ces singularités qui désemparent et surprennent souvent les esprits
cartésiens habitués aux catégories formelles qui volent en éclats souvent
lorsque l’art se masque derrière le religieux, à moins que ce ne soit
l’inverse… Ce continent apparaît bien « habité de plusieurs domaines
d’histoire, non pas isolés les uns des autres mais articulés, parfois
interpénétrés » résistant à l’homogénéisation culturelle. Cette
diversité des formes sociales n’en rend que plus riche la découverte de ces
bribes d’histoire que les temps anciens ont bien voulu nous léguer par ces
routes immémoriales de Tombouctou à La Mecque, de Dongola à Bagdad où ont
véhiculé tant d’âmes en quête du sens de leur vie . Ce sont ces chemins, ces
voies témoignant d’évènements du quotidien ou exceptionnels qui donnent
toute sa splendide solennité à cette statue en buste d’un roi d’Ifé au XIVe
siècle ou encore cette nostalgie de temps révolus avec cette inscription à
moitié effacée sur la tombe d’un sultan d’Éthiopie… Ce sont bien des
écritures de l’Histoire qui se trouvent admirablement réunies et analysées
dans cet ouvrage incontournable s’adressant à toutes celles et ceux qui
souhaiteront se rapprocher de l’Afrique et mieux la comprendre. |
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«
Autour du Léman - Histoire et esthétique d’un espace lacustre. », dirigé par
Michael Jakob, Coll. Voltiges, Éditions Métis Presses, 2018.
Le Léman, ce si célèbre lac, a marqué de tout temps l’identité de cette
région lovée entre plaines et montagnes, au carrefour de l’Europe. Depuis la
plus ancienne histoire de l’humanité, ses rives ont attiré des peuples qui
ont fait corps et âme avec cette vaste étendue d’eau ayant imprégné la
géographie de cet espace. C’est cette complexité même, aussi belle que
riche, qui est l’objet de cette belle étude sous la direction de Michael
Jakob, spécialiste renommé de l’histoire du paysage et enseignant notamment
à Genève. C’est justement à partir de ce concept de paysage, toujours
fluctuant au fil des âges et des pays, qu’il faut partir pour appréhender le
Léman, ainsi que rappelle en préface Michael Jakob. Sans réduire les
émouvantes descriptions laissées par Pline le Jeune sur ses deux propriétés
bordant le lac de Côme, l’attraction pour un paysage lacustre demeure
relativement récente dans l’histoire avec le XVIIIe siècle et les fameuses
évocations laissées par Jean-Jacques Rousseau notamment sa fameuse idylle
dans La Nouvelle Héloïse analysée par Jacques Berchtold, point de
départ de la théorie esthétique. Les nouvelles catégories du sublime et du
pittoresque laissent le champ libre à un élargissement du regard, là où
jusqu’alors la plupart ne voyaient que désolations et rochers… Et, c’est une
approche comparatiste et ouverte qui a été retenue avec justesse pour cet
ouvrage afin de mieux correspondre à ces fluctuations du paysage. Les
dimensions artistiques sont également convoquées afin d’évaluer la place de
l’art dans cette représentation que nous nous faisons de la « réalité »
lacustre, un singulier à décliner plutôt au pluriel si on en juge la
contribution de Clélia Nau quant au rapport lac-miroir. L’œuvre du peintre
Hodler ne pouvait qu’être au cœur d’une telle analyse menée par Niklaus
Manuel Güdel sans oublier cet autre peintre du Léman en la personne de
Jean-Pierre Magnin. Nombreuses sont les contributions de ce riche ouvrage à
la mise en page aérée et soignée illustrée par une belle iconographie
rendant sa lecture plus encore captivante. Une lecture et des découvertes
qui réjouiront tous les passionnés du paysage lémanique ! |
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Verena von der Hayden-Rynsch : « Le rêveur
méthodique ; Francesco Zorzi, un franciscain kabbaliste de Venise », traduit
de l’allemand par Pierre Rusch, Éditions Gallimard, 2019.
Avec « Le rêveur méthodique », Verena von der Hayden-Rynsch,
historienne et biographe, livre une biographie informée de Francesco Zorzi,
plus connu de certains sous le nom de François Georges de Venise. Né au
milieu du XVe siècle à Venise, comme son nom le sous-entend, il fut un
personnage influent du tout début de la Renaissance. Franciscain,
théologien, kabbaliste chrétien de renom, Zorzi côtoya l’entourage du Roi
Henri VIII d’Angleterre, la papauté de Clément VII, mais aussi et surtout
nombres de grands noms dont certains furent aussi ses amis : Pic de la
Mirandole avec qui il correspondra et dont il commentera l’œuvre, il lira
aussi Nicolas de Cues, Marsile Ficin, More et Érasme et entretiendra des
liens étroits avec le célèbre architecte Jacopo Sansovino et le non moins
célèbre imprimeur Aldo Manuzio (auquel l’auteur a déjà consacré un ouvrage)…
Dans la lignée de Bessarion, « L’hermétisme et la Kabbale s’unissent chez
Zorzi, comme chez Bessarion, à des échos dantesques, pour créer une synthèse
originale des thèmes de l’harmonie et de concorde universelle. »,
souligne la biographe.
Verena von der Hayden-Rynsch laisse apparaître avec un souci pragmatique son
personnage par cercles concentriques : L’Angleterre du XV et XVIe siècle,
tout d’abord, où les querelles et les disputatio quant au divorce
d’Henri VIII avec Catherine d’Aragon nourrissent tout autant les fractures
et controverses que les alliances politiques et théologiques qui aboutiront
à l’anglicanisme. Puis, Venise, cette Venise fière et indépendante, celle
des doges et prélats, carrefour inévitable mêlant bien des confessions
religieuses notamment chrétiennes et hébraïques. Comprenant, en effet, une forte
communauté hébraïque venue d’Espagne, elle compte aussi de nombreux éditeurs de
cette confession. C’est dans ce contexte foisonnant que Zorzi prend toute
son importance, lui, ce franciscain, humaniste, parlant latin, grec, hébreu
et araméen, connaissant aussi bien les Écritures que la philosophie
néoplatonicienne et pythagoricienne, les philosophies et théologies arabes
et l’hermétisme. Initié à la Kabbale juive, il deviendra un kabbaliste
chrétien notoire. Ouvert aux grandes religions, prônant une harmonie du
monde et de l’homme, il sera l’auteur notamment de « De harmonia mundi
», et bien que mise à l’index, son œuvre aura une large influence dans
les cercles des initiés notamment auprès de Cornelius d’Agrippa de
Nettesheim, mais aussi John Dee.
Verena von der Hayden-Rynsch, en historienne, aborde son personnage sous un
angle politique et théologique avant de consacrer une large partie aux
œuvres mêmes. S’entremêlent alors dans de fabuleuses bibliothèques aux
livres rares et précieux, théologie, philosophie, kabbale, hermétisme,
ésotérisme, magie et musique… Humaniste, fervent d’une Europe pacifiée,
Zorzi révèle, il vrai, de par sa vie, ses convictions, quêtes et œuvres, cet
humanisme vénitien du XVIe siècle qui se diffusera dans toute l’Europe. On
dit qu’il aurait inspiré Shakespeare pour « Le marchand de Venise
»…Quoi qu’il en soit, Zorzi apparaît bien, en ces pages, comme un
énigmatique « rêveur méthodique»…
L.B.K. |
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La
Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, 3 volumes,
Armand Colin, 2017.
Un classique plus qu’incontournable ! C’est un sujet de thèse qui est à
l’origine de la vaste aventure de « La Méditerranée » de Fernand Braudel.
Nous sommes en 1923 et le jeune historien propose à son directeur Lucien
Febvre ce thème immense associé à celui de Philippe II. Après un long
travail de recherche dans les archives de plusieurs bibliothèques d’Europe,
la guerre éclate et Fernand Braudel mobilisé se trouve prisonnier en
Allemagne où il rédigera pendant cinq années l’essentiel de cette somme sans
l’aide de ses notes dans trois versions comptant au total 3 000 à 4 000
pages… Avec le recul, l’historien se souvient : « Sans ma captivité
j’aurais sûrement écrit un tout autre livre ».
Cette somme unique en son genre se divise en trois volumes. Le premier
intitulé « La part du milieu » cherche à mettre en évidence l’influence des
éléments naturels et les héritages de civilisation sur les hommes de
Méditerranée. Écartant une analyse géographique classique, Braudel
privilégie une étude approfondie du lien géographie/social. C’est la
diversité qui caractérise les rapports entre grands propriétaires des
plaines auxquels des paysans sont soumis et ceux contrastant des montagnards
pauvres mais libres, sans oublier marins, pécheurs, corsaires, nomades qui
retiennent son attention. Nous entrons au cœur de la géographie intime de la
Méditerranée du XVIe siècle avec des richesses aux mains d’un très petit
nombre d’individus face à une misère omniprésente du plus grand nombre.
Le deuxième volume explore la dimension économique et sociétale. En ce XVIe
siècle, l’économie enregistre une forte prospérité de la Méditerranée
enrichie par l’arrivée massive d’or et d’argent provenant d’Espagne avec ses
mines d’Amérique et la croissance des banquiers italiens pratiquant le
crédit sur toutes les places d’Europe. Mais cette prospérité n’empêche pas
ou attise guerres et autres banditismes, et l’opposition entre Islam et
Chrétienté.
Le dernier volume s’attache quant à lui aux évènements et à la politique
durant le règne de Philippe II, un règne où ce conflit entre Islam et
Chrétienté s’exacerbe jusqu’à son point culminant avec la bataille de
Lépante. Avec Braudel, et l’École des Annales qu’il représente brillamment,
c’est une Histoire évènementielle repensée et élargie qui se trouve
réalisée, une Histoire non point de l’Homme, mais de l’individu insistera
Braudel. L’historien y repère les oscillations brèves et rapides selon les
hommes et forces en présence pour mieux en dégager les conséquences et
grandes lignes. En effet, tous ces faits recueillis par Braudel se trouvent
éclairés par la précision d’analyse de l’historien dont il sut mettre en
lumière les grandes lignes tel l’affaiblissement de la puissance ottomane et
la montée en puissance de la Chrétienté. Braudel démontre avec cette
démarche combien l’historien doit aller en profondeur à partir de l’analyse
de temps courts de l’Histoire, une manière de dépasser l’Histoire purement
évènementielle pour une pluridisciplinarité qui connaîtra par la suite le
succès que l’on sait. |
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«
ARMORIAL des poèmes carolingiens de la Cour de Ferrare » Michel Orcel –
Alban Pérès, Arcadès – AMBO, 2018.
Le siècle de Charlemagne a donné naissance non seulement à un espace
politique et à des institutions jusqu’alors mises à mal depuis la chute de
l’Empire romain, mais également à une véritable renaissance de la culture.
Grâce à l’usage de la « minuscule caroline », écriture nouvelle supplantant
les différentes écritures locales et par sa généralité sur tout l’empire,
l’uniformité allait pouvoir s’établir jusqu’aux frontières reculées ; Une
écriture dont nous avons hérité avec la fameuse « minuscule d’imprimerie
» encore en usage de nos jours. Cette écriture a non seulement permis le
développement d’une véritable littérature, mais a également permis de
préserver les sources classiques, base de la culture médiévale (Ovide,
Virgile, Cicéron…). Avec l’Académie palatine instituée par Charlemagne,
c’est un ensemble d’auteurs qui feront un legs incontournable à la
littérature médiévale avec des noms passés à la postérité tels Paulin
d’Aquilée, Théodulfe ou encore Alcuin. Une poésie de langue latine reprend
ainsi une partie de l’héritage de l’antiquité tout en annonçant les siècles
à venir. C’est cet héritage qui a été transmis en Italie, notamment à la
Cour de Ferrare, cour qui reçut ces leçons de la Matière de France,
récits de guerres et de confrontations célèbres avec notamment la fameuse
Chanson de Roland… Ces chansons de geste refleurissent de l’autre côté
des Alpes avec l’Arioste et son Orlando furioso ou encore l’Orlando
innamorato de Matteo Maria Boiardo, sans oublier Le Tasse. Que révèle
cet impressionnant corpus, trop souvent méconnu de nos jours ? Et c’est
justement ce cycle carolingien transposé en Italie du XIIIe au XVIe siècle
qui se trouve être l’objet d’une belle étude par Michel Orcel et Alban Pérès
dans cet ouvrage intitulé « Armorial des poèmes carolingiens de la Cour
de Ferrare ». Retenant l’angle original, et jusqu’à maintenant non
traité, de l’héraldique imaginaire, les deux auteurs ont réalisé un
véritable travail monacal en recueillant l’armorial des personnages en trois
sections : les écus (support physique du blason au centre des armoiries),
les bannières et les cimiers (partie supérieure dans les ornements
extérieurs de l'écu). La seconde partie de l’ouvrage rassemble, quant à
elle, les notices par ordre alphabétique en rappelant leur origine
textuelle.
Par ce riche et bel ouvrage à tirage limité, le lecteur du XXIe siècle
voyage dans des tableaux colorés dont on imagine toute la difficulté quant à
leur réalisation pour cette édition, et plonge avec un rare bonheur dans
cette seconde partie qui révèle par touches discrètes et successives ces
transferts, parfois surprenants ou énigmatiques, des traits culturels de
l’héraldique carolingienne en Italie. C’est certainement l’une des qualités
premières de cet ouvrage que de révéler après cette enquête «
héraldographique » approfondie, les nombreux emprunts, transferts,
mutations, rejets et novations de ces processus d’acculturation. La
simplicité des figures essentiellement animales, fantastiques et végétales,
les couleurs qui trahissent les influences chrétiennes ou païennes, les
entrecroisements religieux, et surtout le recours fréquent aux armes à
enquerre c’est-à-dire non conventionnelle (10%) sont autant de motifs de
curiosité et de nouvelles pistes de recherche que pose cet ouvrage
passionnant à plus d’un titre.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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«
Culture générale - Mon livre de référence » coordonné par Gérald Dubos, avec
Patrice Gay, Cédric Grimoult, Vincent Hérail, Marie-Luce Septsault, 544
pages, Vuibert, 2018.
La culture générale est la question-piège par excellence. Rares sont les
personnes à appréhender sans hésitation cette question qui touche à tous les
domaines. Épreuve de nombreux concours, critère pour distinguer des
candidats à un poste lors d’un recrutement, la « culture » peut devenir
piège lorsqu’elle est affublée de ce second qualificatif - « générale »,
dont on pourrait longtemps discuter la pertinence… Toujours est-il que les
auteurs de cette somme impressionnante de plus de 500 pages abordent cette
question de manière décomplexée en offrant un parcours à la carte et
individualisé, une démarche indispensable si l’on songe à toutes les
disciplines concernées par ce thème irréductible de la pensée humaine,
c’est-à-dire sans limites. Les auteurs spécialistes des questions abordées
ont à cœur dans ces pages de faire partager leur savoir de manière
synthétique en usant d’outils didactiques, encadrés, tableaux, codes
couleurs, nombreuses photos, etc. L’ouvrage commence par une frise sur la
préhistoire afin de comprendre à quel point-charnière l’homme entre dans
l’ère de la culture, aussi élémentaire soit-elle à ses débuts jusqu’au
raffinement apporté par Cro-Magnon. L’antiquité est ensuite abordée afin de
se remémorer les empires et cités essentiels à la compréhension de
l’Histoire. Chaque période étant, ainsi, abordée successivement par le
filtre de l’histoire, mais aussi par celui des sciences, des arts, des
lettres et de la philosophie avec certains focus anecdotiques tel le rappel
de l’origine de la boiterie d’Épictète… À chaque étape, des suggestions pour
aller plus loin et des conseils de lecture invitent à aborder les sources et
commentaires essentiels du thème abordé. L’ouvrage est articulé
graphiquement en codes couleurs sur la tranche afin de repérer facilement
les grandes périodes et les thématiques développées : Antiquité, Moyen Âge,
Renaissance, XVIIe, XVIIIe… Des pages de jeux sous la forme de quiz sont
également proposées afin d’offrir une approche ludique pour mieux assimiler
cette masse impressionnante d’informations distillées avec science et art de
la synthèse. |
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« Une
histoire des civilisations » réalisée sous la direction de Jean-Paul Demoule,
Dominique Garcia et Alain Schnapp aux éditions La Découverte – Inrap, 2018.
L’histoire des civilisations est loin d’être délimitée par des frontières
intangibles, les nombreuses découvertes réalisées ces dernières années
témoignant de ce caractère évolutif. Évolutif dans la mesure où ces
techniques et technologies récentes ont considérablement accru le champ
d’action de l’archéologie moderne ainsi que le met parfaitement en évidence
cette somme monumentale, mais tout à fait accessible, intitulée « Une
histoire des civilisations » réalisée sous la direction de Jean-Paul
Demoule, Dominique Garcia et Alain Schnapp aux éditions La Découverte –
Inrap. La datation au Carbone 14 appliquée aux os et fossiles, le formidable
bond en avant de l’ADN ont également permis d’établir le génome de l’homme
de Neandertal et de le comparer aux nôtres apportant ainsi autant de progrès
bouleversant cette science encore jeune. L’archéologie – notamment
préventive – s’avère plus que jamais un moyen de mieux comprendre l’histoire
de notre monde, et le présent volume, fort de ses 600 pages, entend offrir
une synthèse claire et actualisée de cette évolution, depuis les périodes
les plus anciennes jusqu’à notre époque contemporaine. Cette échelle du
temps appliquée aux successions de civilisations est ainsi au cœur de cette
vaste aventure collective, unique en son genre, qui se matérialise par un
ouvrage à la fois pluriel et mû par une dynamique pluridisciplinaire de
chercheurs majoritairement français. Une des caractéristiques de ces
nombreuses études réside dans la mobilité des sociétés humaines, même
lorsqu’elles se sont sédentarisées, qu’il s’agisse de mouvements dus aux
guerres de conquête, aux intempéries ou aux aléas de l’agriculture. La
migration reste un leitmotiv des sociétés humaines, et avec elle, son lot
d’emprunts et de diffusions culturelles. Les nombreuses cartes réunies au
début de l’ouvrage aident à mieux fixer ces différents cadres géographiques,
cartes doublées de tableau synoptique pour chaque région du monde des
peuples et civilisations concernés. Ainsi que le soulignent les auteurs en
préambule de l’ouvrage, 2 millions d’années se sont écoulés depuis la
première sortie d’Afrique du genre Homo et le peuplement de
l’ensemble de la planète à l’époque moderne, preuve s’il en était besoin de
l’intérêt d’une telle synthèse, accessible au lecteur néophyte. Ce dernier
pourra, en effet, se reporter à ces pages abondamment illustrées en fonction
de ses centres d’intérêt ou bien tentera l’aventure d’une lecture intégrale
de l’hominisation jusqu’à l’aménagement du territoire contemporain en
fonction des enseignements de l’archéologie auprès des meilleures sources
réunies dans ce livre qui s’impose dès à présent au titre d’ouvrage de
référence incontournable. |
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Jean
Blot « Ave César – Histoire du passé », Tome III – Rome. », L’Âge d’Homme
Editions, 2018.
Jean Blot avec Ave César ne cherche pas à faire œuvre d’historien,
l’auteur sait combien de pages illustres furent écrites sous cet angle
depuis des siècles. C’est plutôt avec le regard d’un poète et d’un
philosophe qu’il explore l’âme du passé, ce passé où l’Occident a tant puisé
à l’oubli. L’auteur commence son ouvrage par un salut, sonore et sensuel, en
guise de fascination qu’il sait et souhaite collective. Qui n’a jamais vibré
sur les marbres du forum et chaviré sous les voûtes des Thermes de Caracalla
? Cette éternelle attraction ne pouvait que survenir après cette antique
invite « Urbi et Orbi » reprise par la papauté de la fameuse Urbs
latine, distinction juridique et religieuse de cet autre espace au-delà de
la ville, l’ager délimité par le pomerium. Dorénavant, les
frontières sont étendues au monde par l’illustre pax romana,
indissociable cependant d’un autre adage latin, Si vis pacem, para bellum…
C’est une quête de la sensibilité qui anime Jean Blot dans ces pages qui
appellent à cette démarche temporelle si chère à Proust, le souhait de
l’auteur étant celui d’un temps communautaire, un Moi collectif, social.
Jean Blot sait bien tout ce qu’une telle entreprise peut avoir de démesuré
et c’est avec humilité qu’il interroge la muse Psyché et en recueille les
révélations dans des pages à la fois intimes et convaincues. Après la Grèce
dont il explora également l’âme, c’est aujourd’hui en ces pages, l’âme
commune que révèle Rome qui retient son attention. Peut-on parler d’un élan
jungien traversant les chronologies de l’Histoire ? Peu nous importe car
l’auteur revisite les origines et les mythes, sous les auspices d’un animal
sauvage, une identité née sous le signe de la jumellité, transgression de la
règle pour mieux asseoir le Droit qui caractérise ce régime, les paradoxes
pleuvent sur Rome et Jean Blot ne s’en trouve pas désarçonné pour autant… De
Tite-Live à Fustel de Coulanges, de Hegel à Polybe, sans oublier Cicéron et
Sénèque, les va-et-vient de l’Histoire conspuent les dualités pour tendre à
l’unité, ce qui fit dramatiquement Rome avec l’Imperium mundi et la
volonté irrépressible du Carthago delenda est lancée par Caton
l’Ancien… Jean Blot converse alors avec Flaubert et Salammbô, « C'était à
Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar… », Histoire
et fantasmes, qui des deux aura le dessus ? Le chaos – héritage des
divinités grecques – sait aussi s’immiscer dans ce bel ordre à établir,
guerres civiles, dictatures au sens antique du terme, c'est-à-dire encadrées
par le droit, révoltes des esclaves laissent quelques taches sur ces
mosaïques immaculées. Mais le Moi collectif retrouvé au fil de ces pages ne
conduit-il pas, par cette heureuse lecture, à faire surgir de nos mémoires
au détour d’une venelle romaine ou d’une épigramme laissée au hasard d’un
monument cette vision qui unit le passé au présent en un éternel
renouvellement ? C’est tout ce que nous souhaitons aux lecteurs de ces pages
inspirées !Philippe-Emmanuel Krautter |
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« Le
monachisme médiéval » de C.H. Lawrence, trad. Nicolas Filicic, Les Belles
Lettres, 2018.
Disponible jusqu’à maintenant qu’en anglais, l’ouvrage incontournable sur le
monachisme médiéval en occident signé C.H. Lawrence est maintenant
accessible dans une traduction française de Nicolas Filicic, aux Éditions
Les Belles Lettres. Les lecteurs francophones pourront ainsi désormais
disposer d’une source de référence pour explorer et approfondir ce phénomène
complexe grâce à l’analyse fine et détaillée de ce médiéviste, C.H.
Lawrence, professeur émérite à l’Université de Londres. Comment, en effet,
appréhender et comprendre cette forme de vie religieuse née dans le désert
d’Égypte au IV° siècle ? Embrassant le monachisme dans une acception large
incluant non seulement moines et moniales, mais aussi chanoines, frères
mendiants ou encore béguines, l’auteur avoue que cette passion est née juste
après guerre à l’occasion d’une visite à l’abbaye de Fleury à
Saint-Benoît-sur-Loire. En ces lieux, le chercheur eut l’occasion
d’expérimenter personnellement cette vie monastique avec ses Offices au cœur
de la nuit, la chaleur et l’hospitalité de ses membres, une expérience qui
contribua largement à cette étude de l’histoire monastique. Les premiers
temps du monachisme se situent essentiellement en orient avec des moines
s’isolant dans la prière en solitude, et d'autres fondants avec le
cénobitisme les premières communautés. Ainsi que le rappelle C.H. Lawrence,
c’est du grec « monos » (seul) dont est issu le mot moine, une
solitude constitutive de la prière au divin. L’ouvrage souligne ce paradoxe
et ces mouvements entre moines choisissant la vie érémitique et communautés
cénobitiques, les premiers étant souvent rejoints malgré eux par des moines
attirés par leur personnalité et donnant naissance à de nouvelles
communautés avec saint Pacôme et saint Basile notamment. Puis ce mouvement
gagne l’occident avec la règle de saint Benoît qui structure la vie de
chaque monastère selon des principes stricts entre prières et travail,
ora et labora. Ce mouvement prit une telle importance que les
siècles suivants virent une véritable croissance du monachisme en occident
où ces institutions prirent une force économique et sociale non négligeable
dans les rouages de la société médiévale. Cluny, Citeaux, mais aussi les
ordres de chevalerie religieux tels les templiers sont étudiés dans le
détail dans le contexte des différentes composantes de la société médiévale.
C.H. Lawrence dans un style limpide et clair réussit ainsi avec cet ouvrage
ce tour de force de rendre accessible la complexité du monde médiéval vu par
le prisme de ses communautés religieuses. |
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Jean-Louis Brunaux « Vercingétorix » Biographies Nrf Gallimard, 2018.
La seule évocation du nom de Vercingétorix a longtemps été synonyme de
manuel d’histoire à l’iconographie convenue, du chef gaulois vaincu jetant
ses armes fièrement au pied de Jules César conquérant. Fierté nationale
enchaînée, rhétorique historique mise en branle, à l’image de Jeanne d’Arc
et d’autres figures « nationales », le personnage Vercingétorix a le plus
souvent été appréhendé dans un contexte passionné et idéologique. C’est une
tout autre approche qu’a retenue l’historien et directeur de recherche au
CNRS Jean-Louis Brunaux que nos lecteurs connaissent pour ses ouvrages
présentés dans ces colonnes sur Alésia et Les Druides : Des
philosophes chez les Barbares. Avec cette biographie, nous sortons des
images d’Épinal, l’auteur enquête en des pages passionnantes sur cette
figure confuse, brouillée par les représentations données les artistes du
XIXe siècle et cet air martial confondu avec les traits de Napoléon III…
Jean-Louis Brunaux dépasse l’Histoire héritée du fameux livre La Guerre
des Gaules laissé à la postérité par César faisant de la défaite
d’Alésia, une révolte de plus matée par le pouvoir romain. Alésia est
beaucoup plus qu’une révolte, mais bien un soulèvement massif face à la
domination romaine, une résistance organisée et dirigée par un homme «
enfermé dans une histoire qui n’est pas la sienne » souligne l’auteur.
Vercingétorix n’a jamais cherché à faire de la Gaule une nation, une idée
anachronique et étrangère, mais bien à combattre un ennemi sur son
territoire. Cette biographie apporte des informations remarquables sur des
aspects curieusement jamais abordés dans les études consacrées au chef
gaulois : son milieu familial, son enfance, son éducation, ses relations
politiques entre peuples voisins et avec Rome. Sources historiques, mais
aussi archéologiques, viennent étayer cette connaissance que nous donne
l’historien sur ce personnage emblématique de la civilisation gauloise, un
singulier souvent trompeur d’ailleurs, car il vaudrait mieux parler de
peuples gaulois au pluriel si l’on souhaite appréhender cette réalité plus
complexe que celle laissée par les manuels scolaires. Partons donc avec
Jean-Louis Brunaux sur les traces de ce chef militaire, mais aussi grand
leader politique, bien plus redoutable que le vaincu du conquérant César !
Philippe-Emmanuel Krautter |
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RMN-GP. Jean-Gilles Berizzi |
Depuis 1865, le Musée des
Antiquités nationales (MAN) de Saint-Germain-en-Laye est le premier et seul
musée français à être consacré à l’archéologie du territoire national. Du
Paléolithique au Premier Moyen Âge, c’est une succession de salles qui
invitent le visiteur à se familiariser aux différentes périodes de notre
humanité, avec des objets parfois discrets comme ces fragiles biches du
Chaffaud délicatement gravées sur un os de renne, d’autres fois objets
fameux comme l’incontournable « Dame à la capuche » ou « Dame de
Brassempouy » qui ne fait qu’un peu plus de 3 cm, mais dont le visage
hiératique gravé sur l’ivoire de mammouth impressionne tout autant notre
mémoire… Pour découvrir avec intelligence tous ces trésors, deux approches
sont possibles. Se laisser guider au fil des salles et au gré des nombreux
panneaux accompagnant le visiteur ou bien préparer ou prolonger sa visite
par des lectures qui permettront d’approfondir et de mieux apprécier la
richesse de ce fonds exceptionnel. |
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Anne Lehoërf « Préhistoires d’Europe – De
Néandertal à Vercingétorix » collection Mondes Anciens sous la direction de
Joël Cornette, Belin.
« Préhistoires d’Europe – De Néandertal à Vercingétorix » est le premier
volume d’une nouvelle collection Mondes Anciens sous la direction de Joël
Cornette. Confié à Anne Lehoërf, cet ouvrage retrace en plus de 600 pages 40
000 ans de préhistoires, terme conjugué au pluriel pour mieux rendre la
complexité d’une telle échelle. L’auteur, professeur de protohistoire
européenne, évoque en prologue un personnage imaginaire, qu’elle surnomme «
Gotaj » et qui aurait pu vivre au sud-est de l’Angleterre, il y a 3 500 ans.
Au-delà la brève fiction introductive, c’est toute la difficulté du
chercheur qui est évoqué dès les premières lignes. Ces femmes et ces hommes
d’avant l’Histoire n’ont pas laissé de témoignages écrits de leur vie sur
terre. Seuls les objets et leurs impacts sur la nature peuvent constituer
ces livres ouverts à partir desquels les archéologues reconstruisent leurs
faits et gestes, à défaut de leurs pensées exactes. Anne Lehoërf parvient
cependant grâce à son style et à sa rigueur scientifique à nous donner une
évocation la plus complète possible de cette première Europe couvrant une
période très longue de 40 000 ans où des récits se profilent déjà sur les
parois des différentes grottes devenues célèbres depuis. D’autres
représentations prennent forme également cette fois-ci en trois dimensions
avec les premières statuettes, une volonté manifeste de matérialiser et
d’extérioriser ce que le cerveau conçoit et souhaite exprimer. Les hommes de
ces préhistoires occupent les espaces géographiques comme les espaces des
grottes, des implantations mues par une multitude de motivations rappelées
par l’auteur, avec une sédentarisation progressive par l’agriculture et
l’affirmation d’une identité avec la « Révolution » néolithique. Qu’il
s’agisse des choix funéraires, des alignements et autres mégalithes, l’homme
marque sa présence sur la terre, en la bornant, en en rappelant les
frontières symboliques pour mieux s’en affranchir, se lançant dans de vastes
voyages sur terre comme sur mer. Guerres et paix, alliances et pouvoir se
mettent en place pour anticiper ce qui donnera naissance aux premières cités
États et empires à venir. Un ouvrage précieux non seulement pour le fait
qu’il sait garder en haleine son lecteur au fil des pages, mais aussi pour
les nombreux savoirs qu’il met en rapport par une synthèse éclairante. |
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Coffret « Préhistoire » de Jean-Marc Perino
éditions MSM.
Le coffret « Préhistoire » de Jean-Marc Perino publié par les éditions MSM
s’avère incontournable, tant pour la qualité du texte proposé selon les
derniers états de la recherche scientifique que par sa la forme avec une
mise en page et une iconographie soignées. Deux volumes qui couvrent une
échelle (pré) historique vertigineuse, puisque le premier commence par les
débuts de l’univers et le big bang jusqu’aux grands singes, avant
l’apparition de l’homme. L’auteur réussit ce pari de nous rendre plus
intelligents par cette synthèse toujours délicate à réaliser, retenant les
faits et les données essentielles à la compréhension de la biosphère avant
l’apparition de l’homme, sans noyer le lecteur dans d’inutiles détails (que
les passionnées pourront approfondir grâce à l’abondante bibliographie). La
réussite de cette présentation tient également à la mise en page « graphique
» qui n’a rien à envier au web ! Schémas clairs, graphiques explicites,
tableaux et pavés résumant l’essentiel guident l’apprentissage et aident à
la mémorisation de cette succession impressionnante de données. Le deuxième
volume introduira plus directement le lecteur aux collections du MAN en
débutant par le toujours fascinant thème de l’hominisation qui depuis Darwin
demeure une donnée scientifique non contestée, si ce n’est par les théories
fantaisistes … Nous pouvons ainsi identifier les premiers hominidés avec
aisance grâce aux rappels des différentes découvertes réalisées notamment
par Michel Brunet et Yves Coppens (lire nos interviews), et rêver à la
longue marche buissonnière des hominidés en un tableau éclairant. Un
chapitre également utile s’attache au propre de l’homme, une question
toujours sensible et passionnante qui, de tout temps, a divisé philosophes,
théologiens, historiens et scientifiques. Toutes les périodes sont
embrassées et traitées avec ce même souci didactique que dans le premier
volume, des premiers temps du Miocène jusqu’à l’Holocène qui verra naître le
règne de l’Homo sapiens et de l’écriture… |
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Alain Villes
« La Sainte-Chapelle du château » Itinéraires Île-de-France, Éditions du
Patrimoine. Impossible de visiter le Musée
d’archéologie nationale sans découvrir la Sainte-Chapelle du château, un
haut lieu non plus de la Préhistoire, mais de l’Histoire de France. Grâce au
petit guide pratique édité par les Éditions du Patrimoine, cet héritage de
pierre et de verre prendra de nouveau vie tant les nombreux évènements
qu’abritent ces voûtes résonnent encore pour celles et ceux qui veulent bien
les entendre ! Imagine-t-on en entrant en ces murs que Louis IX (1214-1270)
la fit édifier avant qu’il ne prépara la croisade où il perdra la vie ?
Avant-garde du gothique rayonnant, la chapelle étonne pour cette alliance
éternelle de la lumière et de la matière, où la pierre se métamorphose en
dentelles de verre le temps d’un rayon de soleil. Le lecteur de ce guide à
l’abondante illustration identifiera ainsi plus aisément ces « chuchotements
» qui pourraient bien être ceux d’une perpétuelle querelle entre le fameux
Robert Comte d’Artois et, depuis Maurice Druon, sa non fameuse tante Mahaut,
tous deux réunis, une fois de plus, aux clefs de voûte de la sainte
chapelle… Cette galerie de portraits sera ainsi plus aisée à identifier
guide à la main. L’ouvrage rappelle aussi les vicissitudes qu’eut à
connaître l’édifice au fil des siècles, imposant maintes restaurations
jusqu’à nos jours. |
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Geneviève Haroche-Bouzinac « La vie mouvementée
d’Henriette Campan », Flammarion, 2017.
Quelle vie ! Ou que de vies ! Ainsi pourrait se résumer cette biographie
extrêmement bien documentée à l’écriture vive et plaisante consacrée à «
La vie mouvementée d’Henriette Campan » et signée Geneviève Haroche-Bouzinac,
auteur déjà d’une biographie remarquée de Louise Élisabeth Vigée Le Brun
(Prix Chateaubriand 2011 et Mellor Book Prize 2012). Si l’auteur, professeur
à l’Université d’Orléans, a consulté pour cet ouvrage nombre d’archives,
elle a surtout eu le privilège de prendre connaissance de lettres et
documents privés ou inédits en France et aux États-Unis dont peu de
biographes avaient eu auparavant accès. À ce titre, il faut saluer cette
biographie actualisée et dynamique consacrée à cette figure si singulière
soumise à un destin des plus capricieux. Qu’on en juge ! Elle connut
changement de siècles, de rois, de régimes, proche des filles de Louis XV,
de la reine Marie-Antoinette, côtoyant Joséphine et Hortense de Beauharnais,
Napoléon, sa vie traverse l’Ancien régime, la Révolution, le Consulat,
l’Empire, la Restauration, les Cent jours jusqu’à Louis XVIII. Témoin
privilégié de l’Histoire, et pourtant trop peu ou mal connue, cette femme
instruite, cultivée, polyglotte, aimant les livres et les idées méritait
bien cet ouvrage fruit d’un rigoureux travail de recherches. Histoire de
France, histoire d’une vie, de vies que Henriette Campan a su transmettre
tant par ses carnets et mémoires que par sa riche activité épistolaire, «
cette épistolière aux dons de chroniqueuse », souligne l’auteur de cette
biographie vivante.
Cette biographie s’ouvre alors que Henriette n’a encore que cinq ans, le 5
janvier 1757 exactement, ce jour même où Damien tentera d’assassiner Louis
XV à Versailles. Une fin de journée mouvementée, prompte à terroriser une si
jeune enfant, et qui se souviendra toute sa vie de cet épisode lorsqu’elle
empruntera l’avenue de Paris à Versailles. Mais la petite fille effrayée
pouvait-elle imaginer que cette terreur, cet effroi, cette incertitude de
quelques heures lui révélaient déjà tous les vicissitudes et bouleversements
qu’elle sera amenée à vivre tout au long de sa vie ? Car c’est bien « une
vie mouvementée », faite d’espoirs, de déceptions, de craintes et de
terreur que va vivre Henriette Campan, née Genet, et qui connaîtra toute
jeune fille encore la vie et les fastes de la Cour.
1768, elle a juste 16 ans et fait, en effet, son entrée à la Cour de
Versailles au titre de lectrice de Mesdames Victoire, Sophie et Louise,
avant de devenir une proche de Marie-Antoinette auprès de laquelle elle
demeura attachée 22 ans. Longtemps elle se souviendra de ces premiers
instants lors de son entrée à la Cour où « Le faste du décor, les
fauteuils de parade montés sur estrade, les « énormes nœuds d’épaules
brodés en paillettes d’or et d’argent qui (ornent) les habits des pages des
valets de pied » l’impressionnent […] « Le premier jour où je fis la
lecture dans le cabinet intérieur de Madame Victoire, écrit-elle, il
me fut impossible de prononcer plus de deux phrases ; mon cœur palpitait, ma
voix était tremblante et ma vue troublée». Cette vue se troublera, durant
ces années de Cour, si souvent de larmes… Elle y connaîtra la mort de Louis
XV, s’y mariera (plus proche de ses beaux-parents que de son mari),
connaîtra la chute de Louis XVI et accompagnera Marie-Antoinette jusqu’à ses
dernières nuits aux Tuileries ; elle y sera heureuse, malheureuse, avant
d’échapper de justesse à l’échafaud. Et pourtant, ce sont encore de longues
années pleines de rebondissements qui l’attendent…
Il lui faudra en effet sous l’infortune tout recommencer. Femme de lettres,
entreprenante et dynamique, éprise d’idées nouvelles, elle deviendra alors
cette enseignante et directrice hors pair d’instituts pour jeunes filles,
d’abord à Saint-Germain-en-Laye, puis à Ecouen, et qui firent sa haute
réputation. Forte d’une méthode éducative moderne pour jeunes filles sous
l’influence d’un vent venu de la République des États-Unis, saura-t-elle
cependant à la tête de la Maison de Légion d‘Honneur imposer ses vues à
l’Empereur ? L’histoire lui en laissera-t-elle l’opportunité ? Si, dans ces
époques troublées, Henriette sut contourner, déjouer, et malheureusement
parfois aussi échouer, elle demeurera jusqu’à sa mort survenue le 16 mars
1822, cette femme fine, lucide, déterminée, aimante surtout, entourée de ses
enfants, nièces et anciennes élèves chez qui elle séjournera avec à ses
côtés, toujours, sa bonne servante Voisin, devenue son amie.
C’est cette vie mouvementée, riche de rencontres et d’évènements, d’une
femme témoin de l’Histoire, qui ‘aura eu tant de vies…’ que nous
offre à découvrir Geneviève Haroche-Bouzinac dans un style plaisant, avenant
et rigoureux, sans lourdeurs historiques, et ce, pour le plus grand plaisir
de ses lecteurs.L.B.K. |
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Renaud Ego « Le geste du regard »
L’Atelier contemporain, 2017.
De la pensée au dessin, il n’y a qu’un trait, encore fallait-il –
historiquement ou plus exactement préhistoriquement – oser le tracer ; Et
n’est-ce pas ce que fit le premier artiste des cavernes lorsqu’il se saisit
d’un morceau de charbon calciné pour une première ligne appelée à un long
destin… C’est cette quête, cet incroyable saut de l’abstraction vers la
figuration, et en même temps, de la figuration au symbolisme pluriel qui est
au cœur de cette passionnante étude menée par Renaud Ego. Nous avons tous à
l’esprit les fulgurances d’André Malraux sur Lascaux, l’un des premiers
penseurs du siècle dernier, à s’être décalé du regard scientifique porté sur
l’art rupestre et ses usages. L’écrivain voyait en Lascaux une de ces cités
englouties qui à peine émergée laissait entrevoir tout un pan surprenant de
notre rêve du monde. Il n’est pas le seul écrivain pour lequel « ce geste du
regard » interpellait, fascinait, à ce titre citons également Georges
Bataille ou encore le poète et essayiste Pierre Lartigue.
« Le geste du regard est l’hypothèse de son chemin vers la figure »
suggère Renaud Ego. Notre univers est constellé d’images, à un point tel que
nous avons du mal à imaginer qu’il ait pu en être autrement. Figurer
une chose ou un être n’est pas chose naturelle et spontanée. Ce basculement
de la pensée vers le trait et la représentation constitue l’un des passages
clés de la conscience humaine. Analogie de la matière forçant la main de
l’artiste des cavernes ? Peu importe, de l’image du geste au geste de
l’image, c’est un entrelacs conceptuel qui s’opère au fil du temps où
parures, taille des bifaces vont anticiper la naissance de l’image. Cette
dernière pose un repère dans ce qui n’était jusqu’alors qu’une impression
fugace et intuitive, le premier point anticipe la ligne qui elle-même
conditionne la forme à venir. De nouveaux repères sont posés, ce qui est
figuré, de ce qui ne l’est pas, en un rapport espace et temps qui ouvre à la
créativité à venir. Avec le feu, la figure est probablement la première
alchimie qu’ait pu connaître l’humanité des temps premiers, véritable
métamorphose d’une substance en apparence, et de cette apparence en forme à
penser comme le souligne Renaud Ego. Mais que dévoile ce passage à l’acte ?
Ne laisse-t-il pas autant de secrets derrière lui qu’il n’en révèle ? Le
négatif de la main tracée ou du dos de bison s’étirant sur la paroi
n’ouvre-t-il pas encore plus d’abîmes dans cette naissance de la conscience
encore vierge de l’humanité ? Pourquoi et comment ce premier trait du dos
d’un bison bien plus long et sans interruption que ne le peut le bras d’un
homme a-t-il-pu être tracé, comment appréhender ce geste, ce « regard du
geste » si justement nommé ?
Poser le premier trait fut en son temps un grand pas pour l’humanité, ainsi
qu’en témoigne ce brillant essai qui élargit avec intelligence notre propre
regard.Philippe-Emmanuel Krautter |
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Bertrand Galimard Flavigny «
Histoire des décorations du Moyen-Âge à nos jours » Perrin éditions, 2017.
Quel est le rapport, parfois intime, que lie l’être humain avec la
reconnaissance et les honneurs en occident ? C’est à cette question - source
de bien d’espoirs, d’intérêts ou parfois d’illusions- à laquelle répond avec
pertinence cette passionnante étude de l’« Histoire des décorations du
Moyen-Âge à nos jours » (Éd. Perrin) retracée par Bertrand Galimard
Flavigny, essayiste, critique et romancier ; auteur déjà de l’Histoire de
l’ordre de Malte, de Les Chevaliers de Malte, et en collaboration
avec Arnaud Chaffanjon de l’Ordre & contre-ordres de chevalerie.
L’auteur poursuit, ici, avec cette somme, sa recherche sur les ordres de
chevalerie, plus particulièrement celui l’ordre de Malte, en l’élargissant à
une vaste échelle historique, avec notamment l’étude de la Légion d’honneur
; bien des honneurs et distinctions dont l’auteur lui-même, Chevalier de la
Légion d’honneur, Chevalier de l’ordre national du Mérite, Commandeur pro
Merito Melitensi de l’ordre souverain de Malte, est gratifié. Le sujet est
plus profond qu’il n’y paraît tant les notions de pouvoir, d’estime, de
reconnaissance et d’autorité se conjuguent dans cette matière délicate où
les caricatures peuvent trop rapidement passer à côté de phénomènes de
société révélateurs. C’est bien entendu cette dimension qu’a retenue
l’auteur avec le sérieux qu'on lui connaît dans ses précédents ouvrages.
L’idée même de récompense est ancienne, presque consubstantielle à l’homme -
et dans une certaine mesure au monde animal. Très vite adoptée par les
premières communautés humaines, systématisées et organisées avec un rare
souci de l’efficacité dans le monde romain, la décoration trouve ainsi loin
dans le temps ses racines, ainsi que le rappela avec lucidité Bonaparte au
Conseil d’État : « Je défie qu’on me montre une république ancienne ou
moderne dans laquelle il n’y a pas eu de distinctions. On appelle cela des
“hochets”. Eh bien, c’est avec des hochets que l’on mène des hommes »…
Dans le royaume de France, on pense bien entendu à l’institution de la
chevalerie, pivot essentiel de la féodalité, reposant sur un système
hiérarchique d’allégeances et de reconnaissances sous la forme de dons /
contre-dons : avec une allégeance inconditionnelle du vassal (imposant aide
et assistance) récompensée par le don d’une terre, un fief. C’est cette
structure pyramidale qui fondera la force, mais aussi la faiblesse du
système, lorsqu’elle se dissociera progressivement de la tête du pouvoir –
le roi – et se désagrégera en autant de pouvoirs locaux autonomes. Bertrand
Galimard Flavigny rappelle l’importance de la théorie des trois ordres
analysée par Georges Duby et structurant la société du Moyen-Âge et de
l’Ancien Régime jusqu’à la Révolution française, une théorie trouvant ses
origines dans la trifonctionnalité mise en évidence en son temps par Georges
Dumézil. L’Église n’est pas écartée de ces analyses, bien au contraire, avec
les nombreuses congrégations religieuses. « Une certaine idée de la
récompense » comme le souligne l’auteur naît ainsi progressivement, de
l’anneau d’or à l’ordre de saint Louis, tout est mis en œuvre pour asseoir
cette reconnaissance essentielle aux structures de la société de ces temps.
Avec la Révolution, ce sont tous les privilèges qui sont abattus… avant d’en
rebâtir de nouveau… Ainsi, refleuriront rapidement des décorations
révolutionnaires pour aboutir quelques années plus tard à la naissance de la
fameuse Légion d’honneur, souhaitée par Bonaparte, et qui a perduré jusqu’à
nos jours, comme l’analyse en détail Bertrand Galimard Flavigny dans des
pages nourries d’une riche documentation et précieuses annexes. Un ouvrage,
agréablement bien écrit, dont l’intérêt n’échappera ni aux historiens ni aux
lecteurs avertis.
Philippe-Emmanuel Krautter |
Art, Culture, Essais... |
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« Tout
Matisse » sous la direction de Claudine GRAMMONT, Bouquins, Robert Laffont,
2018.
« Tout Matisse », 900 pages et plus de 1 000 entrées offriront à
l’amateur comme au professionnel une précieuse source pour appréhender l’un
des peintres majeurs du XXe siècle. Réalisée sous la direction de Claudine
Grammont, directrice du musée Matisse de Nice, cette somme complètera
idéalement le portrait de l’artiste déjà évoqué par de nombreux catalogues
et monographies. Mais l’un des intérêts de ce Dictionnaire Matisse est
d’offrir au lecteur non seulement une synthèse actuelle des plus complètes
mais aussi une manière d’aborder son œuvre qui sied particulièrement au
style du peintre. Qu’il s’agisse de son art, de son œuvre, son style ou
encore de sa vie, les entrées multiples permettent en effet de dresser
rapidement, et de manière croisée, le portrait d’Henri Matisse artiste dont
la réputation n’a cessé de croître depuis sa disparition en 1954. Qu’il
s’agisse du Matisse intime, des années de vaches maigres, des soirées
passées sans le sou à la Gaîté Montparnasse, de sa découverte de l’art
africain raillée par Picasso ainsi que le rapporte André Malraux, des
similitudes avec l’art égyptien ou encore des influences de l’art byzantin
avec ses mosaïques et émaux qui s’immiscent dans sa création… Si Matisse a
toujours reconnu ne pas avoir cherché à avoir de maîtres, il avoua cependant
sa grande admiration pour Renoir et Cézanne. Celui qui fut en son temps le
chef de file du fauvisme, cultivera rapidement une indépendance jalousement
préservée ce qui ne l’empêchera pas de nouer toute sa vie un réseau riche et
intense avec de nombreux interlocuteurs, artistes, marchands, écrivains,
éditeurs qui chacun à leur façon contribuera à nourrir son œuvre ainsi qu’en
témoignent les nombreuses entrées. Les lieux ont également très largement
compté pour l’œuvre de Matisse et ce Dictionnaire en dresse une cartographie
particulièrement complète en recensant les pays, les villes et résidences
successives où le peintre résida. Le lecteur de ce précieux Dictionnaire
Matisse, premier du genre, lira à profit l’avant-propos de Claudine Grammont
qui se souvient de l’origine de cette aventure avec un manuscrit présenté à
son éditeur avec trois millions de signes sur une clé USB de couleur rouge…
Matisse oblige !
Une aventure qui témoigne de la passion de cette «
matissienne » pour ce résistant du bonheur et de la couleur que fût Matisse
et dont l’âme est parfaitement retranscrite dans ce volume attendu de tous
les amoureux du peintre. |
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«
Dictionnaire du Cubisme » sous la direction de Brigitte Leal, collection
Bouquins, Robert Laffont, 2018.
Alors que se tient au Centre Pompidou l’incontournable exposition Le Cubisme
retraçant cette extraordinaire aventure protéiforme, il s’avérait nécessaire
de pouvoir bénéficier d’une somme à entrées multiples, afin de mieux saisir
ce mouvement artistique complexe. C’est chose faite avec le Dictionnaire
Bouquins consacré au Cubisme et élaboré sous la direction de Brigitte Leal,
conservatrice du patrimoine et justement commissaire de l’exposition au
musée national d’art moderne de Paris. Le phénomène cubiste a largement
dépassé ses protagonistes et détracteurs, pour s’inscrire à part entière
dans l’histoire de l’art mondial. Mais sa reconnaissance officielle gagnée
par les années ne signifie pas pour autant que ce phénomène d’art total
puisse pour autant être aisément compris, d’où l’intérêt de cette approche
retenue par les auteurs de ce Dictionnaire du Cubisme. Le lecteur commencera
sa lecture avec profit par l’introduction de Brigitte Leal qui dresse en
quelques pages un panorama le plus clair et didactique possible sur ce thème
complexe. Cette lecture fait la démonstration que ce mouvement initié par
les quatre personnalités « fondatrices » que sont Pablo Picasso, Georges
Braque, Fernand Léger et Juan Gris trouvera son prolongement et sa
profondeur avec de multiples autres personnalités et par des rattachements à
certains traits du modernisme jusqu’à l’attaque fatale apportée par
Malevitch. Fort de ces éléments, il sera alors loisible au gré de ses
priorités, d’aborder tel ou tel aspect du cubisme selon les nombreuses
entrées du Dictionnaire. Que l’on soit sensible à la dimension littéraire du
mouvement avec les articles consacrés à Guillaume Apollinaire bien entendu,
mais aussi Stéphane Mallarmé, Max Jacob, Blaise Cendrars ou encore Pierre
Reverdy... ; à l’aspect commercial avec les galeristes et célèbres
collectionneurs incontournables tels Kahnweiler, Rupf… sans oublier les
Salons, chaque article fera revivre ce mouvement appelé à cet avenir
fructueux que n’avaient pas imaginé ses initiateurs épris avant tout d’une
volonté de découverte sans bornes. |
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Correspondance
Mallarmé - Morisot 1876-1895 La Bibliothèque des Arts, 2018.
Olivier Daulte et Manuel Dupertuis ont eu l’heureuse initiative de réunir
et présenter la riche correspondance de Stéphane Mallarmé et de Berthe
Morisot, une mémoire épistolaire née d’une belle amitié débutant dans
l’atelier d’Édouard Manet où posait la jeune femme, avant de devenir le
peintre que l’on sait. C’est toute la vie de cette époque, des débuts de
la IIIe République qui surgit dans ces lettres. Correspondance qui trahit
parfois les doutes littéraires de Mallarmé, évoque les relations avec
Renoir, Monet, et bien sûr, Degas. Pas moins de cent lettres traduisent
cette belle relation faite de partages et de générosité jusqu’à la mort de
Berthe Morisot ; Mallarmé deviendra alors le tuteur de sa fille Julie. La
dernière lettre demeure peut-être la missive la plus poignante, lettre
dans laquelle Berthe Morisot évoque sa maladie, ses regrets de ne pouvoir
rencontrer son ami fidèle, elle décèdera d’une mauvaise grippe quelques
jours plus tard. Fort de ces liens émouvants, le lecteur lira avec émotion
« Le Nénufar blanc » de Mallarmé accompagné d’un projet
d’illustration de Berthe Morisot, lorsque les arts se rencontrent… |
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Rémi Labrusse « Miró, un feu dans les ruines » Hazan, 2018.
Voici un livre
initialement paru en 2004 et qui à l’occasion de l’exposition Miró au Grand
Palais a été mis à jour par son auteur Rémi Labrusse, historien de l’art à
l’université de Paris Nanterre. L’auteur a souhaité avec ce volume de plus
de 400 pages dépasser l’image souvent convenue d’un peintre un brin rêveur,
la tête dans les étoiles en une certaine naïveté. Partant de l’assertion
programmatique du peintre catalan en 1931, affirmant sa volonté de «
détruire tout ce qui existe en peinture », Rémi Labrusse insiste sur le
terreau initial qui a vu naître cette volonté de puissance nourrie aux
sources du cubisme et du surréalisme au lendemain du premier conflit mondial
en rupture avec l’héritage classique. Sur les cendres de ces feux, Miró
souhaite voir émerger de nouvelles incandescences, un rapport où la violence
est beaucoup plus présente que les images traditionnellement affublées à
l’artiste le laissent penser. Miró a connu les affres de la guerre civile
espagnole, la montée des fascismes pour vivre finalement le désastre de la
Seconde Guerre mondiale. De ces tensions doivent naître de nouvelles forces
créatives reposant sur une esthétique dualiste « au sein de laquelle une
confiance passionnée dans les puissances de l’imaginaire se trouve combattue
par une critique radicale des images, au nom d’un plan invisible que Miró
nomme la vie », souligne l’auteur de ce bel et riche ouvrage. Rémi
Labrusse montre combien que cette opposition fétichisme/iconoclasme nourrit
l’œuvre de l’artiste en une complexité passionnante, notamment pour nos
contemporains confrontés à de similaires ébranlements. L’ouvrage est
exigeant, nourri tout d’abord d’une évocation de la naissance d’un artiste
avec les débuts du XXe siècle, il plonge son lecteur dans les grands thèmes
structurant l’œuvre de Miró avec l’Histoire, les origines et l’idée
primitive, les cheminements mythologiques avant d’aborder le théâtre, la
technique et le dernier virage opéré par le peintre sur la destruction de la
peinture. Un sacrifice initiatique au terme de ce long parcours parallèle à
celui d’une bonne partie du siècle mis parfaitement en perspective par cet
ouvrage indispensable pour approfondir la connaissance de Miró et de l’art
du XXe siècle dans lequel il s’inscrit. |
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“The Unfinished Palazzo: Life, Love and Art in
Venice” by Judith Mackrell, Thames & Hudson, 2018.
Dans le même esprit que son précédent ouvrage « Flappers: Six Women of a
Dangerous Generation », Judith Mackrell a retenu pour son dernier livre “The
Unfinished Palazzo”, un lieu ayant réuni à lui seul le destin de trois
femmes hors du commun, trois femmes ayant laissé leur nom dans l’histoire du
XXe siècle pour leur esprit de liberté et leur singularité extrême : la
marquise Luisa Casati, Doris Castlerosse et Peggy Guggenheim, trois vies
liées à ce Palazzo dei Leoni de Venise, bordant le Grand Canal et
curieusement jamais achevé. Projeté au XVIIIe siècle par la famille Venier,
ce bâtiment devait s’inspirer des deux architectes Palladio et Longhena mais
des difficultés matérielles obligèrent à laisser la construction, une
première fois, inachevée. Luisa Casati s’en portera acquéreur au début du
XXe siècle et fit de ce lieu un endroit mémorable notamment pour ses soirées
extraordinaires et souvent excentriques… mais ne put, elle-même en achever
la construction. La muse de Gabriele d'Annunzio ne reculait pourtant devant
rien pour faire de sa vie une véritable œuvre d’art.
Plus près de nous,
l’Américaine Peggy Guggenheim fut elle aussi bien connue pour avoir imprimé
au lieu une marque très personnelle articulée autour de son amour de l’art
moderne dont elle conçut avec un goût certain l’une des plus grandes
collections du siècle et aujourd’hui abritée dans ce même palais attirant
des visiteurs du monde entier. Enfin, Doris Castlerosse est peut-être la
femme la moins connue de cette fascinante histoire retracée par Judith
Mackrell dans ces pages au style alerte. Née en 1900, Doris Castlerosse fut
l’épouse de Valentine Browne, 6e Comte de Kenmare. Femme mondaine, elle
reçut dans ce palais de Venise à l’occasion des soirées également mémorables
un nombre incessant de gens du monde, noblesse, stars du cinéma… À l’issue
de cet ouvrage, le lecteur comprendra mieux en quoi ce lieu fut le reflet
d’une certaine conception de la vie de ses propriétaires successifs, de ses
trois femmes anticonventionnelles et résolument décidées à construire leur
vie selon un dessein singulier. Pour cela, il fallait un Palais vénitien qui
soit unique, et l’histoire du Palais Palazzo dei Leoni de Venise, au travers
ou grâce à ses trois femmes, le fut assurément. |
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Sébastien Gokalp : « Béatrice Casadesus », Editions
ides et Calendes, Coll. Polychrome, 2017.
Un ouvrage agréablement vif et instructif pour appréhender en une centaine
de pages l’œuvre picturale de Béatrice Casadesus. Signé Sébastien Gokap,
spécialiste d’Art moderne et contemporain, commissaire d’expositions, on y
découvre le parcours de l’artiste, de ses influences jusqu’à nos jours en
2017. Servi d’une riche iconographie, ce livre fait défiler les œuvres
reconnaissables et à nulles autres pareilles de Béatrice Casadesus, on songe
à « Vibration Or » (2013), à « Heure tranquille » (2013). Se
servant de bullpack (ce papier d’emballage à bulles qu’affectionnent
particulièrement les enfants) avant même le pinceau qu’elle dédaignera en
début de carrière, l’artiste joue avant tout sur la lumière, plus encore que
sur les couleurs. Par le bullpack, le résultat du travail pensé et réalisé
par l’artiste relève toujours de l’aléatoire ou de l’inattendu. Bien sûr, le
point et les nombreuses théories artistiques élaborées sur ce thème, on
pense à Kandinsky et à ses cours au Bauhaus, sont incontournables pour
appréhender son œuvre, mais si son influence majeure de jeunesse demeure
Seurat (dont elle réalisera de nombreuses copies et variations), Casadesus a
surtout été inspirée par l’Extrême Orient, notamment la peinture chinoise du
XVIIIe siècle avec ses traités anciens sur l’esthétique extrême-orientale ;
une influence qui s’ancre toujours plus pour l’artiste dans une quête
spirituelle puisant tant dans cet Extrême-Orient que dans l’art chrétien,
celui de la Renaissance italienne notamment, avec des toiles telle que «
Psaume » - 2008. Car si dans ses œuvres hasard et imprévus trouvent leur
place, c’est avant tout un travail minutieux et de discipline qui s’impose
au rythme des superpositions, selon le grain choisi de la toile, venant
atténuer, lisser ou souligner pour obtenir l’effet souhaité notamment de
moirage. Intissés, peintures en rouleaux, papiers voilés, son œuvre,
délaissant cadre et sujet, a interpellé de nombreux écrivains ou
intellectuels, un dialogue littéraire ou philosophique que l’artiste
apprécie et encourage volontiers. Points ronds ou carrés, alvéoles
d’abeilles (« Jaune de chrome »), tissages (« India »-2015),
pluie ou ruissellements (Série « Pluie d’or »- 2016 ou «
Ruissellement »- 2015), les rendus des toiles de Béatrice Casadesus avec
leurs couleurs d’eau ou plus vives mais toujours indéfinissables sont
infinis, « Un face-à-face avec l’infini » cher à cette artiste trop
peu exposée. La sérénité profonde de l’œuvre de Béatrice Casadesus dans
notre époque troublée où, ainsi que le souligne Sébastien Gokalp , « sa
singularité et sa force édénique n’en sont que plus essentielles » ne
lasse jamais de surprendre et d’émerveiller comme cette toile intitulée «
Infinito » datée de 2017…
L.B.K.
Paru également dans la même collection Polychrome : « Madge Gill » de
Marie-Hélène Jeanneret, Edition Ides et Calendes, 2017.
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"Dans
les coulisses du musée du Louvre", Bérénice Geoffroy-Schneiter;
dessins de Lucile Piketty. éditions de La Martinière, 2017.
Voulez-vous visiter le musée du Louvre d'une toute autre façon ? Non pas une
visite virtuelle sur écran ou avec des lunettes en 3D, non, en livre... Mais
quel livre ! Celui que vient de publier les Éditions de La Martinière
intitulé « Dans les coulisses du musée du Louvre ». ; troisième ouvrage de
la série « Dans les coulisses... » dévoilant ce que de rares ou privilégiés
visiteurs ont la chance de voir. Eh ! oui, certains endroits que l'on croie
pourtant bien connaître pour y avoir déambuler, cachent pourtant bien encore
bien des secrets et choses gardées, habitués que nous sommes à ne percevoir
que la partie haute de l'iceberg... celle des salles des collections, alors
que, dans son ventre, dans ses sous-sols, dans ces jardins, une foule de
personnes et personnages passionnés y travaillent... C'est ce que nous cet
ouvrage signé Bérénice Geoffroy-Schneiter et illustré des superbes dessins
de Lucile Piketty. Une visite insolite des métiers qui font la pérennité du
musée le plus visité au monde, le Louvre. Du directeur au jardiniers des
Tuileries, des conservateurs aux restaurateurs d’œuvres, des archivistes aux
conférenciers, des sapeurs-pompiers aux agents d'intervention, des
bibliothécaires aux menuisiers, des serruriers aux ateliers de métallerie,
des services de communication aux recherches des mécènes, des copistes aux
élèves de l'école du musée, des régisseurs aux équipes de déplacement des
œuvres, des tapissiers aux surveillants de salles, des archéologues aux
apprentis de l'atelier d'encadrement et dorure... Que de monde ! dans les
sous-sols, les étages et bureaux du Louvre ! Des centaines de personnes y
travaillent, pour certains très tôt, d’autres, très tard, la nuit, chaque
jour de l'année, avec une passion évidente qui transparaît dans tous les
témoignages mis en lumière par cet ouvrage. L’auteur, Bérénice
Geoffroy-Schneiter les a tous interviewés in situ, en pleine occupation, et
Lucile Piketty les a délicieusement et fidèlement croqués. « Tout le monde
en rêve... se promener dans le musée la nuit, lorsqu'il est noyé dans la
pénombre et que tous les visiteurs sont partis... ». Ce sont les agents de
surveillance qui trousseaux de clefs et torches à la main surveillent tout
ce grand monde, chaque nuit. « Le Louvre est une ville. Il faut s'y perdre.
J'aime tout particulièrement les cryptes, les passages secrets, les portes
cachées... », témoigne le directeur. Avec son histoire qui débute en 1190,
date de sa construction, le Louvre a assurément bien des siècles à raconter,
à nous raconter ! Une vie entière ne suffirait pas à épuiser tous ses
secrets, du Louvre médiéval jusqu’à ses toits interdits au public d'où l'on
peut découvrir ce Paris imprenable ! « Si Dieu existe, je suis certain qu'il
passe beaucoup de temps au musée du Louvre, écrit Joann Sfar ». « Le Louvre
a parfois des allures de vieille maison de famille avec ses escaliers qui
craquent et ses combles poussiéreux. Ainsi comment imaginer qu’au-dessus des
pavillons qui scandent le palais, se trouvent ces lieux inaccessibles et
intensément poétiques que les historiens de l'art ont baptisés « cloches » ?
Le Louvre en dénombre neuf, toutes plus insolites les unes que les autres ».
Le Louvre est aussi un lieu de tournages, films et reportages, qui doivent
se faire en dehors des horaires d'accueil... çà n'arrête donc jamais ? A
cela s’ajoute, aujourd’hui, le Louvre-Lens (ouvert en 2012) qui nécessite
main-d’œuvre et « matières premières ». La culture militante est un des axes
de cette grande maison qui depuis l'ouverture du pavillon des sessions et du
département des arts de l'Islam, dont la collection est la plus importante
au monde, ne cesse de se renouveler et d'étendre ses partenariats à travers
le monde avec ses expositions « hors les murs » désireux de créer un
dialogue entre civilisations et cultures, laissant l'esprit du musée du
Louvre s’étendre jusqu'à Abu Dhabi...
Le musée du Louvre est une planète à part entière qui abrite de milliers
d’œuvres, de chefs-d’œuvre faisant de lui un des plus beaux musées du monde
!
À chacun son Louvre ! Pourrait-on conclure sans se tromper , à nous de
découvrir le nôtre ...
Sylvie Génot-Molinaro
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« Henri
Matisse, les entretiens égarés » propos recueillis par Pierre Courthion,
sous la direction de Serge Guilbaut, Skira, 2017.
L’art, l’œuvre, le style ou la vie d’Henri Matisse sont bien connus de
tous par les nombreuses expositions, rétrospectives, ouvrages d’art et
documentaires réalisés sur le peintre depuis sa disparition en 1954. En
revanche, demeurait beaucoup plus méconnue et à tort cette facette de cet
artiste majeur du XXe siècle, jusqu’à la présente et heureuse publication
des éditions Skira, à savoir son goût pour la théorie de l’art. Prenant la
forme d’entretiens, de bavardages, Matisse s’y livre, s’y dévoile comme
rarement il ne l’aura fait. À vrai dire, ces entretiens recueillis en
décembre 1941 par le critique d’art Pierre Courthion, et alors que le
peintre était âgé de 72 ans, et demeurait convalescent après une difficile
opération chirurgicale, se sont curieusement égarés et n’ont réapparu que
ces dernières années en langue italienne, devenant aujourd’hui accessibles
en langue française. Le lecteur y découvrira un Matisse intime, ouvrant sa
mémoire avec générosité à son interlocuteur, qu’il s’agisse de grands comme
de petits faits de la vie quotidienne comme cette histoire de la tortue de
la concierge de Gustave Charpentier, plaisir des évocations… Ce sont aussi
celles des années de vache maigre, des soirées passées sans le sou à la
Gaîté Montparnasse pour y faire des blagues au point d’en être jeté dehors
mais de continuer à plaisanter dans la rue, qu’à cela ne tienne ! Matisse
livre également ses souvenirs majeurs comme celle de sa découverte de l’art
nègre, ses similitudes avec l’art égyptien et sa première acquisition qui
plut tant à Picasso qu’il en collectionna lui-même par la suite, suivis par
bien d’autres artistes de leur entourage. Si Matisse reconnait ne pas avoir
cherché à avoir de maîtres, il avoue sa grande admiration pour Renoir et
Cézanne. Ces conversations libres qui se voulaient simples « bavardages » se
révèlent intimes et profonds à l’image du peintre permettant au lecteur
d’entrer dans l’univers parfois complexe de celui qui fut en son temps le
chef de file du fauvisme, un art qui se mesure par l’expression que
l’artiste engage dans sa création. Des propos passionnants qui seront à
découvrir dans ce livre complétés par une préface éclairante de Serge
Guilbaut rappelant combien Matisse souhaitait que ces entretiens conservent
une certaine « spontanéité contrôlée ». Un défi retardé, mais relevé
aujourd’hui assurément pour le lecteur français.
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Claire Barbillon : « Comment regarder la sculpture,
mille ans de sculpture occidentale. », Editions Hazan, 2017.
Enfin, l’ouvrage sur la sculpture dont on a tous rêvé ! Par sa taille,
l’enchaînement pensé de ses chapitres et ses multiples illustrations, il se
prête au voyage, à l’étude et à la rêverie… Qui en effet ne s’est pas un
jour posé devant une statue, un buste, sur une place d’une ville ou
capitale, d’un musée ou sous les ombrages d’un jardin parfois gardé secret,
bien des questions et interrogations quant à une sculpture demeurées souvent
faute de persévérance, de temps et d’oubli sans réponse. Plus d’excuses
aujourd’hui avec cet ouvrage intitulé « Comment regarder La Sculpture,
mille ans de sculpture occidentale » signé Claire Barbillon et paru dans
la collection Guides aux éditions Hazan. L’ouvrage, après une section
introductive quant aux lieux nous offrant justement à voir des statues
propose, afin de non plus les voir, mais les regarder voire peut-être même
les admirer, de forts intéressants développements appuyés par une
iconographie riche et variée, notamment Comment s’élabore une statue ?
Plâtre, moulage ou bronze, les différentes techniques n’ont plus de secrets
et prennent vie au fil des pages tournées, chapitre qui n’est pas sans
rappeler les digressions d’un Blaise de Vigenère du XVIe siècle sur les
statues antiques de Callistrate (« La description de Callistrate de
quelques statues antiques tant de marbre comme de bronze. » Éd. La
Bibliothèque 2010). L’auteur, Claire Barbillon est professeur d’histoire
d’art contemporain et enseigne la sculpture depuis une quinzaine années,
signant plusieurs ouvrages sur la sculpture, c’est dire qu’elle connaît son
sujet ! On y trouve également des chapitres consacrés successivement aux
différentes formes, aux différents courants : du classicisme, baroque
jusqu’à l’art moderne en passant par l’orientalisme, le primitivisme ou
autres courants, soit pas moins de 1 000 ans de sculpture occidentale ;
également, un chapitre consacré aux représentations et présentations des
sculptures, sans oublier une section dévolue aux différents et multiples
thèmes classiquement retenus en sculpture – nus, drapés, symboles, animaux,
etc. L’ouvrage fourmille de clés et de repères ! Enfin l’ouvrage se termine
par deux thèmes rarement abordés : À quoi sert la sculpture ?, et
celui d’un vif intérêt quant à la réception des œuvres sculptées par les
écrivains : Diderot, Rainer Maria Rilke, Baudelaire, Segalen, Gide ou encore
Margueritte Yourcenar. Un livre utile, pédagogique, bien documenté et
présenté, qui ne pourra que réjouir petits et grands, érudits et étudiants,
amateurs ou passionnés. |
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Philippe Sers, Kandinsky – Philosophie de l’art
abstrait : peinture, poésie, scénographie, 35 illustrations couleurs, Hazan,
coll. « Bibliothèque Hazan », avril 2016, 384 p.
En 1988 déjà Philippe Sers rappelait, dans sa préface du livre de Kandinsky
« Du spirituel dans l’art et la peinture en particulier », combien
appréhender la pensée du peintre devait se réaliser sous un angle
philosophique, au-delà d’une simple explication de sa pratique artistique.
Démarche féconde si l’on en juge par cette récente parution aux éditions
Hazan de la troisième édition du désormais classique « Philippe Sers-
Kandinsky- Philosophie de l’art abstrait ». Kandinsky par bien des égards
peut être considéré comme l’un des fondateurs de l’art abstrait, art qu’il a
su accompagner d’un grand nombre d’écrits qui ont fait date pour
l’interprétation qu’il en suggéra. Abstraire une représentation, c’est
incontestablement proposer une autre vision du monde, moins immédiatement
perceptible que la figuration. L’interprétation et l’explication prennent
alors valeur de nécessité au regard du spectateur, nécessité qu’a tenté avec
une passion audacieuse, en son temps, Kandinsky avec ses écrits. Aussi c’est
en philosophe et en critique d’art que Philippe Sers est parti des textes de
l’artiste lui-même avant d’aborder son œuvre graphique, un métadiscours
riche en enseignements et en éclaircissements de concepts essentiels à la
compréhension de l’artiste. L’expérience chez Kandinsky rejoint une nouvelle
approche du sacré par une vocation et un contenu prophétique. L’image est
alors considérée sur un plan métaphysique et dans ses rapports avec la
réalité. Pour Kandinsky « On peut se délivrer de l’intermédiaire de la
nature, si l’on parvient à se mettre en rapport avec le Tout. », un
programme d’une richesse insoupçonnée en ce début du XXe siècle et qui aura
une descendance fertile chez un grand nombre d’artistes. Toute expérience de
l’être humain, quelle soit née de la poésie, de la musique, du théâtre ou
bien entendu de la peinture entretient des liens avec l’univers terrestre et
cosmique, une dimension quasi incontournable jusqu’au XIXe siècle et
n’allant plus de soi depuis. La création picturale se réalise ainsi chez
Kandinsky en un élan hiérophanique au-delà du monde sensible. Kandinsky fut
en son temps raillé par ses détracteurs pour sa prétendue abstraction
lyrique, accusation d’autant plus infondée que l’artiste chercha dans ses
écrits à justifier sa position avec de rigoureuses démonstrations reposant
sur une analyse pratique non moins rigoureuse, comme le rappelle Philippe
Sers. Le lecteur du XXIe siècle pourra en un débat moins passionné découvrir
cette pensée fertile grâce à cette très belle édition illustrée par la
reproduction d’une sélection des œuvres de l’artiste, et complétée par un
index ainsi qu’une très utile bibliographie. |
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Gaëtan Picon : « Admirable tremblement du temps. »,
Essais d’Yves Bonnefoy, Agnès Callu, Francis Marmande, Philippe Sollers,
Bernard Vouilloux, Editions L’Atelier contemporain, 2015.
Immense plaisir que de pouvoir relire l’Admirable tremblement du
temps, ce texte de Gaëtan Picon réédité aujourd’hui aux éditions de
L’Atelier contemporain et paru en 1970 aux éditions Skira. Plaisir également
de découvrir que l’Atelier contemporain a fait choix pour cette réédition
d’adjoindre au texte initial des textes d’Yves Bonnefoy, Agnès Callu,
Philippe Sollers, Francis Marmande et Bernard Vouilloux. Des contributions
datées de 2014 ou 2015, pour la majorité inédite, proposées comme un hommage
à ce texte profond, d’une richesse de pensée devenue rare, et aujourd’hui
d’une lecture si émouvante.
Texte émouvant, oui, comme son titre même qui n’est pas sans rappeler le
tremblement de cette main de Rembrandt qu’André Malraux sut lui aussi
évoquer ou convoquer. Mais est-ce un hasard ? Ces deux grandes figures du
monde de l’art et du paysage culturel français de cette seconde moitié du
XXe siècle ne pouvaient pas ne pas se rencontrer - Gaëtan Picon fut un
proche d’André Malraux puisqu’il fut le Directeur général des Arts et des
Lettres de 1959 à 1966, la mort les ravira tous deux en cette même année
1976. Émouvant aussi parce que Gaëtan Picon débute son texte justement par
l’évocation de cette autre main tremblante, celle de Nicolas Poussin, celle
qui peignit Le Déluge, évoquée également en son temps par
Chateaubriand, pour laisser se poser, plus que se déposer, la marque du
temps, du temps qui passe - « surgit » écrit Philippe Sollers - et laisse
advenir le peintre à sa création. Car c’est bien ce rapport de l’artiste, de
cette main, et celle du temps qui le laisse advenir à sa propre création qui
interpelle Gaëtan Picon. Cette main ridée, parfois déformée par le pinceau
ou la plume d’un artiste vieillissant, main tremblante de celui qui se sait
mortel et qui pourtant vit encore de quelques battements et traits comme
pour défier le temps, la mort et peut-être le destin lui-même pour l’œuvre
seule, « cet objet devenu tableau » ; mutation, métamorphose des
derniers Titien, transfusion, fusion des derniers Cézanne, du dernier Manet;
c’est ce défi, cet « antidestin » qu’interpelle G. Picon et l’emmène de
Poussin à Léonardo de Vinci, Monet, Corot, Turner pour mieux et encore
interroger cette main de vieillard peignant Le Déluge… « Les
derniers tableaux annulent ce qui précède. Ils inaugurent le temps. Ils sont
les tableaux d’une naissance. » écrit Gaëtan Picon. Une naissance comme
un éclat, un éclatement, une diffraction du temps et de l’instant. Attente,
« tic-tac de l’horloge de la mort », silence. Picon songe alors à Delacroix,
Géricault et bien sûr à L’Eglise d’Auvers de Van Gogh. Effondrement,
sommets, stupeur, effroi. Mais « qui aime la mort aime le temps »,
rappelle-t-il avant de souligner : « Qui a perdu l’éternité se défend
contre la mort par les fictions de l’immortalité » et songeant alors aux
statues grecques, à ces caves athéniennes emplies de secrets antiques qu’il
visita un jour avec Georges Séféris, l’auteur touche de la main, du doigt
presque, comme pour la Sixtine Michel Ange l’eut peut-être voulu, « cette
mort que nous ne cessons de vivre », secrète connivence. Moisissures,
craquelures, patine, œuvre livrée au temps, celui de Masson, de Dubuffet,
reflet de l’espace invisible chez Vélasquez et de ces mains tremblantes où
le temps se mesure aussi à sa propre vie, à sa propre vision. Alors
apparaissent les peintures et rouleaux chinois ou japonais, les Nabis,
Bonnard, le dernier Bonnard L’amandier en fleurs où espace et temps,
instantanés et déroulements se lient et se jouent dans ces pleins et ces
vides. Aspiration, souffle, battements. Chirico, Max Ernst, Proust et
Baudelaire, Balthus, Klee, Stendhal et Tolstoï. Puis, étrangement, le rythme
s’accélère, presque une cassure ou césure, entraînant Gaëtan Picon dans cet
espace-temps devenu « tourment profond », dans cette course folle où la main
du vieillard qui a froid, celle de Poussin, de Rembrandt, de Rubens, et
celle de l’auteur de ses admirables pages dédiées – mais est-ce surprenant ?
– au poète Yves Bonnefoy, ne cessent pourtant de dire et redire l’
Admirable tremblement du temps.
« Le visage
humain n’a jamais été peint. Voilà le vrai. Et il ne faut pas dormir aussi
longtemps que nous n’aurons pas mieux regardé. Ce que l’on rejette comme
page lue, message épuisé, en deçà est un au-delà encore ; nous étions passés
trop vite, nous nous étions détournés trop tôt. Entre le geste et la proie,
entre l’affût et la lueur subsiste la distance, s’étendent les terres de la
réminiscence et du mirage. Je suis prêt à écouter les nouveaux récits du
guet et du voyage. Car on ne me parle, je ne parle que dans l’insomnie du
temps. »
L.B.K. |
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« Pierre Alechinsky », texte de Pierre Daix,
Editions Ides et Calendes, 2015
« Alechinsky – Les Affiches », catalogue raisonné établi par Frédéric
Charron, Editions Ides et Calendes, 2015.
C’est toujours un immense plaisir que de noter la parution de nouveaux
ouvrages consacrés au peintre Pierre Alechinsky, tel est le cas avec ces
deux éditions publiées tout récemment chez Ides et Calendes. Le premier
livre avec un texte signé de la plume de Pierre Daix - écrivain, historien
de l’art et journaliste, disparu depuis en novembre 2014 - est un régal de
nuances et de subtilités quant à l’œuvre de l’artiste. Ici ce ne sont pas
moins de trente-deux peintures qui ont été proposées par l’artiste et
tissent avec le texte des liens étroits et forts. C’est, en effet, au
travers de ces trente-deux compositions, papier marouflé sur toile (presque
toutes du même format) où s’allient encre de chine et huile sur toile au
centre, et bordures acryliques en couleurs que Pierre Daix nous fait
rencontrer le peintre, le graveur, mais aussi l’immense graphiste qu’est
Pierre Alechinsky.
Intitulé « La trouvaille et les bordures », le texte de Pierre Daix
interroge pour mieux saisir, passant des bordures, si caractéristiques de
ces toiles d’Alechinsky, où le regard s’enroule et s’enfonce, avant de
plonger plus que de se figer au centre lui-même, tempo autonome aux propres
battements. Et, Pierre Daix lui aussi va et vient dans cette séquence de
peintures, passant des bordures aux centres, ici cerclés souvent de noir,
puis revenant des centres aux toiles, et des toiles aux dires même de
L’artiste. Inlassablement, il interroge l’œuvre, les influences, l’histoire
et la pensée de ce peintre Belge, post surréaliste, membre du mouvement
avant-gardiste Cobra ayant ainsi rejoint Appel, Constant, Nieuwenhuis ou
encore Jorn, avant de s’intéresser à partir des années 1950 au mouvement
Action Painting. « J’essaie d’atteindre – écrit-il - au-delà de ma
réflexion sur une peinture spécifique, celle de Pierre Alechinsky,
l’histoire de cette peinture et ce peintre. Son mode de pensée ou/et
d’action. Par-dessus tout, ce renversement qui est le sien, propre à
l’artiste moderne qui, au lieu de reproduire un modèle préexistant, de se
targuer d’en maîtriser, d’en posséder les apparences, se projette bien plus
humblement à la rencontre de son expérience du monde. Pressentant que là est
la source de la nouveauté, il veut d’abord se la donner à voir et nous la
donne à voir. » Mettant l’accent sur la matérialité de la création,
Pierre Daix souligne ainsi combien les toiles d’Alechinsky concentrent,
au-delà du centre et des bordures ou cadre même, un au-delà ou une certaine
transcendance, « faire jaillir –écrit encore Pierre Daix – le
signe jamais vu qui, même temps, prend tout son poids immémorial de
résurrection et d’évidence, comme s’il venait de la grotte Chauvet ». Là
où, la mémoire et les réminiscences les plus inconscientes de l’artiste, la
conscience et cette « spontanéité » se mêlent pour créer leur propre ordre
ou composition et qui, à son tour, ne cessent de nous interroger.
A cet écrit viennent s’ajouter les recensions des principales expositions
personnelles de l’artiste dans des galeries ou centres culturels et musées,
des principaux auteurs illustrés par l’artiste, écrits, monographies et
filmographie, sans oublier des photographies de Pierre Alechinsky notamment
par Martine Franck en 2009. L’ensemble que constitue cet ouvrage complète à
merveille le catalogue raisonné établi par Frédéric Charron, paru également
aux éditions Ides et Calendes, et consacré aux affiches réalisées par
Alechinsky.
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« Manet, le secret" de Sophie Chauveau, 382 pages,
Éditions S W Télémaque, 2015.
« Chaque époque est dotée par le ciel d'un artiste chargé de saisir la vie
de son temps et d'en transmettre l'image précise aux époques suivantes.
C'est toujours des pierres dont on a lapidé l'homme qu'est fait le piédestal
de sa statue. » (Jules de Marthold)
Édouard Manet, aujourd'hui un « classique inclassable » dont les toiles
appartiennent au patrimoine de tous les grands musées du monde et autres
collections privées, fit les frais de cette vérité de Jules Marthold toute
sa vie durant. Reconnaissable parmi tous, sa touche, sa palette, sa lumière,
ses sujets nous sont si familiers... Et pourtant Manet fut en son temps
décrié, incompris et même haï du pouvoir, des institutions, de l'académisme
en place, des critiques et pire du public lui-même, car Manet ne peindra
jamais ce que l'on voudrait voir mais il montra toujours à travers son art
ce qu'il voyait. En ce milieu du XIXème siècle, il bousculait alors les
codes de l'art officiel et ouvrait la voie à l'art moderne et à ses divers
mouvements. André Malraux lui-même dit en 1970, 88 ans après la mort du
peintre, le 30 avril 1882, que l'art moderne commença avec l'Olympia. Si on
connaît peu de choses sur Manet, le livre de Sophie Chauveau dévoile
quelques secrets qui firent de cet homme un des plus grands sinon le plus
grand artiste de son siècle. Sa vie d'enfant entouré de ses parents et ses
frères, ses espoirs et blessures de jeunesse, son court mais marquant séjour
dans la marine, ses débuts d'étudiant en peinture dans l'atelier de Thomas
Couture donnent quelques clés pour une meilleure compréhension, hors des
banalités anecdotiques, de son œuvre. « Malheureusement l'art est lent.
L'apprentissage est long, rugueux, âpre. Pénible même. Ses premières œuvres
le déçoivent.... Il détruit tout ce qui ne passe pas au crible du seul
critère qui lui importe : ne pas décevoir son père... Plus son œil s'affûte,
plus le niveau de ses exigences s'élève et le recale à la soumission au
jugement paternel... Où s'est-il forgé une si grande idée de la peinture,
pourquoi a-t-il placé la barre si haut qu'il ne se juge jamais prêt à la
dépasser ? Comment s'est développée chez ce jeune gandin une si excessive
exigence, comment pareil amour de l'art a-t-il pris racine dans cette
famille ? Autant d'énigmes qu'il n'est pas prêt de résoudre mais qui
tapissent le fond de son âme... » (extrait des pages 33-34). Il y a autour
de lui ses amis de jeunesse (Proust en tête de liste), son admiration pour
les poètes (Baudelaire, Mallarmé ami de toujours, Verlaine n'est pas loin),
ses amours interdits et leurs secrets (Suzanne et Berthe qui êtes-vous pour
Edouard ?), ses engagements politiques, ses prises de position artistiques,
son incommensurable besoin de reconnaissance et les systématiques refus de
ses tableaux par le jury du Salon mais « Manet apprend à peindre comme
Manet. Par appropriations successives. Et rejets.» Tant d'œuvres devenues
les plus célèbres dans le monde et autant de censures.
Dans un contexte de grands bouleversements de société et sur fond de guerre
civile prête à se mettre en marche, Manet entouré de fidèles, Renoir, Monet,
Pissarro, Berthe Morisot, Degas, Nadar et tout le « clan des futurs
impressionnistes » donna un véritable statut aux artistes présentant leurs
toiles en créant collectivement le Salon des refusés parallèlement à
l'officiel. Que de grands noms de la peinture sont en pleine création à
cette époque ! Courbet, Fantin-Latour, Rousseau, Bazille, Daubigny, Corot,
Constable, Turner, Whistler, Prins, Moreau, Sisley … L'histoire de ce siècle
fut illustrée par les plus grandes œuvres de ces passionnés qui se
réunissaient dans les cafés où se créaient les nouvelles visions artistiques
mais également les positions littéraires (Baudelaire, Verlaine, Rimbaud,
Hugo, Zola...) et les divergences politiques de l'époque. Tous unis autour
d'Édouard Manet et de son fameux « Bain » qui le rendit définitivement
célèbre et obligea le monde de l'art à accepter (en grinçant des dents) une
nouvelle catégorie d'artistes se regroupant sous le nom de « naturalistes »
ou « modernes ». Manet devint le peintre subversif mais à son corps
défendant, il ne voulait pas être le chef de file de quelque mouvement ou
école que ce soit. Manet voulait juste peindre et montrer sa peinture, il
voulait vivre de son art mais un si grand nombre de joies et de déceptions
entretinrent chez lui, si sensible à son environnement, un état de doute et
de déprime qui ne le quittera jamais. Manet scandalisa l'académisme du
moment par pratiquement toutes ses propositions artistiques. « Il souffre du
scandale mais ne renie pas un cheveu du travail qu'il a déclenché » et c'est
une question de vie ou de mort car : « Pas vu, il est mort, vu, on peut
commencer à parler d'art. »
Nul besoin de faire l'inventaire des œuvres d'Édouard Manet ni celles de ses
acolytes pour comprendre ce qui les a lié, à tout jamais, jusqu'au dernier
souffle du premier d'entre eux, Baudelaire. Enfin les collectionneurs
s'intéressèrent à la peinture de Manet (et à certains autres membres du
groupe) et le plus célèbre d'entre tous, Durand-Ruel va en acquérir un
certain nombre. Manet du haut de ses quarante ans commence à recevoir une
forme de reconnaissance sonnante et trébuchante…
Dans un semblant de mieux être, Manet continuait de peindre avec des hauts
et des bas et luttait contre ses propres démons, sa famille, ses amours
contrariés ou transcendés, et la maladie comme une épée de Damoclès
au-dessus de sa vie et de son œuvre. Jusqu'à son dernier souffle Manet
pensera peinture. Il était le plus grand de son temps et « il n'y avait pas
quatre artistes dans toute la France capable de peindre comme lui. »
affirmait Alexandre Cabanel, peintre académique, considéré alors comme un
des meilleurs classiques.
C'est une page de l'histoire de l'art passionnante écrite par Sophie
Chauveau, qui se lit comme un roman et qui invite à redécouvrir les œuvres
évoquées afin de ne pas oublier à quel point Manet à définitivement changé
les paradigmes de la peinture, le regard des artistes et celui du public.
Sylvie Génot |
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Antonio Natali « Michelangelo - Agli Uffizi, dentro
e fuori » Maschietto Editore, 2014.
Le 450e anniversaire de la mort de Michel-Ange a été l’occasion pour le
directeur de la Galleria del Uffizi, Antonio Natali, de repenser la lecture
de deux des plus célèbres œuvres du maitre : la « Sacra Familia »
dite Tondo Doni et le fameux « David ». La première est une peinture
circulaire installée au cœur des nouvelles salles rouges des Offices, la
seconde à l’extérieur (d’où le titre du livre) après avoir séjourné dans la
Piazza della Signoria, fut en effet transférée à l’Accademia en 1873. Ces
deux œuvres sont annonciatrices de la manière moderne et d’une
figuration repensée, pour Antonio Natali, s’inscrivant ainsi à l’opposé de
la tendance contemporaine à ne voir dans ces œuvres que des strictes icônes
dont le sens ferait défaut à l’heure de l’industrie du tourisme. De là,
l’auteur invite le lecteur à approfondir notre rapport à ces chefs d’œuvre
en les regardant et en les interprétant comme de véritables œuvres
poétiques. Or, comment cette poésie peut-elle encore avoir un sens et
émouvoir l’âme si sa signification reste obscure ? interroge avec justesse
l’auteur. Par-delà le culte idolâtrique rendu à ces œuvres et qui réduisent
leur capacité à donner sens, les réflexions suggérées par cet ouvrage
invitent à cet effort de dépasser la virtuosité aussi exceptionnelle
soit-elle d’un artiste comme Michel-Ange pour aller au cœur des
significations de ces œuvres d’art. Angelo Natali pose des questions
apparemment simples, mais qui s’avèrent redoutables pour tout observateur de
ces œuvres une fois lancées : pour quelle raison l’artiste a-t-il conçu un
géant pour représenter David lui-même décrit dans la Bible comme le plus
frêle et fragile face au géant Goliath ? Pourquoi le jeune homme triomphant
ne tient-il pas à ses côtés la tête de l’adversaire abattu comme c’est
l’usage dans toutes les représentations artistiques de cet épisode biblique
? Une autre illustration ? Le lecteur pourra analyser cette sculpture d’Ariane
endormie au centre de la salle et dont le corps – avec la perspective -
semble entourer l’ovale de la Sacra Familia en un réseau de dialogues
croisés entre l’arrière-plan du tableau et la statue à la pose lascive.
Accompagné d’une iconographie remarquable, cet essai d’une rare intelligence
invite et sollicite le lecteur à un nouveau rapport aux œuvres d’art qu’il
appartient à tout à chacun de choisir de redécouvrir, un chemin vers
l’essentiel. |
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Pierre Bonnard "Observations sur la
peinture", préface d’Alain Lévêque, introduction d’Antoine Terrasse,
L’Atelier Terrasse éditions, 2015.
Les éditions L’Atelier contemporain offrent au lecteur d’entrer
subrepticement dans l’atelier de la création du peintre Pierre Bonnard.
Ainsi que le souligne l’écrivain Alain Lévêque dans sa préface, Bonnard
demeure "l’éphémère ébloui" selon les mots du poète Baudelaire, une belle
association pour commencer. Et c’est en effet en un subtil équilibre entre
la joie et l’angoisse d’exister que l’œuvre du peintre ravit le regard comme
l’esprit par cette fraîcheur et cette rencontre avec le monde souligne
encore Alain Lévêque. Ce livre admirablement présenté fait alterner les
nombreuses reproductions de l’agenda du peintre aux notes retranscrites.
Pierre Bonnard y consigne ses rendez-vous non pas avec le temps de la
plupart des mortels, mais avec celui de l’atelier du vivant, l’instantanéité
de l’immédiat. Le petit-neveu du peintre, Antoine Terrasse, récemment
disparu, offre aux lecteurs pour cet ouvrage une introduction à ces "Observations
sur la peinture" titre souhaité par Bonnard à cet ensemble de notes. Ces
lignes rapides comme l’esquisse évoquent tant l’état de la météo du jour que
les couleurs qu’elles suscitent chez le peintre : "Violet dans le gris.
Vermillon dans les ombres orangées, par un jour froid de beau temps." (7
février 1927). Antoine Terrasse rappelle combien ces instantanés préfigurent
une idée de tableau, dont certains prendront vie en effet sur la toile.
La genèse des formes, les couleurs en filigrane, le dialogue des traits
ébauchés anticipent l’épiphanie de la lumière. Si la transparence ou au
contraire la densité de l’air importe tant au peintre dans ses notes du
temps qu’il fait, c’est pour sa création qu’il s’en soucie plus que pour
lui-même : "Le noir comme couleur dans les ensembles clairs"
note-t-il le 17 mai 1928, "Couleur moins éclatante, teintes neutres
exaltées, pour l’unité de lumière". L’artiste est néanmoins vigilant,
voire angoissé, lorsqu’il souligne :"En peinture aussi la vérité est près
de l’erreur" (27 octobre 1935). Plus légères, les réminiscences des
émotions passées pointent au détour d’une entrée d’agenda tel le charme
toujours intact pour les lignes épurées d’une tasse japonaise ou la
fascination pour un dessin de Rubens…
Ces aphorismes de peintures conduiront à n’en point douter le lecteur à une
intimité certaine avec le peintre, une proximité qui renouvelle le regard et
tous les sens en beauté.
Philippe-Emmanuel Krautter |
Spiritualités |
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Emmanuel Godo : « Mais quel visage a ta joie ? », Salvator, 2019.
L’écrivain et essayiste Emmanuel Godo n’en est pas à son premier ouvrage
avec « Ne fuis pas ta tristesse », l’auteur avait déjà fait parler de
lui par cet essai proposant un autre rapport au sentiment de tristesse,
aujourd’hui systématiquement combattu à grand renfort d’antidépresseurs.
C’est, aujourd’hui, à la joie que cet auteur épris de littérature et de
transmission s’attache dans son dernier ouvrage paru aux éditions Salvator
et au titre évocateur : « Mais quel visage a ta joie ? ». Égrenant le
chapelet des émotions pour les affiner, l’auteur invite son lecteur à mieux
les distinguer, les ciseler pour mettre en évidence cette échelle dont
chaque barreau mène à la Joie véritable. Il ne s’agit pas là d’un énième
ouvrage de développement personnel, ce qui serait une grande méprise,
l’auteur épris de Victor Hugo, Huysmans, Bloy ou encore Claudel a trop de
respect pour ce qu’un livre peut apporter à son lecteur pour se livrer à ce
genre de recettes faciles. « Mais quel visage a ta joie ? » serait
plutôt de l’ordre d’un exercice spirituel éclairé par les enseignements de
la littérature auquel nous convie Emmanuel Godo. Chaque instant du quotidien
offre des occasions de ce « sourd besoin de supplier l’Incompréhensible
», ainsi que le relevait Huysmans, et c’est par la littérature qu’il est
possible d’être, selon l’auteur, le plus aidé, ces premières joies
littéraires qui peuvent mener à la grande Joie. C’est d’ailleurs à un poète,
Guy Goffette, que ce livre est dédié, une manière délicate de rappeler ce
lien entre quotidien et fugacité. L’expérience intérieure chère à
Georges Bataille nourrit la démarche d’Emmanuel Godo en dénudant la vie de
toutes les couches qui la composent pour retrouver l’inconnu qui est en
nous, une attitude commune au zen et à la psychanalyse. Avec « Mais quel
visage a ta joie ? », Emmanuel Godo scrute et recherche ce visage de la
joie, celui d’un poète par exemple, de cet être qui pour l’auteur « ne
consent pas à l’insignifiance ». Les dialogues intimes qu’entretiennent
parfois la mélancolie et la joie, une lettre à son frère, l’expérience de
l’enseignement et de la transmission, toutes ces joies qui ne sont pas –
peut-être - encore la Joie, mais qui peuvent nous mener plus loin vers cette
lumière qui ne faiblit pas et dont les chefs d’œuvres de l’art rayonnent.
Et, c’est cette invitation qui scintille avec beaucoup de joie dans ces
pages inspirées.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Henry Fautrad « Musulmans, comprendre – rencontrer
– aimer » Editions Emmanuel, 2018.
A l’heure où les tensions dans nos sociétés se font de plus en ressentir,
tensions souvent accentuées par leur traitement médiatique et l’ignorance,
l’essai que vient de signer Henry Fautrad, prêtre du diocèse du Mans et de
la Communauté de l’Emmanuel, apporte un vent de fraîcheur, de compréhension,
et par là même, d’espoir. Ainsi que le souligne Mgr Aveline dans sa préface
au livre, c’est en effet un essai stimulant qui est proposé à notre lecture
car il invite à une meilleure découverte des musulmans à partir de trois
mots clés : comprendre, rencontrer, aimer. Des clés que
l’on souhaiterait aujourd’hui, plus encore, entendues, sinon lues et
méditées. L’Histoire la plus ancienne de l’humanité a démontré que la
plupart des conflits naissaient de l’incompréhension et de l’ignorance,
Hérodote évoquait déjà en termes de barbares ceux qui ne parlaient
pas la langue grecque… Tout en préservant son identité culturelle et
spirituelle rappelée dans la première partie, l’auteur propose dans une
second temps de regarder cet autre qui depuis de nombreuses années
revendique légitimement, la plupart du temps, la prise en considération de
sa différence dans une société laïque laissant de moins en moins de place
aux sentiments religieux relégués à la sphère privée. Fort d’une expérience
de plus de 20 ans dans le monde arabe, riche expérience étayée de nombreux
voyages et études, c’est avec une connaissance intime du monde musulman et
du Coran que le père Henry Fautrad invite à cette rencontre dans ces pages
inspirées. L’auteur s’avère aussi à l’aise dans cette expérience vécue au
quotidien lors de son ministère dans la cité des Sablons à la périphérie du
Mans que dans la présentation des subtilités du Coran. L’un ne va pas sans
l’autre si l’on souhaite dépasser les clivages réducteurs fondés sur la peur
que peut légitimement inspirer la violence aveugle d’une toute petite
minorité faisant une lecture fondamentaliste de ces textes sacrés, sujets
brûlants également abordés dans ces pages. Dépasser les peurs pour aller
vers l’autre, c’est ce à quoi encourage Henry Fautrad en un élan
interreligieux qui n’écarte en rien les vraies questions, notamment sur la
réforme de la tradition musulmane, sans oublier les parts d’ombre de part et
d’autre trop souvent niées ou refoulées. Le regretté cardinal Jean-Louis
Tauran, disparu cette année, relevait ce défi essentiel se posant pour lui à
l’homme du XXIe siècle, celui de « s’informer sur la religion de l’autre,
être clair sur son identité spirituelle et accepter ce défi de l’altérité
». Un défi que l’auteur de ces pages informées et réfléchies a su avec
conviction suivre à la lettre ! Plus qu’un témoignage chrétien comme
pourrait le laisser croire trop modestement le sous-titre de ce livre, c’est
à une véritable ouverture vers l’altérité, nouvel Ephatta encouragé
par l’urgence de nos surdités, à laquelle invite cet essai inspiré.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Bible Segond Traduction : Louis Segond 1910,
1824 pages, 15 x 21 cm, 500 g, sous coffret, éditions Bibli’O, 2018.
L’Alliance Biblique Française aux éditions Bibli’O propose de nouvelles
bibles dans différentes versions et finitions. C’est le texte de la Bible
Segond 1910 qui a été retenu, du nom du théologien suisse Louis Segond qui
traduisit la Bible en français à partir des textes originaux hébreux et
grecs, et dont l’édition fut révisée après sa mort en 1910. De nombreuses
introductions et cartes replacent dans leurs contextes historiques et
géographiques les textes bibliques. A noter également les index, précieux
pour retrouver instantanément le passage recherché. Finition cuir et
tranches or pour cette Bible qui se referme par un zip, un moyen pratique de
la protéger sur le long terme. Pour marquer les grands évènements, cette
Bible comprend, enfin, une idée originale, un livret de mariage et des
encarts pour indiquer ses différents propriétaires, et donc sa transmission,
une belle manière de renouer avec la tradition des Bibles familiales.
La Bible en français courant - Format miniature
1536 pages, 10 x 13,5 cm, 300 g éditions Bibli’O.
Idéale pour redécouvrir le texte biblique selon un autre style, la Bible en
français courant. Cette version vise à se rapprocher le plus possible du
style original du texte en ayant cependant recours à des tournures
françaises actuelles. A l’initiative de l’Alliance biblique universelle dans
les années 80, cette approche concilie rigueur héritée de la science
biblique et facilité du style pour un public élargi. En édition de poche,
aisément transportable en vacances, cette bible offre une introduction à
chaque livre, un tableau chronologique, un vocabulaire, 3 plans noir et
blanc et 4 cartes couleur, et inclut enfin les livres deutérocanoniques. Sa
présentation en reliure souple couleur vinyle safran la rend agréable et
attrayante notamment pour un public jeune.
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Carlo
Maria Martini « La Scuola della Parola » Opera Omnia, Bompiani - Fondazione
Carlo Maria Martini, 2018.
Le quatrième opus de l’Opera Omnia de Carlo Maria Martini était
attendu. Il vient d’être publié aux éditions Bompiani avec la collaboration
de la Fondazione Carlo Maria Martini. Ce fort volume de plus de 900 pages a
pour titre « La Scuola della Parola », cette école de la Parole si
chère au cardinal italien et qu’il sut toute sa vie durant, en tant que
chercheur, exégète de la Bible, professeur, évêque et cardinal, transmettre
au plus grand nombre, savants et néophytes. Ainsi que le souligne
Monseigneur Franco Agnesi qui préface l’ouvrage, c’est la première fois que
sont réunis autant de sources et de textes fondamentaux de l’archevêque sur
l’une de ses initiatives majeures durant son ministère pastoral dans le
diocèse de Milan. Le 6 novembre 1980, en effet, ce ne sont pas moins de deux
mille jeunes qui se rassemblent dans le Duomo de Milan pour écouter leur
évêque leur expliquer l’approche de la lectio divina dont les
origines remontent à la fin du XIIIe siècle. A partir de là, les premiers
jeudis de chaque mois verront dès lors une foule sans cesse croissante
remplir la cathédrale de Milan jusqu’à atteindre le chiffre incroyable de 5
000 personnes ! Véritable succès auquel le principal intéressé ne
s’attendait pas, ce fut le point de départ d’une expérience sans cesse
renouvelée et élargie à d’autres lieux pendant le ministère du cardinal
Martini. La première partie du livre expose justement la présentation de
cette École de la Parole reposant sur la méthode de la lectio divina,
une lecture rapprochée de la Bible accessible au plus grand nombre, sans
formation théologique préalable. Carlo Maria Martini rappelle dans ces pages
cette triade essentielle à toute lectio divina : lectio,
meditatio, contemplatio. La lectio s’entend ainsi d’une
lecture attentive du texte biblique retenu, en mettant en évidence sa
structure, son rythme, les personnes et actions caractéristiques. Replacé
dans son contexte géographique, historique et actuel, le passage doit être
selon l’archevêque découvert comme si c’était la première fois : "Si vous
lisez le texte stylo en main, vous verrez qu'il devient toujours nouveau, il
doit être lu à chaque fois comme si c'était la première fois, que dit le
texte en soi ? ». Après cette lecture littérale, vient la meditatio,
avec une réflexion sur le message du texte, ses valeurs et ce qu’il révèle
au lecteur. La contemplatio (oratio) ouvre enfin vers la
dimension la plus personnelle de la lectio divina pendant laquelle le
méditant entre en dialogue avec Celui qui lui parle à travers le texte
retenu et l’Écriture de manière générale. C’est cette démarche active et
dynamique qui a toujours fait l’objet d’une attention particulière de la
part de Carlo Maria Martini, une présence au texte qui sut gagner tant de
personnes attirées par cette manière de lire, de voir et de partager le
texte biblique, cette Parole qui réchauffe le cœur comme celui des pèlerins
d’Emmaüs (Lc 24, 32). L’homme d’Église et bibliste eut à cœur d’élargir au
plus grand nombre cette approche de la Parole, prolongeant ainsi la
proposition du Concile Vatican II dans Dei Verbum. Carlo Maria
Martini souhaitait que cette pastorale de la Parole s’inscrive à tous les
niveaux des communautés chrétiennes, sans souci de formation ou de
compétence. Ce quatrième volume rappelle ainsi cette riche expérience,
réunissant un nombre impressionnant de documents et de sources directes du
cardinal quant à cette Scuola della Parola qui métamorphose le lecteur en
interprète de la Bible. Des témoignages émouvants sont également réunis tel
ce thème retenu pour l’une de ces séances “Il pane per un popolo” à
partir de l’épisode de la multiplication des pains dans l’Évangile de
Matthieu (14: 13-21) avec cette comparaison synoptique des autres
évangélistes annotés par Carlo Maria Martini avec la minutie caractéristique
du bibliste. La seconde partie reproduit les textes de ces lectio,
avec en préface un témoignage du cardinal Gianfranco Ravasi qui a bien connu
cet immense apôtre de la Parole que fut Carlo Maria Martini.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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« Zwingli, le
réformateur suisse 1484-1531 » Aimé Richardt Artège éditions, 2018.
Si les noms de Luther et de Calvin sont familiers en
France, celui de Zwingli reste, lui, plus méconnu en notre francophonie. Un
étrange voile masque, en effet, ce grand réformateur suisse, théologien qui
vécut à Zurich, terre alémanique justifiant peut-être cette barrière de la
langue. Toujours est-il que sa présence est encore de nos jours forte
lorsque l’on découvre la ville de Zurich et que les pas mènent le promeneur
vers la fameuse église Grossmünster dont la construction fut commencée par
Charlemagne sur les tombes des saints fondateurs de la ville Felix et Regula
persécutés à la fin du III° s. par Rome. C’est à quelques pas,
effectivement, de cette imposante église que le théologien avait ses
appartements, aujourd’hui encore conservés en l’état. D’une touchante
sobriété, ils ont su bravé les siècles et peuvent encore se visiter (voir
notre reportage). C’est de ces lieux que le zélé réformateur imposera la
Réforme à Zurich et dans toute la Suisse alémanique. Rien de moins ! Car
Ulrich Zwingli, ainsi que le souligne Aimé Richardt, au début de cette
captivante biographie, ne brille pas moins que ses plus illustres compagnons
de Réforme, Luther et Calvin, même si son nom semble s’être quelque plus
effacé de l’Histoire. L’auteur part du contexte géographique et historique
de la Suisse pour introduire son personnage, une région moins sage qu’il n’y
paraît et qui a souvent cultivé une irrépressible résistance à toute idée
menaçant la démocratie et la liberté. Il ne manquait « qu’un fou prenne
la parole contre Rome » selon la clairvoyance d’un nonce papal de
l’époque, ce fut Luther en Allemagne et… Zwingli en Suisse. Les abus du haut
clergé plus occupés des charges matérielles qui leur incombaient que de
celles des âmes dont ils avaient la responsabilité avaient nourri un vif
ressentiment chez de nombreux chrétiens effarés par ces pratiques
mercantiles des Indulgences et autres vénalités. Recevant une solide
éducation chrétienne, lisant les œuvres d’Érasme l’éveillant à la
condamnation de guerres injustes auxquelles il participe en tant qu’aumônier
du pape, Zwingli commencera ses virulentes prédications à Zurich pour
décider en 1520 de renoncer à sa solde papale. Trois ans plus tard, c’est la
rédaction des 67 thèses, certes quelques moins connues que la Disputatio
pro declaratione virtutis indulgentiarum des 95 thèses de Luther, mais
poursuivant pourtant le même débat. Alors même qu’est affirmé son divorce
définitif avec Rome par son excommunication, Zwingli se disputera également
avec ses pairs réformés, notamment Luther et les anabaptistes, pour
finalement perdre la vie sur un champ de bataille lors de la seconde
bataille de Kappel en tant qu’aumônier des troupes zurichoises. Cette
brillante biographie concise et particulièrement éclairante contribuera
assurément à mieux faire connaître ce destin tragique d’un penseur convaincu
et d’un humaniste encore trop méconnu. |
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Les Heures Grégoriennes Latin / français / chant
grégorien
3 volumes (En option : CDs mp3 permettant d’apprendre et répéter
l’intégralité des pièces grégoriennes), 2ième édition.
Le coffret « Les Heures Grégoriennes » réalisé par La Communauté Saint
Martin offrent pour la première fois en trois volumes un bréviaire
latin-français couvrant toute l’année (sauf l’office des lectures laissé à
la discrétion des communautés). Une édition précieuse dont l’intérêt majeur
réside dans la possibilité de suivre la prière dans la langue universelle de
l’Église, tout en s’aidant d’une traduction en français, seule ou en
communauté. Le pape Benoît XVI avait émis le souhait durant son pontificat
que le latin soit de nouveau au cœur de la formation des jeunes
séminaristes, son usage ayant tendance à disparaître depuis quelques
décennies ; le Saint Siège a, d’ailleurs, encouragé depuis cette initiative.
Cette édition est également dans la lignée de la volonté du concile Vatican
II dans son souhait de rendre l’Office divin accessible au plus grand nombre
de fidèles. La langue latine et la musique sacrée associées à la langue
vernaculaire sont ainsi au cœur de ces Heures Grégoriennes réalisées par la
Communauté Saint-Martin qui promeut depuis longtemps le chant grégorien de
la Liturgia Horarum.
La mise en page synoptique des trois volumes offre un vis-à-vis aisé et
essentiel avec le texte latin de la Liturgia Horarum (Libreria
Editrice Vaticana) comprenant les notations grégoriennes de toutes les
pièces de l’office choral, alors que la partie de droite propose, quant à
elle, le texte français à partir de l’AELF, ainsi qu’une traduction des
hymnes et des prières d’intercession également approuvées. Une mise en page
qui recueillera assurément l’approbation d’un grand nombre de fidèles.
L’autre grand intérêt de cette très belle édition est d’introduire le fidèle
à la liturgie grégorienne, la Communauté Saint Martin contribuant ainsi à
cette préservation du trésor du chant grégorien. Il est, en effet, désormais
possible d’avoir accès à cette source musicale avec plus de 1 700 pièces
grégoriennes (Hymnes, antiennes, répons), des CDs mp3 en option permettant
même d’apprendre et de perfectionner l’intégralité des pièces grégoriennes.
Cette édition est le fruit d’un travail exemplaire de l’Atelier de
paléographie musicale de l’Abbaye Saint-Pierre de Solesmes bien connue pour
ses travaux en matière d’édition musicale et dont notre revue s’est fait
l’écho dans ces colonnes.
Le plan des trois volumes suit l’évolution classique de l’année liturgique :
le volume I : Avent ; Temps de Noël ; Temps ordinaire ; Solennités, volume
II : Temps du Carême ; Temps pascal et le volume III : Sanctoral ; Communs
des Saints. Chaque volume contient le Propre du temps, l’Ordinaire de
l’Office, le Psautier sur 4 semaines, les Complies de chaque jour, les
psaumes complémentaires et un index complet.
Un travail d’édition précieux et soigné avec une reliure solide, prête à
résister aux longues heures de prière ; la typographie en deux couleurs et
un papier de qualité traduisent également ce souci digne de l’époque
ancienne où les abbayes réalisaient les plus beaux bréviaires pour la
chrétienté !
Communauté Saint Martin
les Heures Grégoriennes
BP 34
F - 41120 Candé sur Beuvron
www.communautesaintmartin.org
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Carême 2018 avec Magnificat
La revue Magnificat édite comme chaque année un petit
guide bien pratique pour préparer et accompagner au quotidien chaque fidèle
dans sa marche vers Pâque. C’est en plongeant chaque jour dans la profondeur
de l’Écriture que chaque croyant pourra non seulement interroger son cœur
sur sa foi et ses attentes, mais aussi sur ses parts d’ombre. C’est aussi
vers les autres et l’idée de mission que ce Carême peut être orienté ainsi
que le rappelle Bernadette Mélois, la rédactrice en chef de ce Hors-Série,
qui nous invite à nous poser la question : « Croyez-vous ?» à la
lumière de l’Évangile.
Le Chemin de Croix est une étape essentielle dans la marche vers Pâque, un
parcours à la fois historique qu’emprunta si douloureusement Jésus condamné
il y a plus de 2000 ans, mais aussi spirituel, que chaque croyant est invité
à suivre comme l’y invita si souvent le pape Jean-Paul II. Le philosophe et
essayiste Fabrice Hadjadj prête avec bonheur sa plume et ses méditations
inspirées pour ces stations du chemin de Croix en interrogeant
fondamentalement le lecteur : « Quelle est cette Croix que porte le
Christ », une question qui dépasse la lecture littérale de la croix pour
rejoindre celles, essentielles, de nos vies et du péché, du Salut et du sens
de la Résurrection, une réflexion si bien servie par l’art de Patrick
Marquès qui l’illustre avec une rare profondeur.
Le troisième petit volume appelant à la préparation du Carême, « Si Jésus
est vraiment parmi nous, alors où est-Il ? » du père Veras, offre une
réflexion sur notre rencontre avec le Christ. A l’aide de l’Ancien et du
Nouveau Testament, ce bibliste renommé invite à nous interroger sur cette
présence de Jésus dans nos vies quotidiennes. Le père Richard Veras ose
cette invitation à une expérience sensible de cette réalité spirituelle, une
proposition qui appelle le lecteur à mieux saisir les sens de l’Incarnation,
de la Résurrection, de la chair et de l’Esprit lors de la Pentecôte, un
Verbe éternel qui se fait chair pour l’éternité. Cette réflexion stimulante
conduit le lecteur à mieux intérioriser cette phrase prononcée par Jésus : «
Je suis avec vous tous les jours », une présence que ce Carême propose à
chaque croyant de mieux ressentir et percevoir. |
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«
Magnificat en l’honneur de la Vierge Marie » de Pierre-Marie Varennes, 20 x
25 cm, 192 p., Magnificat, 2017.
Cet ouvrage réalisé par Pierre-Marie Varennes, fondateur de la célèbre revue
Magnificat, vient à point nommé, à la fois pour les fêtes de la Nativité,
mais aussi pour célébrer l’anniversaire des 25 ans de la revue. Le mensuel
Magnificat, que nos lecteurs connaissent bien, est depuis longtemps apprécié
pour sa célébration de la beauté, vecteur universel permettant de
questionner et d’approcher foi et transcendance. Introduisant toujours avec
un soin particulier pour les couvertures de chaque revue mensuelle une œuvre
d’art accompagnée de son commentaire à la fois artistique et spirituel, le
présent livre a fait le pari de réuni une sélection des quarante plus belles
couvertures de Magnificat dans ce livre anniversaire consacré à la Vierge
Marie. Avec une préface du cardinal Sean O’Malley rappelant les célèbres
mots de Dostoïevski que « la beauté sauvera le monde », l’ouvrage
ouvre sur cette prière connue du monde entier célébrant la merveille de Dieu
en son Magnificat : « Magnificat anima mea… ». Pierre-Marie Varennes
rappelle les temps de ces premières couvertures en 1992, époque où les
ordinateurs et Internet n’existaient pas pour le choix de l’iconographie qui
devait se faire en agence, avec toutes les difficultés matérielles que l’on
peut imaginer. Un quart de siècle plus tard, c’est près d’un million de
fidèles à travers le monde qui se trouve uni par cette revue distribuée en
six langues. Le lecteur pourra ainsi découvrir, admirer et méditer ces
quarante œuvres d’art accompagnées de commentaires à la fois utiles pour
intégrer la portée de chaque œuvre dans son message artistique, et en même
temps précieux pour ouvrir à la dimension sacrée de ces chefs-d’œuvre. Une
sélection des plus beaux textes de la littérature mariale nourrit également
ce volume idéal pour accompagner le fidèle dans ses temps de prière.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Missel quotidien complet pour la forme extraordinaire
du rite romain Édition entièrement nouvelle par les moines bénédictins de
l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux aux éditions SAINTE-MADELEINE
Le Missel quotidien complet proposé par l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux
a été l’objet d’un travail de longue haleine réalisé par les moines
bénédictins de l’abbaye, ce volume contenant non seulement les textes de la
messe, mais également une introduction à la liturgie utile aux fidèles
souhaitant entrer au cœur du mystère célébré, une invitation rappelée en son
temps par le pape Benoît XVI. Un grand nombre de commentaires mais aussi des
méditations, des prières et explications des temps liturgiques complète cet
ensemble unique en son genre. L’Église invite en effet tous les fidèles à
mieux comprendre le sens du rite auquel ils participent mais plus encore à
saisir qu’il en est, lui-même, une partie intégrante. Les paroles
prononcées, les gestes et silences, les moments d’échange ou au contraire de
recueillement ont chacun une place essentielle dans la signification de la
messe. Les auteurs du missel ont ainsi souhaité que cette signification au
travers de ses symboles soit accessible par le moyen d’une explication
claire et didactique.
Dom Gérard, premier Père abbé, fondateur du monastère bénédictin du Barroux,
encourageait ses frères à une attitude de foi vive en la présence divine. Le
regard porté sur l’hostie, le crucifix, les gestes du prêtre ont une place
importante dans cette élévation de l’âme au sens de la liturgie, une
ouverture favorisée également par la lecture insatiable des Écritures, dont
saint Bonaventure disait qu’elles devaient être une nourriture spirituelle
mâchée insatiablement pour en tirer tous les délices…
Ainsi, le missel a-t-il non seulement sa place au cours de la messe mais
également dans le quotidien des instants de piété de chaque fidèle. À la
lumière de la Lectio Divina, lire, méditer, et prier les textes de la
Bible (lectio, meditatio, contemplatio), lecture
rappelée si souvent par le cardinal Carlo Maria Martini.
Dom Gérard faisait les recommandations suivantes : « La première
condition est de savoir lire, science peu répandue, contrairement à ce que
l’on croit, et qui comporte deux opérations : scruter et soupeser. Nous
conseillons à ceux qui veulent s’inspirer de la sainte liturgie pour
alimenter leur vie de prière, d’imiter la manière des chercheurs d’or. Le
cycle de l’année liturgique est semblable à un grand fleuve chargé de rites,
de chants, de poèmes. On y trouve aussi de brèves formules brillant d’un vif
éclat, que l’on peut comparer à des paillettes d’or. C’est une excellente
méthode d’oraison que de lire lentement le propre du missel, de tamiser,
pour ainsi dire, jour après jour, l’eau de cette rivière et de retenir
soigneusement ce qui répond à l’attente et au désir de l’âme. La collecte du
dimanche deviendra, sous la dictée de l’Église, une méditation savoureuse et
une exhortation pratique pour la vie chrétienne. On peut alors porter,
gravées dans sa mémoire, les formules de nos oraisons préférées et vivre
ainsi entouré de maximes lumineuses qui éclairent notre route. »
Le Père Hubert, un des responsables de cette nouvelle édition, rappelle que
pas moins d’une quinzaine de personnes ont travaillé pendant trois années à
l’élaboration de ce missel dont les traductions ont été vérifiées, dont les
notices et commentaires ont fait l’objet d’un soin particulier, sans oublier
les nombreuses illustrations… La lisibilité et la clarté d’utilisation ont
également fait l’objet d’améliorations afin d’ouvrir ce missel au plus grand
nombre, une recherche en parfaite adéquation à la règle de saint Benoît et
sa célèbre invitation "Quaerere Deum".
Ces missels peuvent être commandés sur le site de l’Abbaye du Barroux :
www.barroux.org
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« Politique et société » – Pape François et
Dominique Wolton, Editions de l’Observatoire, 2017.
La rencontre insolite - et tenue secrète jusqu’à la publication du livre -
entre le pape François et l’intellectuel Dominique Wolton marque
indiscutablement cette rentrée. Il est rare qu’un pape livre sa pensée sur
la politique et la société, qui plus est, lorsque celle-ci résulte de douze
entretiens menés durant un an par un chercheur et un intellectuel ne se
reconnaissant pas dans la foi de son illustre hôte. Courageux, audacieux ?
En tout état de cause, c’est une certaine conception de l’homme et de la
politique que nous offre cet espace de rencontres et de débats fertiles face
à l’omniprésence de la technique et de la finance internationale. On sent
Dominique Wolton ému par ce face à face avec un pape à la fois très
accessible, et en même temps portant le poids de tant de responsabilités
mondiales. « Comment fait-il ? Oui, il est, peut-être, réellement, le
premier pape de la mondialisation, entre l’Amérique latine et l’Europe »
confie le chercheur. Le pape François a depuis son élection fait voler en
éclats un certain nombre de barrières à l’intérieur, comme à l’extérieur de
l’Église. Encore récemment, c’est dans une Europe gagnée par la peur des «
hordes » de migrants bravant la Méditerranée au péril de leur vie qu’il
encourage à un accueil, sans limites et sans quotas, une position loin
d’être partagée par ceux qui jugent ce message irréaliste et dangereux. Le
pape François cherche à bâtir des ponts au-delà de ces calculs qu’il juge
politiquement dangereux et posés au détriment de l’homme, une vision bien
évidemment nourrie par l’Évangile, mais qui s’impose, au risque qu’elle nous
soit imposée d’une manière encore plus radicale. Souplesse, lutte contre la
rigidité, c’est bien le caractère argentin qui prédomine dans ces propos où
la complexité ne doit pas être considérée comme un problème, mais bien comme
une richesse, la diversité des cultures étant une chance, et non un péril :
« Derrière chaque rigidité, il y a une incapacité à communiquer »
rappelle le pape. Le pape François apparaît une fois de plus comme une
personnalité attachante, reconnaissant ses faiblesses – une certaine paresse
- et même parfois ses failles (dans sa quarantaine, il avoue même avoir
suivi une analyse auprès d’une psychanalyste juive…). Le successeur de saint
Pierre face à l’immensité de la tâche qui l’occupe au quotidien se sent
malgré tout libre : « A moi, rien ne me fait peur, c’est peut-être de
l’inconscience ou de l’immaturité ! » confie de manière désarmante ce
pape, décidément si humain, à son interlocuteur. Ces conversations offrent
un visage à la fois pluriel très personnel en réponse aux différents thèmes
abordés allant des religions à l’Europe, de la diversité culturelle à la
communication, de la miséricorde à l’altérité. Dans chacun de ces domaines,
le pape se révèle dans ses certitudes, mais surtout dans ses interrogations
et questionnements, une recherche permanente de nouvelles voies qui ne
cèdent jamais à la nostalgie d’un monde passé meilleur, mais aux meilleurs
des possibles !Philippe-Emmanuel
Krautter |
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Paul Valadier « Lueurs dans l’histoire – revisiter l’idée de Providence »
Salvator, 2017. La Providence n’a plus depuis
longtemps la place qu’elle occupait dans les sociétés théocratiques. Cette «
Divine Providence nous rappelant dans nos États » d’un Louis XVIII
quelques années après la Révolution de 1789 semble bien loin, tout au moins
en Occident. Le pouvoir politique a banni l’idée de transcendance pour la
reléguer à la sphère privée, dès lors une issue qui dépendrait non pas de
notre volonté, mais d’un Dieu qui veillerait à notre sort est depuis
longtemps absente de nos démocraties. Le Père Valadier, jésuite, et qui a
dirigé la revue Études explore depuis longtemps ces frontières entre
la foi et la raison, la religion et l’athéisme. L’auteur part de l’idée que
la défaite annoncée et alimentée des forces de la mort n’est pas une
fatalité. Les diagnostics inquiets, et inquiétants ainsi qu’en convient
l’auteur, ne manquent pourtant pas. La planète comme notre civilisation sont
menacées, non point hypothétiquement mais avec des mesures alarmantes.
Cependant, si l’on reprend l’histoire même de ces civilisations, combien de
fois cataclysmes, fins de monde et autres nuits des temps n’ont- ils pas
déjà surgi et pour certains se sont réalisés ? C’est en tant que philosophe
que Paul Valadier ose poser ces questions, sommes-nous condamnés à la
fatalité de ces prédictions ou est-il possible de croire à une autre voie,
celle d’une issue non fatale guidée par la Providence. Espérance,
Providence, Foi sont autant de notions qui demandent à être éclairées. C’est
selon le triple regard de la conscience commune, du philosophe alerté par
ces interrogations et du croyant conduit à un discernement encore plus
urgent que cette réflexion est brillamment menée par l’auteur. Une
interrogation tout récemment rappelée par le pape émérite Benoît XVI dans
son message envoyé aux participants à un Congrès en Pologne organisé à
l'occasion de son 90e anniversaire, et soulignant également l’importance
d’une autre voie que celle de l’athéisme omniprésent ou de son alternative
opposée d’un État radicalement religieux. Paul Valadier nous invite à
explorer ces confins de la résignation et du nihilisme sous l’éclairage de
l’Histoire pour nous proposer d’autres chemins, ceux du déchiffrement des
signes des temps, ces messages courts – trop courts souvent pour nos
consciences sur sollicitées – mais qui ne demandent pourtant qu’à retenir
notre attention ! |
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« Quand
brille la lune » Charles Delhez et Fleur Nabert (illustrateur), Editions
Fidélité, 2017. Le Père Charles Delhez est un
jésuite qui a publié une quarantaine de livres et enseigne les sciences
religieuses. Dans ce livre au petit format carré, facilement transportable,
et à la jolie couverture, une centaine d’histoires ont été rassemblées par
ses soins, avec de belles illustrations sobres et concises de l’artiste
Fleur Nabert. L’art du conte est immémorial, certainement aussi ancien que
la parole. Ayant perdu de son importance dans nos sociétés modernes, il a
encore quelques présences dans les sociétés traditionnelles ayant résisté
aux modes de communications internationaux. Pour faire revivre ce partage
d’expériences, des histoires pour certaines connues, d’autres non, ces
contes et paraboles ont fonction de retenir l’attention de l’auditoire et de
faire passer des messages souvent marquants car gravés dans notre mémoire
ancestrale. Aussi le Père Delhez se souvient-il de ces soirées passées
autour du feu - autre constante ayant bravé les temps – et de ces récits
partagés au son d’une guitare ou de chants. Partages, émotions, lorsque la
pénombre fait tomber les masques de l’apparence. Qu’il s’agisse de faire la
part des choses lorsque l’amitié est blessée pour une parole ou un acte
accompli sur une journée pour 3650 autres d’amitié, ou du témoignage
émouvant d’un prof de gym, autrefois alpiniste, tout a valeur d’exemple à
méditer dans ces récits courts et incisifs. Ils pourront faire le plaisir
des familles à la fin d’un repas, des camps scouts après les longues marches
ou tout simplement en solitaire lorsque le doute ou l’espérance pointe leur
nez ! |
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Sophie de Gourcy « Apprendre à voir : La Nativité »
128 pages, Desclée de Brouwer, 2016.
Sophie de Gourcy a eu très tôt un goût marqué pour l’histoire et notamment
l’histoire de l’art. Conférencière, enseignante et auteur de nombreux
essais, elle n’a eu cesse de faire partager cette attirance pour l’art et
notamment l’art chrétien au plus grand nombre. Ce sont dans cet ouvrage huit
représentations de la Nativité qui ont été retenues pour mener une belle et
riche réflexion sur l’un des épisodes à la fois le plus incroyable – un Dieu
fait homme – et le plus émouvant – dans le corps d’un nouveau-né parmi les
plus démunis… L’image compose les étapes de cette réflexion où le mystère
s’avère être le fil directeur de ces propos. Comment l’homme, et en l’espèce
l’artiste, peut-il appréhender et rendre à sa manière cette immense
interrogation ? L’Incarnation a nourri de tout temps réflexions théologiques
et inspirations artistiques, aucune discipline n’ayant échappé à ce thème
fertile. Chaque tableau, chaque œuvre nous parle de cet unique fait dans
l’histoire de l’humanité, mais en dit également long sur le peintre et son
époque. Couleur, formes, lumière composent un style propre à chaque période
et à chaque lieu. En une contemplation renouvelée, le lecteur « apprend à
voir La Nativité » selon les termes de l’auteur par un œil informé
permettant d’en distinguer toutes les nuances et subtilités. De Fra Angelico
avec sa célèbre Nativité du Couvent San Marco de Florence jusqu’à
Jordaens et son Adoration des bergers réalisée en 1617, en passant
par Lorenzo Lotto, Van der Weyden ou encore Zurbaran, le lecteur arpente un
florilège des plus beaux tableaux, décryptés par l’auteur et livrés à sa
propre analyse et méditation. |
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Le Cantique des cantiques / sept lectures poétiques
: hébreu, grec, latin, quatre traductions en langue française, relié au
format 19 x 26 cm, 192 pages, Collection Textes, Editions Diane de Selliers,
2016.
La diversité des langues concourt à l’unicité du verbe. Ce qui a été dit
sera traduit en autant de facettes qu’un diamant l’autorise. Aussi, réunir
en un seul volume sept lectures poétiques du Cantique des Cantiques
est œuvre non seulement de connaissance, mais aussi expérience de la
diversité dans l’unité. C’est cette sacralité au sens étymologique du terme
des textes fondateurs qui est soulignée par une telle initiative née d’une
expérience faite par Diane de Selliers d’une lecture comparée de la Bible
dans la version de la Bible de Jérusalem et de celle d’André
Chouraqui. Contrairement à ce que l’on avait pu penser naguère, traduire la
Bible dans les langues vernaculaires, loin d’en diluer le sens, en enrichit
le contenu. Aussi l’éditrice a-t-elle souhaité avec raison s’inscrire dans
la continuité renouvelée des bibles polyglottes du XVIe siècle humaniste
avec ce nouveau volume de la Collection Textes donnant à lire dans
sept versions différentes, dont quatre traductions françaises, Le
Cantique des Cantiques. Cette dernière édition, troisième volume de
cette Collection a retenu pour ce faire la version de la Biblia Hebraica
Stuttgartensia pour l’hébreu, de la Septante pour le texte grec,
et la Neo-Vulgate pour le texte latin, trois versions entourant pour
ainsi dire celles françaises. Quant aux versions françaises elles-mêmes,
Le Cantique des Cantiques des éditions Diane de Selliers réunit celle de
la Bible de Jérusalem (catholique), de la Bible Segond (protestantisme), de
la Bible du Rabbinat (judaïsme) et la fameuse traduction d’André Chouraqui.
Quelle plus belle invitation à un dialogue interreligieux que d’offrir par
l’exemple de ce texte tout ce qui rapproche, et distingue également, les
traditions hébraïque, grecque, latine et contemporaine ? Mais au-delà de la
foi et des questions spirituelles, c’est à la poésie de la langue à laquelle
invite ce texte du Cantique où la figure du roi Salomon rayonne et fait du
Cantique des Cantiques certainement la source la moins confessionnelle et la
plus ouverte avec les Psaumes à une lecture partagée du plus grand nombre.
Ainsi que l’a souligné André Chouraqui, le Cantique des Cantiques offre au
lecteur deux plans indissociables : le plan humain d’un amour entre un homme
et une femme et un plan cosmique visant la création tout entière. Nombreuses
ont été les interprétations de ce texte singulier dans l’Ancien Testament,
les allégories étant fréquentes et incluant notamment le rapport possible
entre le Christ et son église. À l’image des textes immémoriaux que nous
lisons encore au XXI° siècle, les lectures sont foisonnantes et la présente
édition par sa multiplicité des angles offerts renforce cette impression.
Mais ce qui converge dans toutes ces langues et traductions, c’est la force
étonnante de l’amour, dans sa richesse, sa profusion, mais aussi sa
concision parfois, sa poésie toujours. Variation à l’infini des gammes de
l’amour, ce Cantique est selon l’étymologie du terme une des louanges les
plus élevées sur ce qui distingue l’homme des autres éléments de la
création. La femme et l’homme en découvrant l’amour apprennent à se
découvrir dans leur singularité mais aussi dans leur communion, ce que
résuma en des termes inoubliables Montaigne à l’égard de La Boétie dans son
fameux : « Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que
cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que
c’était moi », parfait écho de la Première lettre de saint Paul aux
Corinthiens en son chapitre 13. Cette lecture plurielle offerte par cette
édition soignée de textes en regard se poursuivra avec les nombreuses autres
études réunies dans ce volume : la tradition des Bibles polyglottes par
Jean-Christophe Saladin et les analyses éclairantes de Marc-Alain Ouaknin.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Benoît XVI avec Peter Seewald « Dernières
conversations » Fayard, 2016.
C’est un pape émérite serein et habité plus que jamais par la prière
confiante que le journaliste Peter Seewald a rencontré pour de Dernières
conversations entamées il y a longtemps déjà lorsque celui qui allait
devenir le pape Benoît XVI et était alors Préfet de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi. Il ne faudra pas s’attendre à des révélations
fracassantes dans ces pages, la personnalité du pape retiré n’y invitant
guère, mais plutôt à des précisions et des ajustements par rapport aux
nombreux « commentaires » et autres interpolations qui ont pu être faits
après sa démission. Avant de retracer avec le pape le parcours d’une vie
riche en responsabilités, Peter Seewald souligne les premières impressions
qu’il eut lors de sa rencontre avec Benoît XVI. Il évoque un pape vivant
dans la quiétude d’une vie monacale en cultivant « ainsi davantage mon
amitié avec les psaumes, avec les Pères » confie Josef Ratzinger
lui-même décrivant ses journées au couvent Mater Ecclesiae dans les jardins
du Vatican où le pape émérite réside depuis sa démission. Silence,
méditation, prière – parfois plus difficile à prolonger en raison du grand
âge -, lectures et rencontres avec des amis, et de nombreux visiteurs
souhaitant témoigner leur affection à ce « philosophe de Dieu » comme le
nomme justement Seewald. C’est donc un homme apaisé qui livre une dernière
fois un témoignage sur les raisons de sa renonciation au ministère de
Pierre, après un pontificat actif et réussi dans sa lutte contre
l’étiolement de la foi, une de ses priorités malgré les dénigrements et
autres attaques médiatiques dont Benoît XVI a pu faire l’objet. C’est aussi
une humilité profonde et sincère qui ressort des premiers propos d’un homme
qui se sait affaibli par l’âge, lucide sur ses forces qui diminuaient, alors
que les enjeux de la foi ne faisaient que s’accroitre. Nul regret, nul
remord dans les propos du pape émérite et ce ne sont certainement pas les «
scandales » du Vatileaks qui ont eu un poids sur la balance dans cette
décision prise dans la solitude d’un homme face au Dieu qui a été sa raison
de vie et de foi depuis son baptême. Le but du pontificat de Benoît XVI
reposait sur la foi et la raison rappelle-t-il, deux priorités qui ont
incarné sa mission, et pour laquelle il a su offrir une réflexion à la fois
de haut niveau et en même temps accessible, le pédagogue qu’il fut toujours
n’étant jamais loin. Sa proximité avec le Seigneur, une fois de plus dans
l’humilité d’un témoignage spontané, touchera le lecteur avec cet aveu
d’être « éloigné de la grandeur du mystère » tout en avouant que le Seigneur
n’est jamais loin de lui dans le quotidien de sa vie retirée des
responsabilités de l’Église.
Peter Seewald tint à recueillir un témoignage direct de celui qui décida de
manière incroyable de renoncer à son pontificat. Le lecteur apprendra que
cette décision fut prise en aout 2012, au moment des grandes vacances, dans
le plus grand secret jusqu’à son annonce devant ses cardinaux atterrés le 11
février 2013, une annonce faite en latin, une langue que le pape maitrise
plus que l’italien à l’écrit, et probablement pour assurer sa
confidentialité avant sa diffusion. La motivation profonde rappelée par le
pape émérite pour cette décision réside principalement dans cette conviction
qu’il n’était plus en mesure d’assurer pleinement sa mission en raison des
nombreux engagements exténuants qu’imposait son ministère. Il n’y eut nulle
reculade devant la pression dans son choix mais bien « libérer ce siège »
qui devait revenir à un successeur plus à même de pouvoir réaliser tous ces
actes concrets que Benoît XVI estimait ne plus pouvoir assumer pleinement.
Le pape émérite avoue d’ailleurs sa surprise lorsque Jorge Maria Bergoglio
est apparu sur la loggia de la basilique Saint-Pierre, un évènement que le
pape récemment retiré suivait alors à la télévision comme des millions de
personnes… Étonnement, mais pas désapprobation tant Benoît XVI a accueilli
avec un profond bonheur le fait que l’Église soit désormais représentée dans
ses plus hautes responsabilités par un prélat issu de l’Amérique du Sud. Une
fois de plus, il ne faudra pas s’attendre à des divergences ou à des
critiques insidieuses dans les propos de celui qui tout de suite affirma son
obéissance absolue à son successeur. Bien au contraire, Benoît XVI approuve
le style et le charisme du pape François et si des différences sont bien
évidemment possibles, aucune opposition ne peut être relevée selon le pape
émérite avec son successeur. L’homme apparaît d’une lucidité émouvante dans
ces propos consignés avec pudeur mêlée d’audace parfois de la part du
journaliste qui connaît bien son interlocuteur, un homme qui sait pleurer
lorsqu’il évoque son départ en hélicoptère, plus pour la peine qu’il pouvait
faire peser sur ses proches que sur lui-même, un homme beaucoup plus humain
que les caricatures ont malheureusement voulu faire croire et que ce livre
émouvant contribuera à écarter.
Philippe-Emmanuel Krautter |
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Le roman de la Bible Figaro Hors-Série Elle est
tout à la fois le best-seller indépassable du millénaire, une source
historique majeure sur le monde antique, le Livre saint qu’invoquent les
juifs et les chrétiens comme la Parole de Dieu. Ses héros ont pour nom
Abraham, Moïse, Isaïe, David, Marie, Jésus, Hérode, Ponce Pilate, Paul de
Tarse... En partenariat avec l’Ecole biblique de Jérusalem, Le Figaro
Hors-Série explore ce monument littéraire unique en son genre : quels en
sont les auteurs ? Comment réconcilier Bible et Histoire ? L’archéologie
permet-elle de vérifier l’Ecriture sainte ? La Bible a-t-elle écrite sous la
« dictée » de Dieu ? Les Evangiles sont-ils des reportages ? Jésus avait-il
des frères ? L’Apôtre Saint Jean est-il l’auteur de l’Evangile qui porte son
nom ? Somptueusement illustré par Fra Angelico, Botticelli, Michel-Ange,
Caravage, Rembrandt, Gustave Doré, les mosaïstes de Saint Marc de Venise,
les maîtres verriers de la Sainte-Chapelle et les enlumineurs, les
sculpteurs romans de Conques, ce numéro double offre toutes les clés pour
découvrir la Bible. (présentation de l'éditeur) |
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Livret Lectionnaire de la Passion format : 18 x 24,
96 pages, AELF, Desclée-Mame, 2016.
Les jours de la Passion célébrés, année après année, depuis plus de XXe
siècles, sont au cœur de la liturgie chrétienne. Les éditions Mame ont à cet
effet édité un coffret rouge comme la couleur du sang versé par le Christ et
couleur retenue pour certains offices de la Passion réunissant quatre
livrets réunissant l’ensemble des lectures retenues pour la Semaine sainte.
D’un format 18 x 24, ces quatre livrets intègrent les lectures des années A
(Passion selon saint Matthieu), B (Passion selon saint Marc), et C (Passion
selon saint Luc - année en cours actuellement), ainsi que la Passion du
Vendredi saint selon saint Jean commune aux trois années. Cet ensemble sera
particulièrement adapté aux lectures à plusieurs voix faites pendant la
Semaine sainte, chaque lecteur pouvant disposer d’une édition en gros
caractère avec une signalétique en rouge distinguant bien chaque
intervenant. Ces lectures sont tirées du Lectionnaire pour les messes des
dimanches et des fêtes et solennités pouvant l’emporter sur le dimanche
élaboré par Commission épiscopale francophone pour les traductions
liturgiques, Lectionnaire déjà présenté dans ces pages. |
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Pape François « Le nom de Dieu est Miséricorde »
Presses de la Renaissance, Robert Laffont, 2016.
Notre société serait-elle malade de la culpabilité et des accusations
qu’elle fait systématiquement reposer sur l’autre, sans jamais inviter à
s’interroger ? C’est sur ce constat que s’ouvre le dernier livre du pape
François sur la miséricorde, en relevant que nous sommes malades de nous
voir mieux que nous sommes, et ravagés par les accusations que nous portons
sur les autres. Se pencher avec compassion sur les misères de l’humanité, la
nôtre en premier, tel est le message essentiel de la miséricorde qui est au
cœur de l’Année sainte célébrée depuis l’automne dernier. Partant d’une
homélie sur la femme adultère évoquée dans l’Évangile (Jn, VIII, 11),
François souligne combien Jésus non seulement ne condamne pas la pécheresse,
mais lui pardonne en la laissant aller en lui enjoignant de ne plus pécher,
le péché n’étant ni nié, ni occulté, mais dépassé par l’amour divin : «
Dieu pardonne non avec un décret, mais avec une caresse » souligne le
pape. Andrea Tornielli est parti d’une homélie passée à laquelle il avait
assisté pour suggérer au Saint-Père l’idée d’une interview sur la
Miséricorde. Celui-ci a accepté en soulignant combien cette dernière n’était
pas le fait d’une circonstance particulière, mais avait muri tout au long de
sa vie de prêtre et se révélait essentielle aux temps que nous vivions
actuellement. François rappelle dans ces pages qu’être miséricordieux, c’est
étymologiquement « ouvrir son cœur au mystère », une ouverture pour
laquelle il n’hésite pas à livrer des exemples concrets tirés de son
histoire personnelle, des prêtres qui ont marqué sa jeunesse par leur
miséricorde sans limites à l’exemple du père Duarte, de Don Enrico Pozzoli
ou encore du père José Ramon Aristi. Quelle voie prendre pour aller vers la
Miséricorde ? Le pape François part de la confession, à la fois parce
qu’elle est le moyen d’obtenir le pardon et par là même le rétablissement
d’un lien social brisé, véritable rencontre avec la miséricorde. Une fois de
plus le Saint-Père démontre que l’humilité doit s’exercer à tous les niveaux
et à commencer par le sien, en s’avouant pécheur et en voyant en chaque
personne incarcérée ou chaque prostitué(e), une situation qui aurait pu être
la sienne. La tolérance dans le regard porté à l’autre est une des plus
belles voies vers la miséricorde qui doit conduire à ne jamais fermer la
porte à quiconque, à commencer également par soi-même. |
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À l'écoute de la Bible Homélies, Dimanches et fêtes
Année C, Michel Viot, Artège, 2016.
Les lecteurs du père Michel Viot connaissent le parcours atypique de cet
homme qui de pasteur luthérien en 1968 est entré dans la franc-maçonnerie
avant d’être ordonné prêtre pour le diocèse de Blois, curé, vicaire
épiscopal…
Enrichi par ce parcours, il s’est lancé avec toute l’énergie qui le
caractérise dans le commentaire de la Parole de Dieu en proposant des
homélies pour chaque dimanche de l’année. Après l’année A et B, c’est donc
le troisième volume correspondant à l’année C du calendrier liturgique qui
vient terminer cette vaste entreprise. Commentaire vif et inspiré de la
parole de Dieu avec des homélies pour tous les dimanches de l’année ainsi
que les fêtes, l’auteur a retenu pour celui-ci la pensée de Benoît XVI
considérant chaque homélie comme « actualisation du message scripturaire
» dans la vie quotidienne de chaque fidèle. C’est bien évidemment une
mission et une tâche ardues qui incombent aux prêtres dimanche après
dimanche face à une assemblée toujours variée, disparate en âge et en
culture, sans parler du cheminement personnel dans la foi de chacun d’entre
eux. Pour cela, l’interprète et le commentateur se doivent de rendre
compréhensible la Parole aujourd’hui en une prédication qui ne saurait être
un exercice de style mettant en valeur l’orateur. La substance du message
évangélique doit être proposée pour mieux intérioriser l’Évangile ainsi que
le souligne le cardinal Mamberti dans sa préface au livre, une dimension qui
est au cœur de l’encyclique Evangelii gaudium où « l’homélie reprend ce
dialogue qui est déjà engagé entre Dieu et son peuple ». C’est cette
inspiration qui guide chaque prédication proposée par le père Michel Viot en
un engagement franc et inspiré, allant droit à l’essentiel tout en ayant
recours au contexte et explications nécessaires à la compréhension de chaque
texte. Un recueil de prédications engagées qui devrait guider chaque fidèle,
dimanche après dimanche. |
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Joseph Ratzinger – Benoît XVI « L’enfance de Jésus
» Texte intégral lu par Sylvain Lhermitte, collection Dire la parole CD
Audio mp3, Saint-Léger Productions.
Les éditions Saint-Léger Productions viennent de publier une série de livres
à écouter sur format CD-Audio mp3 avec des références incontournables en
théologie dont notamment certains écrits essentiels de Joseph Ratzinger –
Benoît XVI. Écouter « L’enfance de Jésus » peut être une bonne idée pour les
fêtes de la Nativité, l’ouvrage n’étant pas, en tant que tel, un troisième
volume venant s’ajouter aux deux précédents ouvrages sur Jésus écrits par le
pape Benoît XVI. Celui qui signe cette dernière étude de son nom d’état
civil et de théologien – Joseph Ratzinger – prend soin en effet d’avertir
ses lecteurs que ce petit livre se veut seulement une porte d’entrée à sa
réflexion antérieure consacrée à la figure et au message de Jésus. Et
peut-être pouvons-nous paradoxalement rappeler la fin de la réflexion du
successeur de Pierre pour mieux comprendre la portée de ce livre : Le fin
théologien, loué par ses pairs, et unanimement salué par ses anciens
étudiants pour la justesse et la pédagogie de ses analyses, relève, en
effet, en conclusion de ce dernier livre : « La parole de Jésus est trop
grande pour le moment », et même sa mère, Marie, et Joseph ne comprirent pas
tout le sens des paroles du jeune enfant alors qu’Il se trouvait au Temple
et que ses parents étaient repartis sans lui. Benoît XVI souligne cette
donnée combien essentielle pour notre époque : « Marie ne comprend pas la
parole de Jésus, mais elle la conserve dans son cœur et là, elle la fait
parvenir petit à petit à sa maturité », ce qui peut apparaître, pour
paraphraser saint Paul, un scandale pour notre époque et une folie pour les
rationalistes que nous sommes devenus…
Le pape va ainsi tisser tout au long de ce livre un fin maillage d’exégèse
sur les témoignages de l’Enfance de Jésus, témoignages très parcellaires qui
reposent essentiellement sur les évangiles de Luc et de Matthieu. La
question méthodologique rappelée par le théologien qui a quitté ses chères
études pour le ministère de Pierre est la suivante : qu’ont voulu signifier
les évangélistes en rapportant ces faits et ces paroles ? Et, de nos jours,
au XXI° siècle, quel sens doit-on leur accorder et est-ce vrai pour nos
contemporains ? La complexité de cette approche pourtant a priori simple
apparaît dès la question de l’origine de Jésus : sa généalogie est à la fois
connue et explicitement rappelée par les textes, mais en même temps un
mystère demeure, celui de son Père divin… C’est cette complexité
irréductible qu’il convient d’accepter pour mieux suivre la pensée de Benoît
XVI et qu’il souligne dans l’épilogue de son livre : Jésus a pensé et appris
d’une manière humaine, et en même temps, l’enfant connaît le Père et vit en
sa présence, ce qui le distingue des autres hommes. Il est vrai homme et
vrai Dieu, ce qui est parfaitement résumé par le prologue de l’évangile de
saint Jean « et verbum caro factum est et habivit in nobis » : le
Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. La foi dans ce Verbe fait
chair confère une nouvelle origine aux croyants et leur donne une nouvelle
naissance : ils sont engendrés par Dieu au nom du Christ. Le « oui » libre
de Marie manifeste cette acceptation qui doit être celle du croyant selon
Benoît XVI, pour que chacun devienne ainsi la demeure de Dieu. Aussi, pour
conclure sur ce livre d’une sensibilité rare à écouter, réécouter et à
méditer, pouvons-nous retenir cette belle image conjuguée du consentement
pleinement libre de Marie qui la conduit avec son époux Joseph dans cette
fameuse grotte de Bethléem et celle des mages, symboles de l’humanité en
marche vers le Seigneur, même point convergent, et point de départ d’une
nouvelle espérance…
Cette porte d’entrée permettra de découvrir les deux autres réflexions du
pape théologien disponibles également en format audio que sont Jésus de
Nazareth 1) Du Baptême dans le Jourdain à la Transfiguration et 2) De la
montée à Jérusalem à la Résurrection (textes lus par Marc-Pierre Galiero)
avant de découvrir un dernier titre essentiel pour aborder les réflexions
théologiques du même auteur « La foi chrétienne hier et aujourd’hui » (texte
lu par Étienne Dahler). |
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Macha Chmakoff « Les couleurs de l’Avent »
DVD inclus, Fidélité, 2015.
« Les couleurs de l’Avent » de Macha Chmakoff jettent des ponts entre les
deux passions de cette femme, Macha, peintre et psychanalyste. Les œuvres
réunies dans cet album inspiré offrent en effet une belle variation de
couleurs à partir de la vie du Christ, variations où le bleu domine, couleur
orientée vers la transcendance depuis la Renaissance. Les œuvres parlent
pour cette artiste si habituée par son métier à l’écoute. Les formes
élancées, presque flottantes, laissent transparaître au-delà des simples
apparences le message christique. L’artiste diplômée de l’École des
Beaux-arts de Paris élabore ainsi un véritable accompagnement spirituel par
l’image, à l’aide de l’épaisseur de sa peinture apposée au couteau et des
lignes suggérées par les scènes représentées. On imagine sans peine la place
d’une telle œuvre dans une démarche pédagogique auprès des plus jeunes ou
lors d’une retraite avant la Nativité comme l’y invite le titre « Les
couleurs de l’Avent ». À noter que l’album est accompagné d’un DVD
permettant d’approfondir plus encore cette démarche artistique en forme de
quête spirituelle.
Éric Monticolo « Gospel light - Evangile selon la
lumière » méditations d’Eric Vermeer, Fidélité, 2015.
Éric Monticolo partage depuis de nombreuses années la couleur de sa palette
d’artiste avec la lumière du cœur des hommes. Voyageant en France, en Europe
et au Canada, son expérience se bâtit progressivement à partir de l’idée de
partage qui nourrit et éclaire ses œuvres. Il suffit de faire défiler, page
après page, cet Évangile selon la lumière intitulé « Gospel light » pour
réaliser combien de ces irisations naissent des paysages intérieurs à
l’image des secrètes paesine toscanes. Le regard se pose sur ces
formes abstraites, des flammes s’élèvent vers les cieux, comme une âme en
prière. La peinture d’Éric Monticolo se veut ainsi une démarche spirituelle
tout autant qu’artistique, l’une ne se concevant pas sans l’autre. Les
méditations d’Éric Vermeer accompagnent et éclairent elles aussi les 25
aquarelles réunies dans ce livre pour un dialogue où le verbe et la couleur
s’entremêlent en une oraison inspirée.
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Enrico Impalà « L’ermite et le mendiant -
biographie du Cardinal Martini » Editions Mediaspaul, 2015.
La route du cardinal Carlo Maria Martini a croisé à deux reprises la vie du
journaliste et écrivain Enrico Impalà. A chaque fois, l’influence de cette
rencontre a été grande, au point de donner naissance à cette biographie du
cardinal, toute première depuis sa disparition en aout 2012. Enrico Impalà a
découvert celui qui était alors archevêque de Milan, à une époque où cet
homme d’études, ce bibliste réputé, était plus connu pour son art de la
lectio divina et ses recherches sur les premiers documents de l’histoire
chrétienne que sur l’art de diriger l’un des plus grands diocèses du monde.
Et pourtant, il sut relever ce défi avec le succès que l’on sait et que
l’auteur rappelle dans des pages pleines d’émotion tant le témoignage a été
vécu non seulement physiquement mais aussi spirituellement. C’est de cette
première expérience ayant marqué Enrico Impalà qu’est née cette volonté de
laisser un témoignage à la fois public et privé d’un homme de foi et
d’intériorité qui a marqué son époque. Le biographe a repris pour son livre
les quatre périodes de vie naguère évoquées par le cardinal : celle où l’on
apprend, celle l’on enseigne, celle où l’on se retire pour approfondir puis
celle où l’on mendie quand on devient dépendant, ce livre retrace les
grandes lignes de celui qui était destiné à l’étude et à la recherche pour
finir par être l’une des grandes figures de l’Église du XX° siècle. Le
propos retenu par l’auteur est sobre, discret, au diapason du cardinal qui
aimait le silence et la méditation ignatienne. C’est une haute qualité qui
émane de ces phrases concises et ciselées évoquant fidèlement celui qui
aurait pu être souverain pontife mais préféra l’intériorité d’une retraite à
Jérusalem, retraite qui sera malheureusement abrégée par la maladie et
l’obligera à venir finir ses jours en Italie. Et même dans ces derniers
moments, le témoignage reste fort chez cette personnalité qui sut maintenir
une lucidité jamais entamée par la maladie. Alors que cette dernière gagnait
chaque jour du terrain, l’esprit du cardinal ne s’avoua jamais vaincu et fut
exclusivement tourné vers la célèbre devise qui résume si bien sa vie :
Ad Majorem Dei Gloriam.
Damiano Modena « La théologie du cardinal Martini – Le Mystère au cœur de
l’histoire » Lessius éditions, 2015.
C’est un
témoignage de première main de la théologie de Carlo Maria Martini que nous
livre Damiano Modena, prêtre du diocèse de Vallo della Luciana en Italie et
secrétaire du cardinal dans les trois dernières années de sa vie. C’est
d’ailleurs le cardinal lui-même qui en signa la préface reconnaissant en un
geste de pudeur caractéristique de sa personnalité combien lui était
difficile de parler d’un livre qui parlait de lui… Et le cardinal de
s’étonner, sans fausse modestie, d’être l’objet d’une telle étude alors
qu’il avait toujours eu le sentiment d’être en inadéquation face aux devoirs
qui lui étaient confiés. Celui qui se sentait pris de panique pour parler
d’un texte devant un public nombreux a toujours fait sienne les paroles du
psaume 119, 105 : « Une lampe sur mes pas ta Parole, une lumière sur ma
route ». La Parole de Dieu a toujours été en effet la lumière qui irradiait
la pensée et l’action de l’homme d’Église et c’est selon cet éclairage qu’il
acceptera cette idée d’une théologie qui pourrait être sienne, miroir de
l’Écriture et des Exercices spirituels qui ont toujours été au cœur de sa
vie. La riche expérience spirituelle qui se dégage de la vie du cardinal
Martini repose tout d’abord sur une proximité toujours plus grande avec la
Parole de Dieu, étudiée et méditée chaque jour au plus près du texte grâce à
sa science des langues anciennes et son amour de l’exégèse. Cette intimité
vécue fut renforcée par la familiarité également grandissante avec la pensée
ignatienne et notamment la pratique des Exercices spirituels que le cardinal
n’eut cesse de suivre et de diriger jusqu’à la fin de sa vie. Cette
proximité spirituelle connut un nouvel enrichissement avec l’expérience
pastorale de l’archevêché de Milan, une mission pour laquelle il pensait ne
pas être fait et qui une fois de plus s’imposa à lui avec les fruits que
l’on sait. Damien Modena parvient ainsi à rendre en des pages fortes
l’expérience de cette rencontre et de ce partage du fruit de l’étude et de
l’intériorité avec le plus grand nombre, notamment lors de la fameuse Scuola
della Parole dans le Duomo de Milan empli de jeunes venus écouter les
méditations du cardinal jésuite. Pour Carlo Maria Martini, le défi de
l’Église était toujours à conjuguer au présent, à la lumière des
enseignements du passé, un rôle exigeant et souvent en décalage avec
l’esprit du temps à l’image du Christ qui sut provoquer les repères de son
époque. Les dernières pensées du cardinal avaient suscité quelques remous
dans l’Église, force est de constater qu’elles ont su être partagées par le
magistère actuel, signe de leur force pour les temps présents et à venir.
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MUSIQUE, CINÉMA |
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Rémy
Campos "Debussy à la plage" Préface de Jean-Yves Tadié, Contient 1 CD audio.
Durée d'écoute : 74 mn, Hors série Connaissance, Gallimard, 2018.
Rémy Campos, professeur d’histoire de la musique au CNSM de Paris, a décidé
de nous faire partager un épisode de la vie de Claude Debussy méconnu, et
pourtant bien plaisant, celui de son séjour pendant l’été 1911 à Houlgate
sur la côte normande, voisine de Cabourg et non loin de Deauville. Là, sur
cette plage paisible, il n’y composera étrangement aucune œuvre, pendant un
mois il sera le vacancier anonyme de ces lieux, sept ans avant sa mort.
Surgis d’archives familiales, les documents, par-delà leurs valeurs
anecdotiques, qu’a su réunir l’auteur Rémy Campo témoignent à la fois de
l’esprit d’une époque, trois ans avant le premier conflit mondial, mais
aussi de l’environnement et entourage du musicien. Houlgate compte en ce
début de siècle parmi les villégiatures appréciées, station balnéaire
prisée, certes moins célèbre que sa rivale Deauville ou sa voisine Cabourg,
elle jouit cependant d’une belle fréquentation. La préface du spécialiste de
Marcel Proust, Jean-Yves Tadié, souligne combien il est étonnant que ni
Proust ni Debussy ne se soient rencontrés, fréquentant pourtant à la même
époque des lieux voisins d’à peine quelques kilomètres. Rendez-vous manqué ?
Très certainement, si l’on songe aux nombreuses affinités qui auraient pu
réunir les deux hommes. En 1911, l’œuvre célèbre de Debussy La Mer a
déjà été créée depuis six ans alors que La Recherche est encore au
stade des brouillons… La mer a inspiré Debussy à distance et le musicien se
plaint de ne trouver en ces lieux l’inspiration alors même que «
Pourtant, la Mer est belle, comme c’est d’ailleurs son devoir »,
devoir ? Lapsus révélateur… Toujours est-il que ce séjour balnéaire
s’avère riche d’enseignements comme le démontre ce livre bien mené, tant sur
le plan iconographique, que pour l’enquête entreprise par son auteur. C’est
en effet tout un passé qui resurgit sous la plume de Rémy Campos, un passé
que les vacanciers de la côte normande ignorent bien souvent, passant sous
les ombres d’anciens grands hôtels reconvertis en villégiatures des temps
modernes aux musiques et animations tapageuses… Nul doute que Debussy et
Proust se seraient rencontrés sur ce point, le second déjà en son temps
trouvait confondant que « de grosses femmes viennent jouer sur la plage
des valses avec des cors de chasse et des pistons jusqu’à ce qu’il fasse
nuit. C’est à se jeter dans la mer de mélancolie » ! Debussy se refusa,
quant à lui, à de porter ces caleçons et maillot rayé, point de bain pour
lui, mais une tenue de ville pour mieux goûter au spectacle de la mer, une
attitude loin d’être singulière à son époque, salon sablonneux où l’on
conversait plutôt. Debussy se fait photographe, lit des romans à 95c., une
vie ordinaire et anonyme de vacancier. C’est le temps de l’insouciance, des
rencontres, du Casino encore existant aujourd’hui, faible ombre de ce qu’il
fut, si le lecteur s’arrête quelque temps sur les photographies
réunies…Mais, en ce temps passé, déjà le mauvais goût faisait ses ravages et
notre compositeur se plaint d’un artiste de saison qui dispense une mauvaise
musique : « la Mer en profite pour se retirer, justement indignée. – Moi
aussi ! » siffle Debussy. Mais la vie du Grand Hôtel d’Houlgate où toute
la famille Debussy a élu résidence pendant un mois rattrape bien ces fausses
notes, vie passée à s’observer, à se changer aux différentes heures du jour
et du soir. Ce beau voyage se termine par un retour à la capitale où le
lecteur pourra découvrir l’intimité du musicien dans un cadre plus formel.
Un bien agréable voyage qui se conclut comme il se doit en musique grâce au
CD audio qui accompagne ce livre avec 74 mn d’enregistrements d’époque
d’œuvres de Debussy, dont une inédite ! |
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Olivier
Lexa « Monteverdi et Wagner, Penser l'opéra » Archives Karéline, Broché -
format : 13,5 x 21,5 cm, 352 pages, 2018.
Curieuse association pour ce titre - Monteverdi et Wagner, Penser l'opéra,
retenu par Olivier Lexa dans son dernier essai paru. Rapprocher le nom de
Wagner à celui de Monteverdi peut, en effet, surprendre si l’on songe à tout
ce qui sépare les deux musiciens sur pas moins de deux siècles. Cependant,
associant histoire de l'art, histoire culturelle et esthétique analytique,
l’auteur - metteur en scène, dramaturge et historien - rapproche avec brio
ces deux compositeurs quant à leur goût commun pour la musique et le
théâtre, et bien sûr, leur rôle essentiel pour l’opéra. En effet, si
Monteverdi jette le premier les bases de ce que sera l’opéra moderne,
Wagner, pour sa part, en repoussera à l’extrême les limites avant la
modernité. La pensée néoplatonicienne qui les anime tous deux inspire
fortement leurs rapports à la création musicale et à l’art, médium entre
réalité quotidienne et réalité supérieure. Tous deux théoriseront leur art,
Monteverdi pour répondre aux attaques dont il était l’objet quant à la
modernité de sa musique, Wagner produisant de nombreux écrits théoriques. Le
rapport au temps, la rédemption par l’amour, nombreux sont les thèmes qui
rapprochent les deux musiciens, similitudes parfois évoquées par le passé
par des analyses comme celles de Pierre Boulez mais jamais étudiées de
manière exhaustive, ce que fait avec science et pédagogie Olivier Lexa dans
ce livre qu’il a su ne pas limiter aux seuls musicologues, mais au contraire
a souhaité laisser toujours accessible. L’ouvrage « Les règles de l’art
» de Pierre Bourdieu a manifestement inspiré l’auteur ; ce dernier a
également retenu l’exemple des œuvres et les nombreuses analogies entre
Monteverdi et Wagner pour développer dans un second temps un historique de
la pensée de l’opéra depuis ses origines au XVe siècle jusqu’à la période
contemporaine. À partir d’une approche pluridisciplinaire et d’une réflexion
sur ce qui constitue une œuvre d’art, Olivier Lexa a souhaité approfondir
cet espace philosophique après Hegel, Novalis, Schopenhauer, Kierkegaard,
sans oublier Nietzsche qui consacra un essai bien connu sur Wagner.
Analysant le rapport à ce genre musical de penseurs comme Adorno, Barthes,
Deleuze, Foucault, Bourdieu, il invite à une conception pleine et entière de
l’opéra. L’auteur souligne en effet les limites de l’enregistrement d’œuvres
qui n’ont jamais été conçues pour s’abstraire du rapport visuel et de leur
dimension théâtrale. Nous entrons ainsi dans ces pages inspirées au cœur
d’une philosophie de l’opéra moins connue que celle instrumentale et que
l’auteur illustre idéalement avec ce livre à partir des exemples comparés de
deux géants de la musique. |
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"Cinéma
de minuit" de Patrick Brion 22,5 x 28,5 cm, broché; 768 pages coul., plus de
2300 photos, Editions Télémaque, 2017.
Quelques notes de guitare et de violoncelle, des gros plans de couples
célèbres du cinéma tels Greta Garbo, Robert Taylor, Ava Gardner, Humphrey
Bogart et tant d’autres qui alternent en fondu en guise de générique, cela
vous rappelle-t-il quelque chose, soirées sous le signe de la magie du
cinéma ? Pour un grand nombre, assurément, le fameux Cinéma de minuit,
probablement l’une des émissions de télévision les plus célèbres avec
Apostrophes. L’histoire a commencé en 1976 lorsque Patrick Brion crée le
principe de cette émission sur FR3, une aventure qui perdure plus de 40 ans
après, et que l’historien du cinéma continue toujours à présenter… Par-delà
ce bel exemple de longévité audiovisuelle, le Cinéma de minuit s’avère
également être très certainement une illustration rare et précieuse de ce
que la télévision française a su préserver comme espace culturel à l’heure
de la mondialisation dévastatrice. Il fut un temps en effet où un Jean-Marie
Drot pouvait se permettre de dialoguer sur l’art avec un ancien ministre de
la Culture, André Malraux, avec de longues heures de documentaires, sur une
chaine publique. Ces temps sont malheureusement presque révolus, aussi ce
volumineux témoignage publié aux éditions Télémaque fait-il figure de
mémoire sous la plume de Patrick Brion qui y retrace pour le lecteur pas
moins, donc, de ces 40 ans d’émission et plus de 2 000 films diffusés. De
nombreux souvenirs surgiront à n’en point douter à sa lecture, des souvenirs
non seulement de ces plus grands films que compte l’histoire du cinéma, mais
également du contexte où ils furent diffusés à une heure de grande écoute,
le dimanche soir pour finir un peu avant minuit… L’aventure débute ce 28
mars 1976 avec le cycle Greta Garbo et La Tentatrice de Fred Niblo. Pour
chaque film diffusé depuis, Patrick Brion nous rappelle le synopsis, la
distribution et un court commentaire agrémenté d’une photographie tirée du
film, une précieux aide pour retrouver sa mémoire cinéphile ou pour la
compléter. Cette somme, véritable bible cinématographique, se termine en
2017, mais heureusement, non l’émission elle-même, et c’est tant mieux !
Souhaitons-lui, dans 40 ans, un deuxième volume… |
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« Jean
Rouch, l’Homme-Cinéma - Découvrir les films de Jean Rouch » Somogy, 2017.
Le CNC et la BnF ont heureusement œuvré afin de préserver les archives
filmiques, photographiques et documentaires du cinéaste Jean Rouch. Cette
impressionnante collecte se trouve aujourd’hui réunie à portée de mains et
d’yeux dans ce livre de plus 243 pages, constituant assurément une Bible
incontournable pour tous les amateurs de Cocorico ! Monsieur Poulet, Moi
un noir, Chronique d’un été… Si la filmographie de Jean Rouch est ainsi
réunie dans cet ouvrage, l’avant-propos ne manque pas de rappeler qu’il est
néanmoins fort possible que quelques réalisations soient passées entre les
mailles et sommeillent encore sur des étagères, tant le cinéaste fut
prolixe. Toujours est-il que l’abondance du matériel ne doit pas être
sous-estimée, et l’apparente simplicité du cinéma de Jean Rouch pourrait
laisser croire à tort que la collecte est définitive. Qu’il s’agisse des
photographies de jeunesse, des compagnons de la première heure avec Dalarou,
Damouré Zika, Lam Ibrahima Dia, Talou Mouzourane ou encore des premières
réalisations, c’est un demi-siècle d’images qui défilent d’un continent à
l’autre au fil de ces pages. L’aventure débute en 1947 avec « Au pays des
mages noirs », 13 mn que Jean Rouch jugea sévèrement avec le recul et
qui prélude pourtant à sa grande œuvre à venir. Pour chaque film, une fiche
technique, un résumé, des commentaires et diverses notes accompagnées de
photographies permettent d’avoir une information complète et détaillée sans
arpenter les couloirs de bibliothèques et cinémathèques spécialisées. Ici ou
là, le lecteur découvrira des images ou témoignages émouvants comme cette
fameuse 2CV break de Cocorico ! Monsieur Poulet, annonçant
d’interminables palabres mémorables… Cette riche iconographie complète ainsi
idéalement les fiches réunies sur chaque film, un ouvrage indispensable pour
mieux appréhender et comprendre l’univers du cinéma rouchien. |
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Clément Janequin : un musicien au milieu des
poètes, Olivier Halévy, Isabelle His et Jean Vignes (direction
scientifique), Symétrie éditions, 2013. Tout
mélomane ayant écouté la première fois Le chant des oyseaulx de
Clément Janequin, passée la surprise des étonnantes onomatopées, aura
découvert tout un univers où langue, poésie et musique tissent un étonnant
paysage qui fut celui du XVIe siècle et de cette fameuse Renaissance. C’est
à ce grand musicien (ca 1485-1558) qu’est consacrée pour la première fois
depuis 1948 une réflexion collective de grande ampleur faisant le point sur
les connaissances, mais aussi les recherches en cours, sous la direction
d’Olivier Halévy, Isabelle His et Jean Vignes. Ce volume imposant de près de
500 pages a choisi une approche pluridisciplinaire réunissant historiens,
musicologues et littéraires. La polyphonie qui caractérise la musique de
Clément Janequin, et celle du XVIe siècle, atteint souvent des niveaux de
complexité que cache parfois la partie musicale plus connue du grand public
avec les chansons descriptives évoquées précédemment. Il serait, en effet,
réducteur de ne faire de Clément Janequin qu’un compositeur de plus d’airs à
boire et à manger tant son art va pousser à l’extrême les intrications entre
musique et bruit, description et évocation, une démarche essentielle pour
comprendre les mentalités et goûts de cette époque cruciale de l’Histoire
européenne. Les études de ce livre soulignent combien Clément Janequin
réussira à dépasser l’expressivité de son temps en réduisant les frontières
entre poésie et musique, cela grâce à son écriture musicale et à l’écriture
littéraire, les deux domaines unissant avec Clément Janequin leurs forces
pour dépasser le réel. Les textes des chansons deviennent dès lors musique
alors que la composition musicale créée à son tour un nouveau langage. Cette
analyse fait d’autant mieux ressortir la place de la singularité de cette
expression vocale à la Renaissance que cette époque était paradoxalement
plus « sonore » que la nôtre : imagine-t-on encore le cri des marchands dans
les foires à l’heure de nos « musiques » d’ambiance dans les grandes
surfaces, les chansons à tout moment de la journée, les interjections
omniprésentes dans le théâtre comique… Mais l’art de Janequin fut de maître
en musique de la plus heureuse manière ces bruits de la nature et des hommes
en poussant cet art à un point tel qu’il en marquera son contrepoint. C’est
donc à une approche faite de nuances et de subtilités qu’invite cette étude
collective qui souligne cet art singulier de Clément Janequin dans son
époque, tout en le replaçant dans un contexte historique où la belle
littérature (Marot, Ronsard, Saint-Gelais) côtoie les bruits de la ferme et
des forêts ; une heureuse invite à redécouvrir « Le chant du Rossignol
» avec Dominique Visse et son Ensemble Clément Janequin (lire
notre interview) ! |
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Pascal Bouteldja « Un patient nommé Wagner »
Editions Symétrie, 2014.
Pascal Bouteldja est docteur en médecine et consacre une vaste étude à
Wagner, deux domaines a priori éloignés. Et pourtant, le compositeur bien
connu pour ses opéras qui surent révolutionner le paysage musical de son
temps et des décennies à venir peut également être perçu comme un cas
intéressant la médecine si on se réfère à de nombreuses sources inédites
réunies, dans cet ouvrage, par l’auteur, wagnérien passionné. Aussi, le pont
est-il posé entre ces deux domaines, Wagner a, à l’image de son contemporain
Nietzsche, un corps souffrant, un mal qui n’est pas sans influences sur sa
vie et sur son art. Le lecteur est emporté grâce à une écriture fluide, et
fort heureusement épurée du style médical, dans cette biographie de Richard
Wagner avec ces anecdotes et cet éclairage que l’on ne connaissait pas de
l’auteur de Tristan et du Ring. Christian Merlin dans sa
préface cite Marcel Proust pour avertir des dangers qu’il pourrait y avoir à
entreprendre une interprétation biographique des œuvres du compositeur, tout
en poursuivant et citer cependant Wagner lui-même qui rappelait combien on
ne pouvait comprendre son œuvre sans comprendre son auteur. Nous voilà alors
pris dans une lecture stimulante qui ne vise pas, loin de là, à faire tomber
le compositeur du piédestal où il fut placé dès son vivant, mais bien au
contraire d’entrer plus encore dans l’intimité de ce génie par un angle
inhabituel et rarement suivi jusqu’à cet ouvrage. Lors de ses premières
années, l’enfant est chétif, puis quelques années plus tard, sujet à de
multiples angoisses. Crainte des fantômes, de nuit comme de jour, caractère
qui deviendra vite turbulent et colérique, aptitude précoce pour les
acrobaties sont autant de traits de caractère notables de la personnalité du
jeune Richard, sans que ces traits ne révèlent pour autant le génie de sa
personne. A partir de là, l’étude menée par Pascal Bouteldja fourmille de
données impressionnantes, le lecteur suivant tel un médecin le carnet de
santé de Wagner au fil des étapes de sa vie et de ses nombreuses
pérégrinations. Les liens entretenus entre ce corps souffrant et son œuvre
sont plus ténus qu’il n’y parait, ainsi cette lettre de Wagner à son ami de
toujours Franz Liszt est-elle symptomatique : « Ma santé vient de
décliner au point que depuis dix jours que j’ai terminé l’ébauche du premier
acte de Siegfried, il m’a été littéralement impossible d’écrire une mesure
de plus sans être chassé de mon travail par des maux de tête les plus
inquiétants. […] Je suis (en ce qui concerne mon système nerveux) comme un
piano détraqué, et c’est d’un pareil instrument qu’il faut que je tire le
Siegfried. » Nous ne sommes pourtant qu’en 1857 et Wagner aura encore 26
années à vivre… Ce livre offre une étude passionnante à plus d’un titre :
pathologies et remèdes de l’époque, psychologie du musicien et son rapport
avec son entourage, soulignant plus encore le rapport du génie avec son
œuvre, et laissant apparaître combien le corps reste encore trop souvent un
élément sous-estimé et que cet ouvrage contribue avec justesse à éclairer.
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Jean-Yves Hameline « Leçons de Ténèbres » Editions
Ambronay, (Distribution Symétrie), 2014.
L’usage de l’office des Ténèbres s’est peu à peu perdu, avec les siècles, et
la sécularisation de la société. Et pourtant, aux XVII° et XVIII° siècles,
ce rituel marquait la fin de la période de Carême et l’entrée dans les jours
saints précédant la fête de Pâques. Associant liturgie et musique, les
Ténèbres participaient de ce mystère divin célébré par toute la société de
l’Ancien Régime à cette période majeure du calendrier liturgique. Jean-Yves
Hameline (disparu en 2013) a consacré une étude incontournable et publiée
aux éditions Ambronay, non seulement destinée aux musiciens qui auront à
interpréter ce riche patrimoine musical – on pense bien entendu à Couperin
et Charpentier – mais également pour tout mélomane qui aura tout autant
plaisir à le découvrir. L’ouvrage est technique, certes, mais parfaitement
accessible, reposant sur un important travail de recherche sur les sources
d’époque, et de nombreuses reproductions d’ouvrages anciens intégrées dans
le livre avec tous les commentaires et explications nécessaires à leur
compréhension et à l’interprétation du chant des Leçons de Ténèbres en
France à l’époque baroque. Jean-Yves Hameline a justement souhaité partir de
ces récitatifs notés des Lamentations de Jérémie pour mieux exposer en quoi
ils ont su inspirer l’écriture musicale des compositeurs du baroque
français. Ce texte de l’Ancien Testament, d’un caractère sombre dû au
contexte qu’il l’a vu naître, évoque la destruction de Jérusalem en 586
avant Jésus-Christ. C’est à partir de ces récitatifs canoniques que le livre
retrace non seulement l’esprit, mais également les pratiques et rituels qui
se développeront jusqu’aux siècles du baroque et dont les grands maîtres de
la composition reprendront l’essence avec le talent qu’on leur connaît.
C’est tout cet héritage qui est ici non seulement réuni et présenté avec une
finesse d’analyse remarquable. Cette heureuse initiative peut seulement
faire quelque peu regretter que ce riche patrimoine soit tant ignoré dans
les liturgies actuelles de l’Église, catholique et, qu’heureusement, le
monde actuel de la musique préserve totalement de l’oubli grâce à de telles
démarches.
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Richard Wagner « Ecrits sur la musique » traduit
par Jean-Louis Crémieux-Brilhac et Jean Launay, préfacé par Richard Millet,
Gallimard, 2013.
Richard Wagner, Franz Liszt « Correspondance » préface de Georges Liébert,
collection Blanche, Gallimard, 2013.
Franz Liszt « Lectures et écritures » sous la direction de Florence Fix,
Laurence Le Diagon-Jacquin et Georges Zaragoza, Hermann, 2013.
Un grand nombre d’écrits sur la musique de Richard Wagner n’était
malheureusement plus disponible et cette nouvelle édition permettra-
heureuse initiative - non seulement aux mélomanes, mais également à un
public plus large de découvrir ou redécouvrir des sources souvent
importantes pour la compréhension de l’œuvre et de l’époque du musicien. Car
Richard Wagner est un homme de son temps et l’a même devancé sur bien des
points en musique grâce à des novations qui étonnent encore aujourd’hui.
Mais la littérature a également occupé une place importante chez Wagner,
avec un gout particulier pour le théâtre qui nourrira le drame qu’il
transposera si souvent en musique. Une des inspirations principales en
musique fut cependant la personne même de Beethoven dont les symphonies
détermineront la vocation musicale du jeune Wagner. C’est donc à ce
compositeur de génie que sont consacrés les premiers écrits réunis dans ce
volume et notamment cette Visite à Beethoven datant de 1840, nouvelle
imaginant un jeune compositeur partant à pied à la rencontre du grand
maître… Puis viennent des textes sur la Neuvième Symphonie qui avait
littéralement plongé dans une extase mystique celui qui prendra lui-même
conscience de sa propre force créatrice à l’école de ce brillant modèle.
Mais il faut surtout relire cet essai datant de 1870 sur Beethoven, époque à
laquelle le compositeur voit L’Or du Rhin et La Walkyrie créés
à Munich. L’essence de la musique, la spécificité du musicien en tant
qu’artiste, les rapports de la patrie et du musicien sont autant de thèmes
abordés dans cet essai qui développe également une partie théorique dans
laquelle les idées de sublime, de beauté et de perfection caractérisent ce
langage universel qu’est la musique.
L’importance de l’écriture et notamment de la correspondance a aussi uni
deux grands musiciens du XIXe siècle que furent Wagner et Liszt comme en
témoigne le fort volume publié par les éditions Gallimard. Ce furent les
mêmes éditions qui avaient déjà publié cette correspondance il y a 70 ans et
qui fait aujourd’hui l’objet d’une nouvelle édition, revue et augmentée d’un
appareil critique remarquable et accompagnée de documents souvent inédits.
L’admiration portée par Franz Liszt à Richard Wagner était immense et le
virtuose accepta bien des entorses à leur amitié en raison de ce génie qu’il
avait perçu chez celui qui allait devenir son gendre. Nous découvrons ainsi
au fil de ces lettres, toujours vivantes et pleines de fougue, les joies et
les peines de ces deux génies que tout pouvait opposer sauf l’amour des arts
et de la musique. Richard Wagner souligne d’ailleurs la valeur du silence
pour mieux le comprendre dans une lettre écrite de Zurich le 2 juillet 1858
et il ajoute : « Tu apprendras le plus caché en faisant connaissance avec
mon Tristan ». Suivront également de nombreuses informations permettant
de mieux apprécier la genèse des œuvres évoquées. A travers le prisme de ces
lettres, toujours soignées, le lecteur entend d’une certaine manière les
compositions en cours et parfois même à venir. Le génie s’écrit devant nos
yeux avec des mots, des maladresses et des incompréhensions souvent, mais
toujours dans un élan passionné qui unit ces deux âmes vouées
indéfectiblement à leur muse. Autre mérite, et non des moindres, de ce livre
est de nous faire entrer au cœur même de la vie musicale, et plus
généralement artistique, de l’Europe du XIXe siècle que parcourent ces deux
génies.
A souligner, enfin, que les éditions Hermann ont également publié les actes
de trois colloques de trois universités françaises associées afin de rendre
hommage au plus européen des musiciens en cette année 2011, année du
bicentenaire du musicien hongrois, Franz Liszt. Chaque colloque a souhaité
aborder un aspect spécifique de la personnalité du grand virtuose. Liszt et
la littérature ont, il est vrai, toujours été associés tant le musicien
chérissait les lettres qui, bien souvent, nourrissaient directement ou
indirectement un grand nombre de ses compositions. Franz Liszt était un
grand lecteur et il suffit de lire quelques-unes de ses correspondances ou
alors de parcourir les titres d’un grand nombre de ses œuvres pour y
retrouver des références à Pétrarque, Dante, Goethe, Byron ou Lamennais, la
liste exhaustive serait longue à continuer…
Liszt avait également une passion pour l’écriture que celle-ci prenne forme
dans ses préfaces aux Poèmes Symphoniques, dans ses innombrables
correspondances, ou encore pour la rédaction d’ouvrages – souvent méconnus –
tels Des Bohémiens et de leur Musique en Hongrie, Lettres d’un
bachelier es musique, … Mais Liszt est également le sujet d’écrits sur
sa personne, souvent romancés, on peut penser au Contrebandier de Georges
Sand, au dandy baudelairien, sans parler des nombreuses œuvres
contemporaines qui ont su trouver leur inspiration dans cette personnalité
complexe, à la fois champion de la virtuosité, héraut des plus grands
idéaux, et touchée par une forte spiritualité au point de devenir abbé… |
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Ivan Wyschnegradsky « Libération du son _
Écrits 1916-1979 » textes réunis, présentés et annotés par Pascale Criton
(édition scientifique), traduction de Michèle Kahn, Symétrie éditions, 2013.
Les textes théoriques du compositeur d’origine russe Ivan Wyschnegradsky
sont enfin réunis en une seule édition critique grâce au beau travail
réalisé par Pascale Criton et nous permettent ainsi d’entrer au cœur même de
l’espace pansonore théorisé par celui dont le travail fut soutenu par
Olivier Messiaen ou encore Henri Dutilleux . Ivan Wyschnegradsky est né à la
fin du XIXe siècle à Saint-Pétersbourg et émigrera en France après la
révolution bolchevique, pays où il demeurera jusqu’à la fin de sa vie et où
il réalisera l’essentiel de son œuvre. Il fait figure de pionnier de l’ultrachromatisme
et de la musique microtonale. C’est en effet à Ivan Wyschnegradsky, mais
aussi Julián Carrillo et Alois Hába, que l’on doit cet emploi de
micro-intervalles, une manière de dépasser et d’aller au-delà du chromatisme
selon ces théoriciens. Carrillo inventera ainsi une notation avec tiers,
quarts, huitièmes et seizièmes de ton, ce qui encouragera ces musiciens à
construire des instruments qui répondent à cette nouvelle approche.
Wyschnegradsky élaborera en effet un piano spécial à quart de ton, premier
d’une longue série d’instruments bien particuliers.
Il apparaît vite indispensable à la lecture de cet important volume de
replacer cette réflexion dans le contexte plus général du symbolisme, du
futurisme et des constructivistes. Dans son introduction, Pascale Criton
souligne en effet combien il restait à étudier dans le domaine de la musique
ce qui a déjà été défriché dans le domaine de la peinture (de Malevitch à
Kandinsky), de la danse (Diaghilev et les Ballets russes), ou de la
littérature (de Biély à Mandelstam) entre la Russie et l’Europe de cette
époque.
Conçu en quatre parties chronologiques, cet ouvrage, premier du genre en
français, couvre l’ensemble de la création du théoricien avec, pour
commencer, ses années russes, déterminantes pour son parcours futur et
éclairant la gestation d’une œuvre qui sera pleinement développée à partir
de son émigration en France en 1920. C’est en effet dès le début des années
20 que Wyschnegradsky soulignera dans ses écrits la nécessité d’une
révolution dans la musique à laquelle il s’emploiera dés ses premiers
articles, avec en 1924, un article au titre essentiel : la musique à quarts
de ton. La troisième partie du livre développe justement cette microtonalité
si essentielle dans la pensée du théoricien. Particulièrement instructive,
cette partie montre combien Wyschnegradsky s’impliqua personnellement dans
le développement de ses théories, allant même jusqu’à la controverse avec
d’autres théoriciens pourtant proches de sa pensée, et notamment celle
l’opposant à Alois Haba quant à la réalisation de la musique à quarts de ton
au moyen de deux pianos accouplés (l’un au diapason normal, l’autre d’un
quart de ton plus haut).
La quatrième partie du livre couvre la période des années 50 – si
essentielles si l’on pense à la musique sérielle – jusqu’à la mort du
compositeur en 1979. L’ultrachromatisme se développe ainsi au-delà du quart
de ton, et s’élargit à d’autres instruments. Wyschnegradsky développe
également une belle réflexion dans un article intitulé continu et discontinu
en musique et où le théoricien souligne combien le Xxe siècle a connu le
passage de la conscience tonale (parenté acoustique des sons) à celle
post-tonale, et élargit son propos à la dimension spatiale. Afin de mieux
apprécier encore la portée de ce compositeur et théoricien hors du commun,
on lira avec profit la dernière étude intitulée Perspectives par Pascale
Criton et qui invite à évaluer le rayonnement de la pensée et de l’œuvre d’
Ivan Wyschnegradsky, une œuvre dont l’importance fut très tôt appréciée par
Olivier Messiaen, et à sa suite Claude Ballif, et que cet ouvrage nous
invite à découvrir de bien belle manière. |
Sciences |

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Christine Argot, Luc Vivès "Un jour avec les dinosaures" photographies :
Éric Sander, Coédition Flammarion/Muséum national d'histoire naturelle,
2018.
La connaissance des dinosaures par un large public s’est considérablement
étendue ces dernières décennies depuis que le cinéma d’Hollywood s’est
emparé de ces impressionnantes créatures naguère reléguées dans les coins
les plus obscurs des musées. Qui n’a jamais, en effet, entendu parler des
T-Rex et autres vélociraptors ? Mais, qui a vraiment vécu un jour entier
avec l’un d’eux ? « Un jour avec les dinosaures » écrit par Christine Argot
et Luc Vivès invite justement à approfondir cette connaissance de manière
plus scientifique grâce à un beau livre illustré des photographies d’Éric
Sander. On oublie trop souvent qu’au cœur de Paris, au Muséum national
d’histoire naturelle, existe une incomparable collection de ces animaux
antédiluviens au sein de la galerie de Paléontologie. Depuis le fameux livre
de poésie de Louis Bouilhet « Les Fossiles » paru en 1854 évoqué en
ouverture du présent ouvrage, que de chemin parcouru ! Cette vision poétique
de la paléontologie précède de quelques décennies la création de cette
galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée dès 1893. A cette époque,
sciences et art font encore bon ménage et l’Art nouveau s’impose avec
l’approche du siècle nouveau. Une promenade de nos jours dans cette antique
galerie est non seulement un extraordinaire voyage dans le temps le plus
ancien de l’évolution, mais également une plaisante promenade dans la
muséographie héritée du XIXe siècle. Point de vitrine high-tech, ni de
lumière feutrée, mais une majestueuse salle bordée d’un somptueux balcon de
ferronnerie par l'architecte Ferdinand Dutert. C’est le temps des fresques
et autres représentations d’artistes dont la poésie émeut toujours à la
lecture de ces pages. Fantaisie et science se sont livré parfois également
une dure bataille qui resurgit parfois subrepticement encore de nos jours
lors de découvertes extraordinaires. Les auteurs ont su avec ce très bel
ouvrage associer rêveries poétiques et réalités scientifiques, un couple
toujours délicat à conjuguer de nos jours et qui permettra aux jeunes, comme
aux moins jeunes lecteurs, de découvrir ce monde encore présent à notre
mémoire grâce à de telles initiatives ! |
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Jean-François Deconinck « Le Précambrien, 4 milliards d'années d'histoire de
la Terre » 240 pages, De Boeck, 2017.
Jean-François Deconinck est professeur à l’université de
Bourgogne/Franche-Comté. Sédimentologue et spécialiste de la reconstitution
des paléoenvironnements, l’auteur s’attache dans cet ouvrage destiné non
seulement aux étudiants en Sciences de la Terre, mais aussi plus
généralement à tout esprit curieux de l’une des périodes clés de notre
planète, le précambrien. La période concernée peut donner le vertige si elle
est replacée à l’échelle temporelle de la terre : 4 milliards d’années…
Lorsque l’on sait que notre planète s’est formée il y a 4,567 milliards
d’années (Ga), cela donne une petite idée de l’importance de ce rapport.
L’ouvrage s’attache à explorer la richesse de cette échelle historique : à
quoi ressemblait notre planète il y a 4 Ga ? Nombreuses ont été les
découvertes faites ces dernières décennies, et ce livre savant, mais
toujours accessible grâce à une pédagogie éprouvée, explore cette période
sur divers plans : étude des enveloppes internes, géodynamique externe,
évolution de l’atmosphère, océans, apparition de la vie… Le Précambrien
apparaît-il comme une période incontournable pour mieux comprendre
l’évolution ultérieure de la terre et de la vie qui s’y développera. Cette
connaissance permet également de mieux saisir certaines données bien
actuelles des ressources minières qui intéressent l’économie mondiale et
dont 75% proviennent des terrains précambriens, ainsi que le rappelle
l’auteur. Le lecteur profitera des leçons générales de l’auteur sur la
différenciation des enveloppes terrestres, roches et bassins sédimentaires,
des climats et de l’apparition de la vie, même s’il pourra parfois laisser
le détail technique aux étudiants, les schémas, photographies et résumés
didactiques l’aideront cependant toujours à ne pas se perdre dans les
méandres du précambrien ! |
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"Terre
- L'histoire de notre planète de sa naissance à sa disparition" de Michel
Joye, Collection : Focus Presses polytechniques et universitaires romandes,
2018.
La "Terre - L'histoire de notre planète de sa naissance à sa disparition"
est un bel ouvrage de bonne vulgarisation, réellement accessible, par un
auteur - Michel Joye, de formation scientifique ayant enseigné pendant 37
ans la chimie et la géographie. Le titre, un brin provocateur, donne la
tonalité de l’ouvrage qui se penche dès son début sur le berceau de notre
planète et du système solaire. Née dans les nuages, notre terre a connu bien
des bouleversements effarants par leur violence et leur alternance et dont
notre espèce semble avoir bien peu conscience si l’on songe à la manière
dont nous la croyons éternelle. Puis, la succession des différents temps
géologiques défile de manière claire et concise, l’auteur ne retenant que
l’essentiel à connaître, grâce à de nombreux documents, et n’excluant pas
une argumentation scientifique complémentaire lorsque cela est souhaité dans
les nombreux éclairages suivants chaque chapitre. La section des premiers
primates à l’homme moderne offre, elle aussi, un tableau synthétique de
l’évolution qui sera particulièrement apprécié. Au final, l’épilogue sous
forme d’interrogation « suite… et fin ? » invite, enfin, le lecteur à une
réflexion sur l’avenir de notre planète. Un ouvrage précieux pour sa science
à partager les leçons des sciences de la terre. |
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Yves
Coppens « Évolution » collection Homo ludens Le corps en jeu, Carnets
Nord et Le Pommier éditions, 2017.
Une nouvelle collection de petits livres d’entretiens consacrés au sport
vient de naître retenant un angle original et porteur, celui du sport
lui-même dans ses relations avec la philosophie, l’anthropologie, la
sociologie, l’histoire et bien d’autres disciplines. Question vaste, mais
fructueuse avec cette rencontre de grands intellectuels français permettant
de recueillir en des textes courts et accessibles une synthèse sur la
question du sport associée à cette approche pluridisciplinaire. Yves Coppens
fait partie des premiers invités avec un ouvrage centré, bien sûr, sur sa
discipline, l’évolution de l’espèce préhumaine à humaine, de la quadrupédie
à la bipédie. Le corps et le sport sont ainsi analysés dans ces pages
d’entretiens par le grand chercheur et découvreur de la fameuse Lucy.
L’évolution est l’une des grandes caractéristiques de l’histoire des êtres
vivants depuis quatre milliards d’années avec pour maître mot l’adaptation,
et but ultime : survivre, rappelle le célèbre paléoanthropologue en
introduction. Le « bouquet » de nos ancêtres, selon la terminologie retenue,
repose sur ce constat commun d’une transformation liée aux changements
environnementaux. Avec la bipédie, le corps se redresse, le crâne laisse
plus de place pour le développement du cerveau, prélude à un déverrouillage
important pour la culture. Le lecteur entrera plus encore dans l’intimité du
corps, celui de Lucy, mais aussi celui du sportif, avec des liens
passionnants et bien plus étroits qu’on ne pouvait le penser. L’évolution de
l’humanité dans ses rapports au corps est une histoire qui s’écrit au
présent, ce témoignage éclairant en est la brillante illustration ! |
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« DEYROLLE ; Un cabinet de curiosités parisien »,
Louis Albert de Broglie, Emmanuelle Polle, Photographies Francis Hammond,
Éditions Flammarion, 2017.
Magnifique cabinet de curiosités par lui-même, l’ouvrage « Un cabinet de
curiosités parisien » présenté dans son coffret et paru aux éditions
Flammarion réjouira tant par son contenu que par son esthétique. Signé Louis
Albert de Broglie en collaboration avec Emmanuelle Polle, remarquablement
mis en page et illustré par les photographies de Francis Hammond, c’est
toute l’histoire de la célèbre enseigne Deyrolle, sise 46 rue du Bac, qui se
dévoile ou égrène ses souvenirs page après page au lecteur. Des pages ô
combien merveilleuses !
Deyrolle, cette noble dame aujourd’hui presque bicentenaire, est devenue une
véritable institution portant avec fierté son âge. Connue des Parisiens,
mais surtout des passionnés, collectionneurs ou curieux, la féerique
boutique dénommée Deyrolle a enchanté bien des générations d’enfants
parcourant émerveillés ses vitrines comme celles du Jardin des Plantes ou du
Museum d’Histoire naturelle. Monde fantastique où l’imaginaire puise dans le
merveilleux du réel, où la diversité se déploie dans toute sa beauté à
l’infini comme une offrande à ceux qui en poussent la porte ou en ouvrent
ces pages. C’est au XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, que les
Deyrolle, naturalistes de génération en génération, vont réussir ce pari fou
de faire de leur enseigne un lieu unique de rencontres de savants,
explorateurs, collectionneurs. Dans cet antre du savoir, des connaissances,
des sciences et découvertes, sous les yeux des animaux, des reflets des
coquillages et mille couleurs des ailes de coléoptères, lépidoptères ou
minéraux défilent alors naturalistes et élèves. L’élégance des formes
animales, végétales et minérales y trouve une merveilleuse chrysalide de
choix. C’est à Émile Deyrolle, très attaché à l’enseignement, que nous
devons bon nombre de ces merveilleuses planches de faune ou de flore que
l’on nommait jadis du nom enchanteur de " Leçons de choses" et
délicieusement reproduites. Fort de ces convictions réunissant sciences,
beauté et enseignement, c’est en 1888 exactement que Deyrolle emménagera à
l’adresse actuelle, rue du Bac. Depuis lors, les lieux ont conservé toute
leur âme, cette ambiance de cabinet de curiosités avec son parquet qui
craque, ses boiseries et tiroirs anciens aux mille trésors… Animaux
empaillés ou moulés minéraux, coquillage ou fossiles, sans oublier cette
salle du fond où insectes et papillons ont élu résidence et que l’on imagine
volontiers prendre par enchantement possession des lieux la nuit…comme ils
prennent possession de toute la beauté de leurs formes et couleurs des
pleines ou doubles-pages de l’ouvrage. Aux découvertes, collections et
taxidermie se mêlent, pour beaucoup d’entre nous, souvenirs et rêves,
faisant de Deyrolle un temple de la Magie du Vivant telle que l’aimaient les
naturalistes Ernst Haeckel, Adolf Portmann ou plus près de nous Roger
Caillois. Ayant inspiré nombre d’écrivains, d’artistes ou couturiers,
abritant une bonne librairie, entrer encore de nos jours dans l’univers
Deyrolle, c’est ainsi que le souligne Louis Albert de Broglie «
Comprendre que l’on appartient à l’extraordinaire aventure du monde » ;
« Observer, comprendre, préserver, transmettre Pour l’avenir »…
Aujourd’hui, la célèbre enseigne forte de son expérience vous ouvre, par cet
ouvrage à la présentation élégante et soignée, les pages de son histoire et
de ses fabuleux trésors.
L.B.K. |
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Trésors de la terre – Galerie de Minéralogie,
Muséum d’Histoire Naturelle, Artlys éditions, 2014.
L’académicien, et amoureux de la minéralogie, Roger Caillois estimait que «
De tout temps, on a recherché non seulement les pierres précieuses, mais
aussi les pierres curieuses, celles qui attirent l’attention par quelque
anomalie de leur forme ou par quelque bizarrerie significative de dessin ou
de couleur ». Ces temps de l’homme sont infinitésimaux si l’on considère
l’immensité géologique, véritable matrice d’où sont nés ces trésors réunis
dans le dernier livre paru « Trésors de la terre – Galerie de Minéralogie »
du Muséum d’Histoire Naturelle. La remarquable collection de Roger Caillois
a d’ailleurs fait l’objet d’un don à ce Museum et, en attendant que
l’ensemble de la Galerie ouvre au public après sa réorganisation, une
sélection accompagnée de pièces des collections du Muséum sont actuellement
présentées sous forme d’exposition, et ce livre vient l’accompagner à point
nommé. Ainsi que le soulignent Gilles Bœuf et Thomas Grenon, respectivement
président et directeur du Muséum, c’est de découvertes dont il s’agit avec
ces « Trésors de la Terre » exposés au public dans la galerie de
Minéralogie. Découverte, bien entendu, en raison de ce qu’évoquait en
préambule l’écrivain, cette curiosité qui retient le regard pour différents
motifs : beauté, étrangeté, bizarrerie, particularités... et où se glisse
l’imaginaire et le rêve. Découverte également de leur origine, de leur
formation et de leur conservation jusqu’à notre époque, car on l’oublie trop
souvent qu’un minéral vit et peut malheureusement mourir également. C’est
enfin de découvertes au pluriel auxquels invite ce beau livre avec pour
chaque spécimen retenu, non seulement son identité, mais aussi les
catégories et classification qui le concernent. L’iconographie est
remarquable et, si elle ne dispense pas bien entendu de découvrir ces
chefs-d’œuvre de la nature sur place au Muséum, elle invite au rêve et à
cette curiosité qui furent si chers à Roger Caillois et que nous pouvons
faire nôtre grâce à ce beau livre. |
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Guide des insectes des prés et des prairies de Vincent
Albouy, Belin éditions.
Vincent Albouy a décidé de nous convier à une balade bucolique en pays
d’entomologie. L’été est propice à ce genre de découvertes même si l’univers
des insectes bruisse de vie tout au long de l’année de mille et une
manières. Le Guide des insectes des près et des prairies est conçu de
manière très pratique afin qu’il soit non un livre de table ou de chevet de
plus, mais bien un compagnon de découvertes dans les prés et autres prairies
où « fourmillent » une vie extraordinaire de diversités et qui pourrait bien
donner le vertige si le spécialiste qu’est Vincent Albouy n’y mettait pas un
peu d’ordre. Aussi l’ouvrage – dès ses rabats indiquant les formes
principales d’insectes pouvant être identifiés assez facilement – renvoie
pour chaque espèce à un descriptif détaillé accessible et néanmoins complet.
Vous avez décidé de vous promener le soir à la nuit tombée et vous restez
interdit devant ces petites lumières d’un vert incroyable ? Vous vous doutez
qu’il s’agit des fameux vers luisants ou lucioles, mais connaissiez vous la
forme de cet insecte pour le moins étonnant et saviez-vous que seule la
femelle émettait cette étrange lumière visible de loin l’été afin d’attirer
les mâles pour la reproduction ? Les promenades diurnes ou à toute heure
réservent bien entendu de nombreuses autres surprises telles ces nombreuses
chenilles que l’on apprendra vite à différencier grâce aux belles
reproductions accompagnant leur description. Des plus beaux insectes tel le
somptueux Turquoise au plus étrange Aphrophore de l’aulne digne d’un film de
science-fiction, l’univers des insectes développe sous nos yeux ébahis la
diversité de la forme animale, une belle leçon ! |
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Trinh Xuan Thuan "Dictionnaire amoureux du
Ciel et des Etoiles" Editions PLON / FAYARD.
Trinh Xuan
Thuan a réussi ce pari extraordinaire de rendre l'astrophysique et les
origines de notre univers comme étant une mélodie familière à nos oreilles
! Le célèbre astrophysicien d'origine vietnamienne, professeur
d'Astronomie à l'Université de Virginie à Charlottesville, est également
un francophone convaincu puisqu'il partage sa vie
entre les Etats-Unis et la France. Il est auteur de nombreux ouvrages de
vulgarisation en français sur l'Univers et les questions philosophiques
qu'il pose.
Thuan est également chercheur à l'Institut d'Astrophysique de Paris.
Rencontre avec un grand scientifique, mais également avec un troubadour de
l'immensité galactique !
Retrouvez la suite de l'interview...
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VIE PRATIQUE |
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Jonathan Bel Legroux : « Autohypnose et performance sportive - Manuel
pratique d’entraînement mental pour le sportif », Amphora, 2018.
L’hypnose appliquée au sport est devenue une réalité quasi incontournable
depuis de nombreuses années. Profitant de la force d’autosuggestion qu’elle
permet, nombre de sportifs l’ont intégrée, en effet, dans leur parcours
d’entraînement avec succès. Pratiquer l’hypnose soi-même ou autohypnose est
également chose possible, mais à la condition que cette pratique soit menée
correctement et selon une bonne démarche ce que rappelle Jonathan Bel
Legroux praticien, formateur et coach de nombreux sportifs de haut niveau
tels des athlètes pour les JO. L’hypnose peut être le moyen de lever des
barrières – mentales le plus souvent – conditionnant la réussite sportive.
Lorsque le sportif rencontre ses limites à tel ou tel stade de sa
progression, un tel conditionnement mental peut s’avérer plus que bénéfique
pour contourner ces limitations que nous nous imposons souvent à notre insu,
sans parler de celles de son entourage avec des phrases que nous connaissons
tous telles que « tu ne pourras pas y arriver » ou « cela est
impossible » ! Ce sont nos croyances et automatismes, souvent légués dès
la plus petite enfance, sur lesquels agit l’hypnose. C’est à un véritable
entraînement du mental auquel invite l’auteur avec cet ouvrage en
redéfinissant une nouvelle communication interne reposant sur le mouvement
se substituant au blocage, un « basculement » vers le changement qui était
prôné par l’hypnothérapeute François Roustang . À partir de ce nouveau flux
interne, il est alors possible de substituer aux images mentales
préexistantes de nouvelles suggestions , de nouvelles émotions pour d’autres
objectifs. C’est à une démarche passionnante et stimulante à laquelle invite
Jonathan Bel Legroux dans cet ouvrage, démontrant que nous ne sommes pas
totalement conditionnés et qu’une porte de sortie est toujours possible
grâce à d’autres niveaux de conscience.
A lire également nos interviews de
Pete Siegel
et Dan
Millman |
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Franck
Koutchinsky : « Sport – de la conscience gestuelle à la performance par la
Méthode Feldenkrais® », Amphora, 2019.
La méthode Feldenkrais s’invite dans la pratique sportive grâce à cette
étude détaillée proposée par Franck Koutchinsky, coach de fitness, ancien
militaire chargé des sports et enseignant de la méthode Feldenkrais depuis
plus de 30 ans. L’analyse gestuelle est au cœur de cette discipline qui, il
y a encore deux décennies, était peu connue du grand public. Moshé
Feldenkrais (1904-1984) fut à la source d’une méthode d’autodéfense bien
connue, le Krav Maga, pratiquée notamment par les forces militaires
israéliennes. Il a également participé à l’introduction du judo en Europe
après avoir rencontré Jigoro Kano, le fondateur de cet art martial. Après un
accident sévère sur un genou, il élabore seul une méthode de rééducation à
base de mouvements très doux qui lui permettra non seulement de remarcher
mais même de pratiquer de nouveau le judo alors que les médecins étaient
plus que sceptiques sur sa rééducation. Franck Koutchinsky, dont le passé
militaire intensif lui a appris également les conditions extrêmes supportées
par le corps, a souhaité adapter à la pratique sportive la méthode
Feldenkrais grâce à différentes techniques permettant de dynamiser ses
appuis au sol, la mobilité du haut du corps, la souplesse du dos… L’auteur
recommande « d’apprendre à apprendre », l’idée étant de se sensibiliser avec
cette approche de manière intime et non « d’imposer » au corps de manière
rigide une gymnastique. Cet apprentissage sollicite les sensations,
l’observation plus que l’exercice lui-même, une dimension souvent oubliée de
nos jours où la performance sportive prime avant tout. Apprendre à déjouer
les tensions musculaires inutiles, faire par la pensée, jouer sur la
respiration, tels sont les quelques exemples de cette méthode globale à
laquelle invite l’auteur avec de nombreuses images quant aux mouvements
proposés. Une proposition de redécouverte de son corps plus qu’utile au
sportif amateur aussi bien que chevronné ! |
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« The Iceman – Suivez le guide ! » de David Manise,
Amphora, 2018.
Si vous ne connaissez pas Wim Hof, il est fort probable que son témoignage
vous étonnera autant qu’il a déjà su étonner et captiver des milliers de
lecteurs. Wim Hof compte parmi ces rares personnes ayant été aux limites des
ressources du corps humain. De quelle manière ? En contrôlant sa respiration
et en s’entrainant au froid (la photo de couverture ne vous réchauffera
guère !) ce sportif né a fait la preuve que sa méthode avait permis à son
corps d’augmenter de manière étonnante son énergie, sa gestion du stress et
de renforcer son système immunitaire à partir d’une transformation de la
graisse blanche en graisse brune protégeant du froid. Néerlandais, né en
1959, Win Hof a ainsi été surnommé « l’homme de glace » en restant plus de 6
min en apnée sous la glace polaire ou encore en courant un semi-marathon sur
le cercle polaire pieds nus et en short… Qui a dit que le froid ne
conservait pas ?... Aujourd’hui, David Manise, adepte de cette méthode « du
Grand Nord », lui consacre cet ouvrage « The Iceman – suivez le guide », un
ouvrage tout aussi étonnant et instructif… L’auteur révèle dans ces pages
les bases de sa méthode, une méthode bien évidemment à adapter
progressivement au risque de rencontrer quelques sérieux problèmes. Cette
méthode trouve certes ses racines dans le yoga, le contrôle de la
respiration, les états extatiques dus à une parfaite connaissance du corps
dans un environnement naturel, toute chose nécessitant des années de
pratique et de discipline rigoureuse. Mais le témoignage de cet homme
convaincu – aux références nietzschéennes parfois – prône la vitalité et le
renforcement de nos corps. En cela, son exemple peut être une source
d’inspiration et demeure un témoignage dynamisant.
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« Guide des premiers soins du sportif - Adoptez le
bon geste » Dr Philippe CHADUTEAU et Loïc PARIS, Amphora, 2019.
Toute pratique sportive, débutante ou perfectionnée, est susceptible
d’occasionner des blessures. Allant du simple échauffement au plus redouté
claquage, chaque traumatisme mérite une réponse adaptée non seulement pour
éviter que la blessure ne s’aggrave, mais également pour retrouver
l’intégrité initiale du corps au plus vite. Les premiers gestes adaptés
permettant souvent l’un et l’autre, ce sont pour ces raisons que le Docteur
Philippe Chaduteau et Loïc Paris ont conçu ce guide – un classique depuis
une vingtaine d’années – réunissant les principales blessures avec leurs
symptômes détaillés et le bon geste approprié correspondant. Il ne s’agit
pas là d’une automédication et les auteurs insistent d’ailleurs sur le fait
d’aller consulter en cas de blessure importante. Mais là encore, les bons
gestes – et ceux à éviter absolument – sont expliqués par les auteurs. Ne
pas donner d’aspirine en cas de coup de chaleur après un matche en plein
soleil, laisser le malade sur le dos en cas de malaise mais adopter la PLS
(Position Latérale de Sécurité expliquée dans le livre), tels sont quelques
exemples de bon sens mais trop souvent ignorés d’un grand nombre de
sportifs. Quand faut-il mettre de la glace (claquage) ou au contraire de la
chaleur (contracture) ? Ce précieux livre aisément logeable dans tout sac de
sport apportera rapidement et de manière claire les réponses avant un
éventuel avis médical. |
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Olivier LAFAY : Méthode de musculation, 110 exercices sans matériel :
Format Compact, Amphora, 2018.
A noter de
nombreuses et récentes parutions à découvrir chez Amphora pour un
entraînement naturel sans matériel ou juste quelques sangles pour une
approche libre et sans les contraintes de la culture physique classique.
Mais, pour une parfaite efficacité, mieux vaut acquérir l’incontournable
méthode de musculation d’Olivier Lafay, auteur talentueux et prolixe souvent
présenté dans ces colonnes pour la qualité et clarté de ses ouvrages. En
format compact, ce petit livre peut s’emporter partout avec soi afin de
pratiquer les 110 exercices suggérés sans matériel. La méthode d’Olivier
Lafay a fait ses preuves et repose sur une pratique globale du corps selon
un entraînement court et en nombre limité. Depuis plus de 15 ans, l’auteur
s’est largement fait connaître pour cette méthode légère mais efficace avec
notamment des publications accompagnées d’illustrations de grande qualité
permettant au pratiquant isolé de bien connaître le mouvement proposé et ses
incidences sur les muscles concernés. Progressivité, entraînement
personnalisé, c’est un véritable coach particulier que l’on a dans sa poche
avec ce livre pratique qui se suffira à lui seul pour un entretien régulier
ou qui conduira à une pratique plus approfondie en salle de musculation.
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Nicolas PIÉMONT entraînement avec sangles de suspension , Gainage,
Pilates et ajustement postural, Amphora 2018.
L’entraînement aux
sangles de suspension a connu un véritable essor ces dernières années,
alternative efficace aux haltères et machines, le poids du corps se trouvant
être la principale source de résistance opposée aux muscles sollicités.
Nicolas Piémont fait, par ce nouvel ouvrage, la démonstration qu’il ne
s’agit pas là d’un accessoire de plus mais bien d’une méthode de préparation
à part entière adoptée d’ailleurs par les plus grands préparateurs sportifs
ainsi que par les armées du monde entier. Pratiquement autonome (seuls
quelques points de fixation des sangles sont indispensables), le pratiquant
aux sangles pourra, ainsi que le démontre cet ouvrage clair et doté de
nombreuses illustrations, exercer toutes les parties du corps de manière
dynamique en évitant les traumatismes. À partir de mouvements relevant du
gainage et du Pilates, c’est tout le corps qui est ainsi sollicité grâce aux
précieux et nombreux conseils de l’auteur.
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Christophe Carrio : Échauffement, gainage et
pliométrie, Amphora, 2018.
Véritable succès
éditorial pour un ouvrage vendu à plus de 15 000 exemplaires, «
Échauffement, gainage et pliométrie » constitue assurément une référence, et
son auteur, à la notoriété bien établie, n’est plus à présenter dans nos
colonnes. Dans cette dernière publication, nous retrouvons les explications
claires et précises de ce pédagogue hors pair du sport quant aux
fondamentaux du fonctionnement musculaire, fondamentaux trop souvent ignorés
par les jeunes (ou moins jeunes) pratiquants débutant une préparation
physique. Échauffement indispensable et nécessairement complet, gainage
notamment pour un renforcement de la ceinture abdominale et martien d’une
architecture corporelle avant d’aborder la fameuse pliométrie qui fait un
tabac dans les salles de sport depuis quelques années. Avec 5 niveaux de
progression, le poids du corps est utilisé comme résistance afin d’étirer et
contracter de manière antagoniste la plupart des muscles du corps. Chaque
exercice est détaillé par un grand nombre de photographies décomposant le
mouvement pour sa meilleure compréhension. Un chapitre de conclusion, enfin,
offrira également de précieux conseils en matière d’alimentation.
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Jacky Gauthier « Points gâchettes – comment soulager les douleurs »
Amphora, 2018.
Voici un ouvrage,
« Points gâchettes – comment soulager les douleurs », qui devrait non
seulement intéresser les professionnels de la santé et du sport, mais
également un très grand nombre de sportifs souhaitant apaiser un certain
nombre de maux quotidiens rencontrés lors de la pratique sportive. Jacky
Gauthier est éducateur sportif spécialisé et directeur de l’IPSA pour la
prévention des blessures et les points gâchettes, mais le lecteur se
demandera tout d’abord ce qu'est un point gâchette ? C’est à cette première
question à laquelle répond ce livre clair et concis, parfaitement accessible
aux non-spécialistes. Pour faire court, disons seulement qu’un point
gâchette est une irritation concentrée au sein d’un muscle ou d’un fascia,
dérivatif d’une trop grande tension dans le corps. C’est ainsi à partir de
ces indicateurs sensibles que l’auteur a conçu son ouvrage en différentes
fiches musculaires permettant de mieux comprendre leur apparition et leur
soulagement grâce à des gestes et techniques adaptés. La théorie est
suffisamment concentrée en début d’ouvrage pour mieux aborder, dans un
second temps, le côté concret des points gâchettes et leur soulagement avec
près de 80 fiches pratiques par région du corps. Soigner par pression sur un
point sensible relève d’une approche antique en médecine extrême-orientale,
l’automassage détaillé dans cet ouvrage grâce à des étirements et palpations
permettra également de soulager les douleurs causées par une sédentarité
excessive ou une pratique sportive trop intensive.
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Régis Marcon : « Céréales & Légumineuses ; 65
variétés, gestes techniques, 110 recettes. », Éditions de La Martinière,
2018.
Vous allez adorer ce livre dédié aux céréales et légumineuses regorgeant
d’idées, de conseils et recettes, toutes plus savoureuses les unes que les
autres, et signé Régis Marcon, chef triplement étoilé du célèbre restaurant
Régis et Jacques Marcon. L’ouvrage ne peut en effet qu’enchanter tant par la
multitude des variétés retenues, ses 110 recettes et fiches techniques,
simples, claires et précises, que pas sa splendide esthétique signée
Philippe Barret pour les photographies et Nathalie Nannini pour le stylisme.
Qui n’a jamais eu envie de cuisiner des céréales et légumineuses en des
plats joyeux et colorés, tout en déplorant ses minces connaissances ou
recettes à la banalité déconcertante ? Et pourtant ! Les céréales et
légumineuses ont aujourd’hui acquis et méritent assurément une place de
choix dans notre alimentation et cuisine. Rien d’étonnant dès lors qu’après
le succès des ouvrages consacrés aux Champignons et aux Herbes
signés également Régis Marcon, un tel ouvrage ait été si attendu. Il est
vrai qu’à l’heure où bien manger devient un véritable défi, où la
redécouverte des légumes sains mais aussi accessibles s’impose, les céréales
et les légumineuses se révèlent être un choix judicieux offrant une large
palette de variétés aux qualités nutritionnelles et gustatives indéniables.
À ce titre, l’ouvrage de Régis Marcon constitue une mine d’or incontournable
qui égayera plus d’un repas…
Chaque céréale et légumineuse, des plus courantes aux moins connues, pas
moins de 70 au total, fait l’objet d’une description quant à son origine,
son histoire, son portrait et ses produits dérivés, avec pour chacune en
vis-à-vis son illustration photo signée Philippe Barret ; un régal pour
l’œil comme un prélude à celui du palais. L’embarras du choix vous
surprendra, d’heureuses découvertes vous attendent, alternant du classique
riz ou des traditionnelles lentilles vertes à l’eau, même du Puy ! Mais,
parce que rien ne sert d’envisager une recette, si simple soit-elle, sans
les bases, suivent les gestes et techniques indispensables ; une deuxième
partie très appréciable rappelant le trempage, les différentes techniques de
cuisson avec tableau récapitulatif. Régis Marcon vous soufflera même ses 8
règles d’or ! Ainsi efficacement paré, le chef vous dévoile et partage dans
une troisième partie 110 de ses recettes. Simples ou sophistiquées,
regroupées en de grandes catégories pratiques et efficaces (petit déjeuner,
soupes et consommés, entrées et salades, poissons, viandes…et desserts pour
les gourmands), chaque recette offre sur une double page, avec son
illustration photo, sa fiche technique claire, nette et précise. Comment
résister ? Que diriez-vous pour midi de Tomates au petit épeautre, façon
monégasque ? ou d’une douceur de lentilles corail au safran ?...
Un ouvrage, aujourd’hui, non seulement de référence mais indispensable.
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MASUNO Shunmyo
Ranger, une pratique zen Traduit par Elisabeth Charlot Collection Ginkgo,
192 p. éditions Picquier, 2018.
Shunmyō Masuno est un moine bouddhiste bien connu en ses qualités tant de
directeur du temple Kenkoh-ji de Yokohama que de paysagiste à la renommée
internationale, spécialiste en jardin japonais d’inspiration zen. Le thème
de son dernier livre paru chez Picquier éditions pourra alors paraître
trivial, voire incongru sous la signature d’une telle personnalité
enseignant également à l’université, puisque ce sont le rangement et le
ménage qui sont en effet les idées centrales de ce petit livre étonnant. Et
pourtant, ce qui en occident est considéré souvent comme perte de temps,
voire avilissant ou tout au moins peu valorisé, est au contraire au cœur
même de la pratique bouddhiste dans les temples au Japon comme celui que
dirige Shunmyō Masuno. C’est ce bien trésor à portée de main que nous
explique l’auteur, conscient de la tâche délicate qu’il poursuit pour le
lecteur occidental… Dans un style alerte non dénué d’humour – les fameux
koan japonais ! – il nous plonge littéralement dans l’ambiance d’un
monastère pour proposer des parallèles adaptés, bien entendu, à la pratique
occidentale. Pas question de se lever à 4 heures du matin comme les moines
japonais et dans le froid glacial courir serpillière à la main à quatre
pattes le long des couloirs en bois immaculés pour les rendre plus brillants
encore. Mais réfléchissons quelques instants : combien perdons-nous de temps
parfois à nous inscrire dans une salle de sport pour une dépense physique
équivalente, et un coût bien plus important… Pratiquer rangement et ménage
quotidiens engagent beaucoup plus qu’il ne pourrait paraître l’esprit et le
corps, ce dont témoigne cet auteur plus que qualifié sur ce thème. Autre
manière de pratiquer le zen – à côté du zazen également encouragé à la fin
de ces pages – retrouver le plaisir d’un intérieur et d’un environnement
propre et sain, sans objets inutiles qui s’entassent avec la poussière et
qui minent notre moral bien souvent à notre insu. Alors plus d’hésitations,
découvrons ce ménage zen bien plus sérieux qu’il n’y paraît ! |
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Fabien Nury et
Sylvain Vallée : « Katanga ; Tome 3 – Dispersion », Éditions Dargaud, 2019.
Ceux qui ont déjà lu les deux premiers volumes de la série « Katanga
», série signée Nury et Vallée plus qu’appréciée, saluée à l’unanimité, ne
pourront que se réjouir d’en découvrir aujourd’hui le troisième et dernier
tome intitulé : « Dispersion ».
Un contexte géopolitique tendu et trouble sur fond de colonialisme, celui de
l’ex-Congo Belge des années 60, pour un scénario toujours des plus serrés,
sombre et redoutablement ficelé, tel que Fabien Nury a su en habituer ses
lecteurs. Avec toujours cette finesse psychologique que l’on retrouve tant
dans le traitement de l’histoire retenue par Noury que dans les traits et
visages de Sylvain Vallée, les personnages évoluent dans un réalisme cru et
sans concessions…
Alicia est-elle prête à tout pour sauver son frère Charlie ? Entre
mercenaires, politiciens, indépendantistes, Casques bleus et 30 millions de
dollars en diamants, qui tire réellement les ficelles de cette histoire dont
les auteurs ont pris soin de rappeler qu’il s’agit « d’une pure fiction
mêlant librement des faits et des personnages ayant réellement existé avec
des suppositions et des inventions délibérées ». Une moralité et des
valeurs mises à bien dures épreuves et n’en sortant pas nécessairement
vainqueurs, mais un réalisme implacable où pouvoirs, illusions, cynisme et
cupidité s’entremêlent pour livrer un scénario puissant, finement ciselé,
renforcé par les dessins de Sylvain Vallée avec des couleurs de Jean Bastide
en collaboration avec Luc Perdriset. Appuyées par des dialogues saisissants
et sans appel se succèdent des scènes en petits ou grands formats
énergiques, violentes dans lesquelles ni les hommes ni les émotions ne sont
épargnés, et c’est bien là toute la force de cet album.
Rien, en effet, ne manque à ce troisième volume de la série « Katanga
» dont le duo Nury-Vallée ne pourra qu’être de nouveau largement salué. Seul
bémol peut-être pour les fidèles et enthousiasmes lecteurs de la série : que
ce soit le troisième et dernier tome !
Gilles Landais |
BD |
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Etien – Beka : «
Champignac - Enigma », Editions Dupuis, 2019.
« Champignac - Enigma », un album signé du duo BeKa-Etien, BeKa
(Caroline Roch, Bertrand Sabatier) pour le scénario et Etien David pour les
dessins, retiendra l’attention des lecteurs pour son histoire trépidante :
1938 – juin 40, Berlin, la Belgique et l’Angleterre, une étrange machine
allemande à crypter prétendue infaillible nommée « Enigma » et une
histoire plus étrange encore qui commence pour Pacôme Hégésippe Adélard
Ladislas, Comte de Champignac, un savant, comme on les aime, des plus
farfelus, ingénu et inventif… Et si son nom est un peu long, il s’impose
vite en simple Comte de Champignac, voire en Champignac tout court pour ses
intimes lecteurs !
Juin 40, alors que la France et la Belgique sont occupées, un étrange
message crypté parvient au château de Champignac. Que dit-il ? Le Comte de
Champignac, jamais à court d’idées, ne tarde pas à le décoder, commencent
alors des vas et-viens et des mouvements en pagaille… L’histoire est menée
bon train, aussi alerte et vive que les planches et les dialogues (non sans
humour) qui se succèdent sur un rythme soutenu. Sur fond de château occupé
par les nazis, de champignon soporifique, de messages à décrypter, les
personnages contrastés, les gros plans et les nombreux jeux d’éclairage
happent le lecteur…
Après avoir réussi à décoder ce premier message, Champignac s’embarque pour
l’Angleterre rejoindre son ami le Professeur Black. Qu’est devenue sa
servante Nicolette ? Qu’importe ! Londres, puis Bletchley, typique village
de la campagne anglo-saxonne et Pacôme de Champignac arrive au manoir de son
ami Black où il rencontrera la si sympathique Miss Blair Mackenzie et le
jeune Allan Turing. Là, en pleine Seconde Guerre mondiale, tous trois vont
s’affairer planche après planche, secret après secret, code après code, à
tenter de décrypter ces incompréhensibles messages de l’armée allemande. Une
tâche qui défie l’entendement, mais il faut l’avouer passionnante…
Arriveront-ils à découvrir à temps le codage de cryptage de cette
infaillible machine allemande « Enigma » ?
Un album d’un Comte de Champignac auquel on ne peut que souhaiter longue vie
et mille trouvailles, « Sabre de bois ! »
Gilles Landais |
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Milo Manara Le
Caravage, Glénat, 2018.
Milo Manara poursuit avec ce second volume la suite de la fabuleuse histoire
du célèbre peintre de la Renaissance italienne, Le Caravage. Le non moins
célèbre dessinateur n’a pu, en effet, qu’être attiré par le destin si
singulier de cet artiste du XVe siècle en fuite permanente ; une fuite à
l’égard de ses contemporains, mais aussi et surtout à la recherche effrénée
de son art qu’il saisira tout au long de sa brève vie en des toiles
inoubliables. Caravage mourra à 38 ans, mais laissera un œuvre puissante et
inégalée. C’est ce défi que retrace avec brio Milo Manara dans cette seconde
partie intitulée « La Grâce ». Un volume qui débute en 1606 dans les
alentours de Rome. Une fois de plus l’impétueux peintre est gravement blessé
après sa rixe contre Ranuccio (évoquée dans la 1ère partie) et parvient
mourant dans un camp de bohémiens. Là, il ne doit son salut qu’à l’aide
apportée par la comtesse Colonna et l’attention de la belle bohémienne
Ipazia qui servira son inspiration future. Les planches se succèdent et
évoquent avec un trait enlevé cette vie trépidante du peintre aux mille
bagarres et départs précipités avec une succession de clairs-obscurs dignes
du grand maître. Mais, que cela soit à Naples, à Malte, jamais Caravage ne
cessera de peindre ces toiles devenues si célèbres présentes aujourd’hui
dans les plus grands musées du monde, Le Louvre, New York, Malte… Le trait
de Milo Manara sait tour à tour se faire aiguisé, poétique, érotique,
laissant toujours en haleine son lecteur avec de magnifiques évocations des
grandes toiles du maître. Il faut dire que Milo Manara a passé son enfance
dans une petite ville italienne proche de l’Autriche, a fait ses études à
Venise et travailler à l’adaptation du Décaméron de Boccace avant de devenir
l’un des maîtres de la BD érotique. Avec Le Caravage, Milo Manara
signe une belle évocation du destin d’un des peintres les plus singuliers de
l’histoire de l’art qui se termine dramatiquement sur une plage le 18
juillet 1610…
Gilles Landais |
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« Livingstone,
le missionnaire aventurier » Rodolphe (Scénariste) et Paul Teng
(Dessinateur), Glénat, 2018.
Nouvel album venant compléter la collection « Explora » chez Glénat,
l’histoire « vraie » du légendaire aventurier David Livingstone.
L’incroyable vie de ce missionnaire et aventurier parti de cette Angleterre
Victorienne du XIXe siècle pour découvrir l’Afrique est connue, mais ne
manque certainement pas de ce charme typiquement british lorsqu’elle est
dessinée, scénographiée et rendue par Rodolphe et Paul Teng. Livingstone est
une légende, un mythe traversant les siècles qu’il est effectivement bien
plaisant de retrouver dans cet album.
Tanzanie, en plein cœur du sud du continent africain, un journaliste
américain, Henry Norton Stanley, est envoyé par son journal pour retrouver
les traces d’un explorateur David Livingstone disparu quatre auparavant.
Alors qu’il aborde un village, il aperçoit un homme blanc, barbu, et
survient la fameuse phrase « Docteur Livingstone, I presume ? ». Si
l’anecdote n’est pas avérée, elle demeure symbolique d’une époque où tout ou
presque était encore à découvrir en Afrique pour les Occidentaux défrichant
cet incroyable continent. Rodolphe et Paul Teng ont réussi ce pari un peu
fou de reconstituer une part de cet esprit d’aventurier et du mythe
Livingstone grâce à la force d’un dessin d’une limpidité exemplaire et d’une
trame acérée et tendue du récit. Des traits aiguisés enchaînant
rebondissements et dangers, et renforcés par les couleurs de Céline Labriet,
des ocres et verts de cette Afrique entre mer et ciel. L’album est captivant
et développe bien, en effet, progressivement le caractère mythique du
personnage de Livingstone devenue une légende vivante. Bien qu’usé par sa
recherche effrénée des sources du Nil, sa quête mystique en tant que
missionnaire, et son combat contre l’esclavagisme, l’aventurier retrouve,
planche après planche, vie avec cette extraordinaire vigueur ayant fait de
cet écossais un véritable mythe. Les deux auteurs ont ainsi réussi à faire
revivre cette aventure emblématique de l’époque victorienne, ce qui n’est
pas le moindre de leurs mérites !
L’album est complété par un dossier historique très bien fait, donnant les
éléments biographiques de la vie de Livingstone et de ses expéditions, un
dossier agrémenté de photos et documents et signé Christian Clot, de la
Société des explorateurs français qui en signe également la préface.
Gilles Landais |
CÔTÉ REVUES |
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Le Figaro Hors-Série «
Picasso, les habits neufs du musée Picasso - Dans l’antre du démiurge »
Ainsi que le souligne Michel de Jaeghere dans l’éditorial de ce hors-série
consacré à la réouverture du musée Picasso de Paris, l’artiste espagnol a
toujours cherché à réconcilier des courants artistiques souvent éloignés
tels l’art africain traditionnel et le classicisme. Cette voracité quant à
la variété des sources inspirant son art a toujours été le préalable
incontournable à l’expression personnelle de Picasso, une expression
novatrice qui renouvellera totalement l’art du XX° siècle. L’hôtel Salé qui
abrite le musée Picasso a fait l’objet d’une rénovation et d’agrandissements
permettant un nouvel accrochage qui évoque la vie de l’artiste à travers ses
œuvres : « Mes toiles, finies ou non, sont les pages de mon journal ». Ce
numéro montre combien le réel chez Picasso est littéralement soumis à une
déconstruction, puis à une recréation, qui s’abstrait des conventions. Le
regard porté par l’artiste sur ce qu’il représente ne cesse d’étonner même
si de nos jours, il ne scandalise plus. Cette dislocation du réel qu’il a
osé peindre sur la toile ou sculpter est en effet aujourd’hui perçue - c’est
entendu ou presque… - comme un état de fait au XXI° siècle, mais replaçons
la démarche de Picasso en son temps, alors l’entreprise parait tout
simplement révolutionnaire. Ce Nu debout ou encore le fameux Homme à la pipe
ont été peints successivement en 1908 et en 1914, cent ans déjà…
Ce numéro à la riche iconographie nous fait entrer dans neuf journées vécues
de la vie du peintre, du 25 octobre 1881, date de la naissance de Pablo que
l’on crut mort-né, jusqu’au 8 avril 1973 où une embolie pulmonaire eut
raison du souffle créateur du génie ; entre ces deux dates, pas une journée
ne s’est déroulée sans qu’elle n’ait été consacrée à l’art dans un vertige
étourdissant de créations protéiformes. La deuxième partie de ce numéro
retrace la saga du musée Picasso, né en 1974, un an après la mort du maître,
musée qui ne se veut nullement – et peut-être plus encore aujourd’hui -un
temple figé, mais bien un laboratoire et un centre d’étude de l’œuvre de
Pablo Picasso. |
LIVRES A ECOUTER ET
NUMERIQUES |
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«
Marc-Aurèle » - une biographie expliquée par Véronique Boudon-Millot, Nombre
de CD : 4, Label : Frémeaux & Associés, 2018.
Marc-Aurèle est un des penseurs antiques les plus cités aujourd’hui, mais en
connaît-on pour autant la vie, son œuvre ? C’est pour répondre à ces lacunes
que les Éditions Frémeaux & Associés ont eu l’heureuse idée de proposer en
CD une biographie complète et éclairée du philosophe sous la direction de
Véronique Boudon-Millot, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de
la Grèce antique. La vie de Marc-Aurèle fut riche de son berceau à sa mort.
Après un règne partagé, il règnera seul sur l’Empire romain ; mais c’est
alors un empire qui tente de résister aux attaques des barbares de plus en
plus pressants, sans oublier la force croissante des chrétiens qui menacent
également son unité. Il ne fallait assurément pas moins de quatre CD pour
cerner ce destin hors du commun, et Véronique Boudon-Millot rappelle en
introduction de cette biographie audio combien il est difficile de classer
Marc-Aurèle, cet empereur et philosophe du IIe siècle de notre ère, aux
multiples facettes. Le stoïcisme marquera fortement son éducation à laquelle
veille la pieuse Domitia, sa mère. Cet empereur sera ainsi nourri de la
pensée du philosophe Diognète, d’Épictète par l’intermédiaire de Junius
Rusticus… Marc-Aurèle aura assurément beaucoup à penser ! Et c’est ce qu’il
fera, laissant à la postérité ses « Pensées pour moi-même», cette œuvre que
tant d’autres après lui liront et étudieront. Un recueil de pensées et
méditations sur les journées passées au bord du Danube en guerroyant contre
les barbares. Ses réflexions quant à la nature humaine, l’administration
d’un empire ou de ses contestations témoignent de sa lucidité et tranche par
son style direct des écrits hagiographiques traditionnels des autres
empereurs. Et pourtant, les paradoxes ne manquent pas dans sa vie comme le
fait d’être un philosophe stoïcien et de persécuter les chrétiens avec
notamment l’épisode de Blandine et des martyrs de Lyon. Ces contradictions
préfigurent celles de l’empire à son apogée, fissures qui menacent non
seulement ses frontières, mais qui se propagent également en son sein avec
une unité fragilisée en raison de son extrême diversité malgré la volonté
hégémonique imposée par Rome. Véronique Boudon-Millot retrace en ces quatre
CD bien plus que la vie de cet empereur, guerrier et philosophe, paradoxal
et complexe, que fût Marc-Aurèle, elle immerge également son auditeur dans
cette Rome antique du IIème siècle de notre ère. Une belle réflexion pour se
familiariser avec l’un des philosophes romains les plus accessibles et
appréciés de notre époque. |
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ARVENSA
EDITIONS
Relire les classiques sur son ordinateur, tablette, liseuse ou smartphone
n’est plus un vain rêve avec les éditions Arvensa formées de passionnés de
la langue française et qui ont décidé de proposer des éditions soignées qui
se distinguent de ce que l’on constate souvent sur le Net. Nulle
numérisation rapide et non corrigée pour ces éditions, mais un réel travail
éditorial de correction, mais aussi de mise en page et de navigation, afin
d’offrir une qualité optimale de lecture, même sur format réduit d’un
smartphone. Chaque œuvre a fait l’objet de plusieurs mois de travail, ce que
tout à chacun ne pourra que constater et apprécier à la lecture des textes
proposés. Rencontrant un réel succès, Arvensa Éditions a acquis une position
de leader pour l’édition numérique des œuvres classiques en langue
française. Disponible à l’achat sur le site de l’éditeur, sans DRM, chaque
livre peut être lu sur tous les formats de lecture, Arvensa Éditions est
également disponible sur Amazon, iTunes Store, KoboBooks, Reader Store
(Sony), Google play, Barnes & Nobles. Avec une telle offre, ce sont les
grands auteurs classiques qui sont désormais à portée tactile du lecteur,
soit à ce jour 1700 titres des grands auteurs de la littérature et de la
philosophie, dont 39 œuvres complètes. Aussi est-il possible avec Arvensa
Éditions de partir en toute légèreté avec les œuvres complètes de Sénèque ou
de Proust, relire les plus belles poésies de Charles Baudelaire, flâner avec
Rimbaud ou encore se plonger dans l’immense Comédie humaine de Balzac…
Chaque œuvre est disponible en format zip avec les versions
dans les formats epub (iPad, Kobo et autres liseuses sauf Amazon), azw3/mobi
(Amazon) et PDF (impression) garantissant une lisibilité sur tout type de
périphériques. (iPad, téléphone Android, liseuses…). Après ouverture de son
compte sur le site de l’éditeur, le téléchargement se fait sans difficulté
avec un fichier à décompresser. Pour les fêtes, l’éditeur propose un pack de
39 œuvres complètes avec 1500 titres, une idée cadeau idéale pour les
amoureux de littérature classique quel que soit l’heure, le lieu, pays,
continent ou partie du ciel. (www.arvensa.com) |
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Marcel Proust A la recherche du temps perdu -
nouvelle version, réuni en 35 CD MP3 et 7 petits coffrets, Présentation de
Jean-Yves Tadié dans le livret d'accompagnement, lu par : André DUSSOLLIER,
Lambert WILSON, Denis PODALYDÈS, Guillaume GALLIENNE, Robin RENUCCI, Michaël
LONSDALE, Editions Thélème.
Les éditions Thélème ont réussi ce pari impensable d’enregistrer
l’intégralité d’un des romans les plus connus de la littérature, A la
recherche du temps perdu de Marcel Proust. L’entreprise étonne et
surprend tant l’ampleur de la tache aurait pu dissuader d’enregistrer une
œuvre aussi importante. Pour relever ce défi, les plus grands acteurs ont
été invités à cette réalisation exceptionnelle : André DUSSOLLIER, Lambert
WILSON, Denis PODALYDÈS, Guillaume GALLIENNE, Robin RENUCCI, Michaël
LONSDALE prêtent ainsi leur voix au narrateur de la Recherche. Et la
magie opère, car comme le soulignait justement Raphaël Enthoven dans l’entretien
accordé à notre revue «… la Recherche est une machine à
éterniser les instants, même les plus insignifiants » et les voix de ces
enregistrements, faisant revivre les évocations de Marcel Proust dans sa
grande œuvre, offrent à leur tour de nouveaux éclairages, une nouvelle
manière de percevoir le style, les images et les tonalités du roman.
Toujours dans le même entretien, Jean-Paul Enthoven reconnaissait : « A
chacune de ses lectures, il me paraît nouveau. Si je relis Voyage au
bout de la nuit de Céline ou Une ténébreuse affaire de Balzac,
j’ai le sentiment de lire toujours la même œuvre. Il y a chez Proust quelque
chose de très mystérieux qui fait que ce qu’il écrit entre toujours en
résonance avec l’état d’esprit du lecteur et l’état de son développement
sentimental, psychique, intellectuel. C’est une magie. » Et répétons-le,
c’est bien justement cette fabuleuse magie qui opère à l’écoute de ces CD.
Le grand spécialiste de Proust, Jean-Yves Tadié, note également combien il
est difficile de résumer une telle œuvre aussi vaste tant en raison du
déroulement qui n’est pas linéaire chez l’écrivain que par les impressions
et souvenirs du narrateur qui comptent souvent autant que les actions. Ces
enregistrements réunis dans un luxueux coffret sont divisés en sept parties
correspondant aux sept romans du cycle. Pour chacun d’entre eux, les
personnages sont présentés, ce qui est une aide précieuse pour se
familiariser avec les protagonistes de l’œuvre. De même un index détaillé
permet de retrouver immédiatement un passage de l’œuvre dans chacun des CD
par le recours au système des pistes audio. Par cette initiative des
éditions Thélème, les amoureux de Proust pourront ainsi retrouver à tout
instant avec un lecteur MP3, un lecteur CD ou un autoradio, ces voix
magiques qui évoquent les nuits d’insomnie, la chambre du Grand Hotel de la
Plage à Balbec avec les reflets de la mer ponctués par les plinthes en
acajou ou encore le passage guetté de la duchesse de Guermantes et les
désirs voluptueux du souvenir… |
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"Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent" de
Stephen R Covey, un livre audio lu par Benoit Grimmiaux, Audiolib.
Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils
entreprennent compte très certainement parmi les livres les plus importants
du XX° siècle en matière de développement personnel. Son auteur, Stephen R.
Covey (lire
notre interview) disparu en 2012, a réuni dans cet ouvrage dense
et exigeant la quintessence de décennies de lectures, travaux, conférences,
séminaires sur le sens de nos vies. Il est aujourd’hui – heureuse initiative
– disponible en audiolivre aux Éditions Audiolib. L’auditeur de ce livre,
admirablement lu par Benoît Grimmiaux, avancera par étapes à la recherche de
ce qui importe le plus dans sa vie, à mille lieues des recettes aussi
faciles qu’inutiles. Stephen R. Covey nous apprend ainsi progressivement à
sortir de nos ornières du quotidien, de ces réactivités qui minent nos
relations et nos vues à court terme qui entament notre vie sans que ces
temps gâchés ne puissent revenir à nouveau. Et c’est bien effectivement à
vivre de nouveau ou autrement que propose R.Covey dans cet ouvrage audio,
sans prosélytisme, ni idéologie, même si l’auteur ne cache pas son
attachement à sa foi, attachement qui n’est nullement ostentatoire ni
indispensable à l’écoute de ces lignes qu’il offre généreusement à ses
lecteurs. Apprenons donc à identifier ces schémas erronés, à redéfinir notre
mission à partir de ce qui importe le plus pour nous – un examen souvent
difficile, mais si indispensable à la vraie vie – puis faisons en sorte que,
jour après jour, notre quotidien se rapproche de cette vue idéale, avec ses
aléas, mais aussi ses victoires. Une belle aventure à écouter avec Audiolib
en téléchargement ou en librairie. |

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