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Édition Semaine n° 50 / Décembre 2024

 

Interview Célia Oneto Bensaid

18 octobre 2024

 

©Lyodoh Kaneko

©Lyodoh Kaneko

Célia Oneto Bensaid est une pianiste talentueuse, lauréate de plusieurs concours internationaux et récompensée par des prix prestigieux. Elle se produit sur des scènes renommées en France et à l’international, de la Philharmonie de Paris au Wigmore Hall de Londres. Ses collaborations avec des artistes reconnus et ses enregistrements explorent des œuvres variées, y compris celles de compositrices méconnues. Son jeu remarquable et expressif émerveille le public et offre un voyage sonore unique...


Comment abordez-vous l’interprétation d’une œuvre ? Qu’est-ce qui vous paraît essentiel ?

Célia Oneto Bensaid : Quand je découvre une œuvre, plusieurs étapes s’imposent. Parfois, c’est un terrain vierge et je pars de zéro ; d’autres fois, j’ai déjà entendu l’œuvre. Pour les pièces du grand répertoire comme Chopin ou Liszt, j’essaie d’effacer ce que j’ai en tête. D’abord, je me vois comme un artisan : je déchiffre la partition, je cherche la technique, le doigté, les gestes pour me sentir à l’aise. C’est la base, et pour cela, il faut juste être un bon petit soldat, travailler dur. Une fois ce cap franchi, je me concentre sur l’aspect artistique : le contexte de création, les émotions du compositeur. Qu’a-t-il voulu dire ? Qu’est-ce que cela éveille en moi ? Qu’ai-je envie de raconter ? Prenons L’Apprenti Sorcier de Dukas, sur lequel je travaille. Ici, l’histoire est claire, et mon rôle est de faire en sorte que la musique serve le figuralisme du personnage. Au final, ce qui compte, c’est de s’approprier l’œuvre. Si tous les interprètes jouaient de la même manière, un seul suffirait pour tout enregistrer ! L’interprète doit laisser son empreinte tout en respectant l’œuvre. Mon point de vue, celui d’une jeune pianiste en 2024, est forcément différent de celui d’un homme d’il y a 40 ans à Pékin, par exemple. Chaque version doit refléter notre personnalité et notre époque.

Votre jeu allie expression, limpidité et équilibre. Comment parvenez-vous à transfigurer ainsi la subjectivité de chaque œuvre ?

Célia Oneto Bensaid : Merci, cela me touche beaucoup ! Je crois que cela vient d’un vrai désir de dire quelque chose, d’apporter une empreinte. Plus je me détache de la quête de perfection et creuse ma subjectivité, plus j’y arrive. Tous les interprètes ne font pas ce choix, ce que je respecte, mais moi, je préfère parfois jouer de manière clivante. Plaire à tous n’est pas une quête qui m’intéresse. En réalité, ce n’est pas un don, mais je pense être très connectée à qui je suis. Cela vient sûrement de mon éducation, de ma proximité avec le théâtre, puisque ma mère et ma sœur sont comédiennes. J’ai grandi dans cet environnement, ce qui rend ce lien aux émotions naturel pour moi. Je sais que mes choix ne plaisent pas toujours, mais je l’assume.
 


Vous parlez de sincérité dans votre démarche...

Célia Oneto Bensaid : Absolument. En tant que pianiste, je joue des œuvres du passé sans avoir pu rencontrer leur créateur. Je dois donc me questionner sur mon rôle aujourd’hui. C’est pour cela que je prends souvent la parole en concert, pour reconnecter le public à ces œuvres, parfois éloignées dans le temps. Cela aide à replacer Beethoven ou Chopin dans leur contexte et à partager cet héritage culturel, souvent méconnu, dans un monde saturé d’informations.

Quel est votre rapport avec votre instrument ?

Célia Oneto Bensaid : Le piano est arrivé dans ma vie par mon père, ingénieur devenu professeur de piano. Enfant, je ne voyais que cet instrument. Le piano demande une rigueur particulière, notamment avec la lecture simultanée de deux clés différentes. C’était difficile, mais j’ai rapidement progressé. J’ai su que je voulais être pianiste quand j’ai réalisé que sans piano, je n’avais aucune raison de me lever le matin. Il est devenu un miroir de moi-même, un exutoire pour mes émotions, une drogue physique et sensorielle. Le piano, avec sa polyvalence entre répertoire soliste accompagnement d’opéra et musique de chambre, c’est l’instrument roi. En bref, je suis amoureuse de lui !


Et votre rapport au public ?

Célia Oneto Bensaid : Je le vis bien, même si le trac est toujours là. Mon but n’est pas la perfection, mais d'offrir au public un moment agréable, une découverte. J’essaie de les emmener dans l’univers des compositeurs que je défends pour une soirée. Certes, je suis au centre de l’attention, mais c’est la musique des compositeurs qui est célébrée.

Qu’attendez-vous d’une œuvre ? Qu’est-ce qui en fait sa valeur ?

Célia Oneto Bensaid : C’est d’abord la redécouverte continue. Un chef-d’œuvre se révèle à chaque nouvelle lecture, il n’a pas une seule interprétation. Ce qui me touche aussi, c’est l’appel à l’imaginaire sonore, les textures, les plans sonores. Le piano peut être un orchestre à lui seul. J’aime aussi être mise au défi par une œuvre, et qu’elle recèle un concept, une profondeur.

Le message est la panacée...

Célia Oneto Bensaid : Oui.

Un répertoire, une œuvre, un compositeur, un interprète de prédilection : parmi ces quatre entrées, une dans laquelle vous vous reconnaissez ?

Célia Oneto Bensaid : Question bien difficile ! Je suis très plurielle. J’ai un éventail très large et éclectique, et je me nourris de tant de musiques de genres et styles différents. En tant qu'interprète, j'ai la sensation qu'il y a des œuvres et des compositeurs qui m’aiment plus, d'autres moins, et je sais que cela change avec les années. Globalement, les Français et les Américains m’ont toujours aimée, c’est fluide entre nous. Pour les Allemands, les Autrichiens, c'est au cas par cas. Par exemple, Mozart m'a toujours porté chance, je m’y retrouve beaucoup, parce que j'ai un caractère joyeux, de bonheur facile et de légèreté, et en même temps, je suis bavarde et mélancolique. Mozart, c’est une ligne assez directe. Schubert aussi. Bach ou Beethoven, moins, en tout cas aujourd'hui, mais je les joue quand même. Pour les œuvres moins immédiates pour moi, je prends du temps avant de les montrer sur scène. Je trouve que, justement, en tant qu’interprète, je dois aussi aller vers ce répertoire moins immédiat. C’est aussi comme ça que l'on progresse. Parfois, si c'est difficile, c'est qu'il y a un truc qui se cache, mais je m’y confronte quand même…

Vous évoquez les Français, mais il y a aussi des compositrices…

Célia Oneto Bensaid : Oui, il y a évidemment Marie Jaell que je chéris, mais je pense aussi à Jeanne Leleu, Rita Strohl. Pour les hommes, Ravel et Debussy m’ont toujours porté chance dans les concours que j'ai passés depuis mes 12 ans. Ils proposent des univers dans lesquels je rentre facilement. Même s'il n'est pas totalement français, Chopin m'a aussi toujours réussi. Là par exemple, j'ai récemment joué du Bizet, un répertoire que je connaissais peu, et ça se passe bien. Je sens qu'on parle la même langue, qu'il y a cette culture de légèreté et de parisianisme, ce que je suis et je sens ça chez lui aussi. En tout cas, pour parler plutôt des impressionnistes, leur manière d’orchestrer est une évidence pour moi. Dans la recherche de textures et de couleurs, Debussy est un des premiers avec Ravel à pousser aussi loin la pédale, et j’y prends un plaisir fou. Beethoven, c'est la forme, c'est la structure, c'est moins moi. La balance entre les uns et les autres m'équilibrent justement. Pour les Américains, là, je suis actuellement sur un projet de grande ampleur autour de Philipp Glass, compositeur que j’ai déjà abordé pour un enregistrement de ses Métamorphoses en 2021. Aujourd’hui, c’est l'intégrale de ses études pour piano que je vise. Avec Glass, j’ai toujours eu un rapport naturel. Ce que j'aime chez lui, c'est sa simplicité, ce minimalisme, ce fil répétitif. Son aspect simpliste de surface est faussement simple. Glass crée un sentiment de lâcher prise ou de perte chez l'auditeur dans ses méandres de répétition. Cela amène à réfléchir comment répéter différemment, c'est mon point de vue…techniquement, c'est très excitant, le rythme a une puissance motorique, un tout qui me parle beaucoup, parce que j’ai également beaucoup pratiqué la danse avec des sensations très connectées au corps.

En fait c’est une variation sans fin, immédiate…

Célia Oneto Bensaid : Exactement, et en tant qu'interprète, ça demande beaucoup d'imagination, et travailler me plaît. J’ai déjà joué beaucoup de Gershwin et de Bernstein, deux grands de la comédie musicale, de la musique à programme et de la musique de danse. C’est un peu ma Madeleine de Proust, mon enfance, mais aussi du corps qui se met en mouvement et en joie. Si je pense aux interprètes qui m’inspirent, il y a des pianistes bien sûr, mais pas uniquement. Je citerai évidemment Martha Argerich, une vraie déesse pour moi, pour les plus jeunes, il y a Yuja Wang, une nouvelle déesse. Et aussi Fazil Say pour sa touche très personnelle et ses compositions. Maria Joao Pires, pour le côté très sincère, et puis il y a tellement de chanteuses... Léa Desandre, Elsa Dreisig, Marie-Laure Garnier, Barbara Hannigan, Patricia Petibon, Jessye Norman… En fait, les chanteurs et les chanteuses m’inspirent. Ils ont souvent plus de présence scénique que les instrumentistes. Pour les instrumentistes, j'adore Patricia Kopatchinskaja, et encore tellement d’autres. Et il y a aussi des artistes populaires comme Yseult, Angèle, ou encore Stromae. De même pour la danse, je suis les danseurs de l’Opéra de Paris, cela me passionne…tant de force et de fragilité, c’est fascinant.

Musique du XXe, à la dissonance, parfois exagérée, pas toujours accessible au grand public. Quel est votre rapport à la dissonance, votre regard sur cette période ?

Célia Oneto Bensaid : Moi, j'adore ! Mais ce siècle a été tellement trouble ! Comment des artistes ayant vécu la Shoah, le stalinisme ou la Première Guerre mondiale auraient-ils pu continuer de composer juste harmonieusement ? Ce n’est pas possible ou pour le moins surprenant. La dissonance, c’est déranger, c'est un message. Le XXe est l’époque de la déconstruction du postulat de la beauté de l’art. L’expressivité ne peut-elle pas se trouver dans ce qui frotte ? Ne serait-ce que pour citer Dutilleux, Messiaen, Prokofiev ou Stravinsky, leurs œuvres sont souvent compensées par une force rythmique et motorique tellement puissante que je prends beaucoup de plaisir à les écouter. J'avoue que l’esthétique de la dissonance poussée aux extrêmes et de manière trop cérébrale me perd, perd le corps. À l’inverse, la dissonance quand elle reste connectée au corps et à la vie est extrêmement touchante, voire bouleversante. Peut-être pour en faciliter l’accès est-il important de contextualiser cette dissonance, expliquer, par exemple, pourquoi dans telle œuvre de Prokofiev, ces frottements lui sont contraints par le régime soviétique, ou bien pourquoi telle œuvre de Philip Glass a ce rythme perpétuel ? On est aussi dans un monde d'usines aux bruits répétitifs. Ils se font les miroirs de la société. Un miroir, un peu fleur bleue, alors qu'il se passe tant d’atrocités servies par le progrès scientifique. C'est ça, le XXe siècle. Le progrès scientifique qui se retourne contre l'humain, jusqu’à la bombe nucléaire. Alors, l’art n'est plus là uniquement pour divertir et faire joli. Il peut avoir cette fonction, mais il peut aussi servir à dire quelque chose de plus profond, de plus alarmant. Et la dissonance porte cette valeur, et avant tout, au-delà de ces considérations, crée du relief. La dissonance est déjà bien présente chez Haydn, Mozart ou Bach.

De tous vos projets, lequel vous tient le plus à cœur et pourquoi ?

Célia Oneto Bensaid : Difficile de répondre à cette question ! Chaque projet en fait naître un autre. Dans ce monde rempli de tant de pianistes extrêmement talentueux, la manière la plus intègre et honnête de créer ma place a été de commencer par mes transcriptions au piano d’œuvres orchestrales de Bernstein et de Gershwin, une démarche que peu ont faite. Une manière pour moi d'exister. Mon deuxième projet avec à la fois Les miroirs de Ravel, Number One, une création de Camille Pépin, et des œuvres de Philip Glass était le croisement entre grand répertoire et répertoire atypique, en connexion avec le répertoire américain de mon premier disque. Je n’aurais certainement pas pensé à faire du Glass avant Gershwin. Aurais-je pensé à Glass sans Camille Pépin, compositrice elle-même très influencée par le minimalisme américain ? Au-delà de Glass, et en même temps, Ravel et ses Miroirs m’ont toujours parlé directement et j’adore Ravel en général. Le troisième disque, Marie Jaell, est un saut dans un répertoire totalement inconnu. Je pense que je n’aurais pas pu le faire en premier opus. C’était le lien pour moi avec la comédie musicale dans le sens où il y a une histoire derrière. Tous ces projets m’ont amené à la scène. Que ce soit American Touches ou Marie Jaëll, le retentissement a été très important et m’a apporté une crédibilité à laquelle je ne m'attendais peut-être pas. Me plonger dans la musique de Pépin aussi... projet sorti durant le Covid, qui m'a maintenu pendant le confinement, à une époque délicate. Et puis, mon premier projet avec orchestre a également été important comme étape pour moi.
 

©Lyodoh Kaneko


De nombreux projets à la fois originaux et porteurs de sens. Est-ce cela finalement votre credo artistique ?


Célia Oneto Bensaid : Honnêtement, oui, j'ai besoin qu’il y ait du sens, je suis sensible à la portée que ça peut avoir tant pour moi que pour les autres. Encore une fois, je suis très consciente de tous les pianistes merveilleux de ma génération, de mes cadets et de mes aînés. J'essaie de ne pas refaire la même chose que ce qui a déjà été fait, parce que je considère que ça a été fait souvent de manière incroyable. Donc, si je me confronte à un répertoire très donné, il me faut une manière de l’aborder qui soit différente. Si c'est pour redonner l'intégrale des Valses de Chopin, non, il y a Luisada et Pollini qui l’ont fait très bien, dans ce cas, il faut vraiment que je sache pourquoi.
 


Quelques mots sur votre prochain projet ?

Célia Oneto Bensaid : C’est un travail monographique en solo autour de Philip Glass avec l'intégrale des 20 études qui ont leur importance dans la littérature pianistique et qui sont assez récentes puisque les dernières datent de la fin des années 90. Ce projet est un double album que j'enregistre en mars pour le label Mirare, complété par plus de 30 minutes de morceaux qui ne seront diffusés que sur les plateformes, des œuvres tirées de son catalogue comme la Trilogy Sonata ou des musiques de films comme Truman Show pour créer une sorte de miroir en spectre à 360 degrés. Tout en sachant que c'est un catalogue qui évolue parce que, certes, Glass est âgé, mais il continue d’écrire. C’est mon moteur de fond jusqu’en mars !

Dernière question : quel projet rêvez-vous de faire ?

Célia Oneto Bensaid : Je rêve d'un projet de commande. J'adorerais créer un jour un concerto pour piano de Camille Pépin. Ce serait vraiment une grande joie. Je crois qu’en tant qu’interprète, il faut aussi être acteur de créations de son temps. Camille est une compositrice dont je connais le catalogue depuis longtemps et que je joue régulièrement. Je serai en plus probablement très admirative de son concerto, donc j'aimerais vraiment jouer une part active en tant qu’interprète et peut-être même en tant que commanditaire.

 

 

Propos recueillis par Jean-Paul Bottemanne

© Interview exclusive Lexnews

Tous droits réservés

www.celiaonetobensaid.com

 

Interview Umebayashi Shigeru

14/08/20

 

©Umebayashi Shigeru

 

Shigeru Umebayashi (alias Ume) est né en 1951 à Kitakyushu au Japon. Il a commencé à composer de la musique de film en 1984. Un an après, son talent fut immédiatement reconnu en 1985, lorsque la musique qu'il composa pour la production cinématographique japonaise Sorekara (And Then) remporta plusieurs prix de musique de film. Depuis, il a signé la musique de plus de 30 films japonais. De renommée internationale, il a été surtout connu pour avoir créé «Thème de Yumeji» dans le film « In The Mood for Love » de Wong Kar-Wai, ainsi que pour avoir collaboré avec Wong Kar-Wai.
 

©Umebayashi Shigeru

 


Shigeru Umebayashi a été le producteur musical et compositeur de Zhang Yimou avec les films « House of Flying Daggers » et « Curse of The Golden Flower » et a composé la chanson «Lovers» pour la soprano Kathleen Battle. Ume a prouvé sa polyvalence dans le cinéma mondial en travaillant avec des réalisateurs tels que Ronny Yu de Hong Kong pour Fearless de Jet Li, Roberta Torre pour Mare nero (Mer Noire) en Italie, Uros Stojanovic en Serbie pour Tears for Sale, Peter Webber en Angleterre pour Hannibal Rising …

Il a également contribué à la musique de A Single Man, réalisé par Tom Ford (2009) ; Dias de gracia (Days of Grace) réalisé par Everardo Gout, remportant le meilleur score des Mexican Academy Ariel Awards en 2012; Trishna, réalisé par Michael Winterbottom (2011 ); The Grandmaster, réalisé par Wong Kar-Wai (2013) remportant conjointement avec le compositeur français Nathaniel Mechaly le prix du meilleur compositeur 2014 aux 8th Asian Film Awards et le prix du meilleur compositeur 2014 aux 33rd Hong Kong Film Awards; et Come il vento (Like the Wind) réalisé Marco Simon Puccioni (2013). Ume a également composé la musique du film documentaire officiel des Jeux olympiques de Pékin, « La flamme éternelle: Pékin 2008 », remportant de nombreux prix internationaux. Depuis 2010, Ume a commencé à présenter sa musique de film en concert dans des festivals et des salles de concert européens.

Vous êtes né sur la célèbre île de Kyushu, considérée comme le berceau de la civilisation japonaise. Comment cet endroit a-t-il nourri vos jeunes années ? Et cela a-t-il eu une influence sur votre musique ?

Umebayashi Shigeru : "J'ai effectivement grandi dans une ville industrielle avec de nombreux travailleurs entourés par la mer et les montagnes. C'était une ville animée avec des théâtres, des terrains de baseball, des courses, des cabarets, etc. À l’époque, je jouais de la basse dans la salle de danse de mon travail. Il y avait également et surtout le festival Gion Tiko avec le taiko, cet art de jouer du tambour traditionnel japonais pendant l’été à Kitakyushu et Kokura, et dont les sons et les rythmes ont constitué les "racines" de ma musique".

Vous êtes venu à la musique à travers le rock et en particulier une certaine inspiration pour les Beatles. La musique classique compte-t-elle aussi si l'on pense à cet extraordinaire "Thème de Yumeji" repris pour le film "In the Mood for love" ?

Umebayashi Shigeru : "La musique classique ? Non, en fait la chanson a été composée simplement selon mon inspiration rock'n roll, le rythme et la mélodie".

Comment êtes-vous entré dans la musique de film ? Et quelle était votre propre relation avec le cinéma avant de faire de la musique ?

Umebayashi Shigeru : "Yusaku Matsuda, décédé il y a de nombreuses années, était l'un des grands acteurs, chanteurs, ainsi qu’un de mes meilleurs amis. Le fait d'avoir réalisé un album ensemble m'a aidé à me lancer dans la musique de film, alors qu’auparavant j’étais de l’autre côté de la scène".

Comment concevez-vous une musique de film comme celle de "In the Mood for love" ou "House of Flying Daggers"? Voyez-vous le film tourné ? Ou selon le script ?

Umebayashi Shigeru : "Cela dépend du projet. J'essaie d’être le plus libre possible, de penser et de créer à tous les instants. Les références traditionnelles peuvent également se croiser à d'autres influences plus modernes et occidentales".

Que pensez-vous de la musique traditionnelle japonaise et de la musique occidentale ?

Umebayashi Shigeru : "Les sons que je ressens avant de les exprimer en musique ne relèvent d’aucun pays, d’aucune époque. En fait, il faudrait se poser la question : peut-on juger un pays au son des oiseaux ? La musique du film du réalisateur Eiji Okuda "Shojo" (Une adolescente) a un grand pouvoir expressif".

Où trouvez-vous les motifs qui forment le cœur et l'âme de votre musique ?

Umebayashi Shigeru : "Si ma musique a un cœur et une âme, je pense qu'elle ne se dégage que de l'image qui en découle".

Quel est le film que vous aimez le plus dans le cinéma japonais (traditionnel ou moderne) ? Le roman japonais qui vous a le plus touché ?

Umebayashi Shigeru : "Il y a tellement de bons films japonais que je ne peux pas choisir. Si j’avais à donner spontanément un auteur de romans, je vous citerais Seicho Matsumoto "Aru Kokuranikki", auteur talentueux de romans policiers. Il a également été élevé à Ogura, Kitakyushu".

 

Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

Tous droits réservés

 

 

Interview Denis Raisin Dadre

Paris, le 30/05/19

Lexnews a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique. Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien talentueux !

 

 

 

 

uelle a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir avez-vous gardé de ses œuvres ?

Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".

Quels sont les motifs qui vous ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?

Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan, lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette façon de peindre très spécifique à Vinci".
 

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il existait aux XVe et XVIe siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées

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Pouvez-vous revenir sur cette belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?

Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées. La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point de départ de cette idée d’enregistrement".

La musique franco-flamande prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?

Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre, lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".


Le début du XVIe s. voit la naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?


Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué « Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même « grande patronne » de la frottole résidant à Milan".

Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle, nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait. La lira est un instrument d’expérimentation par excellence puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces épopées".


La technique du peintre, notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?

Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison – et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre, il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
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C’est une époque d’une extraordinaire complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous

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Une très grande liberté présidait dans la composition et ses déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?

Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période, vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"


Quel regard portez-vous sur la dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?


Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel. Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait. Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer Léonard à ce sujet !"

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Je crois que nous avons retrouvé cette immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.

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Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?

Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence ! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci. Cela a été rendu possible par certaines couleurs musicales qui ont surgi et qui correspondent bien à cette idée de tendresse, d’intimité et complexité du peintre".

 

 

Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

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Interview Zbigniew Preisner

29/01/18

 

Zbigniew Preisner est un compositeur, né à Bielsko-Biała en Pologne en 1955, qui aurait tout aussi bien pu être philosophe ou poète. Cumulant les César de la meilleure musique de film (Trois Couleurs et Elisa), sa musique est dotée d’une puissance émotionnelle qui rivalise avec la délicatesse de ses nuances. Nul affect dans ses créations, comme trop souvent pour la musique de film, mais un véritable dialogue des notes avec l’image et le silence, ce silence qui scande ses créations les plus marquantes. Une étroite collaboration le lie avec le cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski avec la création de magnifiques musiques passées à la postérité, dont l’œuvre qu’il composera pour la mort de son ami et réalisateur, Requiem for my friend. Il a également travaillé avec de nombreux autres grands réalisateurs Louis Malle, Agnieszka Holland, Thomas Vinterberg, sa musique pour le film de Claude Miller Un secret a été citée aux Césars 2008. Rencontre avec une âme sensible, accordée au diapason d’une humanité dont l’avenir lui semble sombre et sans espoir.

 


ous êtes né en Pologne, sous un régime communiste qui a accompagné une bonne partie de votre jeunesse. Vous avez suivi des études d’histoire et de philosophie. Votre amour pour la musique de Jean Sibelius s’explique-t-il par cette conscience d’une identité nationale qu’eut le musicien dans son art ?

Zbigniew Preisner : "
J’aime la musique de Sibelius, elle m’est proche. J’aime sa façon de penser en tant que compositeur et la sonorité d’orchestre qu’il crée. Je suis tout particulièrement impressionné par la symphonie n°2 en ré majeur. Mais en aucun cas sa musique n’évoque pour moi la question de l’identité nationale. Chaque compositeur écrit sa propre musique même si nous évoluons tous dans des contextes quotidiens et esthétiques donnés et ne pouvons pas en faire l’abstraction. S’il est vrai que je suis né et ai grandi sous un régime communiste, ce n’est pas pour autant que je me devais de composer une musique nationale, ce qui à l’époque voulait dire l’esthétique lamentable de la Pologne communiste. Or cette esthétique m’était totalement étrangère, je me suis toujours considéré comme un homme libre. Stanisław Wyspiański, un grand poète polonais a dit une belle phrase : « Sera libre un jour celui qui saura se libérer par sa propre volonté». J’ai d’abord grandi dans une famille qui s’opposait à la philosophie du régime, et puis, à 19 ans je suis venu étudier à Cracovie où très vite je me suis rapproché du fameux Cabaret « Piwnica pod Baranami ». Piotr Skrzynecki, son spiritus movens, n’a jamais admis que nous vivions dans un pays qui n’était pas souverain. Il me semble que j’avais toujours en moi ce que votre philosophe Simone Weil décrivait comme « la connaissance surnaturelle». J’essaie toujours d’être fidèle à moi-même. Je vais toujours à contre-courant".

 

partition de "Aglaja" photo: Anna Wloch


Un grand nombre de vos œuvres ont directement ou indirectement un rattachement au christianisme, on pense bien entendu à votre Requiem for my friend une œuvre puissante et forte composée pour la disparition de votre ami le cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski. Quel est votre rapport à la religion et comment inspire-t-elle votre travail de composition ?

Zbigniew Preisner : "La première partie du Requiem for my Friend est un « Requiem ». Je l’ai écrit en trois jours pour pouvoir le jouer aux obsèques de Krzysztof Kieślowski. C’était pour moi le seul moyen de lui dire adieu, je n’avais que cela à lui offrir. La forme de requiem est une forme classique. De Mozart à Verdi, et jusqu’à Gabriel Fauré cette forme s’appuie sur les textes de la Bible. J’ai fait exactement la même chose. Je ne suis pas religieux, mais cela ne veut pas dire que je ne lis pas la Bible ou que je n’apprécie pas la sagesse de ses textes. Son message est universel puisque nous tous, croyants ou non, appliquons dans nos vies les principes du Décalogue. Nous y réussissons tant bien que mal, nous le faisons consciemment ou non, il n’empêche que le 5e commandement « Tu ne tueras point » signifiera toujours la même chose. Pour moi la foi n’a rien à voir avec l’église. Je n’ai pas besoin d’intermédiaires entre moi et Dieu.
Quand nous travaillions avec Kieślowski sur « Trois couleurs : Bleu », où la composition de l’hymne pour l’unification de l’Europe constitue l’axe dramaturgique du film, je lui ai proposé d’utiliser la « Lettre de Saint Paul aux Corinthiens ». Je vous rappelle que c’était au début des années 90 quand la Pologne pouvait seulement rêver d’adhérer à l’Union européenne, et les pays de l’Ex-Yougoslavie se livraient une guerre sans merci. Cette lettre se termine avec les mots suivants :
« Ce qui demeure aujourd’hui c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité. »
Ce message reste toujours d’actualité. Si nous l’oublions, nous allons perdre, peu importe notre confession ou la partie du monde où nous vivons".
 

On An Island - Gdansk Concert 2006
Zbigniew conducting the orchestra in concert - photo: Anna Wloch


Vous avez travaillé avec un grand nombre de réalisateurs pour le cinéma. Comment concevez-vous le rapport de votre création musicale à l'image ?

Zbigniew Preisner : "Je vais à nouveau faire appel à votre compatriote Simone Weil. Dans son livre « La connaissance surnaturelle » il y a un magnifique passage sur la musique (...)

portrait by Anna Wloch

 

(...) Elle y dit que le silence est la plus belle musique, mais que pour pouvoir l’entendre, il faut que quelques notes musicales le précédent et qu’elles continuent un temps après. Je crois à la force de la musique de film, son impact métaphysique agissant sur notre subconscient et notre imagination. Mais la musique aura son rôle important à condition que cette importance lui soit accordée. Autrement dit, quand je travaille avec un cinéaste, j’essaie toujours de parler avec lui de la place de la musique dans son film. Beaucoup ont cru et croient toujours à ce rôle essentiel de la musique. Il suffit d’évoquer la musique de Nino Rota dans les films de Fellini ou Coppola, celle d’Ennio Morricone dans les films de Sergio Leone ou encore celle de Bernard Herrmann dans les films de Hitchcock… Il y a de nombreux exemples d’une excellente collaboration des compositeurs avec les cinéastes, mais dans les films que j’ai cités, aussi bien que dans les films de Kieślowski, c’est avant tout le silence qui joue. Dans « La Double vie de Véronique » qui dure 1h45 la musique utilisée dure environ 20 minutes, et pourtant elle semble être présente tout le temps. On a même dit que c’était un film musical. La force de la musique dépend de l’intelligence de son utilisation et, pour être franc, du courage du cinéaste qui y croit".

 

Silence, Night & Dreams
Zbigniew au mixage Preisner Studio - photo: Anna Wloch


Travaillez-vous à l'image ou en amont ?

Zbigniew Preisner : "Tout dépend de la collaboration avec le cinéaste. Quand je travaillais avec Kieślowski, Louis Malle, Agnieszka Holland et beaucoup d’autres, je venais sur le plateau de tournage. Cela m’inspire énormément. Bien évidemment j’y venais en connaissant le scénario. Avec Kieslowski, je passais des heures dans la salle de montage parce que ce travail me fascine. À vrai dire, le résultat dépend du montage. Et la musique prend sa forme définitive une fois l’image terminée. C’est là où elle devient précise et constitue selon moi le dernier élément artistique liant tout dans un film. Il m’arrive aussi souvent de composer la musique à partir d’un scénario. De cette manière ont été conçus les thèmes principaux dans « La Double vie de Véronique », « Trois couleurs : Bleu », « Blanc » et même « Rouge ». Le boléro que l’on entend dans ce dernier film a été enregistré avant le tournage.
Inutile de dire que ma collaboration avec Kieślowski était une collaboration idéale. J’ai composé la musique pour ses 17 films, on se connaissait vraiment bien, ce qui nous facilitait le travail. Je pense que Kieslowski avait une grande confiance en moi et en ma musique. J’ai également un autre exemple, il y a deux ans quand je travaillais sur la musique du film « Queen of Spain » (La Reina de España) de Fernando Trueba – j’ai écrit le thème principal à partir du scénario, et Fernando l’avait avant le début du tournage. L’art est métaphysique, c’est la question de l’imagination qui tend vers l’infini".

 

Comment percevez-vous les rapports des réalisateurs dans leur approche musicale ?

Zbigniew Preisner : "Les approches varient, c’est très individuel. Certains cinéastes savent quelle musique ils veulent, et c’est la raison pour laquelle ils m’appellent. Mais cela peut se passer différemment, il y en a beaucoup qui veulent travailler avec moi sans avoir d’idée sur la musique. Je parle pour moi, mais les autres compositeurs peuvent le confirmer. J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins de cinéastes qui savent ce qu’ils veulent. Et souvent, il me semble qu’ils traitent la musique comme un moyen de sauver leur travail. De plus en plus la musique est jouée du début à la fin. Ils ne se rendent pas compte que l’on n’entend pas cette musique et que son impact est faible. Aussi, les cinéastes achètent-ils souvent une musique déjà existante, comme s’ils ne voulaient pas assumer le choix d’une musique écrite pour eux par un compositeur. Bien sûr, on peut faire ainsi, mais, dans ce cas, il vaut mieux s’appeler Stanley Kubrick et savoir l’utiliser comme il l’a fait dans son film « 2001 l’odyssée de l’espace ». À partir de divers thèmes, il a créé quelque chose de nouveau. Mais en général cela se passe d’une manière complètement différente. Sur l’écran, un couple s’embrasse, et la musique s’embrasse avec eux, ils meurent, la musique meurt aussi. Seulement en sortant du cinéma nous n’en gardons aucun souvenir".

 

Silence, Night & Dreams
Zbigniew at Jamna - photo: Anna Wloch


Votre dernier enregistrement « W Poszukiwaniu Dróg » ouvre semble-t-il la porte à de nouveaux horizons d’espérance où fraternité, culture, identités cohabitent en paix face aux menaces et conflits qui pèsent sur l’humanité. Êtes toujours dans l’espérance ?

Zbigniew Preisner : "Je crains que les hommes ne soient plus intéressés par la recherche de nouveaux horizons. Les hommes politiques et les puissants de ce monde ont relégué l’art au troisième, quatrième voire au cinquième rang. Nous redevenons incultes. Mais quand l’art disparaît, apparaît l’enfer. Les usines d’armes recommencent à travailler à plein temps. Malheureusement, je n’ai plus d’espoir. Le monde va vers la catastrophe.

This the end".

 

Propos recueillis par Jean-Paul Bottemanne

et Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

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 Jean-Claude MALGOIRE

(25/11/40 - 14/04/18)

En hommage, LEXNEWS republie l'interview que Jean-Claude Malgoire avait accordé à notre revue le 15 mai 2002 à Saint Quentin en Yvelines.

 

 

LEXNEWS : « Quel est le parcours qui vous a mené au Baroque ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : Je suis à l’origine un instrumentiste puisque je joue du hautbois. J’ai eu ainsi une première carrière en tant que musicien symphoniste. Mon parcours a débuté très tôt dés l’age de 17 ans dans différentes formations dont l’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire qui est devenu l’Orchestre de Paris. A partir de cette époque, j’ai débuté mon travail sur les musiques dites anciennes et, parallèlement, sur le répertoire contemporain. Avec « La Grande Ecurie », depuis 1966, nous avons travaillé sur des répertoires du Moyen-âge et de la Renaissance ce qui nous a permis de réaliser un grand nombre d’enregistrements pour la marque américaine CBS. Lorsque j’ai quitté l’Orchestre de Paris en 1974, j’ai eu pendant quelques années une sorte de « no man’s land » pendant lesquelles j’ai réellement débuté ma carrière en tant que chef d’orchestre. J’ai poursuivi une carrière d’instrumentiste dans un répertoire plus axé sur la musique contemporaine du XX° siècle, cette dernière offrant des pages réellement intéressantes pour le hautbois. En 1981, j’ai été nommé directeur de l’Atelier Lyrique de Tourcoing. A partir de cette date, je me suis beaucoup plus centré sur le travail de l’opéra et la direction. Cela m’a conduit à abandonner progressivement mon activité en tant qu’instrumentiste. J’ai pu ainsi, dans un deuxième temps, commencer à diriger des orchestres de toutes catégories : symphoniques, d’instruments anciens, et ce dans des répertoires très variés du XVIII au XX° siècle. Je pense avoir couvert un éventail assez large. Pour vous donner des exemples, j’ai travaillé cette année : BEETHOVEN, PUCCINI, VIVALDI, SALIERI,…

Il nous arrive de faire des sauts considérables, ce qui n’est pas toujours facile !

 

LEXNEWS : « Quel est l’importance du baroque dans ce parcours ? est ce une donnée particulière ou bien un maillon d’une longue chaîne musicale ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : Je n’agis pas en chronologie, pour moi cette chronologie est plutôt prise en dents de scie ! Il m’arrive même de vouloir créer des chocs culturels en associant des répertoires très différents tels la messe de MACHAUT et celle de STRAVINSKY avec les mêmes interprètes ! Cela afin de prouver qu’il n’y a pas de rigidité dans l’interprétation. Les problèmes posés par MACHAUT sont, dans une certaine mesure, les mêmes que ceux que pose STRAVINSKY cinq siècles plus tard. Et pour l’auditeur, cela lui permet de réaliser que notre musique occidentale jouit d’une position unique dans l’histoire de la musique. Contrairement à d’autres musiques, qui sont toutes aussi passionnantes mais qui sont restées plus figées, la musique occidentale offre un enchaînement d’évolutions exceptionnelles, à l’image de la peinture.

 

LEXNEWS : « Quel rapport est il possible de faire justement entre ces périodes clés qui caractérisent cette évolution particulière de la musique occidentale ?  Est il nécessaire de connaître chacune d’entre elles pour l’interprétation du répertoire ?

 

Jean-Claude MALGOIRE : Je pense qu’il n’y a pas de progrès en matière d’art ! Il y a une évolution indispensable à l’émergence de formes nouvelles : BRAHMS n’aurait pas pu exister sans SCHUBERT, qui n’aurait pas pu exister sans MOZART et ainsi de suite. Le fait, pour un interprète, d’aborder des répertoires différents est en effet essentiel, même si on ne respecte pas une chronologie absolue. Cette année nous avons fait « L’Héroïque » et les « 7 paroles du Christ » dans le même programme. J’ai été très étonné de la rapidité de travail des instrumentistes et de l’aisance de ces musiciens qui ont plus joué RAMEAU, VIVALDI ou MOZART que BEETHOVEN. Il y a des systèmes rythmiques, et même une polyphonie, qui proviennent effectivement de l’héritage du XVIII° siècle. Il est clair que des musiciens qui ont l’habitude de travailler un répertoire du XVIII° siècle vont être très avantagés ! Je ne veux dire du mal de personne mais il est clair que lorsque l’Orchestre symphonique, qui a un répertoire monolithique sur deux siècles de musique, aborde MOZART ou HAYDN, c’est très souvent catastrophique. On cherche alors de nombreuses raisons, et à mon avis, il n’y a pas d’autres raisons que celles que nous venons d’évoquer. La connaissance profonde de ce qui se passait en amont fait défaut : les problèmes de construction, de phrasés, d’interprétations des nuances et des signes sont alors inévitables. Il y aune interprétation des signes qui est très importante. Si vous prenez, par exemple, les indications du tempo : c’est une donnée qui, malheureusement, a été très codifiée à la fin du XIX° siècle, et, aujourd’hui, dans les conservatoires, on apprend que l’Andante est un mouvement lent, alors que c’est un mouvement rapide ! Dans le même ordre d’idée, on indique que l’Adagio est également un mouvement lent alors que c’est un mouvement à l’aise, fluant. Ces questions terminologiques sont en fait largement dépendantes d’une autre logique. Pour un musicien comme HAENDEL ou BACH, les mouvements qui sont en tête d’une pièce forment des indications de caractère et non pas de tempo. Quand ce même HAENDEL écrit « vivace » cela signifie vif et non pas rapide ! On peut donc avoir une interprétation lente et vive. Cela a conduit à un certain nombre de confusions dramatiques avec des œuvres qui duraient des temps indéfinis comme « le Messie » par exemple. La culture de cette époque est essentielle pour pouvoir apprécier non seulement le tempo, mais également les liaisons, les points sur les notes, les liaisons, les nuances, etc…

Lorsque BEETHOVEN souhaite un « Forte », il écrit ce mot sur toute la longueur du manuscrit. Et pourtant ce « Forte » ne concernera peut être que la première flutte ou la partie de basses ou les altos ! Les copistes qui ont réalisé le matériel d’orchestre ont mis cette indication sur l’ensemble des instruments. Cela nous donne alors des fautes de balance considérables.

Quant on entend les symphonies de BEETHOVEN ou de BRAHMS par exemple par les orchestres symphoniques cela donne souvent des résultats cacophoniques ! Les plans ne sont pas respectés. Il est sur que lorsqu’on est habitué à la lecture des manuscrits anciens, on décrypte ces choses beaucoup plus vite !

 

LEXNEWS : « Vous me donnez une transition idéale : nous souhaitions savoir, à partir de votre récent travail de recherche sur la restitution de l’une des dernières créations de VIVALDI à Vérone « Catone in Utica », quelles étaient les difficultés d’une telle entreprise et comment était il possible de restituer dans son ensemble un acte disparu ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : C’est en fait tout un acte qui est manquant. J’avais déjà fait un travail identique il y a une dizaine d’années avec « Montezuma ». C’est un travail qui m’intéresse beaucoup car cela part comme une enquête policière ! Il s’agit de savoir qui doit chanter tel air, quel type de musique doit être chanté , quel caractère va générer tel type d’air, etc…

C’est un travail immense qui a reçu l’aide très bénéfique de personnes très compétentes comme Frédéric Delaméa pour « Catone ». Il m’a fourni une aide très précieuse, que l’on retrouve dans le texte de présentation du livret, dans le choix des types d’air grâce à une érudition exceptionnelle sur le compositeur !

En ce qui me concerne, j’ai écrit le récitatif qui nécessite une certaine connaissance car il ne s’agit pas de faire le malin en écrivant comme on le sent ! Il faut bien connaître l’œuvre de VIVALDI dans sa globalité, et savoir comment il évoque tel sentiment, telle situation,… C’est un travail passionnant !

 

LEXNEWS : « Comment menez vous ce travail ? à partir de quelles sources ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : Il y a beaucoup d’instinct ! Je ne suis pas un compositeur, je pense que c’est un travail d’interprète plus qu’autre chose. Je crois qu’il s’agit surtout de rendre justice à la poésie du texte poétique que l’on a sous les yeux et de voir comment il est possible de le transcender en musique. C’était le travail du compositeur, cela devient le notre quant il y a une lacune dans le matériel restant. La période est essentielle pour restituer cela : VIVALDI n’écrivait pas de la même manière lorsqu’il était à Vérone ou à Venise ! Il n’avait pas le même type de chanteurs, ni les mêmes orchestres, ni les mêmes salles. Il ne traitait pas les mêmes sujets selon les lieux. Tous ces facteurs interviennent dans la restitution.

 

LEXNEWS : « Comment situez vous cette œuvre par rapport à  ce que l’on a habitude de connaître de VIVALDI ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : C’est une des meilleures créations de VIVALDI. Chronologiquement, c’est une de ces dernières créations à Vérone. C’est la plus belle période de production d’opéras du compositeur. Il a la maîtrise du chant, il connaît beaucoup de chanteuses et de chanteurs avec qui il travaille depuis très longtemps. Il écrit à la commande, comme le fera MOZART dans ses plus grandes œuvres. Il y a, en effet, une grande différence de qualité chez MOZART dans les œuvres écrites pour des chanteurs qu’il connaît parfaitement et pour lesquels il exploite au maximum l’écriture. C’est la même chose pour VIVALDI. Avec une chanteuse comme Giro par exemple, VIVALDI va donner un type d’air particulier afin d’optimiser ses qualités. C’est pour toutes ces raisons que nous sommes véritablement dans la pratique quant à la restitution de cet acte, ce n’est pas du tout de la théorie.

 

LEXNEWS : « Quelle est votre opinion sur les facteurs expliquant la redécouverte d’un répertoire si longtemps oublié ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : Nous avons vécu la même évolution sur les arts plastiques et graphiques. Ma génération a redécouvert l’art précolombien par exemple en partant de rien. Aujourd’hui, ce même art offre une multitude de recherches et de travaux ! C’est un peu ce même chemin pour notre musique, avec un art qui ne s’est pas refermé mais au contraire qui a continué à vivre. Il a fallu en même temps s’intéresser à la création contemporaine tout en ayant de plus en plus d’intérêts pour le reste de la production musicale. Mais ce n’est pas propre à la musique. La littérature ou la peinture connaissent les mêmes questions. Je pense que le disque est un facteur important. Je crois en effet qu’il n’y aurait pas eu un tel essor de la musique baroque s’il n’y avait pas eut le microsillon et aujourd’hui le compact. Le fait d’avoir des supports aussi sophistiqués, et de plus en plus parfaits, a conduit à diversifier la demande. Je pense que l’essor que vous évoquiez depuis 30-35 ans est également dû à un facteur d’imitation. Des chefs comme Wenzinger ou Harnoncourt ont commencé à enregistrer et à diffuser ainsi cette musique.

 

LEXNEWS : « Avez vous une préférence pour le studio ou le « live » quant à l’enregistrement de vos interprétations ? »

 

Jean-Claude MALGOIRE : Maintenant, je dois avouer que j’ai une préférence pour le « live » de très loin. C’est le cas pour « Catone » par exemple. Je trouve cela beaucoup plus spontané et il n’y a rien de plus artificiel qu’un studio, ne serait ce qu’au seul niveau du son. Le son produit n’est pas un son naturel : pour des raisons techniques c’est un son volontairement étouffé et enfermé, que l’on va travailler dans un second temps de manière mécanique. Il est assez déprimant, pour les instrumentistes et les chanteurs qui passent leur vie à travailler le son qu’ils désirent atteindre, de découvrir, à l’écoute, une voix de casserole ! De plus, quant on sait que l’on va pouvoir reprendre à plaisir, dix ou vingt fois, la même séquence, il n’y a pas la même concentration qu’en « live ». Et ce facteur, à mon avis, s’entend inévitablement dans le résultat final. Il est vrai que, pour toutes ces raisons, je n’ai plus envie de faire du studio.

 

 

Hommage

Michel CHAPUIS, Versailles 22/04/03

LEXNEWS a rencontré un musicien qui a consacré sa vie entière à sa passion : restituer les splendeurs de la musique pour orgue du passé à nos contemporains. Cette rencontre a eu lieu à la tribune de la Chapelle Royale de Versailles aux côtés du grand orgue Clicquot-Boisseau-Cattiaux dont Michel Chapuis est l’organiste titulaire depuis 1995. Accompagné d’Ekaterina Fedorova Colin, musicienne avec laquelle il a créé le label PLENUM VOX, il retrace pour nous son riche parcours musical. 
 
 
LEXNEWS : « Il est difficile de croire au hasard lorsque votre biographie indique que vous êtes né dans même ville de Dôle dans le Jura qui abrite au sein de la Collégiale, l’orgue qui fait l’objet des trois premiers enregistrements de la nouvelle collection PLENUM VOX ! »

Michel CHAPUIS : « Cela n’est en effet pas un hasard. Les premiers enregistrements datent des années 1950-55. À cette époque la qualité d’enregistrement était plutôt douteuse : vous avez l’impression d'entendre l’orgue de Dôle au téléphone ! J'ai attendu quarante ans depuis mon premier contact pour faire ces trois disques. Je les ai faits en pensant qu'il s'agissait là de mon testament musical. Je pense avec ces trois enregistrements avoir montré une idée qui m’est chère à savoir les trois visages cet instrument. »

LEXNEWS : « cet instrument a été hautement symbolique dans votre parcours musical ? »

Michel CHAPUIS : « Oui tout à fait ! Je pense que si cet instrument n'avait pas existé je serais aujourd'hui instituteur à la retraite... »

LEXNEWS : « Vous avez très tôt dans votre carrière porté un vif intérêt pour la facture d’orgues, quelles sont les raisons d’un tel engouement ? »

Michel CHAPUIS : « En 1946 - 47, au moment où je devais partir pour Paris ou pour Lyon afin d'apprendre le métier de facteurs d'orgues j'ai hésité. Cette hésitation n'a pas été très longue et j'ai finalement décidé de partir pour Paris pour apprendre le métier d'organiste. J'ai recherché de bons professeurs, j’ai fais le conservatoire de Paris, j'ai été élève de Dupré, mais lorsque je suis sorti du conservatoire cet intérêt pour la facture d'orgues m’a repris et je me suis engagé dans une manufacture d’orgues. J'ai ainsi travaillé pendant deux ans dans un atelier. Cela m'a bien sûr apporté une connaissance précieuse de l’instrument. »

LEXNEWS : « est-ce que cela a changé votre perception de l’orgue ? »

Michel CHAPUIS : « Absolument ! Pendant les années que j'ai passées en Alsace, j'ai pu pratiquer énormément d'expérience sur les tuyaux et tous les phénomènes sonores grâce à plusieurs amis qui étaient facteurs d'orgues. Il y avait à cette époque un engouement pour l'orgue qui s'expliquait par le fait que de nombreuses églises avaient vu leur orgue endommagé par la guerre. C'était un terrain d'expérience immense ! Une grande partie des instruments situés sur la berge du Rhin ont été restaurés après la guerre avec une autre esthétique. »

LEXNEWS : « Vous semblez passer avec une simplicité déconcertante des compositions les plus baroques aux œuvres les plus contemporaines, comment expliquez vous cela ? »

Michel CHAPUIS : « Je me tiens informé des recherches en musique contemporaine, même si je ne joue pas beaucoup ce répertoire. Ce qui me passionne surtout c'est l'interprétation des musiques d'autrefois. Et quand je dis autrefois cela touche autant la musique romantique que la musique baroque. La musique contemporaine m’intéresse cependant également, et lorsque j'improvise, je pense utiliser un langage similaire sans pour autant exclure le langage classique. »

LEXNEWS : « Quelle a été votre approche pour le répertoire baroque ? »

Michel CHAPUIS : « J'ai eu la chance pendant la guerre d'avoir à ma disposition une bibliothèque magnifique qui appartenait au marquis de Froissart qui était le dernier directeur de la maison CAVAILLE-COLL.

Les premières pièces j'ai jouées alors étaient justement des oeuvres de Couperin, GRIGNY, CLERAMBAULT, MARCHAND,…à partir de ces manuscrits mis à ma disposition ! Cela m'a été d'un grand secours pour ce répertoire. »

 

LEXNEWS : « L’orgue a longtemps souffert de l’image d’un instrument lié au culte, pensez vous que ces réticences se lèvent aujourd’hui ? »

Michel CHAPUIS : « Il est évident que l’orgue est l’instrument de la liturgie par excellence. Il avait même l'exclusivité jusqu'à une date relativement récente. Il n'est pas possible d'ignorer ce fait qui a une dimension historique. Lorsque l'on interprète des oeuvres de COUPERIN ou de GRIGNY, ce sont des oeuvres qui sont construites à partir de thèmes grégoriens, thèmes qui sont la nourriture de la polyphonie. Ici, à Versailles il s'agissait d'une musique bien particulière qui n'était pas le modèle de toutes les églises de France. Il est même possible de dire que la chapelle était en marge des autres lieux de culte. En schématisant, lorsque Louis XIV arrivait, le choeur entamait un grand motet qui se prolongeait jusqu'à l'élévation. Après quoi à l'élévation on chantait un autre motet, suivait ensuite la prière pour le roi, « domine salvum fac regem », et un dernier motet concluait l'office. Pendant ce « concert religieux », si j'ose dire, un prêtre officiait mais n'avait aucun contact avec les fidèles. Ce déroulement est vraiment à part des autres offices et ce même à Versailles et à la chapelle même. Ici, existait également un office des Lazaristes qui donnait lieu à un déroulement très classique.
Des jeunes, qui souhaitent aujourd'hui embrasser la carrière d'organiste, m'interrogent très souvent sur la signification de ces pièces liées au culte. Un des meilleurs exemples se trouve au Japon. Dans ce pays, il n'y a pas de tradition d’un culte, qu’il soit luthérien ou catholique, cela conduit à la situation que l’orgue se trouve uniquement dans les salles concert. De ce fait, des auteurs contemporains écrivent pour l’orgue. J'ai un certain nombre d'élèves là-bas, et je leur enseigne la musique de COUPERIN, GRIGNY, etc.… cela fait bien une dizaine d'années que j'enseigne la signification de ces pièces dans la liturgie. Cela a évidemment une grande importance sur l'exécution de ces musiques. Je suis peut-être un peu vieux jeu, mais je n'aimerai pas encore aujourd'hui entendre un Noël un jour de Pâques ! »

LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter votre nouveau label discographique PLENUM VOX ? »

Michel CHAPUIS : « Ce label est né de la volonté de pouvoir réaliser ce qui me plaisait sans les contraintes imposées par les éditeurs. Cela était la principale raison pour créer ce label. Si vous prenez les derniers enregistrements, un éditeur n'aurait jamais accepté de les faire sur l'orgue de Dôle mais à Versailles ! C'est un travail passionnant pour lequel nous avons un contrôle total. Ce label ne sera pas limité à l'orgue mais ouvrira également les portes à la voix, d’où le second mot Vox, Plenum renvoyant au plein jeu de l’instrument. Dans notre dernier enregistrement, Ekaterina Fedorova Colin m’accompagne de sa voix. »

Ekaterina Fedorova Colin : « Oui, tout à fait je persuadée que nous pourrons élargir ce répertoire. Nous pensons réaliser l'intégrale de César FRANCK et de Jacques BOIVIN. Il faut pour cela repérer les instruments, ce qui n’est pas chose facile ! »

LEXNEWS : « Quelles sont les contraintes quant à la création d’un nouveau label ? »

Ekaterina Fedorova Colin : « Je pense que sans la notoriété de Michel Chapuis, un tel projet aurait été une folie pour un jeune artiste. Les coûts sont énormes et imposent une reconnaissance rapide. Pour de jeunes artistes, il est indispensable de passer par un label classique. Les difficultés sont d’ordre économique, technique, commercial,…
Les mélomanes qui ont découvert ces enregistrements ont été émerveillés par le résultat, ce qui est bien sûr une récompense du travail fourni ! »

LEXNEWS : « Vous êtes officiellement à la retraite depuis quelques années et pourtant votre emploi du temps ferait pâlir plus d’un jeune en activité ! Quelle flamme vous anime ? »
 
Michel CHAPUIS : « Je n'ose pas dire qu'il s'agit de l'énergie du désespoir ! J'essaye tout de même de montrer ce qui existait autrefois. Il y a des personnes qui sont tournées vers l'avenir d'autres vers le passé, et en ce qui me concerne ce qui motive c'est de faire revivre quelque chose dans le contexte de l’époque présente ! »

LEXNEWS : « Michel Chapuis, merci. Nous sommes persuadés que nos lecteurs auront plaisir à découvrir votre dernier enregistrement sur ce prestigieux orgue de la Chapelle Royale de Versailles ! »

 

Interview

Ryuichi Sakamoto

坂本 龍一

© Ryuichi Sakamoto

 

LEXNEWS a eu le privilège de rencontrer Ryuichi Sakamoto, ce grand compositeur apparu historiquement sur la scène internationale avec son rôle dans le film Furyo / Merry Christmas Mr. Lawrence de Nagisa Oshima, et la célèbre musique qu'il a composée pour ce film. Il renouvellera avec la musique du film Le dernier Empereur avant de se consacrer à la composition et à l'interprétation de sa musique sur les scènes internationales. Rencontre avec un artiste au carrefour de toutes les influences pour une créativité des plus originales !

 

LEXNEWS : “Jeune adolescent, vous avez été fortement intéressé par différents aspects de la culture, et notamment par la musique impressionniste française avec les compositions de Debussy et de Ravel. D’où vous venait cet attrait ? »

Ryuichi Sakamoto  : « J’avais dans les treize ans la première fois que j’ai écouté le quatuor à cordes en sol mineur de Debussy. J’ai été littéralement sidéré par cette harmonie, si évoluée et inconnue de moi à cette époque. Cela a été une expérience très forte pour moi… »

LEXNEWS : “Etait-ce votre premier contact avec la musique classique européenne ?”

Ryuichi Sakamoto : “ Oh non ! J’ai débuté l’étude du piano à l’âge de trois ans, je connaissais déjà bien entendu les musiques de Bach, Mozart, Beethoven… mais c’était la première rencontre avec la musique de Debussy, tout cela était totalement différent de ce que je connaissais jusqu’alors. Ce fut un réel choc… J’ai voulu connaître le secret de ce mystère ; je ne savais même pas quelle était cette harmonie, je ne l’ai apprise que deux ou trois ans plus tard, après avoir étudié de plus près cette musique. »

LEXNEWS : “Vous savez bien que Debussy avait été lui-même influencé par la culture japonaise et vous-même avez été influencé par ce musicien, un bel entrecroisement ! »

Ryuichi Sakamoto : “ Oui, naturellement, cela est arrivé à toutes les époques en musique, pensez à tous ces échanges entre le Portugal et le Brésil, et de nombreux autres pays. Pour moi, la culture n’est faite que de cela. Je crois intimement qu’il n’existe pas de culture « pure » sur cette planète. C’est toujours le produit d’intégrations et d’influences réciproques, du nord avec le sud, de l’est avec l’ouest. Il n’y a pas de barrières, pas de séparations strictes… »

LEXNEWS : “Vos créations ne rejettent cependant pas votre culture traditionnelle japonaise qui reste toujours au cœur de votre musique. »

Ryuichi Sakamoto : “Vous pouvez aisément imaginer qu’après la seconde guerre mondiale, au Japon, la société s’est retrouvée totalement américanisée. Je suis né en 1952 et, comme tous les enfants japonais de mon âge, je n’avais quasiment jamais entendu de musique traditionnelle japonaise à cette époque. C’est peut-être quelque chose qui va revenir de nos jours avec les jeunes japonais branchés ! (Rires…) Mais à cette époque, quand j’étais moi-même jeune, tout était marqué par l’Occident. Vous savez, avec le choc de la guerre et de la défaite, l’identité japonaise a été littéralement renversée. Pouvez-vous imaginer qu’auparavant l’Empereur japonais était considéré comme un dieu, et qu’à partir du jour même de la défaite, les Américains devinrent eux-mêmes un nouveau dieu ! Les adultes haïssaient tout ce qui était japonais et ne retenaient que ce qui avait trait à la société et à la culture américaines. J’ai grandi dans cet environnement. Puis, la nouvelle génération est arrivée, après les années 70, plus établie et plus influencée par cette évolution. Ma connaissance est donc essentiellement occidentale même si bien entendu je reste toujours marqué par l’esprit japonais en termes de silence et de timbre. Le silence entre les notes est quelque chose de très important pour moi, à l’image de la musique de John Cage. Ce compositeur a eu un très fort impact sur moi après mon expérience avec la musique de Debussy. Steve Reich a également été une source d’inspiration. Tous ces compositeurs faisaient partie de la nouvelle génération pour un jeune garçon comme moi et ils connaissaient intimement la culture japonaise. D’une certaine manière, j’ai pu en effet retrouver mes racines japonaises par le truchement de leur musique ! »

LEXNEWS : “Vous êtes connu, surtout ici en France, pour votre premier rôle et votre composition de la musique du film Furyo de Nagisa Oshima avec David Bowie. Comment jugez-vous l’importance de ce film, vingt-huit ans après ? »

Ryuichi Sakamoto : “Je n’étais pas naïf et aussi candide que cela à cette époque ! J’avais bien conscience que ce film pouvait être un outil puissant pour diffuser ma musique aux quatre coins de la planète. Le cinéma a une telle force et lorsqu’une histoire est en accord avec la musique, tout est alors réuni pour avoir une diffusion mondiale. Je savais cela ! C’est en partie pour ces raisons que j’ai accepté cette proposition qui m’a été faite de tourner dans ce film. Bien entendu, la raison majeure venait du fait de mon enthousiasme de jouer aux côtés de David Bowie et de Takeshi Kitano. J’étais alors un grand fan des films d’Oshima, et ce depuis mes plus jeunes années alors que j’avais 16 ans. Je n’aurais jamais pensé que je travaillerai un jour avec M. Oshima, ce fut une grande expérience parallèlement à ma passion pour la musique. Vous savez le tournage a été réalisé en premier et j’ai écrit la musique du film dans un second temps. Le tournage a duré deux mois et chaque jour j’essayais de tirer mon inspiration directement des scènes que nous venions de jouer : le paysage, les acteurs… J’ai même essayé de regarder par la caméra pour trouver quelque chose, mais sans résultats ! (Rires…)
Le souvenir le plus amusant du tournage fut lorsque nous avons fait une improvisation avec David Bowie, lui jouant de la guitare et moi des tambours !
Tout ce qui a eu trait à la musique du film a donc été fait après le tournage, mais il est évident que cette période où nous avons tourné sur cette toute petite île du Pacifique Sud avec David Bowie et les autres acteurs a été déterminante sur la composition de ma musique. Cela m’a pris trois mois pour écrire cette musique de film. »

LEXNEWS : “Votre dernier album s’intitule out of noise. Une fois de plus, vous associez d’une manière subtile la musique ancienne, votre riche expérience de la musique électronique, ainsi que des préoccupations écologiques.”

Ryuichi Sakamoto : “Je n’ai pas de réponses rationnelles pour expliquer toutes ces influences, mais ce que je peux vous dire c’est que ces éléments sont très importants pour moi aujourd’hui. La musique ancienne, qu’elle soit médiévale, renaissance ou baroque, est une musique nouvelle pour moi parce que, comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai grandi avec une connaissance à partir de la musique de Bach. Il n’y avait pratiquement pas d’enregistrements de musique ancienne à l’époque.”

LEXNEWS : “Nous avons même reconnu des instruments de musique ancienne dans cet enregistrement tel ce Consort de violes de gambe”.

Ryuichi Sakamoto : “Oui en effet, j’ai directement été marqué par cette musique et ces instruments. J’ai même pour cela enregistré avec l’English consort, introduisant ces instruments anciens. Il s’avère que je suis un grand fan de ce que fait Jordi Savall ! De nos jours, nous avons un grand nombre d’enregistrements de musique ancienne et j’apprécie encore maintenant de trouver de nouveaux titres. J’aime réellement la résonance de ces instruments. Il y a par ailleurs certainement des liens profonds à l’intérieur de moi entre la musique ancienne et l’écologie, mais il m’est très difficile de savoir lesquels et de les expliquer. Au fur et à mesure que je vieillis, il me semble naturel de me préoccuper plus de la terre, de la vie et tout cela a un lien avec la musique. Tout est lié pour moi et comme la musique est mon moyen d’expression, j’essaye de développer mes centres d’intérêt actuels dans mes compositions. »

LEXNEWS : “Votre musique pour piano offre souvent une alchimie étrange de nostalgie, tristesse et en même temps exprime un profond espoir de vie. Est-ce que cet instrument symbolise votre sens de la vie ? »

Ryuichi Sakamoto : “C’est trop de compliments pour moi ! Merci beaucoup pour cette remarque… Il y a dix ans, j’ai commencé à m’intéresser aux problèmes écologiques et j’ai réfléchi à notre futur et au futur de mes enfants. Je suis très préoccupé par l’environnement que nous laisserons aux futures générations. Je suis très désespéré par notre civilisation, et en même temps, je ne veux pas laisser tomber, j’estime que je dois avoir encore de l’espoir en l’humanité. En fait, je ne fais pas confiance en l’intelligence des hommes tout simplement parce que nous ne sommes pas des êtres parfaits. Nous avons fait tant d’erreurs, mais en même temps, j’ai l’espoir que cette humanité trouvera un moyen de survivre quoi qu'il en soit. La musique peut être une donnée importante pour cela. Je pense profondément que sans la musique et la culture, il n’y aura pas de futur pour nous. Ainsi, j’ai de l’espoir, mais je ne suis pas optimiste ! »

LEXNEWS : “Votre musique souhaite exprimer un message écologique. Etes-vous influencé par le Shintoïsme ? »

Ryuichi Sakamoto : “Tout d’abord, il faut savoir que le Shintoïsme a été la religion officielle de l’empire japonais. En ce sens, je n’adhère pas à cela. Mais bien entendu, le Shintoïsme est lui-même fondé sur des croyances très anciennes selon lesquelles toute chose, même la plus petite, a un esprit. »


LEXNEWS : “C’est ce qu’on nomme les kamis ?”

Ryuichi Sakamoto : “Oui, absolument ! L’air, un arbre, une pierre, tous ces éléments ont un esprit. Je crois que c’est une croyance naturelle de l’Homo Sapiens que vous retrouvez partout en Afrique, dans les cultures celtes… Dans ce sens, cette manière de penser a eu un écho sur ma musique, mais je suis toujours prudent à l’égard du Shintoïsme pour les raisons politiques que vous connaissez. J’ai toujours un sens profond du silence, ainsi que d’autres sentiments profonds qui marquent en effet ma musique. »

LEXNEWS : “Quelles sont vos passions dans la culture dans les domaines autres que la musique ?”

Ryuichi Sakamoto : “Malheureusement, je n’ai aucun talent pour d’autres arts ! J’adore le cinéma, la danse, lire… Vous savez, mon père était un éditeur de livres et il a travaillé notamment avec Mishima. Mon environnement familial lorsque j’étais un enfant était rempli de livres ! »

 

LEXNEWS : "Ryuichi Sakamoto, Dômo arigatô gozaimasu !"

© Ryuichi Sakamoto

 

LEXNEWS was privileged to meet with Ryuichi Sakamoto, the great composer who has appeared historically in the international scene with its role in the film Furyo / Merry Christmas Mr. Lawrence by Nagisa Oshima and the famous music he composed for this film. He will renew with the music of the film The Last Emperor before devoting himself to composition and interpretation of his music on the international scene. Meeting with an artist at the crossroads of all the influences for creativity of the most original!

 

LEXNEWS : “As a young kid, You have been interested by different aspect of culture, and specially French impressionist music such as Debussy or Ravel compositions. Where does this interest come from?”

Ryuichi Sakamoto : « the first time I’ve heard Debussy’s String Quartet, I was about thirteen and I was shocked by the harmony, so sophisticated and unknown for me at that time. It was a very strong experience at that time.”

LEXNEWS : “Was it for your first contact at that time with classical European music ?”

Ryuichi Sakamoto : “ Oh no ! I started playing piano when I was 3 years old so of course I knew Bach, Mozart, Beethoven… but that was the first encounter of Debussy’s music, it was totally different from what I knew before. It was a real big shock for me… I wanted to know the secret of this mystery; I didn’t even know what this harmony was called until 2 or 3 years later, I learned more about this music.”

LEXNEWS : “You perfectly know that Debussy was influenced by Japan Culture and you ‘ve been yourself influenced by this musician, nice cross over !”

Ryuichi Sakamoto : “Yes, naturally, that happens all the times in music if you think with Portugal and Brazil and a lot of other countries. For me culture is all about that. That’s my belief that there is no pure culture in this planet. It’s always integrated and influencing each other, north and south, east and west. There is no barriers, no strict lines…”

LEXNEWS : “Your creations doesn’t reject your traditional Japanese culture which is always in the background of your music”

Ryuichi Sakamoto : “Maybe you can imagine that after the war, in Japan, the society was really americanized. I was born in 52, so just same as all the Japanese boys of my age I didn’t hear almost any of traditional Japanese music at that time. Maybe it’s coming back know, with the trendy Japanese kids ! (Laughs) But at that time, when I was young, everything was very westernized. With the shock of the war, and the defeat, the Japanism was upside down you know. Can you imagine that the Japanese Emperor was the god and after that day of the defeat, the Americans began to be another god! Adults hated everything Japanese and choose everything with American society and culture. I grew up in that kind of atmosphere. Then, the new generation came, after the 70’s, more established and were more influenced by this. My knowledge is primarily western but I still have of course a sense of Japaneseness in terms of silence and timber. The silence between the notes is very important for me like John Cage music. This composer strongly influenced me after my meeting with Debussy music. Steve Reich inspired me too, they were all new generation of composers for a young boy like me and they deeply knew the Japanese culture and in a certain way I found this Japanese ground with their music! ”

LEXNEWS : “People know you, specially here in France, for your first film and music composition for the cinema with Merry Christmas Mr. Lawrence / Furyo of Nagisa Oshima. How do you judge the importance of this film, 28 years after?”

Ryuichi Sakamoto : “I wasn’t so naïve and pure at that time ! I thought this film would be a very strong tool to convey my music to every corner of the world. Cinema is so powerful and it contains a story with the music, everything was gathered to be broad of the world. I knew that! It was part of the reasons I accepted this offer of acting in this film. But of course, the major reason was the excitement to act with David Bowie and Takeshi Kitano. I was a big fan of Oshima films from my earlier years since I was 16. I never thought I would work with Mr Oshima, it was a great experience beside my personal interest about music. You know shooting was done first and then I started writing music. It took us two months of shooting and every day I tried to get direct inspiration from the shooting: the landscape, the actors… I even tried to look through the camera to find something but without result! (Laughs…) The most fun memory of the shooting was when I jammed with David Bowie playing guitar and I, drums! Everything concerning music was done after the shooting but it’s obvious that the shooting period on this little island in south Pacific with David Bowie and the other actors was a strong experience for the composition of my music. It took me three months to write the music.”

LEXNEWS : “Your last album is called out of noise. One more time, you associate in a subtle manner ancient music, your rich experience of electronic music and ecological interests.”

Ryuichi Sakamoto : “I don’t have any rational answer to link all of these influences but what I can say to you is that those elements are very important for me now. Early music, like Medieval, Renaissance and early Baroque music are very new to me because I grew up with the knowledge from Bach. There were almost no recordings of early music.”

LEXNEWS : “We even recognize ancient instruments in some of your music like Consort Viola di Gamba”

Ryuichi Sakamoto : “Yes, I was directly influenced with those music and instruments and I even recorded with the English consort, introducing some ancient instruments. I am a big fan of Jordi Savall music ! Nowadays, there are a lot of early music recordings but I still enjoy finding new recordings of it. I really love the resonance of these instruments. There must be some links deep inside me about ancient music and ecology, but it’s very hard to explain it. Certainly as I get older, it’s a natural process of living, to think more about the earth, the life and all these linked with music. Everything is related for me and as music is my way of expression, I tried to develop my actual interests in my compositions.”

LEXNEWS : “Your music for piano often offers a strange alchemy of nostalgia, sadness and in the same times expresses a deep hope about of life. Does this instrument symbolise your feeling about life”

Ryuichi Sakamoto : “That’s too much compliment for me ! Thank you so much for that… Ten years ago, I began related with ecological problems and I looked forward about our future and my children’s future. I’m very worried about the environment for the future generations. I’m very despair about our civilisation but I don’t want to give up, I have to have some hope about humans. I don’t trust mankind intellectuality because we are not perfect. We made so many mistakes and in the same time my hope is that mankind will find a way to survive anyway and music is a strong element to help this. I really think that without music and culture, there will be no future for us. So I do have hope but I’m not optimistic!”

LEXNEWS : “Your music wishes to express an ecological message. are you influenced by shintoism ?”

Ryuichi Sakamoto : “First of all Shintoism is the official religion of the imperial Japan. In that sense I don’t follow this. But of course Shintoism is based in very ancient beliefs: every little thing has anima”

LEXNEWS : “Is that what the term kami refers to ?”

Ryuichi Sakamoto : “Yes, absolutely! the air, a tree, a rock, all those elements have anima. I think it’s a very Homo sapiens tendency that you find in Africa, in Celtic cultures… In that way, this way of thinking has an influenced on my music but I’m always careful with Shintoism for the political reasons you know. I still have a deep sense of silence and other deep feelings that influenced my music.”

LEXNEWS : “What are your passions in culture aside music ?”

Ryuichi Sakamoto : “Unfortunately, I have no talent for other arts. I enjoyed seeing cinema, dance, reading books… You know my father was a book editor and he worked with Mishima. The environment in my home when I was a kid was a full of books!”
 

LEXNEWS : "Ryuichi Sakamoto, Dômo arigatô gozaimasu !"

 

Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

Tous droits réservés

 

Un petit message de Ryuichi pour nos lecteurs

( a small message for our readers written by Ryuichi !)

www.sitesakamoto.com

© Lexnews - septembre 2011

 

 

Interview Henri Chalet

Notre Dame de Paris

24 Novembre 2015

Henri Chalet, chef de chœur et directeur de la Maîtrise de Notre-Dame a eu la gentillesse de nous recevoir en préambule au concert du 24 novembre. Occasion pour nous d’explorer et mieux comprendre son travail, son parcours, sa personnalité. Occasion aussi de présenter la Maitrise de Notre-Dame.

près l’Amérique du Nord début octobre, vous vous orientez vers un programme qui part vers le nord de l’Europe et la musique scandinave. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?


Henri Chalet : "De fait, la Maitrise de Notre-Dame de Paris entretient une collaboration régulière avec celle de Radio France et ce à l'instigation passée de Lionel Sow. C'est un partenariat entre deux chœurs qui fonctionnent bien ensemble, avec un son et une patte sonore qui prend vite. Bien entendu, je voulais continuer et poursuivre cette collaboration fructueuse avec Sofi Jeannin et la Maîtrise de Radio France. Par conséquent m’est venu l'idée que nous pourrions profiter des origines suédoises de Sofi Jeannin pour partir dans un programme autour du Grand Nord et mettre sur pied ce cycle de deux dates, dans la même thématique que les autres concerts autour des influences de Bach sur Mendelssohn. Ce seront trois dates importantes dans l’année, offrant un regard croisé entre les motets de Bach et ceux de Mendelssohn. On connaît évidemment toute l’histoire sur ce dernier qui a retrouvé, entre autres, les partitions de Bach alors un peu dans l’oubli. Je pars donc dans la même idée « d’influence », mais cette fois-ci, ce sont les Romantiques allemands qui influencent les musiciens du Grand Nord. Cela commence avec Grieg, évidemment qui est le plus marqué de cette empreinte. Puis, on voit comment cette musique évolue de manière plus contemporaine avec Lindberg, avec Sisask, etc. D’où cette idée de faire deux programmes en un et voir ce qui fonctionne."

 



Donc partir de Bach pour remonter jusqu’à Stockholm, voire plus haut…

 

Henri Chalet : "Exactement. C‘était une thématique globale sur ces influences qui devait se faire sur deux soirs. Mais, suite aux évènements tragiques du 13 novembre, nous avons bien entendu reporté le premier concert. Il sera quand même chanté par le chœur d’enfants dirigé par Emilie Fleury le Mardi 26 janvier 2016 à 20h30 à la Cathédrale."

Y aurait-il une esthétique nordique du XIXe et XXe s., un fil conducteur, un dénominateur commun dans toute cette production musicale depuis Mendelssohn ?

Henri Chalet : "Avec Mendelssohn comme point de repère, ce que je ressens de très fort chez Grieg, c’est l'expression romantique. Ainsi, dès les premiers accords, on sent tout de suite qu’on est dans un paysage nordique, on imagine le paysage froid, très blanc, on voit tout de suite cette couleur qui apparaît au bout de trois enchaînements harmoniques spécifiques à ces compositeurs. Ensuite, dans les compositeurs suivants, ce lien est toujours présent avec le passé parce qu’il y a vraiment une volonté de force harmonique stable, des accords très structurés où on est à l’aise, ancré, et en même temps, cette envie de s’écarter de la tonalité par moment."

Pour aller où ?

Henri Chalet : "Dans des passages qui sont quasiment de l’atonalité. Par exemple chez Nystedt où, alors qu'il navigue dans un panorama très tonal, d'un coup il s'égare pour installer une tension, et là, on ne sait plus vraiment où l'on est. Mais sa force expressive est qu'il revient toujours sur quelque chose de rassurant. A ce niveau, il va plus loin que les romantiques, puisqu'il s'écarte vraiment de la tonalité avec des passages où il n'est pas possible de chiffrer les accords de manière académique. Ce n'est plus un univers d'accords classés. Et c'est toujours ce balancement entre ces deux univers, où l'on a quelque chose de franc, qui recherche l'efficacité et non pas la complexité, ce côté stable avec une couleur tonale, et puis d'un coup, quelque chose de lointain, mais pour mieux revenir. Cela n’a pas pour but la dissonance à tout prix, la dissonance pour la dissonance. C’est ce qui permet à l’auditeur d'être très réceptif à cette musique, même s'il ne la connaît pas. C'est aussi en partie notre enjeu de donner envie au public de venir grâce à Brahms et Mendelssohn pour lui faire découvrir cet autre patrimoine musical scandinave, excessivement connu dans le Grand Nord et qui mérite de l'être aussi chez nous."

Ce sont deux liturgies différentes puisque la Scandinavie est majoritairement protestante...

Henri Chalet : "Effectivement, ne serait-ce que par l'architecture. Il n'y a pas de grande cathédrale comme Notre-Dame en Suède. C'est un patrimoine plus récent que le nôtre, mais qui s'ancre dans l'histoire des pays voisins."

 

 

Sur l'ensemble de ce programme, y aurait-il une œuvre qui vous tient à cœur, qui vous a fasciné, que vous avez découverte ?

Henri Chalet : "Il y a des œuvres que je connaissais bien, comme les motets de Mendelssohn, qui sont quelque part des "tubes" pour nous, des pièces que nous nous devons de chanter régulièrement, parce qu'il faut que nos chanteurs aient ce répertoire. Ils ne peuvent pas partir de la Maitrise sans les avoir chantés. Il ya aussi des œuvres données moins souvent comme la Missa Canonica de Brahms, travail d'écriture de jeunesse, extrêmement intellectuel, avec le jeu du canon, double, triple. La fugue du Kyrie est impressionnante par la combinaison de trois sujets, autant de contresujets, en rétrograde, en renversement. Pourtant, malgré cette écriture très intellectuelle, il y a une force romantique qui en surgit avec bien sûr la couleur harmonique propre à Brahms, sans lourdeur. Cela me marque d'autant plus que nos deux chœurs arrivent à faire un travail que j'estime remarquable sur cette œuvre difficile au niveau de l'intonation et a capella excepté le Kyrie. Le thème de la fugue de l'Agnus Dei, que Brahms réutilisera, notamment dans Warum est redoutable quant à l'intonation, le chœur est toujours sur un fil. C'est la chance d'avoir les maîtrisiennes de Radio France. La direction de Missa est un travail dense et méticuleux. Elle demande énormément de vigilance entre la juste direction des phrases et pour chaque voix prendre sa place au bon moment quand c'est un thème et s'effacer pour laisser la place à une autre voix qui reprend le thème par tuilage. Par bonheur, nos chanteurs sont des musiciens très réactifs et comprennent le message premier passant à travers chaque thème. Pour les pièces nordiques, j'aime beaucoup O Crux de Nystedt, que Sofi Jeannin m'a fait découvrir, avec ce départ à l'unisson suivi par de nombreuses dissonances qui aboutit d'un coup sur un accord parfait venant de nulle part. Cela me fait penser à ce que d'autres compositeurs ont pu faire dans la représentation musicale de la Genèse, partant du Chaos par des agrégats dissonants et arrivant à la Création du Monde sur un accord parfait, comme dans les Eléments de Rebel, œuvre qui sonne étrangement très contemporaine, bien qu'elle date du XVIIIe s., avec des clusters dans tous les sens pour parvenir à des accords parfaits. De plus, dans O Crux, le texte fait référence à la croix, mais de manière étonnante "oh douce croix, doux clou de la croix". C'est vraiment un tour de force que de susciter tant de douceur avec l'histoire si douloureuse de la Passion et du Christ sur la Croix"

Pour cette saison, quelle est votre ligne directrice ? Disposez-vous d'une marge de liberté avec les contraintes liées à l'année liturgique ?

Henri Chalet : "Nous voulons d'abord et avant tout, proposer un panorama extrêmement large qui va du XIIe au XXIe siècle. Pour ne parler que de cette année, il y a en premier cette volonté de perpétuer et consolider les collaborations avec d'autres ensembles, le Jeune Chœur de Paris en octobre, aujourd'hui la Maitrise de Radio France, de même, l'orchestre du Pole supérieur de Paris et du CNSM pour la Passion selon Saint-Jean, ou encore l'Orchestre de Chambre de Paris pour le Requiem de Fauré. Tout cela permet de construire des thématiques. Soit l'idée vient de nous, soit d'eux, avec toujours la contrainte d'adaptation au temps liturgique. On essaie également de créer des mini-thématiques dans l'année comme celle des " influences" sur plusieurs concerts avec la mise en parallèle des motets de Bach et Mendelssohn, le voyage vers le Grand Nord. Il y aussi des concerts en relation avec les grands évènements sacrés. Cette année est marquée par l'ouverture de l'Année Sainte et de la Miséricorde.
De fait, proposer une thématique globale annuelle n'est pas un but premier, notamment pour des raisons pédagogiques. Nos étudiants, enfants ou jeunes adultes se doivent de passer entre deux et six ans parmi nous en ayant parcouru le plus d'époques et de styles musicaux. Nous sommes avant tout une école et la saison n'est que l'aboutissement du travail pédagogique. Bien entendu, nous sommes très marqués par le fonds historique médiéval de notre institution avec l'Ecole de Notre Dame et le chant grégorien travaillé avec Sylvain Dieudonné. Il y a aussi cette envie de parcourir toutes les étapes, les styles et les périodes jusqu'au contemporain. Cela afin de préserver le lien avec notre temps, parce que le répertoire continue de s'enrichir."
 

Quelle place a pour vous la création contemporaine d'œuvres liturgiques qui vient fréquemment enrichir vos programmes ?

Henri Chalet : "Il y a deux axes. Le premier, le plus aisé sur le plan financier, est institutionnel et lié à l'aide à la création par les subventions. Le deuxième axe, bien plus difficile sur le plan financier, est de reprogrammer des créations, comme par exemple, Le Dernier Evangile de Thierry Escaich, en juin dernier, qui fut créé il y a dix ans, et donc sans aides aujourd'hui. Ce qui m'intéresse, c'est d'arriver à faire vivre ces pièces et de les faire découvrir au du public quand elles sont d'un très grand intérêt. Dans la même idée, pendant le Jubilé, nous avions fait commande de motets pour le chœur d'enfants auprès d'une quinzaine de compositeurs et il me semble important de les faire réentendre, soit en concert, soit dans le cadre de la liturgie (...)

(...) Cette année, nous fêtons les 25 ans de l'association avec une création de Jean-Charles Gandrille, organiste d'Auvers sur Oise à qui nous avons passé commande pour le mois de juin d'un Magnificat, pièce dense d'une durée de vingt minutes. C'est important de nourrir et d'enrichir le répertoire. Nous essayons aussi d'aborder tous les styles de musique contemporaine, avec leur spécificité et difficultés techniques."

 

Qu'est-ce que vous appelez difficile ?

Henri Chalet : "C'est d'abord et avant tout l'atonalité. Les repères pour nos chanteurs sont plus complexes à appréhender. Cela leur demande plus d'énergie et de temps de préparation. C'est un travail de formation de l'oreille qui sous-entend un temps de mise en place plus approfondi que pour des œuvres écrites dans un langage musical tonal connu par eux. Il y a aussi la nouveauté de la création, pas de point de référence sur lequel s'appuyer. Nous sommes les premiers maitres d'œuvres…".

Vous possédez une solide formation musicale. Vous avez été organiste, et maintenant vous êtes chef de chœur. Qu'est-ce qui a motivé votre passage de l'instrument à la voix ?

Henri Chalet : "Tout s'est fait en parallèle. Enfant, j'ai commencé par chanter dans la Maitrise de Saint-Christophe, dans le 15e. A la même époque, j'ai débuté le piano. Puis le chef de chœur a changé. Comme il était organiste, il a suscité en moi l'intérêt pour l'orgue. J'ai poursuivi ma scolarité en CHAM, puis des études d'écriture au CNSM et des études de chef de chœur tout en continuant à chanter. Ce parcours m'a permis d'acquérir le bagage pour le poste que j'occupe aujourd'hui et me donne une vison globale en tant que chanteur et instrumentiste. Cela me permet de dialoguer aisément avec les organistes. Le poids de ce poste m'a néanmoins forcé d'arrêter d'être organiste à Versailles en raison de la charge de travail phénoménale mais passionnante que cela exige."

Qu'est-ce qui vous passionne dans la direction de chœur ?

Henri Chalet : "Ce que je trouve génial, c'est de pouvoir façonner une sonorité avec des gens qui proposent chacun quelque chose de différent. Là où le travail d'organiste est plus solitaire, là c'est un travail collectif qui ouvre au rapport humain, à la gestion d'un groupe. Il faut aussi savoir tenir une équipe pédagogique d'une vingtaine de professeurs qui m'épaulent entre théâtre, chant, solfège, formation musicale. C'est aussi de réfléchir à des projets, organiser une saison. J'ai la chance de profiter de moyens rares, d'un lieu d'exception avec une acoustique certes difficile et énormément d'exigences et de pression. Car nous sommes visibles et qu'il n'y a pas de droit à l'erreur, même si nous avons beaucoup de moyens pour assumer tout cela. J'aime prendre en main et mener jusqu'au bout. Il faut faire preuve de charisme, gérer l'instantané et avoir une vision à moyen terme sur les années à venir. Je suis déjà en préparation des deux saisons prochaines. La difficulté est de viser quelque chose de proche et de réfléchir à quelque chose de lointain. C'est un présent-futur continu."

 

 

A quoi êtes-vous le plus attentif dans votre direction de chœur?

Henri Chalet : "Mon principal combat, mon envie, est de faire comprendre aux chanteurs que le chœur n'est pas quelque chose de fatiguant pour la voix, contrairement à toute une époque durant laquelle de nombreux professeurs de chant prônaient l'inverse, mettaient l'accent sur la carrière soliste. Mon souhait est de faire comprendre que chaque membre du chœur est un pilier, que pour un son homogène, le talent de chacun doit se révéler, que deux timbres riches créent un timbre encore plus riche. La difficulté est de trouver un timbre, une couleur, en révélant chaque chanteur au sein du chœur en développant une écoute de chacun. C'est le mariage, la lumière du timbre, la force de chaque harmonique dans chaque voix qui concourt à un grand timbre homogène. C'est bien sûr un travail complexe, remis en cause régulièrement avec le réapprentissage des voix, dont je dispose en face de moi puisque tous les ans le chœur se renouvelle. Il y a toujours cette nouveauté en septembre, ce temps de reconstruction. C'est un travail passionnant avec un résultat différent à chaque fois."

Vu le large répertoire de chaque saison, quelles sont les grandes difficultés ?

Henri Chalet : "Nous essayons de garder et proposer pour chaque concert une cohérence d’époque. C'est plus difficile pour les choristes, surtout les plus jeunes, de naviguer sur un concert entre des styles trop opposés. Dés lors, nous privilégions des mini-sessions d'organisation temporelle de travail, pendant un mois, une semaine, en nous focalisant sur une époque donnée pour rechercher une couleur homogène et appropriée au style abordé. Il y a aussi tout le travail fait avec l’aide d’Yves Castagnet pour affiner l’écoute de nos chanteurs. Cela a pour but de leur apporter et leur faire acquérir des automatismes liés aux styles travaillés. Ce qui est formidable par un tel brassage de répertoires, avec aussi celui des offices, est que le chœur arrive à un niveau d’efficacité qui n’est pas toujours présent ailleurs dans d’autres formations. C’est certainement un de nos points forts que d’être capable de trouver la couleur juste en rapport avec le style abordé en une session de répétitions. Et cette capacité et compétence, deviennent pour nos chanteurs de plus en plus évidentes au fur et à mesure de leurs études. Cela nous donne une grande polyvalence entre le lyrisme vibrant pour certaines pièces et voix, plus lisse pour d’autres. Nos chanteurs apprennent à savoir moduler et jongler avec leurs techniques vocales grâce à nos professeurs très compétents qui arrivent à leur transmettre ce savoir."

Quelle est votre approche lorsque vous travaillez et vous appropriez pour la première fois une partition ?

Henri Chalet : "Tout dépend de l’époque. Pour le classique ou le romantique, l’univers tonal, la lecture est toujours assez évidente. Les repères sont faciles, l’expérience me permet d’entendre harmoniquement la partition. La construction de l’idée musicale est assez rapide. C’est bien plus difficile pour une création, parce que le voyage tonal est plus complexe avec parfois des effets de bruitage plus longs à assimiler. Et puis parfois, on croit entendre quelque chose, et arrivé devant le chœur, l’idée que l’on se faisait de tel ou tel passage, assemblage de motifs et de percussions, est totalement autre. Il faut alors être réactif. La grande difficulté pour un chef est à la fois d’être volontaire dans le geste pour donner l’impulsion rythmique, et en même temps, d’être dans l’écoute pour analyser tout de suite les différences entre notre projection intérieure de la partition et le résultat du déchiffrage réel. Il faut dépister les erreurs d’intonation, de texte, de couleurs de voyelles ; bref, beaucoup de paramètres, de micro détails à régler en même temps pour que le tout fonctionne. C’est un processus de hiérarchisation des priorités qui se résout au fur et à mesure des répétitions et de la préparation. C’est aussi un rapport d’ajustement de l’énergie du groupe avec la fatigue normale de l’organe vocal. Il faut être à la fois très vif et meneur sans surexciter vocalement les chanteurs et s’acharner sur un passage délicat. Ce sont des grandes théories qu’on apprend au conservatoire et que l’on acquiert par la pratique. Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi mes professeurs ont tellement insisté sur ces points. Forcer est contreproductif, déconstruit. C’est donc une question d’expérience de pratique quotidienne. Il y a aussi les pièces revisitées que je ne reprends pas de la même manière. Je vais plus vite parce que je connais déjà les problématiques des passages délicats. C’est vraiment encore une fois, une question d’expérience qui rend efficace, fait gagner du temps. Cela passe aussi par des remises en question de l’approche musicale, par exemple le choix d’un tempo. Là dessus se rajoute le facteur de l’énergie du moment. Novembre n’est pas juin : la saison influe sur mon énergie propre ainsi que sur celle du chœur : fatigue, grisaille et froid de l’hiver contre lumière et chaleur du printemps."

 


Pour conclure, avez-vous un répertoire préféré, une œuvre fétiche, un programme idéal ?


Henri Chalet : "Globalement, je fonctionne par période dans laquelle je m’immerge pratiquement en overdose, puis que je mets ensuite de coté, des vagues dont je me rassasie à outrance. Je me laisse ensuite le temps nécessaire avant de m'y replonger. De la même manière, si j’adore un disque, je vais l’écouter jusqu’à saturation. A coté de cela, il y a des œuvres du répertoire choral que je considère être des « eldorado ». Typiquement, je pense à la Messe du compositeur suisse Franck Martin, œuvre de 1924 trop méconnue, mais qui, à mon avis, est proche de la perfection et que je place comme un chef d’œuvre du XXe siècle. Ce qui fait aussi l’intérêt de cette messe, c’est que le compositeur avait gardé cette pièce, car il voulait que cela soit un acte posé entre juste lui et Dieu. Comme je suis également organiste, j’ai eu la chance de voyager dans toutes les époques et de faire beaucoup de continuo et de baroque. Bach reste pour moi un compositeur virtuose mais génial. J’ai aussi beaucoup d’affection pour le romantisme. De même, la musique française du XXe s., Duruflé en particulier, me parle beaucoup, sans doute par son union intrinsèque de plusieurs esthétiques. Poulenc, aussi, est magnifique et génial, comme son Dialogue des Carmélites que j’ai toujours plaisir à entendre. Mais pour répondre à votre question, si je devais choisir, cela serait la Messe de Frank Martin. La pièce est tellement exigeante. La totalité de l’œuvre est a capella, en double chœur et nécessite un très grand effectif avec des voix très solides et une somme énorme de préparation. C’est un de mes rêves que j’espère bien réaliser un jour que de pouvoir la programmer."

 

Propos recueillis par Jean-Paul Bottemanne
 

 

 - Lire la chronique du concert du 24 novembre 2015 -

www.musique-sacree-notredamedeparis.fr

 

Interview Thierry Escaich

Saint Etienne du Mont, Paris.

© Lexnews

Une rencontre avec le compositeur et organiste Thierry Escaich ne laisse jamais indifférent. Aimable et accueillant, vous savez pourtant qu'une multitude d'accords et de notes tourbillonnent dans son esprit et dont la seule évocation le transporte vers des horizons à lui seul accessibles. Et pourtant le musicien et compositeur a la vocation de transmettre sa musique et la musique de manière générale. Cette générosité se fait tant au concert qu'au cours de ses enseignements, dans ses enregistrements et lors des rencontres comme celle qu'il nous a accordée et au cours de laquelle il a eu la bienveillance d'ouvrir le laboratoire de ce monde intérieur merveilleux où les plus belles créations prennent naissance. Rencontre avec l'un des plus talentueux compositeurs de notre époque...
 

 


omment devient-on organiste au XX° siècle ? Et quelle est la perception de cet instrument aujourd’hui par les jeunes musiciens que vous formez ? »

Thierry Escaich : "Le soutien de ma famille a été essentiel pour ma vocation. Avec mes parents, j’ai suivi très jeune les offices, ce qui a eu pour effet inévitable de me faire découvrir l’orgue. Ces premières années, avant l’âge de sept ans, ont ainsi été déterminantes et ont fait de l’orgue le premier instrument de musique classique que j’ai pu entendre si souvent. Par la suite, j’ai ressenti le besoin d’avoir un instrument pour m’exprimer. Cela aurait très bien pu en être un autre, mais c’est tombé sur l’orgue, certainement grâce à cette influence familiale que j’évoquais précédemment. Il faut que je vous précise, qu’à la même époque, j’avais également retenu l’accordéon, certes plus populaire mais que j’aimais. Pour quelles raisons ai-je préféré l’orgue à l’accordéon ? Je pense que mes préférences en tant que futur compositeur allaient déjà plutôt vers l’orgue, car il présentait un éventail complet dans ses possibilités d’expression. Vous pouvez, avec l’orgue, jouer seul en improvisant avec une dimension quasi symphonique. Par la richesse des jeux, la répartition avec le pédalier et les trois claviers, vous avez un vrai monde orchestral et sur ce point je rejoins totalement la pensée des compositeurs du XIXe siècle. La plupart d’entre eux, je pense notamment à Liszt, Brahms ou Bruckner, ont été organistes en raison de cette dimension orchestrale."

 

© Lexnews

 

On remarque souvent que les organistes sont également clavecinistes, qu’en est-il pour vous ?


Thierry Escaich : "Je fais exception à cette tendance, et pour moi, l’accordéon a été d’une certaine manière le substitut du clavecin ! Je n’ai jamais eu d’affinités avec cet instrument très certainement parce que je n’ai pas eu très tôt de rapports avec la musique ancienne, cette dernière est intervenue beaucoup plus tard dans mon parcours. En fait, je suis plutôt venu à l’orgue par le piano et ma manière de jouer ou d’improviser est très influencée par cette origine. Ces dernières années, j’ai appris à redécouvrir la musique ancienne en tant que compositeur, en m’inspirant et en intégrant certaines sources. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, la plupart des jeunes organistes aujourd’hui diffèrent justement des organistes des époques précédentes dans la mesure où ils sont ouverts à tout le répertoire, qu’il s’agisse de la musique espagnole du 17e siècle ou de la musique la plus contemporaine. Nous sommes vraiment dans une liberté la plus totale et l’orgue a peut-être ainsi retrouvé sa pleine expression trop souvent réduite dans le passé à son aspect « instrument baroque ». Cependant, il faut reconnaître que c’était quelque chose qui s’imposait à l’époque et j’ai beaucoup d’estime pour ceux qui l’ont réalisé notamment des personnes comme Isoir et Chapuis. Mais, aujourd’hui, je ressens en tant qu’enseignant au Conservatoire cet appel à une plus grande ouverture du répertoire concernant cet instrument. Ceci explique très certainement le fait que les classes d’orgue dans ces Conservatoires soient de plus en plus suivies. Évidemment, l’orgue peut encore être considéré par le public comme un instrument un peu poussiéreux, au fond d’une église, et mon rôle, ainsi que pour un grand nombre de compositeurs et organistes, est de démontrer justement qu’il n’en est rien. C’est très certainement pour ces raisons que j’ai beaucoup écrit pour orgue et piano ou encore orgue et accordéon pour remettre l’orgue dans un schéma musical ouvert. On peut le pousser en dehors de ses limites et il ne demande que cela !"

 

Vous avez très tôt composé vous-même de la musique, pensez-vous que cette sensibilité ait été favorisée par votre instrument et notamment l’art de l’improvisation qui lui est étroitement associé ?

Thierry Escaich : "Absolument, la pratique de l’improvisation a joué pour beaucoup dans le fait de devenir compositeur. Je me souviens, qu’à l’âge de trois ou quatre ans, j’essayais de reformer des harmonies et de les transformer avant même de connaître le solfège, de manière intuitive. Et il me semble que fondamentalement les frontières sont très fines entre improvisation et composition. J’ai toujours façonné moi-même les choses jusqu’au bout, même si, bien sûr, une dimension plus cérébrale est venue compléter cet aspect intuitif. Je pense, qu’une improvisation peut, tout en n’étant pas retranscrite, donner naissance à un geste d’improvisation que l’on retrouvera dans une œuvre par la suite, et réciproquement une composition peut être réutilisée pour une nouvelle improvisation. Il y a un jeu permanent entre les deux, même si je n’ai jamais pris une improvisation en tant que telle pour en faire une œuvre. Ce rapport à l’improvisation est vraiment lié à mon travail de composition. Parallèlement, je n’ai pas beaucoup écouté de musique, ni même interprété un grand nombre de compositeurs, j’ai plutôt le besoin de réinterpréter ces univers par moi-même, par le filtre de ma composition. C’est un peu mon processus créatif."


« Quelles sont les influences majeures dans la musique sur votre propre sensibilité musicale ?

Thierry Escaich : "J’ai beaucoup de mal à répondre à votre question, car il m’est difficile d’isoler un compositeur qui aurait une influence déterminante et bien marquée. Si vous prenez la musique ancienne, ce sont plus des couleurs qui m’ont influencé à l’image du Grégorien que j’ai tant entendu lorsque j’étais petit à six ans ou sept ans lorsque je me rendais à l’église voisine. Certains chocs ont eu lieu, je pense notamment aux Leçons de ténèbres de Couperin que j’ai accompagnées dans cette église même où nous nous trouvons (Saint-Etienne-du-Mont), ou encore certaines polyphonies de la Renaissance qui ont été à l’origine de certaines de mes œuvres, Baroque song par exemple. J’ai également souvenir lorsque j’étais adolescent de chocs causés par des musiques romantiques, Tchaïkovski notamment, avec ce lyrisme de premier degré dont j’avais besoin à l’époque. Je pourrais prendre également un exemple plus contemporain avec Bartók si important pour la notion rythmique et la liste pourrait être très longue si je pense encore au Requiem de Ligeti pour le traitement du son… Le spectre est assez large et en fonction de mes propres besoins, je vais retenir telle ou telle influence, sans pour autant en faire de pastiches." (...)

Biographie

 

Compositeur, organiste et improvisateur, Thierry Escaich est une figure unique de la scène musicale contemporaine et l’un des représentants majeurs de la nouvelle génération de compositeurs français. Les trois aspects de son art sont indissociables, ce qui lui permet mêler dans ses concerts création, improvisation et interprétation dans les combinaisons les plus diverses.

Comme compositeur, Escaich aborde les genres et les effectifs les plus variés, dans une quête incessante de nouveaux horizons sonores. Son œuvre comporte une centaine de pièces, qui séduisent un large public par leur lyrisme incandescent et leur rythme implacable. Se situant dans la lignée de Franck, Messiaen ou Dutilleux, et ne refusant pas les apports des musiques populaires ou les éléments d’inspiration sacrée, la musique d’Escaich témoigne avant tout d’un sens puissant de l’architecture formelle qui plonge l’auditeur au cœur d’une superposition de mondes sonores insolites. En 2013, il a été élu à l’académie des Beaux-Arts de l’Institut de France

(sources : www.escaich.org)

(...) Est-il possible de percevoir ce processus de création de manière explicite ?

Thierry Escaich : "Oui, je pense qu’une partie peut être mise en évidence. Il y a plusieurs manières d’évoquer ce travail de composition. Nous pouvons le faire en soulignant les sources d’inspiration explicites comme nous venons de le faire précédemment. Si vous prenez Bach par exemple, vous pouvez constater qu’il intègre tous les styles musicaux en fonction des voyages qu’il a pu faire, songez par exemple à son séjour en France et les influences de Grigny dans sa musique. De la même manière, je ne fais pratiquement aucune citation dans mon écriture, mais par contre je me laisse pénétrer par quelque chose d’extérieur. C’est véritablement passionnant et je partage cette conception de la composition, du créateur qui va ouvrir ses horizons, pour les oublier par la suite, et tout cela prend sens à un moment donné dans l’acte de composition. Certains compositeurs agiront pour leur part de manière plus conceptuelle en créant quelque chose par eux-mêmes, en faisant table rase de ce qui avait été fait avant. Il me semble évident qu’un compositeur part toujours de l’héritage laissé par nos prédécesseurs sans oublier ce que font d’autres compositeurs contemporains, mais c’est dans sa façon d’assimiler tout cela que se révèlera toute son originalité. Pour moi, un compositeur est un passeur. Mais bien entendu, on peut également considérer qu’un compositeur peut être un démiurge qui crée ex nihilo, ce qui n’est cependant guère fréquent dans l’histoire de la musique."

Il semble que les autres arts soient également invités dans l’expression créatrice de vos compositions.

Thierry Escaich : "Absolument, et en reprenant ce que je vous disais précédemment, j’ai pu constater l’influence manifeste du cinéma que j’ai toujours aimé dans un grand nombre de mes compositions. Si je pense à la manière de faire un film d’un Scorsese ou d’un Hitchcock, ce processus formel va entrer dans mon propre processus créatif, autant qu’une autre musique par exemple. La forme d’un film peut ainsi influencer grandement ma composition. Souvent d’ailleurs quand j’évoque mes œuvres, j’ai recours à des termes comme flash-back ou à des processus de superposition d’images des films des années 70 qui se retrouvent dans mes œuvres. C’est la même chose pour la littérature où des nouvelles de Buzzati vont s’intégrer ; je pense par exemple à cette nouvelle Les Sept Messagers où l’attente confine à l’absurde et influence grandement mon inspiration. C’est également la même chose pour la peinture où certaines de mes pièces ont été directement liées à des œuvres telle Vertiges de la Croix faite à partir du tableau La Descente de Croix de Rubens. Dans ce dernier exemple, la description et la construction du tableau ont directement influencé la pièce. Faisant écho à ce que nous évoquions tout à l’heure, je constate, à titre personnel, que je fais de moins en moins de différence entre l’art contemporain et l’art classique. Lorsque j’improvise à l’orgue ou en concert, je peux démarrer dans un style très classique, style Charpentier, pour arriver en quelques minutes au mien, beaucoup plus contemporain. Je n’ai jamais participé à ces querelles entre art contemporain et classique. Le fait d’être au XVIIe ou au XXIe siècle ne change pas grand-chose, j’ai toujours l’impression d’un même discours de base qui ne changera pas d’ailleurs. Lorsque j’enseigne la sonate au Conservatoire, je donne à mes élèves des gestes, des buts entre des éléments et des motifs que je viens de faire le matin en composant pour moi, ou en analysant une pièce de Ligeti, c’est exactement la même chose. Si la grammaire peut être un peu différente entre Beethoven et Ligeti, entre Beethoven et Bartók vous avez la même chose. La composition parle ce langage de toutes les époques."

 

Eglise Saint-Etinne-du-Mont / © Lexnews

 

Vous êtes titulaire des orgues de Saint-Etienne-du-Mont, vous avez composé des œuvres religieuses, quelle est la place du sacré dans votre musique et comment s’exprime-t-il dans vos compositions et dans vos interprétations à l’orgue ?

Thierry Escaich : "J’évoquais tout à l’heure mon parcours où très jeune enfant je me rendais avec mes parents à l’église. Cette influence a été bien entendu déterminante quant à la musique sacrée et au sacré de manière plus générale. Mais parallèlement, l’accordéon a représenté un instrument qui me plaçait tout à fait à part de cette dimension. Je suis donc arrivé à la musique par ces deux côtés, profane et sacré. Aujourd’hui, je constate un croisement qui se fait dans mon travail avec une façon de faire de la musique sacrée de manière un peu rythmée, des thèmes grégoriens qui se transforment et deviennent des valses… Cette part du sacré est donc bien présente ne serait-ce que par mes fonctions de titulaire de cet orgue à Saint-Étienne-du-Mont où j’accompagne chaque week-end les offices. L’habitude du rituel de l’Office, le fait de le suivre de l’instrument, a une influence dans mes pièces dont certaines prennent des titres comme  Antiennes oubliées. Je pense que c’est plutôt l’influence de la couleur du sacré, de l’entourage plus que le fond qui m’importe. Dans Le Dernier Évangile qui est un oratorio que j’ai composé, j’ai l’impression d’un dialogue avec des compositeurs qui ont été importants pour la musique sacrée, Bach bien entendu, ainsi qu’une recherche sur les textes comme le Prologue de saint Jean. À côté de ces œuvres, qui ne sont pas si nombreuses, j’ai recours à l’orgue pour des créations profanes. Il me semble que les organistes de ma génération, et ceux qui suivent, ont une autre image de l’orgue, à côté de celle traditionnelle de l’instrument maître de la musique sacrée. Nous contribuons, chacun à notre manière, par nos interprétations et nos créations, à élargir le champ d’expression de l’orgue et qui n’est pas forcément lié au sacré. Je vais souvent aux États-Unis, en Corée, pays où cet instrument a une autre image qu’en Europe. Je me souviens avoir fait une création à Philadelphie où l’orgue évoquait le Paris des années 1910 et 20… Il s’agit plus alors de mettre en avant cet aspect orchestral de l’instrument. Vous avez également dans mon œuvre des compositions intermédiaires, je pense notamment au Kyrie d’une messe imaginaire, une symphonie dont le titre évoque l’idée de recherche d’une transcendance, une question qui occupait Pasolini à la fin de Théorème en ne sachant pas si c’était une prière ou un blasphème… Ce questionnement me paraît essentiel."

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

 

Hommage Montserrat Figueras

C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris la disparition de Montserrat Figueras à l'âge de 69 ans. Cette grande dame de la musique ancienne était une habituée de nos colonnes où ces entretiens étaient toujours une source de lumière et d'espérance. Nous reproduisons toutes les interviews qu'elle avait généreusement accordées à notre revue en adressant à toute sa famille, Jordi bien entendu mais également Arianna et Ferran leurs enfants toutes nos condoléances et la certitude que sa voix jamais ne s'éteindra...

Interview Montserrat FIGUERAS

Lux Feminae

 A l'occasion de la sortie de son dernier disque "Lux Feminae 900 - 1600" (SACD, Label ALIA VOX, 2006), LEXNEWS a interviewé la grande artiste qui a bien voulu présenter spécialement à nos lecteurs cet hommage à la Femme par les plus belles pages de la musique ancienne !

 

 

 

LEXNEWS : « Comment avez-vous eu l’idée de créer un disque, et un superbe livre aussi tant le texte qui l’accompagne est richement présenté, à la femme que vous nommez femme de lumière ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « C’est en effet d’un hommage à la femme dont j’ai ressenti le besoin. J’ai beaucoup chanté des musiques dédiées à la femme, voire même composées par elle.

Toutes ces musiques font intervenir la femme sacrée, la femme de tous les jours, celle qui souffre et a de la joie. On a souvent parlé de la femme et elle-même a eu certainement moins de possibilité de s’exprimer directement par le passé. Cette femme que je chante, celle qui s’inscrit entre le IX° et le XVI° siècle a eu peu de place directement. Il y avait certes des moments de grandes lumières, mais ils restaient souvent très éphémères. Ces périodes fugaces sombraient souvent dans l’oubli, et il est nécessaire de recommencer pour percevoir de nouveau cette clarté fragile. Tout cela s’inscrit pourtant dans l’omniprésence paradoxale de la femme dés l’aube de l’humanité, dés le paléolithique avec des sociétés matriarcales où le symbolisme de la reproduction lui accordait une place essentielle. Elle fut également femme savante, déesse, magna mater, une femme reliée à la terre avec la maternité,… »

 

LEXNEWS : « C’est à la fois un témoignage et une consécration de la femme dans un XXI° siècle où la femme, dans nos sociétés occidentales, a trouvé une place proche de celle de l’homme ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Oui, absolument. Je pense que la femme depuis le XX° siècle a parcouru un chemin qui l’a amenée à une situation plus juste, même si au début de ce troisième millénaire, il me semble que nous n’avons pas encore trouvé l’équilibre parfait. »

 

LEXNEWS : « Le début du Moyen Age jusqu’à la Renaissance donne un rôle ambigu à la femme, le grand historien Georges DUBY qui a consacré de longues et passionnantes études à la femme au Moyen Age s’inquiétait de ne jamais parvenir à saisir réellement le rôle de la femme déjà parce qu’il était un homme et deuxièmement parce que l’essentiel des témoignages historiques provenaient eux aussi d’hommes. Qu’en est il de la musique ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Il est vrai que l’image de la femme avec sa féminité que l’Histoire nous a donnée, et que nous portons aussi génétiquement, me donne l’impression d’un personnage qui regarde mais qui ne s’exprime pas beaucoup. Si elle porte un regard sur les choses et les êtres, a un contact très fort avec la spiritualité, mais aussi avec la terre, son expression reste cependant limitée. Elle  est encore influencée par cette vision de l’Antiquité qui résumait la femme en trois femmes sans qu’aucune ne parvienne néanmoins à réunir à elle seule ces trois dimensions : la concubine, la mère et la femme savante. La concubine exprime la sensualité, la mère est la source des enfants et la femme savante pour le dialogue intellectuel. C’est une représentation de la femme qui est restée gravée très longtemps dans nos cultures sans que l’on puisse inverser ces limitations imposées par des rôles étanches. Cela a pu donner des images telle celle de la femme beaucoup plus belle si elle reste silencieuse ! Cela a fortement influencé la psychologie de la femme qui s’est trouvée obligée de regarder, comprendre et d’affiner cette sensibilité en raison du silence imposé. Mais cela lui a aussi fait du mal puisqu’elle n’a pas pu exprimer tout ce qu’elle ressentait avec une acuité accrue par l’absence de parole. Quelques rares femmes de lumière ont réuni ces dimensions en elles, mais la plupart du temps, la femme était réduite au silence. La femme andalouse avant l’époque occitane et celle des troubadours, lorsque elle était fille de roi ou de prince, pouvait atteindre la poésie ou la musique. Quelques esclaves pouvaient elles aussi après de nombreuses années passées au service de ses maîtres parvenir à s’exprimer dans un discours poétique et musicale. Mais, tous ces exemples restent limités dans l’Histoire au regard du reste des femmes emmurées dans le silence. Avec l’époque des troubadours sont apparues des Trobairitz, leur homologue féminin, mais là encore, ce ne sont quelques lumières fugaces qui n’ont pu s’étendre à l’ensemble des femmes de leur époque. Tous ces moments merveilleux étaient en même temps très fragiles : la société occitane qui avait vu naître ses femmes troubadours allaient très vite disparaître avec l’Inquisition. Et pourtant cette langue occitane avait donné les premiers poèmes dans la langue du peuple ayant atteint un niveau extrême de raffinement. »

 

LEXNEWS : « Que pensez vous justement du rôle ambigu que réserve l’amour courtois à la femme du Moyen Age ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Je pense que l’on retrouve en effet cette ambiguïté également chez les troubadours, mais aussi dans la pensée arabe à la même époque, et même antérieure avec l’amour soufi, un amour mystique. Cette recherche de l’aimé est un chemin de connaissance, de sagesse et un chemin vers quelque chose de supérieur et d’intouchable. Parallèlement à cette dimension, certes incomplète, on trouve aussi l’amour plus concret avec la danse pratiquée par les esclaves, l’amour libre aussi. Mais tout cela n’est que fragmentaire, rarement réuni en une seule personne et sur une longue durée. »

 

LEXNEWS : « A partir de quel moment avez-vous l’impression de constater une certaine plénitude quant aux aspirations de la femme dans les répertoires que vous avez pu abordés ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Je pense que si j’ai souhaité chanter des instants de lumière à travers cette longue échelle historique, j’ai conscience que les moments d’obscurité prédominent ! En fait, il faut bien prendre conscience du décalage entre ces grands instants d’aspiration de la femme à une plénitude de son être et ce que la société dans laquelle elle vit est prête à lui accorder.  En fait, c’est à l’époque du Siècle d’or que l’on pourra le plus entendre parler de la femme par le biais bien sûr des hommes. La femme a un rôle certain, elle est à la fois savante, mère, espiègle, sans oublier bien sûr ses contraintes quotidiennes. Les villancicos de cette époque, anonymes, nous offrent des textes féminins par excellence, ce qui nous laisse penser qu’ils ont probablement été écrits par des femmes. Cette connaissance de la femme s’exprime à travers ces chansons sans pour autant pouvoir laisser un nom de femme à ces œuvres. Nous avons eu également des témoignages admirables d’hommes sachant parfaitement exprimer ce que pouvait ressentir la femme. En effet, un homme équilibré peut parfaitement expliquer l’univers féminin. Tous ces villancicos du Siècle d’or regorgent de métaphores et de symboles sur la femme : Que ce soit à partir du Cantique des Cantiques avec la femme mal mariée qui invoque toujours la femme spirituelle, celle évoquée par Salomon dans ce très beau texte, la femme vierge et brune, humaine et divine également, la femme symbole de la rose sans les épines, la Vierge ou le buisson ardent qui ne se consume pas,… Tout cela est à la fois un langage plein de symbolisme et de poésie, mais en même temps cela conduit à une certaine forme de mystère entretenu par le silence de la femme. Si l’on cherche à qualifier ce qu’est la féminité, on cite le plus souvent sa faculté d’observation. Il est clair que la femme aujourd’hui, si elle trouve son chemin, elle ne doit pas le trouver dans la seule image masculine. A l’inverse, elle n’a pas intérêt à se limiter à la seule image féminine au risque de paraître hystérique et très fragile. »

 

LEXNEWS : « Comment la femme est elle représentée directement  dans l’écriture de la musique ancienne ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Si vous prenez la Sibylle par exemple, cela commence toujours par un chant en quinte ascendante. Il s’agit d’un chant essentiellement féminin, parfois confié à des enfants dans le cadre de l’Eglise. Ce chant qui commence avec cette quinte exprime parfaitement cette écoute au moment de commencer un récit. Lorsque je chante ces musiques, c’est toujours un grand moment où, pour moi, l’essence même de la femme s’exprime le plus. Il ne faut pas oublier aussi la danse associée à la musique, moyen d’expression de la femme depuis l’aube des temps, qu’elle soit esclave ou libre. Le planctus, le fait de chanter une plainte est également un comportement très féminin car c’est un moyen de préserver la mémoire vivante. Cela renvoie de manière plus générale à la nostalgie. Si vous prenez les Cantigas de Santa Maria, par exemple, il y a toujours une nostalgie qui s’exprime avec une expression de mysticisme du Nord de l’Espagne. La femme est habituée à perdre les êtres chers qui l’entouraient. Cette nostalgie dans ces musiques est pour moi très féminine, même si cela n’est bien sûr pas exhaustif.

 

LEXNEWS : « Voulez vous expliquer à nos lecteurs vos choix quant aux œuvres de ce disque ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « En fait, l’idée essentielle a été de célébrer la femme en étant accompagnée par d’autres voix féminines. C’est d’ailleurs une expérience que je souhaiterai vivement renouveler tant cela a été extraordinaire. Il y a dans ces chansons d’amigo l’idée pour la femme de chercher des confidentes, que ce soit la mère ou des amies. Nous avons ainsi chanté ensembles, cinq femmes, en parlant de choses intimes telles que cela pouvait se passer, je l’espère, autrefois. La mélodie est très simple mais sur cette base s’est littéralement établi un véritable dialogue. Nous retrouvons d’ailleurs cette complicité avec les réponses des femmes à la Sybille, un dialogue riche en découle ; Les jardins clos des monastères, où la Vierge est célébrée dans cet univers protégé est également un grand moment de complicité ; Il y a également la femme nouvelle qui converse avec l’homme qu’elle aime ; la femme ludique qui joue avec son corps et sa pensée,… Toutes ces pièces sont pleines de symboles et en même temps propices à la danse. Nous avons cherché à faire rejoindre la musique et la poésie. »

 

LEXNEWS : « Notre société a tendance en effet à distinguer ce qui autrefois était indissociable… »

 

Montserrat FIGUERAS : « Oui, tout à fait, et cela même à des époques plus proches de nous comme le romantisme allemand avec les lieders ou la musique française avec DEBUSSY et RAVEL. Pour la femme amante, je chante par exemple un poème de Um Al Kiram (XI°s.) auquel nous avons associé une musique de la même époque originaire de l’Andalousie. La tristesse est également très présente dans les textes des berceuses, où la mère profite à la fois des moments merveilleux avec son enfant mais elle sait qu’elle est seule pour profiter de ces moments en l’absence du père. »

 

LEXNEWS : « On revient finalement à cette idée par laquelle nous avions commencé l’entretien selon laquelle il manque toujours quelque chose à la femme pour être pleinement femme, quelle que soit l’époque considérée ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « C’est en effet une constante avec toujours cette idée qu’elle parvient finalement à s’en accommoder pour en faire finalement sa vie ! Si vous prenez la femme juive en Espagne, aux XIV et XV° siècles, elle avait pour tâche principale d’apprendre pour retransmettre à ses enfants et jamais pour elle seule. »

LEXNEWS : "Montserrat, merci pour ce bel hommage à la Femme, que nos lecteurs, femmes et hommes, apprécieront très certainement ! "

Et tout spécialement pour les lectrices de LEXNEWS :

(Lumière de Femmes, musiques et paroles libérées de l'homme, M. Figueras).

 

Les Interviews de LEXNEWS :  Jordi, Montserrat, Arianna et Ferran SAVALL, PARIS, 21/04/05.

© LEXNEWS

Rencontre familiale avec Montserrat, Jordi, Arianna et Ferran Savall, (seul manquait Pedro Estevan présent également dans le disque et avec le famille depuis l’origine d’HESPERION). Le thème inspirant du « Temps et de l’instant » était au programme de cette rencontre et du disque qui sort sous le label ALIAVOX.(à découvrir dans nos pages Disques)

 

LEXNEWS : « Vous voir réunis tous les 4 en famille est déjà une belle introduction au thème de votre disque temps & instant, comment percevez vous cette réunion de musiciens aux origines à la fois communes et pourtant  originales ?» 

Ferran : « Mon premier sentiment quant à cette réunion pour ce premier disque est l’idée de plaisir. C’est une expérience à la fois difficile et facile, en fait c’est la combinaison des extrêmes ! La communication est évidemment très intense puisqu’il s’agit de liens musicaux greffés sur des liens familiaux. Psychologiquement, les réactions sont très nombreuses avec ce genre d’expérience qui en l’espèce était une première pour le disque. » 

Montserrat : « Tu étais avec toi-même ? » 

Ferran : « Oui, tout à fait ! Cette expérience a en effet été totalement positive, car mon chemin était très différent de celui tracé par le disque. Mais en même temps, je pense que pour poursuivre cette voie qu’est la mienne, il était indispensable d’exprimer la musique ancienne dont j’avais déjà une expérience d’une autre manière. » 

Arianna : « Cette expérience était également très nouvelle pour moi car dans les précédents enregistrements il y avait d’autres musiciens, alors que pour ce disque les sentiments étaient très intenses avec ma mère, mon père, mon frère et Pedro. C’est un projet qui s’est en fait développé progressivement et qui n’était pas planifié. Cela fait trois ans que nous avons commencé le premier concert de famille à la Costa Brava dans une église magnifique. Cette première expérience a été si réussie que nous avons décidé de la renouveler plus souvent. A chaque fois le programme évoluait et le public semblait attendre une tel enregistrement. Nous avons introduit de nouvelles pièces, Ferran et moi, afin d’apporter notre propre vision. »

LEXNEWS : « Et le regard des parents sur une telle expérience, il y a forcement des émotions également très intenses ? »

Montserrat : « Oui, absolument. En premier lieu, je pense qu’il s’agit là d’une certaine continuité du dialogue mais d’une autre manière. La musique pour nous est toujours un dialogue. Depuis de nombreuses années, nous entretenons ce dialogue dans notre vie, tous ensembles. Il y a bien sûr une grande complicité et une grande connaissance les uns des autres, mais en même temps ce dialogue réserve toujours avec la musique de nombreuses surprises car nous sommes dans un autre état que dans la vie de chaque jour. Ce qui fait que nous pouvons découvrir de nouvelles choses sur des êtres que nous pensions pourtant bien connaître. En fait, en tant que parents, nous apprenons énormément de ce genre d’expérience. Le pari est de préserver cette intensité afin qu’à chaque fois l’expérience soit nouvelle. Il faut arriver à oublier parfois tous ces liens que nous avons, mais l’expérience du concert nous aide en cela. » 

Jordi : « Ce qu’il y a de très spécifique dans ce projet par rapport aux autres est que nous avons une grande liberté dans le même esprit que l’improvisation, et ce autant pour les pièces médiévales que pour les pièces modernes. Cette liberté nous a permis, comme le rappelait Arianna, grâce à l’expérience du concert de faire une sélection des pièces les plus intéressantes. Je pense que cette liberté était en fait ce qui permettait le mieux d’exprimer ce lien familial qui nous réunit. Le fil directeur de cet enregistrement était déjà dans le cadre du dialogue musical d’établir une connexion entre nous, ce qui n’est pas évident car nous avons des visions très différentes du fait de notre différence d’age, de notre manière d’aborder les choses… Mais il s’agissait aussi de comparer notre manière d’interpréter une pièce du XIII° siècle et de les relier à des morceaux de traditions populaires, de faire des ponts entre des musiques de leur temps et des improvisations de la Renaissance… Je pense que l’essence de ce travail ensemble a été d’établir des ponts entre des musiques d’inspirations différentes. »

LEXNEWS : « Votre dernier disque est intitulé « Du temps et de l’instant ». Si l’on prend la 1ère acception du terme « instant » cela renvoie à l’idée de brièveté et à la notion voisine « instantané ». Le temps à l’inverse fait penser à une plus longue durée. Comment avez vous décidé de rapprocher ces deux concepts introduisant une prise en compte de la durée différente ? » 

Jordi : « Nous avons retenu le temps et l’instant par la réalité des choses. D’une part, nous avons commencé en faisant des musiques d’un autre temps et donc qui viennent du temps et au même instant que nous touchons ces musiques, il se produit quelque chose qui n’est valable que pour l’instant présent de l’interprétation. Ces musiques anciennes deviennent ainsi des musiques d’aujourd’hui, de cet instant. En même temps nous avons introduit des musiques qui se sont créées à l’instant dans la manière même de faire la musique. Nous étions un jour tous les deux Ferran et moi dans un concert. Alors même que le concert était fini, nous avions une séance de photos et nous avons improvisé tous les deux pour les photos. Nous nous sommes mis d’accord et est né de cette rencontre une pièce qui a été reprise par la suite dans d’autres concerts et s’est développée à part entière. C’est ce genre d’inspiration d’un instant qui permet de donner naissance à une musique qui s’inscrira dans le temps. Nous avons pris une berceuse d’origine hébraïque que nous avions déjà enregistrée et sur laquelle nous avons également improvisé. C’est un peu cela notre manière de faire, nous souhaitons montrer que la musique est toujours un processus qui appartient à l’instant où elle est jouée et est le reflet de la vie de cet instant ; Mais, elle garde également un lien avec le temps qui permit sa réalisation. Cet instant même deviendra également du temps futur. Nous cherchons ainsi à établir des ponts entre le temps passé et le temps futur par l’instantané de ces musiques. » 

Monserrat : « Tout cela n’est en effet possible que parce que Arianna et Ferran ont à la fois une formation classique et sont en même temps imprégnés de leur temps et de leur âge. Leur apport est très enrichissant pour nous, ils ont des capacités d’improviser qui expriment la force de leur époque. L’idéal d’HESPERION a toujours été de faire de la musique ancienne dans le temps présent, et eux vont encore plus loin. Ils peuvent ainsi créer une musique de leur temps imprégnée de  tout ce qu’ils ont vécu et de l’expérience du passé. » 

Jordi : « Nous avons avec Montserrat cherché à improviser à la manière de l’époque médiévale, renaissance ou baroque. Nous n’avons jamais eu le besoin d’improviser à partir des musiques de notre temps. Pour Arianna et Ferran, c’est naturel. Au même moment qu’ils étaient bercés par la musique ancienne, ils ont écouté beaucoup de musiques de leur temps. Cette musique de leur temps leur a donné un certaine idée pour développer leur propre langage sans aucun complexe. Nous avons à l’inverse peut être plus « payé » le prix d’être étiqueté « musiciens de musique ancienne ». Ce qui forcément limite l’espace créatif ! »

LEXNEWS : « Le souvenir que l’on peut avoir d’une musique entendue au concert ou par un disque est il encore de la musique ou une perception psychologique de cet instant passé ? »

Arianna : « Quand j’étais petite, j’entendais souvent les répétitions à la maison. Nous écoutions en même temps beaucoup les radios surtout qu’à l’époque nous habitions en Suisse où nous pouvions entendre de nombreuses radios de différentes langues. Nous étions ouverts à de nombreuses sortes de musique. Je garde un souvenir ému de toutes ces musiques que j’entendais à la maison mais que je ne retrouvais pas dans ces radios. C’était pour moi comme des mélodies oubliées qui m’offraient un voyage dans le passé à travers le présent. C’est à partir de ces musiques que j’ai pu construire tout un imaginaire personnel. Je me souviens qu’à l’âge de 13-14 ans, ma mère avait chanté « Lamento della Ninfa » de MONTEVERDI avec cette basse obstinée qui se répète, une passacaille, la Ninfa se lamente car elle est abandonnée et trois hommes, tel un chœur grec, répètent sa misère. Des semaines après avoir entendu cet air qui m’a tant bouleversé j’ai improvisé sur cet air à la harpe. C’était un véritable voyage extraordinaire dans un autre monde. Avec cette expérience, cette musique initiale est devenue une autre musique par mes improvisations... » 

Ferran : « La musique ancienne interprétée par mes parents et que j’ai écoutée toute ma vie de manière consciente ou inconsciente n’est pas quelque chose qui appartient au passé mais bien une musique moderne. Elle a accompagné mon propre développement personnel et elle ne peut donc pas être une chose figée. Bien sûr, en grandissant, je me suis rendu compte que cet aspect vivant de la musique ancienne a fait l’objet d’une démarche spécifique de la part de Montserrat et Jordi. La manière d’interpréter une musique ancienne à partir des partitions relève toujours de l’instant présent, mais produit également cette réaction psychologique que vous évoquiez. Pour moi, c’est un peu comme les odeurs qui associent tout un processus psychologique. Quant on fait de la musique, on suit cette émotion pour retrouver et développer cette expérience. » 

Montserrat : « Pour moi l’essentiel est de vivre l’émotion du moment. Etre très ouverte à ce que le texte recèle comme émotion, le respect d’une histoire que l’on aime. » 

Jordi : « Chacun de nous a eu des expériences différentes dans sa vie, et d’une certaine manière chacune de ces expériences nous influencent dans notre façon d’être et le ressenti de la musique. En ce qui me concerne, j’ai toujours ressenti un besoin de chercher dans la musique quelque chose qui existait auparavant et qui me manquait. Je pense que c’est peut être quelque chose que j’avais vécu enfant lorsque je chantais et que j’étais entrain de découvrir des choses. Quand je fais de la musique j’ai toujours un souvenir qui se rattache à ces moments de pureté, en prenant une viole et en faisant des sons…A chaque fois que nous avons cherché des musiques, je crois que dans une certaine mesure je recherchais des musiques qui pouvaient m’apporter ce sentiment. C’est ce qui s’est passé par exemple pour les enregistrements de la Diaspora Sefardi : Nous avons regardé des centaines de mélodies pour n’en retenir qu’une vingtaine. Et ce choix comment s’opère-t-il ? Il y a tout un bagage du à l’expérience humaine qui nous rend sensible dans la façon dont nous chantons ou jouons. Nous portons toujours cela en nous un peu comme une personne qui part en voyage et emporte le livre qui lui permettra de se sentir lui-même. C’est à la fois personnel et en même temps pour nous quatre un lien commun qui nous rattache à notre histoire commune et  à nos sources. »  

LEXNEWS : « Comment distinguez vous  tempo et temps ? »

Ferran : « Le tempo pour moi est un rythme intérieur qui peut concerner non seulement la musique mais également d’autres éléments de la vie. Le temps est plus lié à la notion d’espace. »

Jordi : « Le tempo est ce qui donne la mesure du temps. Le tempo, c’est la pulsation du cœur et le temps, c’est la vie ! »

Arianna : «  Le tempo juste de la noire est souvent associé à la notion de cœur dans le discours théorique de la Renaissance. C’est en fait lié également à la parole. »

Jordi : « Et en même temps, le rythme du cœur change avec le rythme des émotions… »

Arianna : « le temps renvoie selon moi à la fois à l’instant qui passe mais aussi à la notion d’intemporel, d’un temps qui ne finit pas. »

Montserrat : « Le tempo pour moi est également une énergie, c’est le rythme, à la fois très lent ou rapide où l’on retrouve cette idée de pulsation qui vient d’une énergie. Le temps comme le relevait Arianna nous porte plus vers la notion d’infini. Le temps nous fait comprendre qu’il faut laisser beaucoup d’espace pour être inspiré, que nous devons profiter de cette notion de durée»

LEXNEWS : « Est-ce un message que vous souhaitez laisser à notre vie trépidante qui a beaucoup de difficultés avec cette notion de temps ? »

Jordi : « Oui, il nous faut à tout prix préserver ce temps et notamment pour avoir le temps de rencontres. »

Montserrat : « Il faut beaucoup de temps, d’espace, de patience et parfois même ne rien faire pour laisser les choses arriver… »

Les Interviews de LEXNEWS : Montserrat FIGUERAS, le 06/04/02 Paris. 

 

 

Photo : Philippe MATSAS

 

Nous avons eu le privilège d’interviewer en exclusivité pour LEXNEWS une grande dame de la musique ancienne : Montserrat Figueras, au lendemain du concert qu’elle avait donné à l’Eglise Saint Roch avec son mari, Jordi Savall, Marie-Christina Kiehr et Rolf Lislevand pour célébrer les 10 ans du film « Tous les Matins du Monde ». Le talent de la chanteuse impressionne toute personne qui aborde ce répertoire couvrant presque 10 siècles d’histoire ! Mais c’est un autre aspect moins connu que l’artiste a bien voulu livrer : la perception de sa passion et la transmission de son savoir. Un chant également riche de découvertes ! ! !

  

LEXNEWS : « Montserrat, vous venez de célébrer, hier, à l’Eglise Saint Roch, les 10 ans du célèbre film « Tous les Matins du Monde » : l’occasion étant tentante, voulez-vous vous prêter à l’exercice du bilan ? »

 

Montserrat FIGUERAS : C’est une date importante pour la musique baroque car ce film a contribué à faire partager une musique à un plus grand nombre. Ce fut l’occasion d’une rencontre extraordinaire avec Alain Corneau, Pascal Quignard, les acteurs, …

 

LEXNEWS : « Etait ce votre premier contact avec le cinéma ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Oui, nous avons beaucoup apprécié le tournage et toutes les personnes qui ont contribué à faire ce film. C’était merveilleux ! Certes, la musique baroque était déjà très présente dans notre vie quotidienne avec un public plus restreint. « Tous les Matins du Monde » a profondément modifié l’image de cette musique : ce film a littéralement rapproché cette musique et un public très sensible à ce répertoire. C’est en soi magnifique ! En effet, je me rappelle avec émotion l’effet qu’a pu produire ce film.

LEXNEWS : «  Comment expliquez-vous cette alchimie, l’image servant la musique et la musique mettant en valeur l’image ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Je pense que lorsque un film ou un spectacle expriment un message profond, emprunt de beauté, de spiritualité, et de connaissances, cela n’est pas forcément un événement grand public, et pourtant ce fut le cas avec « Tous les Matins du Monde » ! Cela prouve, qu’aujourd’hui, nous avons tous besoin de ces valeurs, quel que soit l’âge. Des enfants et des adolescents ont véritablement été séduits par ce film : cette expérience a été une véritable leçon ! Nous avons besoin de ces fondements.

 

LEXNEWS : «  Dans quelle mesure, ce film a-t-il  changé  votre vie de tous les jours ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Le premier changement apparaîtra certainement très futile : la joie et le fait d’être conscient que l’on réalise quelque chose de magnifique. Mais cela conduit également au fait d’être compris par un plus grand nombre de personnes, et ne peut ainsi laisser indifférent ! Le public qui s’est constitué à partir de ce film est un élément essentiel pour nous car ce public permet d’établir un véritable dialogue. Le fait de donner cette musique à des personnes qui l’apprécient est un élément marquant dans notre vie de tous les jours.

Evidemment à côté de ces bonnes choses, il y a tous les mauvais aspects de la notoriété, mais je pense que nous avons, Jordi et moi, fait en sorte d’associer le plus grand nombre de personnes à ce succès. Je ne pense pas que nous ayons été les ambassadeurs de cette musique : nous avons toujours partagé avec de nombreux musiciens.

 

LEXNEWS : « L’actualité internationale de ces derniers mois et de ces derniers jours, nous montre que l’accord entre les peuples est un lien fragile voire impossible dans certaines situations : vos recherches musicales ont permis de mettre à jour toute une culture méditerranéenne, culture qui exprime l’idée de synthèse heureuse entre les traditions, quel peut être alors le rôle de ces musiques en ce début du XXI° siècle ?

 

Montserrat FIGUERAS : La musique a ce pouvoir de transmettre un grand nombre d’émotions qui varient en fonction de chacun, mais elle ne transmet jamais un message. Elle appartient toujours à une vérité profonde, c’est à la fois un langage artistique et humain :  de ce fait c’est toujours une grande responsabilité !

Plus ces conflits sont présents, plus la musique apparaît être indispensable. Nous l’avons particulièrement ressenti ces derniers mois difficiles. Un véritable besoin de jouer cette musique ou de la partager en l’écoutant a résulté de ces grandes périodes de crises que notre monde a connues. Nous avons noté ce phénomène à tous les endroits de la planète où nous nous déplaçons. Cette musique séfarade s’adresse directement à l’esprit au delà des paroles. Elle est un facteur d’union qui transcende les oppositions. Elle exprime la beauté de la synthèse culturelle, de l’échange,… Elle démontre que tout cela est possible.

LEXNEWS : « Vous n’aimez pas le mot « message », mais cette musique est tout de même l’expression d’un accord possible ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Oui, la musique équilibre, et est également curative, donc elle entre directement dans l’être humain. En fait, elle a toujours existé ! Pythagoras en parle déjà en évoquant l’harmonie des sphères.

Cette harmonie peut être ressentie par des expériences personnelles. Je me rappelle avoir entendu une poésie russe récitée, poésie dont je ne connaissais pas la signification des mots et dont l’essence pourtant m’avait parlée droit au cœur ! La musique s’inscrit dans le même processus.

 

LEXNEWS : « Quels sont les conseils que vous pourriez donner à de jeunes artistes qui souhaiteraient se lancer dans l’interprétation des musiques anciennes et baroques ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Pour toute personne souhaitant se plonger dans ces répertoires, je pense qu’il est essentiel de s’imprégner de la culture de ces sources musicales. C’est, selon moi, une démarche prioritaire pour tout chanteur s’il souhaite comprendre ce qu’il fait ! Nous ne chantons pas, en effet, avec notre seul organe vocal, mais avec toute notre connaissance. C’est pour cela que ce travail est primordial. A partir de là, il est possible de donner vie à cette connaissance. Sinon, c’est un travail stérile sans vie, ce qui n’a pas grand intérêt !

Evidemment, c’est un travail très long, qui conduit à se tourner vers les sources littéraires, poétiques, picturales,… Parallèlement à cela, il y a bien sûr toutes les sources musicales : les traités de musique permettent au lecteur de plonger dans le contexte du répertoire à interpréter. C’est une démarche également passionnante, qui permet de retrouver des constantes entre les femmes et les hommes de cette époque et aujourd’hui, tout en notant des différences importantes. C’est la porte ouverte à un trésor de connaissances, de sagesse, de finesse, dont nous ne percevons, bien sûr, plus que le parfum !

Le conseil premier est donc de passer par cette voie enrichissante et indispensable à la compréhension et à l’interprétation de ces musiques. Ce sera une très belle aventure ! C’est un peu comme refaire une cathédrale, replonger dans nos racines, dans nos propres archives. Nous avons plus de 2000 ans d’histoire, et cela notre cerveau et notre être le sait ! Comment pourrait on autrement expliquer l’intuition ? C’est le vécu de toute l’humanité qui est en nous, mais que nous n’exploitons pas toujours. Si nous décidons de le cultiver, alors c’est merveilleux car nous avons tous cela en nous !

Je pense qu’il est également important de conseiller à de jeunes chanteuses et chanteurs d’aborder le répertoire baroque par la musique de la Renaissance. Cette culture italienne est très enrichissante avec la « Prima Pratiqua » et la « Seconda Pratiqua » à la manière ancienne et moderne avec Monteverdi. Il est très important de connaître ce que les Anciens faisaient et de récompenser leur immense savoir.

La Renaissance est ainsi une très belle école pour arriver au Baroque. Il faut se détacher, apprendre cette nouvelle ouverture. Il ne faut pas oublier, qu’à l’époque,  ceux qui ont composé le répertoire baroque avaient cette connaissance ! Sans cela, ils n’auraient pas pu faire ces nouveaux pas.

 

LEXNEWS : « Il ne faut donc pas faire table rase du passé et parvenir au Baroque par le répertoire postérieur ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Non ! Il ne faut pas arriver au Baroque en venant du Romantique ni même du Classique : il faut remonter plus haut. Je donnerai le même conseil à toute personne qui souhaiterait aborder la musique renaissance : il faudrait alors approfondir la musique médiévale. Il est également important, comme je vous le précisais tout à l’heure, de connaître le contexte de cette musique. Un exemple : le fait de savoir si cette musique était interprétée dans une Eglise, un petit salon ou une salle de 2000 personnes change radicalement la façon de l’interpréter !

Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir joindre cette connaissance historique à des enseignements scientifiques très poussés sur la voix. La voix est toujours le catalyseur d’une personne, elle exprime la richesse de chacun, à la fois sur le plan de l’émotion mais surtout des connaissances. C’est ainsi un chemin magnifique que d’éduquer une voix !

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Les projets sont très nombreux : la musique Séfarade à Strasbourg, la musique espagnole renaissance et baroque également avec un très beau spectacle pour Salamanque au mois de mai. J’interprète aussi beaucoup de Monteverdi. Je vais commencer un enregistrement ayant pour thème les berceuses pour enfants. Cet enregistrement part du moyen-âge jusqu’au baroque centré sur la Méditerranée. Nous avons retenu ce thème en raison de cette qualité hypnotique que peut avoir la voix humaine, pour calmer, rassurer ou faire endormir un enfant. C’est peut être le plus vieux dialogue au sein de l’humanité, celui d’une mère qui souhaite endormir son enfant !

 

LEXNEWS : « Parlez nous de vos activités d’enseignement, vous assurez régulièrement des master classes ? »

 

Montserrat FIGUERAS : Oui, traditionnellement ils se déroulent la première semaine de septembre à côté de Barcelone. Nous nous réunissons à plusieurs musiciens, c’est une formation très agréable car chacun apporte ce qu’il souhaite travailler ou faire partager. J’enseigne également au nouveau conservatoire qui vient de s’ouvrir à Barcelone avec un département de musique ancienne. Je donne également un cours chaque année à la Schola Cantorum à Bâle.

 

LEXNEWS : Montserrat, merci, je pense que nos lecteurs apprécieront la générosité de vos conseils. Nous nous ferons l’écho des prochaines dates de vos concerts ainsi que du détail de vos master classes.

Interview Montserrat FIGUERAS

Lux Feminae

 A l'occasion de la sortie de son dernier disque "Lux Feminae 900 - 1600" (SACD, Label ALIA VOX, 2006), LEXNEWS a interviewé la grande artiste qui a bien voulu présenter spécialement à nos lecteurs cet hommage à la Femme par les plus belles pages de la musique ancienne !

 

 

LEXNEWS : « Comment avez-vous eu l’idée de créer un disque, et un superbe livre aussi tant le texte qui l’accompagne est richement présenté, à la femme que vous nommez femme de lumière ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « C’est en effet d’un hommage à la femme dont j’ai ressenti le besoin. J’ai beaucoup chanté des musiques dédiées à la femme, voire même composées par elle.

Toutes ces musiques font intervenir la femme sacrée, la femme de tous les jours, celle qui souffre et a de la joie. On a souvent parlé de la femme et elle-même a eu certainement moins de possibilité de s’exprimer directement par le passé. Cette femme que je chante, celle qui s’inscrit entre le IX° et le XVI° siècle a eu peu de place directement. Il y avait certes des moments de grandes lumières, mais ils restaient souvent très éphémères. Ces périodes fugaces sombraient souvent dans l’oubli, et il est nécessaire de recommencer pour percevoir de nouveau cette clarté fragile. Tout cela s’inscrit pourtant dans l’omniprésence paradoxale de la femme dés l’aube de l’humanité, dés le paléolithique avec des sociétés matriarcales où le symbolisme de la reproduction lui accordait une place essentielle. Elle fut également femme savante, déesse, magna mater, une femme reliée à la terre avec la maternité,… »

 

LEXNEWS : « C’est à la fois un témoignage et une consécration de la femme dans un XXI° siècle où la femme, dans nos sociétés occidentales, a trouvé une place proche de celle de l’homme ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Oui, absolument. Je pense que la femme depuis le XX° siècle a parcouru un chemin qui l’a amenée à une situation plus juste, même si au début de ce troisième millénaire, il me semble que nous n’avons pas encore trouvé l’équilibre parfait. »

 

LEXNEWS : « Le début du Moyen Age jusqu’à la Renaissance donne un rôle ambigu à la femme, le grand historien Georges DUBY qui a consacré de longues et passionnantes études à la femme au Moyen Age s’inquiétait de ne jamais parvenir à saisir réellement le rôle de la femme déjà parce qu’il était un homme et deuxièmement parce que l’essentiel des témoignages historiques provenaient eux aussi d’hommes. Qu’en est il de la musique ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Il est vrai que l’image de la femme avec sa féminité que l’Histoire nous a donnée, et que nous portons aussi génétiquement, me donne l’impression d’un personnage qui regarde mais qui ne s’exprime pas beaucoup. Si elle porte un regard sur les choses et les êtres, a un contact très fort avec la spiritualité, mais aussi avec la terre, son expression reste cependant limitée. Elle  est encore influencée par cette vision de l’Antiquité qui résumait la femme en trois femmes sans qu’aucune ne parvienne néanmoins à réunir à elle seule ces trois dimensions : la concubine, la mère et la femme savante. La concubine exprime la sensualité, la mère est la source des enfants et la femme savante pour le dialogue intellectuel. C’est une représentation de la femme qui est restée gravée très longtemps dans nos cultures sans que l’on puisse inverser ces limitations imposées par des rôles étanches. Cela a pu donner des images telle celle de la femme beaucoup plus belle si elle reste silencieuse ! Cela a fortement influencé la psychologie de la femme qui s’est trouvée obligée de regarder, comprendre et d’affiner cette sensibilité en raison du silence imposé. Mais cela lui a aussi fait du mal puisqu’elle n’a pas pu exprimer tout ce qu’elle ressentait avec une acuité accrue par l’absence de parole. Quelques rares femmes de lumière ont réuni ces dimensions en elles, mais la plupart du temps, la femme était réduite au silence. La femme andalouse avant l’époque occitane et celle des troubadours, lorsque elle était fille de roi ou de prince, pouvait atteindre la poésie ou la musique. Quelques esclaves pouvaient elles aussi après de nombreuses années passées au service de ses maîtres parvenir à s’exprimer dans un discours poétique et musicale. Mais, tous ces exemples restent limités dans l’Histoire au regard du reste des femmes emmurées dans le silence. Avec l’époque des troubadours sont apparues des Trobairitz, leur homologue féminin, mais là encore, ce ne sont quelques lumières fugaces qui n’ont pu s’étendre à l’ensemble des femmes de leur époque. Tous ces moments merveilleux étaient en même temps très fragiles : la société occitane qui avait vu naître ses femmes troubadours allaient très vite disparaître avec l’Inquisition. Et pourtant cette langue occitane avait donné les premiers poèmes dans la langue du peuple ayant atteint un niveau extrême de raffinement. »

 

LEXNEWS : « Que pensez vous justement du rôle ambigu que réserve l’amour courtois à la femme du Moyen Age ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Je pense que l’on retrouve en effet cette ambiguïté également chez les troubadours, mais aussi dans la pensée arabe à la même époque, et même antérieure avec l’amour soufi, un amour mystique. Cette recherche de l’aimé est un chemin de connaissance, de sagesse et un chemin vers quelque chose de supérieur et d’intouchable. Parallèlement à cette dimension, certes incomplète, on trouve aussi l’amour plus concret avec la danse pratiquée par les esclaves, l’amour libre aussi. Mais tout cela n’est que fragmentaire, rarement réuni en une seule personne et sur une longue durée. »

LEXNEWS : « A partir de quel moment avez-vous l’impression de constater une certaine plénitude quant aux aspirations de la femme dans les répertoires que vous avez pu abordés ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Je pense que si j’ai souhaité chanter des instants de lumière à travers cette longue échelle historique, j’ai conscience que les moments d’obscurité prédominent ! En fait, il faut bien prendre conscience du décalage entre ces grands instants d’aspiration de la femme à une plénitude de son être et ce que la société dans laquelle elle vit est prête à lui accorder.

 En fait, c’est à l’époque du Siècle d’or que l’on pourra le plus entendre parler de la femme par le biais bien sûr des hommes. La femme a un rôle certain, elle est à la fois savante, mère, espiègle, sans oublier bien sûr ses contraintes quotidiennes. Les villancicos de cette époque, anonymes, nous offrent des textes féminins par excellence, ce qui nous laisse penser qu’ils ont probablement été écrits par des femmes. Cette connaissance de la femme s’exprime à travers ces chansons sans pour autant pouvoir laisser un nom de femme à ces œuvres. Nous avons eu également des témoignages admirables d’hommes sachant parfaitement exprimer ce que pouvait ressentir la femme. En effet, un homme équilibré peut parfaitement expliquer l’univers féminin. Tous ces villancicos du Siècle d’or regorgent de métaphores et de symboles sur la femme : Que ce soit à partir du Cantique des Cantiques avec la femme mal mariée qui invoque toujours la femme spirituelle, celle évoquée par Salomon dans ce très beau texte, la femme vierge et brune, humaine et divine également, la femme symbole de la rose sans les épines, la Vierge ou le buisson ardent qui ne se consume pas,… Tout cela est à la fois un langage plein de symbolisme et de poésie, mais en même temps cela conduit à une certaine forme de mystère entretenu par le silence de la femme. Si l’on cherche à qualifier ce qu’est la féminité, on cite le plus souvent sa faculté d’observation. Il est clair que la femme aujourd’hui, si elle trouve son chemin, elle ne doit pas le trouver dans la seule image masculine. A l’inverse, elle n’a pas intérêt à se limiter à la seule image féminine au risque de paraître hystérique et très fragile. »

 

LEXNEWS : « Comment la femme est elle représentée directement  dans l’écriture de la musique ancienne ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « Si vous prenez la Sibylle par exemple, cela commence toujours par un chant en quinte ascendante. Il s’agit d’un chant essentiellement féminin, parfois confié à des enfants dans le cadre de l’Eglise. Ce chant qui commence avec cette quinte exprime parfaitement cette écoute au moment de commencer un récit. Lorsque je chante ces musiques, c’est toujours un grand moment où, pour moi, l’essence même de la femme s’exprime le plus. Il ne faut pas oublier aussi la danse associée à la musique, moyen d’expression de la femme depuis l’aube des temps, qu’elle soit esclave ou libre. Le planctus, le fait de chanter une plainte est également un comportement très féminin car c’est un moyen de préserver la mémoire vivante. Cela renvoie de manière plus générale à la nostalgie. Si vous prenez les Cantigas de Santa Maria, par exemple, il y a toujours une nostalgie qui s’exprime avec une expression de mysticisme du Nord de l’Espagne. La femme est habituée à perdre les êtres chers qui l’entouraient. Cette nostalgie dans ces musiques est pour moi très féminine, même si cela n’est bien sûr pas exhaustif.

 

LEXNEWS : « Voulez vous expliquer à nos lecteurs vos choix quant aux œuvres de ce disque ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « En fait, l’idée essentielle a été de célébrer la femme en étant accompagnée par d’autres voix féminines. C’est d’ailleurs une expérience que je souhaiterai vivement renouveler tant cela a été extraordinaire. Il y a dans ces chansons d’amigo l’idée pour la femme de chercher des confidentes, que ce soit la mère ou des amies. Nous avons ainsi chanté ensembles, cinq femmes, en parlant de choses intimes telles que cela pouvait se passer, je l’espère, autrefois. La mélodie est très simple mais sur cette base s’est littéralement établi un véritable dialogue. Nous retrouvons d’ailleurs cette complicité avec les réponses des femmes à la Sybille, un dialogue riche en découle ; Les jardins clos des monastères, où la Vierge est célébrée dans cet univers protégé est également un grand moment de complicité ; Il y a également la femme nouvelle qui converse avec l’homme qu’elle aime ; la femme ludique qui joue avec son corps et sa pensée,… Toutes ces pièces sont pleines de symboles et en même temps propices à la danse. Nous avons cherché à faire rejoindre la musique et la poésie. »

 

LEXNEWS : « Notre société a tendance en effet à distinguer ce qui autrefois était indissociable… »

 

Montserrat FIGUERAS : « Oui, tout à fait, et cela même à des époques plus proches de nous comme le romantisme allemand avec les lieders ou la musique française avec DEBUSSY et RAVEL. Pour la femme amante, je chante par exemple un poème de Um Al Kiram (XI°s.) auquel nous avons associé une musique de la même époque originaire de l’Andalousie. La tristesse est également très présente dans les textes des berceuses, où la mère profite à la fois des moments merveilleux avec son enfant mais elle sait qu’elle est seule pour profiter de ces moments en l’absence du père. »

 

LEXNEWS : « On revient finalement à cette idée par laquelle nous avions commencé l’entretien selon laquelle il manque toujours quelque chose à la femme pour être pleinement femme, quelle que soit l’époque considérée ? »

 

Montserrat FIGUERAS : « C’est en effet une constante avec toujours cette idée qu’elle parvient finalement à s’en accommoder pour en faire finalement sa vie ! Si vous prenez la femme juive en Espagne, aux XIV et XV° siècles, elle avait pour tâche principale d’apprendre pour retransmettre à ses enfants et jamais pour elle seule. »

LEXNEWS : "Montserrat, merci pour ce bel hommage à la Femme, que nos lecteurs, femmes et hommes, apprécieront très certainement ! "

Et tout spécialement pour les lectrices de LEXNEWS :

(Lumière de Femmes, musiques et paroles libérées de l'homme, M. Figueras).

 

Interview Hugo Reyne

Orangerie du château de Versailles

 1er octobre 2008

©LEXNEWS

 

 

Nos lecteurs connaissent bien Hugo Reyne et son ensemble la Simphonie du Marais puisque son sympathique directeur a été dans les premiers à être interviewé dans ces colonnes. Nous l'avons rencontré à l'occasion d'un nouveau Ballet enregistré pour le disque, le "Ballet des Arts" de Lully, un travail très abouti donné également en concert. LEXNEWS a eu le plaisir de l'interviewer pendant les dernières répétitions entre deux orangers qui commençaient à reprendre leurs quartiers d'hiver dans la si belle Orangerie du château de Versailles, lieu du concert !

 

 

 

LEXNEWS : « Votre nouveau travail s’est attaché au « Ballet des Arts » de Lully, avec trois éléments essentiels à cette époque (1663) : le ballet, les arts et le roi, figure centrale de l’ensemble. En quoi cette œuvre est-elle révélatrice de son époque ?»

Hugo REYNE : « Le roi n'est pas la figure la plus importante dans le ballet, même s’il apparaît au début. Le but est de s'amuser et le roi ne souhaitait pas toujours avoir un rôle central. Il s'agit plus d'un roi artiste que d'un roi pouvoir. Ce qui est le plus important ce sont les arts. Il s'agit des arts libéraux : la chirurgie, les arts de la guerre, la navigation, la peinture, la musique qui règne évidemment du début jusqu'à la fin du ballet, et il y a même l'agriculture au début ! Ces sept arts, le chiffre est bien sûr important, constituent une oeuvre assez parfaite pour l'époque. Il y avait très souvent à l'époque un grand nombre d'entrées, et pour ce ballet, Lully et Benserade ont voulu une forme un peu plus stricte que d'habitude. Il n'y a pas d'air en italien, il n'y a pas d'air de la comedia dell Arte, c'est un peu plus noble ; ce qui n'empêche pas cependant quelques entrées comiques. Je pense que ce que nous avons fait avec Marie Geneviève Massé et Bertrand Tavernier est dans l'esprit de l'époque, tout en étant actuel, et cela parle au public. Les costumes sont en papier, ce n'est peut-être pas ce qu'ils auraient fait, mais cela correspond à l'état d'esprit de l'époque avec le jeu. Il s'agit d'une conjugaison des arts au sens noble du terme. »

 

©Eric Mahoudeau


LEXNEWS : « Ce Ballet donnait lieu à un véritable jeu de pistes à références multiples destiné au spectateur lettré de cette fin de XVII° siècle. Comment restituer cet esprit de raffinement que l’on retrouve dans d’autres exemples de sociétés lettrées par le passé dans notre XXI° siècle si oublieux de ces références ? »

Hugo REYNE  : « Nous avons pu garder quelques références si vous prenez par exemple le personnage de Diane avec le croissant de lune, cela donne ainsi un côté nocturne qui peut encore être familier au public. Le fil conducteur du ballet est l'amour. Il y a dans chaque entrée une histoire d'amour. La Félicité et la Paix parlent également au début de l'amour, et même la Guerre dénote une connotation amoureuse. Pour retrouver l'esprit littéraire de cette époque, il sera en effet important de lire le livret qui accompagne le ballet. Si je prends par exemple l'entrée de Junon, nous savons que l'un de ses attributs était le paon. Nous retrouvons dès lors sur scène les éventails, clin d'oeil à ces références mythologiques, ainsi qu'au nom de la compagnie L’Éventail ! Je crois que le but du ballet aujourd'hui, même si vous avez raison qu'à l'époque les connaissances étaient plus importantes, est essentiellement visuel. Je pense que n'importe qui peut apprécier la beauté de la chose, même un enfant de cinq ans, ce que nous avons déjà constaté par le passé. Il s'agit de séquences d'environ 10 minutes et c'est l’avantage du ballet que de procurer ces petites séquences. Le public n'a ainsi pas le temps de s'ennuyer contrairement à l'opéra qui peut durer jusqu’à trois heures parfois. Il est important que cela parle à tout le monde. Chaque ballet de Lully est d'ailleurs très différent. Nous avons choisi celui-ci à cause du titre. De manière générale, j'ai toujours aimé explorer toutes les oeuvres de Lully. »

LEXNEWS : « Quel a été le travail nécessaire pour restituer une telle œuvre et pouvez-vous nous parler de cette réunion des arts que vous avez souhaitée pour cette création (ballets, costumes, éclairages…) ? »

Hugo REYNE  : « Nous avons commencé par la musique en ayant élaboré une partition fiable. Nous avons ainsi comparé les différents manuscrits. Les ballets de Lully n'ont pas été édités de son vivant. Ils ont d'abord été recopiés, en règle générale trente ans après par Philidor et par d'autres. Avec Claire Guillemain, nous avons réalisé une édition et à la différence des autres volumes, nous avons pu enregistrer avant le concert, bien avant donc les représentations en présence de Marie Geneviève Massé, la chorégraphe, et de Vincent Tavernier, le metteur en scène. Cela a permis au travail de se fédérer sur la musique, l'élément fondateur qui détermine la durée de l'oeuvre. D'habitude, pour la danse, il y a souvent une bande-son qui est réalisée avec des moyens économiques (juste un instrument et un clavier), ce qui ne correspond pas du tout aux matériaux sonores que l'on va finalement avoir avec le spectacle. L'enregistrement a permis d'éviter cela, ce qui a pu permettre d'avoir une bande-son réelle pour la chorégraphie. Cela est également une source d'inspiration pour le metteur en scène, c'était d'ailleurs la première fois qu'ils écoutaient un enregistrement de disques. C'était très intéressant de travailler ainsi. »

©Eric Mahoudeau

 

LEXNEWS : « Était-ce pratiqué ainsi à l'époque de Lully ? »

Hugo REYNE  : « Pas forcément, parce que Lully composait et chorégraphiait souvent en même temps. Lorsqu'il avait trop de travail, il faisait faire la chorégraphie par d'autres. Je pense que lorsqu'il proposait un morceau, il ne s’agissait pas de danses académiques, mais plutôt des danses sans titre. On ne sait pas trop ce à quoi elles correspondaient. Malheureusement, tout cela n'a pas été conservé. Il avait tout ça dans sa tête. Les difficultés pour les interprètes aujourd'hui, c'est d'arriver à comprendre cet univers, un peu comme une musique de film sans voir les images. Cela a été la difficulté. Nous nous y sommes mis à trois, chacun avec ses images, et après nous avons confronté nos différents points de vue. Il est vrai qu'une fois le disque enregistré, le travail a surtout été entre le chorégraphe et le metteur en scène. Il y a ainsi de très nombreuses différences avec ce qui était certainement représenté sur scène à l'époque sans pour autant vouloir un modernisme à tout prix. »

LEXNEWS : « Lully a et a eu une place privilégiée dans votre parcours et celui de la Simphonie du Marais qui a fêté il y a quelques mois ses 20 ans. Votre dernier disque porte à 10 le nombre de cette riche collection consacrée au fameux musicien du soleil. Quel regard portez-vous sur le musicien et l’homme si proche des goûts du roi à ses débuts ? »

Hugo REYNE  : « En 1987, ici même à Versailles, j'ai commencé la Simphonie du Marais et l'occasion qui m'a été donnée de créer ensemble était justement le tricentenaire de la mort de Lully. D'emblée, j’ai commencé à travailler sur Lully. Cela ne m'a jamais vraiment quitté, dix ans plus tard en 1999, je débute ma collection discographique lors de l’anniversaire Racine. On m'a alors demandé la seule coopération entre Lully et Racine : « L'idylle sur la paix ». C'est cela qui a donné le départ de la collection. Nous avons poursuivi cette collection, numéro après numéro jusqu'à celui d'aujourd'hui. Lully et la musique française ont, en effet beaucoup, d'importance pour moi. Je pense fondamentalement que l'on doit jouer cette musique. Il est vrai qu'il n'est pas toujours facile de jouer la musique française en France, il y a en effet beaucoup de groupes anglais qui la jouent très bien, de même qu'en Allemagne. Je crois qu'il faut défendre notre patrimoine et Lully en fait parti même s'il est italien d'origine. C'est véritablement un musicien qui a réformé toute la musique et chaque oeuvre de Lully est une ascension vers ce qui va devenir la musique française. Il innove toujours, et c'est ce qui me passionne dans le personnage. On peut choisir une oeuvre même au hasard dans son catalogue elle vous procure à chaque fois des surprises ! »

LEXNEWS : « vous reste-t-il beaucoup de choses à découvrir dans le catalogue de Lully ? »

Hugo REYNE  : « Oui absolument ! Il y a au moins une trentaine de ballets et donc l'embarras du choix. Il y a beaucoup de choses à aborder y compris en ce qui concerne les opéras. Il y a encore certains opéras qui n'ont pas encore été enregistrés ! Il y en a également que l'on pourrait envisager de réenregistrer. Je vais vous donner un scoop ! Je pense réenregistrer Atys l'année prochaine. Je souhaite tenter cela, car j'étais de la partie lors de la fameuse représentation en 86-87. Il ne faut pas oublier que les effectifs des opéras de l'époque pouvaient atteindre 80 musiciens ce qui rivalise avec nos orchestres de région ou nationaux d’aujourd'hui. Même si ce n'est pas encore du Rameau, je souhaite d'ailleurs m'y atteler dans les années à venir, il y encore plein de choses à faire avec Lully. Si vous avez fait beaucoup de Lully et de musique française, je suis persuadé que vous jouerez mieux une ouverture de Haendel. Cela me choque toujours d'ailleurs d'entendre des orchestres allemands jouer avec des notes égales ! Ce style français à rayonner sur toute l'Europe, à l'exception peut-être de l'Italie, et je souhaite défendre tout cela. La langue française est également au coeur de mes préoccupations sans pour autant choisir le français restitué qui parfois me paraît un peu maniéré. Le travail fait par Lully et Benserade, puis Molière et Lully, ou encore plus tard, et de manière plus merveilleuse, entre Quinault et Lully reste incomparable. On aura du mal à retrouver cela plus tard, même si on évoque Mozart avec Da Ponte pour les trois opéras qu'ils ont faits ensemble, alors que Quinault et Lully auront travaillé sur dix opéras ! C'est énormément de travail, je ne sais pas comment ils passaient leurs journées. C'est pour cela que je me révolte toujours lorsque des gens sous-estiment la musique française et la comparent avec des choses incomparables. N'oublions pas que Lully est mort en 1687, Haendel a deux ans, Bach aussi, il ne faut pas tout mélanger. Je soutiens beaucoup Jean-Baptiste Lully, car je crois qu'il a apporté énormément de choses à la musique qui suivra. Je suis persuadé que sans lui nous n'aurions pas eu un Haendel ou un Bach. Il est mort malheureusement à 54 ans, ce qui était déjà un bel âge à l'époque, mais il aurait pu aller encore plus loin dans l'opéra. »

 

 

©Eric Mahoudeau

 

Lexnews tient à remercier Eric Mahoudeau, photographe professionnel, pour les photos autorisées dans le cadre de cette interview (e-mail du photographe : ericmahoudeau@free.fr)

 

Interview Denis Raisin-Dadre, Versailles, le 20 octobre 2007.

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LEXNEWS a rencontré Denis Raisin-Dadre qui dirige l'un des meilleurs ensembles de musique renaissance pour l'interprétation d'une musique rare par sa qualité et le cadre culturel dans laquelle elle a été élaborée. Voyage passionnant dans la subtilité et le raffinement discret de l'excellence musicale avec des musiciens conscients des exigences posées par cette restitution et dignes héritiers de ces instants d'exception !

 

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LEXNEWS : « Doulce Mémoire nous emmène avec cet enregistrement dans le duché de Ferrare à la fin du XVI° siècle en Italie, nous sommes ici en ces lieux avec une famille au nom prestigieux pour la musique et pour les arts… ».

 

Denis RAISIN DADRE : « c'est une famille qui a régné sur Ferrare jusqu'à la fin du XVIe siècle. Il y a d'ailleurs eu un très gros problème de dévolution du duché qui peut nous apparaître très lointain aujourd'hui mais qui fut déterminant pour l'avenir de cette famille. En fait, pour simplifier, le Duc était locataire du duché qui appartenait à l'église. Une bulle papale précisait que si le Duc venait à mourir sans héritier, le duché revenait à la papauté. Ce qui fait que cette famille d’Este, dont les origines remontent au XI° siècle, a perdu ce duché à la mort du duc en 1597. Cette famille a été vraiment connue pour être une famille de mécènes remarquable. Elle a d'ailleurs laissé des témoignages étonnants. Il y a à la fois le palais qui est à Ferrare et le palais d'été qui était à l'extérieur avec ses fresques absolument magnifiques du quattrocento. Cette famille a toujours été très intéressée par la musique. On retrouve d'ailleurs la famille d’Este dans tout le reste de l'Italie en raison des nombreux mariages passés. Si vous prenez Isabelle d’Este qui a été très importante dans son soutien au début du XVIe siècle aux frottolistes, elle résidait à Mantoue car elle avait épousé le duc de Mantoue. Ainsi les relations les plus importantes ont été entre Ferrare et Mantoue mais également Modène, Milan,… Il y a bien évidemment d'autres grandes familles en Italie à cette époque. Si vous prenez les Gonzague par exemple, le duc de Gonzague était lui-même un compositeur et avait édité des livres de madrigaux. Pour tous ces princes italiens, la culture comprenant bien sûr la musique mais également tous les autres arts avait un rôle fondamental. C'était un moyen bien entendu de communiquer comme on dirait aujourd'hui ! Il reste cependant que l'art était tenu en très grande estime quels que soit les finalités pratiques de son rayonnement. La collection de peintures de la famille d’Este était tout simplement incroyable. Elle a malheureusement été dispersée par la suite mais nous savons qu'une partie est venue nourrir la collection Borghèse à Rome… Toutes ces petites Cités-Etats italiennes étaient totalement indépendantes et faisaient ainsi une sorte de surenchère dans la magnificence artistique. Une grande partie des revenus de l'État passait directement à la culture ! »

 

Ferrare

 

LEXNEWS : « Le mystère semble être à son comble avec une formation secrète, de trois femmes, chanteuses et dont la musique est frappée d’interdit et les représentations limitées à un public restreint »

 

Denis RAISIN DADRE : « L'idée que l'on puisse réserver le meilleur pour soi n'est pas une nouveauté à l'époque. Le faîte que l'on puisse garder un tableau ou une musique pour son usage personnel était fréquent à l'époque. Par contre, cela atteint son comble avec cet exemple de musique secrète. Il y a très certainement plusieurs raisons à cela. Tout d'abord le duc de Ferrare arrive à une époque de sa vie où il sait qu'il va perdre son duché parce qu'il n'a pas d'héritier. Il s'est tout de même marié trois fois et avec trois épouses il n'a pas eu un seul enfant. Il y a très certainement un certain désespoir face à cet avenir successoral. Il sait qu'à sa mort le duché sera perdu. Il sait d'autre part que ses ambitions politiques ne pourront pas aboutir. Il souhaitait en effet que son duché soit érigé en grand-duché ; or, cela sera le cas du duché de Toscane. Il va ainsi consacrer toute une partie de la fin de sa vie à la musique. Sa nouvelle épouse, qui était une Gonzague, était également une passionnée de musique. Son troisième mariage a en effet eu beaucoup d’influence. La pratique de concerts dans les palais avec des voix de femmes avait déjà commencé auparavant avec des femmes de cour. Cette évolution va arriver à son comble à Ferrare avec un niveau d'excellence jamais atteint et qui va vraiment avoir pour ambition politique de créer le meilleur ensemble européen. C'est ainsi une véritable volonté et pour cela le duc va faire venir deux chanteuses qui viennent de Mantoue, Laura Peperara et Livia D’Arco, et Anna Guarini qui habitait sur place et qui était la fille du grand poète Guarini. Avec ces trois femmes, il va créer ce concert absolument incroyable qui va atteindre un niveau d'excellence tel que cela sera célébré dans toute l'Europe pendant des années. »

 

"Dans un même lieu, vont être réunis non seulement les interprètes, les trois dames, mais aussi le compositeur Luzzaschi, le poète Guarini et le mécène, le duc de Ferrare."

 

 

 LEXNEWS : « Le nom du musicien Luzzascho Luzzaschi est associé à la formation de cet ensemble bien particulier qui pratique l’excellence, nous le connaissons notamment pour ses madrigaux »

 

Denis RAISIN DADRE : «Luzzaschi a fait sa carrière à la cour ce qui est tout à fait remarquable du fait que la plupart des musiciens de cette époque bougeaient beaucoup et allaient de poste en poste en fonction de ce que l'on leur proposait comme salaire et des nombreuses vicissitudes qui existaient également à cette époque. En effet, lorsque les princes avaient moins d'argent la musique en souffrait en premier. Luzzaschi était reconnu à l'époque comme l'un des très grands organistes italiens même si nous savons peu de choses sur lui car nous n'avons quasiment rien de sa musique éditée. C'était en effet un improvisateur de génie mais il n'avait pas pris le soin d'éditer beaucoup de choses. Frescobaldi était son élève, cette filiation est intéressante et Luzzaschi était responsable au palais de tout ce qui correspond aujourd'hui à la musique de chambre. Dans un même lieu, vont être réunis non seulement les interprètes, les trois dames, mais aussi le compositeur Luzzaschi, le poète Guarini et le mécène, le duc de Ferrare. Il faut essayer d'imaginer cela au XIXe au XXe siècle, c’est tout simplement rarissime ! Avoir dans un même lieu géographique, tous ces éléments d'une création artistique était quelque chose d'incroyable. Vous pouviez très bien voir le matin le duc demandant à Guarini de lui écrire une poésie en dialogue sur tel thème, Guarini réaliser cette composition et demandant à Luzzaschi de mettre cela en musique et lui-même faire répéter cette musique par les trois interprètes ! C'est donc une sorte de laboratoire de création absolument exceptionnel qui va faire de cet ensemble un véritable espace d'avant-garde. Toutes ces personnes vivant soit au palais ou à deux pas...

Luzzaschi était l'inventeur d'un clavecin chromatique en harmonique dont parle le théoricien Vicentino. C'était une personne intéressée par l’aspect moderne de la musique de l'époque ; ce qui s'appellera plus tard la seconda pratica. Il a en effet eu un vif intérêt pour toutes les nouveautés sur les intervalles qui ont beaucoup couru à la fin du XVIe siècle, il jouait cet instrument incroyable dont on avait réussi à partager les tons non pas en deux demi-tons comme on le fait aujourd'hui mais avec un système de quart de ton, ce qui lui permettait une virtuosité remarquée sur cet instrument par les contemporains de son époque. Gesualdo qui est allé deux fois à Ferrare a été très impressionné par Luzzaschi, il en parle comme étant un très grand musicien, ce qui nous permet de croire que c'était un musicien très vénéré en Italie à cette époque. Nous connaissons ses livres de madrigaux mais nous ne connaissons pas son oeuvre pour l'orgue. »

 

LEXNEWS : « Le message semble clair dans l’approche retenue : selon une conception humaniste seuls de beaux esprits pourront atteindre l’excellence et partager ainsi les célestes mélodies offertes par cette formation d’exception. Que pensez vous de cette conception qui peut nous apparaître très aristocratique de nos jours, la musique doit être accessible à tous dans notre démocratie et pourtant peut-elle l’être pleinement ? »

 

Denis RAISIN DADRE : «C’est une question qui pose en effet un vrai problème. Je pense qu’il existe certaines musiques qui n’exigent aucune culture particulière et qui peuvent être goûtées absolument par tout le monde parce que de toute façon le beau atteint toutes les âmes que ce soient des pygmées qui ne les auraient jamais entendues ou des habitués des concerts de musique à Versailles ! Pour moi, cela ne pose pas de problèmes. Les musiques qui ont ainsi une véritable profondeur passeront ainsi toujours. Evidemment, et cela est valable pour tous les arts, si on possède plus de culture et de plus d’informations, on profite forcément beaucoup plus de certaines choses. C’est en effet un peu comme la peinture, il est possible d’avoir des tableaux sans formation préalable et être ému par ces créations. A partir de là, s’il l’on souhaite aller plus loin et prendre des cours d’histoire de l’art auprès de personnes qui vous apprennent à regarder et pour la musique à écouter et pas seulement entendre, la satisfaction est beaucoup plus grande. »

 

LEXNEWS : « Le postulat dans le cas des concerts donnés par cette formation secrète est totalement inverse : vous évoquez le cas d’un haut dignitaire allemand écarté de ces concerts en raison de son inculture ! »

 

Denis RAISIN DADRE : «Oui, à cette époque il y a véritablement une volonté du duc de Ferrare d’établir une musique réservée exclusivement pour lui ce qui a fait évidemment pâlir d’envie tout le monde !

C’est en effet le meilleur moyen de susciter l’envie. A l’époque il ne faut pas oublier que cette musique est jugée comme la plus contemporaine possible et non pas de la musique ancienne comme elle est perçue de nos jours. Nous sommes dans l’expérimentation extrême. Le duc investit de l’argent et n’en attend aucun retour pécuniaire. Il attend tout d’abord une satisfaction esthétique et puis la gloire qui rayonnera de son duché en raison de cette excellence. Ces musiciens n’ont ainsi aucune contrainte puisqu’il ne s’agit pas de musique d’Eglise soumise aux autorités ecclésiastiques. Le concile de Trente qui se termine en 1563 va donner tout sorte de directives qui prendront souvent la forme d’interdits parce que l’Eglise n’accepte pas par exemple une certaine sensualité. Dans le cas qui nous occupe, il y a une liberté totale de création : ils ont les meilleurs interprètes sous la main, le poète à disposition et ils en profitent pour faire la musique la plus moderne.

Le répertoire des dames de Ferrare est un répertoire qui regarde totalement vers l’avenir et qui aura une influence décisive pour ce tournant qui nous amène à la seconda pratica et qui sera illustré par ce génie que sera Monteverdi. Ferrare est véritablement le lieu d’importance. »

 

"il fallait que cela semble naturel et très facile, ce qui correspondait à  cet idéal aristocratique

qui était de ne jamais montrer la difficulté ! "

 

LEXNEWS : «  Pouvons nous avoir une idée précise de l’excellence de ces trois femmes d’après les témoignages de cette époque, et quel était l’idéal sonore de la Renaissance ? »

 

Denis RAISIN DADRE : « Nous avons en effet la chance d’avoir gardé ces 13 madrigaux de Luzzaschi et lorsque l’on est confronté à ces madrigaux, on a immédiatement une idée précise de cette excellence. Il faut arriver à les interpréter car c’est une musique extrêmement difficile. Ce sont des compositions très virtuoses, les passagi qui sont écrits pour les dames en toute lettre, ce qui est rare à l’époque, constituent la partie la plus importante du secret, à savoir cette virtuosité. Ces musiques étaient enfermées dans une armoire dans un livre qui s’appelait libri di passagi. Ces traits qui étaient en triples croches avec une vitesse absolument hallucinantes étaient insérés dans des madrigaux qui allaient très lentement, ce qui donnait une opposition entre des passages extrêmement lent et des choses excessivement rapides ce qui rare dans la musique d’aujourd’hui. Il faisait cela avec beaucoup d’aisance car l’idée était qu’il fallait que cela semble naturel et très facile, ce qui correspondait à  cet idéal aristocratique qui était de ne jamais montrer la difficulté ! Donc nous savons que ces interprètes étaient obligatoirement excellentes en vertu de ce répertoire. Qui plus est, nous savons que c’était le cas car si nous avons perdu beaucoup de musiques, nous avons par contre gardé beaucoup de témoignages. Même s’il faut faire la part des thuriféraires, nous avons le témoignage de musiciens et même d’envieux, les Florentins par exemple qui étaient des voisins, qui reconnaissaient le caractère exceptionnel de ces concerts, ce qui lève tout doute sur cette question. Mais en fait, cela n'a véritablement rien d'étonnant si vous regardez les conditions dans lesquelles ces musiques étaient jouées. Vous prenez trois femmes, vous les enfermez quasiment toute la journée dans un palais, elles chantent tous les jours de deux à trois heures de concert et tout le reste du temps elles répètent ! Elles chantaient 300 madrigaux par cœur… Si vous mettez aujourd'hui des chanteurs enfermés pendant 15 ans, je vous garantis que l'on va atteindre une certaine excellence ! »

 

LEXNEWS : « Le rayonnement provoqué par ce concert secret semble exceptionnel aujourd’hui au point d’avoir influencer non seulement des Etats voisins mais également des musiciens pourtant renommés. »

 

Denis RAISIN DADRE : « Ces chanteuses étaient à la pointe de la modernité, ce qui a incontestablement influencé l'entourage artistique de cette époque. Il y ait une influence notable sur Gesualdo, il est en effet très impressionné par Luzzaschi, par le chromatisme, et il écrit lui-même lorsqu'il est rentré après être passé par Ferrare, il avait alors changé sa façon d'écrire. Il y a également de nombreuses influences sur le développement de la virtuosité florentine avec Caccini. Nous avons à cette même époque les spéculations de la Camerata Bardi ainsi que toutes ces académies résidant à Florence. Ces mouvements réfléchissaient alors sur les moyens d'inventer une nouvelle musique, de traduire théâtralement la musique, de recréer le drame antique, et avec Ferrare nous sommes à la même époque. Il faut savoir d'ailleurs que par la suite, ils ont tous souhaités créer leur concert de dames. Caccini fera d'ailleurs cela avec ses filles. »

 

"il y a des éruptions volcaniques de virtuosité démente

qui doivent s'inscrire dans un tempo lent"

 

LEXNEWS : « Comment a été possible ce travail sur des sources, on imagine, difficiles en raison même de leur nature ? »

 

Denis RAISIN DADRE : « Nous avons deux sources : les Luzzaschi, ce qui n'est pas difficile puisque cette musique est éditée depuis 1965 et d'autre part le fac-similé est accessible puisqu'il est édité à Florence, ce fac-similé étant d'ailleurs extrêmement clair et facile à dire. En corrigeant les quelques erreurs de l'édition, l'accès aux sources était facile. Nous avons également l'autre source les Agostini, source qui est conservée dans une bibliothèque à Modène. Pour ces sources, ce fut un peu plus compliqué. Cela n'avait jamais été fait auparavant, et j'ai eu à les transcrire intégralement. On s'est aperçu que l'on avait perdu beaucoup de choses mais on avait oublié qu'il y avait un autre musicien à la cour qui était Agostini dont les livres de madrigaux suivent complètement le concert secret, et qu'un certain nombre de pièces sont nominativement dédiées aux chanteuses du concert secret. Et si l'on regarde attentivement les madrigaux, certains sont écrits à deux voix de soprano, ce qui est tout à fait normal à cette époque mais tout d'un coup quelques madrigaux sont écrits avec trois sopranos, avec trois clés de sol ou trois clés d’ut ce qui signifie trois voix égales ce qui est une chose rarissime. C'est donc une signature immédiate justifiant la composition pour le concert secret. Agostini est un compositeur d'avant-garde également. Il n'y a pas les diminutions c'est-à-dire les passagi virtuoses dont nous parlions tout à l'heure, nous savons que c’est Luzzaschi qui les écrivait de sa propre main mais c'est par contre rempli de choses totalement étranges sur le plan harmonique. Nous avons des glissements harmoniques qui rappellent Gesualdo ainsi que des énigmes avec lesquels une des femmes devait résoudre une énigme poétique. Sa tâche était beaucoup plus compliquée car les partitions à Modène sont en mauvais état rendant la transcription beaucoup plus délicate. Il nous a fallu dans certains cas trouver un relais dans les sources poétiques de l'époque car certaines paroles étaient illisibles. Un grand nombre de ses poésies viennent de Guarini, le poète majeur de cette époque avec Le Tasse. Des poésies font référence à l'une des chanteuses, Laura Peperara, dont le prénom, Laura, signifie le laurier et a inspiré un grand nombre de poésies sur le thème de cet arbre. Nous avons donc au préalable transcrit et après il a fallu travailler la musique et c'était également une étape compliquée. C'est une musique qui est entre la musique renaissance et la musique baroque, il y a des recettes pour l'une ou l'autre musique et qui ne fonctionnent pas dans ce cas précis. Nous avons beaucoup tâtonné, nous avons essayé beaucoup de choses jusqu'à trouver ce qui nous a semblé être la voie à retenir. Il a fallu également instrumenter grâce à tous les témoignages de l'époque. Ces dames jouaient également d'un instrument à l'époque en plus du chant. Une jouait de la harpe, l'autre de la viole et la troisième du luth. On pouvait donc imaginer dans le concert qu'il y avait harpe, viole et luth mais on sait aussi très précisément que Luzzaschi jouait de clavecin, et qu'il était assisté de Fiorino. Nous avons remis ainsi tous ses instruments dans le concert secret. Les dames sont ainsi entourées de tout cet ensemble d'instruments qui soutient très bien le concert.

La véritable difficulté est que dans la musique baroque vous avez ce qu'on appelle le continuo, les chanteurs sont accompagnés par un clavecin qui réalise des accords avec une marge de liberté extrêmement grande et en inventant en plus la main droite puisque ce n'est pas du contrepoint. Les gens qui savent faire de la musique baroque n'ont pas de problème avec cela, c'est même devenu très répandu, usuel, normal d'un bout à l'autre de la planète. En ce qui nous concerne, c'est très particulier car nous ne sommes pas dans le continuo. Le claveciniste n'a pas une basse continue à réaliser car tout est  écrit par Luzzaschi. C’est du parfait contrepoint, il réalise toutes les voix au clavecin et ces voix doublent les voix des femmes. Cela provoque des contraintes inouïes. La première contrainte est qu'il n'y a pas la liberté qui existe dans la musique baroque en raison même du contrepoint, cette rigueur peut entraîner une certaine raideur. Or cette musique est tout sauf raide. En plus, nous ne pouvons pas nous permettre de changer le tempo, de ralentir, d'accélérer comme c'est également le cas dans la musique baroque. Le contrepoint, une fois de plus, impose cette rigueur. Nous sommes ainsi confrontés à des valeurs très très longues de rondes et tout d'un coup il y a des éruptions volcaniques de virtuosité démente qui doivent s'inscrire dans un tempo lent et cela c'est horriblement difficile ! Une autre difficulté s'ajoute : le fait pour le clavecin de doubler les voix, ce qui ne se fait pas du tout et même la plupart du temps est interdit dans le continuo, entraîne ainsi une sanction de justesse permanente. C'est-à-dire que le clavecin joue dans le tempérament inégal du XVIe siècle mésotonique et les filles sont obligées de chanter en mésotonique mélodique et cette exigence est accessible à très peu de monde. Le ré que va chanter la soprano doit être à exactement à la même hauteur que celui du clavecin au même moment, ce que ne fera pas un claveciniste, habituellement, qui va noyer cela sur toute une gamme d'accord ! Et toutes les voix sont ainsi doublées... C'est quelque chose qui n'est pas perceptible par le public parce que c'est assez technique mais c'est quelque chose sur lequel nous avons passé beaucoup de temps. Pour moi, c'est le disque qui a exigé le plus de nous et Dieu sait si j'en ai fait et si j’ai été confronté à des répertoires difficiles. »

 

LEXNEWS : « L’épilogue de cette formation est particulièrement dramatique et pourtant annonce déjà la seconda pratica»

 

Denis RAISIN DADRE : « Nous percevons quel va être le glissement vers cette seconda pratica. Nous savons que Luzzaschi écrit beaucoup de dialogues même si nous les avons perdus. Il y a cette idée très moderne que l'on va confier de la musique à trois dames et dans ce cadre au lieu de chanter le même texte, un véritable dialogue va s'établir avec deux personnages différents. Et cela est une idée très moderne à l'époque puisque c'est déjà l'idée de la théâtralisation de la musique. Ce sera d'ailleurs l'obsession de toute la deuxième partie de ce XVI° siècle. C'est ce processus qui aboutira à la création de l'opéra. Ensuite, on voit très bien à certains moments dans cette écriture contrapuntique sérieuse de Luzzaschi qui est l'héritier de Cipriano de Rore et de toute cette écriture complexe du XVIe siècle qu’il commence à penser continuo. Tout d'un coup il y a des exclamations qui déjà annoncent l'écriture qui va venir dans 15 ans. On sent très bien ce qui va se passer, nous voyons bien que l'on est arrivé à un point ultime dans cette façon d'écrire et que si l'on continue à pousser dans cette direction de la modernité, de l'expressivité de mise en valeur des affects alors la musique va obligatoirement changer ! Nous sommes vraiment sur un point de bascule car cette musique-là est une musique d'avant-garde qui n'attendra plus que le génie de Monteverdi. D'ailleurs si vous prenez les premiers livres de madrigaux de Monteverdi, c'est de la musique tout à fait traditionnelle. Et puis, peu à peu, son langage évolue. Monteverdi n'a jamais voulu faire une véritable révolution. Les gens veulent toujours être révolutionnaires aujourd'hui à fin d’être modernes pour se singulariser mais Monteverdi n'a pas du tout eu cette ambition. Il a d'ailleurs été très étonné lorsqu'il a été attaqué par Artusi car il n'avait pas du tout théoriser sa seconda pratica. En fait, ce sont ses adversaires qui l'ont théorisé à sa place ! Monteverdi passe à un nouveau langage tout naturellement parce que pour l'expression des passions il s'est aperçu que cette écriture héritée du XVIe s. n'était pas le langage qui convenait. »

 

 

INTERVIEW DOMINIQUE VISSE, LANVELLEC 22/10/06

 

 

LEXNEWS a eu l'immense plaisir de rencontrer une personnalité qui non seulement brille dans l'univers de la musique ancienne depuis de nombreuses années puisqu'il fait parti des pionniers de la grande époque mais qui est également doté d'une rare authenticité ressentie dés le premier contact. Cet homme doté d'une sensibilité singulière nous a séduit par son honnêteté en écartant aucun sujet sur la passion qui l'anime depuis ses plus jeunes années. Rencontre avec un grand nom de la musique ancienne !

 

LEXNEWS : « comment êtes vous arrivé à la musique classique, par un instrument ou par la voix ? »

 

Dominique VISSE : « En fait, les deux ! Je suis surtout arrivé à la musique par l'Eglise. Quand j'étais jeune, je voulais être prêtre et j'allais à l'Eglise tous les matins. J'habitais un village et le nouveau prêtre qui était arrivé était musicien. Il n'y avait à cette époque pas d'organiste, il m'a ainsi appris tout simplement la musique. J'ai donc tenu l'harmonium pendant des années et parallèlement j'ai été associé à tous les mouvements de chorale ainsi qu'à la découverte d'autres instruments : j'ai commencé à faire de la flûte. D'ailleurs, le seul prix officiel que j'ai est un prix de flûte ! Par la suite, j'ai eu la chance d'aller chanter dans différentes maîtrises parce que je chantais assez facilement. Lorsque j'ai mué, j'ai commencé à faire des stages, encouragé par les prêtres que je connaissais. Ils m'ont d'ailleurs toujours laissé une grande liberté. J'ai pu ainsi réaliser des recherches personnelles et surtout faire des tests avec des groupes très disparates. C'est à cette époque que j'ai commencé à transcrire la musique à la main... »

 

LEXNEWS : « tout cela a été fait d'une certaine manière empirique »

 

Dominique VISSE : « Oui absolument, il n'y avait pas d'autre solution à l'époque puisqu'il n'existait aucune structure ni conservatoire et même les professeurs de chant avaient très peur de nous ! On ne savait rien à l'époque sur la manière dont fonctionnait un contre-ténor ni même sa durée de vie... Il y avait beaucoup d'a priori sur cette voix, beaucoup pensaient que nous ne pourrions pas chanter longtemps sur ce registre. Le fait de chanter contre-ténor a été aussi surtout un hasard. Je chantais dans un ensemble médiéval qui s'appelait « Les Croque-Notes » à Caen et pour l'une des pièces on a eu besoin qu'un des instrumentistes, dont je faisais partie, chante une partition. J'ai saisi l'occasion et cela m'a beaucoup amusé. Tout cela se réalisait uniquement par plaisir puisqu'il n'y avait pas de plan de carrière à l'époque. Je m'intéressais beaucoup à la musicologie. Après mon bac, je m'étais inscrit à la Sorbonne en musicologie et je n'y suis resté que six mois car cela ne correspondait pas du tout à ce que je recherchais. J'étais parallèlement professeur de musique à la Maîtrise de Notre-Dame de Paris grâce à l'aide des prêtres et de l'Eglise. Le prêtre qui dirigeait cette maîtrise était vraiment quelqu'un de très curieux, très compétent, et il m'a très vite dirigé vers des recherches sur la musique médiévale, il m'a fait transcrire les Pérotins, tous ces mouvements de l'école Notre-Dame… Tout ce que je cherchais l'intéressait. J'ai ainsi continué ce chemin, très naturellement, sans avoir de questions à me poser. »

 

LEXNEWS : «  Vous semblez avoir une nette préférence pour le répertoire de la musique renaissance, qu’est ce qui vous attire dans cette période de l’histoire de la musique, et pouvez vous nous dire quelles sont les images qu’évoque la Renaissance non seulement pour la musique mais également de manière plus générale ? »

 

Dominique VISSE : « C’était essentiellement la polyphonie qui m'attirait vers la musique ancienne. J'ai toujours eu un très grand plaisir à chanter avec les autres, ce que je conserve toujours. La fonction de chanteur soliste ne m'attire pas vraiment. Ainsi, pour moi, le siècle d'or de la polyphonie, c'est véritablement la Renaissance. Je me suis donc tourné très tôt vers ce répertoire et le groupe que j'ai formé en 1978 est vraiment spécialisé dans cette musique. Ce fut d'ailleurs l'un des premiers groupes du genre. Là encore, c'est purement par une curiosité historique que nous nous sommes engagés dans cette voie. Certaines pièces descriptives de Janequin, les Cris de Paris, la Guerre… nécessitaient une formation spécialisée. Et lors de mes recherches, je me suis rendu compte que plus la formation était petite et mieux cela fonctionnait. J'avais des doutes sur les clés, les tessitures, les mélanges entre les hommes et les femmes,… J'ai donc été plus loin et j'ai ainsi formé mon groupe comme une sorte de laboratoire musicologique et à la fois musical. C'était aussi le moyen de répondre aux nombreuses questions que je me posais sur ma voix : j'avais beaucoup de doutes à l'époque, je ne savais pas comment cela marchait, quelle tessiture travailler exactement puisque personne ne nous guidait à l'époque. »

 

LEXNEWS : « Combien de personnes il y a-t-il à l'origine dans l’Ensemble Clément Janequin ? »

 

Dominique VISSE : « En fait, dans le premier concert que nous avons fait il n'y avait qu'une femme, une soprane et nous avions un répertoire plus baroque puisque cela allait de Janequin à Monteverdi. Très vite, en se spécialisant dans le XVIe siècle, surtout dans le répertoire français, je me suis rendu compte qu’il était plus adéquat d'avoir quatre chanteurs hommes : un contre-ténor, un ténor, un baryton et une basse grave. Cette formation permet d’interpréter quasiment tout le répertoire. Il y a une quinzaine d'années, j'y ai ajouté une cinquième voix pour avoir plus de marge dans le répertoire et dans le temps en débordant sur la fin XVIe et début XVIIe siècle. Cela offrait l'avantage également d'offrir plus de variété et également de reposer les voix. En effet, on imagine souvent que nous chantons des chansons et que tout cela est très facile, ce qui n’est pas du tout le cas pour les cordes vocales !

Ce siècle offre véritablement des extrêmes. Avec l'arrivée de François Ier, il y a eu une extrême liberté et une richesse à tous les points de vue. Si vous songez à la Réforme qui a été rendue possible, vous pouvez avoir un aperçu de la grande ouverture d'esprit qui était impossible avant et qui ne le sera bientôt plus après ! Cette première moitié du XVIe siècle est excessivement libre d'esprit, les compositeurs et les poètes ont véritablement eu la possibilité d'écrire sur tous les thèmes qui peuvent parfois nous paraître graveleux. Je suis par exemple en train de travailler en ce moment sur les blasons et les concernant, il y a des choses très poétiques mais aussi des thèmes plus grivois. Il y en a un par exemple qui s'appelle le blason du « trou du cul » ! Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'être écrit de manière très poétique… »

 

LEXNEWS : « Les frontières ne sont d’ailleurs plus tout à fait étanches entre les classes de la société »

 

Dominique VISSE : « Oui absolument, du fait de cette liberté, les musiciens ont véritablement associé les genres. La musique profane et la musique sacrée sont également très liées. La seule musique professionnelle à l'époque est la musique de l'Eglise. Les musiciens qui écrivaient des chansons à cette époque ne faisaient que se divertir. Le concert n'existait pas à cette époque et seule la notion de plaisir était à la base de ces compositions. C'est d'ailleurs ce qui rend très difficile leur restitution aujourd'hui : on chantait à l'époque ensemble, entre personnes qui savaient lire la musique. C'est pour ces raisons que la polyphonie devient très complexe à l'époque. »

 

LEXNEWS : « Quel travail effectuez vous sur les sources que vous utilisez en musique ancienne car cela semble être un point essentiel dans votre quotidien ?»

 

Dominique VISSE : « Je crois pouvoir dire que c’est même ma première raison de vivre ! J'aime beaucoup le théâtre, le fait de défendre des personnages un peu extrêmes, les choses un peu marginales et même si elles me mettent un peu mal à l'aise. Mais j'aime aussi tout ce qui est extrêmement lent et je suis quelqu'un de très solitaire. Tout cela peut paraître un peu paradoxal mais j'ai ces deux extrêmes en moi. La musicologie est ce qui me correspond le mieux. J'adore réaliser des transcriptions qui m'emmènent sur des semaines voire même des mois de travail. J'ai par exemple transcrit la messe à 40 voix de Striggio qui est véritablement monumentale et ce uniquement par plaisir du geste, de l'écriture,… Je fais bien sûr ces recherches pour les programmes, par curiosité également mais surtout pour un plaisir qui est difficilement explicable. Lorsque vous trouvez une partition, vous la transcrivez, chose que personne n'a faite avant vous et vous êtes ainsi le premier à la recevoir. »

 

 

LEXNEWS : « A la manière d’un archéologue ? »

 

Dominique VISSE : « Oui, et à la manière d'un archéologue vous ne savez pas ce que cela va donner. Parfois la pièce peut être mauvaise, mais le simple fait de l'avoir fait est un plaisir. C'est véritablement vital, j'ai copié très longtemps à la main pour gagner ma vie. J'ai été copiste aux Arts Florissants autant que chanteur et il est assez fantastique de pouvoir s’associer du début de la recherche jusqu'à son interprétation. Ces transcriptions et ces recherches me prennent beaucoup plus de temps que de préparer un concert. Je transcris toute la musique que je fais à partir de manuscrits originaux ou bien à partir d'éditions respectueuses des sources. Je peux également faire appel à des musicologues pour des sujets que je connais moins bien. C'est également une manière de me remettre en question. J'aime bien être un petit peu décalé par rapport à mes habitudes. Comme je vous le disais tout à l'heure c'est une des raisons pour lesquelles j'aime le théâtre. Cela me permet de faire des choses même si je ne suis pas supposé savoir les faire, cela me fait du bien et je pense que c'est très important car avec le temps on a tendance à tourner en rond et de ne faire que les choses que soi-disant on sait faire. »

 

LEXNEWS : « Si vous portez un regard sur votre propre apprentissage musical et les possibilités maintenant offertes aux jeunes chanteurs, notez vous des différences remarquables quant aux résultats ? »

 

Dominique VISSE : « Il y a fort heureusement une très grande évolution. Le désert que nous avons connu à l'origine qui était magnifique avec cette grande forêt inconnue devant nous pouvait avoir ses charmes mais, en ce qui me concerne, a pu également me faire perdre du temps. Maintenant, il y a tout ce qu'il faut, il y a un véritable enseignement de la voix, ce qui est très bénéfique surtout dans le cadre du répertoire baroque. Les chanteurs ont aujourd'hui beaucoup plus de techniques que ce que je pouvais avoir à l'époque. Les chanteurs qui arrivent maintenant sont beaucoup plus efficaces dans les répertoires techniques comme ceux de Haendel. Il y ainsi une très nette évolution. Mais la contrepartie est que tous ces chanteurs, surtout américains, ont une petite tendance à être standardisés. Ils viennent des mêmes écoles et arrivent ainsi avec les mêmes formations. Ce qui m'embête le plus encore c’est que la musique est de plus en plus chapeautée par des agents qui amènent leurs chanteurs, leurs interprètes et ce grâce à des politiques associées à des villes et des régions. La plupart des grands festivals fonctionnent ainsi car il faut bien les faire vivre mais le système devient de plus en plus verrouillé. Tout cela se ferme, ces grands festivals ont même leur propre maison de disques et je trouve dommage qu'il n'y ait plus cet esprit de créativité et de liberté que nous avons connu autrefois. Cela touche même le travail puisqu'il faut aller toujours de plus en plus vite et nous revenons paradoxalement aux temps anciens avec le système des chapelles. Et dans les ensembles de musique ancienne, la dernière tendance qui me semble gravissime est qu'il y a de nombreux groupes qui naissent, on peut même dire parfois un groupe par musicien, et ce sont les mêmes personnes qui transitent d'un ensemble à l'autre ! Il n'y a plus alors aucune couleur ni aucun travail personnel par rapport à une philosophie originale. Je trouve ainsi que cette richesse qu'il y a dans l'enseignement est contrecarrée par cette standardisation. Et paradoxalement, je constate que de plus en plus de musiciens sont aujourd'hui plus angoissés qu'à notre époque ! »

 

LEXNEWS : « Comment parvient on à ménager un espace pour sa vie privée en étant si longtemps éloigné de ses proches et de son domicile et que fait Dominique Visse lorsqu’il n’est pas dans l’univers de la musique ? »

 

Dominique VISSE : « En fait tout mon parcours s'est fait naturellement ! J'ai deux enfants et cela n'a pas été si compliqué que ce que l'on peut imaginer. Les gens sont toujours effrayés et certains de mes collègues n'osent même pas faire des enfants pour ces raisons. Il se trouve que j'ai épousé une personne qui fait le même métier que moi, ce qui facilite bien sûr les choses. Je pense que tout cela n’est qu’une question d'organisation. J'ai un enfant handicapé et les médecins lorsqu'il est né m'ont dit qu’il serait impossible de mener une vie d'artiste avec lui. Cela ne s'est pas constaté dans les faits. Bien sûr, vos enfants peuvent vous reprocher de ne pas être souvent là et il faut alors compenser. Et lorsqu'ils sont plus grands nous pouvons les emmener avec nous et partager ce que nous faisons. Ce milieu musical est en fait très riche pour eux. Je dirais même que lorsque nous sommes à la maison nous y sommes beaucoup plus qu'un grand nombre de personnes qui ont un métier traditionnel. J'ai pu constater à de nombreuses reprises lorsque j'emmenais mon fils à l'école qu'on n’y voyait pas souvent les papas qui avaient pourtant un métier classique !

Quant à ce que je fais en dehors de la musique tient à mon histoire familiale. Mon père était menuisier et j'adore également travailler le bois. C'est une activité qui permet de me canaliser et de réfléchir à mon métier. J'arrive à un âge où je me pose beaucoup de questions, notamment par rapport à ma voix, tout cela peut  très bien s'arrêter demain. »

 

LEXNEWS : « Vous abordez là une question que l'on évoque rarement pour des raisons évidentes »

 

Dominique VISSE : « Oui, il ne faut pas oublier que la voix c’est en fait deux petits muscles qui peuvent très bien fonctionner jusqu'à l'âge de 80 ans, mais dans d'autres cas, malheureusement, s'essouffler dès 40 ans. À l'image des grands sportifs, c'est un muscle que nous travaillons énormément et nous ne sommes donc pas dans la norme. Selon le répertoire que vous interprétez, plus ou moins violent, et même dans votre tessiture, vous pouvez vous situer à différents niveaux. »

 

LEXNEWS : « Votre voix doit être plus fatigante ? »

 

Dominique VISSE : « Oui c'est le cas, mais en ce qui me concerne j'ai fait dès le départ le choix d'être dans le grave de la voix, mais ces notes graves dans la voix ne sont pas données à tout le monde. Ce qu'il y a de plus fatigant c'est d'aller toujours vers l'aigu. On nous avait prévenu à l'époque que nos voix n'étaient pas normales et que tout cela ne durerait pas. J'ai donc très tôt pensé que cela ne dépasserait pas 40 ans. Mais j'ai aujourd'hui  50 ans, et je suis toujours là donc je suis très content ! Mais, parallèlement, je sais que cela peut avoir une fin très rapidement et surtout que je peux en avoir marre avant… Je réfléchis à tout cela, il m'arrive à l'opéra de ressentir une certaine lassitude quant à ce star-system, tout cela devient très lourd et même les chefs les plus puissants n'arrivent plus à diriger comme ils l'entendent. Il n'y a plus vraiment d'osmose entre les gens, il faut toujours aller plus vite, il m'est même arrivé de faire des opéras sans avoir pu voir les autres personnes avant la première ! Tout cela peut conduire à des doutes mais très vite je suis rattrapé par la musique…

Il est clair que je n'ai plus les mêmes sensations qu'au tout début lors de la découverte. Il est vrai que nous nous ne savions pas où nous allions et j'ai eu particulièrement de la chance. L'année où j'ai commencé était celle où l'on auditionnait tous les grands chefs actuels. J'ai fait la première répétition chez Herreweghe, en même temps j'ai été engagé chez Christie, A Sei Voci m'avait sollicité, j'ai en fait connu tous les débuts de ces ensembles. J'ai dû faire des choix mais à l'époque nous ne nous rendions pas compte de la richesse dont on disposait. Je crois que nous n'avons plus les mêmes bonheurs et les mêmes joies un peu comme lorsqu'on rencontre pour la première fois une femme. C'est quelque chose qui reste gravé en vous… »

 

LEXNEWS : « vous avez l'impression qu'il s'agissait réellement d'une expérience magique qui s'exprime différemment aujourd'hui ? »

 

Dominique VISSE : « Oui c'est tout à fait cela. Malheureusement je pense que c'est inhérent au temps qui passe, toutes ces formes de plaisir que l'on a lorsqu'on est jeune se perdent naturellement avec l'âge. Mais j'ai encore beaucoup de ressources et très sincèrement je ne pourrais pas faire ce métier si je n'avais pas envie profondément de le faire. Il m'est arrivé parfois de ne pas avoir envie de rentrer en scène parce que la mise en scène ne me plaisait pas ou que la musique n’était pas intéressante et dans ces cas il fallait vraiment que je me botte les fesses pour y aller ! Mais il y a quelque chose d’inexplicable, cette flamme que l'on ne peut pas enseigner fort heureusement. C'est cet élan qui vous fait passer à la fois au niveau du public et qui vous porte en même temps, c'est un petit peu comme la foi, quelque chose d’inexplicable… »

 

LEXNEWS : « On revient au début de notre interview où vous évoquiez cette même foi… »

 

Dominique VISSE : « Oui sauf que je l'ai perdu depuis longtemps ! Il est vrai que j'étais très croyant étant jeune et je pense qu'il y avait une part de mysticisme et d'admiration. Il est vrai que lorsque j'étais enfant, j'habitais devant une église et tout cet univers faisait partie de mon quotidien. Je pouvais y entrer à tout moment, j'étais copain avec le curé et je croyais… Toutes ces images autour de la foi m’ont fait poser beaucoup de questions car elles déforment la réalité de la vraie flamme. Parallèlement, ayant deux enfants, je suis obligé de penser à leur futur et de penser à l’argent qui doit rentrer. Lorsque on n'a pas de famille et qu'on est libre, il est assez facile de composer avec tout cela si on n’a pas trop de besoins matériels, mais dès que l'on a des responsabilités et des habitudes… »

Un petit mot de Dominique VISSE pour nos lecteurs !

 

Patrick Cohën-Akenine, Lannion, samedi 29 octobre 2005.

© LEXNEWS

LEXNEWS a fait la rencontre d'un Ensemble et de son chef, Patrick Cohën-Akenine, qui mènent une démarche passionnante quant à leur approche de la musique d'ensemble. Les Folies françoises renouent avec la grande tradition des goûts réunis et à une conception ouverte de la musique baroque. Partant de la riche expérience du quatuor à cordes et d'un noyau de musiciens fidèles, les Folies sont plus sages qu'il n'y paraît, avec une interprétation d'une grande rigueur sans rien enlever à sa générosité !

 

LEXNEWS : « Pouvez vous présenter à nos lecteurs l’origine de votre ensemble ainsi que les raisons du choix de son nom ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : « L'ensemble est né de la rencontre de plusieurs musiciens, au cours de nos études au conservatoire de Paris. Ces rencontres furent assez fortes, c’est en effet à cette occasion que j’ai pu découvrir le clavecin. Je suis violoniste de formation, et j'avoue avoir rencontré le clavecin assez tardivement. C'est à l'âge de 27 ans que j'ai pu réellement commencer à travailler avec cet instrument. C'est également la rencontre avec une claveciniste, qui est ensuite devenue mon épouse, qui a été déterminante pour la création de cet ensemble. Notre Ensemble est né aussi de rencontres avec d'autres musiciens, un violoncelliste, un flûtiste,... et qui font toujours partie de l'Ensemble. Il n’y a pas une seule personne à la tête d'un groupe mais bien plusieurs musiciens qui travaillent de façon collégiale. Dans un premier temps, avant de créer l’Ensemble, j'ai pu jouer avec différentes formations. J'ai été pendant plusieurs années  violon solo au Concert Spirituel d'Hervé Niquet, aux Talents Lyriques avec Christophe Rousset, aux Musiciens du Louvre,... et avec un grand nombre de grands musiciens baroques. Très vite, j'ai eu envie de créer mon groupe et d’aborder un répertoire plus spécifiquement instrumental. Il est vrai qu'en France, nous avons une spécificité : la musique baroque est très souvent associée au chant, à la rhétorique, à l'expression lyrique. Je souhaitais vivement suivre un axe beaucoup plus instrumental, et cela a été le facteur essentiel de la création de l'ensemble. Le nom de notre ensemble "Les Folies françoises" est tiré d'une oeuvre de François Couperin qui exprime, au cours de variations, différents affects musicaux. Le grand musicien associe en effet différentes couleurs avec un affect propre. Cette idée d'associer couleurs et affects nous avait particulièrement séduit. Et il faut avouer que le terme de "Folies" nous a également particulièrement plu ! Nous souhaitions sortir des sentiers battus et avoir une autre approche. J'ai réuni plusieurs artistes et nous sommes partis pour cette aventure. L'Ensemble a également profité de rencontres avec des personnalités comme la soprano Patricia Petibon."

 

LEXNEWS : "Quelle est l'origine du choix de votre instrument, est-ce une vocation très précoce ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : " Oui, c'est une vocation très précoce. Il paraît qu'à l'âge de deux ans et demi j'ai demandé à pratiquer le violon ! La découverte de cet instrument a été un véritable choc. Si mes parents ne sont pas musiciens, j'ai une grand-mère pianiste aimant beaucoup la musique. Et si cet instrument ne m'a pas particulièrement tenté, c'est néanmoins par cet intermédiaire que j'ai pu être introduit à la musique et au violon. Je crois que non seulement le son, mais aussi la gestuelle de l'instrument, m'ont attiré. J'ai pratiqué jeune la danse, et j’ai particulièrement aimé l'idée du mouvement associé à la musique. Je réfléchis d'ailleurs à ce thème pour notre Ensemble. J'ai en fait commencé le violon à quatre ans et demi et cela a été une véritable passion."

 

LEXNEWS : " vous nous disiez que votre rencontre avec la musique ancienne avait été relativement tardive, est-ce à dire que vous avez eu un parcours très classique auparavant ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : " Oui, la musique ancienne est en effet intervenue un peu plus tard. J'ai découvert la musique ancienne sur instrument moderne en étant violon solo d'un orchestre de chambre. Comme nous jouions beaucoup le répertoire baroque et notamment Bach, j’ai été ainsi amené à jouer les concertos brandebourgeois et d'autres concertos du même compositeur sur mon violon. Il est vrai que le mouvement baroque prenait de l'importance à cette époque, je me suis posé un certain nombre de questions, et cela m'a réellement interpellé. Il faut avouer que notre génération a eu un accès au baroque plus facile, si j'ose dire, que nos prédécesseurs. Ces derniers ont mené une recherche très importante en précurseurs, et ont dégrossi le travail de manière remarquable. Il est sûr que face à l'écoute de ces pionniers, nous assistions à une révolution. Cela m'a d'autant plus intéressé que j'avais suivi une formation de chambriste. J'ai fait en effet huit ans de quatuor à cordes. Cela a été très formateur et j'ai d’ailleurs retrouvé cet esprit de musique de chambre au sein de notre Ensemble. Ce travail avec un groupe de personnes fidèles m'a particulièrement motivé. J'avais remarqué que, très souvent, au sein de la musique ancienne, les Ensembles évoluaient très vite quant à leur composition. Il existe un noyau de musiciens qui évoluent dans différents Ensembles. Je dois avouer que cette démarche ne m'attirait pas trop. Je voyais les choses montées très vite et je pensais qu'il était dommage qu'il n'y ait pas un travail de fond avec les mêmes intervenants. Mon épouse, Béatrice Martin, est une claveciniste de première classe puisqu'elle est l'une des seules lauréates du concours international de Bruges au clavecin après des grands noms comme Scott Ross, Christophe Rousset,... Et avec elle, ainsi que le violoncelliste François Poly, nous réalisons un travail réellement de fond. Nous pratiquons un travail très en avance et non pas quelques instants avant le concert."

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous expliquer votre approche de la musique de chambre et plus précisément du quatuor cordes ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : " Le quatuor est la discipline la plus exigeante pour les cordes. Cela demande une homogénéité avec des instruments de différentes tailles. Nous sommes obligés de faire un travail très important les uns envers les autres. Il faut aussi rappeler que l'écriture du quatuor est également très exigeante pour le compositeur. Nous avons ainsi un travail très approfondi et cela se répercute sur notre façon de travailler. Cela impose une véritable discipline de travail, au niveau de la justesse d'intonation, mais également quant au maniement de l'archet pour avoir les mêmes articulations,... J'ai pu retranscrire cela dans la musique ancienne et la musique baroque car cette musique demande un gros travail d'articulation pour faire ressortir le texte. En effet, le clavecin est un instrument qui peut exprimer ses nuances grâce aux articulations, à la différence du piano. En travaillant avec Béatrice, j'ai pu faire ces parallèles quant aux articulations. La forme de musique de chambre à l'époque baroque au XVIIe, XVIIIe siècles est prépondérante. Mis à part lors des grandes occasions dans des cathédrales, où de grandes églises, la musique était destinée à un petit groupe. Le clavecin, par exemple, est un instrument beaucoup moins sonore que le piano, et les musiciens se retrouvaient autour de cet instrument en formation réduite qui pouvait comprendre une flûte traversière en bois, un violon,... dans des lieux plus intimes et avec une acoustique favorable. La majeure partie du répertoire est conçue à la taille d'une musique de chambre. Bien sûr, au fil du temps, ce répertoire a pu être adapté pour des instruments plus nombreux et aboutir à une forme orchestrale. Il faut savoir que ces concerts n'étaient pas dirigés par un chef d'orchestre. Ils étaient menés par le premier violon, qui portait le nom de konzert meister ou en France de "roi des violons". Ce premier violon, par ses gestes, ses coups d'archet, sa respiration, dirigeait l'orchestre et donnait le tempo avec un gros appui sur la basse continue. Ce groupe de basse, clavecin/violoncelle, permettait une assise très précise. Le clavecin, en effet grâce à ses cordes pincées, produit un son très précis. Les cordes peuvent ainsi se poser rythmiquement sur cet instrument qui par sa réalisation de basse continue, c'est-à-dire qui ne s'arrête jamais, va offrir un tactus d'une très grande précision. C'est sur ce schéma que repose la ligne directrice de notre Ensemble. C'est en fait une sorte de codirection : Si j'ai pour charge de donner, à partir du violon, le départ et les impulsions, le groupe de continuo clavecin/violoncelle structure quant à lui l'Ensemble.

Nous allons bientôt faire des concerts Mozart avec de plus gros effectifs, pour lesquels nous allons mettre le clavecin au centre de l'orchestre, et c'est lui qui donnera cette impulsion et cette rythmique. Cela me permettra de me concentrer sur la ligne mélodique sans être obligé de diriger. Tous les musiciens vont ainsi être à l'écoute et concentrés sur la basse continue qui nous donnera l'harmonie, un rapport à la justesse et à l'intonation. Cela est très important quant à l'esthétique baroque et nous rapproche d’ailleurs de la conception fondamentale du quatuor à cordes."

 

LEXNEWS : " Quelle est votre vision des notions de timbres, de couleurs,... qui caractérisent  de la musique baroque ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : « Les timbres, les couleurs sont des éléments essentiels de la musique baroque. Si nous partons de la référence essentielle, à savoir Couperin, les couleurs donnent une véritable saveur au discours musical, sans lesquelles tout cela serait très monotone. C'est en fait une musique extrêmement contrastée. Je fais souvent référence, lors de mes enseignements, à l'art théâtral. Dans la Commedia dell’arte par exemple, il y a un jeu de contraste à tout moment entre les pleurs et les rires, entre des moments très intimes presque chuchotés et les instants de cris. Cette notion de contraste est très importante dans la musique française et italienne. Il est indispensable de faire ressortir cela, non seulement entre les mouvements et même au sein d'un mouvement. Nous réalisons également ces contrastes dans les effectifs avec un tutti et des solos, cette forme ayant d'ailleurs donné naissance au concerto. En effet, si nous remontons à l’origine du concerto, nous trouverons le concerto grosso. Il s’agit alors d’un petit groupe de musique de chambre composé, par exemple, de deux violons et d'une basse continue clavecin/violoncelle, ensemble qui dialogue avec un gros orchestre. Cela est particulièrement visible chez Corelli, qui est le maître et créateur du genre, avec un orchestre comprenant 40 à 60 musiciens ! Vous imaginez les contrastes que cela pouvait donner ! Il fallait très souvent prêter l'oreille pour pouvoir entendre le petit ensemble de musiciens face à l'orchestre. Pour moi, la musique baroque c'est un peu cela !"

 

LEXNEWS : " Quelle partie du répertoire exprime pour vous le mieux cette approche ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : « Je pense qu'un compositeur majeur synthétise tout cela : Jean-Sébastien Bach. Il y avait au XVIIe siècle des esthétiques très fortes, et qui se sont un peu estompées au XVIII°. Deux écoles prédominaient alors : La première, française, était axée sur la danse avec une forte connotation rythmique et des références aux danses très fortes. Cela donnait lieu à des styles de pièces tels les menuets, les courantes, les sarabandes,... toutes ces pièces ayant des rythmiques très précises. La deuxième école, en Italie et à la même époque, réservait le rôle principal au chant. Le chant était ainsi au centre de l'art et constituait la source d’inspiration majeure des compositeurs. L'imitation du chant sera au coeur de cette école. Jean-Sébastien Bach, comme d'ailleurs Couperin, vont essayer toute leur vie de réunir ses goûts. Bach peut très bien écrire des pièces comme une suite française dans le plus pur style français. Mais il ira tout aussi bien vers l’écriture de toccatas dans le style de Frescobaldi. Il n’hésitera pas également, dans une même oeuvre, à réunir ces deux approches. Couperin a également réalisé cela. Il a rédigé un traité qui s'intitule les "Goûts Réunis" et un autre qui s'appelle "Les Nations". Je pense que ce sont ces compositeurs, qui ont toujours souhaité associer les styles, qui nous offrent le plus de contraste. Cette approche offre tour à tour une musique très rythmique, puis une autre comprenant une grande mélodie proche du chant,... Je pense qu'un compositeur comme Jean-Sébastien Bach peut ainsi faire l'objet d'étude pendant toute sa vie sans se lasser. Si l'on ne pratiquait que de la musique à danser, la créativité ferait défaut pour nous. C’est un peu la même chose pour la musique de Haendel qui a certes un sens de la mélodie très fort, c'est déjà presque le bel canto, mais avec lequel je me lasserais plus vite. En fait, notre Ensemble embrasse divers styles, afin d'avoir toutes les armes pour aborder Jean-Sébastien Bach ou Mozart."

 

LEXNEWS : " Quel est votre rapport à la voix et aux autres arts de cette époque qui n'étaient jamais séparés à l'époque mais plutôt conjugués ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : " Je suis bien sûr fasciné par l'art vocal. C'est un très bel instrument, il y a quelque chose de magique avec la voix naturelle. J'ai eu la chance de rencontrer de très bons chanteurs. Ils m'inspirent littéralement, et avec le violon je essaye d'imiter leur expression vocale. Cela est particulièrement vrai pour les timbres. Quelqu'un comme Patricia Petibon, par exemple, a cela dans la voix. Cela lui permet de varier ses couleurs, ses timbres... Nous allons aussi faire des concerts avec Sandrine Piau, Paul Agnew,... Toutes ces voix m'enchantent notamment avec Mozart. Nous avons conçu des programmes Mozart où le violon ira vers la voix. Le choix des oeuvres s'est porté sur la fin de la période salzbourgeoise du compositeur. Nous avons sélectionné des oeuvres composées la même année, 5 concertos pour violon en 1775. Il était très intéressant de voir comment Mozart avait réutilisé, pour un opéra "Il Ré Pastor" écrit à la même époque, des airs que nous retrouvons dans les concertos en question. L’un des thèmes de ses concertos pour violon lui a plus et il l’a retranscrit tout de suite pour le chant. Dans son opéra, il y a un air où il fait dialoguer la voix de soprano avec le violon. C'est une période où il s'exprime en dehors du clavier avec le violon et en même temps où il se rapproche de l'art vocal. Ce parallèle m'a motivé pour le travail de cette année."

 

LEXNEWS : "L'objectif est il de transcender cette dualité d'instruments ?"

 

Patrick Cohën-Akenine : " Tout à fait, il s'agit de passer à un autre stade. Et évidemment, j'attends le grand moment ! Le travail, le concert, l'échange qu'il va y avoir entre Sandrine Piau et moi-même. Tout cela relève du non-dit, nous allons aller l'un vers l'autre avec la plus grande écoute. Je vais tendre au maximum vers ce qu'elle va me proposer et je pense que ce que je vais pouvoir lui donner va lui offrir des idées, une impulsion et une rythmique qui vont l'aider dans ses airs. Nous essayons dans la mesure du possible de laisser libre nos instincts. Nous avons fait des années d'études, avec une maîtrise de notre instrument, et maintenant nous avons toutes les possibilités pour nous exprimer. Je pense qu'il est intéressant, grâce à de telles rencontres qui permettent d'évoluer, de pouvoir être confronté à des oeuvres très exigeantes comme celles de Mozart. J'aime bien travailler avec des personnes que je connais depuis des années. Le facteur humain est très important. Nous restons en contact régulièrement et attendons cet instant avec impatience."

 

LEXNEWS : " Accordez-vous une grande importance au travail sur les sources ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : « C'est très important pour nous. Je passe énormément de temps à la Bibliothèque Nationale, sur les manuscrits. Nous allons parfois revoir la source pour nous rendre compte des articulations. Nous avons la chance, depuis quelques années déjà, d'avoir des éditeurs qui effectuent un travail assez scrupuleux, ce qui n'était pas le cas avec les éditions du XIXe siècle que nous avons tous connues. À cette époque, en effet, un interprète prenait la source et y mettait ses propres articulations. Il y avait à cette époque un véritable culte de l'interprète. Les interprètes de nos jours sont beaucoup plus exigeants sur le travail des sources. Nous cherchons véritablement à restituer la pensée et les couleurs des compositeurs sur lesquels nous travaillons. Nous réfléchissons par exemple aux effectifs de l'époque. Nous évitons ainsi de surcharger ces effectifs, ce qui était le cas autrefois. Nous essayons aussi de retrouver les équilibres afin d'éviter qu'une chanteuse ne soit, par exemple, obligée de forcer sa voix. Je dois avouer que je n'écoute pratiquement aucune version même si je respecte beaucoup ce qui a été fait par mes confrères. J'adore par contre aller écouter les concerts de collègues mais j'ai par contre beaucoup plus de mal avec le disque. C'est également le cas pour mes propres enregistrements. Le concert est un moment magique et je crois beaucoup à l'avènement du DVD qui va non seulement capter un son mais également une ambiance, un mouvement, une couleur... Le disque me paraît un peu froid. Qui plus est, nous savons tous comment les disques sont faits avec beaucoup de montage. Je crois beaucoup plus à l'avenir du DVD."

 

LEXNEWS : " Quel est votre rapport vis-à-vis de votre instrument ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : " C’est une question qui m'intéresse beaucoup. Le travail sur le violon baroque m'a beaucoup apporté. Dans mes études, jusqu'aux concours internationaux, j'ai pu aborder le répertoire très classique avec les caprices de Paganini et les grands concertos du répertoire. Si j'ai beaucoup aimé toute cette période, j'avais l'impression d'aller dans un entonnoir, tout cela était de plus en plus source de tension. Je ressentais un véritable rapport de force entre mon violon classique et moi-même. Avec le violon baroque, j'ai retrouvé une liberté d'expression. D'un point de vue physique, l'instrument est posé sur la clavicule et la tête n'est pas posée, laissant la table d'harmonie ainsi plus libre. Cela a pour conséquence d’offrir des résonances tout à fait naturelles. L'instrument est non seulement beaucoup plus libre mais également le corps. Cela m'a donné une liberté au niveau de ma gestuelle et notamment de mon bras droit. Ce fut un grand bouleversement, au point où je me demande si je ne suis pas allé vers cette musique ancienne inconsciemment en sachant cela. La conduite du son avec ce vibrato constant et cette tension étaient pour moi une surenchère dans la puissance. Si l'on veut faire carrière comme violoniste moderne, il faut avant tout avoir un gros son parce que nous jouons dans des grandes salles où la notion de puissance est très importante. Il y a donc un travail musculaire très difficile. J'ai quelques amis qui font cela merveilleusement, Laurent Korcia par exemple. Mais des violonistes comme cela, il y en a très peu. Et j'ai l'impression de retrouver cette liberté au violon baroque. J'ai trouvé un très bon instrument grâce à mon luthier, un violon de la fin du XVIIIe fait par un luthier français, Joseph Basso. Ce bel instrument m'a particulièrement motivé. Il a bien sûr fallu trouver un archet qui lui corresponde au mieux, ce qui n’est pas chose facile !

Pour le répertoire plus ancien, je possède un instrument qui est plutôt d'une esthétique XVIIe siècle, un instrument allemand. Il y a une très grande recherche à faire quant aux archets. Les archets ont en effet énormément évolué du début du XVIIe siècle en Italie jusqu'à la période classique. Je joue régulièrement avec six archets et, selon les époques, je passe de l’un à l’autre. Il est intéressant de noter que le son du violon change totalement d'un archet à l'autre. Les articulations sont différentes, les timbres également… Le rapport du musicien avec son instrument est très proche en effet. Nous apprenons à le connaître, à le réparer parfois, il faut faire très attention à l'hygrométrie, au choix des cordes en boyau,… »

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

Patrick Cohën-Akenine : « Jusqu'à maintenant nous avons gravé pour le disque de la musique française. Les prochains enregistrements vont se porter plutôt vers un répertoire classique. Nous allons sortir en décembre un disque consacré à Boccherini, et nous préparons un disque Mozart pour le mois de mars 2006 intitulé Nacht Muzik. Il s'agira d'un disque assez léger, mais également extrêmement virtuose, sur le thème de la nuit avec une sérénade de 35 minutes ! Nous allons commencer à enregistrer du Bach avec des cantates en dialogue entre Jésus et l'âme. Ces cantates sont magnifiques et nous les enregistrerons en avril 2006 sur un orgue dans le Massif central, orgue qui a été fait à l'identique à partir d’un instrument de Bach. Nous reviendrons également à la musique française avec les Nations de Couperin. »

Retrouver les Folies françoises sur leur site :

www.foliesfrancoises.com

 

Les Interviews de LEXNEWS : Dominique VELLARD, Vézelay, 28 août 2004.

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Rencontré après l'interprétation de la superbe Messe de Notre-Dame de MACHAUT à Vézelay, Dominique VELLARD, créateur du fameux Ensemble Gilles BINCHOIS, a accepté de répondre à nos questions. Découverte d'un artiste talentueux à la rigueur sans concession.

 

LEXNEWS : «  Quels sont les traits marquants de votre parcours musical qui ont pu vous motiver à repartir si loin dans le temps ? » 

Dominique VELLARD : « J’ai commencé à chanter à Versailles quand j’avais 7 ans et le répertoire était bien sûr celui de la musique ancienne. Ma première musique a ainsi été cette musique dont le qualificatif « ancienne » ne signifiait pas grand chose pour moi. Je chantais de la polyphonie, du chant grégorien, de la musique de CHARPENTIER, BOUZIGNAC,… Pour moi, tout cela était la « vraie musique » : soit la monodie pour le chant grégorien, soit le contrepoint. J’ai commencé à 12 ans avec une guitare à faire des accords, ce qui était totalement nouveau pour moi ! C’est donc cette première musique à l’âge de 7 ans  qui m’a fournie toutes mes références pour l’avenir. Je suis passé par le Conservatoire où j’ai pu découvrir d’autres musiques bien sûr, mais cela a toujours été la base même de la musique. La musique jusqu’au 17ième siècle a toujours été celle que je préfère. J’ai fait quelques incursions dans le XIX°, voire même dans le contemporain, mais cela reste résiduel. J’ai eu la chance de travailler avec de nombreux musicologues, et il y a 22 ans, j’ai été nommé à Bâle à la Schola Cantorum, ce qui m’a permis d’avoir des contacts avec de nombreux collègues. J’ai chanté avec de nombreux ensembles européens tels ceux de Clemencic, Sequentia,…ce qui m’a permis de me former à partir de ces expériences. J’ai beaucoup lu et partagé voire même servi de cobayes, comme de nombreux confrères, à des expériences conçues par des musicologues. Mon parcours a ainsi été caractérisé par la mise en son d’une somme innombrable de documents et autres sources anciennes. Il ne faut pas oublier que ces musiques du Moyen-âge, qui nous sont parvenues, sont d’un très haut niveau. Si le XIX° siècle peut faire coexister des chefs d’œuvres à côté d’œuvres contestables, les musiques médiévales que nous connaissons relèvent d’une très grande compétence. Ce sont ces musiques que j’ai toujours pratiquées. 

LEXNEWS : « Effectuez vous un travail en amont sur ces sources avant votre interprétation comme par exemple la messe de MACHAUT ? » 

 Dominique VELLARD : « En fait la messe de MACHAUT a été étudiée depuis plus d’un siècle, et toutes les éditions sont a priori justes. Je pense très sincèrement qu’il faut rester humble. On m’a souvent présenté comme un musicologue ce qui est totalement faux ! Si je n’avais pas bénéficié de toutes ces sources préalables sur la messe de MACHAUT, j’aurais été incapable de la transcrire. Bien sûr avec tous ce que j’ai appris depuis, je pourrai la relire, mais c’est véritablement un métier en tant que tel.  

LEXNEWS : « Passez vous facilement du Grégorien au Baroque ? » 

Dominique VELLARD : « De plus en plus, en effet. J’ai une cinquantaine d’années et donc une certaine expérience. Il y a bien sûr un certain temps d’adaptation. Mais de manière globale, ces sauts dans le temps ne me dérangent pas, même si parfois cela peut être difficile vocalement de passer du Baroque à la Polyphonie dans le même concert. Mais j’ai toujours cherché la grande ligne dans l’histoire de la musique et c’est ce qui m’a aidé à comprendre que ces musiques ne sont pas compartimentées. Il y a des musiques qui sont dans l’extrême et qui m’attirent moins aujourd’hui, je préfère alors ne retenir que les répertoires qui m’exaltent et me nourrissent. » 

LEXNEWS : « Quelle est la place tenue par MACHAUT dans ces sources d’inspiration ? » 

Dominique VELLARD : « MACHAUT a tenu une grande place dans ma vie, je l’ai interprété très souvent pour le concert et le disque. Je dois avouer qu’en ce moment, je suis dans une période où j’en fais moins. Je me suis un peu fatigué de tout ce répertoire. C’est d’une telle intelligence et d’une musicalité extraordinaire que cela est difficile à restituer. Ces musiques ont été conçues d’une manière très intellectuelle et atypique. C’est, si vous voulez, un peu l’équivalent de BOULEZ aujourd’hui. Je crois que même les pianistes contemporains ne joueraient pas exclusivement les sonates de cet auteur. Depuis 5 à 6 ans, je cherche à me nourrir de la grande Polyphonie Renaissance, du Grégorien,… » 

LEXNEWS : « Quelle est l’initiative de votre ensemble Gilles BINCHOIS, il y a maintenant  près de 25 ans ? » 

Dominique VELLARD : « Cela a été pour moi l’occasion d’expérimenter toutes les musiques que j’avais envie de faire. Il ne faut pas oublier qu’il y a 20 ans certains disques de musique médiévale étaient très mal fait. Ce n’était pas la faute des personnes qui les faisaient, mais ils étaient, souvent, soit des amateurs, soit des personnes non spécialisées dans ce domaine. La musique a besoin d’artistes totalement investis dans ce qu’ils font et ne souffre pas d’imperfection. Je pense qu’il ne s’agit pas d’un discours prétentieux, mais bien d’une condition essentielle à tout art. Je ne fais plus aucun concert pour répondre à une demande au risque de dénaturer la source. Il faut non seulement que les chanteurs aient un grand talent, mais, au-delà, qu’ils aient également une volonté de se dépasser complètement. Si la musique n’est pas ainsi conçue, cela ne suffit pas. Il y a aujourd’hui de nombreux jeunes chanteurs qui se débrouillent bien, mais pas assez pour atteindre ce niveau supérieur. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question d’âge, le contre-ténor du concert d’aujourd’hui est très jeune, mais il a une volonté intérieure telle qu’il va au fond des choses et c’est cela qui est essentiel. » 

LEXNEWS : « Quelle est justement votre attitude quant aux membres qui composent votre Ensemble, est ce quelque chose qui se dit ou bien cela relève-t-il d’une convention tacite ? » 

Dominique VELLARD : « Je parle en effet de moins en moins ! J’ai en effet avec ces musiciens de longues histoires, ils me connaissent et je les choisis en fonction des affinités musicales que nous pouvons avoir. Dans ce cas, la communication est immédiate. Mais je ne suis pas directif. Même lorsque je dirige un chœur, je limite cette direction. Je me suis rendu compte qu’il faut que toute énergie vous soit donnée pour faire naître des choses très vivantes. C’est de l’extrême qualité de chacun que va se produire l’accord voulu, il faut juste suggérer cette direction. S’il s’agit de faire des choses pour que cela soit historique, cela ne m’intéresse plus ! J’aime bien sûr l’Histoire et que cela nous permette de faire passer quelque chose à notre public, mais après je ne sais pas si cela est perçu ou non…» 

LEXNEWS : « Pendant certains passages de la Messe, nous avions justement l’impression d’une certaine sensualité dans ce qui était exprimé par les musiciens, ce qui peut sembler étonnant ? » 

Dominique VELLARD : « Non, car justement c’est une image qui m’est venue à l’esprit lors de certains passages de cette Messe que nous chantions ! Mais je crois que l’Art renvoie tout à fait à cela.  » 

LEXNEWS : « Mais un tel adjectif n’est il pas inadéquat par rapport au message sacré ? N’est ce pas une transposition d’un état psychologique d’un auditeur du XXI° siècle ou bien cela pouvait il être ressenti tel quel à l’époque ? » 

Dominique VELLARD : « Non, c’est complètement pensé comme cela. Si vous prenez des mystiques comme Jean de la Croix, c’étaient de très grands sensuels. Ils étaient loin d’être des personnes désincarnées ! Un compositeur comme MACHAUT va tomber amoureux d’une jeune fille à la fin de sa vie ! Je crois que lorsque l’on est si touché par la vérité, que l’on soit un grand peintre ou un musicien, on ne peut qu’être sensuel, pas dans un sens trivial bien sûr, mais dans ses rapports avec la matière. Quand nous chantons le Grégorien, avec Hervé Lamy, nous essayons de trouver des couleurs qui se répondent, et pour moi, c’est une forme de sensualité. Cela fait partie du chant liturgique qui est porteur d’un message, mais qui est également porteur de la beauté. Quand la beauté devient première, et que le musicien s’en sert pour l’arrogance, tout est cassé. C’est quelque chose qui a été très difficile dans mon parcours, car on peut se valoriser très facilement de ce que l’on fait, et alors c’est le début de la fin. Sans écarter l’idée de talent, l’humilité doit être le guide. » 

LEXNEWS : « Cette attitude n’est elle pas plus difficile à obtenir pour la musique baroque qui transgresse plus facilement les cadres et les frontières des siècles précédents ? » 

Dominique VELLARD : « Oui, je crois qu’il y a dans toutes les musiques, et notamment pour la musique du XVII°, un côté galant qui peut être moins intéressant même s’il reste brillant et éventuellement passionnant. Mais je crois que les grands compositeurs baroques comme MONTEVERDI, CHARPENTIER, NIVERS…sont des personnages très profonds qui peuvent certes se servir d’éléments rhétoriques mais dont le discours restera noble. Quand la musique perd sa noblesse, ce n’est plus véritablement de la musique. Dans le même ordre d’idée, la musique, selon moi, ne peut pas relever du domaine de l’humour. L’humour et la musique me semblent antinomiques. La musique n’est pas drôle, même si vous prenez la chanson traditionnelle où vous pouvez avoir des chansons très lestes, cela sera toujours chanté sérieusement car c’est l’art de la vocalité. » 

LEXNEWS : « Vous pensez par exemple à des chansons populaires comme les Cris de Paris ? » 

Dominique VELLARD : « Oui, car dans ce cas nous sommes face à quelque chose de compliqué : Comment arriver à concilier un contrepoint avec des jeux d’onomatopées ? Ce n’est pas un domaine qui m’attire, mais si vous prenez Dominique Visse, il sait faire cela parfaitement. Tout d’abord parce qu’il est un contrapuntiste génial et en plus c’est un acteur ! Je préfère les pages plus lyriques et poétiques d’un Clément JANEQUIN. » 

LEXNEWS : « Quels sont vos centres d’intérêts actuels ? » 

Dominique VELLARD : « Nous aimons beaucoup la musique du XVII°, française avec NIVERS, CHARPENTIER,… ou italienne avec MONTEVERDI, CARISSIMI,… Je dois avouer que les deux écoles m’intéressent avec peut-être une petite préférence pour l’Ecole italienne. Toutes ces musiques sont vraiment très profondes, il n’y a en l’espèce aucune galanterie. Parallèlement, je poursuis un travail d’écriture pendant mes vacances, ces dernières étant trop rares ! Je n’écris que de la musique vocale, et seulement pour notre ensemble ou pour moi-même, c'est-à-dire des monodies ou pour quatre à cinq voix. » 

LEXNEWS : « Les donnez vous en concert et pour le disque ? » 

 Dominique VELLARD : « Nous les donnons en effet en concert, et nous allons enregistrer un disque avec une sélection de ces compositions. J’ai également écrit les « Sept dernières paroles du Christ » qui sont faites pour préluder les Quatuors de HAYDN, et que nous donnons régulièrement en concert. Tout cela a pour moi un sens, même si c’est une petite partie de mon travail. Je pense que cela s’inscrit dans une approche globale de ce que je souhaite réaliser. C’est également une manière de m’épanouir ! C’est évidemment une somme de travail mais cela correspond à un choix personnel. Je n’entreprends que les choses qui m’exaltent sans pour autant être hystérique… »

 

LEXNEWS : « Dominique VELLARD merci, votre démarche ne manquera pas de passionner nos lecteurs qui retrouveront régulièrement les nouvelles de votre Ensemble dans nos colonnes ! »

 

 

Les Interviews de LEXNEWS :Josep CABRE, Vézelay, 29 août 2004.

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Rencontré après un superbe concert donné à Vézelay, Josep Cabré a bien voulu nous présenter son Ensemble, La COLOMBINA, qui s'attache au répertoire vocal pour quatre voix de la fin de la Renaissance espagnole, un ensemble à découvrir absolument !

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LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter votre Ensemble La Colombina et votre propre parcours ? »

 

Josep CABRE : « La Colombina est le produit d’un rêve de jeunesse avec Josep Benet depuis deux, voire trois décennies ! La Colombina est née en fait en 1990. Depuis, nous avons évolué, même si Raquel Andueza, soprano, et récemment José Hernandez Pastor, contre-ténor, forment avec nous le noyau dur de cet ensemble. Ce n’est pas un ensemble de musique ancienne mais un quatuor vocal. Cela veut dire que nous partons d’une idée de travail en restreignant volontairement notre répertoire à cette formation restreinte. Il s’agit véritablement d’un équilibre que nous souhaitons à chaque fois établir et préserver autour de ces quatre voix. Il est d’ailleurs très rare que l’une de ces quatre personnes soit remplacée. Cette volonté est justifiée par l’extraordinaire expérience que nous avons pu mener ensemble. Les notes de la polyphonie de cette époque sont faciles à lire, on ne peut pas en dire autant de leur rendu. C’est pour cela que la connaissance que nous avons de chacun est le point essentiel pour exprimer au mieux cette musique. Il me parait essentiel de préserver ce désir de quatre personnes à travailler ensemble. »

 

LEXNEWS : « Il ne s’agit pas de mettre en avant une individualité au détriment des autres »

 

Josep CABRE : « Non, en effet. Je pense que les individualités sont suffisamment respectées sans pour autant dominer le résultat d’ensemble. Notre idéal est celui d’un bon quatuor à cordes, et d’ailleurs, sans individualités fortes, il n’y a pas non plus de travail d’ensemble ! »

 

LEXNEWS : « Votre volonté d’un quatuor à cordes s’articule essentiellement autour du répertoire de la Renaissance espagnole, est ce une autre caractéristique de votre Ensemble ? »

 

Josep CABRE : « Même si nous avons abordé des répertoires français, italiens,… nous avons une préférence pour les répertoires hispaniques surtout pour ceux de la deuxième moitié du XVI° siècle et du début XVII°. Pour quelles raisons ? Il faut savoir que les quatuors du début du XVI° sont composés par une voix d’alto, deux de ténors et une de basse. L’équilibre à quatre voix mixtes, tel que nous l'avons ici, correspond plus à la fin de la Renaissance, le Maniérisme et le premier Baroque. C’est véritablement le répertoire idéal. Cela ne nous empêche pas de donner l’office intégral pour la Semaine Sainte de VICTORIA avec d’autres voix nous accompagnant. »

 

LEXNEWS : « Quel est votre travail sur les sources que vous utilisez ? »

 

Josep CABRE : « Je pense que chacun doit être à sa place et je ne souhaite pas m’investir en tant que musicologue. Ce n’est pas mon rôle. Même si le métier nous permet de comprendre certaines choses, la meilleure solution est de travailler conjointement avec les personnes qui sont spécialisées sur ces sources. Malheureusement, parfois, leurs oreilles n’arrivent pas à percevoir ce qu’ils sont entrain de transcrire, et dans ce cas, on se met d’accord avec eux. Nous utilisons ainsi les éditions modernes, tout en gardant un droit de regard sur les sources anciennes. »

 

LEXNEWS : « La place des instruments dans votre approche est ainsi également volontairement restreinte ? »

 

Josep CABRE : « Oui, tout a fait. Le recours aux instruments est assez rare. Un orgue, un luth ou une vihuela peuvent éventuellement intervenir, mais la philosophie de base de La Colombina reste le quatuor vocal. »

 

LEXNEWS : « Comment percevez vous ce répertoire sur lequel vous axez votre travail ? »

 

Josep CABRE : « Je pense que la deuxième moitié du XVI° siècle reste encore mal connue. La musique de transition, le Maniérisme,… qui débordent sur le XVII° siècle offrent de nombreux champs d’investigation. Nous trouvons, à cette même époque, vers 1580-1610, à côté d’œuvres très formelles répondant à des souhaits de la Cour, des œuvres construites dans le style antique intégrant de nombreux éléments baroques. C’est quelque chose de passionnant. Nous pouvons déjà trouver cela dans VICTORIA. On pourrait ainsi dire que, plus que la fin de la Renaissance, c’est le tout début du Baroque qui nous attire. GUERRERO offre de nombreux motets, chansons et villanelles pour quatre voix. Il reste un compositeur assez peu connu, en dehors des trois ou quatre œuvres régulièrement données. Et pourtant il produit une musique très dense, qui se distingue pour la même époque, de la madrigalistique en Italie ou de la chanson française. Le travail de Martin de VILLANUEVA, par exemple, est intéressant. Ce compositeur a subi beaucoup de contraintes à son époque. Il avait ainsi une quasi interdiction d’utiliser les instruments pour la polyphonie qui était donnée au monastère royal de l’Escorial, fondé par Philippe II. Il ne faut pas oublier que les règles étaient très strictes dans ce Monastère particulier qui jouissait de la haute influence royale. De plus, l’ordre des Hiéronymites, qui a la charge du monastère, accorde une priorité au plain chant, la polyphonie étant plus restreinte.»

 

LEXNEWS : « Ces restrictions étaient d’ordre religieuse. »

 

Josep CABRE : « Oui, absolument. Avec le Concile de Trente, les règles ont été très strictes afin d’éviter les abus lors de liturgie. L’Eglise a ainsi fait marche arrière sur de nombreuses choses, dont la présence des instruments lors du culte. Il faudra attendre la seconde moitié du XVII° siècle pour que cela soit assoupli. L’Escorial impose ainsi des règles très précises sur la durée du plain-chant… Si la musique de VICTORIA se trouve à des milliers de kilomètres de ces compositions données au monastère royal, il n’en demeure pas moins que ce sont des œuvres du patrimoine qui méritent d’être redécouvertes. L’Histoire fera certainement le tri entre ces différentes sources, ce qui n’est pas notre rôle. »

 

LEXNEWS : « Vous avez, en dehors de La Colombina, fait quelques incursions dans le répertoire contemporain, comment passez vous ainsi du XVI° au XXI° siècle ? »

 

Josep CABRE : « Je pense sincèrement que si l’esthétique de la musique peut varier avec les siècles, la démarche du chanteur qui cherche une tessiture bien longue, une expressivité qui découle du mot, …reste la même. Je ne dirais pas la même chose pour le répertoire du début XVI° qui pourrait être qualifié de gothique ! Plus que d’exprimer l’affect, ce qui compte c’est la structure du volume sonore. Alors que la deuxième Renaissance cherche beaucoup plus le clair-obscur que l'on retrouvera dans le baroque. C’est un peu cette dernière démarche qui m’attire, y compris pour la musique contemporaine que je peux interpréter avec les œuvres du compositeur Feliu Gasull. »

 

Les Interviews de LEXNEWS : Arianna SAVALL, PARIS, 16/03/04.

 

A l'occasion de la sortie de son dernière disque "Bella Terra" paru chez ALIAVOX, Arianna SAVALL présente aux lecteurs de LEXNEWS ce qui lui tient à coeur dans ce projet original qui s'écarte des sentiers habituellement parcourus par la jeune et talentueuse artiste

!

LEXNEWS : « Il serait difficile de passer sous silence ce qui vient de se dérouler la semaine dernière à Madrid : Comment percevez vous en tant qu’espagnole, et artiste, la terrible tragédie qui a touché votre pays ? »

 

Arianna SAVALL : « Ce qui vient de se passer me touche énormément car le premier sentiment qui m’empoigne est une profonde tristesse, un sentiment partagé par une grande majorité de personnes en Espagne et dans le monde entier. Voir ces familles déchirées sous le poids des disparitions brutales ou des blessures qui resteront gravées à vie est une chose terrible car ces personnes étaient innocentes. Je pense que la musique peut être importante dans ces instants de douleurs et de peines. Hier, nous étions avec mes parents et de nombreux musiciens, réunis à Vienne dans un premier concert depuis cette date. Le thème était consacré aux Musiques du Monde : un pur hasard après la triste actualité … L’Ensemble de musiciens Kaboul était accompagné par une chanteuse afghane, exilée depuis 15 ans en Californie car ne pouvant plus être musicienne dans son pays, avec Yaerl Dallal, un luthiste israélien, Driss El Maloumi, un luthiste du Maroc, Kent Suckerman, un américain du nord qui interprète de la musique indienne, ainsi que mes parents, Montserrat Figueras et Jordi Savall, et moi-même  représentant la musique médiévale et séfarade. Tous ces musiciens avaient pour trait commun d’unir des traditions musicales et plus généralement culturelles très diverses : chrétiennes, arabes, juives, indiennes,… Je dois avouer que ce concert a eu une dimension très particulière en raison des tragiques évènements. Le programme aurait pu avoir une dimension plus sentimentale en tant normal mais hier c’était une toute autre impression. Voir chanter cette chanteuse afghane accompagnée par ma mère et l’Ensemble fut une chose inoubliable qui était en quelque sorte un message d’espoir et dans une certaine mesure une réponse à l’horreur de l’acte commis. Ce sentiment fut totalement partagé par la salle : le public vibrait et partageait pleinement ce sentiment indicible mais que tous ressentait en leur fort intérieur. Je pense que la musique nous démontre que par son langage unique, un chanteur arabe, juif et chrétien sont reliés par des racines communes qui transcendent les oppositions historiques. »

 

LEXNEWS : « Nos lecteurs vous connaissent par vos nombreux concerts que nous avons couverts ainsi que par un premier disque « Sopra la Rosa » paru précédemment chez Ambroisie, mais on peut dire que votre dernier enregistrement qui paraît ce printemps chez ALIAVOX signe une création très personnelle ? »

 

Arianna SAVALL : « Bella Terra est un projet qui est né il y a 11 ans d’une manière très intimiste à la maison. C’est une création musicale consacrée à la poésie. Bella Terra est à la fois le village de mon enfance et en même temps un nom à l’évocation universelle. « Belle terre » fait ainsi référence à une terre un peu plus juste, mieux équilibrée et que l’homme respecterait plus ! Ce mot évoque également l’idée de partage entre l’homme et la nature, l’homme et la femme, ainsi que l’idée de vie indissociable de cette notion. Dans cette idée, j’ai sélectionné des poèmes que j’aimais beaucoup et qui ont pour thème commun l’amour dans ses différentes acceptions : l’amour filial, spirituel, charnel,…

Les poésies de Joan Salvat-Papasseit, poète catalan mort à l’âge de 30 ans, expriment cette vitalité dans ses œuvres. Un autre grand poète malheureusement disparu l’automne dernier, Miquel Martí i Pol, a eu également une très grande influence sur notre jeunesse : atteint d’une grave maladie, le poète a développé une communication exceptionnelle avec la jeunesse. J’ai eu le plaisir de le rencontrer un jour et de lui faire entendre certains de ses poèmes que j’avais mis en musique, son accueil fut chaleureux et il m’encouragea vivement à poursuivre.

 

LEXNEWS : « D’où vous vient ce goût pour cette poésie qui est au cœur de cette nouvelle création ? »

 

Arianna SAVALL : « Je crois que très jeune j’ai pu bénéficier d’une certaine sensibilité à la poésie grâce au système éducatif que j’ai suivi en Suisse pendant ma jeunesse. Mes parents m’avaient inscrite dans une école à Bâle réputée pour son encadrement pédagogique. Ce fut une expérience fantastique car ce système éducatif part du postulat qu’il est indispensable de préserver cette enfance alors même que, trop souvent, les écoles saturent d’informations et de réalités ces jeunes esprits qui deviennent trop vite adultes. Je me rappelle que nous avions dans cette école de nombreuses manifestations où nous récitions des poèmes de RILKE et de GOETHE. Je pense que cette sensibilité pour la poésie date de cette époque dans un univers  poétique germanique en raison de ma situation géographique. A 8-9 ans, nous étions comme dans un rêve. »

 

LEXNEWS : « La partie musicale est-elle de votre composition ? »

 

Arianna SAVALL : « Oui, tout à fait. Je n’ai pas voulu imiter un style particulier. Bien sûr ma formation première de musique ancienne est certainement très importante dans les fondements de ces musiques du disque mais j’ai essayé de créer un style propre très personnel et intimiste offert par ce dialogue très spécial entre la voix et la harpe. Cette conversation est un peu perdue de nos jours en Europe même si elle est restée très présente en Irlande et en Amérique. »

 

LEXNEWS : « Peut on dire que vous avez rétabli un pont entre les origines médiévales des troubadours et notre époque contemporaine en repensant l’équilibre longtemps effacé entre les mots et la musique ? »

 

Arianna SAVALL : « Je pense en effet que nos origines médiévales accordaient une importance très grande au mot et que la culture des troubadours n’est pas éloignée de ma démarche. Je suis souvent partie d’un poème pour établir la musique qui lui correspond. Mais j’ai également dans certains cas rechercher un texte qui puisse accueillir une mélodie que j’avais à l’esprit, même si par la suite cette mélodie devait elle-même subir quelques modifications pour s’adapter aux accents et au rythme du texte ! Avant de faire ce disque, j’avais depuis longtemps développé en concert cette manière de chanter en s’accompagnant à la harpe. Je trouvais cela très naturel de chanter accompagner de la harpe : c’est en effet tout d’abord une excellente position pour exprimer le chant et la harpe soutient parfaitement la voix avec force ou douceur selon les cas. Elle n’éteint jamais la voix. »

 

LEXNEWS : « Dans quelle langue sont les poèmes retenus pour votre disque ? »

 

Arianna SAVALL : « J’ai retenu des poèmes en catalan, en espagnol, un thème séfarade : « Yo m’enamorí d’un aire », et un poème chanté en arabe du  poète soufi perse Omar JAYYAM du XII° siècle avec un texte d’une modernité frappante lorsqu’il dit :

« Un instant sépare la dévotion du blasphème,

un instant partage ce qui est certain de l’incertain 

profite de cet instant et donne lui tout son prix,

car la somme de la vie est comprise en cet instant. »

Cette diversité des textes a d’ailleurs retenu l’attention du public lors des concerts donnés. Ce disque peut être ainsi rangé dans la catégorie musique du monde du fait de cet héritage. Certains le présentent dans la catégorie musique ancienne en raison de ma formation initiale et de certains instruments qui y figurent même si je pense que le fait que ce soit une création propre et nouvelle irait plutôt vers la première catégorie. Julio Andrade avec la contrebasse ou Pedro Estevan pour les percussions ainsi que Dimitris Psonis avec ses instruments traditionnels donnent certainement une connotation ancienne à la musique interprétée, ce qui est d’ailleurs le cas avec la harpe que j’utilise ! »

 

LEXNEWS : « Arianna merci, et à très bientôt dans nos colonnes pour de nouvelles poésies musicales ! »

 

 

A découvrir dans notre page DISQUE le très bel album "Bella Terra" paru chez ALIA VOX !

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : EDWARD HIGGINBOTTOM, LANVELLEC, 25/10/03.

 

© LEXNEWS

 

LEXNEWS : « Votre formation initiale est celle d’un organiste qui très vite s’est passionné pour la musique baroque et notamment française, d’où vous vient cette attirance pour cet instrument et ce répertoire et comment êtes vous passé très jeune à la direction d’orchestre puisqu’à l’âge de 29 ans vous devenez Director of Music du New College Choir Oxford ? »

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : « J'ai eu très tôt accès à l'orgue de ma paroisse. C’est vers l'âge de 10 ans que cet instrument m'a attiré, un instrument qui avait l'air un peu plus grand que le piano ! C'est en raison de son esthétique sonore que j'ai alors décidé d'aller plus loin. Un jeune enfant ne pouvait être qu'attiré par la magie des jeux et de leurs multiples combinaisons. Après plusieurs années de pratique, vers l'âge de 16 ans, j'ai été nommé responsable du choeur et du jeu d'orgues de cette église. C'est donc un peu par hasard que j'ai pris un certain goût pour ce genre de choses. Je suis allé ensuite à Cambridge afin d’étudier la musique. Dans ce cadre d'études, il est possible d'être nommé Organ Scholar : c’est un poste qui pendant les trois ans d'études permet d'exercer le rôle de chef de choeur et d’organiste dans la chapelle du collège. Vous le savez pour nous en Angleterre les collèges ne correspondent pas obligatoirement à un enseignement secondaire mais se rattachent aux universités anciennes, Cambridge et Oxford par exemple. Ce sont des bâtiments où vivent les étudiants et les professeurs avec une vie en communauté. C'est d'ailleurs la vie que je mène actuellement au New College. Depuis six siècles, nous avons une activité liturgique dans la chapelle où je dirige cet office. Dans certains collèges, la musique peut même être dirigée par un étudiant. Cette expérience a été très enrichissante car avant même d'être formé, on est obligé de pratiquer cette direction ! Dans cette tâche difficile, l’ Organ Scholar plus âgé peut bien entendu vous guider de manière précieuse. C'est ainsi une sorte de formation empirique et pragmatique. À l'issue de la formation universitaire, j'avais la connaissance de l'orgue, du champ, de la direction et j'ai poursuivi mes études supérieures. Je me suis alors rendu à Paris afin d'approfondir la musique baroque française. C'est à cette époque que j'ai pu suivre des leçons d'orgues avec Marie-Claire Alain. Deux voies s'ouvraient alors à moi : la voie d’un musicologue et la voie d'un interprète. En revenant en Angleterre, j'ai pu avoir un poste qui nécessitait ces deux voies à la fois. C'est d'ailleurs le poste que je possède actuellement : je suis responsable de l'enseignement universitaire et parallèlement j'ai la responsabilité du choeur. »

 

LEXNEWS : «  c'est en fait une certaine tradition historique qui vous a amené à ces deux voies parallèles alors même que souvent les organistes préfèrent une certaine solitude »

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : «  il est vrai qu'en France, les organistes ont plutôt une position à part. Ils ont leur propre formation et la pratique de l'ordre des instruments se réalise tout en haut de la tribune. À l'inverse, en Angleterre, les organistes se trouvent souvent associés à des responsabilités de direction de choeur. Il descend alors de sa tribune et c'est son assistant qui assure le jeu de l’instrument ! L’avantage de cette approche est que le chef de choeur connaît le jeu d'orgues : les conseillers ainsi prodigués à son assistant sont forcément plus éclairés. La formation musicale d'un organiste et forcément plus solide que celle d'un chanteur : la composition, l'harmonie, l’analyse sont des domaines familiers. » 

LEXNEWS : « Vous êtes partisan d’un certain éclectisme dans le choix des répertoires et des œuvres que vous souhaitez présenter, quelle est pour vous l’apport d’une telle démarche ? »

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : « J'ai toujours envie de répondre l'inverse : pourquoi vouloir se restreindre à un certain répertoire ? Il est clair que très souvent l'argument avancé est celui d'une connaissance absolue dans un domaine afin de garantir une spécialité, une niche qui très souvent n'est pas éloignée d'incidences commerciales. Ce n'est pas du tout mon champ de bataille ! Nous pourrions certes revendiquer cette spécialisation dans la musique de BYRD, par exemple, mais d'autres ensembles comme les TALLIS SCHOLARS interprètent déjà cette musique. Ils ont l'avantage de travailler avec des adultes, des soprani qui ont une expérience certaine. Un enfant à l'inverse aura beaucoup de mal à suivre… Je ne veux pas pour ces raisons me présenter comme une personne ayant une spécialisation absolue dans telle ou telle école. Je préfère élaborer un instrument qui a son timbre spécifique, sa capacité à aborder un répertoire et avec cet instrument nous jouons ! Notre ensemble à une certaine couleur qui lui est propre et que l'on ne retrouve pas ailleurs. Cela est bien sûr le résultat de certaines règles et d’une certaine approche. Bien sûr, ces timbres pourront varier à l'image d'un cru pour le vin. Les modalités d'organisation du College nous facilitent cette tâche : notre obligation principale est d'assurer les offices, le reste est laissé plus libre.

Le deuxième objectif est de fournir aux enfants une formation musicale la plus complète possible. Dans cette optique, je préfère que cette formation soit fondée sur un grand nombre d'auteurs plutôt que sur un seul ! Je préfère constater que nos enfants ont pu chanter du BACH, du HAYDN, du TALLIS plutôt qu'un seul courant ».

 

LEXNEWS : « N’était ce pas le cas autrefois en Angleterre avec les diverses influences musicales héritées de l’histoire ? »

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : «  Oui ! Tout à fait, en Angleterre au XVIIe siècle,  nous avions des anthologies imprimées des oeuvres liturgiques qui contenaient les oeuvres du passé comme celles de TALLIS et BYRD. Ces anthologies furent la base des anthologies rédigées au XVIIIe siècle. Grâce à ce travail, un certain nombre d'oeuvres ont été perpétuées de siècle en siècle. Il n'y a jamais eu en Angleterre d'époque où ni TALLIS ni BYRD ne furent chantés. À l'inverse en France il y a eu de grandes ruptures : au XVIIIe siècle, on ne chantait plus LE JEUNE ou DU CAURROY. » 

 

LEXNEWS : « Revenons à votre instrument de prédilection : comment percevez vous le travail de restauration des orgues baroques entrepris depuis plusieurs années ? » 

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : « Nous avons une connaissance assez complète de la technique de l'instrument pour l'époque baroque à l'inverse de la renaissance ou de l'époque médiévale. De nombreux tuyaux sont restés intacts, il nous reste de nombreux schémas des différents mécanismes de l'instrument. Nous avons un grand nombre d'instruments qui sont restés en l'état ou très peu changés. Nous avons constaté que c'est souvent le cas dans le cadre de petites paroisses comme à Lanvellec. Cela s'explique très souvent par le fait que ces paroisses n'avaient pas suffisamment d'argent pour changer ou modifier l'orgue. Cela nous a permis de conserver un certain nombre d'instruments historiques. À l'inverse, en Angleterre nous avons eu beaucoup de mal à sauvegarder ses instruments : pendant les XVIIe et XVIIIe siècle, le pays était tellement riche que les instruments étaient systématiquement changés. Si vous souhaitez retrouver des instruments anciens du XVIIe siècle, il faut aller en Espagne par exemple. Après la grandeur de ce pays, l'économie affaiblie n'a pas altéré ce patrimoine.

Il est vrai que certaines restaurations ont pu parfois abîmer l'esthétique générale de l'instrument. Un facteur d'orgues est un artiste et, à l'image des marqueteries des plus beaux meubles du château de Versailles, l'âge d'or pour l'instrument sont les XVIIe et XVIIIe siècles. On peut certes avoir une certaine nostalgie de cette époque et regretter les altérations apportées à ce legs ! » 

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter l’œuvre que vous dirigez ce soir à LANVELLEC ? »

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : «  Le programme de ce concert a pour thématique l'orgue de DALLAM. Robert DALLAM est enterré à New College. En rentrant en Angleterre lors de la restauration du roi vers 1660, il travailla sur l'orgue de New College. C'est un lien très fort qui nous unit donc avec LANVELLEC. À partir donc de cet axe de 1660, nous allons interpréter des vêpres (EvenSongs) de la période de Jacques Ier. Ce sont des vêpres qui ont pu être entendues dans les toutes premières années du XVIIe siècle avec des musiques de GIBBONS et TOMKINS. Ces deux musiciens ont eu connaissance des orgues de DALLAM. En deuxième partie nous présenterons des oeuvres de la restauration de HUMFREY et LOCKE de la première période baroque. Il y avait à cette époque un changement de style en Angleterre en retrait par rapport à la France et l'Italie en retenant des formules baroques plus dramatiques et plus fondées sur les voies individuelles avec des résultats plus variés. Nous finissons avec le grand PURCELL  et son motet « Singet Lord » qui est l'apogée de la création de cette nouvelle école baroque en Angleterre. » 

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

EDWARD HIGGINBOTTOM : «  Dans le cadre de notre activité au New College, nous chantons les vêpres six fois par semaine ! Chaque office est un travail spécifique avec un programme que nous élaborons systématiquement. C'est évidemment une préparation importante et c'est en même temps le moyen idéal de former nos jeunes. Un office dure 40 minutes avec 30 minutes de musique. Nous pouvons très bien chanté une seule fois un motet qui ne sera plus chanté pendant trois ans ! Cette pratique nous donne une certaine aisance. La musique que nous allons chanter ce soir correspond tout à fait aux musiques que nous chantons quotidiennement pendant nos offices. Ces offices sont la base de notre travail. J'ai comme projet d'enregistrer les oeuvres tout à fait contemporaines de compositeurs britanniques l'année prochaine et nous commençons à les travailler dès maintenant. Ce sont des oeuvres très étroitement liées à la liturgie comme la plupart des musiques que nous jouons. C'est pour ces raisons que je n'ai jamais entrepris de travaux sur un vaste répertoire profane même s'il nous arrive de jouer certaines pièces populaires lors de concerts. »

 

 Pour tous renseignements complémentaires : www.newcollegechoir.co.uk

 

 

 

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Interview Gérard LESNE, Paris, 05/06/03.

 © LEXNEWS

LEXNEWS a rencontré un grande figure du chant français, Gérard LESNE, lors de la sortie de son dernier enregistrement consacré à PURCELL. Un entretien extraordinaire qui pourra servir d’inspiration aux jeunes générations marchant sur les traces d’un autodidacte qui est parvenu aux premières places de son art, et ce  avec modestie ! »

 

LEXNEWS : « Pouvez vous rappeler à nos lecteurs votre parcours musical qui, à ses origines, est plutôt atypique ? »

 

Gérard LESNE : « Oui, en effet je n'ai pas une formation classique passant par le conservatoire. Lorsque j'ai débuté il n'y avait pas de structure d'accueil pour un jeune altiste. Un artiste comme Alfred DELLER avait déjà réalisé une belle carrière, je me souviens d’ailleurs qu'il est décédé au moment où j'ai commencé ma propre carrière en 1979. Il existait à l'époque une école anglaise, ainsi qu'une école nordique, avec des noms prestigieux comme René JACOBS, James BOWMAN,… mais en France, au début des années 80, il y avait encore tout à faire. J'ai eu la chance de commencer avec René CLEMENCIC, et grâce à lui, j'ai pu découvrir tous les répertoires de la musique ancienne, non seulement la musique baroque, mais surtout au départ la musique médiévale puis la musique renaissance. Pour la musique baroque, j'ai travaillé le répertoire italien avec lui. C'était la grande période des CARMINA BURANA avec de superbes mises en l'espace. Cela a été une façon extraordinaire d'apprendre mon métier! Quand René CLEMENCIC m'a engagé dans son ensemble, j'étais complètement novice. J'avais certes une jolie voix mais c'était mon seul bagage ! Je n'avais jamais fait de travail préalable au sein de conservatoire. Je savais à peine lire la musique... J'ai appris sur le tas, le plus vite possible. On m'a conseillé d’aller le voir car à l'époque nous étions très peu à avoir ce type de voix. C'était en été, je suivais un Masterclass et je me suis retrouvé engagé l'automne suivant pour une production lyrique en Allemagne avec un rôle très important ! Par la suite, il m’a proposé un nombre incroyable de projets et je me suis retrouvé du jour au lendemain à gagner ma vie ainsi. CLEMENCIC m'a ouvert les portes de ces répertoires, et par la suite j'ai pu travaillé avec l'ensemble ORGANUM dirigé par Marcel PERES. Cela  a été également l'occasion de faire de très nombreuses découvertes quant à la musique médiévale, l’Ars Subtilior,… j'ai un souvenir extraordinaire de toutes ces années. J'étais à l’époque connu exclusivement en tant que chanteur médiéval. Lorsque des grands chefs m'ont proposé d'autres répertoires, ils étaient alors hésitants au regard de ce seul bagage. J'ai été engagé par William Christie et j'ai pu compléter avec lui ma formation. C'est un personnage étonnant, une personnalité difficile mais cela a été une expérience très enrichissante. J'ai pu faire beaucoup de musiques françaises avec lui ce qui m'a été d'une grande aide pour la suite et notamment avec El Seminario. J'ai également pratiqué la musique allemande avec HERREWEGHE. »

 

LEXNEWS « Pensez-vous que ce type d'expérience soit encore possible de nos jours pour un jeune chanteur ? »

 

Gérard LESNE : « Je pense en effet que ce serait beaucoup plus difficile. C'est un problème auquel je suis confronté aujourd'hui en tant qu'enseignant, puisque j'enseigne depuis plus de dix ans à ROYAUMONT. Il est clair qu'aujourd'hui, autant qu'hier, une très belle voix aura toujours sa place. Mais il est sûr que ce sera beaucoup plus difficile aujourd'hui : il faut être curieux, adaptable, ouvert à de très nombreux répertoires afin de pouvoir répondre aux exigences des différentes productions. Il faut avoir une idée claire de ce que les chefs vont pouvoir vous demander. Il m'arrive régulièrement de prendre de très jeunes chanteurs dont le bagage est certes plus complet que le mien à l’époque et j'espère ainsi reproduire le schéma que j'ai pu connaître. »

 

LEXNEWS : « Comment percevez vous la voix en tant qu’instrument par rapport aux autres instruments qui participent aux répertoires que vous avez choisis ? »

 

Gérard LESNE : « Cela rejoint un point que j'ai développé dans mes enseignements. Lorsqu'on lit les traités d'ornementation, il faut partir d'une voix la plus malléable possible et la plus simple possible. Il faut aussi un son très filé, droit, sans vibrato. Lorsqu'on commence à travailler avec moi, je demande à ce que l'on gomme toute référence à l'art vocal du XIXe ou tout est fondé sur une voix très vibrée, très appuyée où finalement la prononciation a moins d'importance que pour des périodes plus anciennes. À partir de cette voix très flexible, très instrumentale, on commence à construire son ornementation en intégrant le vibrato d'une manière très volontaire en sachant pourquoi l'on vibre. Cette façon d'ornementer nous vient directement des instruments, le flattement par exemple est un vibrato particulier, mais c'est déjà un vibrato ! Il faut prendre conscience de tout cela. Je pense en effet que la référence instrumentale est très importante. »

 

LEXNEWS : « Les références aux voies humaines quant aux instruments étaient fréquentes au XVII° siècle, l’inverse l’est également ? »

 

Gérard LESNE : « Oui, absolument ! Cette simplicité de la voix se retrouve dans toutes les musiques populaires. Lorsque l'on écoute une artiste comme Nathalie DESSAY interprétant MOZART, elle a intuitivement tout intégré : un son filé, droit, sur lequel on va construire la ligne de chant. Je pense que c'est une certaine décadence de l'art vocal qui a perverti tout cela. Je ne pense pas qu'il faille une technique particulière pour chanter ce répertoire. Il faut chanter de la façon la plus sobre possible. Bien sûr, cette remarque ne concerne que la pose de voix et non l'ornementation. Si le vibrato est nécessaire, son omniprésence est négative. Je n'ai rien en tant que tel contre le vibrato, il m’arrive très fréquemment d'utiliser cette technique, mais les voyelles et les consonnes doivent primer sur ce vibrato. Le vibrato peut souvent être un cache-misère qui va masquer le texte et tout faire disparaître. Et lorsque je demande à mes élèves de réduire ce vibrato ils sont les premiers surpris du résultat et constatent qu'on leur demande rarement une telle chose ! Si dans une production, nous n'avons pas toujours le temps d'insister sur ce point en raison de l'urgence, il est aberrant que cette attitude ne soit pas plus cultivée pendant les enseignements. J'ai fait récemment une production STRADELLA avec un ensemble allemand, qui par ailleurs a de grandes qualités instrumentales : cet univers musical est à la charnière entre le XVIIe avec Monteverdi, CARISSIMI,… et le XVIII°. Il n'y a pas eu à cette occasion une seule référence à la prise de voix ! Pour moi ce fut un non-sens total. Je pense qu'il ne s'agit pas de gommer totalement le vibrato mais de savoir dans quelle mesure il est intégré par rapport à l’œuvre à interpréter. »

 

LEXNEWS : « Quels sont pour vous les défis à relever aujourd’hui quant à l’approche vocale des répertoires de musique ancienne ? »

 

Gérard LESNE : « Après avoir travaillé sur la première moitié du XVIIIe siècle, je pense que j'ai beaucoup plus à faire dans le répertoire antérieur de la musique italienne. Il faut savoir qu’en Italie chaque église ou presque possède une bibliothèque avec des oeuvres secrètement conservées ! Il y a un travail énorme de recherche dans cette direction, beaucoup plus qu'en France où ces musiques de Cour ont été traditionnellement centralisées. La musique italienne était ainsi démultipliée en autant de lieux espacés géographiquement où les oeuvres sont demeurées jusqu’ à notre époque. Mais tout est compliqué en Italie, peu de personnes ont pris conscience de cette richesse. Les arts plastiques ont eu la priorité, les répertoires incontournables de VIVALDI sont connus mais tout le reste est à découvrir ! C'est la piste qui me semble la plus évidente… je vais peut-être également travailler avec des effectifs plus importants afin de d’exploiter l'oratorio par exemple. »

 

LEXNEWS : « Vous venez de signer un superbe disque honorant un grand maître de la musique anglaise, Henry PURCELL, qu’évoque pour vous ce nom et ce 17ème siècle finissant outre-manche ? »

 

Gérard LESNE : « C'est le génie absolu. C'est un compositeur qui était à l'aise dans tous les genres, curieux de tout et qui aimait relever les défis. Il a élaboré beaucoup de sons sur des basses obligées : je trouve que c'est ce qu'il y a de plus beau dans ce disque ! « O Solitude » par exemple est un véritable défi puisque PURCELL ne devait pas faire deux fois la même chose même s'il s'agissait de cinq minutes de basse ininterrompue ! Il y a là une invention extraordinaire… J'ai autant pratiqué le répertoire allemand qu’anglais. Il est vrai que j’avançais avec prudence quant à des langues réputées difficiles à chanter, surtout l'anglais. J'ai ainsi patienté avant d'aborder ce répertoire anglais ce qui avec le recul me semble une bonne chose. J’estime que ce répertoire doit être épuré de tout artifice. Dans le même esprit, un prochain disque sera consacré aux Songs de DOWLAND avec un quatuor de violes. J'ai adoré faire ce travail mais je ne sais pas encore si cela constituera un axe pour l'avenir. Mais je dois avouer que tout cela est rarement raisonné chez moi et c'est pour cette raison que j'ai beaucoup de mal à en parler à l'avance. Pour moi, les choses viennent quand elles doivent venir ! Ce disque de PURCELL est venu au bon moment mais je ne décide pas de m’enfermer dans une direction particulière. Pour le répertoire français, en tant que haut de contre, je pense avoir fait le tour des oeuvres majeures même si je n’ai bien sûr pas tout accompli ! »

 

LEXNEWS : « Quel conseil pourriez vous donner aujourd’hui à une jeune chanteur débutant dans cet univers ? »

 

Gérard LESNE : « Je pense qu'il doit viser l'excellence ! Il n'y a que la qualité qui puisse faire la différence dans un domaine où il y a de plus en plus de monde. Un bon chanteur aura toujours une opportunité pour faire une bonne carrière même si les difficultés sont grandes. Mais techniquement, il doit être irréprochable. En tant qu'autodidacte, je peux dire que je me suis fait mon goût et je pense que c'est la première des choses. Il ne faut pas hésiter par exemple à s'enregistrer lors des cours et s'analyser, s'écouter, ce qui est très formateur et difficile à la fois ! Petit à petit, on sait où l'on va situer sa voix, il ne faut pas trop faire confiance aux autres ! Je peux donner des clés mais j'essaye avant tout de préserver l'autonomie d’un jeune chanteur. Je constate cette qualité lorsqu'un jeune chanteur se corrige automatiquement avant même que j'ai eu le temps de dire quelque chose. Je pense qu'avec cette attitude il est possible d’arriver à des résultats surprenants. Cela nous arrive fréquemment à ROYAUMONT et je crois que cela serait intéressant de présenter à vos lecteurs notre approche lors d’une prochaine visite. »

 

Gérard LESNE, merci ! Nous acceptons bien volontiers votre invitation au Centre de ROYAUMONT afin de présenter votre approche pédagogique avec vos élèves.

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Interview Rolf LISLEVAND Paris, 20/05/03.

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LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de votre dernier disque consacré au luth sorti chez Naïve ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Je mène depuis plusieurs années des parcours parallèles. D'un côté, je conduis un travail de groupe sur des périodes spécifiques ou un compositeur particulier. Nous entrons alors dans un monde musical et nous nous identifions à cet univers. Cela donne lieu évidemment à une certaine subjectivité associée à un aspect créatif. Très souvent, dans nos précédents enregistrements, nous avons laissé une large part à l'improvisation. Lorsque ces programmes ont été joués en concert, d'autres éléments se sont ajoutés aux résultats enregistrés. Le disque et le concert vont ainsi donner lieu à des résultats différents… Parallèlement à cette première activité, je consacre également une autre partie de mon temps au luth en solo. Ces deux chemins me correspondent en tant que musicien, et également quant à ma personnalité. Il y a là un côté extraverti et introverti. L'univers de l'instrument est pour moi une énorme santé mentale, indispensable en tant que musicien et homme. C'est une forme de méditation. »

 

LEXNEWS : «  Même si le mot est souvent trop galvaudé, nous avons l'impression en vous voyant jouer que vous adoptez une attitude que l'on pourrait qualifier de « zen » ? ».

 

Rolf LISLEVAND : « Je fais moi-même un travail pédagogique. Cette référence à une culture spirituelle est souvent très proche de mes activités. Mais je pense que mon expérience personnelle résulte d'une démarche inverse. Je ne connais pas particulièrement le zen même si j'ai pu m'y intéresser un peu. Mais il est frappant de constater que lorsqu'on décide de communiquer son expérience de plus de vingt ans sur un instrument il est possible de relever des similitudes avec l'approche zen quant à la transmission d'un acquis. Les relations avec le temps, avec le travail, font en sorte que le but apparaît secondaire. Je pense qu'il y a très concrètement des points communs entre les anciennes cultures orientales et notre culture européenne elle même plus ancienne. Je suis persuadé que cela n'est pas un hasard ! Si nous prenons par exemple nos relations avec le temps, thème aujourd'hui perverti dans notre société occidentale, il me semble naturel de recommander à mes élèves d'attendre quatre ou cinq ans avant d'obtenir les résultats souhaités. Dire cela aujourd'hui à des élèves de vingt ans est cependant relativement difficile !!! Je pense qu'aujourd'hui notre société a réduit à l'extrême tout résultat qui pourrait excéder quelques mois. La culture des 17-18e siècles adopte une approche très forte quant à cette relation avec le temps, et cela est pour moi un trait commun avec les cultures orientales. Il est possible de relever un autre similitude : j'ai pu constater avec les instruments de cette période que la notion de force était absente. Ce n'est que progressivement, à partir du XVIIIe et XIXe siècles, qu’une certaine tension va s'installer quant à l'approche des instruments. Cela conduira à exécuter toute musique avec une plus grande force. Or, en musique ancienne, notre approche est totalement différente. L'objectif principal est justement de supprimer toute force. En fait, tout l'art consiste à jouer entre la force et la relaxation ! Et il me semble que nous retrouvons sur ce point également l'approche extrême-orientale. Lorsque nous observons la société du XVIIe siècle, nous pouvons déceler une sorte d'instinct naturel où le jeu entre tension et relaxation est continuel et est intégré à toutes les activités de la société. Cela se répercute même jusqu'au plus banal mouvement d'un doigt ou d'un geste. La musique de la renaissance et du baroque gardent cette approche de l'inspiration/expiration, cette sensation de respirer entre divers niveaux de tension ponctués de moments de relaxation. »

 

LEXNEWS : « Cela s'observe d'ailleurs dans votre jeu sur scène, où l'inspiration et expiration prennent visiblement une part très importante »

 

Rolf LISLEVAND : « Oui ! C'est pour moi un aspect physique essentiel. Nos instruments impliquent un contact très physique. Je sais qu'il est possible de faire autrement mais cela me coûterait beaucoup. Pour les instruments de luth, l'idée de ligne est très abstraite. Une corde pincée n'a un son que lors de l'attaque et la continuation de ce son relève presque plus de notre imagination ! Inutile de dire qu'un violon ou une viole permettent un véritable travail sur la résonance après l'attaque. Pour nous luthistes, cette résonance appartient à notre imaginaire et c'est à nous justement d'imaginer cela à l'aide de notre propre corps. Et c'est là où nous pouvons en effet nous rapprocher des expériences des sociétés orientales. »

 

LEXNEWS : « Le luth est donc au coeur de ce prochain enregistrement ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Oui, il s'agit du luth 11 chœurs que je considère être le luth le plus parfait ! C'est un instrument qui a un très grand ambitus, pouvant descendre très bas dans les graves jusqu'aux notes les plus aiguës. Plus tard le luth évoluera à la période baroque avec plus de cordes et deviendra d'une certaine manière un animal en voie d'extinction en raison de sa complexité à être joué. Cette période du luth classique me fascine depuis de nombreuses années. C'est une musique qui n'est pas virtuose, il y a un jeu de timbres avec un équilibre incroyablement subtil qui porte vers l’intérieur. C'est une musique qui était jouée pour un public très réduit. Il s'agissait très souvent de réunions d'humanistes dans les maisons bourgeoises parisiennes. Ils se rencontraient une fois par mois en faisant des discours sur de nouveaux sujets et invitaient des luthistes pour qu'ils jouent leurs nouvelles compositions. Dix à quinze personnes se réunissaient ainsi en fumant la pipe, un verre de vin à la main, dans une pièce de taille réduite. Cela nous donne une indication précieuse quant aux conditions acoustiques de cette musique. C'est une musique qu'il faut écouter en toute intimité, la nuit par exemple ! Le contexte social dans lequel étaient jouées ces musiques me semble essentiel et je pense qu'aujourd'hui nous nous trompons énormément sur cet aspect. Nous avons recréé ces 30-40 dernières années la musique ancienne avec le plus de connaissances possibles avec un parcours admirable, mais je pense qu'il est temps également de tenir compte de cet autre aspect. Ce répertoire ne peut être abordé sans une étude de son contexte. Nous avons là une musique qui exige une forme d'écoute très précise pour qu'elle puisse donner son maximum. Certains musicologues estiment qu'avec cette approche nous allons dévaluer la musique, je ne suis pas du tout d'accord avec cela. En fait toute musique doit inclure cette dimension acoustique, psychologique... Il est un peu désolant que ce formalisme, cet aspect rituel de la séance de concert directement héritée du XIXe siècle, soit transposé au répertoire ancien. Pour moi, c'est tout aussi absurde que de mettre un groupe de punk dans une église ! Et pour aller plus loin, les meilleures volontés peuvent placer un trio de musique baroque dans une belle cathédrale avec une acoustique agréable, cela ne permettra pas forcément de mettre en valeur cette musique. Il doit y avoir une correspondance entre ce qu’a pu imaginer un compositeur quant au son et le contexte pour lequel il a été conçu. Et si ce contexte avait changé à l'époque, il est évident que ce compositeur aurait également modifié sa propre œuvre ! »

 

LEXNEWS : « La question s'impose : comment retrouver ce contexte aujourd'hui, au XXIe siècle ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Je reconnais que cela n'est pas du tout évident. Cette dimension entre en conflit très souvent avec notre société contemporaine, où l'idée de profit et d’approche commerciale est omniprésente. Cette dernière dimension est d'ailleurs un des points les plus importants. Mais je pense qu'au-delà de ces contingences matérielles, la lacune vient bien plus du fait de ne pas raconter l'histoire jusqu'au bout... Je pense qu'il manque ce dernier effort, ce qui est dommage après tout le travail accompli. La musique dont nous parlons ne pourra donner son maximum qu’à cette seule condition. Il ne suffit pas de recréer cette musique sur le plan du style, il ne suffit pas non plus de l'exécuter dans un lieu qui pourrait être le même que lors de sa création, mais il faut donner les conditions de l'expérience musicale. Et je pense que nous avons un rôle quant à cette dernière approche : nous nous devons d'expliquer cela. »

 

LEXNEWS : « L'écrit peut avoir un rôle sur ce dernière aspect ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Oui, tout à fait ! La conversation que nous tenons, l'article paru dans vos colonnes contribuent à cette approche. Je pense qu'il est très important qu'il y ait une collaboration quant à l'organisation des concerts, que le public ait une information suffisante et que les musiciens s'impliquent particulièrement sur ce point. Nous ne devons pas nous cacher derrière le rituel du concert, ce qui est trop souvent le cas ! »

 

LEXNEWS : « Nous avons en effet constaté, de plus en plus, lors des concerts et festivals, que vous preniez le temps d'expliquer les musiques et leur contexte avant de les interpréter »

 

Rolf LISLEVAND : « Oui, pour moi le fait d'être musicien implique une volonté de communiquer. Je pense qu'il doit être très douloureux de croire à quelque chose et de ne pas avoir la possibilité de le communiquer. Mais nous avons besoin d'aide pour cela ! Il est clair que si l'on me demande d'interpréter le Manuscrit de Barbe au luth dans une jolie salle du XIXe avec 400 personnes, je sais qu'il sera difficile pour le public d'entrer dans cet univers sonore composé par le toucher que je travaille depuis des années, tous les petits jeux de tension, de résonances, les images qui se créent dans cette musique... Je me ferai certes plaisir d'un point de vue très égoïste, mais ce plaisir sera bien réduit au regard de l'absence de communication avec l'ensemble de la salle. Je pense que la solution, aujourd'hui, pour ce genre de répertoire réside dans le disque. Cela me semble essentiel. Nous pouvons contrôler cette situation et avoir une écoute relativement idéale. Nous pouvons recréer de cette façon un certain contexte social avec certes quelques artifices mais cela ne me dérange pas du tout. Nous adaptons alors cette musique au contexte contemporain. En poussant le raisonnement à l’extrême, je préfère utiliser ces artifices modernes pour parvenir à reproduire ce contexte, avec par exemple l’idée de concert amplifié. »

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de ce dernier enregistrement de musique française pour le luth ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Il s'agit d'un manuscrit qui appartenait à un certain M. BARBE de Clermont-Ferrand qui est une sélection des plus belles pièces de musique de luth du XVIIe avec un mélange de plusieurs compositeurs: les deux GAULTIER, DUFAUT, GALLOT, MOUTON,… C'est le sommet de cette culture de l'école française de luth ! C'est probablement le recueil le plus précis dans notre répertoire : les doigtés, les informations diverses, tout y est ! Je crois qu'il n'existe aucune autre source aussi complète pour notre instrument. C'est en tant que tel une véritable école quant au jeu de l'instrument même. Le critère de sélection de ces oeuvres tient au goût de barbe lui-même. Le manuscrit donne également une information très riche quant à la manière d'aborder cette musique. Nous valorisons aujourd'hui certains paramètres de manière tout à fait différente de ce qui pouvait se faire à l'époque. J'ai été surpris car je m'attendais à une continuation de l'idée du XVIe siècle du point de vue de la polyphonie, du soin des voix,…. Et soudainement, j'ai réalisé que l'information donnée par ce manuscrit me portait vers une autre direction, une direction avec un goût très marqué pour le geste musical et pour créer des événements verticaux du son. À l'image de nombreuses musiques françaises, il y a un goût marqué pour le timbre. Lorsque l'on découvre cette musique après avoir lu les tablatures, le jeu de l'instrument révèle de nouvelles expériences que l’on n’envisageait pas à première lecture ! Ce qui est une très belle surprise... » 

 

LEXNEWS : « Une découverte au-delà des notes ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Oui tout à fait, toutes les précisions fournies par le manuscrit ouvrent les portes d'un autre univers. Et j'ai réalisé immédiatement qu'il ne fallait pas intervenir outre mesure dans cette interprétation afin de ne pas déséquilibrer cette musique ! Ce qui n'est pas le cas dans notre répertoire de musique italienne ou espagnole, où l'interprète a une part active pour faire revivre ces musiques. Pour ces répertoires, il y a un exemple d’interprétation mais qui n'est en rien rigide et fixé alors qu'avec cette musique française il y a un goût de la forme et une précision, une clarté telle qu'il n'est pas possible d'intervenir. Pour moi c'est un véritable défi ! Cela me permet un équilibre entre les musiques où j'ai à intervenir plus directement et celle où je dois adopter une position plus neutre. »

 

LEXNEWS : « Comment l'auditeur peut-il percevoir ces images que vous évoquiez quant à l'interprétation de ce manuscrit ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Je pense que si l'auditeur joue le jeu et se met en condition dans un contexte d'écoute que nous évoquions tout à l'heure, cela n'exige pas une explication complémentaire. Je pense que la musique même va parler si on lui laisse cet espace. Il est certain que cette musique n'est pas d'un accès facile ! Ma propre expérience vis-à-vis des disques me porte à écouter ce genre de musique une première fois puis, après quelques temps, je renouvelle l'audition afin de découvrir de nouvelles choses. En fait, on réalise très vite que ce genre de musique peut tenir une certaine place dans notre quotidien. Cela peut être par exemple une belle référence à un moment d'émotion que l'on souhaite retrouver et j'espère vivement que ce disque pourra s'inscrire dans cette démarche… »

 

LEXNEWS : « En référence à ce que nous disions tout à l'heure, il ne s'agit pas d'une musique qui doit être appréhendée avec notre culture du XXIe siècle qui nous pousse à écouter et à consommer l'intégralité du message immédiatement ? »

 

Rolf LISLEVAND : « Absolument pas ! Il faut du temps, et c'est un peu comme une petite prière pour laquelle nous entendons vite les paroles et dont nous méditons la portée par la suite. Ce sera toujours les mêmes mots, mais le contenu sera de plus en plus riche... »

 

LEXNEWS : « Rolf LISLEVAND merci pour cette sincérité et la profondeur de ces explications, nul doute que nos lecteurs vous retrouveront avec bonheur dans ce superbe enregistrement ! »

 

"Une remise à jour de l’exécution", un article de Rolf LISLEVAND pour les lecteurs de LEXNEWS !

Je recrée pour moi-même ces circonstances authentiques et historiquement parfaitement fidèles : quelques jours seuls à la campagne avec mon luth. (La technique de l’enregistrement, historiquement infidèle, va vous permettre de partager cette expérience avec moi.) 

L’expression "exécution historiquement authentique" a été utilisée comme une conviction, un argument, une excuse et au bout du compte, comme un repère pour le classement et la vente. Cet abus a consumé l’expression en lui faisant perdre sa force et sa précision.

De ses cendres, est née une nouvelle notion : la perception historique du jeu, formule qui décrit vers quoi tend l’interprète : une attitude et une conviction particulières. Ce terme exclut tous les aspects de la recherche et du savoir qui ne contribuent pas à la réalisation de notre but spécifique d’interprète d’un répertoire non contemporain : offrir à des auditeurs modernes une expérience émotionnelle et spirituelle aussi proche que possible des intentions finales du compositeur.  

Mais parce que l’état du cœur et de l’esprit de l’homme change, un auditeur de l’époque de Gaultier et un auditeur du XXIe siècle percevront la même information musicale de manière complètement différente. L’homme, et l’esprit de l’époque dans laquelle il vit, ont changé dans les détails les plus simples mais cependant importants tels que l’intensité du volume et de l’énergie que nous utilisons dans la vie quotidienne, ainsi que les notions de temps et de vitesse. Il apparaît donc que l’exécution la plus consciencieuse et la plus fidèle d’une partition "historique" peut ignorer les moyens stylistiques ou physiques dont le compositeur disposait, mais tentera de donner à l’auditeur l’expérience émotionnelle et spirituelle qu’il voulait communiquer. 

Il est probable que bien que ce ne soit ni une obligation ni une vertu en tant que telle, les moyens dont disposait le compositeur seront utilisés dans ce processus de reconstitution, dans la mesure du possible. 

L’un des aspects les plus négligés de nos efforts dans la perception historique du jeu est la conscience et le respect des conditions sociales dans lesquelles une œuvre était jouée. Très peu d’autres aspects stylistiques conditionnent autant l’écoute que le contexte social dans lequel une œuvre est exécutée. Cependant cet aspect est traditionnellement réduit au statut d’anecdote biographique ou historique, avec une importance limitée pour la circonstance de l’exécution, ou tout à fait marginale lorsque que l’on évalue l’œuvre du compositeur. 

J’ai lu un jour la note destinée à l’auditeur au dos d’un enregistrement pour luth : "Il est recommandé à l’auditeur de baisser le volume pour écouter ce disque afin d’obtenir le niveau sonore du jeu naturel de l’instrument." C’était sans aucun doute un conseil sérieux, prodigué en toute bonne foi. 

Mais étaient-ce les conditions dans lesquelles la musique pour luth était vraiment jouée ? Thomas Mace enfonçait les dents dans un coin de son luth afin de mieux sentir le son et les vibrations de la musique. Titon du Tillet était assis dans un vieux fauteuil face à Monsieur Falco, pendant que le luthiste jouait en répandant de la sueur et des larmes sur son luth. Gaultier jouait ses pièces nouvelles dans une demeure parisienne bourgeoise, pour une poignée de savants humanistes fumant leur pipe en buvant du vin rouge... Sainte Colombe composait et jouait ses pièces pour viole dans une maisonnette en bois isolée de quatre mètres carrés, avec pour public de circonstance, inconfortablement assis sous la maison, un disciple joueur de viole, aussi doué qu’il était jaloux...  Robert de Visée jouait du luth et de la guitare pendant les promenades d’après-midi de Louis XIV à travers les galeries et les jardins de Versailles, marchant deux pas derrière le roi et son entourage. (Etait-ce la première incarnation du "walkman" qui devait devenir si populaire ?) De Visée jouit par la suite du privilège discutable de jouer dans la chambre royale devant l’auditoire prestigieux mais peut-être distrait, formé par une certaine "dame" et le roi lui-même. 

La musique, comme la plupart des formes d’expression humaines, requiert une certaine intimité pour communiquer de l’émotion. Toutes les traditions musicales anciennes ou originelles en ont tenu compte. Les conditions nécessaires à l’exécution d’un son structuré ont toujours été conçues de manière à permettre une notion physique du son. L’histoire de la musique écrite occidentale montre comment les instruments et leur technique de jeu ont évolué de manière à préserver cette énergie sonore pour un public toujours accru, jusqu’à une limite extrême où le concept s’effondre. La réaction du Romantisme à cet effondrement fut assez curieuse : D’une part, les circonstances conditionnaient profondément le processus créatif, d’autre part, l’intimité et le contact physique, l’expérience émotionnelle véritable, furent abandonnés, réduisant ainsi l’exécution de la musique à quelque chose qui se situait entre le rituel bourgeois et le témoignage de la vieille culture européenne. Pourquoi cette part, physique, de l’expérience musicale était-elle si gênante pour l’Europe du XIXe siècle et pourquoi le rythme laissa-t-il sa place à la couleur, à la mélodie, à l’harmonie, pour n’être plus réduit qu’à un élément d’organisation ? 

Dans la musique populaire moderne, quelque soit le style de rock, rap, pop ou techno, le besoin d’intimité et de contact physique avec le public est un préalable incontesté. Mais résoudre cette question conduit à ne pas se compromettre avec les exigences commerciales. Grâce à la technologie moderne, les vingt mille personnes d’un stade de football, aidées par l’amplification et les projections vidéo, sont aussi proche du son et des musiciens, que s’ils avaient le nez dans la rose de la guitare et que leurs dents et leur estomac transmettaient le son à tout leur corps. Une expérience collective d’intimité. 

Les contrôles de l’Union européenne menacent d’éliminer plusieurs sortes de fromages français parce que leurs méthodes de production ne sont pas conformes aux  normes d’hygiène. Dans ce qui va bientôt devenir un XXIe siècle globalisé où nous aspirons à l’authentique, au local, à l’artisanal, pour notre esprit et nos sens, accordez un moment d’attention à ce moment unique dans l’histoire de l’art, créé par quelques uns, goûté par quelques uns, immortalisé par quelques fidèles, qui vous est offert, à vous et quelques amis pour une soirée intime accompagnée de vin et de fromage.. (Recommandation : ne baissez pas trop le volume !) 

*(En français dans le texte)

Rolf Lislevand, Lac de Garde, Italie, Avril 2003

 Copyright © 2003  Rolf LISLEVAND - LEXNEWS.

 

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Gilbert BEZZINA, Nice, le 22-03-03.

 

 

Nous avons rencontré Gilbert BEZZINA lors de la première de la restitution d'un opéra de VIVALDI, "Rosmira Fedele" à l'Opéra de Nice, une rencontre à l'image du travail réalisé : passionnante !

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous présenter l’Ensemble Baroque de Nice qui fête cette année son 20ième anniversaire et quelle a été votre rôle quant à l’origine de cet ensemble ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Je dois reconnaître que je suis à l’origine de cet ensemble grâce au hasard ! J’étais violon solo de la Grande Ecurie de la Chambre du Roi où j’étais en parfait accord avec le travail réalisé par cet ensemble. Je suis niçois et j’ai toujours gardé des contacts avec cette ville et par l’intermédiaire d’amis, j’étais régulièrement invité chaque année à faire des concerts. Il y a vingt ans justement la Mairie m’a demandé de m’occuper d’un certain nombre de concerts dans cette ville. Je ne souhaitais pas tenir le rôle d’agent artistique et j’ai donc proposé de faire de la musique avec un certain nombre d’amis que je connaissais sur place. Nous avons baptisé l’Ensemble « Ensemble baroque de Nice » en raison de l’origine géographique de ces premiers musiciens participant à ces concerts. Je dois vous avouer que nous ne pensions pas à l’époque constituer un ensemble permanent ayant une suite !!!

Nous pensions qu’il s’agissait d’une expérience ponctuelle pour laquelle nous nous impliquions pendant quelque temps seulement. Puis, petit à petit, nous nous sommes rendus compte que notre association se caractérisait par une certaine homogénéité dans le son et  une régularité dans le travail. Je pense que le fait d’avoir été éloigné des grands centres parisiens, nous a permis de développer et de conserver une certaine identité de son que nous ne retrouvons pas ailleurs. »

 

LEXNEWS : « Il y a-t-il eu dés le départ une orientation de votre ensemble vers la musique ancienne ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Oui, ma formation est celle d’un violoniste classique mais j’ai très rapidement travaillé avec des ensembles baroques : la Petite Bande de Kuijken, la Grande Ecurie,… Je suis principalement orienté vers ce répertoire, et il était clair dés l’origine que nous ferions de la musique baroque sur instruments d’époque ou copies d’anciens instruments. L’essentiel de mon travail porte sur le jeu du violon. Je ne suis pas le seul à avoir fait cela même si je pense que cette recherche a tendance à se perdre un peu. Nous avions, à l’époque, avec Sigiswald Kuijken, mené toute une recherche sur les traités de violon des XVII° et XVIII° siècles. Il se trouve que nous avions mené chacun de notre côté cette  recherche sans le savoir ! Et lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons réalisé que nous avions mis à jour de nombreuses similitudes, ce qui pourrait prouver que nous avions touché quelques éléments palpables ! C’est à partir de ces recherches que j’essaye, au quotidien, de transmettre un jeu du violon. Les textes associés à une étude approfondie des instruments et des archets vont ainsi être la base de tout travail. Certains musiciens vont se contenter aujourd’hui, souvent pour des questions de mode, de prendre un archet qui ressemble à un archet baroque sans avoir fait la démarche d’une recherche sur son utilisation spécifique. Nous tenons à cette démarche organologique afin d’éviter ces travers, bien entendu, dans un second temps, il s’agit de dépasser cette démarche scientifique pour s’attacher à l’aspect artistique. Je pense que c’est cette démarche qui nous offre cette homogénéité de son dont je vous parlais tout à l’heure. Notre ensemble est essentiellement un ensemble de cordes, cela explique le choix du répertoire italien, répertoire essentiel pour nos instruments. »

 

LEXNEWS : « Comment ressuscite-t-on un opéra inconnu de VIVALDI, « Rosmira Fedele » au XXI° siècle et quelles sont les difficultés matérielles d’une telle entreprise ? »

 

Gilbert BEZZINA : « La restitution de cet opéra a été traitée d’une manière classique. Tout commence, bien sûr, par une recherche dans les bibliothèques à partir des manuscrits, suivi par une interprétation en fonction des traités et autres sources dont nous disposons. En tant que tel, cela ne présente pas plus de difficultés que pour une cantate, si ce n’est que cela est beaucoup plus long !

Si ces opéras sont restés aussi longtemps méconnus, en dehors du cercle fermé des musicologues, c’est qu’ils ont besoin, pour revivre, d’un support scénique qui fait alors intervenir les directeurs de maison d’opéras. Il est clair qu’il est plus facile de monter un concerto avec trompettes qu’un opéra !

Sur le plan musical, nous avons réalisé un travail similaire à celui des instruments avec un groupe de chanteurs habitués à ce répertoire.

ROSMIRA Fedele est un pasticcio, c’est à dire une pratique fréquente à l’époque qui consistait, pour un compositeur, à inclure des airs d’autres compositeurs dans son opéra. Pour VIVALDI, c’était plutôt pour des raisons de temps car le musicien travaillait très vite et a du avoir besoin de sources extérieures. Il a également été avancé, mais cela reste à vérifier, que certains chanteurs de l’époque imposaient, en raison de leur célébrité, des airs en contrepartie de leur participation à l’Opéra. Le Pasticcio est donc un opéra pour lequel le livret existe et dont le compositeur écrira les airs en empruntant à d’autres compositeurs. Pour ROSMIRA, il s’agit bien d’un Pasticcio puisque six airs ne sont pas de VIVALDI. Le livret, qu’il a fait éditer à compte d’auteur, est un livret repris de STAMPIGLIA, également traité par HAENDEL quelques années auparavant. VIVALDI écrit dans ce livret : « Musique d’Antonio VIVALDI » ce qui était pratique courante à l’époque même si, en l’espèce, les emprunts ne sont mêmes pas transformés dans la partition !!! Nous retrouvons ainsi un air de HAENDEL, un air de PERGOLESE, un air de HASSE, et deux airs de compositeurs moins connus : MAZZONI et PAGANELLI. Il faut noter que si le manuscrit était à 90 % complet, certains airs étaient cependant manquants dont deux de ROSMIRA, ce qui nous causait un petit problème.  Nous souhaitions bien sûr respecter le livret et, qui plus est, quant au personnage principal ! Nous avons ainsi collaboré avec Frédérique Delaméa, grand spécialiste de VIVALDI pour ces restitutions. En fonction des paroles des livrets, il est arrivé à retrouver des airs avec la même structure. Un autre air d’ERSILLA a été restitué à partir d’un autre manuscrit de VIVALDI.

Pour le livret, il manquait une page du récitatif qui dévoilait toute l’intrigue au début de l’Opéra. J’ai comblé cette lacune à partir de la partition de l’Opéra de HAENDEL et nous l’avons insérée dans l’œuvre de VIVALDI. »

 

LEXNEWS : « Ce travail a-t-il modifié votre perception de l’œuvre de VIVALDI ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Nous avons travaillé en effet plus d’an sur ce projet. Je pense que s’agissant d’une œuvre tardive de VIVALDI, certains emprunts de ce pasticcio soulignent un goût du compositeur pour des musiques qui n’étaient plus la sienne comme celle de MAZZONI par exemple. Il est également intéressant de noter quant aux pasticcios originaux le souci permanent des enchaînements des airs. Il y a une diversité dans le déroulement de l’Opéra qui est vraiment conforme à ce qu’il faisait dans ces œuvres d’un bout à l’autre. Cela n’apparaît pas forcément à première vue ! Il n’y a pas que des airs de bravoure. Très honnêtement, ce qui plait le plus au public, ce sont les airs de bravoures et les airs très tendres !!! Mais je pense que l’on a trop souvent tendance aujourd’hui à mettre en avant ces airs en occultant les autres. Il est très important qu’il y ait des airs plus fades pour mieux mettre en valeur les différents rythmes de l’opéra ! »

 

LEXNEWS : « D'où est partie l'idée de ce projet  ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Je ne connaissais pas l’œuvre en détail, même si je l’avais vue à la Bibliothèque de Turin. J’avais certes beaucoup travaillé sur VIVALDI, Turin n’étant pas très loin de Nice !

Je connaissais l’importance de la production lyrique du compositeur et je m’étonnais à l’époque qu’il y ait eu si peu de choses sur sa production. »

 

LEXNEWS : « VIVALDI avait pourtant fait plus d’une cinquantaine d’opéras ! »

 

Gilbert BEZZINA : « Oui, il prétend même en avoir composé plus de 80 ! Il en reste une trentaine essentiellement réunis à Turin. A l’époque, j’avais recherché ces productions à Turin et j’étais tombé un peu par hasard sur « Le couronnement de DARIUS » premier opéra que nous ayons monté, suivi par d’autres par la suite. Pour cette saison, l’Opéra de Nice m’avait demandé de monter un ouvrage baroque. Nous avons choisi une des dernières œuvres de VIVALDI à ne pas avoir été touchée depuis sa création ! »

 

LEXNEWS : «  Quel a été votre souhait quant à la mise en scène ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Je dois avouer que je ne souhaitais pas avoir une mise en scène introduisant des motos ou des avions sur scène, ce qui ce fait trop fréquemment à mon goût ! Nous avons la preuve que toute le travail qui a été fait ces quarante dernières années pour faire revivre cette musique baroque a largement contribué à son succès actuel et sa redécouverte auprès d’un plus large public. Et je suis profondément convaincu qu’il est possible de réaliser ce même travail quant à la mise en scène, mais jusqu’à aujourd’hui je n’avais jamais pu faire un tel travail, même si de précédentes réalisations avec d’autres metteurs en scène étaient de qualité. Ma rencontre avec Gilbert Blin a été fructueuse dés le premier contact où nous avons parlé pendant cinq heures ! J’ai été immédiatement séduit par son approche très soucieuse des sources historiques. Il est vrai que je lui avais dit que mon rêve était de pouvoir lever les yeux pendant que je dirigeais l’orchestre et prendre plaisir à ce que je verrai ! Le résultat est saisissant !!! 

Il ne s’agit pas d’une restitution à l’identique mais son travail repose réellement sur une approche scientifique qui a séduit l’ensemble de l’équipe des décorateurs. »

 

LEXNEWS : « Si l’on traduit bien vos propos, c’est la preuve qu’il est possible de faire une mise en scène sans forcément choquer en interprétant mal le mot baroque ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Oui, je pense que ce travail en est la meilleur preuve ! Et je suis réjoui que le public ait adhéré à cette vision des choses, ce qui n’était pas évident…On a trop tendance à faire croire qu’il n’est plus possible aujourd’hui de réaliser de telles choses au prétexte que cela serait trop fade ! Je m’inscris totalement en faux quant à cette vision des choses : la beauté des décors et des costumes n’a rien de fade… Sa mise en scène respecte le livret et n’attire pas l’attention sur la seule mise en scène. Je ne pense pas d’ailleurs que cela soit propre au monde baroque, on retrouve les mêmes dérives pour MOZART ou VERDI ! » 

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

Gilbert BEZZINA : « Un de mes rêves est bien sûr que ce travail ne s’arrête pas après les représentations données à Nice et soit repris par la suite. Il ne s’agit pas d’un orchestre très lourd puisque nous sommes 25 musiciens et 7 chanteurs. Il y avait des ballets à l’origine qui ont été occultés selon le souhait de Gilbert Blin pour des raisons de budget. Cet opéra sera produit pour le disque à partir de l’enregistrement « live » des représentations données à l’Opéra de Nice.».

 

LEXNEWS : « Gilbert BEZZINA, merci ! Nous avons assisté à une représentation magnifique d’un opéra ressuscité par vos soins, nous vous donnons rendez vous très bientôt dans nos colonnes ! »

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Daniel LASSALLE, Paris, 4-03-03.

 

LEXNEWS : "Si la Sacqueboute peut être un nom mystérieux pour le mélomane, après lecture des explications pédagogiques de Daniel LASSALLE, membre de l'Ensemble "Les Sacqueboutiers de Toulouse", l'instrument n'aura plus de secret pour les lecteurs de LEXNEWS !"

 

 

LEXNEWS : « Daniel LASSALLE, vous êtes le co-directeur artistique et musicien d’un ensemble dont le nom, « Les Sacqueboutiers de Toulouse », peut sembler étrange à un grand nombre, pouvez vous nous rappeler ce qu’est très exactement cette sacqueboute ainsi que l’origine de votre ensemble qui lui est associé ? »

 

Daniel LASSALLE : « La sacqueboute est en fait l’ancêtre du trombone moderne. C’est un instrument qui est apparu à la fin du XV° siècle sous ce nom. Il y a plusieurs origines quant à l’origine de ce nom en fonction des aires géographiques de l’instrument. En espagnol, le nom renvoie à l’image « sortir la bouche » c’est à dire que l’on suppose que les musiciens devaient gonfler les joues ou « sortir la poitrine » ce qui donne une indication d’une très mauvaise façon de respirer qui était certainement l’inverse de ce que nous faisons aujourd’hui ! Ce dont nous sommes sûr c’est qu’en France le nom signifiait « tirer » et « pousser », gestes que l’instrumentiste effectue à l’aide de la coulisse, en faisant valoir le travail de la main sur celui de la bouche. L’étymologie est variée mais décrit le même instrument. On distingue différentes tessitures quant à cet instrument avec l’alto, la ténor et la basse. Quant à la conception même de l’instrument, les évolutions ont été minimes et ont concerné essentiellement la perce (diamètre intérieur de l’instrument) qui a presque doublé de taille. A l’époque, les ensembles étaient constitués de deux, trois voire dix personnes, c’est à dire des petites formations où l’instrument s’adaptait à la voix humaine, aux autres instruments,… Au fil des temps, les ensembles se sont agrandis et nous sommes arrivés aux orchestres symphoniques avec une exigence plus importante de décibels pour les cuivres par exemple. L’instrument a donc du s’adapter à ces exigences sonores de l’orchestre. Sinon la sacqueboute que nous jouons aujourd’hui est semblable à celle d’il y a trois siècles : je joue d’ailleurs en ce moment avec un instrument copie du début XVII° siècle dont l’original est au musée de Munich.

Le nom de notre ensemble a été inventé car on ne dit pas habituellement un sacqueboutier mais un joueur de sacqueboute ou sacqueboutiste éventuellement. C’est un ensemble qui est apparu en 1976 avec Jean-Pierre Mathieu et Jean-Pierre Canihac, à l’époque respectivement professeur de trombone moderne et professeur de trompette moderne. Ces deux musiciens ont eu la curiosité de rechercher quels étaient les instruments joués à l’époque de MONTEVERDI et ont trouvé la sacqueboute et le cornet à bouquin, ce dernier instrument n’ayant rien à voir avec la trompette baroque. Le cornet à bouquin est en effet creusé dans la corne animal trouée comme une flûte et complétée par une embouchure que l’on a appelé le bouquin (que l’on porte à la bouche). »

 

LEXNEWS : « En dehors de la recherche organologique, quelle a été l’approche de l’ensemble quant au répertoire ? »

 

Daniel LASSALLE : « Les fondateurs de l’ensemble ont tout de suite été portés sur le répertoire joué à l’époque de ces instruments. Notre époque moderne a tendance à se limiter à un répertoire restreint qui tourne toujours autour des mêmes morceaux. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait par contre un répertoire très riche inexploité pour des instruments qui à l’époque étaient considérés à l’égal des violons et non pas le pigment sonore de l’orchestre sonore moderne. Ces instruments étaient hautement considérés et avaient une importance primordiale au sein des chapelles. Le fief de nos instruments était Saint Marc de Venise avec GABRIELI et MONTEVERDI par exemple. »

 

LEXNEWS : « Quelles sont les exigences de cet instrument qui séduit immédiatement l’oreille par les nuances qu’il offre ? »

 

Daniel LASSALLE : « Je conseille vivement de faire du trombone moderne pour acquérir une technique instrumentale et surtout physique ! Il ne faut pas oublier que c’est un instrument à embouchure, une embouchure qui, comme une voix, doit être faite. Cela demande des années de pratique, au moins dix ans, et à partir de là, on peut passer à un instrument ancien. L’instrument ancien est beaucoup plus délicat et ne pardonne rien, qui plus est, le répertoire est beaucoup plus virtuose !!! Si vous prenez le cornet à bouquin, c’est la même chose : c’est un instrument délicat à jouer. Pour les trompettistes, il est familier quant à l’embouchure, mais la technique des doigts sur les trous de l’instrument ne leur est pas habituelle. A l’inverse, les flûtistes à bec ont cette technique des doigts mais n’ont pas celle de l’embouchure ! A l’image de la sacqueboute, c’est un travail de long terme à l’image de la voix, avec des années de sueur sur l’embouchure pour être plus à l’aise par la suite. C’est un peu comme les sportifs, nous devons nous astreindre à une pratique de plusieurs heures par jour, ce qui est physiquement exigeant !»

 

LEXNEWS : « Vous avez, avec Michel Becquet, réalisé un très bel enregistrement  sur le thème de la Sacqueboute sorti récemment chez AMBROISIE, quelle a été votre approche pour ce disque ? »

 

Daniel LASSALLE : « Les Sacqueboutiers ont trente ans d’existence et nous avons été les invités des plus grands ensembles. Mais nous avons souhaité, avec ce disque, premier du genre,repartir sur des bases fondées sur notre propre identité. Nous nous sommes structurés afin de proposer un travail le plus complet possible. Nous avons ainsi invité Michel Becquet, la grande star mondiale du trombone moderne ! Ce musicien connaissait l’instrument mais a décidé d’aller plus loin avec cette collaboration. »

 

LEXNEWS : « Quelle a été sa réaction par rapport à ce qu’il connaissait de l’instrument moderne ? »

 

Daniel LASSALLE : « Il a découvert tout un répertoire et toute une technique qui n’ont rien à voir avec le trombone. Les questions de phrasés, d’articulations, d’adaptations aux instruments, le répertoire très varié ont été autant de découvertes et de surprises. Michel n’a évidemment eu aucun problème d’adaptation quant à l’instrument et c’est surtout le répertoire qui l’a beaucoup intéressé. »

 

LEXNEWS : « Quelle a été votre approche quant à ce répertoire ? »

 

Daniel LASSALLE : « Nous avons axé notre recherche sur la première moitié du XVII° siècle qui est véritablement l’âge d’or de la sacqueboute. Nous avons choisi une musique des compositeurs que nous aimons beaucoup : SCHEIN et  SCHEIDT qui montrent les aspects populaires de l’instrument, CASTELLO et ORTIZ qui développent la virtuosité,… Je pense que nous avons donné un aspect de ce que nous aimons faire et qui correspond aux différentes expressions de l’instrument. Les instrumentistes s’adaptaient souvent aux fêtes qui étaient données à cette époque et à l’occasion desquelles ils devaient composer et jouer. Si vous prenez les sonates de CASTELLO, par exemple, il était spécifié qu’il fallait par exemple un violon, un trombone. Au regard de cette littérature, on réalise que le violon et le trombone rivalisaient de virtuosité ! Notre travail consiste ainsi à restaurer le prestige perdu de ces instruments. Cela est beaucoup plus gratifiant que le rôle actuel joué par les instruments modernes. »

 

LEXNEWS : « Quelles sont les sources  assurant la réhabilitation de ces répertoires ? »

 

Daniel LASSALLE : « Nous disposons de traités comme celui de Marin Mersenne sur les instruments. PRAETORIUS et Pierre TRICHET ont également laissé des traités sur les instruments. Parallèlement, nous avons également des traités des instrumentistes à vent qui fournissent des renseignements précieux. Mais il ne faut pas oublier qu’en 1976, lorsque l’ensemble s’est constitué, il y avait tout à faire : des recherches sur les instruments et les copies plus ou moins heureuses qui existaient alors, des recherches sur la musique qui devait être exhumée des bibliothèques ! Jean-Pierre Mathieu et Jean-Pierre Canihac sont souvent partis à Bologne et en Tchécoslovaquie où ils recopiaient des partitions à la main, ce qui était une véritable aventure !!! On peut dire qu’ils étaient des pionniers quant à notre instrument. »

 

LEXNEWS : « Aujourd’hui, des structures de recherche et d’enseignement existent elles quant à la sacqueboute ? »

 

Daniel LASSALLE : « Oui, il existe des écoles comme à Toulouse au conservatoire de musique ancienne au niveau régional. Il existe également au CNSM de Lyon un lieu remarquable consacré aux instruments anciens où nous enseignons, Jean-Pierre Canihac et moi même. Bâle, bien sûr, est une institution prestigieuse alors que Paris semble avoir privilégié la viole et le clavecin. Quant aux ensembles, les Sacqueboutiers ont fait école ! Il faut savoir que Jean-Pierre Canihac enseigne depuis longtemps et a formé des personnes comme Jean Tubéry ! Notre classe de sacqueboute à Lyon a 12 ans d’existence. Nous formons de très bons musiciens et je dois avouer que nous frôlons le paradis lorsque nous nous rendons comptes que mêmes des dieux comme Michel Becquet touchent à notre instrument !!! »

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

Daniel LASSALLE : « Nous attendons beaucoup des retombées de ce disque et notamment sur le plan pédagogique ! Nous avons réalisé qu’il y avait beaucoup de personnes qui ne connaissaient pas notre instrument. A partir de ce travail, nous allons aller plus loin dans cette découverte. Nous avons plusieurs projets d’enregistrements dont un très prochainement consacré à la Cour de Kromériz en Moravie à la fin du XVII° siècle. Nous avons découvert une formation qui était composée d’un violon, d’un cornet, d’une sacqueboute et d’un basson avec des timbres très différents mais qui sonnaient vraiment très bien. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait une littérature très importante avec des sonates très virtuoses et très difficiles avec des compositeurs comme BIBER, FUCHS,… Nous avons ainsi décidé d’honorer cette formation avec ce prochain disque qui devrait sortir cette année chez AMBROISIE. Nous avons un grand nombre de concerts cette année qui vont permettre de mieux diffuser ce répertoire ! »

 

Les Interviews de LEXNEWS : Alfredo BERNARDINI, le 24/02/2003.

 

« A l’occasion de la sortie d’un superbe enregistrement consacré au compositeur Georg DRUSCHETZKY chez AMBROISIE et d’une tournée en France ce printemps, LEXNEWS a interviewé le fondateur de l’ensemble à vents ZEFIRO, Alfredo BERNARDINI, un ensemble à découvrir absolument en raison de la qualité du travail accompli et de la sympathie qui ressort de cette association latine ! » 

 

LEXNEWS : « Nous constatons une  création croissante de nouveaux ensembles en musique ancienne, pouvez vous nous préciser, à partir de votre propre expérience,  ce qui peut motiver des musiciens appartenant à des ensembles préexistants souvent prestigieux à fonder leur propre formation ? »

 

Alfredo BERNARDINI : « Les raisons qui ont motivé la formation de l’ensemble Zefiro en 1989 ont été multiples. Notre envie de jouer la musique du 18ème selon nos idées a été un des facteurs de cette création. Ces idées s'inspirent des sources de l'époque avec pour objectif de communiquer des émotions qui vont au delà des notes. Par ailleurs, nous avons formé dés l’origine un groupe dont le but était de réunir et fondre différentes personnalités individuelles en un langage commun. Zefiro est en effet né de ce souci permanent d’une osmose avec d’anciens camarades de conservatoire comme Paolo Grazzi et Alberto Grazzi. Enfin, un autre but important de l’ensemble a été de mettre en valeur tout répertoire, connu ou inconnu, qui placerait les instruments à vent en premier plan. Nous avons donné une priorité à l’acoustique particulière offerte par les instruments anciens »

 

LEXNEWS : « Quelle est la place des instruments à vent dans la musique baroque, et peut on noter une évolution de ce rôle au XIX et XX° siècles ? »

 

Alfredo BERNARDINI : « La musique du 18ème constitue l'âge d'or pour les instruments à vents, notamment pour le hautbois et le basson. C'est à cette époque que furent écrits une grande quantité de sonates, concertos et pièces de chambre avec ces instruments. Certaines de ses oeuvres sont des véritables chefs d'oeuvres. Le résultat produit par l'utilisation des instruments anciens est fort différent de celui offert par les instruments modernes, qui sont un développement des instruments romantiques. Or ces instruments romantiques ont étés conçus selon des principes dictés par une esthétique très différente de celle du 18ème d’où l’intérêt de notre démarche. »

 

LEXNEWS : « Vous venez de sortir, sous le label AMBROISIE, un superbe enregistrement consacré à GEORG DRUSCHETZKY (1745-1819) présenté dans nos chroniques « Disques »  . Qu’est ce qui vous a attiré chez ce musicien ? »

 

Alfredo BERNARDINI : « Georg DRUSCHETZKY, originaire de la Bohême sous l'empire Autrichien, lui-même virtuose de hautbois et de timbales, a été une personnalité musicale fort intéressante en raison du développement de son activité et de sa façon de composer tout au long de sa vie. Après avoir atteint une renommée en tant que compositeur pour ensemble à vent, son arrivée à Budapest en 1801 marque un nouveau tournant dans sa composition. La musique écrite à partir de cette date dénote un esprit fort original et  curieux de nouvelles expériences. Il produira essentiellement une grande quantité de musique de chambre pour vents et cordes. Les pièces que nous avons enregistrées font partie de cette dernière époque de sa vie, alors que le musicien avait plus de 60 ans ! Sa familiarité avec les compositeurs contemporains comme Mozart, Haydn et Beethoven est aussi évidente. On peut dire que DRUSCHETZKY a, d’une certaine manière, permis de jeter un pont entre le classicisme d’un Mozart par exemple et la modernité d’un BEETHOVEN. Notre prochaine création est un CD consacré à Luigi Gatti (1740-1817), musicien de Mantoue devenu Maître de Chapelle à la Cathédrale de Salzbourg : la découverte de sa musique de chambre pour vents et cordes a aussi été une agréable surprise pour nous. Ce CD sortira chez Ambroisie au printemps 2003. »

 

LEXNEWS : « Quel conseil souhaiteriez vous donner à un jeune (ou moins jeune!) musicien qui souhaiterait aborder un instrument à vent en musique ancienne ? »

 

Alfredo BERNARDINI : « Je pense que la principale qualité d’un musicien, amateur ou professionnel, est de rester ouvert à ce qui l’entoure. Ainsi ma principale recommandation serait de dire : Soyez curieux et regardez au delà des notes!!! ».

 

LEXNEWS : "Alfredo BENARDINI, merci pour cette interview qui sera l'occasion pour nos lecteurs de découvrir votre très beau travail !"

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Daniel CUILLER, Versailles, le 21-10-02.

 

 

LEXNEWS a rencontré Daniel CUILLER  quelques heures avant son concert à l’Opéra de Versailles : c’est un musicien sensible et accessible qui s’est livré à nos questions avec gentillesse alors même que le spectacle RAMEAU en clair obscur (coproduction Centre de Musique Baroque de Versailles – Festival de Pontoise) était endeuillé par la disparition brutale de son metteur en scène, Philippe LENAEL, quinze jours plutôt…

 

 

LEXNEWS : « Quelle est l’origine de l’Ensemble STADIVARIA ? »

 

Daniel CUILLER : « L’origine de STRADIVARIA est partie d’une volonté de réunir un ensemble d’amis au début des années 80 à une époque où j’étais premier violon aux Arts Florissants dirigés par William Christie. Le point commun de cette réunion demeurait les instruments à cordes et nous souhaitions approfondir ce répertoire spécifique. Cela a commencé par des concerts sur le répertoire du XVIII° siècle VIVALDI, BACH,… avec le souhait de revisiter ces œuvres avec une autre approche que celle que j’avais pu entendre jusqu’alors avec des orchestres modernes. A partir de cette initiative, nous sommes allés plus loin dans la recherche de documents plus rares et l’exhumation de musiques inconnues. Cela a été le moteur de notre travail. »

 

LEXNEWS : « Votre répertoire est très varié et étendu : nous avions apprécié votre enregistrement de CORRETTE, il y a quelques années. Vous avez également travaillé les œuvres de FRANCOEUR avec un très beau disque. Vous interprétez ce soir RAMEAU… Quels sont vos critères pour les œuvres que vous retenez ? »

 

Daniel CUILLER : « Pour le disque de CORRETTE, nous avions retenu l’approche de la musique populaire par un musicien savant. Nous avons voulu montrer qu’à l’époque, en dehors de Versailles, des musiciens puisaient dans le répertoire populaire des oeuvres pour les accommoder à la mode classique du concerto et de la sonate, à l’inverse d’un musicien comme CHEDEVILLE qui a copié VIVALDI, grand musicien savant, pour les arranger en petits concertos champêtres à la manière de CORRETTE. En fait, les deux démarches se rejoignent à la même époque. Les musiciens français ont beaucoup copié et plagié, pratique fréquente à l’époque pour faire connaître des œuvres qu’ils avaient entendues dans d’autres pays.

Notre critère de sélection est, en premier lieu, la rareté de l’œuvre retenue et le plaisir de l’ensemble des musiciens pour l’interpréter. Nous accordons ainsi une place importante aux discussions après un concert notamment pour aller plus loin. Notre démarche n’est donc pas exclusivement musicologique, ni exclusivement musicale, c’est en fait une association des deux. Association mise en rapport avec un troisième élément essentiel : ce que nous pouvons apporter à notre public. Il faut souligner le fait que trop souvent ce public est gavé d’un répertoire trop connu ou alors d’un répertoire retenu en raison de la recherche musicologique, ce n’est pas la démarche que nous avons retenue !

Il est clair que nous ne pouvons pas uniquement nous faire plaisir et il faut arriver à vendre des concerts pour en revenir aux choses plus pragmatiques… »

 

LEXNEWS : « A ce sujet, que percevez vous de l’attente du public ? »

 

Daniel CUILLER : « Depuis 1987, le nom de STRADIVARIA est associé aux cordes et nous avons découvert qu’il y avait un public qui nous suivait et attendait nos sorties, entraînant par là même un public plus large. Depuis deux ans, nous essayons ainsi d’enregistrer un disque qui soit associé à une série de concerts. Nous avons ainsi considérablement réduit le nombre de programmes que nous faisions. J’apprécie le fait que les personnes qui viennent à nos concerts sachent ce qu’ils vont entendre, ce qui ne les empêche pas de découvrir d’autres choses à cette occasion. Il y a un aspect pédagogique qui est loin d’être négligeable avec la rencontre du public. »

 

LEXNEWS : « Notre revue va présenter un reportage sur l’Abbaye de FONTEVRAUD, ce lieu a retenu votre attention, pouvez vous nous en dire plus ? »

 

Daniel CUILLER : « FONTEVRAUD est le lieu fétiche de la Région pour la culture. Il s’agit d’un chantier énorme et déjà une réussite extraordinaire ! Nous y avons déjà enregistré trois disques et le quatrième cet hiver. Nous sommes accueillis par la Région Pays de Loire qui nous subventionne. Il est très agréable d’aller travailler à cet endroit qui offre les conditions idéales de sérénité pour jouer la musique. »

 

LEXNEWS : « Quelle est votre approche quant aux manuscrits et partitions dans les restitutions des œuvres que vous avez choisies ? »

 

Daniel CUILLER : « L’idée est de découvrir le manuscrit à partir d’un certain type de recherche. Nous travaillons la plupart du temps sur les manuscrits originaux. Nous travaillons beaucoup en restituant ces œuvres à partir du logiciel FINALE : nous réalisons ainsi une édition interne à partir de ces originaux. C’est un programme idéal pour éditer un document exploitable pour les musiciens. »

 

LEXNEWS : « Quelles sont les difficultés quant à cette étape préparatoire et quelle est votre approche dans la restitution de l’oeuvre ? »

 

Daniel CUILLER : La plupart du temps ces manuscrits originaux sont très lisibles. Il y a parfois des ambiguïtés que nous levons en fonction des autres passages de l’œuvre.  Quant à la deuxième partie de votre question, il est clair que nous abordons un point crucial dans le travail d’interprétation qui rejoint la problématique de la restauration d’une œuvre d’art : doit on s’attacher à restaurer une ruine pour qu’elle ait l’air de tenir debout ou bien va-t-on s’attacher à reconstruire à l’identique du départ ? Je ne prétends en aucune manière être un musicien revendiquant l’authenticité absolue de son travail d’interprétation par rapport à l’œuvre originale ! Je ne suis pas de ceux qui prétendent qu’à telle date, l’on jouait ainsi et pas autrement, je pense que c’est un faux débat et ceux qui vont dans ce sens, musiciens, metteurs en scène, chorégraphes,…sont totalement dans l’erreur ! C’est une vraie question aujourd’hui. Philippe LENAEL, récemment disparu, était totalement en accord sur cette position. Nous cherchons à apporter tout notre savoir hérité d’un travail quotidien de près de trente années ainsi qu’une vision la plus honnête possible de l’esprit de l’époque. Mais, nous ne pouvons pas affirmer que nous dirigeons comme RAMEAU dirigeait son opéra ! Cela n’enlève en rien tout le travail de recherche sur l’organologie qui a permis d’interpréter les œuvres du répertoire avec des instruments anciens. C’est une démarche inaugurée avec Harnoncourt et Leonhardt , mais qui a été malheureusement depuis trahie par beaucoup de gens qui prétendent jouer du baroque ! Mais, nous ne sommes pas non plus des compositeurs lorsque nous jouons ces œuvres : c’est une question d’honnêteté ! Sinon il faut avoir le courage de prendre la plume et de créer !!! Ce que je viens de vous dire concerne le texte même de l’œuvre, bien sûr, pour les ornementations, c’est autre chose. Pour CORELLI par exemple, je me suis inspiré de ses propres ornementations mais aussi de ses contemporains, GEMINIANI,… et j’ai fait les ornementations à partir de cette base. Je n’ai pas voulu prendre les ornementations de la partition à la lettre car ces partitions sont en fait des copies réalisées à partir de ce qu’il faisait en concert, ce qui ne l’empêchait pas deux ans après de faire quelque chose de très différent ! Dans cette optique, le rôle de l’interprète est créatif, mais reste encadré à partir d’une certaine connaissance de cette musique. »

 

LEXNEWS : « Le concert et spectacle de ce soir à l’Opéra de Versailles est endeuillé par la disparition de Philippe LENAEL il y a 15 jours. Sans faire une  chronique nécrologique, quelles sont néanmoins  les pensées qui vous animent afin de lui rendre un dernier hommage ? »

 

Daniel CUILLER : « Je partageais beaucoup de choses avec Philippe depuis quelques années, nous étions devenus amis et je regrette de ne pas l’avoir mieux connu…

Pour moi, il est encore là ce soir. Ce spectacle est son idée et nous l’avons réalisé ensemble. J’avoue que je suis très touché par cette brutale disparition. C’était véritablement un travail d’équipe dans lequel Philippe avait une place essentielle. Son approche était toute racinienne dans le drame de Phèdre, et qui rejoint Euripide, c’est à dire une approche beaucoup plus actuelle qui élude tout l’aspect mythologique. Le drame est absolu : Hyppolite meurt et c’est un point au sujet duquel Philippe tenait beaucoup d’une manière prémonitoire… C’est une approche qui correspond pleinement à l’art baroque avec un mouvement dans l’apparente fixité des choses, la symétrie est dans l’asymétrie,… Tout est incertitude dans l’action, j’avoue que j’ai beaucoup accroché avec cette approche qui dépassait le côté trop souvent superficiel que l’on affuble au baroque.

Il est vrai qu’il m’est très difficile d’en parler au passé, Philippe est avec nous ce soir plus que jamais… »

 

LEXNEWS : « Gardons ces mots comme le meilleur hommage à un artiste de talent et pensons à l’avenir avec vos projets pour le disque et le concert »

 

Daniel CUILLER : « C’est encore Philippe qui est au cœur de mes projets pour l’avenir ! Il m’a lancé sur un type de création incluant un travail avec les chanteurs, alors qu’à l’origine notre approche était plus tôt instrumentale. Et, je dois avouer que j’ai très envie d’aller plus loin dans cette voie !

Pour le disque, nous allons sortir un disque qui sort chez CYPRES intitulé « A tre violini » consacré à la musique instrumentale dans les cours d’Europe au XVII° siècle. Le prochain disque est un enregistrement sur le thème du « Stabat Mater », c’est une totale recréation qui sortira ce printemps. » 

 

LEXNEWS : « Daniel Cuiller, merci de votre accueil et à très bientôt dans nos colonnes ! » 

 

Retrouvez les prochaines dates de concerts ainsi que l’actualité discographique de l’ensemble STRADIVARIA sur leur site Internet : http://www.stradivaria.org/

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Martin GESTER, Versailles, 27/09/02.

Entre deux répétitions pour le concert qu'il allait donner dans le cadre des Grandes Journées du Centre de Musique Baroque de Versailles, Martin Gester a très cordialement accepté de répondre à nos questions afin de nous présenter son parcours et son ensemble, Le Parlement de Musique, une formation fort appréciée des grands festivals de musique baroque...

 

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous rappeler votre formation musicale ainsi que l’origine de votre ensemble, Le Parlement de Musique ? »

 

Martin GESTER : « Mon parcours est un peu similaire à celui de Jordi Savall : je n’ai pas appris la musique dans un conservatoire et mon apprentissage s’est fait par le chant et la pratique d’un instrument. Je suis venu au Conservatoire tardivement. Mon oreille avait d’ailleurs du mal à s’adapter à ce que l’on me demandait de faire dans ces lieux d’enseignement ! La formation traditionnelle des musiciens du monde baroque se fait très souvent à partir d’un instrument ou en tant que soliste. Ma formation est un peu différente en ce que j’ai suivi un parcours empirique à partir de la polyphonie vocale au sein d’une maîtrise. J’étais également organiste dans le cadre d’un petit séminaire où je devais jouer des offices et diriger des répétitions assez tôt. C’est à cette époque que j’ai pu interpréter beaucoup de musique de PALESTRINA, de la polyphonie du XVI et XVII° siècles. Quand j’étais au conservatoire alors même que je jouais du MESSIAN ou du LISZT, je suis fatalement revenu à ces premières sources d’inspiration ! C’est cette musique que j’entendais dans ma tête. Même si mon professeur me poussait à jouer les grandes pièces du répertoire, je me tournais vers FRESCOBALDI, du GABRIELI, et BACH, bien que concernant ce dernier, j’avais plus de mal car je le trouvais trop compliqué ! »

 

LEXNEWS : « D’où vient cette sensibilité pour ce répertoire ? Est- ce quelque chose de totalement subjectif découvert par hasard ? »

 

Martin GESTER : « Plus qu’une sensibilité, c’est plutôt une culture fondée sur la polyphonie, une culture qui fonde toute la musique jusqu’à BACH. Cela ne m’a pas empêché de bénéficier des enseignements de mon professeur d’orgue, Pierre Vidal, qui a écrit plusieurs livres sur BACH, c’était un postromantique qui m’a beaucoup appris. Mais les musiques de MONTEVERDI, CARISSIMI, CHARPENTIER, LALANDE, BACH et bien d’autres encore ont forgé ma formation. J’ai également poussé plus loin avec la musique renaissance. Nous avons réalisé un disque autour de la Missa pro victoria de VICTORIA ainsi que Du CAURROY, des musiques sur lesquelles j’aimerai bien revenir dans le futur.

J’ai reçu par la suite une formation traditionnelle mais cette dernière est intervenue après coup et le résultat est un peu comme une seconde langue apprise par rapport à la première !

Tout cela a eu une certaine importance sur l’abord du répertoire. Dans le baroque aujourd’hui, on veut surtout voir ce qui surprend ! Au début du siècle, et ce jusque dans les années 50, les musiciens se sont plus attachés à la géométrie. Après, en réaction, on a plus insisté sur l’effervescence : tout ce qui est rupture et étonnement. Il est d’ailleurs très symptomatique de constater que l’on qualifie quelque chose de théâtral au sens de surprenant. Or la théâtralité n’est pas la surprise ! La théâtralité de RACINE n’est pas celle de Victor HUGO, elle-même différente de celle Peter Brook par exemple… Dans la musique, c’est un peu une mode en ce moment : on projette sur le baroque une idée qui est très moderne avec une certaine fureur. Heureusement, tout le monde ne pratique pas ainsi. Jordi Savall par exemple n’a pas besoin de cela ! Il ne s’agit pas ici de donner des noms mais trop de personnes s’attachent à ce que le baroque peut avoir de subversif. Le baroque n’est pas subversif mais cherche plutôt à « contrepointer » un ordre très enraciné. Musicalement, le baroque est toujours une musique base de polyphonie : il y a toujours une interaction de différents éléments.

 

LEXNEWS : « Cette interprétation de certains chefs baroques que vous évoquiez est elle une certaine forme de rhétorique ? »

 

Martin GESTER : « Oui, tout à fait ! On dit très souvent que le baroque est italien ce qui est très réducteur… L’Italie est bien sûr une source incontournable pour la musique française et d’autres encore, mais c’est partir d’un postulat erroné. On va chercher à juger COUPERIN ou JACQUET de la GUERRE en disant que c’est moins bien parce que moins italien ! COUPERIN a certes beaucoup lu la musique italienne d’une manière déformée et infidèle mais c’est cette infidélité qui est belle. Pour BACH, c’est la même chose : lorsqu’il fait du style français c’est français selon BACH… Nous serions très embêté s’il avait écrit cette musique en éliminant cette influence personnelle !!! »

 

LEXNEWS : « Votre démarche tend donc à un certain retour aux sources même s’il ne s’inscrit pas dans les modes actuelles ? »

 

Martin GESTER : « Je fais en effet très attention à toutes les interactions qui structurent la musique baroque sans imposer de classements rigides : 100% français ou italien. Cela n’est pas tenable parce que cela n’existait pas à l’époque. Les musiciens de cette époque cherchaient la synthèse et la symbiose : il n’y avait pas de frontières. COUPERIN a commencé par écrire sous un nom italien une sonate à l’italienne ! Une fois reconnu, il a révélé son nom et a commencé à écrire avec ce nom. Il écrira ainsi les Nations pour le Roi avec différentes influences, l’Italie étant bien sûr essentielle. LULLY s’est inspiré de la musique italienne avec une adaptation française.

Concernant notre démarche, il est vrai que je ne me considère pas dans la lignée classique des musiciens d’aujourd’hui ! La plupart des musiciens sont formés d’une manière équivalente et ont reçu une culture moderne qui dépasse les frontières nationales. C’est en fait une culture de conservatoire où le goût a tellement changé que l’on est très loin de la musique du XVIII°.C’est d’autant plus surprenant lorsque l’on sait qu’aux XVI-XVII° siècles, la musique était bien moins éloignée d’un coin de l’Europe à l’autre alors qu’il fallait plus de temps pour traverser cette Europe qu’aujourd’hui pour faire trois fois le tour du Monde !!!

La musique était alors très homogène avec des accents locaux, il ne s’agissait pas de langues musicales différentes. Aujourd’hui, la musique ancienne est une toute autre langue, on croit avoir le même dessin mais en fait ce n’était pas chanté pareil. Les ornement aujourd’hui sont assez représentatifs de cet état : lorsque RAMEAU écrit les ornements dans ses partitions, ils sont interprétés de nos jours comme des mélodies c’est à dire en chantant exactement les notes, alors que c’était un tour de gosier que les chanteurs mettaient en oeuvre ! Des progrès ont été réalisés sur cette question en confrontant cette pratique avec les traditions orales qui ont recours à ces tours de gosiers. »

 

LEXNEWS : « Faites vous référence aux travaux de Marcel Pérès ? »

 

Martin GESTER : « Oui, tout à fait, c’est une démarche que j’ai également adoptée. J’ai beaucoup appris en écoutant des musiques traditionnelles. Cela n’a rien d’étonnant car autrefois, beaucoup de choses étaient pratiquées à partir des traditions orales. Les musiciens s’imitaient, ce que reproduisent aujourd’hui les musiciens qui ont une programmation à réaliser et vont acheter deux, trois disques de la même œuvre pour en étudier les différentes interprétations ! Mais cela va souvent reproduire le même moule avec cet exemple contemporain. Quant j’auditionne un chanteur X ou Y, je sais tout de suite quel disque il a écouté ! J’ai par exemple réalisé le Te Deum de CHARPENTIER un certain nombre de fois et j’ai toujours beaucoup de mal à obtenir ce que je souhaite de ce fait !

Ce que nous avons du mal à retrouver relevait en fait de la tradition orale et n’était donc pas consigné par écrit et rarement théorisé. C’est un peu comme si l’on cherchait aujourd’hui un traité sur la manière de chanter une chanson de Jacques Brel ou d’Edith Piaf, cela n’existe pas ! Et pourtant nous écrivons tout aujourd’hui…

A ce sujet, j’ai trouvé un manuscrit de CHARPENTIER où il écrit à l’usage des français un texte italien avec la prononciation italienne à la française sans la phonétique internationale qui n’existait pas à l’époque ! Il écrira par exemple « tchi » avec un t pour une prononciation à l’italienne à partir de la prononciation française !!! En fait, la phonétique internationale n’existait pas dans la musique. Nous avons de très rares écrits comme celui de Francesco TOSI qui explique par exemple que les chanteurs italiens ont une certaine manière d’être avant le temps ou derrière le temps qui fait toute leur expression. Mais ces choses là sont impossibles à enseigner, il faut les entendre faire pour les comprendre et les imiter. Nous trouvons les mêmes problèmes pour CHOPIN. Certains affirment qu’il était intraitable pour la mesure, d’autres comme BERLIOZ au contraire prétendent qu’il était beaucoup trop libre ! CHOPIN réalisait à la main droite ce que faisait le chanteur d’opéra. LISZT écrit d’ailleurs à ce sujet que le rubato de CHOPIN était comme l’arbre : la main droite étant les feuilles et la main gauche, le tronc, ce dernier accompagnant légèrement les feuilles lorsque celles-ci sont très agitées. De nos jours, les pianistes font tout bouger, c’est en fait l’arbre entier qui se penche !

Mes études de lettre classiques m’ont appris à tirer des enseignements précieux sur l’évolution des langues et des dialectes. Tout cela est important car nous avons souvent l’impression de jouer comme c’était fait autrefois ce qui n’est pas toujours le cas. Cela implique un travail de tous les jours avec les musiciens qui travaillent avec moi afin de remédier à cette difficulté qui est en fait culturelle. L’exemple de l’art de la déclamation et de la gestuelle baroque est significatif à ce sujet. La musique baroque n’est pas une affaire de changements de tempi : « largo », « grave »,… étaient tous des caractères déclamatoires et non de rythme. « Largo » renvoie au théâtre de RACINE avec une prononciation ample. La musique de COUPERIN est très enserrée dans des différences de tempi très proches : avec quasiment la même pulsation, nous aurons des caractères graves ou gais. Aujourd’hui nous réduisons souvent cela en comprenant « gai » comme étant un  allegro au sens où l’entendra BEETHOVEN, alors même qu’allegro existait au XVIII° mais ne signifiait pas vite à l’époque de COUPERIN…

Dans le concerto pour la nuit de noël de CORELLI, vous avez à un moment donné une Gavotte. Evidemment, il n’écrit pas le terme Gavotte parce que c’est une œuvre pour l’Eglise et qu’il n’écrit jamais les noms de danses dans des œuvres religieuses, mais c’est tout de même une Gavotte. Et bien pour cette Gavotte il y a indiqué « allegro » ce qui donne des interprétations modernes très rapides à l’image d’un scherzo de BEETHOVEN alors que ce n’est pas du tout le cas ! CORELLI savait très bien ce qu’était une Gavotte à l’époque, c’est à dire une danse et non une course.

La déclamation, le caractère rythmique sont très importants pour mon travail. Le geste, la déclamation, les danses structurent la musique baroque et constituent ainsi un art qui disparaîtra par la suite en abandonnant les structures comme le fera l’impressionnisme par exemple. Si vous prenez STRAVINSKY par exemple, il réagit à cette évolution en redonnant un cadre très géométrique, régulier, machinal d’une certaine manière. La musique baroque interprétée au courant du XX° siècle a cherché elle-même à réagir vis-à-vis de cette dernière tendance en retenant la surprise, la théâtralité. Il faut surprendre, et si vous ne surprenez pas, ce n’est pas baroque ! La théâtralité existait bien sûr dans la musique baroque mais ce n’était pas que cela : cette théâtralité est inscrite dans des structures très prévisibles. Il y avait toujours 5 actes, un alexandrin dit comme un vers et non pas comme la prose comme le font la plupart des metteurs en scène. En fait, tout était dit d’une manière rythmique et en même temps emphatique qui prenait beaucoup de temps, où chaque mot était prononcé selon sa propre énergie. La musique de cette époque était la transposition de cela. Et il est très rare d’obtenir cela aujourd’hui chez nos musiciens, la chanteuse Salomé Haller a cette sensibilité. Elle a la chance d’avoir commencé en chantant du texte, elle n’a pas appris la musique en chantant des notes comme j’ai pu le faire en mon temps ce que j’ai toujours trouvé stupide ! Cela peut être utile pour du BOULEZ du fait de la virtuosité de cette musique de structure, mais sinon…

Vous voyez, en fait, restituer une musique ancienne c’est suivre à la trace toute une série de paramètres qui entrent en fusion pour aboutir au résultat final. »

 

LEXNEWS : « Quelle influence cette démarche a-t-elle sur les instruments ? »

 

Martin GESTER : « Je pense qu’à partir du moment où le musicien travaille dans le sens que j’ai indiqué, la question de l’instrument est moins prioritaire. Il m’est arrivé de jouer du MOZART au piano à des personnes qui me le demandaient alors que d’habitude c’est une musique que j’interprète au clavecin ou au pianoforte. Une musicienne présente m’a alors fait la remarque que l’on avait l’impression que je jouais un pianoforte ! Ce à quoi j’ai répondu que c’était le pianiste qui fait le pianoforte et non l’instrument. Si vous prenez Glenn Gould, il joue de cette manière parce qu’il entend du BACH à la STRAVINSKY, c’est à dire très machinal, très boite à musique ! D’autres vont entendre la musique de CHOPIN à la manière de DEBUSSY, avec un résultat très enrobé, alors même que la musique de CHOPIN, notamment pour sa main gauche, était beaucoup plus rythmé, à l’image des musiques populaires, vous avez un orchestre qui accompagne et un chanteur qui exécute un air très mélodique. L’opéra italien avec BELLINI par exemple reproduit ce schéma : l’orchestre met en valeur le chant avec une logique à deux éléments. Avec BACH c’est beaucoup plus complexe, très souvent cinq composantes vont interagir de cette manière !!! Cela explique que nous soyons très tenus par le tempo avec une plus grande liberté à l’intérieur de ce cadre rigide. Il est clair que si l’on cherche à aborder cela comme un chef moderne qui veut faire bouger son orchestre, cela ne peut pas marcher. Pour certains compositeurs, il est possible de tricher comme chez HAENDEL par exemple, mais avec BACH c’est impossible, vous avez de si longues musiques qui ne décollent pas de la mesure que même si vous souhaitez respirer, vous avez toujours une voix qui continue toujours…

Toute cette problématique peut être comparée au problème de la sculpture d’une statue qui doit représenter Apollon et Daphné : comment représenter Apollon qui poursuit Daphné qui se change en laurier ! C’est tout un problème… L’art baroque va imposer comme élément l’immobilité du socle et va en même temps suggérer l’élan, la transformation des personnages. Cela résume les difficultés de l’opéra baroque. »

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets discographiques pour les prochains mois ? »

 

Martin GESTER : «  Nous allons sortir les leçons de ténèbres de COUPERIN chez ASSAI. Un disque des 6 sonates en trio de BACH pour le clavier à pédalier re-instrumenté dans l’esprit de BACH, disque qui va également sortir chez ASSAI.   nous allons sortir un CARISSIMI chez Opus 111, un disque de STEIGLEDER avec un cycle de 40 variations sur le thème de Notre Père chez Tempérament/Radio France. » 

 

LEXNEWS : «Martin GESTER, merci, nos lecteurs retrouveront ces disques dans nos pages Nouveautés Disques, et nous aurons l'occasion de revenir sur les thèmes essentiels que vous venez d'aborder !"

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Vincent DUMESTRE, Ambronay, le 22-09-02.

 © LEXNEWS

 

LEXNEWS : « Quelle est l’origine de la création de votre ensemble, « Le Poème Harmonique » en 1997 ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Cet ensemble a été créé à partir de différents parcours d’interprètes dans les grands ensembles de musique ancienne. Nous avions tous des idées que nous ne pouvions pas forcément mettre en place dans des formations existantes, que ces idées soient spécifiquement musicales, ou plus générales, notamment liées à des choix de compositeurs. C’est ce qui m’est arrivé, à l’image de nombreux musiciens, un  jour, on décide de passer de l’autre côté !… »

 

LEXNEWS : « Qu’est ce qui a justement motivé ce passage ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Je pense, qu’à un moment donné, on se donne le droit à un tel recul, lorsqu’on estime, à tort ou à raison, qu’une certaine maturité l’autorise ! Il y a également une large part due au hasard des rencontres, comme celle avec Jean-Paul Combet, directeur du label de disques ALPHA, qui a permis de très belles réalisations alors même que ce label naissait en même temps que nous ! Nous avons tout commencé ensemble par la grâce des choses.

Pour notre ensemble, je souhaitais porter l’accent sur la musique du début du XVII° siècle, même si cela a évolué depuis. Nous souhaitions montrer l’apport de la musique populaire à la musique savante de cette époque, tendance qui disparaîtra par la suite avec le XVIII° et la bourgeoisie. Ces musiques étaient parfois très proches, même si la musique savante avait recours à cette musique populaire avec une certaine distance. En ce qui concerne les danses du XVII° siècle, nous n’avons gardé que 10 % de la musique imprimée à cette époque, sans compter toutes les musiques orales héritées des traditions ancestrales ! Cela donne une idée de la palette immense de cette musique, et dans ce faible pourcentage, il reste énormément de choses à réaliser. C’est tout un travail musical à faire. Chaque jour exige un travail de rapprochement à faire avec d’autres sources, le théâtre, la littérature,… »

 

LEXNEWS : « Votre formation en dehors de la musique a été un atout pour cela ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Oui, tout à fait. J’ai suivi l’Ecole du Louvre, je me suis intéressé aux Beaux Arts, j’ai aimé dessiné,… Il ne s’agit pas véritablement d’une formation, car je n’ai pas été très loin dans ces approches du fait de mon intérêt pour la musique, cependant, cela m’a conféré une ouverture d’esprit précieuse pour mes recherches ultérieures. Le XVII° a été une période de transition entre la Renaissance et ce que l’on a appelé le Baroque. Cette période a été l’occasion de remises en question, de doutes, et je dirai même de délires ! GESUALDO aurait eu du mal à réaliser ce qu’il a fait à une autre époque…

Cette période d’une quarantaine d’années du XVII° siècle est véritablement passionnante et mérite une vie de travail. Notre ensemble a ainsi choisi de s’attacher à l’apport de ces compositeurs novateurs pour leur siècle et les siècles suivants. »

 

LEXNEWS : «Quelle est la part des instruments, de la voix et du texte dans le répertoire que vous travaillez ? »

 

Vincent DUMESTRE : «  L’essentiel du travail que nous réalisons porte sur un travail vocal. Pour ce début de la période baroque, l’essentiel des sources pour un musicien était des sources poétiques textuelles. A la fin de la Renaissance, les instruments copiaient les voix. Lorsque dans le cadre d’une polyphonie, il manquait un ténor, un instrument le remplaçait sans difficulté. Les coups d’archets d’une viole imitaient par exemple la prononciation du chanteur. Le travail sur les instruments se fait plutôt sur un plan organologique. Nous essayons de retrouver les instruments les plus adaptés aux formes que nous connaissons. Lorsque nous avons enregistré notre disque « Il Fasolo », nous nous sommes penchés sur les instruments de la Commedia Dell’arte avec la guitare, le colascione, les castagnettes,…

Pour certaines représentations, comme celle que nous donnons au Festival d’Ambronay, nous utilisons un instrument très rare, que l’on ne voit pratiquement jamais, le citerone, une sorte de grande basse de Cistre, un instrument magnifique et très beau qui avait disparu très vite en raison de son fort encombrement.

Il est vrai que certaines découvertes en matière d’organologie ont une incidence sur nos travaux. Certains instruments s’avèrent être moins sonores que l’on ne croyait. De ce fait, on se pose des questions sur les équilibres entre les instruments et la voix. Mais, la base de notre travail reste vocale. »

 

LEXNEWS : « Pouvez-vous nous parler de vos travaux de recherches avec le Centre de Musique Baroque de Versailles et l’Académie Bach ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Nous avons décidé, il y a quatre ans, avec l’Académie Bach et ALPHA de constituer un pôle de travail. Musicalement, nous partagions les mêmes idées, et sur un plan pratique, nous nous complétions parfaitement. Le Poème Harmonique, pour la création musicale, ALPHA, pour la production de la discographie, et l’Académie Bach pour l’infrastructure. Cette Académie est un pôle de travail sur les musiques anciennes qui s’associe également à d’autres ensembles que le notre pour permettre aux musiciens de travailler en amont des programmes ce qui est rarement le cas. Ce travail est collégial, ce qui est important pour nous.

Parallèlement, nous travaillons avec le Centre de Musique Baroque de Versailles qui nous offre un travail de premier plan en matière musicologique. Ces chercheurs, sous la direction de Jean Duron, nous font bénéficier du résultat de leur travail. Nous avons travaillé sur le compositeur GUEDRON pour lequel il y avait un travail énorme à faire sur les partitions, ses œuvres étant très nombreuses et nécessitant un gros travail pour les rendre exploitables. Sans le Centre, j’y travaillerai encore ! »

 

LEXNEWS : « Quel sont vos rapports avec le disque et vos préférences quant aux enregistrements en studio ou en direct ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Je pense que le disque a une fonction très importante et qu’il a remplacé beaucoup de choses qui ont disparu comme l’apprentissage des musiciens autrefois. En effet, au XVII° siècle, un jeune luthiste qui souhaite apprendre devait faire comme le peintre qui entrait dans un atelier, balayait pendant un an, puis préparait pendant encore une année les pigments et les toiles, et ainsi de suite… Ce n’était qu’au bout d’un long apprentissage quotidien en présence du maître que les réflexes se constituaient. Cela a totalement disparu aujourd’hui même avec nos conservatoires ! Je pense que le disque est capital aujourd’hui pour proposer cette présence à des personnes qui ne peuvent, pour toute sorte de raisons, souvent matérielles, profiter de l’enseignement d’un maître. En ce qui me concerne, par exemple, j’ai très peu travaillé avec Hopkinson Smith, par contre j’ai beaucoup appris grâce à lui en écoutant très souvent ses enregistrements.

 

LEXNEWS : « Ce que vous dites est très important car cela va rassurer de nombreux musiciens qu’ils soient amateurs ou plus avancés ! »

 

Vincent DUMESTRE : « Oui, je pense que c’est capital, cela remplace ce rapport entre l’élève et le maître qui a vraiment disparu. Pour un jeune musicien, c’est véritablement merveilleux de pouvoir écouter chez lui, quant il veut, son artiste préféré. C’est en effet extraordinaire ! Et heureusement que nous avons cela, sinon comment serait il possible d’établir ce rapport autrement avec la vie que nous menons à l’époque actuelle !

Mon rapport avec l’enregistrement est très différent de celui avec le concert. Je n’y vois pas les mêmes objectifs, n’y même la même manière de faire. En effet, je ne suis pas pour le direct, et pour moi le disque est une manière d’aborder la musique différemment par rapport à une représentation publique. Pour le concert, nous devons non seulement nous adapter en fonction des lieux selon leur volume, leur acoustique,… mais également adapter la musique elle-même ! Nous allons devoir faire des ornements différemment, nous allons peut être enlever certains instruments, ou rajouter tel autre. Le disque va répondre à des exigences différentes : nous n’avons pas le même objectif selon les disques, nous n’avons pas le même temps de répétition, et nous utilisons l’acoustique d’une manière différente par rapport au concert. C’est un autre travail qui procurera des plaisirs eux mêmes très différents. Le concert est véritablement un partage, le disque est peut être plus un plaisir égoïste de musicien qui va chercher la perfection. »

 

LEXNEWS : « Certains de vos confrères reprochent justement au studio d’aseptiser la musique par cette quête de la perfection avec les ingénieurs du son ! »

 

Vincent DUMESTRE : « Non, je ne partage pas ce point de vue ! Je pense que c’est un peu comme si l’on faisait le reproche à un musicien de travailler dans un lieu où l’acoustique est idéale. Si vous prenez le concert d’Hopkinson ce matin dans cette toute petite salle où nous étions de l’Abbaye d’Ambronay, c’est véritablement un lieu idéal, et ce même artiste jouera dans quelques semaines dans une grande salle de concert américaine devant plusieurs centaines de personnes ! Il me paraît évident que l’on ne va pas lui faire le reproche d’avoir joué dans ce premier lieu magique dont nous avons profité ! Tant mieux, et pour moi le disque c’est la même chose. »

 

LEXNEWS : « Quels sont les projets de votre ensemble ? »

 

Vincent DUMESTRE : Nous allons sortir à la fin de cette année les Leçons de Ténèbres de LALANDE chez ALPHA, un travail passionnant qui me permet de montrer les acquis de cet héritage du début du XVII° siècle sur une musique un peu plus tardive. Il y a encore dans la musique de de LALANDE toute la force de l’importance du texte et l’adéquation de la musique au texte. Plus le temps passe, plus je souhaite mettre en adéquation l’aspect musical avec les autres arts de l’époque. Je travaille depuis longtemps sur le théâtre baroque et sur la déclamation en collaboration avec Eugène Green et Benjamin Lazar. La gestuelle de la rhétorique, élément fondateur de tous les arts de cette époque me semble également essentielle. Nous essayons de retrouver cette énergie du geste avec ces artistes qui sont peu nombreux aujourd’hui ! J’aimerai à terme réunir les arts avec pour 2004 un projet du Bourgeois Gentilhomme. Pour nous ce sera le point culminant de notre travail, avec le théâtre, bien sûr, mais aussi la danse du 17° siècle qui n’a rien à voir avec la danse baroque. Cette danse du 17ième est plutôt une danse du mime, au sens du mime Marceau par exemple ou de la Commedia Dell’arte. J’ai le projet de faire travailler la danse mimétique aux chanteurs, ainsi que la rhétorique, la prononciation restituée,… »

 

LEXNEWS : « Cela ne doit pas être chose facile car la formation des musiciens n’inclut pas ces dimensions ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Tout à fait, et pour cela il faut arriver à intéresser des musiciens afin que le travail avec le Poème Harmonique ne soit pas seulement une collaboration qui dure le temps d’une production, puis on fait une audition et on recommence avec d’autres ! Il faut au contraire leur proposer un vrai travail sur le long terme. C’est évidemment difficile. »

 

LEXNEWS : « Les musiciens participent aujourd’hui à de nombreux ensembles, ce qui rend leur disponibilité plus réduite… »

 

Vincent DUMESTRE : « C’est en effet un donnée importante, il faut faire avec ou plus exactement sans, en proposant de beaux projets à long terme. Cela prend du temps, mais petit à petit les musiciens rallient cette approche. »

 

LEXNEWS : « Peut on dire d’une certaine manière que vous leur demandez d’adhérer à cette philosophie qui résumerait la mission du Poème Harmonique ? »

 

Vincent DUMESTRE : « Absolument, il est vrai que c’est une philosophie ainsi qu’une manière de travailler. Il s’agit de partager un chemin avec une vraie direction, sans s’en détourner, et en même temps, prendre en considération avec humilité les avis de chacun selon les sensibilités. Pour moi, la première qualité d’un musicien est sa capacité à s’émouvoir ! »

 

LEXNEWS : « Vous rejoignez Hopkinson SMITH qui nous indiquait lors de son interview que pour lui c’était la qualité fondamentale du musicien quelque soit son niveau ! »

 

Vincent DUMESTRE : « Oui, ce qui n’est pas toujours facile à atteindre ! Nous sommes dans le cadre d’un travail et nous avons souvent tendance à oublier ce plaisir d’écouter la musique et de s’émouvoir… »

 

LEXNEWS : « Vincent DUMESTRE, merci de nous rappeler ce bonheur originel qui devrait être au cœur de toute approche de la musique ! »

 

Les Interviews de LEXNEWS : Hopkinson SMITH, Ambronay, 21/09/02.

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LEXNEWS : « Quel est le parcours qui vous a mené aux instruments anciens ? »

 

Hopkinson SMITH : « Je pense qu’il ne faut pas voir l’évolution de mon parcours comme étant divisé en deux périodes distinctes. J’ai, en effet, reçu une formation classique, mais je pense que mon attrait pour d’autres instruments, en particulier anciens, relève plus d’une sensibilité esthétique que d’une évolution liée à la formation. Je pense, en fait, que plus qu’une formation classique, j’ai bénéficié d’un parcours ouvert, laissant des portes également ouvertes vers de très nombreuses directions. Cela correspondait probablement à une sensibilité personnelle et à un besoin intérieur.

 

LEXNEWS : « L’enseignement que vous avez reçu a-t-il favorisé cette approche ? »

 

Hopkinson SMITH : « La façon dont on m’a enseigné a été très importante pour les travaux que j’ai entrepris. La méthode qui implique, par exemple, de remonter aux sources originales et aux questions fondamentales a été très bénéfique pour mes recherches. Mais mon parcours musical relève plus d’une approche intuitive indissociable de ma personnalité. Vous savez, je n’aime pas beaucoup les labels que l’on appose, et je préfère de beaucoup la prise en compte d’une approche de l’être lui-même plus que des influences extérieures.

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de votre attirance pour la musique renaissance avec ce très bel « ATTAIGNANT » que vous venez de sortir chez NAIVE ? »

 

Hopkinson SMITH : « J’ai dédié la plupart de mon temps au luth baroque. C’était pour moi l’occasion de me lancer sur une voie tout à fait différente. J’avais été fasciné par les deux collections d’ATTAIGNANT pendant une vingtaine d’années. J’ai ainsi pressenti que ces œuvres pouvaient offrir beaucoup plus au luth que ce qui semblait à première lecture. C’est une musique qui est à la fois liée à la tradition populaire, mais également à la musique de Cour des années 20 du XVI° siècle. Cette musique, en France, se caractérise par un esprit tout à fait spécial : une harmonie intérieure, un bien être un peu nostalgique mêlé d’un lyrisme très français. Pour la musique de danse, il y avait de nombreuses possibilités à partir des tablatures d’ATTAIGNANT, et je dois avouer que c’est cette créativité qui m’a séduit dans ce répertoire.

 

LEXNEWS : « Cette image d’une musique à la fois légère, sans que cela soit péjoratif, et en même temps profonde, permet-elle d’exprimer ce que ressent ce siècle en profonde mutation ? »

 

Hopkinson SMITH : « Tout à fait ! Nous avons tout avec des pièces comme les Branles de Poitou et autres danses de ce recueil : des airs légers, mais aussi un certain lyrisme, voire même une mélancolie très profonde !

 

LEXNEWS : « Quelle est l’importance du mode de tablature pour cet aspect créatif  dans la restitution de ces œuvres ? »

 

Hopkinson SMITH : « Tout dépend de la musique dont nous parlons. Si nous prenons une musique de DOWLAND ou une Gaillarde compliquée de HOLBORNE, il y a peu de choses à apporter au texte. Mais avec ces œuvres publiées par ATTAIGNANT, il y a énormément de questions fondamentales posées par le texte même ! Ce sont sur ces questions que j’ai osé quelques tentatives avec ce nouveau disque !!!

 

LEXNEWS : «  Vous semblez tout autant à l’aise dans le répertoire de BACH que dans celui dont nous venons de parler, peut –on facilement passer de l’un à l’autre ? »

 

Hopkinson SMITH : «  C’est en effet très différent. Premièrement l’instrument lui-même est différent ! Nous avons avec ce luth, un autre accord, une autre technique. C’est bien sûr un autre monde de pensée musicale. Mais je pense que le luth offre cet avantage de pouvoir aborder un répertoire aussi large et varié sans pour autant que cela puisse être en opposition. Je dois même dire que ces musiques, par le moyen du luth, se complètent très bien. Cela me fait penser à un acteur qui jouerait un soir le rôle d’un paysan très gai, et qui, la semaine d’après jouerait le Roi Lear de SHAKESPEARE ! Au sein d’une même personne, différentes qualités vont ainsi être mises en œuvre.

 

LEXNEWS : « Est ce à dire que vous tenez un rôle différent à chaque fois ? »

 

Hopkinson SMITH : « Je pense qu’il y a des acteurs qui se tiennent à un seul type de rôle toute leur vie, il y en a d’autres qui aiment passer d’un caractère à l’autre. J’essaye de faire plutôt comme ces deniers ! Evidemment, pour revenir à votre question, cela ne se fait pas comme cela, cela demande une grande préparation au même titre que l’acteur avec ses rôles différents. C’est un très grand travail qui s’étale parfois sur des années comme pour l’enregistrement du BACH par exemple. Pour le disque d’ATTAIGNANT, mes racines du luth renaissance remontent à près de 30 ans ! Il y ainsi une certaine période de préparation, plus ou moins longue, qui est intrinsèque au projet.

Je fais un disque en moyenne tous les deux ans et cela me demande énormément de temps, à la fois sur le plan intellectuel, mais également sur l’instrument. »

 

LEXNEWS : « Si vous aviez un conseil à donner à des débutants qui souhaiteraient aborder le luth, le théorbe ou la guitare baroque, quel serait le premier ? »

 

Hopkinson SMITH : « Ayez toujours du plaisir à jouer. Très souvent lors du travail avec l’instrument et dans le cadre de l’enseignement, il est possible de rentrer dans une certaine rigidité et de s’enfermer dans des dogmes. Cela peut malheureusement rendre les chemins beaucoup plus sinueux avant d’arriver à une certaine satisfaction musicale ! Je pense qu’il ne faut jamais perdre de vue l’harmonie intérieure avec l’instrument et le parcours à mener avec lui. Cela n’empêche pas bien sûr des défis avec ce dernier, mais ils ne doivent jamais désunir le musicien de son instrument ! »

 

LEXNEWS : « Vous ne prônez pas bien sûr la virtuosité pure pour la virtuosité ! »

 

Hopkinson SMITH : « En effet, pour moi cela ne peut jamais être le but poursuivi ! Je dirai la même chose à un joueur de trombone, un violoniste ou à un pianiste.  Ce n’est pas toujours le cas malheureusement et COUPERIN rappelait que ce n’était pas ce qui le surprenait mais ce qui le touchait qui retenait son attention ! Il est toujours très important de rester en contact avec cette satisfaction intérieure.

 

LEXNEWS : « Nous vous voyons depuis plusieurs années en soliste alors même qu’auparavant vous participiez à des ensembles, pour quelle raison ? »

 

Hopkinson SMITH : « J’adore la musique de chambre, mais en fait il s’agit plutôt d’une question de priorités. J’ai besoin de tellement de temps pour réaliser mes idées sur l’instrument que très souvent cela ne me laisse plus d’autres latitudes ! C’est pour ces raisons, qu’en principe, je centre mes efforts sur la pratique des instruments en soliste. Il y a tellement de choses à découvrir !

Il n’est pas possible de réaliser un disque comme celui de BACH, ATTAIGNANT ou KAPSBERGER sans s’y consacrer pleinement. Et cela ne touche pas seulement la musique d’ensemble ! La famille, les élèves, les amis sont malheureusement également concernés !

C’est un choix personnel, je pense que c’est la seule façon de faire les choses le mieux possible.

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets ? »

 

Hopkinson SMITH : « Avec le disque ATTAIGNANT, j’ai entrepris un saut vers la renaissance, je vais continuer vers l’époque élisabéthaine. Je pense défricher cette période. Il y a une très grande variété d’instruments qui nécessitent une approche spécifique. Pour certaines musiques comme celle de WEISS ou de BACH, il est possible de retenir un même instrument. Pour la musique du XVII° siècle en France, comme en Allemagne, il y a un instrument général. Pour la musique italienne de la fin du XVI° siècle et anglaise fin XVI° et début du XVII° siècle, il y a également un instrument. J’ai un ami aux Etats-Unis, Van Lennep, qui a fait beaucoup d’instruments pour moi dont un nouveau luth 8 chœurs extraordinaire. Je cherche encore maintenant à exploiter toutes ses possibilités.

 

LEXNEWS : « Hopkinson SMITH, merci de votre accueil et nous donnerons les prochaines dates de vos concerts et parution de vos enregistrements très prochainement ! »

 

Les Interviews de LEXNEWS : William CHRISTIE, Paris, 13/09/02.

 

 ©Michel Szabo

 

LEXNEWS : « Comment avez vous perçu ce tournant de la redécouverte de la musique baroque avec votre ensemble, les Arts Florissants ? »

 

William CHRISTIE : « Cette redécouverte de la musique baroque est un phénomène mondial qui remonte à une quarantaine d’années. La France a retrouvé son patrimoine musical un peu plus tardivement, il y a une vingtaine d’années, et depuis ce temps, les progrès ont été très importants ! Ces répertoires anciens des XVII° et XVIII° siècles ont progressivement acquis une place de choix dans le milieu musical, ce qui a, d’une certaine manière, élargi le répertoire musical. Nos parents et grands-parents écoutaient essentiellement des musiques du XIX° et XX° siècles, maintenant les mélomanes peuvent apprécier plus de 5 siècles de musique ! »

 

LEXNEWS : « Quel a été, selon vous, le facteur déclenchant de ce tournant ? »

 

William CHRISTIE : « Malgré son importance, je pense que la musique qui était écoutée jusqu’alors ne parvenait plus à étonner. Imaginez un répertoire joué et rejoué sans cesse pendant plus de cent ans, cela peut conduire à une certaine perte de fraîcheur ! Il y a bien sûr eu une part de travail intellectuel des musicologues, des instrumentistes et des chanteurs dans la redécouverte de la musique baroque mais je pense sincèrement que cette musique sonne bien à nos oreilles parce qu’elle a proposé quelque chose de  nouveau. Le charme des instruments anciens va également dans ce sens : ces instruments sont moins entendus que les instruments modernes et offrent ainsi des découvertes auxquelles nous n’étions plus habitués. Autrement dit les mélomanes comme les musiciens se rendent compte qu’il y a autant de compositeurs et d’œuvres de génies avant Mozart qu’après Mozart ! »

 

LEXNEWS : « Pensez vous qu’une certaine démarche conduisant à rechercher les sources du répertoire XIX-XX° siècles a pu jouer dans cette redécouverte ? »

 

William CHRISTIE : « Oui, très certainement, cela fascine d’ailleurs certains dont je fais partie ! Mais, personnellement, ce n’est pas le moteur de mes actions, c’est la beauté intrinsèque des œuvres baroques qui retient tout mon attention.

Je pense que pour répondre à votre question sur ma formation personnelle, cela a été purement une question de goût. Il es t vrai que j’ai été formé très jeune, et à l’âge de 10 ans j’ai pu découvrir HAENDEL et le Messie, ainsi que la musique française du XVIII° siècle. Cela m’a permis de former très tôt mes préférences et j’avoue que j’ai beaucoup de mal à l’expliquer autrement ! Il n’est pas possible de tout aborder, tout au moins je pense, qu’à la différence de certains musiciens, il est difficile de jouer aussi bien BACH qu’ OFFENBACH ! J’ai eu la chance de pouvoir aborder beaucoup de musique contemporaine il y a une vingtaine d’années. Si cette musique fait intervenir un rapport entre différentes époques, il y a également des différences énormes qui justifient à mon avis une spécialisation. »

 

LEXNEWS : « Quelle définition souhaiteriez vous évoquer pour le mot baroque ? »

 

William CHRISTIE : « La définition la plus simple et, selon moi la plus cohérente, est la chronologie historique ! Un art baroque commence, sur le plan musical tout au moins, vers 1600 et s’arrête avec la mort des derniers grands compositeurs vers 1760. C’est donc un siècle et demi d’activité musicale qui s’est répandue dans toute l’Europe. Le style va considérablement changer à partir des années 1600 par rapport aux siècles précédents. L’écriture musicale va profondément changer avec la basse continue et l’évolution de certaines formes musicales. En effet, la sonate, la suite, le motet, l’oratorio, l’opéra, … vont être les ingrédients principaux de cette nouvelle musique baroque. »

 

LEXNEWS : « Vous allez diriger cet automne, pour la première fois, la Philharmonie de Berlin, peut on dire qu’un pont est lancé entre deux mondes trop souvent cloisonnés ? »

 

William CHRISTIE : « Oui, je crois qu’il y a une volonté de la part du nouveau directeur de vouloir effectivement approfondir des éléments du style et de l’interprétation d’une musique, ce qui n’est pas l’image traditionnelle d’une telle formation ! Il est curieux que cela se fasse en Allemagne et au sein d’orchestres qui jusque là étaient plutôt conservateurs ! Berlin, Leipzig et même Vienne,… Et pourtant, c’est là bas que l’on peut ressentir aujourd’hui une volonté de vouloir proposer d’autres styles. Ces orchestres se rajeunissent, et les instrumentistes aujourd’hui ont une volonté plus forte pour aller dans cette direction. »

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler du Jardin des Voix que vous débutez cet automne ? »

 

William CHRISTIE : « C’est un projet ambitieux, d’ordre pédagogique. Je n’enseigne plus au Conservatoire, faute de temps, et j’avoue que pouvoir vivre cette expérience dans le cadre d’un stage avec un groupe d’une dizaine de jeunes chanteurs est une formule idéale. Cela correspond à un besoin : ces jeunes chanteurs ne sont plus dans le cadre de la scolarité. Ils sont au début d’une carrière et veulent se spécialiser et approfondir leurs connaissances en musique ancienne. Nous travaillons ainsi deux points essentiels : celui de la formation et celui de l’insertion professionnelle. Dans le cadre de ce stage, un programme doit être préparé, afin d’être proposé aux plus grandes salles d'Europe. Je vais ainsi être le catalyseur de ces nouvelles énergies afin de leur donner tout ce qui est indispensable de savoir, l’aboutissement étant le concert. »

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir, pour le disque et les concerts ? »

 

William CHRISTIE : « Je dois vous avouer que je me sens trahi par ce qui vient de se passer. Je me sens victime d’une attitude très cavalière de la part de la société Time Warner. Cette société souhaitait de longue date avoir un contrôle absolu sur la musique Pop, la variété,… Avec une certaine arrogance, ces personnes ont souhaité pénétrer dans le milieu de la musique classique avec l’achat de maisons comme Teldec, Erato,… J’étais assez inquiet lorsque j’ai constaté que ces maisons d’éditions capitulaient. Effectivement, cette inquiétude était justifiée au regard de ce qui se passe aujourd’hui ! Pour le responsable de Time Warner, Monsieur Christie n’est intéressant qu’à la seule condition qu’il vende des disques ! C’est purement commercial… C’est évidemment quelque chose d’insupportable pour moi, j’ai toujours abordé mon parcours professionnel avec d’autres objectifs ! La finesse en matière culturelle n’est malheureusement pas la caractéristique ces responsables.

Quel bilan dresser ? Deux superbes maisons de disques, Teldec et Erato, n’existent plus ! Que va devenir le catalogue, personne ne le sait ! Toute activité est gelée jusqu’à prochaine nouvelle, bloquant ainsi tout le travail effectué. La société a soldé l’affaire avec la fin du contrat en contrepartie d’un dédommagement : je me retrouve ainsi avec quelques clopinettes ! Je dois vous avouer que ce n’est pas cela qui m’inquiète le plus. Comme je vous le disais, je n’ai jamais fait de la musique pour devenir riche ! Ce qui m’inquiète plus est que cela touche plus de 30 ans de travail, avec un parfait mépris ! Je ne sais pas ce que nous allons faire, des maisons d’édition s’intéressent bien sûr à nous mais il y a cinq ans de projets superbes qui en restent là… »

 

LEXNEWS : « Quelle pourrait être la place de plus petits labels dans cette situation ? »

 

William CHRISTIE : « J’ai toujours loué le courage des petits labels et des personnes qui créent encore aujourd’hui de petites sociétés pour éditer des disques. Mais que va-t-on faire pour les grands projets ? J’ai quitté Harmonia Mundi, à côté de points de désaccords personnels, essentiellement parce qu’ils ne pouvaient pas suivre les grands projets d’opéras ou d’oratorios, les projets qui réunissaient un grand plateau. Il y a très peu de maisons aujourd’hui capables de faire cela. Comment enregistrer un opéra ? Comment enregistrer un « Zoroastre » de RAMEAU ? »

 

LEXNEWS : « Cela va-t-il limiter le répertoire à enregistrer ? »

 

William CHRISTIE : « Cela risque en effet d’avoir des conséquences assez lourdes sur les choix. »

 

LEXNEWS : « Comment réagissez vous à cette situation ? »

 

William CHRISTIE : « Pour le moment, nous enregistrons. Je viens d’enregistrer un disque la semaine dernière mais je n’ai pas la moindre idée de qui va l’éditer ! Pour les projets déjà enregistrés, c’est également un grand mystère : Zoroastre, Théodora, sont prêts, mais à ce jour tout est gelé alors même que certains sont partis à la gravure ! »

 

LEXNEWS : « Vous avez participé à une série d’émissions pour la télévision sur la 5, pouvez vous nous dire ce que vous pensez du terme vulgarisation ? »

 

William CHRISTIE : «  Nous avons en effet fait quatre leçons de musique pour le grand public et je pense que cela a été apprécié. En fait, j’accepte une certaine définition de la vulgarisation. Si la démarche retenue est de rendre accessible ce que je fais, je suis pour. Si c’est à l’inverse pour diluer un travail, je ne suis plus d’accord ! Prenez l’exemple du Cross over, comme l’on dit dans le milieu du business, qui demande à un musicien X issu du classique de former une union avec un musicien Y du Pop, la plupart du temps cela donne des résultats épouvantables ! Et cela, je déteste. Vouloir rendre vulgaire mon art, non ! Au sens propre du mot, j’approuve ! » 

 

LEXNEWS : « William Christie, merci pour toutes ces informations, nous ne manquerons pas d’informer nos lecteurs du choix de la prochaine maison d’édition avec laquelle nous vous souhaitons de très belles réalisations pour le bonheur de tous et le respect de la culture ! »

 

Les Interviews de LEXNEWS : Hervé NIQUET, Sablé, 23/08/02.

 

 

 

LEXNEWS : « Hervé NIQUET, nous vous voyons régulièrement passer du clavecin à la direction, tout en ayant chanté pour les Arts Florissants, quelle est votre formation d’origine et quelle est l’origine du Concert Spirituel ? »

 

Hervé NIQUET : « J’ai reçu une formation de claveciniste, d’organiste, mais également de chant. La direction d’orchestre m’a permis de m’ouvrir à un répertoire de plus en plus vaste. C’est à partir de là que j’ai pu découvrir un patrimoine exceptionnel avec le Grand Motet français.

Le Concert Spirituel a une origine historique particulière : Anne Danican Philidor fut à l’origine de sa fondation en 1725. Cette création fut originale car elle se démarquait de ce qui existait alors. Cet ensemble se constitua, en effet, dans l’attention de se produire en public grâce à des concerts payants. Le Concert Spirituel chercha également à créer un nouvel espace entre l’opéra, la musique de cour et la musique sacrée.

Au moment où j’ai pris le nom du Concert Spirituel, j’ai mené des recherches historiques qui m’ont fait réaliser qu’il y avait là tout un répertoire attaché à cet illustre ensemble. C’était, à l’époque, un énorme orchestre et un énorme chœur en même temps. J’ai commencé à piocher dans ce répertoire et je me suis dis : pourquoi ne pas exploiter cette idée de faux répertoire sacré, à savoir des motets et des psaumes que l’on donnait autrefois en concert, avec chœur et orchestre ou des solistes. C’est cela qui m’a incité à creuser et exploiter les motets de GILLES, de CAMPRA, de RAMEAU, … Au terme de cinq années d’enregistrement de disques, nous avons acquis une certaine expérience. »

 

LEXNEWS : « Le nom « concert spirituel » vous a non seulement inspiré pour votre ensemble mais également pour le concept auquel il renvoyait »

 

Hervé NIQUET : « Absolument, je me suis rendu compte que cela nous avait donné une renommée à l’étranger. En effet, dés que l’on évoque le motet français, on fait référence au Concert Spirituel. En France, il y a très peu de personnes qui défendent cette forme en réalité. Je suis très fier de pouvoir revendiquer ce travail systématique que nous avons mené sur ce répertoire du Grand Motet français. Je pense que nous avons là un beau patrimoine ! »

 

LEXNEWS : « Comment réagissez vous dans la direction par rapport à votre expérience en tant qu’instrumentiste ? »

 

Hervé NIQUET : « La direction est très frustrante, pour moi tout au moins, c’est très clair ! »

 

LEXNEWS : « On vous voit chanter, vous impliquer dans cette direction »

 

Hervé NIQUET : « Oui, j’ai besoin de chanter parce que cela me fait du bien. Quand je peux me mettre au continuo, je le fais. Il y a tout de même une part de frustration dans le travail de direction. C’est vraiment intéressant au moment des répétitions quand on élabore et que l’on transforme une matière, mais au concert, nous sommes des catalyseurs pas toujours indispensables ! »

 

LEXNEWS : « Votre remarque est très intéressante, parce que ce n’est pas obligatoirement l’impression que peut en avoir le public lors du concert ! »

 

Hervé NIQUET : « Oui, mais après c’est du théâtre et du commerce, il ne faut pas l’oublier ! En tant qu’instrumentiste, je dois vous avouer qu’il y a d’autres joies ! Dans ce concert, je retrouve deux ou trois chanteurs avec qui je chantais il y a quinze ans à la Chapelle royale, et vraiment, j’ai très envie d’aller de l’autre côté et de chanter avec eux plus que de diriger. »

 

LEXNEWS : « Comment percevez vous le public lorsque vous jouez en concert ? »

 

Hervé NIQUET : « Cela me fait réagir systématiquement. Il ne faut surtout pas décrocher des personnes présentes dans la salle, cela on le ressent dés que l’on entre sur le plateau. Nous connaissons très souvent le contexte : le lieu, le public que l’on va avoir. A partir du moment où nous avons nous même besoin de ce public, nous ressentons bien la manière dont il réagit et à quel moment il décroche… »

 

LEXNEWS : « C’est quelque chose que vous percevez tout de suite ? »

 

Hervé NIQUET : « Oui, et il est clair que cela a une influence sur de nombreuses choses. »

 

LEXNEWS : « Cela peut il jouer sur votre interprétation ? »

 

Hervé NIQUET : « Oui, cela influence le son, la rapidité, il faut accrocher ce public. C’est tout l’art de la rhétorique ! Un chef peut très bien ne pas s’occuper de ces choses là, mais ce n’est pas mon choix. La musique que nous jouons est déjà rhétorique : elle est très bien construite et nous nous servons de ses artifices techniques, c’est à dire un mode d’emploi en quelque sorte. Puis, une fois que l’on a utilisé cela à travers la musique, nous sommes face au public et il faut le faire passer. Il y a également d’autres outils que la rhétorique : le son peut servir à remettre l’auditeur sur les rails. S’il y a une faiblesse, il est possible d’aiguiser son attention par un léger piano,… Il est clair que cette persuasion peut être efficace, et dans ce cas, nous mettons la musicologie de côté ! »

 

LEXNEWS : « Cette approche conduira obligatoirement à une différence entre un enregistrement en direct et en studio ? »

 

Hervé NIQUET : « Absolument, cela n’a rien à voir. Je déteste le disque !!! Je suis malade avant, pendant et après ! Je ne fais jamais de live, parce que le disque est autre chose. Je souhaite préparer le son et la pierre que l’on est entrain de tailler. C’est un produit mort. »

 

LEXNEWS : « De nombreux chefs que nous avons interrogés, nous ont exprimé leur préférence pour le live, en critiquant l’approche du studio »

 

Hervé NIQUET : « Je ne dirai pas pour autant que le studio est à condamner ! Je pense que c’est un endroit où l’on travaille de manière incroyable. Nous pouvons faire des progrès de minute en minute. C’est une façon de se réévaluer et de pousser les musiciens au maximum. C’est très fédérateur, mais il est clair que c’est un autre produit que le concert. Sociologiquement, cela m’intéresse beaucoup, même si j’en suis malade !!! »

 

LEXNEWS : « Vous allez vous attaquer aux célèbres Fireworks et Watermusic de HAENDEL, quelles sont les difficultés pour rejouer un tel répertoire ? »

 

Hervé NIQUET : « Il y a, en premier lieu, une difficulté financière et également une difficulté logistique. HAENDEL a, en effet, été très clair en indiquant le nombre exact de musicien qu’il souhaitait pour cette œuvre : à savoir 9 cors, 9 trompettes, 24 hautbois, 15 bassons, 3 postes de percussions, plus les cordes ! Cela fait une centaine de musiciens, vous pouvez imaginer le coût d’une telle représentation ! A 600 francs la minute de répétition, avec 6 heures sur 15 jours de répétitions, vous imaginez les difficultés matérielles… C’est évidemment très cher. Il faut également trouver les musiciens pour une telle œuvre : cela fait 4 ans que je suis sur ce projet ! Vous connaissez comme moi le problème du baroque aujourd’hui : les musiciens jouent partout, en Amérique du Nord, comme en Europe. Nous n’avons plus le temps de répéter, et nous avons des instruments qui sont de plus en plus fiables, mais de moins en moins en baroques, notamment concernant les hautbois et les bassons. Nous avons marqué une pause dans la préparation de ce projet et nous avons réfléchi. Cela nous a conduit à faire fabriquer tout la bande des hautbois et bassons à partir de modèles historiques, nous avons retaillé des anches,… Ainsi, nous avons engagé des personnes qui ont accepté de bien vouloir se remettre en question. Ils devaient, en effet, accepter de réapprendre au beau milieu de leur carrière un nouvel instrument et ainsi se mettre en danger d’une certaine manière. Nous avons réunis tout le monde 6 mois avant, tous les bois et hautbois, les cors et trompettes, en janvier. Cela a été un véritable choc ! Nous étions comme au rayon des tronçonneuses dans un supermarché !!! Le résultat est, en effet, incroyablement sonore, extrêmement volubile, très coloré et, au final, somptueux. »

 

LEXNEWS : « Vous retrouvez là une sonorité plus proche des origines, sans pour autant avoir des certitudes absolues ? »

 

Hervé NIQUET : « Bien sûr, je n’ai pas de certitude, mais je pense que nous nous rapprochons de ce qui était à l ‘époque. Je cherche la solution à mes questions par les instruments. Nous avons engagé également des personnes qui avaient fait des recherches sur les trompettes naturelles et les cors. Nous avons dévalisé l’Europe pour obtenir ce résultat ! Nous avons répété la semaine dernière, et je dois avouer que cela a été la fête pendant 4 jours ! Je n’ai jamais eu un orchestre aussi tendu, aussi discipliné. C’est vraiment un événement, et cela remet beaucoup de pendules à l’heure. C’était notre but, et je pense que nous allons essaimer beaucoup de choses en Europe à partir de cette expérience. Beaucoup de monde s’est remis en question avec cet événement. Le fait que nous répétions de moins en moins, que nous ayons de moins en moins de temps, conduit à standardiser, les phrasés n’existent plus,… C’est tout cela qui est inversé avec cette dernière expérience. »

 

LEXNEWS : « Est il plus difficile d’interpréter ce répertoire à l’intérieur alors qu’il a été conçu à l’origine pour l’extérieur ? »

 

Hervé NIQUET : « Non, la seule différence est de parvenir à focaliser l’intérêt et le son lorsqu’on est à l’intérieur. Nous donnerons, à deux reprises, ce programme à l’extérieur, mais je pense que cela sera réussit ! »

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous indiquer vos projets pour cette fin d’année ? »

 

Hervé NIQUET : « Nous allons sortir en décembre un très beau disque d’un de mes compositeurs préférés de BOISMORTIER, « Daphnis et Chloé ». Nous allons jouer toute la série des Fireworks et Watermusic dans la deuxième quinzaine de septembre, le disque sortira l’année d’après. Je vais diriger le « Médée » de CHARPENTIER à Toronto. Je créé également mon nouvel orchestre baroque au Canada qui va s’appeler « La Nouvelle Symphonie » avec deux productions par an. C’est un orchestre composé de 45 musiciens américains pour le répertoire français. »

 

LEXNEWS : « Hervé NIQUET, merci, et à très bientôt. »

 

Les Interviews de LEXNEWS : Denis RAISIN-DADRE 31/08/02 Dieppe. 

photographie : Guy Vivien

 

LEXNEWS a rencontré, pour ses lecteurs, Denis RAISIN-DADRE, le chef de l’ensemble renaissance Doulce-Mémoire. Notre revue a été impressionnée par la modestie, et en même temps, la richesse des réponses de Denis RAISIN-DADRE à nos questions. Une interview à lire et à relire afin de prendre un peu de recul par rapport à notre vie trépidante... Il existe des trésors de sérénité dans notre patrimoine musical, suivons le meilleur guide dans ce parcours !

 

 

LEXNEWS : “ D’où provient votre attrait pour la musique renaissance ?”

 

Denis RAISIN-DADRE : « Ce goût vient, en premier lieu, de l’instrument que je pratique. Les personnes qui pratiquent la flûte à bec interprètent très souvent un répertoire des XVII° et XVIII° siècles, c’est le cas de la majorité des flûtistes à bec. J’ai eu par contre la grande chance de travailler avec Gabriel Garrido à Genève, qui m’avait incité à entreprendre le répertoire renaissance. Il faut savoir qu’à cette époque, ce répertoire était moins prisé. Il y a également un second facteur qui explique ce choix : mon intérêt pour les arts et l’histoire de la renaissance. Je me suis très vite intéressé à la littérature, la peinture,… de cette période, et j’ai constaté avec surprise le vide dans les bacs des disquaires quant à la musique de cette même renaissance ! Ce décalage entre les grands génies de la renaissance connus de tous par les musées et les expositions et cette lacune du patrimoine musical m’a conduit dans cette direction. Evidemment, cette musique m’a tout de suite passionné : j’avais un continent à découvrir ! »

 

 

LEXNEWS : « Avez vous pratiqué très tôt cette musique renaissance ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Non, c’est en fait après l’âge de 20 ans que je me suis dirigé vers ce répertoire. Toutes les personnes de ma génération qui font de la musique ancienne se sont formées un peu de manière empirique ! Il n’y avait pas, comme maintenant, de CNSM. Il y avait très peu de classes de flûtes à bec en France, il fallait alors partir à l’étranger. J’ai surtout pratiqué la musique baroque, comme tous mes collègues. J’ai joué du BACH, du VIVALDI et du TELEMANN comme tout le monde !!! ce qui n’est pas une mauvaise école. J’ai également travaillé le XVIIème italien. C’est donc dans un second temps que j’ai abordé ce répertoire renaissance, ce qui n’était pas évident ! Il fallait, en effet, trouver les clés pour l’interpréter, les partitions, … »

 

 

LEXNEWS : « Vous ne souhaitez pas faire trop d’incartades dans d’autres domaines comme le baroque par exemple, pour quelles raisons ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Non, en effet. Pour moi, les raisons sont simples : je trouve très difficile de bien faire de la musique de 1480 à 1600 ! Il y a une telle évolution dans les styles, que pour moi c’est déjà bien assez vaste. Si l’on veut faire les choses sérieusement, ce qui est le cas avec Doulce Mémoire, il y a largement de quoi s’occuper. Ces périodes connaissent des évolutions extraordinaires des instruments et des diapasons. Nous ne réalisons pas de la même façon la musique de 1480 et celle de la fin du XVIème avec Claude LE JEUNE ou DU CAURROY. En 120 ans, c’est très différent : n’oublions pas que c’est à  peu près la même échelle qui sépare un SCHUBERT d’un SCHONBERG !!! On oublie trop souvent cela, en rangeant cinq siècles de musique ancienne sous le même vocable. Tout le monde peut comprendre qu’un pianiste ne fasse pas du SCHUBERT comme du STRAVINSKY. Par contre, lorsque nous prévenons que nous n’allons pas faire de la même façon de la frotolle de la fin du XV° siècle ( Ndlr : composition polyphonique vocale de forme strophique simple avec un refrain) et de la musique mesurée à l’antique de Claude LE JEUNE, c’est moins bien compris !

Nous essayons de nous rapprocher au plus près des styles et de faire un gros travail. C’est, pour nous, une question d’honnête intellectuelle. Si je devais mettre les pieds dans la musique de 1650, ce serait un tout autre monde… La basse continue est apparue, les instruments ne sont pas les mêmes, les diapasons ne sont pas les mêmes et l’attitude physique elle-même est différente. En fait, la philosophie de cette musique sera différente.

Quand vous commencez à mettre les pieds dans cette musique sublime du XVI° siècle, vous réalisez que c’est une musique extraordinaire qui est sans concession ! La musique sacrée est tellement profonde, qu’après cela, vous ne pouvez plus aborder d’autres répertoires. Je ne peux plus, en effet, mettre les pieds dans certaines musiques qui me semblent d’une telle frivolité que je n’ai plus rien à dire les concernant ! »

 

 

LEXNEWS : « Cela affecte directement votre oreille et votre perception ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Tout à fait, l’oreille devient très exigeante. Si j’avais à me déplacer dans d’autres domaines, j’irai peut être voir du côté de MONTEVERDI, qui est tout de même une personne de la renaissance, qui a écrit également avant l’apparition de la basse continue. Il y a «deux » MONTEVERDI : celui de la Prima Pratica et celui de la Seconda Pratica. Je pourrai peut être m’aventurer dans cette direction pour Doulce Mémoire. J’accepterai également l’Air de Cour  français car c’est un répertoire qui me parle et qui est également lié à la renaissance, mais je ne vois absolument pas faire des grands motets français !!!

Il y a d’autres ensembles qui le font bien. J’ai un respect pour un certain nombre de mes collègues et je me vois mal apporter quelque chose de plus qu’eux ! Et j’ai tellement de choses à dire dans mon répertoire…

De plus, je ne suis pas mégalomane : je n’ai pas besoin d’avoir un chœur et orchestre de 200 personnes pour avoir le sentiment d’exister !!! »

 

 

LEXNEWS : « Le terme baroque est souvent utilisé à tort et à travers, qui plus est, lorsqu’il englobe la musique renaissance ! Pouvez vous nous dire ce qui pour vous marque la différence essentielle entre ces deux domaines ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Pour moi, la meilleure introduction, afin de distinguer ces deux univers, serait d’aller regarder des peintures renaissances et des peintures baroques ! Le choc est radical…

A l’origine de la renaissance, la musique est enseignée avec les mathématiques. La musique est alors l’art du nombre. Elle n’a donc pas, pour les esprits du début de la renaissance, la fonction d’exprimer les passions humaines. C’est quelque chose qui est très troublant pour l’homme moderne. Ce concept d’ « émotion » est omniprésent dans notre culture moderne, et la musique doit être au service des émotions. On vend la musique avec cet argument ! Pour l’homme de la renaissance, c’est une injure absolue. La musique n’est absolument pas au service de l’homme, cela aurait été très choquant d’affirmer cela à cette époque. La musique se suffisait à elle-même et devait répondre à l’harmonie du cosmos. La musique était le reflet de la perfection, l’ars perfecta. Cette notion d’ars perfecta renvoie à l’idée selon laquelle l’art doit refléter la musique de l’univers, qui est une musique parfaite et harmonieuse. La recherche des hommes de cette époque est de parvenir à refléter cette harmonie de l’univers. C’est la caractéristique de toute la musique sacrée de la renaissance.

C’est, à mon avis, une différence extraordinaire avec la musique baroque, car cette dernière est au service des passions humaines. Pour l’homme de la renaissance, c’est une véritable dégradation de penser ainsi !

Dans les concerts de musique sacrée que nous réalisons, nous voyons bien que notre public est étonné, très attentif et extrêmement silencieux. Il a le sentiment d’assister à une cérémonie qui exprime une sorte de perfection absolue de la beauté de cette musique. C’est une musique très extatique ! »

 

 

LEXNEWS : « sans déchaînement des passions ! »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Non, en effet, il n’y a que la contemplation de la perfection, et ce dans un calme extraordinaire. A la différence, la musique baroque cherche à déstabiliser l’auditeur. Je pense que c’est même le fondement de cette musique : elle déstabilise afin de provoquer des émotions et de faire prendre conscience qu’il n’y a pas un centre dans le monde, mais plusieurs centres. On retrouve cela dans l’architecture et la peinture usant de différentes techniques comme les lignes de fuite par exemple. Si un auditeur écoute une bonne interprétation de musique baroque, il subira une succession de douche écossaise ! Il aura envie de rire, puis de pleurer… La musique religieuse renaissance cherchera à l’inverse à mettre ce même auditeur dans l’état de la mediocritas, c’est à dire un état de la contemplation et de l’apaisement. Il assiste à quelque chose qui le dépasse et le sublime. »

 

 

LEXNEWS : « N’est-il pas étonnant que ce répertoire renaissance n’ait pas été plus médiatisé à une époque où notre société trépidante aspire, par tous les moyens, à instaurer et à vendre le calme et le bien-être ?

 

Denis RAISIN-DADRE : « En effet, je pense que l’on a beaucoup insisté sur la musique baroque ces dernières années, mais je constate qu’une grande partie du public est de plus en plus sensible à cette quiétude. Il y a cette perfection et ce sentiment de sortir d’un concert dans un état d’âme plus sereine ! C’est, en quelque sorte, une forme de thérapie !!! Nous leur donnons cette quiétude et l’équilibre. Ce que recherche l’architecture renaissance c’est l’équilibre. L’obsession de la renaissance était de retrouver le nombre parfait, le nombre d’or. Le baroque a cherché l’inverse avec le déséquilibre. Il y a, en effet, un public qui vient aux concerts de musique renaissance et qui tombe sous le choc ! Nous venons de faire récemment des Leçons de Ténèbres pour lesquelles il y a eut un silence après le concert qui fut très impressionnant. C’était ce sentiment d’avoir retrouvé pendant quelques instants une quiétude et un équilibre si difficile à trouver dans notre monde ! »

 

 

LEXNEWS : « Quelle est la place de l’improvisation dans le répertoire instrumental de la renaissance ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Le répertoire instrumental de la renaissance, en dehors de la musique sacrée, connaissait, en effet, une grande tradition d’improvisation. Très peu de choses étaient notées : tout le répertoire de danse du XVème siècle n’est pas écrit !

 Il y a ensuite une grande part d’improvisation pour les instrumentistes d’ornementation. Ils ne jouaient pas en fait ce qui était écrit ! Cette écriture représentait un schéma, un peu à l’image du jazz aujourd’hui. Il est vrai que si vous jouez certains répertoires, comme la musique de danse ou la musique populaire, en faisant ce qui est écrit vous apportez l’ennui le plus total à votre public !

Nous avons heureusement beaucoup de traités qui nous aident dans cette démarche. Mais cela ne doit pas se substituer au corps de l’artiste qui doit incarner cette musique. Cet attitude du musicien ne peut résulter en effet des seuls traités ! Il faut des musiciens d’aujourd’hui, qui soient bien dans leur corps, qui s’amusent,… C’est très important : nous ne pouvons pas avoir que des chercheurs ! »

 

 

LEXNEWS : « Il faut une synthèse entre cette recherche académique et cette vie de la musique ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Oui, c’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur pour Doulce Mémoire. Je pense que notre ensemble est un exemple typique de cette confluence entre une démarche musicologique intellectuelle et une démarche sensuelle. Cela répartit notre travail, à la fois dans les bibliothèques et sur la scène. Cette scène est très importante : je souhaite travailler avec des gens jeunes et motivés, qui sont prêts à faire toute sorte de folies, qui  aboutissent à un spectacle. »

 

 

LEXNEWS : « Retrouve-t-on ainsi une caractéristique de ce qui se pratiquait autrefois, à l’époque où ces musiques ont été créées ? »

 

Denis RAISIN-DADRE :   « Je pense que l’une des caractéristiques de la renaissance, c’est d’arriver à faire une synthèse entre le grave et le plaisant. Nous retrouvons d’ailleurs souvent cette idée dans les préfaces, et dont les auteurs italiens parlent beaucoup. C’est une synthèse chez des personnes qui étaient à la fois de très grands intellectuels, comme RABELAIS par exemple, et en même temps des individus capables de grandes extravagances ! Nous avons moins cela aujourd’hui : nous rencontrons soit des universitaires, volontiers dogmatiques, soit des personnes qui ne font que des spectacles de comiques !  Il n’était pourtant pas choquant à la renaissance d’avoir un moine comme RABELAIS qui écrit les choses les plus sérieuses dans ses correspondances avec ERASME, et en même temps s’amuse avec des plaisanteries de collégiens !

 

 

LEXNEWS : « Est ce un trait qui est à rapprocher du terme même « renaissance » que les modernes ont créé ? »

 

Denis RAISIN-DADRE :  « J’ai le sentiment qu’il y a toujours des renaissances, même dans les temps qui précèdent la renaissance. Mais la renaissance qui m’intéresse, celle du XV° siècle, est une expérience extraordinaire en raison de son dynamisme fou et son optimisme. Le frère de Laurent le Magnifique avait pour devise : « le temps revient ». Ils ont vraiment cru à un âge d’or. Je trouve que cette soif de vivre et de créer trouve sa meilleure traduction dans cette avalanche de génies qui est très impressionnante ! La renaissance est une période très créative qui n’a peur de rien. Cela se terminera avec la seconde renaissance au moment de la guerre des religions, avec le retour d’un pessimisme. L’optimisme de la première période trouve sa traduction, quant à elle, dans tous les domaines : l’économie avec le développement du commerce, les échanges, les voyages,… Cette période, ainsi que celle du début du pessimisme, font l’objet de mes recherches. Il est vrai que lorsqu’il y a plus de désespoir, les musiques peuvent parfois être plus belles !

Ces périodes offrent d’immenses créateurs : Claude LE JEUNE, Roland de LASSUS,… Des personnes comme MORALES qui sont moins connues sont également passionnantes. Nous avons là de la très grande musique, même si ces œuvres sont méconnues. N’oublions pas qu’au XIX° siècle on se moquait de VIVALDI ! Et même plus récemment ! Lorsque Christie a débuté en 1980 son travail sur LULLY, mes professeurs ricanaient. De nombreuses personnes se demandaient ce qu’il y avait à chercher dans ce répertoire que l’on qualifiait négativement. Cela provient du fait qu’il y a un très grand décalage entre lire une musique et l’interpréter. »

 

 

LEXNEWS : « Le spectacle que vous donnez ce soir « derniers jours de fête » associe théâtralité et musique de la renaissance. Est ce un retour historique aux sources de l’époque ou une interprétation plus libre ? »

 

Denis RAISIN-DADRE :   « Il y a deux choses : tout d’abord, un retour historique, et d’autre part, une grande signature de l’Ensemble. La signature de Doulce Mémoire est de passer du répertoire sacré le plus sérieux au répertoire profane le plus débridé ! L’autre grande caractéristique est que nous réalisons des spectacles. Nous formons un ensemble avec un metteur en scène associé, et nous ne réalisons pas que des concerts. C’est cela qui fait notre réputation aujourd’hui. Nous produisons de réels spectacles avec des costumes, une scène et des acteurs !

Le spectacle de ce soir est le quatrième que nous ayons réalisé. Le thème nous ramène à une période importante qui est l ‘époque des académies en Italie, qui déferleront par la suite en France. Ces académies traitaient des sujets les plus sérieux et réunissaient l’élite intellectuel du moment, des magistrats, des personnes de l’Eglise, des médecins,… Ces notables se rassemblaient afin de débattre des sujets les plus sérieux et en même temps passaient des soirées où l’on s’amusait. En fait, notre spectacle est parti d’un livre que j’ai découvert à Bologne qui décrit ces soirées. Lors de ces soirées, de véritables jeux de rôles étaient organisés ! C’était assez loufoque : le principe était simple. Il fallait élire un prince qui dirigeait les jeux et en proposait les thèmes. Ces jeux allaient de la simple imitation de personnes à des jeux plus complexes ! Le jeu de l’épitaphe consistait à prononcer l ‘éloge funèbre d’une personne encore vivante ! Tout cela était une manière très subtile de faire passer des messages et parallèlement de montrer sa propre culture. C’était, en fait, un moyen de mettre en œuvre le savoir des gens.

Ces jeux ont eut beaucoup de succès et ont été mis en musique. Nous avons ainsi dans les partitions des références expresses aux livres des jeux. Les surnoms que l’on trouve dans les livres se retrouvent également dans les musiques. Nous avons donc réalisé un montage à partir de ces livres et de ces partitions.

Ces jeux offrent plusieurs niveaux de lecture différents. Ils ont été réalisés à un moment important : celui du siège de Sienne par les Florentins. Ils ont ainsi joué afin de défendre leur culture. Nous avons décidé de décaler le spectacle au XIX° siècle ! L’autre profondeur de ce spectacle est de montrer que le XIX° siècle redécouvre la renaissance en 1830 avec le Prince de la Moskova par exemple. C’est une société qui s’amuse avant de disparaître définitivement, d’où le titre : « derniers jours de fête ». Derrière cet amusement, se cache une mélancolie profonde qui regrette déjà une période qui va s’achever. Ce spectacle a donc cette complexité qui offre une lecture à différents niveaux.

Pour répondre directement à votre question, nous sommes à la jonction entre la recherche historique et notre propre identité à laquelle nous tenons beaucoup. Nous recherchons le drôle et le grave, le spectacle et la création, sans oublier la recherche. J’ai toujours été très intéressé par la recherche pratique avec Doulce Mémoire, ce qui n’est pas le cas de la musicologie qui fait peut avancer la pratique, surtout en France !

Par ailleurs, nous sommes très intéressés par la création. J’ai très souvent le sentiment de réaliser de la musique contemporaine et non pas de la musique ancienne ! Je fais de la musique avec des gens d’aujourd’hui, qui ont des corps d’aujourd’hui et des soucis actuels ! Nous sommes avec l’Ensemble en plein cœur de ce monde : le TGV, les concerts,… Nous sommes totalement dans la modernité : c’est pour cela que cette création est essentielle. Vous évoquiez le problème de la musique baroque toute à l’heure, je pense que nous sommes entrain de vivre une renaissance aujourd’hui ! L’Internet et les nouvelles technologies, toutes les questions que nous nous posons aujourd’hui trouvent des résonances très fortes avec la période de la renaissance. Pour moi Gutenberg et l’Internet, c’est la même renaissance ! Je pense que nous nous dirigeons vers des bouleversements très forts dans les années qui viennent. »

 

 

LEXNEWS : « Dans l’échange de l’information et des cultures ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Complètement ! Je vois là, en effet, une résonance avec la renaissance et également, je l’espère, avec un optimisme. Même si ce n’est pas encore le cas à l’heure actuelle, la modernité peut déboucher sur une espérance plus forte. C’est exactement ce qu’ont vécu les personnes du XVI° siècle et qui a provoqué une création extraordinaire. J’en ressens les prémisses aujourd’hui, peut être plus dans les pays asiatiques qu’en Europe. J’ai noté dans ces régions une créativité extraordinaire. C’est la direction que nous voulons prendre avec Doulce Mémoire, pour ne pas faire de la spéléologie musicale ! Nous n’avons pas comme prétention de donner dans l’exhumation ! »

 

 

LEXNEWS : « A propos de technologies, entre le studio et le live, vers où vont vos préférences pour l’enregistrement de vos disques ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Pour certains répertoires, je pense que le direct est préférable. Le profane déluré est mieux enregistrer en direct, car même si l’on perd en perfection, on va gagner en spontanéité ! D’autres projets méritent d’y revenir et d’être retravaillés. Il me semble que le disque et le concert sont deux choses à part et il ne faut pas chercher à les comparer. Il y a souvent une souffrance chez les musiciens car, avec le disque, nous allons le plus loin possible et, souvent, nous perdons en spontanéité. Il est probable que d’autres technologies comme le DVD par exemple apporteront des solutions. »

 

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

Denis RAISIN-DADRE : « Nous allons suivre la ligne déjà tracée pour Doulce Mémoire, à savoir des projets théâtraux. Nous allons travailler sur le style des Lamentations, et de nombreuses autres pistes à fouiller. Nous allons être très présents au Festival des cathédrales en Picardie. Nous avons également un projet sur Léonard de VINCI pour l’exposition du Louvre en 2003. Nous allons enfin élaborer un spectacle faisant intervenir la danse au XVIème siècle. Nous allons collaborer sur des projets avec des Taiwanais, toujours dans un but d’ouverture ! Je pense que mes directions de recherche vont aller vers la recherche de partitions inconnues dans les bibliothèques. Il y a des continents encore à découvrir ! 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Pierre CAO, le 22/07/02 Paris. 

 

Photo : Thierry MATGINOT 

 

LEXNEWS s’associe à la nouvelle édition des Rencontres de Vézelay qui sont devenues ces dernières années une halte incontournable sur la route des festivals de l’été. Et ce d’autant plus que son directeur artistique, Pierre CAO, est une figure bien connue du monde de la musique classique et baroque. Une interview chaleureuse qui donnera, à n’en pas douter, l’envie à nos lecteurs, de faire un petit tour à Vézelay en cette fin du mois d’août !

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous retracer votre parcours musical ? » 

Pierre CAO : J’ai une formation de chef d’orchestre. J’ai occupé pendant de nombreuses années la fonction de chef d’orchestre à Radio Luxembourg. Cela fait 46 ans que je dirige également des chorales. Je peux donc dire que je possède une certaine expérience dans ces deux domaines. J’ai d’ailleurs toujours enseigné dans ces deux domaines, actuellement encore puisque j’interviens dans la nouvelle école supérieure de Catalogne qui vient d’ouvrir à Barcelone. 

LEXNEWS : « Vous êtes vous très tôt spécialisé dans la musique baroque ? »

Pierre CAO : En fait, je n’ai jamais cherché à me spécialiser dans un quelconque domaine. Ma génération n’a rien à voir avec la génération actuelle en musique baroque ! C’est à partir de 40 ans que j’ai commencé à changer, à travailler avec des instruments anciens et sur des répertoires baroques. Mais encore aujourd’hui, je ne prétends pas à l’exclusivité ! Toute musique est en fait susceptible d’attirer mon attention, même si, aujourd’hui, je réalise beaucoup de musique baroque. 

LEXNEWS : « Qu’est ce qui dirige vos choix dans ce répertoire si varié qui part de la musique ancienne jusqu’au répertoire contemporain ? » 

Pierre CAO : Il est vrai qu’à Vézelay, par exemple, je vais diriger les Vêpres de Sainte Marie Madeleine qui est une création contemporaine pour ces rencontres. Cette diversité de répertoire répond à un critère très personnel et subjectif : me sentir à l’aise avec la musique abordée ! D’ailleurs je ne fais jamais de musique baroque française, parce que c’est un répertoire qui ne me parle pas autant que le répertoire allemand pour lequel la langue m’est familière. C’est cette idée qui nous guide pour le Pôle d’art vocal de Bourgogne ARSYS et pour les rencontres de Vézelay. Nous ne cherchons pas une spécialisation à tout prix. La programmation des Rencontres de Vézelay de cette année en est l’illustration : nous partons du Moyen-âge jusqu’au contemporain !

Cela est peut être du à ma génération, à l’époque de notre formation cette tendance à la spécialisation était plutôt rare. 

LEXNEWS : « Cette diversité est elle un atout pour l’interprétation de ce répertoire de musique ancienne ? » 

Pierre CAO : Il m’est très difficile de répondre à cette question, car je n’ai pas le recul nécessaire pour en juger. Il est clair que la pratique répétée d’un répertoire plus tardif va obligatoirement donner une technique indispensable pour exécuter du Mahler par exemple. C’est très certainement un avantage pour aborder un répertoire plus ancien. Mais je ne sais pas véritablement ce que j’apporte. Je pense que ce sont plutôt les musiciens et les chanteurs qui peuvent plus facilement s’en rendre compte. 

LEXNEWS : « Le pôle d’art vocal de Bourgogne, ARSYS, a été crée en 1999, quelle est l’origine de cette création et quelles sont ses caractéristiques ? » 

Pierre CAO : Ce pôle est né d’un vœu émis par la Région de Bourgogne qui souhaitait créer un ensemble professionnel. La DRAC de Bourgogne m’a contacté pour savoir si j’étais intéressé par ce projet. J’ai tout de suite pensé que c’était une idée séduisante. Le Département de l’Yonne, avec la Région et le Ministère, sont au chœur de cette réalisation. Le pôle est en fait une structure juridique dans laquelle il y a un ensemble vocal professionnel qui se nomme ARSYS Bourgogne, il y a également les Rencontres Musicales de Vézelay, et il y aura par la suite des Master-Classes, des formations à haut niveau.

Cette exigence de qualité est le point de départ de cette aventure. Nous nous étions fixés comme objectif d’y parvenir en deux ou trois années pour pouvoir décider d’aller plus loin. Je pense que ce premier objectif est atteint. Notre ensemble arrive à un niveau de maturité intéressant. 

LEXNEWS : « Quelle est la flamme qui anime cet ensemble ? » 

Pierre CAO : Tout d’abord, en collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, nous avons entrepris de redécouvrir le répertoire de musique baroque bourguignon, afin de mettre à jour un patrimoine musical exceptionnel. Un bel exemple est venu avec la réalisation des Vêpres de Menault qui a donné lieu à un enregistrement chez K617 ainsi qu’à de nombreux concerts. D’autres projets autour de ce patrimoine vont également être menés dans les prochaines années. Ce travail se décompose en plusieurs étapes : la recherche des documents, la restitution du matériel, l’édition de ce matériel réalisé par les Editions du CMBV . Je m’intéresse à toutes les étapes de ce projet mais je délègue la direction à des chefs que nous invitons puisqu’il s’agit de musique française. Pour Menault par exemple, nous avons fait appel à Jean Tubéry. J’espère que nous allons également faire un autre projet avec Hervé Niquet, ainsi que d’autres chefs.

Parallèlement, nous avons souhaité ouvrir la porte à des créations contemporaines, la commande des Vêpres de Sainte Marie Madeleine ,que j’évoquais tout à l’heure, en est une illustration. 

LEXNEWS : « Vézelay est le pôle de ralliement de votre centre ainsi que le lieu de rencontre dont la réputation ne cesse de grandir, pour quelles raisons avoir retenu ce site, et pouvez vous nous présenter le programme de cet été ? » 

Pierre CAO : Le choix de lieu a résulté du hasard. Avec le Président Patrick Bacot, nous avons découvert ce lieu et nous en sommes tombés amoureux. La Région a acheté un bâtiment à quelques mètres de la Basilique, dans lequel nous avons nos bureaux depuis un an déjà. Ce fut un coup de foudre. Afin de respecter le lieu, nous avons décidé que le répertoire serait exclusivement sacré et vocal. Il n’y aura pas d’opéras, ni de symphonies. Nous retenons bien sur des thématiques : cette année est consacrée aux vêpres. Ce thème, contrairement aux apparences, offre une diversité exceptionnelle. Des premiers concerts consacrés au grégorien jusqu’à la création contemporaine, nous aurons pour les Rencontres de cette année un éventail très riche sur ce seul thème.

L’année prochaine sera consacrée au thème de la lumière éternelle, « Lux Aeterna », avec une programmation qui s’avère très prometteuse. 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets à venir quant à l’actualité du disque et des concerts ? » 

Pierre CAO : Il y aura bien sur quelques reprises ainsi qu’une nouvelle programmation avec les Saqueboutiers de Toulouse intitulée « De Venise à Dresde ». Nous allons également interpréter le requiem de BIBER,et  des œuvres de GRAUPNER .

Concernant le disque, nous allons sortir à Vézelay un enregistrement sur les vêpres sous Charles VI à Vienne. Ce sont des œuvres pour lesquelles nous ne possédons que des manuscrits, il n’y avait pas les partitions. Il a donc fallu restituer le matériel à partir de cela. C’est un travail que je trouve très intéressant. Je souhaite également enregistrer les vêpres de Sainte Marie Madeleine que nous allons donner en concert cet été à Vézelay. Le requiem de BIBER sera également disponible en disque l’année prochaine. 

 

LEXNEWS : « Pierre Cao, vous n’allez pas manquer d’occupations pour la fin d’année, en attendant de revenir sur ces évènements nous vous remercions pour votre accueil chaleureux et nous vous donnons rendez-vous à la fin du mois d’août pour les rencontres de Vézelay que LEXNEWS couvrira pour ses lecteurs ».

Les Interviews de LEXNEWS : Jean-Louis CHARBONNIER, 01/05/02, Saint Maur.

 

L'entreprise d'enregistrer l'intégrale des pièces de violes de Marin MARAIS pour le disque est déjà chose peu ordinaire. Lorsqu'elle se double d'une intégrale de ces mêmes pièces en concert pour l'automne 2002, cela donne deux bonnes raisons pour LEXNEWS d'interviewer un artiste qui n'est pas avare en riches analyses !

 

LEXNEWS : « Jean-Louis Charbonnier, nos lecteurs ont fait votre connaissance lors de la présentation du festival de Dieppe que vous dirigiez jusqu’à votre récente démission. La page est tournée et vous entamez un nouveau cycle passionnant : une intégrale de Marin MARAIS au disque et au concert. D’où vous vient cet attrait pour le violiste rendu si célèbre avec SAINTE-COLOMBE par le film « Tous les Matins du Monde » auquel vous avez contribué en tant que conseiller artistique ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : C’est en découvrant la viole de gambe que l’on découvre ces compositeurs qui ont écrit spécifiquement pour cet instrument. Avant « Tous les Matins du Monde », j’ai eu un parcours très varié : j’ai fait du piano, du basson et un peu de violoncelle. J’ai même touché un peu à l’opérette !

J’ai fait partie d’un ensemble de musique ancienne, « Les Musiciens du Prince de Conti » à l’époque où la comtesse de Chambure était conservatrice au musée du conservatoire de Paris. Cette dernière m’a prêté alors un basson baroque et m’a encouragé à aller travailler à Bâle. J’ai parallèlement entrepris le violoncelle car dans un petit ensemble baroque le basson n’était pas suffisant. C’est également elle qui m’a conseillé, en 1972, de me pencher vers la viole de gambe. Pendant mon service militaire dans la musique de l’armée de l’air, j’ai eu la possibilité, étant au Ministère de la Défense, de pouvoir aller tous les jours, à l’heure du repas, à la Bibliothèque Nationale. Cela a été l’occasion pour moi de découvrir une passion pour la recherche de musique ancienne. Madame de Chambure m’a alors prêté une viole de John Pitz (1686), un instrument extraordinaire que j’ai pu jouer jusqu’en 1975, date de son décès. Je suis parti travailler à la Schola Cantorum à Bâle sous la direction d’Anne-Laure Müller, puis à Zurich avec Jordi Savall. J’ai abandonné le basson et la viole est devenue mon seul instrument. C’est en 1975 que j’ai édité mes premières méthodes pour la viole.

J’ai très vite abandonné le violoncelle dés que j’ai touché la viole. Même si je pratiquais l’instrument avant la viole parallèlement au basson, j’ai vite réalisé que les liens de parenté entre les deux instruments étaient plus éloignés que ce que l’on avait coutume de penser. Le jour où, en effet, j’ai réalisé que la viole n’était pas du tout l’ancêtre du violoncelle, mais un concurrent et qu’il s’agissait d’une vihuela, une guitare à archet, cela a été une véritable découverte !

Le répertoire me convenait parfaitement à la différence des répertoires comme ceux plus classiques de l’opéra. Le répertoire de la viole n’a pas subi ces transformations dues à l’évolution de la musique. Avec le film « Tous les Matins du Monde », Pierre Vérany m’a proposé d’enregistrer un disque Marin MARAIS. Les pièces à trois violes n’ayant pas été enregistrées, nous les avons retenues. C’est à cette occasion que je me suis rendu compte en approfondissant cette œuvre que Marin MARAIS avait une précision extraordinaire surtout dans les derniers livres. MARAIS fait preuve d’une telle exigence que tout est marqué : les coups d’archet, les doigtés, les balancements de main, … Cette exigence se retrouve d’ailleurs dans les éditions de ses oeuvres où les fautes de gravure sont quasiment absentes.

Il a été un véritable défenseur de la musique française. Ces livres sont pour moi un portrait de toute sa vie puisque pour le premier, il avait à peine 30 ans lorsqu’il fut édité, et les dernières pièces sont éditées en 1725, soit 3 ans avant sa mort. C’est d’une certaine manière son testament. Même s’ il a écrit des motets, des opéras qui ont eut du succès, c’est surtout dans ses pièces de viole que l’on peut percevoir une transformation. Avec les premiers livres, nous sommes en plein XVII° siècle et avec  les derniers nous sommes déjà dans le style du  XVIII° siècle. C’est pour moi, une nouvelle fois,  une véritable révélation. Plus je rentre dans son œuvre, plus je réalise ce qui me reste à découvrir ! C’est un peu pour ces raisons que je me dis qu’il ne sert à rien de faire autre chose, tant que je n’aurai pas accompli tout cela. Dans le V° livre que nous venons de sortir, je me suis posé la question s’il y avait des pièces que nous aurions pu écarter. Etait il nécessaire de faire une intégrale ?  La réponse est pour moi évidente : je suis de plus en plus persuadé de l’intérêt à porter à l’ensemble de ces œuvres de Marin MARAIS, sans opérer de sélection. Il n’y a selon moi aucune pièce à jeter.

 

LEXNEWS : « Pouvez vous nous parler de ce qui vous attire dans cet instrument que certains jugent parfois trop discret par rapport à d’autres instruments à cordes ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Il y a quelques temps, les violistes cherchaient à concurrencer le violoncelle, un peu comme au XVIII° siècle. La viole fut abandonnée à cette époque car elle ne s’adaptait pas à la musique. Tout d’abord, les frettes empêchent le vibrato. Même si l’on peut constater de nombreux musiciens qui bougent la main à la manière des violoncellistes, les frettes stoppent heureusement cet effet qui ne devient plus audible. Le problème est qu’en faisant ainsi, on oublie trop souvent qu’il existait un ornement spécifique : le flattement, le balancement de main qui était quelque chose à laquelle il fallait penser comme le tremblement, le pincé, etc.…

Dans le même registre, le nombre de cordes empêche d’appuyer plus fort et démontre une nouvelle fois que cet instrument ne peut pas s’adapter à la musique classique. Cela fut la cause de sa longue absence jusqu’à sa redécouverte au XX° siècle. Or, aujourd’hui, on demande de plus en plus aux luthiers de faire des instruments beaucoup plus sonores et qui concurrencent le violoncelle. De mon point de vue, je rêvais de posséder un instrument du XVIII° siècle. Je me suis rendu compte très vite que ces instruments, très rares, étaient  tellement abîmés que cela ne valait pas la peine, ou bien cela m’aurait coûter une fortune ! Je dois reconnaître que j’ai reçu un certain enseignement du film « Tous les Matins du Monde ». Alain Corneau m’avait demandé de lui trouver des instruments pour les acteurs. Je lui proposais alors un instrument qui faisait ancien, Alain s’y opposa formellement en relevant avec raison qu’à l ‘époque les musiciens jouaient des instruments neufs ! Il avait raison : il n’ y avait pas cet engouement pour l’ancien. Marin MARAIS d’ailleurs ne jouait pas de la musique ancienne, il interprétait la musique qu’il composait lui-même. J’ai ainsi réalisé que mon rêve d’un instrument ancien n’était plus essentiel. Lorsque le luthier Pierre Jaquier a réalisé l’instrument pour « Tous les Matins du Monde », il a suivi les conseils d’Alain Corneau qui souhaitait un petit instrument et non pas une grosse viole française afin de bien montrer que c’était le musicien qui était au dessus de tout. Le choix se porta donc sur un petit modèle, sombre, orné d’une tête représentant Madame de Sainte Colombe. En fait ce luthier a accepté pour la première fois de sa vie de faire un faux : il a imaginé une petite viole anglaise. Nous savons qu’à l’époque, selon les traités de Rousseau ou de Titon du Tillet, que les violes anglaises étaient très appréciées. C’est donc une viole à 6 cordes anglaise, tout en sachant que c’est Sainte Colombe qui a rajouté une septième corde et a fait filer les cordes d’argent. Mais, parallèlement, il a monté l’instrument avec un manche très large, qui ne correspond pas du tout à la caisse. Et bien le résultat fut paradoxalement extraordinaire : j’ai en effet découvert un instrument d’une douceur exceptionnelle. Le décalage avec la tendance moderne d’un instrument très sonore était flagrant !

Par ce détour original et imprévu, je me suis rendu compte que d’une certaine manière nous opérions un retour aux origines. Je m’explique : le résultat produit est très proche d’une guitare à archet, les origines de la viole. C’est un tout autre instrument qui est donné à jouer. J’ai remarqué d’ailleurs qu’avec mes jeunes élèves, le seul fait de jouer la viole sans l’archet, à la manière du luth, donnait des résultats excellents proches des origines de la viole de gambe.

Bien sûr, le danger dans une grande salle est de ne pas être entendu ! Mais il faut accepter de jouer alors dans des lieux plus petits, conformes à cet instrument.

 

LEXNEWS : « Vous évoquez un problème souvent évoqué par les musiciens et les organisateurs de festival et de concerts, à savoir l’incompatibilité de certains instruments comme la viole, le luth ou la guitare avec de grands espaces de représentation »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Oui, en effet, c’est une grande difficulté ! Pour moi, le choix est simple, il faut jouer ces instruments dans des salles qui leur correspondent. Mais cela n’est pas toujours chose facile, car il y a des impératifs financiers. Les musiciens sont souvent partagés entre le fait de garder une certaine intimité pour préserver les sons, et en même temps, en faire profiter le plus grand nombre possible. C’est un dilemme. Certaines salles modernes sont parvenues à régler le problème : l’auditorium des Halles peut recevoir 600 personnes tout en permettant d’entendre de partout. La viole a besoin d’une acoustique spécifique qui porte les sons de l’instrument.

 

LEXNEWS : « Comment est il possible de distinguer ce qui est dans l’esprit de cette époque de ce qui serait le produit d’une interprétation extensive ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Il est possible, à la lecture des traités de musique ancienne par exemple, d’observer des idées à priori contradictoires !  Avec ROUSSEAU et DANOVILLE, par exemple, la plainte se réalise toujours, pour l’un, en montant et, pour l’autre, en descendant. En fait, ils disent tous deux la même chose : il y a, en effet, « monter » à l’oreille, et « monter » en descendant la main sur le manche de la viole, le résultat étant identique. Le danger est en fait de mal interpréter ce qui a été dit. Il est possible de souligner la même chose concernant l’idée selon laquelle la viole devrait imiter la voix. La voix est comme n’importe quel instrument. Si nous prenons un violon Stradivarius, il n’a plus rien à voir avec ce que faisait Stradivarius à l’époque. A part la caisse, tout a été transformé, adapté au travers des siècles. Je trouve scandaleux les Stradivarius qui sont vendus aujourd’hui des millions d’euros. Ils ne correspondent plus à ce qu’ils étaient à l’époque, c’est un peu comme si nous découpions la Joconde pour transformer le fond ! Le manche, le chevalet, l’âme, le cordier, les cordes,… ont disparu. Ils ne peuvent plus sonner comme à l’origine. Seulement ce sont des instruments avec un dessin magnifique, la voûte est superbe. A l’inverse, en replongeant dans les traités et dans les partitions de MARAIS, on se demande lorsqu’il y a quatre flattements et deux balancements de main dans une œuvre, comment peut-on imiter la voix. Si on utilise le vibrato continu comme le font les chanteurs, il n’est pas possible de faire le balancement de main, ni des tremblements. C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. J’ai découvert qu’en fait, grâce à des instruments qui n’avaient pas été transformés, il faudrait que les autres instruments, de même que les chanteurs, se modèlent la dessus. Un chanteur rétorquera que le vibrato fait partie de la vibration de la corde vocale. C’est en fait une grosse erreur ! Qu’est ce qui est naturel ? C’est de faire vibrer une corde à partir d’une vibration qui continue toute seule de manière naturelle, la corde vocale aussi. Par contre, le vibrato est quelque chose que l’on rajoute. C’est une tendance qui est apparue au XIX° siècle et qui est totalement artificielle. Le jour où l’on prendra conscience de cela, les choses changeront. Si l’on parvient à oublier l’influence de notre temps, ce qui est très difficile, ainsi que tout ce qui a évolué depuis cette époque, nous arriverons grâce à l’instrument, et à la spécialisation, à retrouver un esprit proche de cette époque. Tout peut être prouvé dans cette démarche, il faut simplement du temps, justifiant cette vaste entreprise de l’intégrale !

 

LEXNEWS : « Ce que vous soulignez est très intéressant, d’autant plus que le film « Tous les Matins du Monde » prête plus à Sainte Colombe cet aspect des choses, par opposition à Marin Marais, au moins au début du film, et qu’il reconnaîtra plus tard dans son témoignage ! »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Oui, je pense que c’est quelque chose de tout à fait normal de se laisser porter par son temps et de se transformer. Il est vrai que lorsque je dénonce les Stradivarius transformés, je ne critique pas l’évolution qui est inéluctable. Il est nécessaire de s’adapter. Par contre, je pense qu’il est indispensable de protéger notre patrimoine de toute dénaturation . De même que l’on restaure des églises et que l’on protège des tableaux, je trouverai dommage qu’il ne reste plus de musique témoin du temps de cette époque.

A partir du moment où l’on joue la musique d’une époque, il ne faut pas la dénaturer. Même si les sonates de Bach pour viole de gambe peuvent tout à fait être transposées à l’orgue positif et donner un résultat excellent, je pense que l’œuvre de Marais est trop synonyme de la viole de gambe pour souffrir de telles interprétations. Je pense que cela ne veut plus rien dire.

En allant dans ce sens, je pense qu’il sera possible de mieux comprendre les autres aspects de l’œuvre du musicien. L’opéra français est un exemple : MARAIS peut il aller à l’encontre de tout ce qu’il a fait pendant sa vie en composant un opéra ? Lorsqu’il met un ornement pré-vibrato, pourrait il utiliser un ornement qu’il n’a jamais utilisé de toute sa vie sur un instrument ? Il y a quelque chose qui ne marche pas. Lorsque j’entends les enregistrements d’Alcyone avec de grandes voix lyriques, je me dis que le jour où l’on va demander aux chanteurs d’employer le même moyen d’expression que le compositeur avait en lui, je suis sûr que cela changera les choses. Je pense, en effet, que lorsqu’on arrivera à interpréter un opéra comme Alcyone, Sémélé, ou Ariane et Bacchus en imaginant la formation du son et un moyen d’expression différent, on sera étonné du résultat. Pour l’instant, j’entends des représentations d’Alcyone avec des grandes voix qui chantent aussi bien des opéras de fin XVIII°, cela ne me touche pas ! Je trouve tout de même étonnant que MARAIS ne me fasse pas réagir dans ses musiques vocales.

Je suis sûr qu’il y a quelque chose et j’espère que je vais la découvrir avant la fin de ma vie !

Je suis persuadé que dans 10, 20 ans ou plus, on refera les opéras de MARAIS et de LULLY d’une autre manière. Christie est déjà allé assez loin, je pense que l’on peut faire encore plus. Cela viendra très certainement des chanteurs.

 

LEXNEWS : « Comment expliquez vous cette redécouverte de l’instrument, et de son répertoire, après un long sommeil de deux siècles ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Je vois trois raisons expliquant cette redécouverte. Tout d’abord la mise en valeur du patrimoine en général. On découvre depuis quelques années qu’il est nécessaire de préserver notre patrimoine, nous classons même des bâtiments du début du siècle. La musique et ses instruments participent à cette tendance. Je crois que nous sommes de plus en plus demandeurs de cette sauvegarde. Le deuxième point est qu’il y a un besoin de rejouer tout un répertoire qui touche l’âme d’un public de plus en plus nombreux. C’est la grande force du film « Tous les Matins du Monde ». Je pense qu’en plus nous avons chacun notre propre sensibilité. Lorsque j’ai travaillé avec Jean-Pierre Marielle pendant plusieurs mois, au début il ne jurait que par le jazz et n’était pas porté vers le classique. Lorsqu’il s’est rendu compte, qu’en fait, c’était le romantisme qui ne le touchait pas, il s’est mis à apprécier tout un répertoire inconnu de lui jusqu’alors.  Et pour finir, je pense que la viole est un instrument très pédagogique.

 

LEXNEWS : « Nous souhaitions justement vous demander quelle était l’approche que vous favorisiez dans les premières années d’enseignement à de jeunes élèves ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Je me suis rendu compte que la viole était un instrument incroyable pour les enfants. La viole est beaucoup plus facile que le violon ou le violoncelle. Le répertoire est accessible à une vitesse accélérée. Je parviens à des résultats surprenants en un an, ce qui est impossible avec d’autres instruments. J’ai en plus la chance de pouvoir bénéficier de conditions idéales à Fontenay aux Roses avec des petits ateliers découvertes. Les enfants ont, en effet, la possibilité de choisir entre un instrument à cordes, un instrument à vent et un instrument à clavier. En seconde année, ils font un trimestre de chaque instrument ! Lorsqu’ils ont 7 ans, ce ne sont plus les parents qui émettent un souhait, mais l’enfant lui même qui décide de faire de la viole de gambe. A 11 ans, ils passent un examen de fin de cycle, et il leur est demandé de décider après un travail sur dossier. Même si le répertoire s’arrête en 1750, l’étendue des pièces à jouer est beaucoup plus vaste que le violoncelle, instrument réservé à l’orchestre symphonique ou aux pièces de Bach !

C’est pour moi un instrument qui offre un éventail pédagogique incomparable.

 

LEXNEWS : « Vous venez d’enregistrer un disque avec Jean-Pierre Marielle que vous connaissez depuis le film « Tous les Matins du Monde », pouvez vous nous le présenter ?

 

Jean-Louis CHARBONNIER : C’est Pierre Vérany qui a été à l’origine du premier enregistrement de Marin MARAIS. Nous n’avions pas à l’époque l’idée d’une intégrale. Je travaillais également à l’époque sur d’autres compositeurs comme CAIX d’HERVELOIS. Progressivement, j’ai réalisé que l’ensemble des pièces des livres suivants méritaient l’attention. Pour la fin de ce cinquième livre, nous avons pris notre temps pour l’enregistrement. L’avantage est que le temps de montage a été réduit d’autant. Je pense que nous avons mis notre maximum dans la réalisation de ce disque. Nous avions le fameux tableau de l’opération de la taille. Je voyais régulièrement Jean-Pierre Marielle depuis le film, et je me suis dit qu’il fallait absolument faire quelque chose avec lui. Je lui ai proposé d’enregistrer cette pièce. Parallèlement au texte du récitant, je lui ai demandé d’annoncer chaque titre des pièces jouées afin de les resituer dans leur contexte. Dans ce livre, chaque pièce est un tableau. La voix de Jean-Pierre est incroyable, c’est une véritable contrebasse de viole ! la vibration de la corde vocale sans vibrato restitue un son chaleureux naturel. L’annonce de ces morceaux permet ainsi un lien extraordinaire.

 

LEXNEWS : « Cette opération de la taille est extraordinaire :  A l’écoute les paroles, c’est tout simplement effroyable ! comment expliquez vous un tel choix ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : Oui, surtout sans anesthésie ! je pense qu’il a du supporter un telle opération. Mais de manière générale, MARAIS a souvent utilisé des pièces figuratives. La pièce du Jeu du volant, faisant partie de ce même 5ième Livre est également très descriptive : on peut, en effet, entendre dans cette pièce le volant filer dans les airs, les coups de raquettes …

 

LEXNEWS : « Nous évoquions au début de l’interview une tournée exceptionnelle, jamais réalisée à ce jour. Pouvez vous nous présenter ce cycle ? »

 

Jean-Louis CHARBONNIER : L’idée est venue de l’agence Marmouset qui m’a poussé à organiser un Festival de musique baroque à Paris. Après l’expérience du Festival de Dieppe, je ne souhaitais plus m’impliquer dans une telle entreprise. Je leur ai proposé la possibilité d’un intégrale en concert de Marin MARAIS, et cela a été accepté. Cela va se dérouler à l’Eglise des Billettes à Paris dans le 4ième arrondissement. Pendant deux ans et trois mois, l’intégrale des pièces de viole seront interprétées dans cette église à l’acoustique très agréable. Tous les mois, d’octobre 2002 jusqu’en décembre 2004, nous donnerons un concert couvrant l’intégrale des pièces pour viole de Marin MARAIS. 

 

 

LEXNEWS : « Jean-Louis, merci pour cette interview très instructive, nous vous donnons rendez vous cet automne pour le début de ce cycle à l’Eglise des Billettes dont nos lecteurs pourront consulter le détail dans nos pages concerts. »

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Duo SCARAMOUCHE, Paris – 29-04-02. 

 

LEXNEWS a fait la rencontre de Malvina RENAULT-VIEVILLE et Filippo ANTONELLI, un duo, le terme convient-il même encore ?, qui renvoie l’image d’une unité musicale parfaite.  Cette impression se confirme à l’écoute de leurs enregistrements que LEXNEWS présentera très prochainement. Voici un ensemble à découvrir au plus vite, au disque et au concert, afin d’apprécier une vraie connivence en quête de bonheur !

 

 

LEXNEWS : « Vous n’allez pas échapper à une question que l’on doit vous poser souvent : pour quelle raison avoir pris ce nom « Scaramouche » pour votre ensemble ? » 

 

 

Malvina RENAULT-VIEVILLE : Nous souhaitions, à l’origine, un nom qui associe à la fois la musique et l’Italie, puisque Filippo est italien. Ce nom nous est venu immédiatement ! c’est à la fois une pièce très connue pour deux pianos, et cela renvoie également au personnage bien connu du masque de Scaramouche. Un masque derrière lequel le personnage se cache, ce qui était notre souhait également afin de mettre la musique au premier plan. La scène devient alors d’une certaine manière le théâtre.  Il est vrai que nous ne souhaitons pas nous mettre en avant, seule la musique compte.

Filippo ANTONELLI : Il est également possible de reprendre l’exemple du théâtre antique pour lequel le masque servait non seulement à amplifier le son, mais également à mettre en valeur le texte plus que l’acteur. C’est quelque chose de très important pour nous : le duo doit exister au delà de nos propres personnalités.

 

LEXNEWS : « Vous fêtez vos 10 ans de parcours artistique en commun : quelles sont les raisons qui peuvent pousser deux artistes à jouer principalement un répertoire pour 4 mains et 2 pianos ? »

 

Filippo ANTONELLI : Je pense, qu’au départ, il y a essentiellement l’envie de partager la musique. La musique est un moyen de communiquer exceptionnel : elle transcende les conflits, les barrières de la langue,… Je pense qu’il n’y a pas mieux pour un musicien que de pouvoir partager avec un autre musicien la musique : c’est le meilleur mode de communication. C’est également la même attention qui nous pousse à partager cette musique avec le public. En fait, nous n’aimons vraiment pas jouer tout seul ! Que ce soit Malvina ou moi même, nous nous sommes très tôt dirigés vers cette musique jouée à deux.

 

LEXNEWS : « Cette volonté de partage, n’aurait elle pas pu aussi bien se concevoir dans le cadre d’un orchestre ou d’un ensemble de chambre ? »

 

Filippo ANTONELLI : Il est vrai que cette communication existe pour un soliste avec un orchestre. Mais nous pensons qu’en duo nous allons au delà de nos recherches pianistiques. Nous devons trouver un équilibre, un façon de jouer, une technique pianistique qui est autre qu’en soliste. C’est cela qui nous attire et qui, peut être, nous renferme sur nous même, mais nous sommes avant tout des pianistes. Jouer à deux sur un même clavier, sur un espace qui est tout de même restreint, nous oblige à prendre des positions qui sont tout de même insolites, et pas toujours orthodoxes pour la technique pure ! Nous nous croisons, voire télescopons en vol et cela nous aide à aller plus loin dans notre recherche sur l’instrument. La musique de chambre ou le concerto nous semble presque relever de la bagarre et de la compétition avec l’orchestre, alors que pour nous, le duo est un véritable dialogue. Notre démarche est de faire en sorte que tout en respectant l’individualité de chacun de nous deux, nous parvenions à créer une seule expression dans le jeu. Cela dit, je n’exclut pas cette possibilité dans le cadre de la musique de chambre, mais notre propre sensibilité, et notre parcours ont fait que nous ne sommes pas allés dans cette direction.

 

LEXNEWS : «  Il y a donc cette idée essentielle que vous souligniez tout à l’heure du partage d’un même instrument et d’en repousser les limites, ce qui, à priori, n’est pas possible avec un autre instrument ? » 

 

 

Filippo ANTONELLI : Non, en effet, pas de la même manière. Nous restons, bien sûr, toujours des pianistes mais en duo nous sommes confrontés au quotidien à des questions très difficiles : comment jouer cette note alors que l’autre est présent au même endroit. Il faut trouver le bon geste, au millimètre près. 

 

 

LEXNEWS : « Quel est votre répertoire de prédilection ? » 

 

 

Filippo ANTONELLI : Nous n’avons pas à proprement parler de répertoire de prédilection. Nous nous sentons plus à l’aise dans le répertoire français, mais également autrichien. Mais il faut bien savoir que le répertoire pour 4 mains est relativement restreint. Notre critère pour retenir un morceau plutôt qu’un autre est la possibilité de pouvoir s’amuser avec lui ! Ce peut être tout aussi bien du Brahms ou du Milhaud. Nous pouvons d’ailleurs tout aussi bien nous amuser à 2 dans un répertoire très sérieux : cela nous autorise de passer de Bach au contemporain !

 

LEXNEWS : « Vous exercez également le métier d’enseignant, quelles pièces pourriez vous conseiller à des amateurs qui souhaiteraient aborder le 4 mains ? Quelles selon vous les difficultés de cette pratique et les qualités à travailler pour y exceller ? »

 

 

Filippo ANTONELLI : Pour commencer, nous pourrions conseiller « Ma mère l’Oye » de Ravel. Pour les sonorités et l’équilibre entre les deux musiciens.

Malvina RENAULT-VIEVILLE : Il est vrai que l’équilibre entre les deux pianistes reste la qualité première à travailler. La respiration est également essentielle : elle est essentielle pour pouvoir jouer au même moment, pour dialoguer et se comprendre à la minute. C’est pour cette raison que je ne crois pas beaucoup aux duos qui s’associent pour une seule soirée. C’est sur le long terme, au fur et à mesure de la pratique, que l’on peut maîtriser cette pratique. Même après 10 ans de pratique quotidienne, nous apprenons encore ! On doit toujours aller plus loin, anticiper, surprendre l’autre. Cela ne vient pas tout de suite, c’est un apprentissage qui est très long.

Filippo ANTONELLI : Je ne suis pas tout à fait d’accord, je pense qu’il y a un terrain favorable au départ et qui se fait de manière instinctive. Certes, la pratique vient après pour confirmer et affiner ces qualités, comme la respiration par exemple.

 

LEXNEWS : « Qu’entendez vous par qualité de la respiration ? »

 

Filippo ANTONELLI : Il faut arriver à entrer dans le même rythme respiratoire que l’autre. Cela se fait grâce à la perception physique de l’autre pianiste, mais également par la perception sonore. Cela est très important notamment pour le répertoire à 2 pianos. En écoutant le son de l’autre, il faut comprendre comment il est entrain de respirer et de porter la phrase. On se met à l’intérieur de cette vague, c’est un peu comme du surf ! Et c’est grâce à cela que les attaques sont meilleures parce que nous prenons les vagues du son au bon endroit. Nous n’avons même plus besoin de nous voir parce que nos corps réagissent d’une manière uniforme.

 

LEXNEWS : « Ce que vous expliquez est essentiel : le son traduisant la respiration de l’autre vous permet une meilleure communication pour le jeu ? »

 

Filippo ANTONELLI : Oui, tout à fait. Il y a un facteur au départ de complicité et de complémentarité. On se dit que l’on fait pour faire de la musique ensemble, cela se ressent de manière instinctive. Ce fut le cas pour nous, nous avons joué ensemble une première fois et ce fut la bonne pour continuer. Et, en effet, pour aller plus loin que le facteur émotionnel, nous réalisons des exercices, une sorte de gymnastique pour pouvoir affiner cela.

 

LEXNEWS : « Dans votre pratique quotidienne avez vous une préférence pour le 4 mains sur un même piano ou sur deux pianos ? »

 

Filippo ANTONELLI : Ce sont deux mondes totalement différents !

Malvina RENAULT-VIEVILLE : Lorsque nous avons besoin de prendre un peu de distance l’un par rapport à l’autre, le 2 pianos peut être utile !!!

Filippo ANTONELLI : Les attaques sont plus délicates à 2 pianos. Nous avons trouvé la solution. Nous avons écarté les pratiques qui consisteraient à faire un geste, ou se regarder dans les yeux : cela provoquerait déjà un retard. L’action doit partir au même moment, pour cela il faut savoir à quel moment l’autre commence. Si l’on se regarde, on peut être troublé. La meilleure démarche rejoint ce que nous évoquions précédemment sur la respiration. Le 4 mains est beaucoup plus intime, c’est une pratique beaucoup plus sensuelle. Nous nous touchons, nos bras s’entrecroisent …

Nous avons même essayé un piano à 8 mains !!!

 

LEXNEWS : « Cela doit devenir très acrobatique ! »

 

Oui, nous avons un peu laissé cela de côté, 4 mains c’est déjà beaucoup !

 

LEXNEWS : « On entend parfois qu’une main prédominerait sur les trois autres dans cette technique du piano, qu’en pensez vous ? »

 

Filippo ANTONELLI : Nous ne sommes absolument pas d’accord avec cette idée ! C’est, en effet, une idée préconçue que l’on entend souvent, un peu comme l’image des italiens associés aux spaghettis !!! Toutes les mains jouent un rôle essentiel dans l’exécution. Et on ne peut pas dire qu’il y ait une priorité de l’une d’entre elles. Le 4 mains implique une technique très poussée pour pouvoir bien l’exécuter, il faut réajuster tous les repères que l’on a pu recevoir jusque là. A ce moment là, il faut savoir adapter la technique : même si l’on a qu’une seule note à la basse contre dix à l’aigu, il faut toucher cette basse d’une certaine manière pour que l’autre ne soit pas gêné. Il faut donc un contrôle du clavier et des doigts qui n’a rien à envier au soliste. Il ne faut surtout pas croire que parce qu’il y a 4 mains, c’est plus facile. Les difficultés sont en fait multipliées par deux ! Les pianistes sont en règle général plutôt égocentriques, imaginez cela à deux sur un même clavier !

Les grands noms de la musique ont d’ailleurs utilisé cette pratique pour mettre en place leur version orchestrale. C’est pour cela qu’il faut abandonner cette image d’Epinal.

 

LEXNEWS : « Alternez vous parfois votre place dans le jeu à 4 mains ? »

 

Filippo ANTONELLI : Non, je reste toujours à gauche du clavier, et Malvina à droite, peut être parce qu’elle est plus jolie et que le public la voit ainsi plus volontiers !!!

Malvina RENAULT-VIEVILLE : Non c’est une question de tempérament, je me sens plus à l’aise dans les aigus.

 

LEXNEWS : Merci beaucoup à vous deux et nous vous disons à bientôt dans nos colonnes et bon courage pour cette saison !

 

Les Interviews de LEXNEWS : Stephan PERREAU, le 05/04/02 Paris.

 

 

LEXNEWS a le grand plaisir de présenter une interview, réalisée lors du dernier Salon Musicora, d'un artiste hors norme dont la spontanéité n’a d’égal que l’humilité !

Nos lecteurs pourront en effet découvrir une personnalité originale, dont la culture vécue à l’image de celle du XVIII° siècle offre un air frais à notre époque de spécialisation poussée à l’extrême. Il est possible de découvrir la musique après avoir appris à marcher tout en exprimant un talent fait de sensibilité !

 

 

LEXNEWS : « Stephan PERREAU, pouvez vous nous rappeler quel a été votre parcours musical et les raisons du choix de votre instrument et du répertoire baroque qui l’accompagne ? » 

 

Stephan PERREAU : « J’ai suivi en fait un parcours un peu particulier : j’ai commencé la musique assez tard au regard des cursus actuels puisque j’avais 14 ans ! Nous avons commencé la musique, mes frères et moi, en écoutant sur un vieux poste de radio les émissions de France Musique, mes parents n’étant pas musiciens. Mon frère, qui était hautboïste, était très féru de baroque. Je dois vous avouer, qu’en ce qui me concernait, je détestais cette musique. Je me rappelle qu’il me faisait écouter les « Nations » de Couperin, interprétées par Savall à l’époque, et cela ne m’attirait guère ! je trouvais que cette musique sonnait faux… Je baignais en effet dans un rationalisme classique peu propice à cette écoute. J’avais commencé ma formation par 5 ans de clarinette suivant les souhaits de mon père dont s’était l’instrument favori : j’ai fait 5 ans de gammes ce qui m’a un peu écœuré comme première expérience. Et un jour, alors que j’étais dans une petite école de musique à côté de Rouen, je me suis promené dans les autres ateliers de cette école. Le professeur de flûte m’a convaincu d’essayer cet instrument, parallèlement à la clarinette. Cela a été le début d’une grande passion, mais toujours dans un répertoire du XX° siècle : Poulenc, Milhaud, Honegger,…

Avec le recul, je réalise combien il peut y avoir de points communs entre ce répertoire contemporain et la musique baroque. Au bout de 4 ans, j’ai abordé le violoncelle, et la même année j’ai fait de l’orgue !

Un touche à tout, ce qui m’a valu les foudres des instances du conservatoire classique qui préféraient que l’on se spécialise dans un seul instrument.

Mon attrait pour la musique baroque est en fait venu de cet éclectisme commun à cette époque. En effet, à l’époque baroque, on savait faire une basse d’archet, un instrument à vent, écrire, discourir, faire des poèmes,… Tout cela me plaisait beaucoup ! Petit à petit, j’ai été imprégné par cet esprit. Si j’ai depuis abandonné certains de ces instruments, cela a été une expérience enrichissante qui m’a aidé par la suite à connaître et à approfondir un certain nombre de points pour mon instrument. Cette sensibilité musicale s’est construite à partir de ces apprentissages. Je suis entré dans la classe de Philippe-André Dupré, Professeur à Toulouse, ce qui a marqué le début de l’apprentissage de la flûte baroque. Tout en continuant d’enseigner la flûte moderne, je décidais de m’investir essentiellement dans la flûte baroque. Je me suis fait mon goût baroque petit à petit, tout en réalisant avec le recul qu'il avait toujours été présent !

J’ai retenu de ces expériences qu’il ne fallait jamais imposer en musique : les choix doivent se faire d’eux mêmes selon la maturité de l’individu. Un jour ou l’autre le déclic se réalise, ou ne se réalise pas ! Peu importe. »

 

LEXNEWS : « Nos lecteurs ont apprécié non seulement vos qualités en tant que musicien, mais également en tant qu’auteur avec votre excellente biographie de BOISMORTIER qui vous vaut aujourd’hui à Musicora un prix. Comment vous est venu ce goût pour l’écriture et passe-t-on facilement de l’instrument à la plume ? »

 

Stephan PERREAU : « Je ne sais pas si l’on peut passer d’un domaine à l’autre, je pense que l’on est dans plusieurs domaines en même temps. Comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai toujours été curieux de tout et notamment de littérature. Le français était une des matières dans laquelle j’avais les meilleurs résultats à l’école, ce qui ne m’empêche pas de relever de très nombreuses imperfections dans mon livre en le relisant aujourd’hui ! ! !

La démarche pour ce livre n’est pas le fruit d’un rêve ou d’un aboutissement. Là encore, cela s’est fait spontanément. Ayant réalisé l’enregistrement du disque à deux flûtes pour les éditions ARION / Pierre Verany, j’ai pu rencontrer Jacques Merlet de France Musiques qui s’est passionné pour ce qui était à l’origine un travail universitaire. Jacques Merlet a appelé un éditeur pour ce livre, ce qui m’a fait un peu peur car je ne me sentais pas prêt à publier le fruit de mon travail. Mais en même temps l’éditeur s’est tout de suite passionné pour le projet, alors je me suis laissé faire sans trop savoir où cela allait... »

 

LEXNEWS : « Cela partait-il d’une volonté de faire connaître un auteur oublié ? »

 

Stephan PERREAU : « J’ai toujours été contre l’injustice, et à partir du moment où au conservatoire de Toulouse on m’a demandé de travailler sur un thème pour mon diplôme de musique ancienne, j’ai souhaité prendre comme objet de recherche un compositeur oublié. Les premiers morceaux en duos de flûte à bec que j’ai interprétés à mes débuts étaient justement de Bodin de Boismortier : je me suis souvenu de cet auteur. J’ai alors découvert que ce compositeur avait tout contre lui ! on lui prêtait une musique insignifiante et sans intérêt …

Je souhaitais trouver une explication d’un tel décalage entre sa notoriété à l’époque baroque et un constat aussi négatif à notre époque. J’ai déjà exploré sa musique, dans laquelle j’ai trouvé des trésors, ce qui m’a conforté dans mon entreprise. »

 

LEXNEWS : « A la lecture de votre ouvrage, on ressent très nettement chez vous une volonté pédagogique… »

 

Stephan PERREAU : « A partir du moment ou j’avais décidé de défendre cette cause, et que j’y croyais, il est clair que je souhaitais faire œuvre utile en gardant une approche didactique. J’ai été aidé en cela par des professeurs d’Histoire extraordinaires que j’ai pu, lors de mes études, rencontrer dans les facultés de Rouen, de Bordeaux et de Toulouse. En écrivant ce livre, j’ai voulu faire aimer le personnage et expliquer le contexte dans lequel il vécût. Je remercie beaucoup les Presses du Languedoc car ces éditions m’ont permis d’insérer une iconographie très riche qui sert le discours, ce qui est assez rare pour ce genre d’écrit. Cela permet véritablement de retracer un parcours : il y a des tableaux, des églises, des personnages, des photos,… »

 

LEXNEWS : « Votre livre se prêterait même à une transposition en CD-ROM ? »

 

Stephan PERREAU : « Tout à fait, j’aimerai d’ailleurs beaucoup faire un tel CD-ROM sur Boismortier ! C’est un personnage qui a évolué dans toute la France, qui a connu des cultures, des lumières, des paysages très différents. C’est en fait un personnage très complet, comme il était poète, libertin, musicien, littéraire, homme de théâtre et de Cour. C’est vraiment l’homme du XVIII° siècle. Il est vrai que, quelque part, je me reconnais dans ce personnage, je m’identifie d’une certaine manière à lui parce qu’il est passionnant ! J’aimerai pouvoir être passionnant…

En tout cas, je me suis fait plaisir en écrivant ce livre, non pas dans une volonté impérative de publier mais d’exprimer quelque chose de spontané et de vrai, dans mon langage, à la manière d’un essai. J’écris comme je pense, j’écris comme je parle et j’écris comme j’aime ! »

 

LEXNEWS : « Vous ne vous êtes décidément pas arrêté à ces deux qualités, vous travaillez également dans l’édition musicale avec les Editions Pierre Verany / ARION : pouvez vous nous parler de cette activité ? »

 

Stephan PERREAU : « Dans ma vie, tout ce qui m’arrive est un peu le fait du hasard ! Quand j’ai fait mes études de musique ancienne à Toulouse et à Paris, je travaillais beaucoup la flûte car je voulais être musicien. En même temps, je savais que cela allait être très difficile. Je me suis heurté ainsi très tôt à une crise de conscience : comment assurer matériellement ce parcours ? Je connaissais particulièrement bien ce milieu car tous mes amis sont dans le monde de la musique. Je savais que leurs parcours étaient plus que laborieux sur un plan financier. Je n’avais pas envie de courir après les cachets ! Je souhaitais que la musique reste un plaisir et non une contrainte. Comme je souhaitais faire partager ce que j’aimais, j’avais envoyé de nombreux CV à des maisons d’éditions afin d’écrire des livrets de présentation de disques. Ce que je fis pendant 3 ans pour la Société NAXOS. Cela m’a énormément plu, cela m’a permis d’exercer ma plume, parler des compositeurs qui me plaisaient. Alors que je travaillais à la librairie musicale « La flûte de paon », Manuela Ostrolenk, PDG de la Société ARION me téléphone et me demande pour quelles raisons j’avais envoyé un CV à sa société. Elle me proposa un poste d’assistant de production qui venait de se libérer. Le fait de travailler dans une maison d’édition de disques fut une opportunité incroyable ! Cela fait plus de 3 ans que je travaille dans cette société, étant devenu depuis chef de production. C’est un travail dans lequel je m’accomplis car j’avais toujours souhaité aider les musiciens dans leur métier. Il n’était pourtant pas évident d’avoir une telle position : être à la fois artiste en continuant les concerts et des enregistrements et, parallèlement, être de l’autre côté de la barrière en sélectionnant des projets d’édition. Parallèlement, je suis critique musical pour la Revue Classica. Certains pourront vite conclure que je suis juge et partie, j’ai sur cette question mis un point d’honneur à ne pas incendier un disque qui ne me plaît pas ! Je préfère ne pas en parler.

Le fait d’être musicien n’a pas été un handicap dans mes relations avec les artistes enregistrant chez ARION, bien au contraire. Ils ont compris que je pouvais plus facilement connaître leurs difficultés, et en même temps accepter mes recommandations. L’artiste est par définition bohème, je l’étais aussi auparavant ! Le fait d’être de l’autre côté de la barrière m’a aidé à prendre connaissance des difficultés économiques du monde de l’édition musicale. Il faut se battre tous les jours, et tenir compte des contingences du marché. Le disque n’est plus ce qu’il était : auparavant, on enregistrait tout ce que l’on voulait. A l’heure actuelle, l’essentiel du répertoire a été enregistré, à l’exception bien sûr de certains compositeurs méconnus. Nous connaissons en effet à peu près tout de Monteverdi, Couperin, Rameau, Bach…

Un jeune artiste qui vient me voir en me disant qu’il souhaite faire l’Offrande Musicale de Bach ou la Selva Morale de Monteverdi est quelque chose d’intéressant en soi, mais cela ne correspond plus à la réalité. Par quoi Jordi Savall a-t-il commencé et qui a fait sa richesse ? C’est le fait que dans sa discographie, il y ait un grand nombre de compositeurs jamais enregistrés. Il les a bien enregistrés et peut s’en glorifier avec raison ! Il a ainsi alimenté un patrimoine et depuis a fait des émules.

La force de nombreux ensembles a été de commencer par des choses peu connues et de les avoir bien peaufinées pour en faire des concepts qui sont alors mieux acceptés.

Je pense pour résumer qu’une double étiquette, lorsque l’on s’en sert bien et que l’on fait très attention, peut produire quelque chose de très bien. »

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets dans toutes ces spécialités que nous venons d’évoquer ? »

 

Stephan PERREAU : « En fait, c’est très curieux car je n’ai jamais de projets à très long terme ! Ce sont toujours des événements qui arrivent soudainement. Après le disque et le livre sur Boismortier, un second disque sort en ce moment consacré à Philidor. En fait ce disque est complété de deux textes parlants de Hyacinthe Rigaud, le grand peintre de la cour de Louis XIV, annonçant un livre en préparation sur ce grand artiste. 

J’ai également eu la grande joie d’avoir un appel de Jean Gallois qui s’occupe de la collection Mélophile. Ce sont des livres musicologiques accessibles d’une centaine de pages et qui ont le grand avantage d’être très clairs. Il m’a demandé si je voulais bien m’occuper d’un titre consacré au Chevalier de Saint Georges. J’adore ce personnage qui était non seulement musicien mais aussi escrimeur, un coureur de jupons invétéré. C’est un personnage qui résume beaucoup de choses et je suis très honoré de cette responsabilité. C’est donc un projet pour 2002. J’ai également en tête un projet de disque consacré à Alexandre de Villeneuve qui se fera en deux temps avec deux disques. Ce musicien a fait de nombreuses œuvres qui n’ont jamais été enregistrées, dont des sonates pour flûte et basse continue, ainsi que des duos pour deux flûtes. En les déchiffrant, je les ai trouvées extraordinairement belles, avec des mélodies extrêmement modernes. Le second CD sera consacré aux leçons des ténèbres de ce compositeur, thème que j’aime également beaucoup. J’ai, parallèlement, un enregistrement programmé des airs de Cour de Boismortier avec la soprano Isabelle Poulenard et l’ensemble catalan "La Fidelissima".

 

LEXNEWS : « Nous avons remarqué, dans les très belles pochettes qui accompagnent les CD de vos éditions, des dessins et croquis signés de votre nom, vous avez également cette corde à votre arc ? »

 

Stephan PERREAU : « Je ne sais pas si c’est une qualité ! A l’école, avec le français, le dessin était la seule matière où j’ai pu obtenir de bons résultats. Comme j’aime la peinture, j’adore reproduire des dessins ou des statues. Je pratique depuis l’âge de 15 ans, mais toujours selon une inspiration du moment et sans contrainte. Ce qui me plaît beaucoup c’est le travail du crayon, sans pour autant avoir fait les Beaux Arts. J’ai ajouté de nombreuses techniques à cette base mais toujours seul. C’est pour cette raison que je reste toujours extrêmement critique sur mes résultats ! »

 

LEXNEWS : « Dormez vous beaucoup la nuit ! ! ! »

 

Stephan PERREAU : « Je n’ai en effet pas trop le temps… En fait, je pense que tout ce que l’on fait dans la vie doit être fait avec passion et avec beaucoup d’humilité. A partir du moment où ces deux éléments sont réunis, je pense que tout vous sourit. J’ai beaucoup eu de chance dans ma vie, mais je pense aussi que ma qualité principale a été de garder cette qualité principale d’avoir un œil critique. Il ne faut pas oublier d’où l’on vient : mes parents sont issus d’un milieu modeste, et tout ce que j’ai c’est grâce à eux ! Il faut savoir aider les autres, surtout lorsque l’on a la chance d’être aidé. » 

 

LEXNEWS : « Merci Stephan Perreau. Votre témoignage réjouira sans aucun doute nos lecteurs. A l’évidence, à vous suivre, la morosité n’est pas une fatalité : il suffit de vivre sa vie avec passion ! »

 

Les Interviews de LEXNEWS : Jordi SAVALL

 

  Photo Gérard Blazer

 

"Tous les matins du Monde" ont eu de beaux lendemains, et en auront encore ! Et à ceux qui voudraient y voir un crépuscule qu'ils se rassurent, Jordi SAVALL a encore des choses à dire et à nous faire entendre ...

Jordi SAVALL a accordé à LEXNEWS une interview exclusive dans laquelle il nous livre des clés essentielles pour aborder le répertoire de la musique ancienne et mieux comprendre la démarche qu'il a retenue.

 

LEXNEWS : "Quelles seraient, selon vous, pour un mélomane, les clés pour mieux découvrir, et apprécier la musique ancienne ?"

 

Jordi SAVALL : Je pense qu’il faut toujours avoir envie de connaître des choses, et avoir une certaine sensibilité pour prendre le temps de les écouter et de les connaître. C’est également s’informer, aller écouter des concerts, lire des livres… afin de mieux comprendre ce que l’on écoute. Le fait de chanter ou d’interpréter soi-même un peu de musique peut-être aussi une bonne démarche. C’est la combinaison de tous ces éléments qui permet d’avoir le plaisir de connaître la musique. La découverte de toute chose est intimement liée à un besoin personnel : il n’est pas possible de dresser une démarche absolue et générale. Telle personne aura besoin d’entendre des chants grégoriens, telle autre sera fascinée par les sons de l’orchestre de Mozart avec des instruments d’époque. Je pense, qu’avec une telle diversité de choix, la meilleur des choses à faire est de se laisser porter par ce que l’on a envie d’entendre. Dans cette optique, il est indispensable d’être sélectif. La plus grande difficulté aujourd’hui pour un amateur de musique est de choisir ce qui possède un véritable contenu et qui relève d’une démarche valable. Il y a tellement de concerts, de disques, que la plus grande difficulté est de pouvoir s’y retrouver. Il y a souvent un certain snobisme pour certaines choses qui n’auront pas forcément de lendemain ! Il faut ainsi pouvoir choisir ce qui révèle une qualité. Nous sommes aujourd’hui dans un grand de supermarché, et ce supermarché présente l’inconvénient de ne plus offrir le contact personnel avec l’artisan qui saura conseiller tel ou tel fromage ! Tout est emballé en plastique, et la dimension personnelle qui permettait de savoir pour quoi l’objet de l’acquisition était ainsi fait, ainsi que sa provenance, n’existent plus. Cette relation personnelle est à mon avis un maillon manquant essentiel dans notre chaîne de communication.

 

LEXNEWS : « Comment est il possible de renouer cette chaîne ? »

 

Jordi SAVALL : A mon avis, il est possible de rétablir cela avec d’autres moyens. Je pense qu’il est indispensable d’aller aux concerts. Les concerts restent le moment de la grande vérité. Pour un artiste accompli, le concert sera toujours mieux que le disque. Ce sera souvent plus spécial et plus émouvant. Certes, l’exercice sera souvent moins parfait car chaque concert est un acte unique. Le disque sera souvent supérieur techniquement puisqu' il permet certaines manipulations que le concert ne permet pas. La vérité dans la musique peut être perçue par n’importe qui. Si l’on est sensible, on perçoit tout de suite quant une personne à quelque chose à dire ou non. Je pense que c’est quelque chose qui ne s'apprend pas et qui relève de la dynamique de la vie, tout en étant conscient qu’il y a des milliers de formes de musique et des milliers de façons de faire la musique, et qu’il doit y en avoir pour tout le monde. C’est un peu la même chose que pour l’amitié : il y a forcément quelqu’un avec qui nouer des relations fondées sur l’amitié, et cela est forcément quelque chose de personnel. Avec la musique, c’est la même chose ! Dans un millier de personnes assistant à un concert, chaque personne a sa propre perception de l’interprétation qui lui est proposée. C’est, me semble-t-il, quelque chose à préserver en ne se laissant pas trop influencé par les courants de mode. Il faut plutôt essayer de comprendre ce que l’on recherche dans la musique, et savoir si ce que l’on écoute répond à cela.

 

LEXNEWS : "Quelles sont les qualités que vous attendez d'un élève qui apprend ce répertoire ? et pour un enseignant ?"

 

Jordi SAVALL : La première qualité de l’enseignant est de connaître au maximum son métier en tant que musicien, mais également sur le plan historique. Il doit être capable de pouvoir expliquer la relation entre l’Histoire et la Musique. Il doit également avoir une expérience suffisante afin d’être capable de discerner ce qui possède une valeur, et de quelle manière l’aborder. Pour un élève, j’attends la réceptivité et la sensibilité, la fascination pour approfondir un travail. Ce sont, à mon avis, des conditions essentielles pour avancer dans l’apprentissage d’une discipline. C’est un peu la même approche que pour le mélomane : il est indispensable de prendre conscience que les choses se gagnent avec le temps que l’on y passe et la persévérance à aller plus loin. Il faut également un certain talent. Même si la musique peut apprendre à développer une certaine technique, des connaissances stylistiques et à jouer d’une manière plus virtuose, il reste que l’élément le plus essentiel ne peut être appris ! La capacité à s’exprimer, le fait de faire vivre une musique par sa propre émotion est une démarche qui ne peut être acquise. L’enseignant peut aider à mieux faire ressortir cela, à l’exprimer plus facilement, mais il faut avoir quelque chose à dire. Cela, on doit le porter en soi-même, parfois très caché.

 

LEXNEWS : "Vous évoquez à plusieurs reprises l'importance de la maîtrise du corps pour un musicien quant à son instrument. A côté de l'aspect technique, pouvez vous nous en dire plus ?"

 

Jordi SAVALL : Le musicien, qu’il soit chanteur ou instrumentiste, travaille avec son corps et son corps fait partie de l’instrument. Donc l’instrument, que ce soit l’archet ou les cordes, est touché par les doigts, eux mêmes liés à un bras, et celui-ci à un corps. Tout doit être en harmonie afin d’utiliser l’énergie. Celle-ci doit circuler librement à travers le corps pour que le son, soit dans la voix, soit dans l’instrument, puisse passer aux auditeurs librement. Tout cela implique une maîtrise qui permette d’être relâché et de ne pas avoir des tensions. Cette maîtrise est absolument fondamentale puisqu’elle traduit l’harmonie du corps liée à l’harmonie de l’esprit. Ces deux éléments sont indissociables : c’est un des apprentissages essentiel ! C’est d’ailleurs pour cette raison que la musique est si bénéfique, notamment pour des personnes qui rencontrent des problèmes psychologiques. C’est une thérapie fabuleuse car elle oblige à se laisser porter. Lorsque vous chantez, si vous n’êtes pas libre vous ne parvenez pas à chanter. C’est également lié à un geste de communication, un geste de bonheur. Faire de la musique doit être un moyen d’être heureux avec les autres. Pour cela, il faut se laisser porter, c’est un moment de fusion. Cela implique bien sûr d’éliminer les problèmes qui pourraient interférer. Plus tôt, cela est intégré, mieux cela vaut. Un enfant peut apprendre à jouer ou chanter sans remarquer ce que cela va lui coûter, alors que lorsque l’on commence plus tard, l’effort peut apparaître beaucoup plus douloureux. Il faudra lutter pour acquérir des gestes moins naturels.

 

LEXNEWS : "Quels principes ou valeurs vous guident et vous permettent de concilier vos recherches musicologiques, vos enseignements, vos concerts, votre maison d'édition,… ?" 

 

Jordi SAVALL : Je pense que la chose la plus fondamentale est qu’à un moment donné de ma vie j’ai compris que la musique était le domaine dans lequel je pouvais m’exprimer le mieux et être utile. Un autre élément essentiel a été de partager cela avec les gens que j’aime. Ces éléments qui peuvent paraître aussi simples sont pourtant fondamentaux. Si l’on réalise un travail qui est souvent très épuisant et qui oblige à une perpétuelle discipline, cela n’est possible que si on le partage avec des personnes avec lesquelles on se sent bien et avec qui l’on aime faire ce travail. C’est à mon avis l’explication de tout le reste !

Si nous avons fait un certain type de répertoire, c’est parce que nous nous sentons vraiment en communion. Cette approche est élargie aux personnes qui nous ont rejoint : des anciens élèves, des stagiaires, qui partagent les mêmes idéaux. C’est ainsi que nous avons envie de découvrir certains domaines. Par exemple, lorsque j’étais violoncelliste, j’étais fasciné par la musique de viole sans le savoir puisque je la jouais avec un violoncelle ! C’était l’envie de connaître un instrument inconnu, un répertoire extraordinaire. Tout cela fait, qu’à un certain moment, j’ai eu du plaisir à consacrer mon temps afin de conserver la mémoire d’une histoire, et en même temps, de faire partager cette mémoire à un plus grand nombre de personnes.

 

LEXNEWS : « L’amitié et l’amour seraient ainsi les valeurs essentielles pour une meilleure communication ? »

 

Jordi SAVALL : Oui, pour faire partager tant de merveilles qui ont été créées par des musiciens tout au long de notre histoire…

 

LEXNEWS : “Pouvez vous nous présenter votre dernier disque “OSTINATO » sorti sous votre label Alia Vox ?"

 

Jordi SAVALL : “OSTINATO” est un disque pour lequel j’ai recueilli un certain nombre d’œuvres qui me fascinent depuis de nombreuses années par leur beauté et leur extraordinaire structure qui mélange improvisation et création. C’est la continuation du projet « La Folia » que j’avais réalisé il y a quelques années. J’ai voulu poser dans ce disque un choix d’œuvres qui toutes me semblent essentielles dans ce type de répertoire. Toutes sont des œuvres composées sur une basse obstinée. Mais, il n’est pas possible d’imaginer un plus grand contraste que celui de ces œuvres : cela part de la simple improvisation comme le Canaris jusqu’à l’œuvre la plus élaborée quant au contrepoint comme le « Greensleeves to a Ground » ou le "Kanon und Gigue" de Pachelbel, en passant par les merveilleuses variations de Biagio Marini et de Merula qui sont des petits chefs d’œuvre. L’idée est donc de réunir dans un disque toutes les différentes lectures de ce monde si particulier, et qui étaient si essentielles pour le développement du langage musical.

 

LEXNEWS : "Jordi SAVALL, merci et à bientôt !"

 

Les Interviews de LEXNEWS : Rolf LISLEVAND

 

Rolf LISLEVAND, un des meilleurs musiciens de théorbe et de guitare baroque a accordé une interview à LEXNEWS lors du Festival D'Ambronay.

LEXNEWS : "Rolf LILSEVAND, nous avons été frappés lors de la présentation de votre disque consacré à Santiago de Murcia "Codex" par le caractère pluriculturel et atemporel de cette musique. Cela pourrait il être le reflet de votre propre parcours ?"

 

 

Rolf Lislevand : "Oui, et pas seulement le mien mais également celui du groupe ! je suis d'origine norvégienne, j'ai émigré en Italie en passant par la Suisse, et j'enseigne en Allemagne. Avec l'expérience passée auprès de Jordi Savall et des autres groupes, j'ai beaucoup voyagé. Je me sens assez citoyen de l'Europe. 

Le travail que nous avons fait sur Codex de Santiago de Murcia consiste, non seulement à s'identifier à l'œuvre d'un compositeur, mais surtout à une certaine manière de faire la musique, un esprit dans un certain moment de l'histoire de la musique. On se donne un certain nombre de règles pour la recréation de cette musique, règles acquises par la maîtrise des instruments anciens et un travail musicologique. 

A cela s'ajoute certainement quelque chose de plus particulier, à savoir notre expérience en musique improvisée, ce qui donne certainement une attitude différente de ce qui est généralement fait dans la musique classique. Nous approchons ainsi la musique avec l'idée de recréer une atmosphère, une identité d'un personnage instrumentiste, plus que d'interpréter l'œuvre pour elle même. Cet intérêt pour l'œuvre pour elle même appartient selon moi à une autre époque, à savoir l'époque baroque. Cela concerne un nombre spécifique de grands noms symboliques de la musique baroque à coté desquels existent d'énormes traditions musicales très diversifiées, qui selon le pays et la période donnés, peuvent changer radicalement en 20 ans ! Il y a des traditions orales à cette époque qui consistent, pour les compositeurs de guitare ou de luth, à écrire de petits testaments dans lesquels est donnée une grande variété du langage utilisé, sans raconter l’histoire : ils donnent des phrases, expliquent leur culture musicale, mais ce n’est pas l’œuvre elle même car celle-ci se créée en fait au moment de l’interprétation, un peu de la même façon que pour le jazz ou la musique populaire. Cette approche est un des credo du groupe. 

L’autre credo est d’essayer de réaliser un répertoire dans lequel le luth ou la guitare figure comme soliste. La plupart du temps ces instruments sont limités à leur rôle d’accompagnement, rôle en effet le plus courant. Mais à l’époque, il existait également de grands virtuoses de ces instruments qui formaient des ensembles très réputés et appréciés en tant que tels. J’étais ainsi très curieux de voir s’il était possible de recréer cela au XXI° siècle !

 

LEXNEWS : "Quelle est votre position sur l’intérêt de jouer sur des instruments anciens ou copie d’anciens ?"

 

Rolf Lislevand : "Pour moi, c’est le credo principal, la musique ne peut pas se dissocier d’un instrument, pas plus que la technique instrumentale. Si l’on souhaite apporter quelque chose en rejouant le répertoire de cette époque, c’est à partir du langage de l’instrument. L’instrument va toujours dicter son style musical : le fait même de le tenir en main, va développer instinctivement un langage. Si l’instrument est correctement reconstruit, tout est possible : le contrôle du son, le toucher si cher à l’époque ancienne. Si on ne respecte pas cela tout est fini !

L’instrument est, en effet, un des premiers critères pour refaire cette musique, et proposer une interprétation qui a une valeur pour elle même et pas exclusivement comme un document historique.

Malheureusement, les instruments à cordes pincées historiques ne sont plus jouables en raison de leur facture."

 

LEXNEWS : "Comment concilier l’espace confidentiel de ces instruments joués à l’époque dans des pièces plus petites qu’aujourd’hui et la popularité grandissante du public pour ces instruments ?"

 

Rolf Lislevand : "C’est une question, en effet, très importante car elle fait intervenir deux éléments : un premier, d’ordre financier, qu’il faut prendre en compte. Un second plus intéressant qui est resté trop souvent dans l’ombre de l’aspect financier, qui consiste à dire que chaque instrument a son espace et son volume d’écoute. Malheureusement, cet élément est rarement respecté dans les programmations : c’est dommage car toute musique a besoin d’une certaine intimité pour être une véritable expérience musicale. L’intimité pour le son, c’est un volume mais également une proximité par rapport à la source du son. Ainsi, dans une petite salle, le jeu d’un luth ou d’une guitare donnera une quantité de couleurs et de nuances merveilleuses qui offriront une expérience très complète du son et donc une communication musicale également totale. Mais ce phénomène s'éloigne aussi très vite en fonction de la taille de la salle : et à un moment, c’est l’atmosphère de la salle qui est perçue, et non plus celui de l’instrument et de la musique !

Je trouve qu’il y a un parallèle assez curieux : aujourd’hui avec la musique rock, pour un groupe très important qui se produit dans un grand stadium de 30 000 personnes, on va amplifier la musique avec la technologie afin de reproduire une intimité égale à celle que pourraient avoir huit personnes dans une salle écoutant un luth ! C’est la même chose qui est recherchée : la proximité, le volume du son. La musique ne passe pas seulement par les oreilles, la tête, elle est également ressentie par des vibrations et des sensations physiques. Nous avons des témoignages historiques selon lesquels certains luthistes mordaient leur instrument afin de mieux ressentir les vibrations par l’intermédiaire de leurs dents !

Et cela, c’est une donnée que l’on a totalement perdue car cette musique est placée dans un cadre qui correspond à celui de la musique du XIX° s. Le cadre de la musique baroque est différent : nous avons des récits d’un grand luthiste français du  XVII° s. qui était invité chaque mercredi soir pour jouer en présence de 8 ou 10 personnes, des humanistes, d’un rang social élevé, dans une toute petite salle autour d’un verre de vin et en fumant la pipe.  C’est ce contexte qui est occulté aujourd’hui. On reproche trop souvent à ce répertoire de la corde pincée d’être trop difficile d’accès : mais ce n’est pas cette musique qui doit être mise en cause mais le cadre dans lequel elle est proposée et qui ne lui correspond plus."

 

LEXNEWS : "Est ce que le disque pourrait être un substitut pour recréer ce cadre ?"

 

Rolf Lislevand : "Tout à fait ! Il est évident que le disque apporte une réponse car il permet de retrouver une certaine intimité. La seule difficulté pour nous est qu’il est indispensable de réduire le décalage entre l’écoute de nos disques par notre public et ce que nous pouvons proposer en concert afin de ne pas les décevoir."

 

LEXNEWS : "Quels sont vos projets concernant votre ensemble et la prochaine sortie de votre disque ?"

 

Rolf Lislevand : "Nous allons très prochainement sortir un disque qui s’intitule « Alfabeto » (sortie prévue mi-octobre chez Naïve ). L’Alfabeto est une forme d’écriture à la fois primitive et un peu mystérieuse pour la musique de la guitare baroque. C’est un système qui part du principe que les auditeurs ont déjà une grande culture et peuvent, avec leurs oreilles, rajouter des choses qui ne sont pas vraiment présentes dans l’écriture. Cette idée n’a jamais été prise au sérieux, il n’y a d’ailleurs pas beaucoup de choses réalisées la concernant. C’est justement cette absence d’information qui nous a inspirée !

C’est une musique qui est centrée essentiellement sur le compositeur John Paolo Foscarini avec un recueil d’œuvres à Rome en 1640. Ce sont des œuvres très intéressantes : certaines sont assez simples, il s’agit de chansons que nous faisons avec une instrumentation qui est riche, d’autres sont plus académiques et sont également intéressantes car elles sont l’héritage d’une Renaissance tardive (fin XVI° s.). Pour ces pièces, on va assister à ce qui se produit pour la peinture : pour une même œuvre, le fait de décaler ou de changer de proportions les formes va conduire à une nouvelle œuvre !

Ces compositeurs pour guitare sont très modernistes et assez difficiles d’accès : nous avons choisi d’en faciliter l’accès, sans je l’espère les dénaturer pour autant !"

 

LEXNEWS : "Rolf Lislevand, merci et nous vous disons à bientôt pour la présentation de votre prochain disque dans notre revue"

 

Les Interviews de LEXNEWS : Olivier SCHNEEBELI

 

 

A l’occasion de la reprise des auditions de la Chapelle Royale  dans le cadre des Jeudis Musicaux de la Maîtrise du Centre de Musique Baroque de Versailles, le directeur musical, Olivier SCHNEEBELI a accordé une interview à LEXNEWS après avoir interprété avec les Chantres et les Pages des œuvres de Claude LEJEUNE (v. 1530 – 1600).

 

 

LEXNEWS : « Que ressentez-vous lorsque vous pensez que 3 siècles auparavant, vos prédécesseurs interprétaient cette musique dans ces mêmes lieux, avec de jeunes enfants semblables aux Pages et aux Chantres que nous venons d’écouter ? »

 

Olivier SCHNEEBELI : Lorsque nous nous trouvons près du grand orgue de la Chapelle, à l’endroit où à l’origine les Pages et les Chantres se trouvaient, je me dis qu’il doit y avoir un grand nombre de fantômes qui doivent nous regarder et nous écouter !

Nous nous sentons à la fois très petits, et en même temps, investis d’une immense mission. C’est très impressionnant ; en même temps, cela nous donne beaucoup de force. Nous travaillons directement avec les musicologues du Centre de Musique Baroque qui sont dans les mêmes bâtiments. A partir des éditions originales et des manuscrits, nous élaborons nos éditions, et tout de suite, nous exécutons les pièces. Ainsi, nous avons l’impression de nous retrouver à  cette époque où l’on donnait la musique pour la messe du Roi. C’est donc un lieu très porteur pour notre travail.

Certes, l’acoustique n’est pas appropriée pour tous les répertoires. De plus, nous réalisons la plupart des concerts en bas, devant l’autel, alors qu’à l’origine cela se déroulait au dessus, de chaque coté de la tribune de l’Orgue où l’acoustique est meilleure. Le Roi assistait aux représentations face à la tribune, également à l’étage. Mais aujourd’hui, pour les spectateurs, il n’est pas très agréable de ne pas pouvoir voir les musiciens dans leur inspiration. 

 

LEXNEWS : « Quelles différences notables relevez-vous dans le travail que vous effectuez avec la Maîtrise du CMBV au quotidien et ce que l’on peut connaître du travail des Maîtrises de l’époque baroque ? »

 

Olivier SCHNEEBELI : Ce que l’on sait du travail de l’époque baroque, c’est que l’on apprenait aux enfants le catéchisme et la musique. Bien sûr, aujourd’hui, les enfants ont plus de temps pour travailler la musique ! L’apprentissage de la musique n’était pas le même : aux XVI et XVII° siècles, il n’y avait pas la notion de tonalité, on parlait de mode. La solmisation était très différente. Nous nous penchons sur ces problèmes : nous avons beaucoup d’ouvrages sur la manière d’apprendre la musique aux enfants et cela peut nous aider. Nous nous servons des Solfèges  de CORRETTE et d’autres auteurs, ce qui est très intéressant. Nous travaillons également les traités de chant de l’époque : celui de BACILLY pour exécuter toute l’ornementation qui est propre au 17° siècle. C’est un gros travail en amont des professeurs avec les jeunes chanteurs. Les enfants travaillent beaucoup par mimétisme, les plus grands leur servant de modèles. Pourtant, je cherche à conserver à chaque voix son individualité propre. C’est une démarche très française. En effet, dans l’orgue français, il y a une diversité de jeux très colorés, très différents ; accouplés ces jeux fonctionnent pourtant parfaitement !

C’est pour ces raisons également que, dans le chœur, nous avons de jeunes chanteuses adultes avec les enfants. Nous savons qu’à l’époque, à la Chapelle royale, au début du XVIII° siècle, il y avait, pour chanter les parties de dessus, des pages et des chanteuses, avec, par exemple, les nièces de COUPERIN, et les filles de LALANDE. Il y avait également quelques castrats, ce qui n’est plus d’actualité bien sûr. On obtenait quand même une cohésion avec ces timbres très différents et chaque timbre ne nuisait pas au reste mais au contraire ajoutait une richesse à l’ensemble. C’est ce que nous essayons de retrouver aujourd’hui avec les Pages et les Chantres.

Les timbres devaient être différents à l’époque : si nous écoutons, sur l’orgue Clicquot de la Chapelle Royale, le jeu de la Voix humaine, c’est très curieux. Nous obtenons, en effet, un timbre très nasal, et je pense que l’on devait chanter comme cela. Nous savons que les voix d’hommes dans les églises étaient souvent accompagnées par le serpent. On retrouve cette sorte d'émission dans certains chants populaires comme les chants sardes, bulgares, ou corses avec cet appui très laryngé. Pour certaines pièces, nous essayons de retrouver ce timbre : bien sûr, nous sommes à une époque où nos élèves ne font pas que de la musique baroque, ils font aussi d’autres répertoires. Il leur faut ainsi une technique qui leur permette de réaliser ces autres répertoires, mais très souvent je leur demande un son très direct, très "accroché", facilité par la prononciation du vieux français !

 

LEXNEWS : « Nous interrogeons souvent les artistes qui enregistrent sur le fait de savoir s’ils font une différence entre le concert et le disque. A la lumière du prochain disque à sortir chez EMI, enregistré à l’occasion du concert des journées DELALANDE organisées par le CMBV, pouvez vous nous livrer votre expérience ? »

 

Olivier SCHNEEBELI : Je vais vous faire une confidence : je déteste faire des disques en studio ! Dans un concert, c’est tout à fait autre chose. On marche à l’inspiration, il faut convaincre le public, le séduire, il y a l’excitation du concert. Je ne trouve pas ces éléments dans un enregistrement en studio. Ce qui fait qu’un enregistrement « live » est peut être moins parfait puisqu’il y a moins de prises, mais le résultat est plus vrai et plus proche de ma conception de la musique et de son exécution. Je trouve très épuisant le fait de pinailler sur deux notes en studio qui vont conduire à  une nouvelle prise ! Certains musiciens vont diront bien sûr le contraire, car ils n’aiment faire que cela. Plus que la qualité d'une prise de son, c'est la musique enregistrée qui m'intéresse. Je possède de vieux disques vinyles qui grattent, et pourtant qui me plaisent infiniment plus que des disques mastérisés qui finalement deviennent pasteurisés ! Nous entendons de plus en plus souvent des sons stéréotypés avec ces enregistrements. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui les ingénieurs du son font autant le disque que les interprètes.

Avec un enregistrement en concert, nous ne pensons plus à cela, nous ne pensons qu’à faire de la musique. Même pour les reprises de certains passages après le concert avec le public c’est une tâche facile car nous sentons le public qui est derrière nous, et qui d’une certaine manière participe à ces ajustements.

 

LEXNEWS : « Quels sont vos projets pour les mois à venir ? »

 

Olivier SCHNEEBELI : Nous en avons beaucoup ! Nous avons un enregistrement programmé des Motets et Psaumes de Claude LE JEUNE qui devrait sortir en février chez ALPHA.

 

LEXNEWS : « Vous semblez apprécier particulièrement Claude LE JEUNE ! »

 

Olivier SCHNEEBELI : Oui, c’est un compositeur qui est très peu connu et qui est pourtant un compositeur majeur de la Renaissance. Il est aussi à la charnière de deux siècles : c’est un compositeur pré-baroque. L’esthétique baroque n’a pas été dans le sens qu’il a indiqué : il est un monolithe dans son siècle. Cela aurait pourtant pu aller dans ce sens, mais vouloir calquer à tout prix la déclamation française sur une déclamation latine ou grecque avec les longues ou brèves ne correspondait pas à la structure des vers français qui fonctionnent avec la rime et le nombre de pieds. C’est tout de même une musique issue de recherches poussées très loin ! Cette musique est très difficile à travailler techniquement et rythmiquement. Il y a énormément d’ornementations, de diminutions très raffinées qui sont très difficiles pour les chanteurs. C’est une musique très atypique, à cause, justement, de cette métrique tout à fait particulière.

Nous préparons également plusieurs concerts dont un à Lyon dans le cadre du Festival du vieux Lyon : la Messe à 4 chœurs de Marc Antoine CHARPENTIER  avec un petit nombre : juste les Chantres et quelques pages répartis dans l'espace comme le voulait CHARPENTIER, dans une sorte de carré. C’est une musique absolument étonnante qui est inspirée par les musiques polychorales italiennes, ce qui laisse à penser que CHARPENTIER, même si le doute demeure sur ses visites éventuelles en Italie, a été fortement au contact de la musique de ce pays.

Nous allons mettre en chantier un compositeur également peu connu de l’époque de Louis XIII, Etienne MOULINIE avec son Cantique de Moïse, magnifique paraphrase due à l’Abbé Antoine GAUDEAU.

Nous avons, enfin, un projet avec Martin GESTER sur un compositeur qui était à Reims dans la deuxième moitié du XVIII° siècle : Henri HARDOUIN.

 

LEXNEWS : Olivier SCHNEEBELI, nous vous remercions pour cette présentation de votre travail dont LEXNEWS se fera régulièrement l’écho dans ses colonnes.

 

 

Les Interviews de LEXNEWS : Hugo REYNE

 

 

A l'occasion de la sortie du 3ième volume de la collection "Lully ou le musicien du Soleil" intitulé "La Grotte de Versailles" chez Accord-Universal, LEXNEWS a interviewé Hugo REYNE, chef de l'ensemble "La Simphonie du Marais". 

 

LEXNEWS : "Quelle est l'origine du nom de l'ensemble que vous dirigez "La Simphonie du Marais ?"

 

Hugo REYNE : J’ai cherché pour ce nom à allier le côté musical et le côté patrimonial : « Simphonie » pour la musique parce qu’il me semble qu’un ensemble doit avoir une connotation musicale, ce qui n’est pas toujours le cas. Et puis, un quartier de Paris représentatif de la musique baroque :  le Marais, avec ses hôtels particuliers du XVII° s. Le Marais est un quartier très varié (plus restreint à l’origine: historiquement le côté Saint Paul du Marais), quartier qu’il faudrait d’ailleurs faire revivre en musique. Charpentier a officié à Saint Paul. Ces lieux ont un passé historique important, avec leurs salons, le théâtre du Marais au XVII° s…Cela pourrait être l’un des axes de travail de la Simphonie du Marais. Nous aimerions, en effet, faire renaître le Festival du Marais… J’ai cherché un nom à la fois musical et historique. L’un des buts majeurs de notre ensemble est d'interpréter les musiques dans les lieux où elles ont été jouées à l’époque, ou du moins, dans leur contexte.

La Simphonie a été créée en 1987, suite aux célébrations commémoratives du tricentenaire de la mort de LULLY, lors de la naissance du Centre de Musique Baroque de Versailles, et à l’instigation à l’époque de l’ADIAM 78. J’avais fait un petit programme LULLY avec une dizaine d’instrumentistes seulement, même neuf exactement !, parmi lesquels les têtes d’affiches d’aujourd’hui, si on peut dire : Christophe Rousset au clavecin, Marc Minkowski au basson,  Florence Malgoire et Philippe Couvert au violon, Anne-Marie Lasla à la viole, Randall Cook au hautbois, Pascal Monteilhet au théorbe … une petite équipe de la jeune génération de la musique baroque que j’avais rassemblée pour cet évènement LULLY en un seul concert en 87.

  

LEXNEWS : "A l'occasion du concert donné à Pontoise dans le cadre des journées Lalande, vous avez joué deux pièces de LULLY et LALANDE faisant intervenir des monuments célèbres de Versailles (en l'occurrence les jardins et fontaines) : pouvez vous nous expliquer quels étaient les liens qui unissaient la musique et le cadre pour lequel elle avait été composée ?"

  

Hugo REYNE : C’est une des activités qui était prédominante  lors de la construction du nouveau Château de Versailles qui succédait au Château de Louis XIII, un pavillon de chasse. Je pense que, comme toute personne, lorsqu’on investit un nouveau lieu, un lieu de vie, cela prend une importance considérable….ce fût bien sûr le cas pour Louis XIV. Il était assez évident que pour des compositeurs qui voulaient bien être vus du Roi, ils se devaient de composer des œuvres à la gloire des jardins de Versailles. DELALANDE, je dis DELALANDE, certes on peut dire LALANDE, mais, lui même signait DELALANDE en un seul mot. Donc, je respecte ses volontés ! DELALANDE débute sa carrière en 1683 avec les Fontaines de Versailles. Il faut savoir que la Cour s’installe définitivement en 1682 à Versailles. Ce point est trop souvent oublié, car on a souvent tendance à associer Versailles à l’ensemble du règne de Louis XIV en oubliant ainsi Saint Germain en laye. J’aimerai à ce sujet faire des choses importantes à Saint Germain en laye, comme nous essayons de le faire à Fontainebleau. Il n’y a pas qu’un seul Château en Ile de France ! Il y avait également beaucoup de jardins et de grottes à Saint Germain en laye…

La nouveauté dans la vie de Louis XIV, c’est en 1682, son installation à Versailles. Ainsi,  la composition des Fontaines en 1683 apparaît pour DELALANDE presque naturelle. Pour LULLY, la grotte de Versailles  était une construction plus ancienne et qui sera certes détruite lorsqu’il  la jouera pour la première fois en 1668. Mais, c’était un lieu qui se prêtait très bien à la musique avec ses échos dans la composition musicale. Il ne faut pas oublier, qu’à l’époque, il n’y avait pas d’opéra royal, pas de salle. Pour le spectacle, c’était donc toujours des théâtres de verdure ou des appartements avec dès lors des problèmes de places.  La grotte de Versailles apparaît alors comme un lieu musical par excellence, ce qui explique que LULLY ait composé sur ce thème. Ce qui est intéressant également, c’est qu’il compose avec QUINAULT. Ce sera leur premier essai ensemble.

Ainsi, deux lieux sont mis en valeur par la musique : les grottes et les jardins avec leurs fontaines qui sont toutes des allégories. Concernant les jardins et fontaines, DELALANDE s’associe avec Antoine MAUREL qui est un chanteur de la Chapelle Royale et qui est un librettiste à ses heures. Cela appelle un travail intéressant pour mettre dans la bouche de ces fontaines des louanges pour le Roi. Il y aura également tout un contexte mythologique…

 

LEXNEWS : "Vous avez eu recours, lors de ce concert, à un substitut original : l'intervention d'une comédienne jouant le rôle d'un guide faisant la visite des jardins du Château de Versailles, et ce tout au long des étapes des musiques interprétées. N'est ce pas là  une façon de remettre cette musique dans le contexte où elle était la plupart du temps exécutée ? Dans ce même esprit, est il possible de comprendre cette musique sans les danses qui l'accompagnaient souvent ? "

  

Hugo REYNE : Le contexte est toujours une priorité selon moi : il y a toujours quelque chose de visuel qui nous manque dans un concert. C’est le cas aussi pour toute musique de scène : on peut faire Didon et Enée de Purcell sans mise en scène, ce sera bien, mais le public risque de ne pas comprendre l’histoire. Il est également possible de faire des mi-chemins, c’est cependant parfois dangereux et difficile. Il s'agit alors du mise en l’espace, concept à la mode aujourd’hui, faute de moyens suffisants. Pour ces deux œuvres, j’ai choisi de faire appel à une comédienne. En fait, l’idée est venue de la comédienne elle même : être une guide-conférencière versaillaise qui arrive avec son parapluie et son imperméable et qui rassemble le groupe pour présenter les jardins. C’est à mon avis une bonne manière pour faire appel à l’imaginaire du public. Elle présente et parle des lieux. Le public les imagine à sa façon, c’est cela qui est important. A l’origine, cette musique de LULLY était jouée dans les appartements avec des costumes. Une mise en scène et un texte qui avaient un écho obligatoirement différent autrefois par rapport au public d’aujourd’hui. Il est à mon avis utile de faire des références à la mythologie de nos jours, sans pour autant tomber dans l’animation scolaire, afin de redonner le contexte de ces œuvres. La guide conférencière joue ce rôle : lorsque nous visitons un château, ces personnes sont là pour nous remémorer des données que nous sommes sensées savoir !

J’ai pris le dictionnaire de la fable de CHOMPRE et, à partir de ses notices, les explications sont livrées au public par la conférencière sur des personnages mythologiques comme Diane, Vénus, …Pour les fontaines de Versailles, c’est en effet particulièrement précieux : Encelade, le géant, qui osa défier les Dieux est ainsi présenté au public. Latone, Bacchus, Diane sont remis ainsi en place dans les esprits avec leurs attributs.

Je n’hésite pas à faire moi même un petit discours au début d’un concert, lorsque je n’ai pas une comédienne, afin de replacer le contexte de l’œuvre interprétée, ou bien lors d’un bis, lorsque le lieu du concert a connu un événement historique important pour l’œuvre jouée. C’est en fait un souci de mémoire !

En ce qui concerne la danse, j’ai beaucoup travaillé sur ce thème et les différents caractères de la danse française. C’est capital. Dans les deux oeuvres dont nous parlions, il n’y a pas trop de danses. Mais en effet pour certaines compositions c’est beaucoup plus problématique : si nous ne pouvons pas les reproduire il faut trouver des palliatifs. J’ai beaucoup travaillé avec Francine Lancelot et ses élèves. Je n’ai pas eu encore l’occasion de monter un ballet avec des danseurs, cela reste encore à faire… Les danseurs baroques aujourd’hui sont un peu comme les chorégraphes contemporains : ils ne choisissent pas des œuvres à part entière. Ce serait en effet un travail énorme. Prenons un ballet de LULLY, nous n’avons plus ses chorégraphies. Nous avons certaines chorégraphies à partir de 1700, date à laquelle LULLY est déjà mort. Il y a évidemment les opéras baroques mais c’est autre chose. Le travail avec les danseurs est toujours passionnant, difficile aussi ! J’ai fait "Monsieur de Pourceaugnac" avec des danseurs. Mais là, c’était une comédie-ballet qui en fait était devenue un ballet-comédie où la danse était prédominante ! L’équilibre n’est en effet pas toujours facile à trouver. La danse baroque n’est pas encore assez représentée même si le travail de Francine Lancelot est accompli sur le plan de la recherche. Le problème est surtout un problème financier, nerf de la guerre. Je pense qu’il faut aujourd’hui prendre une œuvre vraiment conçue pour la danse, un ballet de LULLY par exemple et le monter. En ce qui me concerne, en tant que chef d’un ensemble, je n’ai pas un budget suffisant pour la danse. A défaut, j’ai cherché à palier ce manque de danse en ayant recours, comme vous l’avez relevé, à l’imaginaire grâce à une comédienne. Je pratique aussi des mises en l’espace ou en faisant jouer la comédie aux chanteurs. J’ai toujours essayé de rapprocher poésie et musique : à l’époque, pour la grotte par exemple , le librettiste QUINAULT était souvent mis en exergue contrairement à aujourd’hui.

  

LEXNEWS : " Nous interrogeons souvent les artistes qui enregistrent sur le fait de savoir s’ils font une différence entre le concert et le disque. "

  

Hugo REYNE : J’ai fait une quinzaine d’enregistrements : pendant longtemps j’ai pratiqué de manière traditionnelle sur trois jours en faisant six services c’est à dire deux services par jour. Nous répétons ainsi jusqu’à ce que cela soit bien, puis nous faisons le montage pour prendre tous les bons passages et les assembler. Les choix ne sont alors pas toujours faciles à faire !

Aujourd’hui, pour nos deux derniers disques, nous avons enregistré en concert. Ce sont le volume 2 « Ballet de Flore » et le volume 3 « La Grotte de Versailles ». Ces deux disques ont été enregistrés au cours du même concert !

L’enregistrement en concert est difficile, car c’est un risque que tout le monde prend ensemble. Nous ne pouvons pas revenir dessus. Nous essayons d’enregistrer la générale et le concert. Très souvent nous gardons la version concert. En effet, la générale est souvent moins vivante en raison de l'absence du public. Mais, cela est également difficile, car nous livrons au public quelque chose qui ne peut pas être corrigée. Il y a bien sûr une inégalité par rapport aux enregistrements en studio, surtout que la mention « live » n’est pas toujours explicite ! Mais, en échange,  nous avons aussi plus de vie. C’est d’ailleurs pour ces raisons que l’on ne remplacera jamais le concert par le disque. Bien sûr, avec le concert, il ne reste plus que le son ! Il faut également savoir, qu’aujourd’hui, il est plus coûteux de faire des enregistrements en studio.

Notre choix est justifié également par le lieu dont nous pouvons disposer, à savoir l’Opéra Royal de Versailles. Ce n’est pas n’importe quel lieu ! C’est un endroit qui a tellement vécu de musiques et de théâtres... Qui plus est, c’est un lieu calme, ce qui n’est pas toujours facile à trouver ! L’acoustique est peut être un peu sèche, mais il ne faut pas oublier que parfois, certains enregistrements de musiques profanes ont lieu dans des églises avec beaucoup de réverbérations et d’amplifications qui n’existent pas au naturel, ce qui peut décevoir le public en concert dans d’autres contextes. Là, nous avons une vraie acoustique de théâtre, nous ne trichons pas. C’est un réel plaisir d’enregistrer dans ce lieu, et nous espérons continuer chaque année de donner un ouvrage de LULLY grâce au Centre de Musique Baroque de Versailles.

 

LEXNEWS : "Quelles sont vos dernières productions discographiques ? et pouvez vous nous indiquer vos projets pour les mois à venir ? "

 

Hugo REYNE : Nous enregistrons le Bourgeois Gentilhomme qui devrait sortir en 2002 pour ACCORD-UNIVERSAL sous forme d’un coffret de 2 CD, car la musique fait à elle seule déjà 1 heure 45. Nous ajouterons de la Comédie, là encore, pour que le public puisse remettre la musique dans le contexte. Nous allons faire l’inverse de ce qui se fait d’habitude. Très souvent, en effet, les metteurs en scène coupent la musique pour ne plus avoir que la comédie dans le Bourgeois Gentilhomme. Il ne faut pas oublier que cette pièce a été composée à 50 % de texte et 50 % de musique. Puisqu’il s’agit d’un disque, nous n’allons bien sûr pas donner toute la comédie, mais nous allons en donner de larges extraits, et notamment tout ce qui a trait à la musique : par exemple le début, avec le maître de danse et le maître de musique. Nous aurons ainsi une vision nouvelle de ce Bourgeois Gentilhomme. Il n’y a pas eu en effet d’enregistrements de cette musique si ce n’est la Marche Turque dans des anthologies ou dans « Tous les Matins du Monde ». Il y a pourtant beaucoup d’autres musiques intéressantes dans cette œuvre. C’est une pièce importante car elle marque l’apothéose de la Comédie-Ballet en 1670. Nous avons ainsi une étape très importante pour l’histoire de la musique puisque tout va exploser une année plus tard avec l’Opéra. Tous les éléments de l’Opéra sont là, dans une pièce de théâtre !

Nous allons également préparer, en vue de l’enregistrement de l’année prochaine, une autre œuvre de LULLY, « Le triomphe de l’Amour ». C’est encore une œuvre avec QUINAULT, une œuvre de la maturité de LULLY. Elle se fera sans danseurs, mais offrira une musique superbe, avec de très beaux passages et une recherche d’instrumentation chez LULLY très intéressante. Nous allons également faire un Opéra comique de François-André PHILIDOR, l’un des créateurs de cette forme d’Opéra. Je m’attaque à la fois à la création de l’Opéra mais également à la naissance de l’Opéra comique quelques décennies plus tard. PHILIDOR est un personnage intéressant, joueur d’échecs fameux qui a laissé un Traité mais également un musicien plus méconnu aujourd’hui alors qu’il incarne l’esprit des Lumières du XVIII° s., dont DIDEROT parle dans le « Neveu de RAMEAU ». C’est un très bon compositeur, un très bon harmoniste. Nous avions déjà joué un opéra comique, « Sancho Pança » pour le Festival de Pontoise, il y a deux ans. Nous allons maintenant nous attaquer aux « Femmes Vengées », datant de 1775, avec un livret de SEDAINE de l’Académie Française, fameux pour s’être allié aux créateurs de l’Opéra Comique. Nous allons également reprendre notre programme « MOLIERE et la musique ». C’est un programme qui mêle musique et comédie et qui a demandé beaucoup de travail. Nous redonnons également notre programme de musique de plein air : LULLY, PHILIDOR, qui s’intitule « Malheurs de la Guerre et Plaisirs du Roy ». C’est un programme de musiques festives mais également funèbres, il y a un scénario dans ce programme, qui plait beaucoup au public. J’ai en prévision également un programme de concerts de flûte, car je suis bien sûr également hautboïste et flûtiste !

Nous venons également de sortir un disque consacré à « Attali » de RACINE avec une musique de Jean-Baptiste MOREAU qui disponible chez CALLIOPE. C’est la première fois que l’on enregistre cette musique originale d’Attali. Nous l'avons enregistrée avec Lambert Wilson qui déclame les alexandrins de cette tragédie.

Ce qui me manque personnellement c’est de ne pas faire plus de RAMEAU. Pour moi, c’est un grand compositeur, c’est notre génie du XVIII° s. Ce sera, je l’espère, un projet à moyen terme ! Il est difficile de faire du RAMEAU avec de petits effectifs, il faut des moyens considérables. En attendant, pour l’année prochaine, ce sera un programme LULLY et un programme PHILIDOR. Cela fait déjà beaucoup de travail ! Sachant que nous sommes, en effet, une petite association de deux personnes : mon amie Claire Guillemain sur le plan administratif et moi même sur le plan artistique. Un ensemble de musique baroque, c’est comme une petite entreprise. Nous employons environ soixante personnes par an qui sont des intermittents du spectacle. C’est donc beaucoup de travail pour deux !

Nous avons besoin de soutien financier pour monter nos projets. Des partenaires nous ont déjà fait confiance. Nous avons souvent été aidés par France Telecom. Depuis cette année nous sommes aidés par la DRAC. Nous sommes également aidés par l’ADAMI pour le Bourgeois Gentilhomme. Nous sommes toujours à la recherche d’une résidence. Nous espérons être encore aidés pour pouvoir faire plus et mieux ! Il y a tellement de choses à faire.

Pour le disque, nous souhaitons poursuivre cette entreprise LULLY, et pourquoi pas,  en 2032, quadricentenaire de la naissance de LULLY, avoir peut être terminé cette « intégrale », du moins ce vœu de faire rejaillir toutes ces œuvres qui dorment et qui méritent d’être entendues par le public puisque LULLY est le grand réformateur de notre musique française.

  

LEXNEWS : "Hugo REYNE, merci et nous vous souhaitons bon courage et nous ne manquerons pas de nous faire l’écho de cette sympathique Simphonie du Marais !"

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