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Édition Semaine n° 13 / Mars 2024

Lettre apostolique Sublimitas et Miseria Hominis Pape François

400e anniversaire de la naissance de Blaise Pascal

Interview Jean de Saint-Cheron

 

Clermont Auvergne Métropole

 Bibliothèque du patrimoine, GRA 6025

 

A l'occasion du 400e anniversaire de la naissance de Blaise Pascal, Lexnews a eu le plaisir de recueillir le témoignage de Jean de Saint-Cheron qui préface aux éditions Salvator la lettre apostolique du pape François sur cet intellectuel et homme de foi incontournable du XVIIe siècle.

 

Dans quel contexte avez-vous découvert la pensée de Pascal et par quel ouvrage ?

Jean de Saint Chéron : "Il me semble qu’en classe de première nous avions étudié le fragment « Infini-rien », celui que nous appelons couramment le pari. Je n’en avais pas gardé grand-chose, sinon une idée erronée de la foi de Pascal. Je ne sais pas si cela vient seulement du fait que j’avais été inattentif en classe, mais c’est bien possible. Bien des années plus tard, il y a une dizaine d’années, j’ai lu les Pensées et en ai été ébloui. J’en garde le souvenir d’une lecture grisante, même si je n’avais alors pas compris grand-chose à la cohérence de l’ensemble, ni à la profondeur de certaines réflexions".

Il peut paraître surprenant de prime abord qu’un pape appartenant à la Compagnie de Jésus (plus communément les Jésuites) tienne à célébrer le quatrième centenaire de la naissance de l’auteur de Les Provinciales qui en dénonça les travers.

Jean de Saint Chéron : " Cela peut paraître surprenant, mais nous savions depuis 2017 au moins que le pape François avait pour Pascal plus que de l’admiration (il avait alors évoqué la possibilité de sa béatification).
Par ailleurs les charges de Pascal contre les Jésuites dans les Provinciales sont liées à un contexte bien précis (la querelle de la grâce et le jansénisme de Port-Royal), et la théologie et la morale auxquelles il s’attaque (le molinisme et la casuistique relâchée) ne sont plus nécessairement défendues aujourd’hui par les Jésuites (pas tous, en tout cas !)".

Pouvez-vous nous rappeler quelle fut cette polémique qui opposa jansénistes de Port-Royal, amis de Pascal, et jésuites ainsi que la place occupée par la notion de miséricorde et de la « grâce de Dieu » ?

Jean de Saint Chéron : " Depuis saint Augustin et sa joute avec Pélage au tout début du Ve siècle, la question de la grâce de Dieu alimente le débat intellectuel. À l’époque de la nuit de feu, les Jésuites, sous l’influence du défunt mais tenace Molina, ferraillaient donc contre les Jansénistes à propos de la nature et de la grâce. Les premiers défendaient une vision pélagienne, ou plutôt semi-pélagienne (le libre arbitre jouant un rôle déterminant dans le salut, et la grâce, comparativement, un rôle moindre), tandis que les seconds se situaient du côté de l’augustinisme (la grâce est absolument première et nécessaire pour permettre à l’homme de faire le bien et d’obtenir la vie éternelle). À cela s’ajoute que les Jansénistes de Port-Royal contestaient la casuistique morale des Jésuites, qu’ils taxaient de laxisme et d’hypocrisie. Toute la Sorbonne en bruissait et – nous sommes sous Louis XIV – le pouvoir politique s’y intéressait aussi, en particulier parce que le jansénisme de Port-Royal était anti-absolutiste, et opposé à la religion mondaine".

 

En quoi réside le génie de Pascal pour le pape François dans cette lettre apostolique ?

Jean de Saint Chéron : " Le pape souligne le génie extraordinaire de Pascal dans bien des domaines (mathématiques, physique, etc.) mais ce qu’il met particulièrement en lumière c’est la façon dont Pascal a bien parlé de la condition humaine. Et s’il l’a fait, c’est pour montrer que parler de l’homme est une introduction au discours sur Dieu. Car « tout homme recherche d’être heureux », mais seul Dieu peut le combler. En dehors de l’infini de l’amour divin, l’homme est incapable de vérité et de bonheur.

Est-il encore possible de nos jours obnubilés de laïcité d’évoquer encore cette figure qui sut allier avec un rare talent raison humaine et recherche divine ?

 

Bien sûr qu’il est possible de l’évoquer ! Il suffit de regarder les journaux qui ont paru depuis le 400e anniversaire de Pascal, le 16 juin dernier (et même dans les mois qui ont précédé). À gauche, à droite, au centre, croyants ou non, tout le monde en a parlé, et cela avec pas mal d’honnêteté. La télévision et la radio s’en sont également emparées. Les pascaliens ne cessent de parler sur les ondes en 2023".

 

Comment percevez-vous cet « esprit de finesse » du philosophe que salue le pape François dans cette lettre ?

Jean de Saint Chéron : " L’esprit de finesse, qui ne s’oppose pas à l’esprit de géométrie (car on peut avoir les deux, et c’était évidemment le cas de Pascal), mais s’en distingue, permet d’avoir une « vue bien nette » des principes qui « sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. », écrit Pascal. Ici, pas de calculs méticuleux, car ce serait impossible : « Il n’est question que d’avoir bonne vue, dit Pascal. Mais il faut l’avoir bonne, car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or l’omission d’un principe mène à l’erreur. » C’est donc moins la part du spécialiste ou du chercheur, que la capacité à voir « d’un seul regard » une multitude de principes trop fins pour être maniés dans une équation, un laboratoire ou un syllogisme, capacité qui permet d’avoir une vue d’ensemble juste et certaine, mais qu’on ne saurait démontrer sur un tableau noir, car « on les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit, on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux-mêmes. Ce sont choses tellement délicates, et si nombreuses, qu’il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir et juger droit et juste selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent le démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu’on n’en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l’entreprendre. »

 

 

 


L’esprit de finesse qui permet de « voir la chose d’un seul regard » et de la reconnaître pour vraie nous met par analogie, sans se confondre avec lui, car la finesse relève bien de la raison spéculative, sur la voie de comprendre ce que Pascal nomme le « cœur », qui se situe non plus du côté de la raison, mais de la volonté : « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur, c’est de cette dernière sorte que nous connaissons
les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaie de les combattre. » Or ce « cœur » est à la fois l’organe par lequel nous connaissons les premiers principes (temps, espace, mouvement, etc.), mais aussi celui par lequel, si la grâce nous en a été donnée, nous avons la certitude de la foi, car le cœur est l’organe de l’amour, hors de quoi on ne peut pas connaître Dieu".

Auriez-vous un conseil à donner au jeune lecteur (ou moins jeune !) qui souhaiterait aborder la pensée ou les « Pensées » de Pascal ?


Jean de Saint Chéron : " Prendre une bonne édition, et une introduction à Pascal qui permette de relire les textes dans leur contexte, avec des clés de lecture. Celle que nous avons publiée avec Salvator, Blaise Pascal. Voilà ce que c’est que la foi, n’est pas mal du tout me semble-t-il !"


 

Propos recueillis par Philippe Emmanuel Krautter

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Jean-Luc Giribone

Par-delà la sagesse -  Comment vivre ?
 

 

A l'occasion de la parution de son dernier ouvrage "Par-delà la sagesse - Comment vivre ? " (Seuil), Lexnews a rencontré l'essayiste et romancier Jean-Luc Giribone sur cette quête spirituelle qui l'occupe depuis des années et qu'il partage généreusement dans cet entretien...

 


Le « verbe » est-il suffisant pour évoquer cette recherche de soi, thème de votre dernier ouvrage ?

Jean-Luc Giribone : " Non, bien sûr. À commencer par le terme même de « spiritualité », mot que je n’aime guère, car il est polysémique et flou. Je l’emploie cependant parce que je n’en trouve pas de meilleur, pour désigner ce qui n’est pas tout à fait une recherche de soi, mais plutôt une pratique, voire une technique de soi - j’emprunte ces termes à Michel Foucault, qui les emploie dans son Histoire de la sexualité. Destinée à quoi ? À provoquer un changement intérieur. Aux difficultés coutumières à parler d’une expérience intime, que ce soit la musique, la poésie, ou l’amour, s’ajoute ici une difficulté particulière : les mots qu’il faudrait employer ne prennent sens que dans et par l’expérience elle-même : c’est le travail spirituel qui, par son avancée, fait comprendre ce qu’il y a derrière tel ou tel mot. Les paroles de l’apprenti zen quand il atteint l’éveil le montrent bien : elles sont souvent des variations sur « c’était donc ça ! », accompagnées d’une surprise, ou d’une déception qui n’en est pas une : Lin-Tsi, par exemple, s’écrie : « finalement, il n’y avait pas grand-chose dans le bouddhisme de Houang-po ! » Cela arrive parfois dans la vie : on comprend brusquement ce que veut dire tel mot, ou ce que tel ou tel voulait dire en l’employant - on voit de l’intérieur ce qu’on voyait de l’extérieur. Mais ici cette prise de conscience est centrale - le mot « voie » par exemple, apparemment si clair, et pourtant très difficile à comprendre dans sa profondeur. Quand on y parvient, on peut dire (peut-être) que le travail spirituel sur soi est fini. Ce mot apparaît alors comme riche, beau, et étonnamment approprié.

Quitter ses repères - déséquilibre nécessaire - semble indispensable à toute recherche spirituelle. Pourquoi ces « sauts » et autres « pas de coté » ? Sont-ils nécessaires pour sortir de nos certitudes ?

Jean-Luc Giribone : " Cette expérience intérieure commence par un saut, parce qu’on ne peut pas, par définition, s’en représenter la fin - si tant est qu’il y en ait une. Dans un apprentissage classique - celui du piano, par exemple, on a une vague idée de ce qu’on atteindra. Rien de tel ici. C’est impossible puisqu’on veut précisément provoquer un changement intérieur. Comme dans une psychanalyse, on ne sait pas où on va, et le premier pas consiste à accepter ce non-savoir, et à partir pour l’aventure (au sens étymologique du terme) : c’est peu à peu que la fin (à la fois au sens de terme et de but) se met en place, s’explicite, et qu’on se dit : « C’est donc ça que je cherchais ! »

L’éveil est-il changement ? Doit-il passer par ce vide si déterminant pour certaines spiritualités extrême-orientales ?

Jean-Luc Giribone : " Oui, l’éveil est un changement intérieur, qui consiste au fond à voir… ce qu’on voyait déjà, à comprendre ce qu’on savait déjà, faire attention à ce qu’on négligeait. Et l’un des signes les plus sûrs qu’on commence à l’atteindre est qu’on cesse immédiatement de s’ennuyer.

La vie devient une expérience passionnante, une succession colorée de situations, dont chacune a sa spécificité. Pour parvenir à ce lieu d’observation à partir duquel on voit les événements naître et se dérouler, on s’efforce de s’affranchir de ce qui ordinairement fait obstacle à cette vision. On découvre alors qu’il y a, au centre de la vie, un vide d’où le sens apparaît fragile, mais aussi où il peut plonger ses fondations… Souvent on en a peur, et on fait tout pour ne pas le voir, on le comble par des objets qu’on ne cesse de remplacer, ou par des activités frénétiques : la pratique spirituelle consiste au contraire à en faire son lieu d’habitation".

 


Nul volontarisme dans cette quête, mais une vigilance de ce qui pourra surgir « à la croisée des chemins ? Est-il possible de parler d’une destinée ?

" Pourquoi pas ? On peut penser qu’en rejoignant ce lieu intérieur, on s’accomplit authentiquement comme un être humain. On a le sentiment d’être au cœur de la vie, de voir les choses naître, de les percevoir à partir de leur présence. On atteint quelque chose de grave et d’important, qui est en même temps léger et coloré. On est confronté à l’« essentiel » : c’est le terme qui me vient spontanément à l’esprit".

Comment expliquer aux occidentaux la notion centrale de voie ( « Do » en japonais) ? Ne peut-on lui trouver des équivalents dans les trésors de la mystique rhénane ou encore dans la rigueur cistercienne ?

Jean-Luc Giribone : " À la première question, j’ai envie de vous répondre : en lisant ce livre. Car il tente d’expliciter cette notion en la faisant apparaître, telle que la pratique spirituelle la fait surgir. On s’aperçoit alors que cette métaphore absolue, qui ne renvoie qu’à elle-même, est une façon belle, simple et élégante de désigner le cœur de l’expérience spirituelle. Dans les spiritualités occidentales, le terme de « voie » est employé, mais la grande différence, c’est qu’elles supposent Dieu. Le vide est rempli. Mais Dieu, personne ne l’a jamais vu, dit l’Évangile de Jean, donc on ne sait pas non plus vers quoi l’on va".

« Par-delà » la spiritualité, par-delà « les termes galvaudés »… Que trouve-t-on en fin de compte ? Qu’est-ce, pour vous, ce « supplément d’âme » ?

Jean-Luc Giribone : " Un supplément d’être. On est non seulement à la lisière de l’esthétique, mais à l’orée de la métaphysique. Elle apparaît, dans toute sa force. Faut-il faire un pas de plus, et y entrer ? C’est à chacun de le découvrir, car, en fin de compte, c’est à lui de forger ou de découvrir la réponse qu’il donnera à cette question. Ce livre veut conduire le lecteur à l’endroit où il entrevoit la façon dont il pourrait le faire".

 

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Méditation zen

avec Shunmyo Masuno

 

 

Lexnews a eu le privilège d'interviewer une grande personnalité japonaise, Masuno Shunmyō, prêtre bouddhiste zen, paysagiste et designer de jardins japonais, connu dans le monde entier pour la beauté et la pureté de ses créations puisées aux sources du Zen. Rencontre avec un esprit qui invite à explorer le tréfonds de notre non-pensée en nos temps troublés...

 

Comment les Occidentaux peuvent-ils considérer le Zen ?

Shunmyo Masuno : "Le Zen relève du bouddhisme mahāyāna dont il est l’une des branches, une branche héritée du Chán chinois. Cette pratique vise à perpétuer le mode de vie originel de tout être humain et de nourrir cette vie par une une pratique continuelle de la méditation. La condition de novice ou Unsui peut s’avérer très difficile à ses débuts car il est conduit à tâtonner et à prendre souvent des chemins détournés. Mais cette expérience de l’initiation demeure unique et propre à chaque personne, une formation qui permettra alors de réaliser par soi-même que l’on est en vie et d’être reconnaissant de pouvoir vivre ainsi de cette façon.

 

Le Zen peut être rapproché de la philosophie, mais s’en distingue cependant en ce qu’il ne peut être appris et pratiqué qu’à partir de son propre corps. Il est essentiel de comprendre qu’il s’agit d’une pratique et non d’une discipline académique. D’ailleurs toute définition absolue du Zen s’avère la plupart du temps vaine. Le Zen considère la vie quotidienne elle-même comme une pratique, il ne s’agit donc pas de quelque chose à part et de spécial.

 

En vivant une vie stable et équilibrée au quotidien selon les principes zen, nous réduisons nos désirs. Et au fur et à mesure des entraînements, nos divers attachements et notre ego s’amenuiseront au profit d’un cœur apaisé et d’un esprit en paix. Le cœur de cet apprentissage réside donc dans la pratique du « zazen », ou méditation assise, sans objectifs, ni but précis".
 


« Dans la pratique du zen, le zazen est d’une importance fondamentale. Impossible de parler du zen sans mentionner le zazen. Nous commençons nos journées par le zazen. Et nous les terminons par le zazen. Telle est la pratique du zen. Le mot zen vient du mot sanskrit dhyana, qui signifie « contemplation silencieuse ». (…) Pour pratiquer le zazen, nous commençons par adopter la bonne posture, puis nous nous concentrons sur notre respiration, et enfin nous apaisons notre esprit. Une fois ces trois éléments réunis, nous entamons la pratique du zazen » in Zen l’art d’une vie simple p. 52, Marabout, 2019.

Cette compréhension peut-elle être complètement indépendante du bouddhisme ?

Shunmyo Masuno : "Il est important de comprendre que le Zen est l'une des dénominations et branches du bouddhisme, cette méditation tend à mieux s’approcher de la vérité de toute chose. Nous cherchons à approfondir sans cesse l'essence même de ce qui nous entoure et de nous-mêmes. Ainsi, le Zen relève-t-il du bouddhisme et "Zazen" demeure au cœur de sa formation.

Mais, de manière générale, toutes les pratiques ascétiques concernant le Zen, le fait de marcher, s'asseoir, dormir, etc., touchent la vie elle-même. Pour l’énoncer de manière moderne, on peut ainsi résumer : "vivre de tout son cœur et de toute son aménité".

 

« (…) être vivant signifie profiter au mieux de la vie qui nous a été confiée. Nous ne sommes pas propriétaires de notre existence – elle est un cadeau précieux, qu’il convient de traiter comme si on nous l’avait confié. Et quelle que soit la durée de la vie qu’on nous a donnée, nous devons nous attacher à la rendre. (…) Le bouddhisme nous enseigne que la valeur d’une vie ne se mesure pas à sa durée. Ce qui est important, c’est l’usage que nous faisons de l’existence qui nous a été confiée ». in Zen l’art d’une vie simple p. 222, Marabout, 2019.

Est-il possible de pratiquer zazen seul chez soi ?

Shunmyo Masuno : "Pour se former au zazen et bien comprendre le Zen, il est nécessaire d'avoir un maître qui contrôle la pratique de la voie. Une fois que vous avez appris les bases, vous pouvez poursuivre cette pratique par vous-même. Mais, il est important de trouver un bon enseignant, un maître du plus haut niveau afin de bénéficier pleinement de ses conseils".
 


Quelles recommandations pouvez-vous donner à vos lecteurs pour éviter les pièges des mauvaises habitudes ?

Shunmyo Masuno : "Tout d’abord, il est primordial de persévérer. Il faut vous fixer un objectif de 100 jours. Si vous pouvez pratiquer zazen pendant 100 jours, visez alors une période d’un an, puis trois ans. Si vous pouvez parvenir jusqu'à ce point, ce sera déjà une habitude et alors vous devriez pouvoir continuer pour le reste de votre vie. En second lieu, il est important d’éviter toute dispersion ; notre société moderne surabonde d’informations. Une fois que vous avez décidé par vous-même, il est important de continuer sans détourner votre regard. Cette concentration vous évitera de vous disperser ainsi que le font tant de nos contemporains qui se perdent dans de multiples sources d’informations pour finalement échouer et abandonner faute de persévérance et de dispersion".

« Dans le monde actuel, où nous sommes submergés d’informations, nous avons tendance à négliger l’utilisation de notre cerveau pour réfléchir. Et nous avons souvent le sentiment de déborder de savoirs. Or c’est vous qui décidez de la manière dont vous menez votre vie. D’où l’importance de la sagesse – qui vous aide à choisir quelle vie avoir une fois que vous vous êtes familiarisé avec les différentes manières de vivre. Voyez autant de choses que possible. Ressentez autant de choses que possible. Et veillez à réfléchir par vous-même ». in Zen l’art d’une vie simple p. 120, Marabout, 2019.

 

 

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 Hommage Hans KÜNG (1928-2021)

Science et Religion

 Paris, 13 mars 2008

© LEXNEWS

 

 

Nous avons eu le plaisir de rencontrer une nouvelle fois le grand théologien Hans Küng lors de sa dernière visite à Paris pour la sortie de son livre "Petit traité du commencement de toutes choses" paru aux Editions du Seuil. Ce dernier livre analyse de manière très rigoureuse les frontières toujours fines et ténues entre foi et science. Récusant toutes les thèses "créationnistes" en vogue actuellement, mais étant tout aussi sévère à l'encontre de certains scientifiques qui franchissent allégrement les limites de leur domaine sans une réflexion appropriée, le théologien rebelle n'a pas baissé la garde ! Découvrons au travers de cette interview une des pensées les plus fertiles de notre époque !

 

 

LEXNEWS : « Le lecteur, habitué ou non de vos écrits, ne manquera pas de s’interroger à la lecture de votre dernière publication de ce profond intérêt que vous manifestez pour les sciences. D’où vous vient cette inclinaison pour la démarche scientifique et l’étude des sciences en général ? »

Hans Küng : « C’est en effet un intérêt très ancien. J'ai toujours été convaincu que l'évolution des sciences est un fait fondamental pour la modernité. J'ai également toujours admiré les découvertes et les inventions scientifiques. En 1977, j'avais déjà prononcé un grand discours pour la célébration du 500e anniversaire de l'université de Tübingen sur le problème de Dieu et des sciences, ce qui était particulièrement intéressant, car le fait d'inviter un théologien à représenter l'université devant le Président de la République de l'époque pouvait surprendre. J'ai également écrit, dans le livre « Dieu existe-t-il ? » un an plus tard, en 1978, un grand nombre de développements sur la création et sur ces questions. Je parlais déjà avec mes collègues de l'université des différents problèmes de l'astronomie ainsi que des autres sciences, mais j'ai toujours voulu écrire un livre comme celui-ci. Le défi du temps était décisif. Il ne faut pas oublier que peu de temps après, on m'a enlevé ma mission canonique, ce qui est particulièrement curieux en ayant rédigé le livre que j'évoquais tout de suite. Cette intervention romaine a interrompu ma pensée et j'ai été obligé de réorganiser toute ma recherche scientifique après 1980. Ce furent, vous le savez, mes années les plus tristes… Il est vrai que les religions du monde ainsi que la littérature ont plutôt occupé mon emploi du temps ces dernières années (j'ai réalisé toute une série de conférences sur les grandes figures de la littérature mondiale comme Blaise Pascal, Lessing, Thomas Mann, Hermann Hesse,…). Je n'avais ainsi pas le temps de poursuivre le plan d'un livre, mais j'avais réussi tout de même à faire un séminaire avec mes collègues du département de physique. Ils furent d'ailleurs très enthousiasmés par ces expériences. C'était audacieux, mais en même temps je connaissais mes limites, c'est pour cela que j'ai attendu quelque temps. Je me suis finalement décidé à écrire ce livre que j'avais préparé pendant de si nombreuses années avant le deuxième volume de mes mémoires. C'est en fait un livre très exigeant même s'il peut apparaître accessible à une première lecture. Combiner le développement de la philosophie, des sciences, de l'histoire, de l'éthique avec les données les plus à jour de l'astrophysique, de la microbiologie, de l'anthropologie culturelle… Cela exige beaucoup de travail !
Cette approche a déjà été réalisée par des scientifiques, mais trop souvent cela conduit à des simplifications réductrices faute de connaître suffisamment la théologie. Bien entendu, la grande difficulté pour moi était de réunir tous ces matériaux dans les sciences. Cela a été pour moi un voyage absolument fascinant parce que j'ai gardé la curiosité intellectuelle de ma jeunesse. J'ai trouvé passionnant d'étudier comment les scientifiques présentaient aujourd'hui le big-bang, l'évolution de ces milliards d'années… »

LEXNEWS : « on a l'impression à vous lire, que vous auriez très bien pu être un scientifique au lieu d'un théologien. »

Hans Küng : « Il y avait quand même un obstacle : je n'aimais pas tellement les mathématiques. J’apprécie la logique de René Descartes, mais je n'ai jamais aimé l'arithmétique ! »

LEXNEWS : « La notion de paradigme a été essentielle dans l’histoire de nos civilisations dans leurs rapports avec la science. Vous soulignez les nombreuses difficultés quant à ces changements de paradigmes lors de grandes découvertes telles celle de Galilée par exemple donnant lieu à un procès qui n’a jamais été vraiment clos. Estimez-vous possible un éventuel changement de paradigme de nos jours dans une société en crise ? ».

Hans Küng : « Je pense que nous sommes au milieu d’un changement de paradigme. Dans mon grand volume sur le christianisme ainsi que dans mon livre sur l'islam, j'ai analysé ces changements de paradigme du Moyen Âge, de la Renaissance, de la modernité à la postmodernité. Pour moi la postmodernité n'a rien à voir avec le postmodernisme littéraire français qui est quelque chose d'arbitraire. C'est un développement qui a commencé avec la première guerre mondiale avec la chute de la modernité. Au début du XXe siècle, on a pensé que tous ces progrès seraient éternels, on a cru aux sciences... La Première Guerre mondiale, le nazisme, tous ces mouvements réactionnaires ont déjà provoqué un changement de paradigme qui a mis en doute les valeurs directrices de la modernité : le progrès, la raison, la nation…. Pratiquement tout cela était en crise. Ce qui apparaît clair aujourd'hui, l'était déjà après la première guerre mondiale pour des esprits critiques. Nous sommes au milieu donc de ce changement de paradigme même si on doit évidemment garder ces valeurs. Il est en effet difficile aujourd'hui de remplacer la raison par un irrationalisme, la nation par un Etat du monde, etc. Si l'on doit promouvoir le progrès, il faut également souligner ses effets négatifs. Dans ce sens, il y a un nouveau paradigme. Je pense que la fonction de la religion a été trop longtemps ignorée, entre autres, à cause de l'église elle-même. Il y a un retour à la religion qui est malheureusement ambivalent puisque cela peut être fait d'une manière réactionnaire, destructive, fanatique, mais également de manière libératrice comme en Amérique latine, mais également en Pologne, en Allemagne orientale… Il n'y aurait pas eu une révolution pacifique contre le système soviétique sans les églises. Tout cela montre qu'il y a une possibilité d'une nouvelle synthèse de la religion avec les sciences, avec la démocratie ainsi que toutes les valeurs de la modernité. C'est précisément la postmodernité. »
 

Hans Küng à la librairie La Procure le 12/03/2008

© LEXNEWS


LEXNEWS : « Vous critiquez la toute-puissance des sciences, c'est-à-dire des scientifiques, lorsque cela conduit à une intransigeance positiviste, de même que vous condamnez l’aveuglement dogmatique de la religion dans ses positions arrêtées sur le contrôle des naissances, la prévention du SIDA, l’euthanasie,… »

Hans Küng : « Oui, c'est en effet un peu ma position générale. J'ai eu une éducation classique et je n'ai jamais aimé faire des zigzags dans ma pensée. Vous savez il y a des théologiens qui sont experts dans ces zigzags ! J'ai suivi plutôt une ligne classique dans le sens d'Aristote qui a bien vu que la vertu est toujours entre deux extrêmes. Heureusement, j'ai eu une éducation classique reçue à Rome et aussi à Paris où j’ai fait ma thèse de doctorat d'État en Sorbonne sur Hegel. Tout cela m'a donné des instruments conceptuels pour analyser d'une manière très exacte les différentes tendances qui se présentent. Je suis ainsi capable de prendre une position équilibrée au meilleur sens du mot. Je pense que c'est aussi grâce à mon éducation catholique que je suis plus intéressé à intégrer qu'à rejeter. Jusqu'à maintenant, j'ai toujours aimé prendre le côté positif des différents penseurs même si évidemment je reste toujours très critique lorsque c'est nécessaire. C'est la même chose pour ce dernier livre dont nous parlons. J'ai tendance à intégrer les extrêmes. »

LEXNEWS : « Vous avez cette phrase qui pourra surprendre notre XXI° siècle habitué au discours de la science : « Une logique et une théorie des sciences modernes ne doivent pas nécessairement se présenter sous une forme antimétaphysique et antithéologique» (p. 44).»

Hans Küng : « Cela signifie qu'il faut accepter la philosophie moderne depuis, disons, René Descartes, et développée jusqu'à Nietzsche dans un sens antimétaphysique. Cela concerne avant toute chose la position de l'église, mais également un certain platonisme qui a placé la métaphysique comme quelque chose en retrait des individus, une autre sphère... Sans faire de polémique, Joseph Ratzinger est un platonicien. Moi, je suis plutôt aristotélicien dans ce sens-là, j'ai toujours pris très au sérieux l'empirique. Dans cette même optique, j'ai préféré saint Thomas d'Aquin à saint Augustin. J'ai toujours dit à mes étudiants : les faits sont les faits, il ne sert à rien de nier les faits. D'autre part, si l'on accepte tout cela, on doit tout de même voir que la réalité a des dimensions différentes et qu'il est tout à fait simpliste de penser que la réalité physique, que je prends très au sérieux, est l'unique sphère, strate… Il y a parallèlement la sphère du droit, de l'esthétique, de l'éthique et finalement de la religion. Il n'est cependant pas obligatoire de parler d'une métaphysique, le terme de métaphysique donne précisément l'impression de quelque chose de platonicien, très éloignée. Pour moi, la réalité de Dieu comme je l'ai présentée dans mon livre est dans l'univers et non pas au-delà ou au-dessus des choses. Dans ce sens-là, je n'aime pas tellement le mot métaphysique parce qu'il donne l'impression de ne pas prendre au sérieux tous les doutes de Nietzsche, de Heidegger et de tous ceux qui ont polémiqué sur la métaphysique. Je préfère parler d'une strate éthique indéniable et je crois que cette idée ne pose pas tellement problème aux physiciens ou aux chimistes des sciences dures. Nous avons plutôt des problèmes avec les psychologues ! Les grands physiciens du XXe siècle tel Einstein avaient déjà cette interrogation et avaient bien noté que la réalité est bien plus grande que la physique. Dans ce sens-là, je pense que je suis sur la bonne voie afin d’offrir une solution à tous ceux qui sont profondément engagés dans les sciences modernes et qui estiment que tout cela n'est pas le tout. Très souvent, il leur manque les mots pour exprimer cela. Je me souviens d'un de mes collègues en médecine, expert en radiologie, qui m'avouait prier encore avec les mots appris dans son enfance à défaut d'autre expression. Je pense avoir fait un très grand effort pour donner des concepts, des images, sur la réalité de Dieu qui prennent non seulement en compte l'aspect personnel, mais également impersonnel. La réalité de Dieu dans la lumière de l'évolution ne peut pas être un être humain, mais d'autre part, on peut s'adresser à cette réalité et pour cela, il faut des images. Je ne peux pas prier l'être suprême de Robespierre ou bien esse ipsum ! Je pense que les termes de l'écriture comme le mot «Père »sont nécessaires pour l'homme, mais il faut en même temps prendre en compte les grandes images de Nietzsche dans ce fameux récit en se demandant comment il était possible d'effacer l'horizon, comment il était possible de vider la mer... La mer, le soleil sont de très bons exemples, des images impersonnelles qui sont importantes pour présenter la réalité de Dieu. Tout cela est bien mieux qu'une métaphysique. Je veux prendre au sérieux tous les résultats philosophiques. Je suis très rationnel, mais je ne suis pas un rationaliste et dans ce sens-là il faut des métaphores. »

 

LEXNEWS : « De même, vous proposez cette question essentielle : « N’y aurait-il pas dans notre univers des entités, des évènements et des interactions qui n’ont pas de figuration dans l’espace physique, qui donc d’entrée de jeu se soustraient à la possibilité de la connaissance physique ? » (p. 75) ».

Hans Küng : « les sciences physiques doivent suivre leur propre méthode, mais en faisant ainsi elles ne sont plus compétentes dans les autres sphères. Elles ne peuvent pas étendre leurs jugements au-delà de l'horizon de l'expérience. C'est déjà une idée essentielle de Kant avec la raison pure fondée sur l'expérience qui n'est pas capable de juger quelque chose qui est au-delà de l'horizon, de l'expérience physique, de l'espace et du temps. Je pense que cela veut dire d'une part que l'on ne peut pas exiger des sciences physiques de parler de Dieu et d'autre part que ces sciences physiques ne s'autorisent pas à parler de Dieu. Je crois que tout cela est dû aux limites des connaissances. Je déplore beaucoup qu'un certain nombre d'intellectuels fassent des jugements illégitimes sur des domaines dans lesquels ils ne sont pas compétents. Ce que j'exige pour moi-même, je fais un effort terrible pour comprendre les autres sciences, je crois qu'on peut l’attendre des autres intellectuels avec un minimum de connaissances sur les problèmes religieux… »


LEXNEWS : « De grands scientifiques hésitent de plus en plus à intervenir sur le plan de la communication à proximité de questions religieuses débattues de peur d’être confondus avec le néocréationisme et autre dessein intelligent. Une telle confusion pouvant compromettre leur crédibilité auprès de la communauté scientifique. »

Hans Küng : « Je comprends ces difficultés, mais la réaction adéquate n'est pas de se taire, mais au contraire de préciser ces distinctions. Je pense que les collègues des autres sciences qui liront mon livre seront dans la position de répondre à ce genre de questions. S'ils ne disent rien du tout, ils renforcent précisément ces personnes qui pensent d'une manière un peu simpliste qu'il faut un Intelligent design. C'est pour ces raisons que pour s’opposer à ces forces, il faut donner une réponse construite et non un silence. Il est vrai qu'au début avec mes collègues de la physique, il y avait une certaine attente, une certaine réserve, surtout parce que certains théologiens suivent le modèle, que j’évoquais tout à l’heure, de l'harmonisation. Ils emploient les résultats des sciences de la nature pour faire une synthèse facile. Cela agace à juste titre les scientifiques. Dans la plupart des cas, c'est un manque de philosophie qui est la cause de cette absence de dialogue. Si l’on n’a pas vu le problème kantien, on est très gêné pour faire cela et l'on devient trop naïf… Très souvent dans cet ordre d'idée, dès qu'il y a un processus en sciences, ces personnes concluent à la nécessité d'un auteur ! Le fait de conclure à la présence ou non d'un auteur est un jugement au-delà de l'expérience et dans ce cas ce n'est plus l'homme des sciences qui est compétent. Je crois que l'avantage de cette position, c'est de donner la pleine liberté pour se décider. Cela m'a beaucoup aidé quand j'ai parlé aux hommes des sciences en les rassurant et en leur disant n'ayez pas peur, je ne vous forcerai en rien ! »
 

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LEXNEWS : « Si l'on résume, lorsque vous proposez ces idées, vous ne proposez pas une science. Vous ne faites pas un discours scientifique. Vous vous placez à un niveau méta, au-dessus de la science. »

Hans Küng : « Oui absolument, et là réside la liberté. Il y a énormément de raison pour s'opposer à l'idée de Dieu, mais il y a également beaucoup d'arguments pour affirmer sa présence. Je pense en dernière analyse qu'il est plus raisonnable d'accepter qu'il y ait un sens à tout cela que de dire : ça n'a aucun sens. C'est plutôt cette dernière position qui est irrationnelle. J'ai expliqué cela dans le livre "Dieu existe-t-il ?» d’une manière plus concrète. Finalement, nous avons assez d’arguments pour affirmer librement l'existence de Dieu. Je pense que mon livre permet de lutter contre l'idée de fondamentalisme. Ces positions renforcent l'idée selon laquelle il n'y a pas de position intermédiaire comme la mienne. La simplification des choses encourage cela et les extrêmes se touchent. »

LEXNEWS : « L’éthique a un rôle essentiel à jouer dans nos sociétés contemporaines et vous concluez votre réflexion sur cet enjeu."

Hans Küng : « Une question fondamentale se pose lorsque l'on réfléchit à l'homme dans le cadre des sciences : comment l'être humain a appris à être humain ? C'est évidemment la question de la différence entre les animaux et l'homme. L'éthique est une différence essentielle. On ne peut pas attendre d'un animal qu'il suive une éthique malgré toutes les similarités entre ces deux espèces. Pour moi, il est très important de comprendre ce processus très long qui porte sur des milliers d'années. C'est pour ces raisons que les cultures primitives m'ont toujours beaucoup intéressé. Il y a donc une éthique de l'humanité qui s'est développée à travers les millénaires, mais il y a aussi une certaine universalité de ces normes qui n'est pas accidentelle. Ce sont certaines sphères essentielles comme préserver la vie, l'honneur, la propriété, l'intégrité sexuelle… Ce sont déjà les impératifs très élémentaires : ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas abuser de la sexualité… Tout cela a un aspect universel avec bien sûr des spécificités selon les cultures. Le projet d'une éthique planétaire prend donc en compte la dimension du temps et de l'espace. Si l'on arrive maintenant au temps présent, nous constatons un problème fondamental dans toutes les régions du monde : les normes sont de plus en plus vidées de leur sens. Le développement de la modernité a produit beaucoup de normes, mais je pense que Nietzsche avait raison : si l’on supprime la valeur suprême, il est illusoire de croire que toutes les autres valeurs demeureront. Il y a vraiment du fait de la perte de la religion une remise en cause des autres normes. Pendant un certain temps, la coutume a maintenu un certain nombre de traditions en Europe chrétienne. Mais de plus en plus, ces traditions s'évanouissent et laissent place à des phénomènes que nous ne connaissions pas auparavant. Des enfants qui tuent leurs instituteurs, la corruption généralisée dans des pays dits civilisés, tout cela montre qu'il y a une érosion de la moralité qui détruit les fondements de la société. Les sciences elles-mêmes ne sont pas en dehors de cela. Il n'y a pas encore très longtemps, on pensait qu'il n'y avait pas de mensonges dans la physique ou dans la biologie. Or aujourd'hui, on constate beaucoup de tricheries dans ces domaines. Il nous faut de nouveau une éthique qui ne soit pas un système éthique. J'emploie d'ailleurs plutôt le terme éthos plutôt qu'éthique, car il ne s'agit pas d'un nouveau système éthique au sens d'Aristote, de saint Thomas d'Aquin ou encore de Kant. Il s'agit d'impératifs de l'humanité assez simples à l'image des quatre exemples susmentionnés. Il y a deux principes fondamentaux qui sont supportés par toutes les religions du monde : la règle d'or que l'on trouve déjà chez Confucius, ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on fasse à toi-même ; c'est le principe de la réciprocité, cette règle d'or, ainsi que le principe également fondamental de l'humanité c'est-à-dire que chaque être humain doit être traité de manière humaine. Même les États-Unis, exemple de la démocratie, ont été capables de comportements inacceptables en Irak, dans des prisons… Tout cela montre que la situation est sérieuse. Il y a maintenant en face de nous deux possibilités qui sont des extrêmes et qui sont ni l'une ni l'autre des solutions : le cléricalisme et la rechristianisation à la Karol Wojtyla qui pense remplacer le paradigme moderne par le paradigme de la Pologne médiévale antimoderne. Je pense que le pape actuel malheureusement ne voit pas suffisamment que cela ne fonctionnera pas. Il me semble que toutes ces manifestations sont des villages Potemkine, ce n'est pas la solution ! La laïcité à la française n'est pas non plus la solution.
Le projet d'une éthique interplanétaire permet aux individus de garder leurs convictions fondamentales. Le catholique reste catholique, l’athée reste athée mais chacun doit au moins suivre ce minimum d'attitudes et de normes éthiques, ces impératifs de l'humanité. Cela doit faire l'objet d'un enseignement à l'école dès le plus jeune âge. J'ai proposé une coalition entre les croyants et les non-croyants. On ne doit pas faire une alliance contre les athées, c'est toute autre chose que je propose. Il faut une reconnaissance de ces problèmes. Vous avez l'avantage en France d'être la nation des droits de l'homme et de la Révolution française, mais, parfois, on a l'impression que cet héritage est un peu loin. Il est important aujourd'hui de penser aux devoirs de l'homme pour éviter l'individualisme, cause de ce que nous constatons aujourd'hui. Robespierre en son temps s'était opposé à cette déclaration. J'ai fait un essai pour le Parlement des religions (citer la source en lien) ainsi que le propos que j'ai fait pour les anciens premiers ministres et chefs d'État pour une déclaration universelle des devoirs de l'homme. Je préfère d’ailleurs le mot des responsabilités, car le mot devoir peut paraître trop prescriptif. Cette déclaration est opérationnelle et elle peut servir dès aujourd'hui, cela n'est pas le produit d'un théologien qui serait dans l'abstrait, mais d'une personne qui a beaucoup discuté avec de grands responsables politiques et religieux et qui suit l'actualité au quotidien. Je crois que j'ai fait en sorte de conserver le coeur même de ma théologie et de ma foi chrétiennes, mais j'ai élargi l'horizon de manière assez importante même si ce n'était pas le plan initial. Mais avec les défis du temps, je suis arrivé en partant de l'unité des églises à la paix entre les religions et finalement à la communauté des nations, trois cercles si vous voulez de plus en plus larges.»
 

 

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Un message de Hans KÜNG pour les lecteurs de LEXNEWS !

 

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Notre-Dame de Paris

le témoignage de son recteur, Mgr Patrick Chauvet

03/06/19

Lexnews a eu le privilège de rencontrer Mgr Patrick Chauvet, recteur de Notre-Dame de Paris à l'occasion de la parution de son dernier ouvrage « Notre-Dame d’espérance » aux Presses de la Renaissance qui devait sortir initialement avant le terrible incendie du 15 avril 2019. Alors que des restaurations étaient en cours, l'archiprêtre de la cathédrale offrait dans ce livre le témoignage de ses années passées au coeur de la cathédrale ayant traversé 850 années d'Histoire. Tout d'abord ébranlé, comme l'édifice, par cette expérience, c'est un message fort d'espoir, en fait, qu'il nous livre dans cet entretien marqué d'humilité devant ce qui nous dépasse. Rencontre avec un homme de foi.

 

 

 

 

L'expression fondatrice du catholicisme Tu es Petrus prononcée par Jésus vient immédiatement à l’esprit après le terrible incendie ayant ravagé Notre-Dame de Paris. Comment avez-vous perçu cette fragilité de ce monumental édifice de pierre au regard de cette métaphore de la pierre évoquée par les Évangiles ?

Mgr Patrick Chauvet : "Oui, en effet la première impression qui vient à l’esprit est une idée de fragilité… Lorsque l’on observe ce monument vieux de 850 années, ravagé aussi rapidement par le feu alors que Notre-Dame avait traversé tant de guerres et de révolutions, toujours debout, cela nous renvoie à notre propre fragilité ! Le recteur, croyez-moi ! sur le parvis, vivait cette fragilité en se disant : voilà, tu es à la tête de cette cathédrale qui devant toi s’en va, qu’est-ce que le Seigneur veut te dire… Il est vrai que ma première réaction a été de dire : pourquoi Seigneur ? Je savais très bien, pour avoir prêché un certain nombre de retraites, que nous n’avons jamais les réponses immédiatement. À travers cela, nous sommes très certainement renvoyés à un chemin d’humilité, un chemin de dépossession et de désert. Le chemin d’humilité vaut également pour ces beaux édifices, car ce qui prime avant toute chose, dans notre foi, c’est le corps du Christ, même si cette cathédrale est là pour le louer. Ce qui importe, c’est que Notre-Dame soit dans notre cœur. Le temps de dépossession s’avère également important car cet édifice n’appartient à personne. Et si Notre-Dame est le fruit du travail des hommes, cela a toujours été pour la gloire de Dieu. Il y avait peut-être un peu trop de caractère possessif dans notre rapport à ce monument, notre affaire, notre cathédrale… Ces événements m’ont appris à dire qu’elle était avant tout la cathédrale du Seigneur. Quant au temps de désert, il surgit lorsque vous vous levez le lendemain et que vous vous surprenez à dire : tiens, je vais dire la messe de huit heures et que vous vous apercevez que la cathédrale est fermée, sous les décombres… Pour un prêtre, c’est véritablement un temps de dépossession même s’il est certainement important de savoir vivre ces instants. Car c’est une manière d’ouvrir les yeux et de comprendre que l’église ne nous appartient pas et que nous sommes un peu des âmes errantes. Il faut bien comprendre que nous avons été ordonnés prêtres pour un peuple et ce dernier ne peut plus venir en ces murs. Nous sommes comme veufs parce que l’église n’est pas là".

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Il peut suffire d’un événement comme celui-là pour que nous nous réveillions. C’est cela à mon avis l’apocalypse et non les peurs millénaristes

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Comment réagissez-vous à l’égard de ces lectures « apocalyptiques » qui ont pu être données ?

Mgr Patrick Chauvet : "Je pense qu’il faut se méfier de toutes ces interprétations, même s’il y a certainement un signe à distinguer quant à ces événements que nous avons vécus. Mais je crois qu’à vouloir trop interpréter, cela devient insignifiant. Quels sont les signes que j’ai pu percevoir ? Lorsque vous entrez dans cette cathédrale où beaucoup d’éléments se sont effondrés et que vous apercevez la Vierge Marie au pilier tout entourée de pierres effondrées et qu’Elle est restée, intacte, debout, de même lorsque vous observez au fond la Croix Glorieuse également préservée, vous vous dites : ça, c’est un signe ! La mère de Jésus était encore là et pour moi c’est une lecture qui révèle – signification du mot Apocalypse – le sens de ce drame. Vous savez combien j’aime l’écrivain Bernanos et je pense qu’il aurait dit : voilà, réveillez-vous ! Et si vous ajoutez à cela cette extraordinaire solidarité internationale qui a surgi, le fait que croyant ou non, tout ce monde ait été touché par cet incendie, il me semble - et je suis désolé pour cette métaphore – qu’il suffit qu’un léger souffle se fasse sur la braise de notre pays pour que la foi reprenne... Cette épreuve va peut-être permettre à la France, pays de mission, de retrouver ses racines chrétiennes. Il peut suffire d’un événement comme celui-là pour que nous nous réveillions. C’est cela à mon avis l’apocalypse et non les peurs millénaristes".
 

 

 


L’idée d’une cathédrale éphémère a justement surgi après ces évènements, en quoi consiste-t-elle deux mois après les évènements ?

Mgr Patrick Chauvet : "Cette idée est née de la conviction que cet édifice demeure la cathédrale, quel que soit son état actuel ; son recteur y demeure également affecté, même en l’état actuel. Aussi, ai-je voulu essayer de faire un pont entre la cathédrale que nous sommes en train de réparer et le parvis. Les cathédrales ont toujours eu besoin de parvis dans l’Histoire. Il s’agira d’un sanctuaire placé sur le parvis, tout simple et tourné bien entendu en direction de la cathédrale avec une reproduction de la Vierge au pilier. Cette cathédrale éphémère sera destinée à être un lieu d’accueil avec des cierges, des intentions de prière et la possibilité d’y déposer des fleurs, ce qu’un grand nombre de personnes font actuellement sur les ponts adjacents à la cathédrale. Il nous semble important de faire sortir Notre-Dame sur le parvis comme on le faisait naguère lors de processions avec cette reproduction de la Vierge qui provient de la maison Marie-Thérèse accueillant des prêtres âgés qui ont accepté spontanément ce prêt. Cette cathédrale éphémère prendra ainsi la forme de cette statue de la Vierge Marie qui attend ses enfants...".

Peut-on étendre ce concept de cathédrale éphémère à ce qui s’est spontanément accompli jusqu’à maintenant avec tous ces offices qui ont eu lieu depuis dans différentes églises telle Saint-Sulpice, une manière de dire : la messe n’est pas finie !

Mgr Patrick Chauvet : "Oui, absolument, la messe n’est pas finie ! À partir du 1er septembre, l’église Saint-Germain-l’Auxerrois sera le lieu de la liturgie cathédrale sans pour autant devenir une « sous cathédrale ». Saint-Sulpice sera, elle, réservée pour les très grandes célébrations. Tous ces lieux sont reliés par Marie ! Mais le 16 juin, jour de la dédicace de Notre-Dame, l’archevêque de Paris va, avec une vingtaine de prêtres, célébrer dans la cathédrale même une messe pour rappeler qu’aujourd’hui Notre-Dame est toujours le lieu de la louange du Seigneur, même si ce jour-là, au lieu d’avoir sa mitre, l’archevêque portera un casque ! Il faut bien comprendre que la cathédrale est unique, car c’est le lieu de la cathèdre (siège de l’évêque qui préside l’assemblée liturgique ndlr)".

 

Quelles différences majeures vous viennent à l’esprit entre la nécessité d’une reconstruction de la cathédrale dont le début de l’édification remonte au XIIe siècle et l’esprit qui animait ces mêmes bâtisseurs ?

Mgr Patrick Chauvet : "Je vous remercie pour cette question, car elle est importante. C’est, en effet, un point crucial que je vis depuis le Samedi Saint où nous avons déjà commencé les travaux. Ce sont des Compagnons du Devoir qui travaillent actuellement sur le chantier, nous n’avons bien évidemment retenu que des spécialistes. Ils ont tout quitté pour venir à Notre-Dame et je peux témoigner qu’il y a véritablement un même esprit de fond qui anime ces personnes à l’image des bâtisseurs du Moyen Âge. Ces bâtisseurs du XIIe et XIIIe siècle s’inscrivaient dans un témoignage de foi et je suis certain que pour ces Compagnons, il y a également un témoignage de foi, certes différent, mais vous ressentez immédiatement cette fierté de travailler pour Notre-Dame, un chantier qu’ils reconnaissent être celui de leur vie. Il y a véritablement une communion qui s’accomplit entre eux et avec eux depuis ces deux derniers mois".

Quels souhaits formez-vous pour cette restauration et pouvez-vous dresser un rapide bilan de ce qui doit advenir pour les prochains mois ?


Mgr Patrick Chauvet : "Aujourd’hui, cela fait deux mois que le drame est arrivé et nous sommes dans une phase de consolidation. C’est une étape importante parce que, après l’incendie et la chute des deux voûtes, le bâtiment a bougé et se trouve donc fragilisé. Les deux collatéraux au-dessus des roses se sont un peu inclinés, ce qui fait que nous avons été obligés d’enlever les statues. Les tours ont dû être consolidées, notamment la tour Nord qui a pris feu. Il faut à l’intérieur dégager toutes les pierres, la charpente qui a brûlé, des tonnes de plombs… Il a fallu enlever les vitraux afin de placer un plancher à l’intérieur et un autre à l’extérieur pour enlever l’échafaudage qui est encombrant et trop fragile après l’incendie. C’est un travail qui devrait nous mener jusqu’à la fin août. À cette date, si la cathédrale est restée debout, on pourra considérer qu’elle est définitivement sauvée, ce que l’on ne peut pas tout à fait dire aujourd’hui à 100%, mais à 90% !".
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À cette date, si la cathédrale est restée debout, on pourra considérer qu’elle est définitivement sauvée, ce que l’on ne peut pas tout à fait dire aujourd’hui à 100%, mais à 90% !".

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Nous sommes donc encore dans une phase conservatoire…

Mgr Patrick Chauvet : "Absolument, et cette phase encore conservatoire est menée par quatre architectes dont l’un est le spécialiste de la cathédrale. Nous n’allons pas trop vite, mais suffisamment pour protéger l’édifice. L’importance des dons que nous avons reçus a permis d’éviter un certain nombre de lenteurs administratives et de commissions. Je pense qu’à partir de janvier de l’année prochaine, nous serons en mesure de commencer la reconstruction à proprement parler qui consistera à refaire les voûtes, la toiture, la charpente…".
 

 

En tant que recteur de la cathédrale, vous êtes un bâtisseur d’âmes, notamment sur le plan de l’éducation et de la transmission, quelle est précisément votre mission, vous qui dirigez la plus ancienne PME de France ?

Mgr Patrick Chauvet : "Nous sommes au cœur du monde avec Notre-Dame, même si nous ne sommes pas du monde. Il faut donc bien prendre en compte les contingences. Il est vrai que je suis à la tête d’une véritable PME ; PME qu’il faut faire tourner avec un budget et des salariés devant être payés à chaque fin de mois, c’est une de mes préoccupations, même si j’ai bien évidemment des gens compétents qui m’aident dans ces tâches. Les questions financières sont toujours au service de la pastorale. Je ne suis pas là pour faire de l’argent pour l’argent, mais plutôt pour réfléchir à la manière dont ces ressources peuvent contribuer à cette mission d’évangélisation qui est la mienne, cette mission de l’accueil des paroissiens, des touristes… Il ne faut pas oublier que j’ai été curé avec une grande paroisse, celle de Saint François-Xavier à Paris ; or, ici même à Notre-Dame, la plupart des personnes sont de passage mis à part un petit noyau de fidèles. J’ai un peu plus de 3 000 fidèles à la messe du dimanche habituellement, mais aujourd’hui ces personnes ne peuvent plus se retrouver dans ces murs. De même, les fidèles réguliers tournent très souvent comme des âmes en peine autour de la cathédrale dans laquelle ils ne peuvent plus entrer. Il faut savoir être présent avec un geste, un sourire... La transmission est, en effet, également un pôle très important de ma mission, comme pour tous les prêtres d’ailleurs. J’ai commencé comme professeur de lettres, et je reste persuadé que la transmission de la foi est liée à celle de la culture".
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L’art est, selon moi, un chemin privilégié pour poser la question de Dieu

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Quel regard portez-vous sur l’art sacré en contrepoint de la phrase d’André Malraux : Le seul domaine où le divin soit visible est l’art, quelque nom qu’on lui donne, quelle place ce dernier a-t-il au cœur de Notre-Dame ?

Mgr Patrick Chauvet : "L’art est, selon moi, un chemin privilégié pour poser la question de Dieu. La beauté touche le cœur sans pour autant dévier vers le seul esthétisme. Si vous prenez la beauté de Notre-Dame, vous êtes en un lieu qui immanquablement élève l’âme et vous fait regarder vers le ciel, que vous soyez croyant ou non. Avec ce drame, malheureusement, la nef est devenue béante et je me souviens qu’avant cet incendie, en présentant l’église, je soulignais combien ces piliers devenaient de plus en plus fins à force de s’élever pour conduire le regard vers le ciel, et aujourd’hui… on voit véritablement le ciel ! Je reste persuadé que l’art a un sens et lorsque l’artiste fait une œuvre, il s’en trouve en quelque sorte dépossédé, elle n’est plus à lui. Chacun pourra à partir de cette œuvre faire une interprétation. Selon moi, une véritable œuvre d’art transcende et pose la question de Dieu. En cela Malraux avait raison : le divin est visible dans l’art…".

Les évènements de ce mois d’avril 2019 ne doivent pas faire oublier les défis qui les transcendent et notamment cet impératif d’évangélisation sur lequel vous insistez à l’heure du relativisme et de la mondialisation sauvage ?

Mgr Patrick Chauvet : "Je suis frappé lorsque je vois ces visiteurs étrangers, notamment des Chinois qui entrent dans notre cathédrale, dans un monde que, souvent, ils ne connaissent pas. Ils font le tour de l’édifice souvent en deux minutes et s’arrêtent la plupart du temps devant la chapelle de saint Paul Chen en s’interrogeant sur la signification de cette Vierge Marie avec des yeux bridés ! J’ai pu constater que c’était une manière de transmettre un petit quelque chose du Seigneur. Car, là où ces visiteurs s’étaient arrêtés parce qu’ils avaient aperçu des inscriptions en langue chinoise, cela était en fin de compte le point de départ de la découverte de la vie d’un martyre, Paul Chen, séminariste des Missions Étrangères de Paris qui voulait convertir la Chine au XIXe siècle. Il a été décapité avec un certain nombre de ses compagnons et nous conservons ses reliques dans cette chapelle, reliques qui ont fort heureusement été préservées de l’incendie. Nous avons ainsi, là, devant cette Vierge Marie une prise de conscience qu’un de leurs frères est mort martyr au nom de la foi chrétienne. C’est pour moi quelque chose de merveilleux que des touristes habituellement pressés prennent le temps de découvrir cela.
Mon idée a toujours été de convertir à partir du parvis, préparer les cœurs comme un préambule à la foi. Pour les croyants, c’est également très important, car nous avons besoin d’être réévangéliser sans cesse, en référence au texte de saint Paul, pour fortifier l’être intérieur. Venir dans une cathédrale, c’est peut-être pour certains se rappeler leur baptême, leur catéchisme, et qu’ils ont laissé passer trop d’années sans entrer dans une église. D’autres ont oublié de se confesser pendant des années, voire des décennies, et ne savent même pas parfois pourquoi ils sont là. Et, souvent, je leur réponds : si vous êtes là, c’est que la Sainte Vierge vous a pris au collet et vous a amené devant son fils ! Je crois que cette évangélisation passe par cette idée de purification des images que nous pouvons avoir de Dieu. Notre-Dame est associée à l’idée de maternité et cela aide à se dire : finalement Dieu m’aime, malgré mes pauvretés et mes péchés. Il n’est plus question d’un Dieu père fouettard et moralisateur, c’est un Dieu qui veut que nous soyons saints et qui nous donne les moyens de grandir dans cette sainteté".


Cette amitié sacerdotale prônée par le pape François remplit-elle ce rôle et comment s’inscrit-elle à Notre-Dame ?


Mgr Patrick Chauvet : "Cette idée d’amitié sacerdotale est très importante et à Notre-Dame j’ai la chance d’avoir neuf prêtres avec moi, des chapelains qui sont par ailleurs la plupart professeurs aux Bernardins. Et même si nous ne sommes pas toujours d’accord, nos repas pris ensemble sont des partages très fructueux. Nous commençons l’Office divin ensemble à 7h30 et cela est quelque chose d’essentiel qui crée cette amitié sacerdotale. Nous n’avons pas ce sentiment de solitude du curé de campagne de Bernanos !".

 

 

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter
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Interview Mgr Joseph Doré

A l'occasion de la publication d'un ouvrage monumental sur Jésus aux éditions Albin Michel, Monseigneur Joseph Doré a généreusement accepté de répondre à nos questions sur un thème qui l'occupe depuis des décennies dans ses recherches théologiques et dans son ministère.

 

 

 

 

 

Interview Père Pedro

26 mai 2017 Paris

Le Père Pedro est un infatigable titan, bravant l'adversité du consumérisme international et ayant consacré sa vie intérieure aux plus démunis. Contredisant le défaitisme et le découragement, c'est pierre par pierre, au sens propre et figuré, qu'il a reconstruit la fierté des plus pauvres de Madagascar. Rencontre avec un personnage hors du commun, un exemple de sainteté vécue au quotidien et non sans humour !

 

 

 
nsurgez-vous ! est le titre de votre dernier livre, un titre qui semble bien résumer l’action de toute votre vie mue par la foi et l’amour des plus petits. Quand avez-vous ressenti cette vocation en Argentine, votre pays natal ? »


Père Pedro : "C’est une vocation qui est intervenue très tôt dans ma vie. Je suis issu d’une famille de migrants, mon père et ma mère sont slovènes et ont fui le communisme dans la Yougoslavie de l’époque. Ils sont arrivés en Argentine, sans parler la langue, totalement démunis. Ils ont eu huit enfants, je suis le deuxième et premier garçon. Lors des vacances, mon père me disait tous les jours : « Fils, viens aider tes petits frères et sœurs ! ». À neuf ans, lors de vacances, j’ai commencé à travailler avec mon père dans des chantiers de maçonnerie. Ma vie a toujours été austère, dure, difficile, mais pleine de joie, car dans la maison la foi de mes parents était une foi vécue. Mon père était d’une honnêteté extraordinaire, je ne l’ai jamais vu tromper quelqu’un, voler dans les chantiers. Il m’a appris très tôt ce sens des valeurs. De même, ma mère nous disait que lorsqu’un pauvre frappe à la porte, il faut partager car il y a toujours plus pauvre que soi. Après avoir exploré l’Évangile de manière plus profonde, vers 15-17 ans, Jésus l’ami des pauvres m’a conquis, et je me suis dit que j’allais essayer de l’imiter. J’ai donc eu très tôt conscience que si j’entrais dans le sacerdoce, c’était pour aider les pauvres, et non pour devenir un fonctionnaire ou un professeur. C’était la théologie sur le terrain qui primait et me semblait plus vraie, une théologie née de la vie réelle ! Même si les études sont importantes, et que la théologie peut apporter un grand nombre de choses, Jésus ne doit pas devenir qu’un objet d’études, une analyse pour l’analyse, car lui-même n’a pas voulu cela, mais il s’est engagé auprès des plus démunis. Et c’est ce Jésus-là qui m’a conquis, je suis entré alors dans la congrégation de Saint-Vincent de Paul, Saint-Vincent de Paul étant un des pionniers en France au XVIIe siècle pour rendre la dignité aux pauvres par l’école, la formation, le travail, la responsabilité…".
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Lorsque notre pape dit que ses prêtres doivent avoir l’odeur de leurs brebis, ce n’est pas qu’une image, c’est très fort !

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« Vous partagez avec un autre argentin célèbre, le pape François, un élan vital vers les périphéries comme il les nomme. Pouvez-vous nous les décrire, vous qui les vivez au quotidien depuis si longtemps ? »


Père Pedro : "Je suis content qu’au sommet de l’Église, aujourd’hui, nous ayons un pape qui soit un vrai pasteur, engagé et qui veuille purifier notre conception de l’Évangile. L’Évangile, ce n’est pas que crier « Seigneur, Seigneur ! », c’est aussi s’engager auprès des plus pauvres. Il y a tant de choses qui sont devenues dans l’Église des habitudes qui ne parlent plus aux gens d’aujourd’hui. Pourquoi dès lors les conserver ? Il faut ouvrir l’Église aux jeunes, aux enfants. Lors de mes séjours en France, comme en ce moment, je suis toujours surpris du peu de jeunes que j’observe lors des célébrations dans les églises, contrairement à nos messes à Madagascar où il y a 75 % de jeunes et qui participent ! Je pense que le pape François aujourd’hui est sincère, authentique, bien au-delà du protocole. L’Évangile n’a jamais été une question de protocole et c’est ce que signifie : aller aux périphéries. Lorsque notre pape dit que ses prêtres doivent avoir l’odeur de leurs brebis, ce n’est pas qu’une image, c’est très fort ! C’est quelque chose que je connais pour avoir travaillé longtemps dans la boue, jusqu’à la poitrine, dans les rizières. J’ai pourtant été malade pendant sept ans suite à cela, et jamais je n’ai regretté d’avoir fait cette expérience…"

 


Ces périphéries sont entendues au sens large, et au pluriel, l’Occident en connaît également…


Père Pedro : "Absolument, il y en a partout, et il ne s’agit surtout pas de mettre sur cette idée de nouvelles frontières. La misère existe dans les banlieues des grandes villes occidentales, sans oublier tout de même qu’il y a des degrés dans la pauvreté, des plus pauvres parmi les pauvres. Il faut savoir qu’à Madagascar, la plupart des personnes dont nous nous occupons vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. Il y a alors des priorités à établir sans exclure personne. On doit saisir cela dans son cœur, dans son âme et dans son esprit. La foi est une question d’esprit et non une question de dogme. C’est l’esprit de l’Évangile, l’esprit de la parole de Dieu. Et cela, il faut des années et des années pour le comprendre… C’est pour ces raisons que je ne désespère pas lorsque je vois un confrère qui est trop attaché aux conditions matérielles de la liturgie, aux ornements et à la manière de les disposer, tout cela n’est pas important. Ce qui est important, c’est l’esprit : est-ce que dans cette église où nous allons célébrer l’eucharistie, il y a de l’amour, de la fraternité, du partage, est-ce qu’il y a la vie… S’il n’y a que des gens tristes, c’est dommage !"

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Il faut que ce véritable message de fraternité, de partage soit plus clair et plus compréhensible pour les gens d’aujourd’hui, et notamment les jeunes.

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Vous partagez ainsi les thèses de la Théologie de la Libération.


Père Pedro : "La théologie de la Libération a été très mal comprise en raison de sa dimension politique, d’ailleurs qu’est-ce qui n’est pas politique ? Moi aussi dans ce livre, je critique les politiciens qui mentent et qui masquent la vérité. Ce masque-là, même l’Église peut parfois l’utiliser. Si nous sommes de vrais chrétiens, il n’y a pas de masque. Il faut que ce véritable message de fraternité, de partage soit plus clair et plus compréhensible pour les gens d’aujourd’hui, et notamment les jeunes. C’est ce que nous faisons à Madagascar, et c’est bien pour cela que les jeunes viennent à nous".

« Le pire, insistez-vous, c’est l’indifférence, nos sociétés soi-disant modernes étouffent de cette surdité collective ».

Père Pedro : "Oui, c’est une maladie, un véritable cancer de la société moderne. On a vraiment l’impression qu’aujourd’hui, le seul horizon pour un jeune, c’est de se gaver de tous les gadgets de la technologie. C’est une véritable perte de l’individu, l’illusion d’une communauté et d’une communication qui s’avèrent souvent illusoires et trompeuses. Pour moi, il n’y a pas de vérité dans tout cela, et seule la vérité nous rendra libres. Il n’est pas question pour moi de dire que telle ou telle personne est dans la vérité, c’est moi-même qui dois être authentique et vivre cette vérité, là où je suis. Mais je ne suis pas naïf non plus ! (rires) on m’a souvent mené en bateau… et même, en paquebot parfois, mais je suis toujours debout, j’y crois !"

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L’insurrection, c’est agir, alors que lorsque vous êtes indigné, vous en restez souvent là, un constat mais sans action

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« Quelle différence faites-vous entre l’indignation si en vogue ces dernières années et cette insurrection à laquelle vous invitez ? »


Père Pedro : "L’insurrection, c’est agir, alors que lorsque vous êtes indigné, vous en restez souvent là, un constat mais sans action. L’insurrection amène nécessairement l’action, sans pour autant mener à la révolution. Ce n’est pas une question de violence. Je pense que nous avons perdu beaucoup trop de temps dans l’Église à réfléchir, faire des réunions, des colloques, des mémoires, au lieu d’agir. Nous avons eu de grands docteurs de l’Église mais qui n’ont jamais mis les pieds dans un bidonville… Je ne compte plus les fois où on m’a réveillé à deux heures du matin pour amener une femme enceinte accoucher dans un hôpital, car j’étais le seul à avoir une voiture, ce qui me donne un peu le droit aujourd’hui d’élever la voix, non ? !
Le bien que l’on peut faire à nos frères les plus démunis passe tout d’abord par l’éducation, c’est-à-dire créer des écoles, trouver des fournitures scolaires, assurer la santé en payant les opérations et les médicaments. Les gens vivent dans la rue, il faut donc construire des logements, tout cela implique d’agir. Tous ces droits que je viens d’énumérer que l’on retrouve dans la charte des Nations Unies ont besoin de trouver une application concrète, sinon il ne s’agit que de principes abstraits. J’estime que lorsque vous vous retrouvez devant un enfant qui a faim, c’est un crime que de constater cette situation et de ne pas agir. Les belles paroles ne rassasient pas les affamés, c’est ce qui motive cette insurrection à laquelle j’appelle. Je ne peux concevoir l’Évangile d’une autre manière que celle suivie par Jésus, qui ne possédait rien, qui allait de village en village, et sa force venait de sa parole, qui venait elle-même de son action. C’est ce qui m’a motivé dans le fait de transformer cette décharge en oasis d’espérance. Et nos enfants, qui étaient autrefois des mendiants, vont à l’école, leurs parents ont un travail et ont retrouvé la joie de vivre et le respect".

 

« Plutôt que les multiples discours creux des politiciens et organisations internationales, vous appelez à une action rapide, reposant sur des microprojets, comme vous avez pu en faire l’expérience à Akamasoa à Madagascar».

Père Pedro : "J’estime qu’il n’est pas possible de venir avec de grandes idées élaborées en Europe ou aux Nations Unies, et de les parachuter ainsi dans les pays pauvres. Je regrette que les aides des organismes internationaux prennent autant de temps à arriver, parfois jusqu’à trois ans ! Que va-t-on faire pendant ce temps-là, laisser mourir les gens de faim ? Il faut aider tout de suite, c’est pour cela qu’aujourd’hui je ne demande plus d’aides aux grandes institutions.

 

 

La dernière aide internationale que j’ai demandée m’a pris 18 mois de mon temps en constitution de dossiers, pour m’entendre dire finalement qu’elle n’était pas acceptée ! Chaque fax que j’envoyais à cette époque pour une pièce complémentaire demandée me coûtait le prix d’un salaire d’un instituteur, vous en rendez-vous compte !… Depuis cette triste expérience, je vais directement chez les gens, les citoyens, les frères, pour leur expliquer qu’il y a urgence. Grâce à cette prise de conscience, et aux dons, nous pouvons immédiatement agir à Madagascar en mettant en œuvre tous ces projets. C’est pourquoi je tiens à dire merci à tous les donateurs, merci à toutes ces personnes qui ont du cœur et qui permettent de réaliser tous nos projets. Nous veillons à ce que les sommes soient directement attribuées à chacun des projets concrets que nous réalisons, et tous nos donateurs peuvent en suivre la réalisation. Chez nous, un euro est multiplié par 10 !"
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Il faut apprendre à se débarrasser de son superflu, ne pas tomber dans les pièges de la société de consommation qui nous impose toutes ces tentations

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« Vous invitez à changer notre regard, à nous insurger sur le sens de nos vies toutes tracées par le consumérisme international, et de retrouver le sens des valeurs dès le plus jeune âge, de la véritable communion plutôt que l’illusoire communication des nouvelles technologies ».

Père Pedro : "Saint Paul rappelle cette joie que l’on peut recevoir lorsque l’on partage avec les plus démunis. C’est quelque chose que j’ai vécue, et vis encore, chaque jour personnellement depuis le début de ma vocation. J’ajouterai également qu’il est très important de ne pas rechercher une reconnaissance, un remerciement. Il faut bien savoir que lorsque l’on donne, c’est aussi un devoir. Je me souviens d’une dame de 80 ans en Slovénie qui nous a donné 40 000 €. Elle était dans une maison de retraite, et lorsqu’elle a appris que j’avais eu en main propre cette enveloppe, elle a ressenti un immense bonheur à cette idée. Lorsque je l’ai vue un peu plus tard pour la remercier, elle avait un sourire qui m’a laissé dire qu’elle était déjà au ciel, parce qu’elle savait partager ! Il faut apprendre à se débarrasser de son superflu, ne pas tomber dans les pièges de la société de consommation qui nous impose toutes ces tentations".

 

 

"Insurgez-vous !" Père Pedro et Pierre Lunel, Yann Arthus-Bertrand (Préface) Editions du Rocher, 2017.

 

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter
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Interview Cardinal Gerhard Müller

Paris, le 26/03/2015

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Le cardinal Gerhard Müller est une haute figure de l'Eglise et de la théologie. D'origine modeste, il a su atteindre les sommets de la hiérarchie en étant nommé préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi en 2012 par le pape Benoît XVI et créé cardinal par le pape François en 2014. L'homme reste les pieds sur terre tout en maîtrisant les subtilités qu'impose sa fonction, passant aussi facilement des questions les plus ardues de la théologie aux problèmes posés par la pauvreté la plus extrême en partageant discrètement cette pauvreté à l'occasion de ses congés. Rencontre avec une Eminence à l'écoute de l'homme et de Dieu à l'occasion de la parution des œuvres complètes du pape émérite Benoît XVI aux éditions Parole et Silence.

 

ous dirigez l’édition des œuvres complètes de Joseph Ratzinger, théologien et pape émérite. Vous soulignez combien son auteur a souhaité ouvrir un débat profond sur Jésus de Nazareth, débat qui s’adresse non seulement aux croyants, mais également au plus large public possible en raison du thème choisi par rapport au reste de son œuvre.


Cardinal Müller : "Le pape Joseph Ratzinger, comme pape et comme chrétien, est un homme de foi, et il souhaitait présenter Jésus non seulement comme un personnage historique, à l’image des historiens qui s’intéressent à Alexandre le Grand ou des philosophes à Platon, mais aussi en tant que figure spirituelle centrale de la religion chrétienne. Jésus dépasse très largement le cadre de la religion chrétienne ; il suffit pour s’en convaincre de voir comment les autres religions s’y sont toujours référées. Les juifs s’interrogent depuis longtemps sur la messianité de Jésus ; de même les musulmans l’évoquent dans le Coran en tant que prophète et messie. Ainsi, les trois grandes religions du monde accordent une place importante à Jésus, place accentuée par l’universalisation du christianisme. C’est donc bien une recherche qui intéresse un grand nombre de nos contemporains. Mais le pape Benoît XVI souhaitait aller au-delà, en présentant le visage, l’identité de la personne de Jésus, non seulement pour une reconstruction historique et théorétique, mais également pour analyser le message qu’il a apporté sur terre. Pour nous les chrétiens, le même Jésus est présent par le moyen de sa parole, des sacrements et de la communauté des croyants.
Il faut aussi tenir compte d’une difficulté méthodologique de l’exégèse avec la séparation instaurée entre le Jésus de l’Histoire et le Christ de la foi et du dogme. Le pape a vivement souhaité, avec ses écrits, établir une nouvelle synthèse qui dépasse cette opposition. Tous les hommes qui sont à la recherche du sens profond de la vie peuvent trouver en Jésus le médiateur universel. Ce rapport est d’ailleurs très intéressant, si l’on y réfléchit, car il existe entre toutes les personnes de l’humanité et la seule figure de Jésus. Cette démarche intellectuelle a pour effet d’élargir considérablement les destinataires de cette œuvre. Savants et lecteurs ordinaires trouveront matière à une réflexion toujours dynamique sous forme d’une méditation sur Jésus à partir des recherches menées depuis des décennies par l’auteur, d’abord en tant que théologien, puis grâce à son expérience pastorale et, pour finir, avec son magistère en tant que successeur de Pierre. Pour ces raisons, il ne s’agit donc pas d’une vie de Jésus supplémentaire, ni même d’une christologie.


Le pape a souhaité d’ailleurs que cette publication ne soit pas un acte de magistère, mais donne lieu à des débats, voire même à des critiques.

 

Cardinal Müller : "C’est bien évidemment une question délicate, puisque le pape reste toujours le pape, même lorsqu’il est l’auteur d’un écrit qu’il présente comme privé. Il est difficile d’écarter son autorité magistérielle de celle qu’il a acquise en tant que théologien incontournable de notre époque. Malgré ces difficultés, il a souhaité maintenir cette distinction et a encouragé la critique de ses écrits sur Jésus. Joseph Ratzinger a conçu ces méditations comme un témoignage en tant que successeur de saint Pierre et théologien et non comme un acte ayant autorité. Nous pouvons à ce sujet relire la première lettre de saint Pierre dans laquelle l’apôtre rappelle qu’il faut toujours se préparer à donner une réponse à tous les hommes souhaitant connaître le fondement de notre espérance (1 P 3, 15), et la foi accompagnée de la raison sont les deux faces de cette réponse. Il n’est donc pas question avec ces écrits de Joseph Ratzinger d’un acte relevant de l’infaillibilité pontificale, mais d’un témoignage du pape au niveau scientifique et intellectuel.
« L’interrogation sur Jésus de Nazareth donne souvent lieu à un traitement aux antipodes : à la vulgarisation à sensation révélant de prétendus secrets inédits font face des analyses théologiques relevant d’une christologie souvent peu accessible au néophyte."

 

Comment jugez-vous l’angle retenu par le pape et théologien pour ce gros volume réunissant les trois ouvrages sur Jésus parus précédemment pendant son magistère ?


Cardinal Müller : "La parole de Dieu s’adresse à tous les hommes, non au vulgus ! La vulgarisation mal menée conduit souvent à énoncer des choses incorrectes. C’est d’ailleurs souvent une attitude qui relève du populisme que de déconsidérer les personnes en leur servant des contre-vérités grossières. Nous devons, à l’inverse, en tant que chrétiens, apôtres, évêques et personnes de bonne volonté, prendre au sérieux tous les hommes à qui nous nous adressons, sachant que les auditeurs de la parole sont d’origines diverses, géographiquement et socialement : vous avez des professeurs, vous avez aussi des ouvriers. Il s’agit d’unir ces différents niveaux sans pour autant faire des réductions. La pensée de Benoît XVI se place à un très haut niveau de discussion, mais il a ce charisme de rendre accessibles les questions les plus compliquées, offrant ainsi une pensée non seulement aux théologiens et aux scientifiques, mais également au plus grand nombre. C’est une parole du cœur qui est ainsi accessible à tous."

 

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Il faut partir de ce qu’a dit Jésus et qui a été rapporté par ses disciples pour considérer le christianisme comme une religion révélée, et c’est cette recherche qui est au cœur du travail mené dans ce livre.

 

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Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, Dieu s’auto-révèle en son Fils comme vous le précisez dans votre préface à ces Opera omnia. Avec l’Incarnation, il n’est plus question de mandat ou d’investiture, mais d’un homme à la fois historiquement identifié et choisi par Dieu pour être le Rédempteur de l’humanité. Comment Benoît XVI a-t-il appréhendé ce point crucial qui va au-delà de l’exégèse historique, sans pour autant la renier ?


Cardinal Müller : "Votre question est au cœur de l’interrogation menée par le pape Benoît XVI avec cette trilogie. Considérer le Jésus de l’histoire comme Fils de Dieu incarné et Rédempteur ne peut bien évidemment faire l’objet d’une vérification empirique. Il faut partir de ce qu’a dit Jésus et qui a été rapporté par ses disciples pour considérer le christianisme comme une religion révélée, et c’est cette recherche qui est au cœur du travail mené dans ce livre. Il est donc nécessaire d’adopter une nouvelle attitude – ce qu’a proposé Joseph Ratzinger dans son œuvre – en réduisant l’opposition Jésus historique/Christ de la foi pour lui préférer une réflexion historique transcendantale. L’auteur de cette réflexion sur Jésus dépasse alors l’histoire et le dogme, le sujet et l’objet. Le regard se porte sur la confession de Jésus comme Christ, médiation entre le plan terrestre et divin ainsi que sur le témoignage des disciples qui fait de Jésus crucifié et ressuscité le seul médiateur incontournable du règne de Dieu, ce dont témoigne la confession de foi des disciples par l’action de l’Esprit Saint. À partir de ces données fondamentales, l’auteur du volume que nous évoquons sur Jésus étudie et analyse cette confession de foi primitive et toujours actuelle entre histoire et transcendance."

 


Eminence, en plus de vos fonctions en tant que théologien, vous êtes également le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Congregatio pro Doctrina Fidei), naguère nommée Sainte Inquisition. Le rôle de cette institution appartenant à la Curie romaine a beaucoup évolué avec l’Histoire.


Cardinal Müller : "Lorsque j’ai été nommé Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le rôle qui allait m’incomber m’a été rappelé : aider le Saint-Père dans sa mission de promouvoir et de protéger la foi révélée. Il est certain que dans le passé, au Moyen Âge notamment, diverses situations historiques et intellectuelles ont étroitement associé le religieux et le politique.

Les dernières parutions du cardinal Müller

 

 

 

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Depuis ce Moyen Âge, nous avons assisté à une diversification de la foi et de la chrétienté avec les grandes hérésies. L’idée était pour les États européens une unité entre l’État, la société et la religion, religion catholique ou protestante, comme fondement de la société et principe de l’action de l’État.

Cette forme d’Inquisition existait également dans les États protestants, et il faut garder à l’esprit que l’Inquisition romaine était bien différente de celle qui sévissait en Espagne à la même époque. Aujourd’hui, depuis le concile Vatican II, notre mission essentielle est celle de promouvoir la foi, de nous protéger des erreurs du temps moderne avec l’absolutisme, le totalitarisme, le libéralisme sauvage comme le communisme qu’a connus le XXe siècle. Cette démarche collective doit être menée en associant foi et raison dans la liberté. Il s’agit donc de promouvoir positivement l’Évangile et la foi en évitant d’avoir recours à la propagande, au populisme et encore moins à une forme moderne d’Inquisition ! (rires)… "

 

Votre formation vous a conduit à être un théologien dans les plus hautes sphères de cette discipline, et en même temps vous avez gardé une proximité remarquée pour les plus démunis, notamment avec votre implication dans les favelas et votre sympathie pour la Théologie de la libération.

Cardinal Müller : "Comme vous le savez, je ne suis pas né dans une famille de professeurs, mais d’ouvriers ; mon père travaillait chez Opel. J’ai donc pu connaître très jeune la condition du peuple dans ses couches sociales les plus simples, pauvres, mais avec dignité. Lorsque j’ai eu la vocation du sacerdoce, je ne pensais pas du tout me diriger vers le professorat. Ma vocation centrale était de devenir apôtre, pasteur et prédicateur. Mais mes professeurs ainsi que l’évêque m’ont clairement fait comprendre que je devais étudier encore plus ! Grâce à leur encouragement, je suis devenu professeur de théologie sans pour autant perdre de vue cet élément central de ma vocation qui consistait à représenter Jésus-Christ. Selon moi, il n’y a pas de contradiction entre ces deux dimensions ; elles doivent plutôt conduire à une unité substantielle. À l’opposé, je vois plus de contradictions à distinguer toutes ces sphères de la vie intellectuelle, de la philosophie, de la théologie, de l’histoire, de la culture… Il ne s’agit pas d’isoler une classe d’intellectuels dans un statut particulier, mais bien plutôt de considérer les charismes pour l’édification de toutes ces considérations. Cette attitude m’a bien évidemment aidé pour aborder les plus démunis, dans la dignité. La mission de l’Église contredit les positions qui ont pu être celles du communisme ou des opposants aux religions ; pour nous chrétiens, les deux dimensions horizontale et transcendantale forment une unité, un tout. Il est bien évident qu’à la fin des temps la dimension transcendantale sera beaucoup plus large. Un chrétien est dans l’obligation de s’engager pour le bien commun en tenant compte des situations existantes.

 

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C’est en visitant les slums de la périphérie de la ville de Lima que l’on peut prendre pleine conscience de la rencontre avec Jésus.

 

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C’est ce que vous avez trouvé dans la théologie de Gustavo Gutiérrez qui a pu faire l’objet par le passé de critiques injustes ?

Cardinal Müller : "En effet, il ne s’agit pas d’un immanentisme de la foi catholique, mais d’une proposition de l’intégralité du royaume de Dieu. Le chrétien ne peut pas aller à la messe le dimanche et oublier tout ce que cela implique les autres jours ! Nous avons une responsabilité à l’égard du prochain avec Dieu comme critère et ultime juge. Il est vrai que ma rencontre avec la théologie du prêtre péruvien Gustavo Gutiérrez a été très importante dans cette optique. C’est en visitant les slums de la périphérie de la ville de Lima que l’on peut prendre pleine conscience de la rencontre avec Jésus. Il ne s’agit pas là d’une théologie « passive » universitaire, mais bien de cette rencontre unitaire que j’évoquais précédemment entre dimension transcendante et dimension immanente du Salut. À l’image du bon Samaritain, c’est ici et maintenant que cela doit se réaliser. C’est la raison profonde de cet engagement pour les pauvres. Nous ne pouvons pas une fois de plus parler de Jésus et détourner notre regard de ces situations qui contredisent l’Évangile. C’est cette Église pour les autres qui est au cœur de la théologie de la libération et qui s’inscrit dans le monde. À partir du moment où nous croyons que l’homme a été créé à l’image de Dieu, comment ne pas voir face à ces situations effroyables une obligation d’aide et d’assistance non seulement individuelle – pour chaque chrétien – mais aussi pour toutes les communautés humaines ? Il ne s’agit pas pour autant de se limiter à une assistance économique ou technique, mais bien de s’impliquer entièrement pour rétablir la dignité de la personne humaine atteinte par ces conditions de vie.

Vous avez très bien connu le pape émérite Benoit XVI en faisant partie de la Congrégation et en étant vous-même un théologien enseignant la dogmatique. Aujourd’hui, le pape François vous a désigné à la tête de cette institution essentielle. Comment percevez-vous, de l’intérieur, l’évolution du Saint-Siège sur ce court laps de temps ? Estimez-vous qu’il y a un décalage entre ce que l’opinion publique et les médias présentent et la réalité des choses ?

Cardinal Müller : "Il est évident que le fait que le pape actuel soit populaire est une bonne chose pour l’Église, à la condition que cela ne reste pas superficiel à la manière d’une star des médias. Si cela permet de mieux écouter le message de l’Évangile, avec cette rapidité extraordinaire de diffusion, une fois de plus c’est bénéfique. Mais il ne faut pas ignorer, d’un autre côté, le risque toujours sous-jacent d’une superficialité souvent indissociable de cette vitesse de l’information. Il faut une certaine profondeur, et du temps pour cela. On évoque souvent dans les gros titres des journaux la révolution du pape François, mais cela fait vingt siècles que l’Église révolutionne les mentalités, une révolution qui n’est pas synonyme de destruction comme au siècle passé par exemple, mais au contraire une proposition constructive, une invitation salutaire à s’opposer à l’égoïsme du monde, et aux intérêts particuliers. L’Église invite toujours à dépasser cet aspect auto-référentiel de l’être humain. Il s’agit tout d’abord de mettre en avant la dignité de la personne humaine et non pas sa fonctionnalité, ce à quoi il peut servir dans une économie. L’homme ne peut pas être conçu comme un client, un fonctionnaire, un consommateur… L’homme est une personne avec sa dignité et est responsable de cette valeur solidairement avec les autres personnes. On peut noter le même souci de la dignité de la personne humaine chez Benoît XVI et chez François, mais ce dernier a le charisme de présenter cette même chose d’une autre manière, plus simple, alors que Benoît XVI l’a exprimée à l’aide de la théologie. Chaque pape a le droit et l’obligation de se sacrifier de manière absolue, avec son propre charisme, histoire et identité personnelle, à cette mission. Ainsi, les 265 papes ont œuvré, chacun avec sa personnalité, à cette mission.

 

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

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Lexnews remercie Monseigneur P. Descourtieux, les éditions Parole & Silence, ainsi que le Collège des Bernardins où a eu lieu cet entretien.

 

 

Interview André Paul

Paris, 18 décembre 2014

André Paul fait partie de ces grandes figures intellectuelles dont l'esprit pétille alors qu'il vous expose des courants de pensée hérités de la plus ancienne antiquité, mais aussi d'une curieuse actualité... L'homme est autant à l'aise dans les arcanes les plus reculées de l'Histoire que dans celle du judaïsme ancien et rabbinique ou encore dans les subtilités de la théologie. Passant dans la conversation du grec au latin, sans oublier l'araméen, nos racines les plus anciennes défilent à une vitesse vertigineuse avec ce maître qui aime parfois provoquer, faire réfléchir toujours. Son dernier livre porte le titre polémique Eros enchaîné, un thème qui n'est pas toujours facilement appréhendé dans l'Eglise et dans la société moderne contrairement à ce que la libéralisation des mœurs a laissé croire. Rencontre avec un esprit libre et exigeant qui invite à repenser nos catégories à la lumière de l'Histoire.

 


ous avez connu dans votre toute jeune enfance, les valeurs directement héritées du XIXe siècle, elles-mêmes remontant à un passé plus ancien encore. Parallèlement, votre parcours vous amènera aux plus hautes sphères de nombreuses disciplines pour lesquelles vous n’hésitez pas remettre en question les idées reçues, les idées que vous avez pu vous-même recevoir. »


André Paul : "Je suis, en effet, le produit d'une société qui n'existe plus. Je suis né dans une famille ultra-catholique vivant selon les critères du XIXe siècle. Mon père exploitait une petite ferme avec trois hectares de terre. Il y avait un certain déterminisme dans cet environnement familial dans lequel il fallait à tout prix préserver l'unité et la perpétuité de ce petit moyen de production. J'ai été plus ou moins poussé vers la prêtrise. Je suis alors entré au Séminaire, mais je n’aspirais pas néanmoins aux privilèges séculiers tel que devenir un curé de paroisse. Le Supérieur du Séminaire sulpicien de Toulouse m'a demandé pour quelle raison j'avais décidé d'y entrer et j’ai été incapable de lui répondre ! C'est dans cette ville que j'ai découvert les Sulpiciens qui avaient en charge l'enseignement, la formation, cela m'a tout de suite plu, car ils n'étaient pas religieux, mais, en même temps ils vivaient en communauté et faisaient des études. Je me suis alors mis à apprendre l'hébreu, j'ai poursuivi à Paris puis à Rome pour me retrouver en fin de compte professeur à la Catho et éditeur, sans que je n’aie cherché quoi que ce soit ! Je me suis ainsi retrouvé habitant chez moi, sans pratiquer aucun acte cultuel requis. Je vivais effectivement comme un laïque, mais j’estimais cependant que cela n’était pas tout à fait normal. J'ai alors demandé à régulariser cette situation en rédigeant une lettre au pape par l'intermédiaire du cardinal Marti dont l’aide a été précieuse. Il n'y avait nulle récrimination dans cette démarche et dans ce courrier, je rendais grâce d'ailleurs à l'ensemble des personnes que j'avais pu rencontrer jusqu'alors et qui avaient contribué à ce que j'étais devenu, mais je ne me sentais fondamentalement pas prêtre et me demandais même si j'avais pu l'être dans ma conscience. J'ai eu une réponse favorable à peine trois mois après cette demande. J'ai gardé par la suite de grandes amitiés avec des personnalités de l’Église, même après mon mariage. C'est une question sur laquelle je suis très à l'aise, je n'ai pas le complexe du défroqué !"

 

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Le mythe révèle en fin de compte, avec cette mise en perspective, un monde autre et donne ainsi sens à une recherche qui concerne tant les athées que les croyants.

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« Vos travaux et vos recherches vous ont la plupart du temps incité à repenser la place et l’importance du mythe dans notre Histoire, et notamment dans la religion chrétienne, l’origine des origines comme vous le nommez».


André Paul : "C’est au moment de mes études bibliques que j’ai découvert la place du mythe. J’avais pourtant fait de longues études auparavant en philosophie et en théologie, mais personne ne m’avait parlé de cela si ce n’est dans des contextes de polémiques pour réfuter la théorie de Bultmann de la démythologisation. Ce n’était pas ainsi que l’on pouvait s’initier sérieusement à l’essence ni à la pertinence et à la permanence pour ne pas dire l’éternité du mythe. Dieu n’existerait pas -je précise que Dieu existe à partir du moment où un homme a historiquement dit Dieu- sans cette recherche des origines des origines. C’est une chose que j’ai découverte en étudiant la Bible, les civilisations babyloniennes et sumériennes dans le contexte assez étriqué du comparatisme des sources religieuses. Continuant mes études, j’ai découvert par la suite tout un univers, dont la culture judaïque préchrétienne. Que cela soit en araméen, en hébreu ou en grec, nous retrouvons ici de nombreuses références, la chute des anges, la littérature apocalyptique, la représentation de voyages célestes, toute une littérature d’ordre mythique qui a donné lieu dans la tradition judaïque et chrétienne à une littérature de révélation, c’est-à-dire visionnaire. À partir de cela, je me suis intéressé au mythe en tant que tel, ce procédé qui consiste à donner sens et à problématiser l’expérience humaine dans la mesure où celle-ci est en contraste ou en conflit entre le bien et le mal, la souffrance et le bonheur. Il faut dépasser cette dialectique pour aboutir en d’autres termes à ce qu’on peut appeler la synthèse finale. Le mythe révèle en fin de compte, avec cette mise en perspective, un monde autre et donne ainsi sens à une recherche qui concerne tant les athées que les croyants. Ce n’est plus alors l’origine des origines, mais bien la fin de la fin, à savoir un nouveau commencement. Ce sont des choses que j’ai travaillées toute ma vie et dans un souci d’interdisciplinarité - ce que j’appelle la transversalité des savoirs- même si j’ai fait également des thèses et conduit des travaux de recherche spécialisés dans des disciplines précises, avec un travail de première main. Mais, ce qui m’intéressait était surtout la synthèse et la communication, ce qui entraîne et sollicite la réflexion, pour pouvoir écrire des livres qui soient lisibles par le plus grand nombre. Selon moi, le mythe est quelque chose de nécessaire. Je crois qu’actuellement nous sommes dans une sorte d’indigence doctrinale, ce qui est paradoxal alors qu’on assiste à un retour conservateur dans un certain milieu qui s’enrichit d’un regain souvent surprenant de modes de piété caduques depuis longtemps. Toujours selon moi, cette indigence morale et doctrinale se caractérise pour ces personnes par un refus du mythe. Le mythe arrache et est un vecteur de transcendance, alors que la piété mal vécue enferme paradoxalement dans l’immanence."


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Il est certain qu’une personne comme Philon d’Alexandrie est le grand commentateur de la Torah et allait déjà vers le concept en transformant le mythe en spéculations assez conceptualisées

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Ces identités du mythe ont-elles permis de donner une certaine force à cette idée même du mythe dans vos travaux et recherches ?

 

André Paul : "Absolument, même si mes sources et ma documentation ont été limitées à ce que j’appelle l’intertestament, c’est-à-dire l’espace social du livre. Cet univers de culture étiqueté judaïque part du troisième siècle avant Jésus-Christ jusqu’au deuxième siècle après où se sont manifestés des courants de pensée que j’ai appelés tout à l’heure visionnaires et d’une certaine façon mythique par leur inspiration et leurs schèmes de représentation, l’équivalent de ce que l’on pourrait appeler en philosophie une conceptualisation. C’est par le récit et par la scène que l’on exprimait implicitement le concept. Il faut bien comprendre que la Bible, comprenant l’Ancien et le Nouveau Testament, s’est trouvée enrichie des manuscrits de la Mer Morte, manuscrits qui étaient eux-mêmes les rescapés d’une bibliothèque certainement beaucoup plus vaste. Cela fait donc une masse très importante d’informations à partir desquelles il est possible de reconstituer petit à petit ce qui n’est parvenu jusqu’à nous. La Bible a émergé de tout cela et c’est pourquoi j’ai parlé de l’intertestament, l’univers social du livre, il faudrait ajouter également culturel. À partir de là, qui est juif ? qui ne l’est pas ? même si cela était écrit en grec par des personnes qui habitaient à Alexandrie ou Antioche, connaissaient-ils l’hébreu ? Il est certain qu’une personne comme Philon d’Alexandrie qui est un des grands témoins de ce que nous évoquons - philosophe de formation, platonicien, précurseur du néoplatonisme- est le grand commentateur de la Torah et allait déjà vers le concept en transformant le mythe en spéculations assez conceptualisées. Cela permit d’ailleurs aux Pères de l’Église d’avoir un certain nombre de pistes ouvertes grâce à ses réflexions."

« Votre expérience personnelle vous a conduit à de nombreuses interrogations dont une d’elles structure nos sociétés sans toujours en apprécier la juste place, cet éros enchaîné, comme vous le nommez dans un récent ouvrage ».

André Paul : "Ma réflexion est partie de quelques conférences que j’avais données, dont une sur la naissance virginale de Jésus. J’ai beaucoup travaillé sur cette question en retrouvant un certain nombre de légendes et de mythes, ce qui n’était guère original puisque ce modèle existait déjà avant le christianisme dans les univers judaïques et grecs. Mais la naissance de Jésus par Marie, du fait de l’action du Saint-Esprit, est véritablement le dogme central sur lequel repose tout l’édifice chrétien. C’est à partir de l’auteur que nous évoquions tout à l’heure, Philon d’Alexandrie, que j’ai travaillé. J’ai trouvé des démarches, des spéculations, des représentations, et des mouvements de l’homme vers l’unité divine. Il y a même un texte fameux que j’ai cité dans mon livre sur le fait de « devenir » vierge, et cette vierge peut être paternelle ou maternelle, on ne sait plus. Il y a une équivalence à partir du moment où l’on atteint un certain sommet de progression de l’anthropos vers Dieu. La pensée de cet auteur repose sur des vues de l’antiquité qui sont pour certaines d’entre elles encore les nôtres. Il faut bien comprendre qu’à cette époque, ce qui était le plus proche de l’anthropos, c’était l’homme viril dans le sens de vir en latin. Dans l’échelle verticale qui nous mène vers les cieux et Dieu, plus on est mâle ou vir, plus on est anthropos ou homo, ce qui n’exclut pas les femmes, bien au contraire, lorsqu’elles possèdent ces valeurs. Je me suis donc intéressé à cette anthropologie antique dans cette préparation évangélique chez Philon d’Alexandrie. J’ai également porté mon intérêt sur la question du divorce à l’époque de Jésus, notamment dans quelques textes découverts dans la grotte de Qumran. Un courant majoritaire prévoyait à cette époque le divorce selon un certain nombre de conditions, ce qui passera d’ailleurs par la suite dans la littérature rabbinique et le Talmud. J’ai découvert qu’il y avait déjà dans le prophète Malachie des formules comme « Je hais le divorce ». On a l’impression qu’à l’époque de Jésus, la loi autorisait le divorce, mais il y avait une sorte de contrepoint, plus prophétique, pour l’exclusion de ce divorce. Tout ce que j’évoque donc dans ce livre est tiré de source vérifiable, et je peux d’ailleurs vous confier que j’ai donné ce texte à lire un certain nombre de grands théologiens qui ont été enthousiastes quant à ces idées."

 

C’est la première fois qu’une telle réflexion est menée ainsi sur ce sujet ?


André Paul : "Absolument, j’ai constitué un corpus de textes à partir desquels j’ai pu tisser tout un réseau de correspondances sur la famille, la sexualité, la reproduction, le mariage, etc. Tout cela me ramenait à Platon et j’ai donc relu les grands textes du philosophe sur ces questions."

Les dernières parutions d'André Paul

 

Quand et comment la religion d’amour annoncée par Jésus est-elle devenue l’ennemie de l’éros ? André Paul situe le fait bien avant saint Augustin, dès la préhistoire culturelle du christianisme. Théologien à la parole libre, auteur d’une œuvre importante et reconnue, l’historien des doctrines et des textes antiques juifs, grecs et chrétiens, décrypte la façon dont un philosophe juif quasi contemporain de Jésus, Philon d’Alexandrie, a déterminé en profondeur tant la doctrine que l’éthique chrétiennes. Empreint de culture grecque, cet éminent esprit minimise le mythe de l’androgyne originel au profit d’un modèle opposé, lui-même hérité de Platon, qui dévalorise la femme. À sa suite, reprenant son interprétation biaisée de la Genèse, les Pères de l’Eglise enchaîneront l’éros à la nécessité de la procréation, et figeront une conception restrictive de l’union conjugale

Cet essai passionnant, où l’auteur s’engage personnellement sur ce qu’il appelle les « maladies sexuelles de la foi », remet en cause nombre d’idées reçues. À l’heure où un moralisme volontiers virulent refait surface autour des thèmes de l’homosexualité et des fondements de la famille, il fait œuvre salutaire. (présentation de l'éditeur)

 

 

Cet ouvrage contient de nombreuses informations synthétiques sur le monument littéraire qu’est la Bible : ses origines, son histoire et ses interprétations.
Il présente ce grand témoin de l’Antiquité classique dans sa dimension culturelle, sans omettre la mémoire sacrée, en partie commune, des juifs et des chrétiens.

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Vous soulignez à partir de Platon cette option entre deux voies possibles.


André Paul : "En effet, je connaissais bien entendu le mythe de l’androgyne chez Platon, mais en réalité le philosophe nous présente deux mythes en apparence contradictoires. L’un, que j’appellerai le mythe égalitaire, dans lequel il y aurait trois types d’hommes ou plutôt d’homidiens à savoir : l’androgyne (deux fois homme et deux fois femme), ensuite il y a l’homme double et la femme double. Comme ils prenaient de plus en plus de puissance, Zeus a décidé de les couper et de les séparer en deux. À partir de là, il n’y a plus eu que des moitiés, y compris pour l’androgyne. D’où l’aspiration à l’unification de toutes ces entités, c’est ainsi que cette béance a généré l’amour, l’éros, ce désir de se retrouver et de se compléter. Une moitié d’homme pouvait s’unir avec une moitié d’homme, une moitié de femme avec une moitié de femme, et une moitié d’homme avec une moitié de femmes ou vice versa, c’est pourquoi je dis qu’il y a quatre genres ! C’est ce que j’appelle le genre pluriel. Autre conséquence de ceux-ci, c’est l’égalité. Si vous regardez ce modèle, il n’y a pas d’avant ou d’après. La simultanéité des sexes apparaît avec la simultanéité des genres. Vous avez ensuite le modèle du Timée qui est proche du récit de la Genèse. Les démiurges, ces dieux subalternes - que l’on va retrouver d’ailleurs chez les gnostiques- ont eu pour mission de la part des dieux suprêmes de fabriquer le mâle, ensuite la femme, puis les animaux. Si vous observez ce schéma, la femme apparaît dans un second temps et est le fruit d’une déchéance puisque moins parfaite que la première création, déchéance accentuée avec l’apparition des animaux. C’est le modèle que l’auteur de la Genèse a reproduit, et c’est toujours notre modèle d’une certaine façon… Philon reprend tous ces éléments et garde un peu à l’esprit le texte du Banquet, mais il y imprime surtout le modèle du Timée. Je démontre alors combien depuis cette époque le modèle du Timée joint à celui de la Bible n’a cessé d’être hégémonique ; ce qui n’empêcha pas au schéma du Banquet de se risquer à des revanches dans l’histoire, aujourd’hui plus que jamais. Celui qui a fait la transition entre Philon et la tradition chrétienne, c’est Clément d’Alexandrie. Ce dernier était un grand esprit qui, en philosophe chrétien, a repris les thèses de Philon en allant beaucoup plus loin, jusqu’à la codification de l’usage du sexe : une première dans l’histoire."
 

« Cette image du Christ – vrai homme – peut surprendre, voire choquer (ce que vous expliquez très bien dans votre livre). En quoi cette évocation possible du Jésus historique en dit plus long sur nous-mêmes que sur celui crucifié par Ponce Pilate ? »


André Paul : "Pour le croyant chrétien, Jésus est le fils de Dieu. Il est à la fois vrai Dieu et vrai homme, et l’on oublie souvent cette dernière donnée. Je dois vous avouer que c’est quelque chose qui m’interroge toujours et je suis particulièrement mal à l’aise le Vendredi Saint, le jour où l’on évoque Jésus sur la croix, ce qui est paradoxal si l’on regarde mon parcours. Lorsque j’assiste à cet office, j’ai vraiment l’impression que l’on s’émeut devant une représentation qui est complètement factice. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque de Jésus, les autorités romaines crucifiaient des hommes par dizaines. Pour l’historien, il s’agit là d’un acte banal de tous les jours, et ces condamnations ne donnaient pas lieu aux représentations que l’univers chrétien en a faites depuis. C’est un peu la même idée d’ailleurs concernant la crèche où nous sommes dans le domaine de la piété populaire, parfois de l’art, et non pas dans la réalité historique. J’essaie d’avoir une perception à la fois de l’homme entier, complet, et d’autre part d’une autre réalité extraordinaire à laquelle on a décidé de croire. La foi a besoin de médiation, de révélations, d’origines… mais, pour moi, l’erreur consiste à oublier l’un pour l’autre ou l’autre pour l’un !"


« Par votre réflexion, vous invitez également à reconsidérer la pensée de saint Paul, considéré à tort dites-vous comme une pensée allant à l’encontre du corps et des femmes. »


André Paul : "On a fait à tort de saint Paul un homme triste, pessimiste même, et plus encore misogyne. Dans mon livre Éros enchaîné, j’ai démontré le contraire. Paul, ou peut-être - ce qui assainira le problème - le groupe de maîtres que cette signature représente, a bien valorisé l’amour charnel. Plusieurs passages de la Première lettre aux Corinthiens le prouvent. Par ailleurs, celle-ci ne cesse de défendre l’égalité de l’homme et de la femme dans la relation matrimoniale. Elle s’inscrit ainsi dans le sillage direct des annonces de Jésus, rompant avec la Loi de Moïse, laquelle fait la part belle au mari. Ce que montre nettement la réglementation du Deutéronome (ch. 24) sur le divorce, toujours conclu au détriment de la femme. Si Paul s’inscrit contre le divorce, comme Jésus déjà, mais non sans discernement ni nuances, dans la ligne du prophète Malachie dont l’un des oracles fait dire au Dieu d’Israël : « Je hais le divorce », c’est tout d’abord pour rendre à l’épouse ses droits fondamentaux à l’égalité. Voilà ce que l’on omet habituellement de voir. Et l’on impute à Paul des raidissements voire, des déviances venues tardivement.
Il faut ajouter que saint Paul situe le mariage d’un homme et d’une femme dans une relation mystique avec l’union du Christ et de l’Église. Ainsi se trouve fondé ce que l’on appellera plus tard, quand le sacrement de mariage sera institué, en plein Moyen Âge, l’« indissolubilité » du mariage. Mais le célibat se trouve valorisé tout spécialement par Paul, ce qui peut surprendre. Il convient de prendre ce genre de proposition pour ce qu’elle est vraiment : une vision, à savoir la projection prophétique dans l’au-delà du monde et des conditions terrestres de la vie, de l’existence humaine transformée, transfigurée, à l’image même du Christ ressuscité. Dans le Royaume des cieux, a dit Jésus, « il n’y a ni mari ni femme ». Comprenons cette grandiose anticipation comme il se doit. Ce qu’a fait saint Paul, le tout premier à réfléchir sur cette annonce."

 

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J’ai le sentiment que nous en sommes restés aux représentations anthropologiques des Grecs, avec la séparation du corps ou sôma et de l’âme ou psychè

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« Le corps fait peur, rappelez-vous, tout autant celui du Christ ressuscité que de Jésus vrai homme. Pensez-vous qu’il faille chercher là les raisons de notre rapport au corps dans notre société moderne et cela expliquerait-il toutes ces inclinations à manipuler le vivant ? »


André Paul : "J’ai le sentiment que nous en sommes restés aux représentations anthropologiques des Grecs, avec la séparation du corps ou sôma et de l’âme ou psychè. Avec la suprématie de celle-ci, volontiers considérée comme immortelle, sur celui-là. Philon d’Alexandrie, et à son école des philosophes chrétiens imbus de culture grecque, Clément d’Alexandrie le premier, ont repris et transmis ce schéma, encore tenace chez nous. D’où la tendance, chez les prédicateurs dominicaux par exemple, à considérer la résurrection comme de nouvelles retrouvailles du corps et de l’âme (la conception étant la première). Ce discours n’est pas chrétien. Il n’est ni celui de Jésus ni celui de Paul. Car c’est le corps qui ressuscite, dans une substance spécifique pourrait-on dire transfigurée. L’« âme » n’est pas concernée. Dans la Première lettre aux Corinthiens (ch. 15), saint Paul présente la résurrection comme l’état du sôma pneumatikon ou « corps dans l’esprit ». M’inspirant d’une formule stoïcienne, je traduis : « corps dissout dans l’esprit ». « Corps spirituel » comme proposent nos Bibles, ne veut rien dire. Or, ce qu’il y a de plus « charnel » dans l’homme, n’est-ce pas le sexe ? Et ce dernier n’est-il pas à la vérité un producteur de mort, l’être de chair dont il permet l’engendrement étant voué à la mort ? S’il assure l’immortalité de l’humanité, comme dit Platon, n’est-ce pas au moyen d’une chaîne de morts ? Et de là à reléguer le sexe et tout ce qui le touche dans le domaine du mal, et d’un mal génétique, il n’y avait qu’un pas."


« Comment votre réflexion sur ces questions a-t-elle été perçue dans le monde catholique et à l’extérieur ? »


André Paul : "J’ai été surpris de deux choses. D’abord, l’accueil très favorable, plus encore, chez certains théologiens, et non des moindres. J’en ai pour preuve l’excellent article du jésuite Pierre Gibert dans les Études de janvier 2015. J’y ajoute les invitations à de belles émissions de radios instituées comme « le Grand témoin » de Radio Notre-Dame, « Libre essai » de RCF » et « Midi Magazine » de Fréquence protestante. J’ajoute de très chaleureuses sinon enthousiastes recensions dans Le Monde des religions ou dans le quotidien de Montréal Le Devoir. Etc. En revanche, je note le silence de journaux pour ainsi dire institutionnels comme La Croix. Je regrette le manque de débat. J’ai l’impression que les personnes gênées ont préféré s’abstenir que de prendre le risque de croiser le fer. Pour ma part, j’aurais préféré prendre des coups et débattre."

 

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

© Interview exclusive Lexnews

Tous droits réservés

reproduction interdite

 

 

 

 

Interview Mgr Joseph Doré

Séminaire Saint-Sulpice, Issy-les-Moulineaux

7 août 2014

 

 © S. Kalimorov

Monseigneur Joseph Doré nous avait déjà fait l'honneur de présenter, ici même, dans dans ces colonnes sa collection La Grâce d'une cathédrale publiée aux éditions La Nuée Bleue. L'archevêque émérite de Strasbourg revient aujourd'hui sur sa vie et son engagement au service des femmes et des hommes de notre temps en une Eglise qu'il a toujours servie avec honneur, passion et fidélité. L'intellectuel évoque avec nous un parcours riche en découvertes et productions, le théologien n'écarte pas les questions brûlantes de notre temps et l'homme livre un témoignage engagé et entier qui dépasse le cadre de la foi et des croyants pour toucher tout à chacun. Rencontre avec une grande figure de la foi.

 

 

n récent livre de vous porte le titre À cause de Jésus en référence à saint Paul, là où le lecteur s’attendrait plutôt à Grâce à Jésus. Si la "cause", dans son étymologie latine, a souvent un rapport avec le langage judiciaire romain dont nous avons hérité, elle renvoie également à la notion d’origine et de source.

Joseph Doré : J’ai retenu la formulation "à cause de" plutôt que "grâce à », alors même que cette dernière me tient particulièrement à cœur, comme vous le savez* . C'est un fait qu'en réfléchissant aux différents sens du mot "grâce" en français : cadeau, pardon, élégance… j’ai été conduit à valoriser beaucoup ce mot. Il m’a permis de faire apparaître qu’au fond, dans le mystère de Jésus-Christ, ce qui se révèle c’est à la fois le splendide cadeau que Dieu nous fait, le pardon qu’il veut bien nous offrir (ne parle-t-on pas de la grâce du condamné ?)... et avec quelle élégance tout cela, puisqu’Il ne le fait pas en restant à distance de nous, mais en se faisant l’un de nous !
Pourquoi me suis-je alors déterminé à retenir plutôt l’expression "à cause de Jésus" ? - C’est que cette autre expression m’a permis de souligner l’aspect de la motivation. La grâce est quelque chose qui vous advient du dehors : elle vous arrive, elle est là, elle s’offre à vous. Devenir évêque m’a certes été offert comme une grâce – mais j’avais besoin d’être motivé pour accepter de le devenir, car cela n’allait pas de soi pour moi. J’étais théologien et désireux de le rester, et voilà que soudainement on me demandait de devenir autre chose… à quoi je n’étais pas porté. Si j’ai finalement donné mon accord, c’est précisément parce qu’est intervenue pour moi une motivation forte : marcher à la suite de Jésus, répondre à son appel – et à cause de cela, accepter d’y aller…
Dans le langage théologique au sens large, on parle par ailleurs volontiers de ''la cause de Jésus", désignant globalement par là tout ce au service de quoi Jésus s’est mis par son message et par son action dans l’humanité, tout ce qu’il a invité les hommes à faire à sa suite : amour des autres, espérance en l’avenir, lutte contre le mal, etc. J’ai aussi pensé à cela en préférant l’expression "à cause de". Et puis comme vous le rappeliez, cette expression "à cause de Jésus" ou "à cause de l’Évangile" revient très fréquemment chez saint Paul, et cela a aussi compté pour moi. Peut-être puis-je du reste dire que c’est précisément par là que l’on rejoint la motivation que j’évoquais : au fond, ce qui m’a fait accepter de devenir évêque, c’est que j’en suis venu à y voir un bon moyen de soutenir à mon tour dans le monde la cause de Jésus comme cause de l’Évangile. Mais je n’ai pas pour autant oublié la thématique de la grâce !

 

(*Mgr Doré a initié une série de publications de livres d’art sacré, portant sur les plus grandes cathédrales de France : "La grâce d’une cathédrale", Ed. La Nuée Bleue, Strasbourg (ndlr).

 

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D'UNE CERTAINE FORME DE COMBAT

À UNE CERTAINE IDÉE DU SERVICE

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On a l’impression, en suivant votre parcours, qu’y apparaît l'idée d’un combat, un combat au sens justement paulinien du terme… alors que vous semblez plutôt être une personne à caractère conciliant.

Mgr Doré : "On m’a souvent considéré, oui, comme conciliant, et j’accepte qu’il puisse en être ainsi (mon signe astral est d’ailleurs la Balance !). L’idée du combat ne m’en anime pas moins profondément par ailleurs. L’idée d’un combat "pour", "au nom de", plus que "contre" ; mais la distinction que je tente ainsi d’introduire ne va pas de soi ; elle ne suffit pas à permettre d’éviter tous les affrontements ! En tout cas, c’est au nom d’une certaine conception de l’homme et de l’existence humaine que, y compris dans l’Église d’ailleurs, je pars en guerre contre un certain nombre de choses. Je me dis souvent que la vie est courte et qu’il faut s’efforcer de la rendre utile au plus grand nombre. Or, cela implique un certain nombre de rappels et d’exigences à adresser à autrui, mais aussi une certaine forme de lutte contre nos propres facilités, endormissements et autres a priori.
En cela, je rejoins encore saint Paul, qui ira jusqu’à évoquer ces "puissances", ces démons qui nous tiennent captifs. C’est en ce sens, par exemple, qu’il parle de "la chair", qui ne désigne pas chez lui notre corps, ni même notre sexualité, mais tout ce qui peut faire obstacle à la vie véritable, tout ce qui porte dans la direction de ce qui va mourir. Par nos complicités, y compris dans l’ordre de l’esprit, il nous arrive d’œuvrer de sorte que ce que nous faisons aille et entraîne de fait vers la mort. Paul n’hésitera pas en ce sens à imputer à "la chair" des défauts comme l’orgueil, la jalousie, la haine… J’estime que tout cela mérite bel et bien un grand combat, et je le mène pour ma part comme je le peux, en sachant bien que j’ai tout d’abord à le mener contre moi-même. On peut alors progresser et aider à progresser dans le sens de ce qu’on appelle la "conversion". On peut aussi assister à des transformations étonnantes chez des personnes ou très accablées ou, au contraire, très sûres d’elles. Il s’agit finalement, on le voit bien, d’un combat spirituel, car les pires ennemis du grandissement de l’homme, en nous-mêmes et dans les autres, se trouvent dans notre cœur. Il y a beaucoup à faire certes, mais ma conviction est qu’on peut vraiment faire quelque chose... si on lutte assez – et assez bien !"

Ainsi ne souhaitez-vous pas ainsi laisser au seul mouvement dit des indignés le monopole de la réaction.

Mgr Doré : "Tout à fait, et merci de faire cette remarque ! Je crois que l’indignation peut être un bon moteur car il y a, de fait, bien des choses intolérables, qu’il s’agit donc de dénoncer. Mais après, que fait-on avec cela ? Après la prise de conscience et la protestation, il ne faut pas laisser toute la place à la dureté du cœur, à l’incompréhension, à l’hostilité – que sais-je ? Après l’indignation, il y nécessité d’un engagement ; il faut se mettre soi-même en mesure de résister efficacement à ce qui mérite notre indignation et de le faire reculer en luttant résolument à son encontre. Tout n’est pas dit avec l’indignation."

 

Votre enfance vous a non seulement révélé votre propre fragilité, mais également toutes les richesses de votre caractère sensible, qui sera à la base de votre foi, de votre vocation et de votre sacerdoce.

Mgr Doré : "J’ai vécu dans un milieu où l’on était éduqué à un vrai réalisme face aux conditions de la vie. Je suis né en 1936 ; j’ai donc pris très tôt conscience de ce que peut être l’existence humaine dans une situation historique de fait marquée par la pénurie, la peur, les difficultés de tous ordres. Il y a là en effet quelque chose qui a marqué toute ma jeunesse, à une époque où il ne s’agissait pas seulement de s’indigner, mais également de retrousser ses manches. C’est le premier aspect : il faut s’y mettre, y aller, se donner de la peine. Mais il y en a un second : on considère d’emblée que la cause n’est pas désespérée ! Il y a en nous quelque chose de profond, de fondamental, qui porte envers et contre tout à l’espérance : une confiance radicale dont on est soi-même l’objet et que l’on sait aussi pouvoir faire à ses proches. C’est quelque chose de très fragile assurément, mais, dans la mesure où c’est cela même qui vous donne courage et détermination pour vous battre là où il le faut, cela vient en même temps tempérer tout ce qui pourrait être de l’ordre de la dureté – et, tout à coup, cela même qui pouvait apparaître comme une réelle faiblesse devient une vraie force. On sait alors pourquoi on se bat, et qu’on a bien raison de le faire. J’ai découvert que la confiance en soi nécessaire à tout combat ne peut vraiment vous venir que de la confiance que d’autres personnes estiment pouvoir vous faire.
J’étais un enfant chétif, intellectuellement doué sans doute, mais si je réussissais dans mes études, c’était tout de même avec des efforts et des combats ! Vous évoquiez mes fragilités : il est vrai que toute ma vie sera tout particulièrement parsemée de difficultés physiques. C’est néanmoins un fait que j’ai pu tirer profit malgré tout de mes faiblesses de constitution ! Au lycée, mes professeurs disaient de moi, paraît-il : « Doré, sa lampe est trop forte pour ses accus ! » Mais la grâce m’a été donnée de "tenir le coup". Ici, on peut faire le lien avec l’amour : c’est une force extraordinaire, c’est même la plus grande force que l’on puisse expérimenter ; en même temps pourtant, quelle faiblesse, quelle vulnérabilité il entraîne chez celui qui le vit ! C’est en fonction de tout cela que j’ai découvert que réussir sa vie en étant utile à autrui, suppose évidemment une vraie détermination et un certain combat, mais suppose surtout un engagement de fait motivé par des raisons profondes, des raisons profondément spirituelles qui sont finalement de l’ordre de l’amour… Car, n’est-ce pas, seul l’amour peut sauver."

 



Un événement aussi tragique que la guerre d’Algérie va paradoxalement déterminer une véritable renaissance après que vous aurez rencontré la mort. Vous prononcerez même, au seuil de cette mort que vous sentez proche de vous, ces termes du psalmiste qui seront prophétiques concernant votre future responsabilité d’évêque : Ô Seigneur, sois près de moi ; que ton bâton, ta houlette me soutiennent !

Mgr Doré : "J’ai véritablement fait l’expérience du risque et de la peur, lors des opérations de cette vraie guerre qui ne disait pas son nom… et à laquelle je participais : il y avait les mines sur les pistes et les embuscades au fond des oueds ; j’y ai perdu plusieurs amis très chers. Puis, j’ai connu une douloureuse expérience à l’hôpital militaire de Sétif où, autrement encore, j’ai de tout près frôlé la mort. Je me souviens très bien d’un dimanche soir, dans une grande salle dont chaque lit était occupé par un blessé. Des copains étaient venus me rendre visite. Ils sont passés devant mon lit sans s’arrêter : ils ne m’avaient pas reconnu, tant j’étais mal en point ! J’ai alors eu l’impression qu’en somme, j’étais rayé de la carte des vivants… C’était la fin, quoi ! J’ai donc estimé qu’il ne me restait plus qu’à me recommander au Dieu de ma foi : « Ô Seigneur, sois près de moi ; que ton bâton, ta houlette me soutiennent. » Je vous avouerai que je n’avais jamais fait le lien jusqu’à ce que vous le fassiez vous-même aujourd’hui, entre ce bâton, cette houlette du psalmiste que j’évoquais, et ma future crosse d’évêque…
Cela me parle d’autant plus, maintenant que je tiens effectivement la crosse pour le symbole le plus important de la charge d’évêque… et d’autant plus encore que j’en ai eu en réalité trois ! La première m’a été remise dans le cadre de la célébration même de mon ordination : une crosse de la fin du XVIIIe siècle qui me renvoyait à toute la filière historique des évêques de Strasbourg, dans laquelle je venais m’insérer. Mais une deuxième crosse m’a ensuite été remise, au moment de l’offertoire ; ayant été faite par des prisonniers, elle me renvoyait, elle, à tous ces membres du Peuple de Dieu qui sont de fait loin de nos églises mais dont il m’incombait aussi, comme pasteur, de me préoccuper. Une troisième me fut enfin remise par mes proches et amis, par mes collègues ou confrères de toutes les étapes antérieures de ma vie. Ces trois crosses ont chacune leur signification : si la première m’évoque, bien sûr, la verticalité de la succession apostolique à travers les siècles, et si la troisième symbolise l’horizontalité de l’Église présente dont je suis membre, la deuxième me renvoie au vaste monde de ceux qui sont ailleurs et que, pour autant, il ne saurait être question d’oublier.
Mais n’anticipons pas ! J’en reviens plutôt à cette époque, véritablement décisive de ma vie, que nous étions en train d’évoquer. À son sujet, je dirais surtout que c’est elle qui m’a fait découvrir que la vie est une grâce : que, puisque vous ne vous la donnez pas à vous-même et qu’elle ne vous appartient jamais, c’est que, fondamentalement, vous ne faites toujours que la recevoir, qu’elle représente toujours pour vous un pur don reçu et que, par conséquent, la seule question qui se pose ensuite à son sujet, c’est de savoir à qui et à quoi – et subsidiairement comment – vous pourrez la donner.
En le sinistre hôpital militaire de Sétif, il m’a été donné de vivre un merveilleux matin où s’est allègrement murmurée en moi l’exaltante conviction du psalmiste : « Non, je ne mourrai pas ; je vivrai ! » Tout le reste de ma vie s’en est trouvé marqué, comme il arriva à Jacob après sa longue nuit de combat au gué du Yabbok. Et j’ose dire qu’à partir de ce moment-là s’est incrustée dans ma vie cette insistante interrogation : à quoi vraiment consacrer ma vie, à qui la donner – et, plus simplement : à quoi la "faire servir" ?"


Votre vocation sera fondamentalement assise sur l’idée de service au profit des hommes et des femmes en pleine humanité, mais il s’agira d’un service guidé par la raison.

Mgr Doré : "Effectivement, à la suite de tout ce cheminement, mon désir était bien de "servir". J’ai envie de vous dire de manière un peu triviale : servir, oui mais, si j’ose dire, "en servant à quelque chose" ! C’est cela et rien d’autre qui m’a conduit à faire pour mon avenir successivement deux hypothèses : soit devenir médecin pour servir à guérir ou soulager la vie personnelle des souffrants, soit m’engager d’une manière ou de l’autre au plan politique, afin de contribuer à un meilleur vivre-ensemble dans la société qui est la nôtre. C’est cependant autre chose qui m’a finalement motivé, quoi que toujours bien évidemment dans le sens du service. "À cause de Jésus et de l’Évangile", je me suis orienté plutôt dans un service d’ordre proprement spirituel : j’ai décidé de me proposer pour devenir prêtre… et je suis entré au Grand Séminaire de mon diocèse, celui de Nantes.

 


Mais, pour reprendre les termes de votre question, il est vrai que ce service devait être tout entier "guidé par la raison". Ce n’était ni le désir de fuir le monde, ni la passion de la mystique qui m’avaient poussé en ce sens, mais le souhait de contribuer pour ma part à la diffusion de cet Évangile qui m’avait moi-même éclairé. Or je me suis vite rendu compte que, loin d’empêcher la réflexion, une telle disposition d’esprit la stimulait au contraire fortement. J’ai en effet découvert dans le même temps que la foi se donnait elle-même à comprendre et qu’elle permettait de comprendre des choses qui, sans elle, me restaient totalement incompréhensibles…
Ce fut, je dois le dire, un véritable émerveillement. Deux brèves citations d’auteurs qui ont compté pour moi à cette époque suffiront, je pense, à faire saisir ce que je veux dire. Péguy tout d’abord, lorsqu’il fait dire à Dieu : « Quand on a connu ce que c’est que d’être aimé par des hommes libres, les prosternements d’esclaves ne vous disent plus rien. » Kierkegaard ensuite, disant : « On n’existe toujours que dans ce qu’on a compris. » Ayant compris qu’il existe aussi une réalité appelée Dieu, j’avais découvert que je pouvais donc exister aussi "en fonction" de Lui… et j’ai eu alors le souhait immédiat de permettre si possible à d’autres d’exister eux-mêmes de la même manière. Il a en effet tout de suite été essentiel pour moi de faire partager cette découverte au plus grand nombre possible, et d’inviter à prendre conscience que Dieu n’est pas une entrave de plus dans la vie quotidienne, mais bien au contraire une grâce, un bonheur, qui peut donner tout son sens à la vie. À partir de là, je me suis littéralement mis en chasse de tous les moyens susceptibles de m’aider à mieux percevoir et faire percevoir que la foi et la vie de foi sont aussi une affaire d’intelligence, de réflexion et de compréhension. C’est dans cet esprit que je suis, sur cette lancée, devenu un théologien."

 

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LA VOCATION

ET LA TÂCHE DE LA THÉOLOGIE

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Comment présenteriez-vous aujourd’hui ce qu’est un théologien, en une époque où cette fonction est souvent ignorée ?

Mgr Doré : "Il est vrai que de nos jours, lorsqu’on emploie l’adjectif "théologique", c’est souvent pour caractériser des débats qui n’ont aucun intérêt – en tout cas aucun intérêt "réel" pour "les gens"… Je ne nie pas qu’il y a eu, et qu’il peut encore y avoir aujourd’hui, des discours théologiques qui relèvent à bon droit d’un tel jugement ; mais pour moi en tout cas, ne peut être baptisé du beau nom de "théologie" qu’un discours, qu’une réflexion systématique à la fois "critique et confessante", portant sur ce qu’on appelle "la foi", considérée inséparablement dans sa teneur la plus authentique et dans l’intérêt qu’elle est susceptible de présenter dans le monde d’aujourd’hui.
C’est bel et bien une démarche critique car elle s’évertue à mettre en œuvre toutes les procédures scientifiques dont on dispose aujourd’hui. Lorsque, par exemple, on se propose de traiter de Jésus, il est clair qu’on devra bien recourir à la science historique, puisque la foi elle-même nous dit qu’il s’agit avec lui d’une personnalité ayant réellement vécu la condition humaine en ce monde. De la même manière, une théologie de la paternité de Dieu ne peut pas faire l’impasse sur les apports propres de la psychologie. Semblablement encore, lorsqu’on réfléchit à l’organisation de l’Église, gagnera-t-on à s’en rapporter aux analyses de la sociologie. Ainsi, le théologien a-t-il toujours le souci de recourir à la philosophie et aux sciences humaines – à commencer d’ailleurs par l’histoire, la toute première d’entre elles – pour progresser dans l’intelligence de ce qu’annonce la foi. Il ne s’agit pour autant pas pour lui de devenir un sociologue ou un psychologue de plus, mais de recourir aux compétences propres des approches scientifiques spécialisées pour identifier avec plus de précision ce que peuvent être aussi bien la proposition ecclésiale de la foi que la démarche personnelle qui est censée pouvoir/devoir lui répondre.
La tâche du théologien est de faire apparaître, autant que faire se peut, qu’il est toujours possible de confesser la foi apostolique et ecclésiale, non seulement en tenant compte des situations d’aujourd’hui, mais en s’éclairant aux moyens nouveaux dont nous a dotés l’évolution de la culture. On peut dire, pour résumer, que la théologie exerce sa responsabilité sur deux fronts : elle doit se montrer capable de répondre de la foi reçue de la Tradition en répondant aux questions qui sont celles d’aujourd’hui."


La seule limite que l’on peut souligner dans cette démarche concerne l’indépendance de ces théologiens : peut-elle vraiment s’exercer dans ce cadre confessionnel ?

Mgr Doré : "À vrai dire, mon problème personnel a toujours été davantage de savoir à quoi je pouvais acquiescer plutôt que de déterminer ce à quoi je devrais dire non… J’ai sur ce point été très influencé par la pensée de Nietzsche faisant aux chrétiens le reproche d’être souvent dans le non. On peut en effet à bon droit estimer que le problème décisif et même l’essentiel ne se tient pas dans la possibilité de dire non, mais bien plutôt dans la capacité de dire oui… quitte, bien sûr, à poser les "non" qui, de ce oui, conditionnent le réalisme et la validité. Bien entendu, ce à quoi je dis oui et à quoi je fais donc allégeance, je le reconnais plus grand que moi.
Il y a d’ailleurs là une question qui me préoccupe d’une manière tout à fait générale aujourd’hui : dans quelle mesure nos contemporains sont-ils toujours capables de dire oui et de s’engager, de vraiment s’engager sur leur oui ? Plus profondément encore, je me demande : à quoi sont-ils vraiment susceptibles de se reconnaître capables de dire vraiment oui ? J’estime même que c’est une très bonne manière de se poser la question de l’annonce de la foi chrétienne aujourd’hui, compte tenu de ce que sont les conditions culturelles et sociales, économiques et politiques qui sont les nôtres."

 

De manière un peu provocante, on a envie de vous demander : qu’en a-t-il été, qu’en est-il d’une telle démarche, par exemple, pour la théologie de la libération : n’a-t-elle pas été largement censurée par les autorités de l'Église en raison d’une trop grande proximité avec le fait politique ?

Mgr Doré : "Il me semble que, globalement, la théologie de la libération n’a pas été l’objet d’une adéquate compréhension dans l’Église. Si elle a certes été reçue par un certain nombre de théologiens et d’évêques, l’impression est cependant qu’elle n’a pas été réellement entendue, même si l’on doit admettre que, des deux ''instructions'' romaines qui lui ont été consacrées, la seconde a de fait adopté une attitude plus positive à son égard. L’intention fondamentale de cette théologie était de prendre réellement en considération les conditions historiques concrètes dans lesquelles vivent les hommes, en s’aidant au besoin des analyses proposées par les sciences sociales – y compris lorsqu’elles étaient développées dans une perspective marxiste. Cela pouvait théoriquement se faire, et a été effectivement fait par un certain nombre de théologiens, sans acquiescer au matérialisme dialectique et à toutes ses conséquences ! Mais là, certaines distinctions n’ont pas été faites, certains responsables hiérarchiques ont été trop vite, ont été trop loin dans la suspicion, le refus et la condamnation… quand bien même, à l’inverse, il y a eu chez un certain nombre de pasteurs et de théologiens une trop facile propension à tellement mettre en avant les conditions matérielles, que la dimension spirituelle de la démarche de foi s’en trouvait réduite voire compromise. Il y avait en réalité là matière à un véritable débat, et l’on voit bien qu’il n’a guère eu lieu. Je ne reproche à personne, dans l’Église, de ne pas avoir été intéressé par les idées de la théologie de la libération ; je regrette en revanche que certains de ceux qui ont eu à en connaître n’aient pas même cherché à comprendre ce que pouvait être ici l’enjeu du combat théologique chez ceux qui le menaient.
Il faut que les chercheurs, y compris théologiens bien sûr, puissent exprimer librement dans l’Église les résultats de leurs recherches. À eux alors d’être, corrélativement, dans une attitude de dialogue qui accepte d’être interpellée. Il m’est arrivé à moi-même de l’être à plusieurs reprises par "ma hiérarchie", comme on dit du reste même dans les entreprises. J’ai toujours joué le jeu et l’on m’a toujours permis de m’expliquer.
Mais, puisqu’on y est, on peut aussi évoquer ce qui représente un autre type de partenariat pour la théologie, à savoir le champ intellectuel de la culture et, plus précisément, de l’Université dont, en France en tout cas (mais pas en Alsace !), la théologie se trouve de fait comme a priori exclue. Il n’en va pas du tout de même, par exemple, en Allemagne : la théologie y est présente dans de nombreuses universités d’État, ce qui n’est pas le cas chez nous, comme l’on sait. Tout se passe comme si, dans notre France laïque et républicaine, on avait de la peine à comprendre que ce n’est pas forcément faire le lit de la réaction et de l’obscurantisme que de faire place aux instances théologiques dans les espaces universitaires. Grâce à un contrat qu’à l’Institut catholique de Paris nous avions pu passer avec Paris I–Sorbonne, j’ai, comme d’autres collègues, participé à un certain nombre de soutenances de thèses de doctorat commun. C’était merveilleux ; mais, en France du moins encore une fois, c’est rare ! On ne peut que récuser, en ce domaine comme en d’autres, tout ce qui peut résulter d’un certain cléricalisme... même s'il faut également souligner qu’un grand nombre de réticences que l’on déclare à l’égard de la réflexion théologique peuvent également tenir à un anticléricalisme tout aussi peu défendable."

 

Votre vocation de théologien, de prêtre et même de croyant, a su résister à de nombreuses tempêtes, et non des moindres si l’on pense à la crise sociale et intellectuelle contemporaine de 1968.

Mgr Doré : "À cette époque, j’avais été déjà bien formé aux différentes disciplines théologiques, y compris celles de l’Ancien et du Nouveau Testament, à Paris, à Rome et en Allemagne. J’étais rompu à toute une pratique historique et spéculative de la théologie. Mais, en effet, quand je suis nommé dans le 6e arrondissement de Paris, peu après 68, j'ai débarqué dans les évolutions générales de la société que vous savez ; je me suis retrouvé alors au beau milieu des contestations sociétales majeures et des remises en cause intellectuelles fondamentales qui avaient cours à l’époque. Qu’allais-je faire ? Me bétonner dans les certitudes acquises ? Ou bien aller sur le terrain, pour chercher à mieux comprendre ce qui était en train de se passer ? Je n’ai pas hésité longtemps. J’ai décidé de retourner sur les bancs de l’université, alors même que j’étais pourtant déjà à l’époque un enseignant confirmé. J’ai écouté de nombreux cours ; j’ai lu de nombreux auteurs : Lévi-Strauss, Barthes, Foucault, Derrida, Althusser, Macherey… Parallèlement, je me suis remis à relire Descartes, Kant, Hegel et tous ces auteurs qui avaient conduit à l’émancipation du sujet, aux critiques radicales de la pensée, de la société et de la religion puis à la ''déposition'' du sujet.. Ces nouvelles fréquentations m’ont obligé à m’atteler à la (re)construction d’un "discours du sujet" éclairé, passé au crible de la critique, et apte pour autant à répondre de cette foi qui, bien entendu, continuait de m’importer par-dessus tout.  (...)

Monseigneur Doré en quelques lignes...


Mgr Joseph Doré, né en 1936, ordonné prêtre à Nantes en 1961, est entré la même année dans la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice. Après une formation théologique à Nantes, Paris, Rome et Münster/Westf., il a été successivement directeur/professeur au Grand Séminaire de Nantes, puis au Séminaire Universitaire des Carmes à Paris. À l'Institut catholique de Paris, il a enseigné une trentaine d'année à la Faculté, dont il a été le Doyen de 1988 à 1994 avant de diriger, pour l'ensemble du même Institut le Département de la Recherche. Il a été membre de la Commission théologique internationale (Rome) de 1991 à 1997 et président de l'Académie Internationale des Sciences Religieuses (Bruxelles) de 1993 à 1999. Il a été archevêque de Strasbourg de 1997 à 2007.
Ayant publié nombre d'ouvrages et d'articles spécialisés, il a fondé et dirigé aux Éditions Desclée-Mame, Paris la collection Jésus et Jésus-Christ (1976-2009 : 100 volumes) ; il a fondé et dirige depuis 2007 la collection « La grâce d'une cathédrale » aux Éditions La Nuée Bleue, Strasbourg.
Il est commandeur de la Légion d'honneur et chevalier des Arts et des Lettres.

 

 

Les dernières parutions de Mgr Doré

 

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(...) Or, paradoxalement, ma foi et ma tradition chrétienne m’ont permis non seulement de traverser les critiques qui étaient celles de la contemporanéité, mais également de voir s’ouvrir des possibilités nouvelles bien au-delà de celles auxquelles m’avaient ouvert la philosophie et la théologie classiques dans lesquelles nous avions été formés. Ce fut une grande aventure, et qui m’a pris bien dix ans ! Mais j’avais d’autant plus de cœur à l’ouvrage que ce combat, je le menais non seulement pour moi mais également pour ces jeunes auxquels j’avais été envoyé : étudiants en recherche d’intelligence de la foi et, pour un certain nombre, candidats au sacerdoce, par rapport auquel ils étaient appelés à décider de l’ensemble de leur vie."

 


Votre enseignement en tant que théologien vous engagera également sans limites. Vous n’avez pas hésité à dresser devant vos étudiants le constat de l'état de la foi dans votre siècle, tout en n’éludant pas les zones d’ombre de l’histoire de l'Église du passé.

Mgr Doré : "Effectivement, quand on a traversé – avec difficulté mais aussi avec efficacité – les remises en cause du "sujet", c’est-à-dire de cette instance unique qui est apte à dire je, lorsque la réflexion a réussi à éclairer et conforter sur ce point l’expérience personnelle, alors on a retrouvé la possibilité d’adhérer, avec une réelle lucidité et vraie liberté, au terme d’un sérieux discernement, à ce qui se présenterait comme un choix véritable. On est en mesure de choisir vraiment ce qu’on va faire, ce qu’on va pouvoir servir, ce pour quoi on va vivre.
En ce qui me concerne, c’est la foi chrétienne qui s’était – j’ai dit comment – présentée à mon adhésion. Je me suis donc mis en devoir de l’interroger avec soin, à partir de tout ce que j’avais été conduit à découvrir. Il est clair que la proposition chrétienne tout entière se rattache à Jésus, en référence à l’Ancien Testament bien sûr mais à l’époque, un certain nombre de gens avaient, dans le "camp chrétien" lui-même, mis le doigt sur des limites, des difficultés, des objections que l’on pouvait opposer non seulement au message chrétien, mais aussi à l’Église et même à ce Jésus qui était à son origine.
Je me suis donc lancé sans plus attendre dans une grande enquête sur Jésus dans son rapport à l’ensemble du fait chrétien, qui tout entier dépend de lui. Or il se trouve qu'un courant très important de la science biblique d’alors, sans nécessairement aller jusqu’à affirmer que Jésus était un pur mythe, aboutissait à la conclusion suivante : au fond, lorsqu’on prend les témoignages concernant Jésus (ils se résument pratiquement au Nouveau Testament), on rejoint sans doute la foi des communautés qui nous ont parlé de lui, mais on ne l'atteint pas lui-même. Quelles garanties peut-on avoir, alors, le concernant ? La grande enquête que j’ai entreprise à partir de là a eu, entre autres, pour résultat une série éditoriale de cent volumes, publiée de 1976 à 2011 chez Desclée & Cie : la collection "Jésus et Jésus-Christ". Sans entrer ici en trop de détails, je puis au moins dire que, concernant donc la réalité historique de Jésus, il a été possible de mettre au point une méthodologie fort précise où joue un rôle majeur ce qu’on a pu appeler un ''principe de différence". Quand, à propos de Jésus, les communautés disent et les évangélistes écrivent quelque chose qui n’est pas susceptible de soutenir immédiatement leur foi en sa divinité mais paraît bel et bien aller à son encontre, on ne peut à l’évidence pas les suspecter d’avoir inventé ce qu’ils disent alors ; on doit au contraire admettre qu’ils rapportent quelque chose qui s’est imposé à eux et qu’ils restituent en somme par souci d’honnêteté. Semblablement, lorsque des propos de Jésus sont en décalage par rapport aux mentalités qui sont celles de son environnement et du judaïsme traditionnel de son époque, il y a des chances pour que cela remonte à Jésus lui-même : un exemple nous en est fourni par les fameuses antithèses du sermon sur la montagne. La mise en œuvre de ce genre de méthodologie produit suffisamment de résultats pour que l’on puisse aboutir à une suffisante clarté à la fois sur le Jésus historique lui-même et sur ce qui a conduit ses disciples à le reconnaître comme le Christ – c’est-à-dire, pour résumer : le Fils de Dieu et le Sauveur du monde.
Mais il n’y a pas à se préoccuper que de Jésus le Christ ! Il a bien fallu aussi se responsabiliser par rapport à l’Église, et plus généralement par rapport à ce que j’appelle le "fait chrétien" qui, à la fois, dépend radicalement de lui et représente notre accès obligé à lui. Or là aussi, certaines impasses étaient exclues : il a bien fallu affronter également les "zones d’ombre" que vous évoquez. Dans mon livre À cause de Jésus, je me suis tout particulièrement concentré sur quatre cas répartis sur l’ensemble de la durée chrétienne : le "constantinisme", avec ce blocage entre la puissance temporelle et la responsabilité spirituelle qui a pu entraîner certaines "compromissions" de l’Église ; les Croisades, avec des tentations de conquête totalement déviées par rapport aux nobles intentions qui les avaient déclenchées ; l’Inquisition, de si sinistre mémoire ; et enfin l’attitude d’"intransigeance", qui a souvent tenu à se substituer au pourtant toujours nécessaire dialogue. Pouvoir, conquête, répression, fermeture sur soi : il était d’autant plus nécessaire de s’interroger en tous ces domaines, qu’il s’agit de tentations non pas seulement historiquement datées mais récurrentes jusqu’à aujourd’hui. Sur ce chantier aussi, il s’agissait bien toujours pour la foi, et pour la théologie de répondre de la foi que nous avons reçue en répondant aux questions que nous impose l’aujourd’hui.
J’ai toujours eu du goût et pour un tel travail, et pour l’enseignement où je le monnayais, et pour les échanges de tous ordres auxquels il m’invitait et qu’il me rendait possibles. J’oserai dire que j’y ai surtout appris qu’il ne suffit jamais, pour témoigner crédiblement de la foi, d’affirmer des vérités ; encore faut-il qu’elles puissent être reçues comme telles ! La question de la réceptivité s’est ainsi trouvée au cœur de mes préoccupations, aussi bien dans l’enseignement que dans la communication en général. Moyennant quoi, je n’ai aucunement eu à me forcer pour déclarer que j’ai été un professeur heureux – très heureux. Une fois devenu doyen, les nombreuses tâches administratives et académiques me sont apparues comme un moyen tout indiqué pour, au-delà de l’engagement individuel, agir sur les structures et les conditions générales de notre enseignement théologique. Les responsabilités auxquelles j’ai été appelé sur le plan international (j’ai dirigé une Académie de Sciences religieuses internationale et interconfessionnelle à Bruxelles, et j’ai été membre de la Commission théologique internationale à Rome) m’ont apporté, comme s’il en était besoin, la confirmation et de l’importance de la théologie et du bonheur qu’il pouvait y avoir à la cultiver à un plan véritablement collégial."


 

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LA RESPONSABILITÉ D'ÉVÊQUE

DANS L'ÉGLISE

 

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Après un si riche parcours et à l’âge où l’on est proche de la retraite dans le domaine civil, vous êtes appelé à la fonction épiscopale, appel qui sera d’ailleurs répété jusqu’à ce que vous donniez votre accord !

Mgr Doré : "Je n’étais évidemment, comme croyant, aucunement opposé à l’exercice de la fonction épiscopale dans l’Église ! J’avais par ailleurs beaucoup apprécié comme théologien ce qu’avait dit à son sujet le concile Vatican II : elle représente vraiment un degré – le premier – du sacrement de l’ordre, et elle ne peut s’exercer que dans la collégialité. Je n’en dois pas moins à la vérité de dire que je n’avais ni envie ni, à plus forte raison, volonté de devenir évêque – disons qu’être théologien me suffisait !
Or voilà qu’un beau jour, je suis convoqué à la nonciature. J’avais sans doute un petit pressentiment… mais le nonce me parla de choses et d’autres – pour finalement me laisser repartir, tout guilleret, sans proposition particulière. Quelque temps après cependant, je reçois une nouvelle convocation. Je m’y rends sans me douter de rien. J’étais à peine assis que le nonce me dit : « Le Saint-Père vous demande de devenir archevêque de Strasbourg. »

 

 

Complètement abasourdi, je suis resté un long moment sans voix, avant de répondre, très gêné, que je n’étais pas sûr de pouvoir donner réponse positive à cette demande... Le nonce m’ayant accordé un généreux temps de réflexion, je suis resté très divisé jusqu’au moment où – fait assez inhabituel, si je vois bien – j’ai été convoqué, cette fois, à Rome. Ayant fini par déclarer ma disponibilité, je dois bien avouer que je ne l’ai jamais regretté.
Ma priorité a alors été de faire autant que possible profiter mon exercice de la fonction épiscopale, et notamment ses aspects pratiques, de tout ce que la théologie m’avait appris auparavant. Simplement, si lorsque j’étais théologien j’avais pu parfois écarter certains thèmes d’enseignement qui m’attiraient moins, en tant qu’évêque une telle attitude ne m’était évidemment plus possible. Il fallait bel et bien alors accepter d’être confronté à toutes les questions qui pouvaient vous être posées, même celles qui ne figuraient pas parmi vos priorités. Par ailleurs si, lorsque vous êtes théologien, vous visez nécessairement un certain type de partenariat intellectuel, vous n’avez plus du tout à choisir vos interlocuteurs quand vous êtes sur le terrain pastoral : il vous revient de parler aussi bien à de petits enfants et à des adolescents qu’à des malades et à des personnes âgées… Vous avez de plus à rencontrer des responsables politiques, des chefs d’entreprise et, finalement, des personnes de toutes professions… Deux exemples de la nécessité où vous êtes comme évêque de pratiquer, si je peux dire, une "ouverture tous azimuts". Tout d’abord, lorsque j’étais théologien, j’étais certes informé des positions des milieux les plus conservateurs et même traditionalistes de l’Église ; je dois pourtant vous avouer que je ne m’en préoccupais que fort peu ; quand je suis devenu évêque, il n’était plus possible de les ignorer. Second exemple, les prisonniers : c’est un fait que je ne m’étais jamais rendu dans une prison avant de devenir pasteur d’un diocèse ; il y en avait cinq en Alsace : je les ai toutes fréquentées – et pas seulement une fois ; je n’ai jamais pu oublier par la suite ce que j’ai ressenti lorsque j’ai rencontré des personnes ''condamnées à perpétuité'' !

 

Votre expérience en tant qu’évêque de Strasbourg vous fera directement ressentir l’assemblée chrétienne dont vous avez eu la charge comme Corps du Christ.

Mgr Doré : "En effet, et une illustration me vient tout de suite à l’esprit pour faire écho à votre belle remarque : la célébration liturgique, qui atteint son point culminant dans la cathédrale dont vous êtes devenu l’évêque. Là et alors, vous avez réellement le sentiment, oui, d’être en présence du Peuple de Dieu rassemblé en un corps vivant. De ce point de vue, l’expérience du Notre Père chanté en ces lieux par toute la communauté restera à jamais gravée dans ma mémoire. À vrai dire, il y a très peu d’occasions où autant de personnes chantent ensemble d’un même cœur – sauf, peut-être, à faire état de rares circonstances où retentit La Marseillaise ? Or, à Notre-Dame de Strasbourg comme dans toute l’Église d’Alsace, c’était, semaine après semaine, chose régulière pour moi.
Une seconde illustration de la découverte et du service du Peuple de Dieu que vous permet l’exercice de la mission épiscopale vous est fournie par les "visites pastorales". Vous vous rendez dans tous les secteurs pastoraux d’une zone du diocèse, l’un après l’autre. Vous rencontrez alors chacun des prêtres (même ceux qui sont à la retraite, bien sûr) et tous les laïcs, chrétiens et chrétiennes engagés dans la vie de l’Église locale, mais aussi les responsables municipaux ou associatifs ; vous visitez les établissements scolaires, sanitaires et de personnes âgées, les centres de recherche, que sais-je ?
Par ailleurs, le contexte très particulier de l’Alsace m’a également amené à rencontrer souvent les responsables et membres des autres confessions chrétiennes – l’Alsace compte la communauté luthérienne la plus importante en France –, les communautés très actives des juifs, des musulmans et des bouddhistes, etc. Plus largement encore, le patrimoine, l’art et la culture ont enfin été pour moi des domaines où j’ai multiplié contacts, initiatives et réalisations. Je peux dire qu’à cause de tout cela et mutatis mutandis, j’ai été plus heureux encore dans mon ministère d’évêque que dans mes pourtant passionnantes activités de théologien. Je le confesse avec un sourire : il m’est arrivé de penser que, tout compte fait, évêque, c’était finalement le plus beau métier du monde !"

 


Vous avez pourtant côtoyé, et subi dans votre personne, les ravages que produit le mal dans le cœur de l’homme. Comment le théologien, l’homme de foi et l’humaniste appréhendent-ils ce "mal" que notre société veut trop souvent classer au rang des archaïsmes de bigots ?

Mgr Doré : "Oui, j’ai connu le mal sous un certain nombre de ses formes. Le mal physique tout d’abord, car après l’Algérie déjà évoquée, il y a eu les immenses fatigues puis le cancer qui m’ont au bout du compte obligé à renoncer prématurément à ma charge d’évêque. J’ai beaucoup appris de ces épreuves personnelles qui concernent également tant et tant d’hommes et de femmes de tout milieu et de tout âge. J’oserai dire que j’y ai beaucoup gagné, tout simplement, en "humanité".
Une autre forme de mal et d’épreuve a été pour moi celle de la méchanceté ou, en tout cas, celle de la calomnie, sinon de la haine voire du rejet… parce que je n’étais pas Alsacien, parce que j’étais "trop à gauche", parce que ceci et parce que cela… Je me suis vraiment demandé comment de tels comportements étaient possibles et, à certains moments, j’ai été vraiment affecté, vraiment secoué. Tout le problème est alors de ne pas fléchir sur ce que vous estimez être juste, tout en évitant pourtant de fermer définitivement la porte… et en allant même, si vous le pouvez – je veux dire :si la grâce vous en est faite – jusqu’à pardonner… Je pense sincèrement que je n’aurais pas pu personnellement subsister si je n’avais pas effectivement pardonné. Je sais bien qu’on dit souvent que vous n’avez pas à accorder votre pardon à qui ne vous l’a pas demandé, mais je ne suis pas vraiment d’accord avec cette idée ; j’estime même que je n’aurais pas pu porter et traverser ces situations si intolérables, si je n’avais pas effectivement puis le parti de pardonner.
Il ne m’échappe évidemment pas que, lorsque l’on est chef d’un gouvernement par exemple, on n’est pas, du point de vue que j’évoque ici, dans la même situation que lorsque l’on est père ou mère de famille. Je n’en suis pas moins convaincu qu’à l’échelle des individus comme à celle des peuples, il n’y a, dans les cas extrêmes, pas d’autres moyens de "s’en sortir", comme on dit, que de se réconcilier, et donc de se pardonner. Or, permettez-moi de le préciser, cette conviction n’est pas seulement le fruit de mon expérience personnelle intime. J’ai vu – de mes yeux vu – et j’ai vécu la réconciliation historique de ces deux peuples et nations qui, de chaque côté du Rhin, se sont entre-tués par centaines de milliers durant des siècles – et qui ne le font plus."


Cela ne rejoint-il pas également cet individualisme que nos sociétés modernes connaissent, et qui est souvent le terreau d’un grand nombre de maux ?

Mgr Doré : "Absolument ! Cela peut donner n’importe quoi : aussi bien déclencher des bagarres sur un terrain de foot ou un quai de métro, qu’entraîner des manifestations violentes dans la rue ou le lancement de missiles sur le territoire des peuples voisins… Il y a en effet une sorte de dynamique du mal qui se met systématiquement en œuvre dès qu’il y a fermeture sur soi et égoïsme cultivé, refus buté de faire confiance, négation de l’autre, hostilité entretenue à son égard, etc. C’est cela le péché, tel qu’il se déclare non seulement à l’égard de Dieu mais aussi à l’encontre de ''son semblable''. Je n’aime pour autant pas conclure trop vite à l’action de Satan... Il me semble en effet que le point de départ reste l’homme et la "mauvaiseté" qui peut parfois habiter son cœur. Cela n’écarte pas pour autant ce que l’Écriture appelle le "mystère d’iniquité", par lequel on a quelquefois l’impression d’être environné voire envahi. C’est une question difficile que cette connivence avec le mal qui semble parfois se déclarer chez certains de nos semblables, cette transmission d’hostilité qui paraît passer de génération en génération comme un enchevêtrement qui empêtre et déborde tout le monde…
Alors me sont souvent venues à l’esprit les paroles du psaume : « D’où viendra notre salut ? » Comment, par quoi, par qui et comment, pourrions-nous être délivrés de cet enchevêtrement indémêlable de responsabilités et de culpabilités, mais aussi de démissions et d’aveuglements ? Il me paraît essentiel en tout cas de pouvoir ne pas se laisser dominer ni contaminer par tout cela, de s’efforcer de discerner autant que possible quelles sont les responsabilités identifiables et, pour finir, de se poser la question : qu’est-il possible d’envisager ensemble comme moyens de lutte contre un tel envahissement du mal ? Sur cette dernière question, tout le monde sait que les religions prétendent avoir des propositions à faire. Je le dis comme je le pense : il faut bien reconnaître qu’ici, Jésus montre un exemple et ouvre un chemin unique entre tous. À aucun moment il n’a invité à autre chose qu’à l’amour de son prochain quel qu’il soit, en commençant par le plus pauvre et le plus petit ; il a même prôné l’amour de l’ennemi ; et il a été le premier à mettre jusqu’au bout son enseignement en pratique. Moyennant quoi, non seulement il a résolument combattu la violence, les conflits et la guerre, mais le seul sang qu’il a pris le risque de voir versé, c’est le sien."

 

Sermon sur la montagne, Carl Heinrich Bloch, 1877,
Museum of Natural History, Copenhague



Votre témoignage est marqué d’une grande liberté au regard de votre charge institutionnelle directement conférée par le pape. Vous n’hésitez pas à souligner les dysfonctionnements d’un gouvernement romain trop centralisé, et vous intervenez sur des questions particulièrement sensibles de la foi catholique.

Mgr Doré : "En tant que je suis non seulement théologien mais évêque catholique, j’appartiens non seulement à l’Église mais à sa hiérarchie. Il n’a jamais été question pour moi de ne pas assumer de mon mieux cette situation. Cela ne signifie aucunement que je n’aurais jamais eu à me poser de questions, que j’aurais toujours été d’accord avec tout ce qui se pratiquait dans mon Église, que je n’aurais pas trouvé des choses intéressantes aussi ailleurs, etc. Si, par exemple, j’ai beaucoup étudié le bouddhisme (sans parler du judaïsme et de l’islam, que j’ai bien sûr dûment fréquentés), c’est de fait en Jésus que j’ai reconnu mon Maître et Seigneur unique. C’est en lui que, comme saint Paul, « j’ai mis ma confiance ». À cause de Jésus, j’ai engagé ma vie et mon intelligence. Or cela même ne m’a pas empêché – au contraire – d’être critique sur bien des comportements ecclésiaux... et pas seulement ceux des Croisades et de l’Inquisition.
On a tout à fait le droit de s’interroger et d’interroger les positions officielles de l’Église (la question des personnes divorcées, celle de l’ordination d’hommes mariés, etc.), sans pour autant vouloir tout brader – au contraire ! Pour mon compte, en tout cas, s’il m’est arrivé de formuler, selon les modalités que j’estimais appropriées, perplexités, réticences et interrogations, je n’ai jamais rencontré ni hostilité ni rejet de la part de "ma hiérarchie", et l’on ne m’a jamais interdit d’enseignement. On m’a même – avant de m’appeler par après à l’épiscopat – fait l’honneur de me nommer membre de la prestigieuse (et romaine !) Commission théologique internationale, à laquelle présidait le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et qui participait bel et bien intégralement à toutes nos sessions plénières. Je me souviens même que ce théologien de haut vol, qui allait bientôt connaître de plus grandes destinées encore, m’avait une fois crédité d’un « véritable charisma gubernandi » dans la façon dont, cette année-là, j’avais animé toute notre semaine de débats !
Que, quelque temps après, j’aie pu être nommé archevêque de Strasbourg a confirmé qu’il n’y avait pas là que paroles de "convenance".Laissez-moi donc vous le déclarer pour terminer : je suis pour ma part heureux et fier de notre Église pour la confiance qu’elle m’a, de la sorte, toujours manifestée – et que je ne puis dès lors, bien sûr, que m’efforcer de lui rendre."

 

propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter

(copyright réservé - toute reproduction interdite

sans autorisation de la rédaction)

 

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A lire sur Lexnews :

 

l'interview de Mgr Doré pour

le lancement de la collection

La Grâce d'une cathédrale

 

 

 

 

 

Notre chronique du premier volume

consacré à la cathédrale de Strasbourg

dirigé par Mgr Doré

 

 

Interview de Mgr Joseph Doré,

archevêque émérite de Strasbourg

Collection « La grâce d'une cathédrale »
(éditions La Nuée Bleue)

Paris, le 10 septembre 2011

 © S. Kalimorov

 

A l'occasion d'une nouvelle collection de livres d'art sur les cathédrales aux éditions La Nuée Bleue, collection dirigée par Monseigneur Joseph Doré, nous avons eu l'honneur de rencontrer celui qui est depuis longtemps "habité" par les murs et les voutes de la cathédrale de Strasbourg dont il est aujourd'hui l'archevêque émérite. Il était donc normal que le premier volume soit consacré au fameux édifice sacré de la ville de Strasbourg. Ouvrons ensemble les portes de cette cathédrale en compagnie de Monseigneur Doré, guide prestigieux pour nos lecteurs à cette occasion  !
 



LEXNEWS : « Pouvez-vous nous rappeler quel fut l’esprit qui anima les bâtisseurs de cathédrales et est-il encore possible d’en saisir toute la portée en notre XXI° siècle ? »

Joseph Doré : « C'est un chantier gigantesque que celui des cathédrales ! À partir du moment où l'on a commencé à construire des édifices autour de la cathèdre – le siège de l’évêque qui leur a valu leur nom –, les cathédrales se sont multipliées à travers les siècles : on en compte une bonne centaine pour le seul territoire français. On peut dire que trois facteurs principaux ont défini l'esprit dans lequel elles ont été à la fois bâties et entretenues.
Il faut tout d'abord mentionner l'intention essentielle, qui est de rassembler les croyants autour de leur évêque pour les célébrations majeures à l’occasion desquelles s'exprime la foi chrétienne en Jésus-Christ comme Sauveur et en Dieu comme Père, Fils et Saint-Esprit. Il a fallu pour cela des édifices appropriés, capables d'accueillir le nombre croissant des fidèles. Le premier facteur est ainsi la foi et son annonce ou sa proclamation, avec le rassemblement au nom de cette foi, pour la célébrer.
Un deuxième facteur réside dans la situation économique et dans les techniques qui ont pu être mises au point au cours des siècles. Nous avons tout d'abord, sur le schéma des grandes basiliques romaines, de grands édifices rectangulaires … que transformeront plus tard les voûtes en plein cintre, les ogives, les arcs-boutants, etc. Tout cela a évidemment une influence sur le déroulement de ce qui se passe à l'intérieur. Par exemple, dans le cas des premières basiliques, on peut constater une organisation de l'espace qui se calque sur celle du Sénat romain. En tout cas, c'est aussi l'affinement des moyens techniques, en même temps que la diversification et l'appropriation des matériaux qui permettra d'aboutir à ces immenses cathédrales dont les murs sont à la fois de pierre et de verre – ce qui était évidemment impensable à l'époque originelle. Mais cette évolution n'a par ailleurs été possible que dans des conditions économiques précises : il fallait bien financer ces vastes entreprises ! Nous avons la chance d'avoir ici et là de précieuses archives ; or, pour certaines cathédrales, elles concernent les salaires distribués aux différents corps de métiers engagés sur les chantiers. Contrairement en effet à ceux qui sont intervenus dans la construction des pyramides, les ouvriers des cathédrales n'étaient pas des esclaves, mais bien des hommes libres, appréciés pour leurs compétences et rémunérés en conséquence. Les financements étaient de divers ordres, à l'initiative la plupart du temps des évêques, car ils bénéficiaient souvent d’importants moyens, même s'il s'y ajoutait la plupart du temps des aides venant de seigneurs et princes de tout rang.
Un troisième élément, et non le moindre, est le sens esthétique, jouant comme champ et lieu d'expression de la foi à travers les moyens de la technique. Les bâtisseurs des cathédrales ont eu à cœur de faire apparaître dans la pierre, le bois, ou le verre que si l'existence humaine est certes logée à l'enseigne du corps, du monde et de la matière, elle est aussi appelée à des expériences de type spirituel, voire mystique. Or l'expérience de la beauté a toujours été tenue, en christianisme, pour essentielle à l'expression de la foi.
Conviction croyante, conditions techniques et économiques, sens esthétique : tels sont donc les facteurs à travers lesquels s'est exprimé ce qu'à juste titre vous appelez « l'esprit » des bâtisseurs des cathédrales. Puisque ces dernières sont toujours là parmi nous, il est essentiel de ne pas oublier le jeu de ces facteurs, si nous voulons avoir accès aux trésors dont elles demeurent porteuses pour nous. »

LEXNEWS : « Une cathédrale est avant tout une litanie architecturale, en quoi se distingue-t-elle des autres édifices légués par le passé le plus ancien tels les pyramides, les temples ou autres ziggourats ? »

Joseph Doré :
« Lorsque vous regardez une pyramide, elle vous apparaît comme un édifice complètement « plein » … et si, cependant, on y fait de la place, c'est pour y mettre un cadavre ! Une cathédrale est, au contraire, largement ouverte, et non pas seulement à qui souhaite y entrer, mais également vers le haut. Quand on en franchit les portes, on entre dans un espace qui n'en finit pas de s'élargir, et de se déployer vers le haut. Et plus se développe leur histoire, plus elles s'agrandissent et s'amplifient. Faire place à la lumière et entraîner à regarder vers le ciel : l’idée est d'accueillir dans un espace de beauté qui à la fois parle au cœur et enchante l'esprit. »

LEXNEWS : «Cette idée d’horizontalité et celle de verticalité se rejoignent ainsi dans la cathédrale en parfaite communion avec le symbole de la croix. »

Joseph Doré :
« Tout à fait ! C’est extrêmement suggestif, et c'est d'ailleurs cette idée qui a été au cœur de mes pensées lorsque nous avons eu à faire des travaux dans le chœur de la cathédrale de Strasbourg. Cela m'a conduit à proposer à l'architecte de placer tout au fond de l'abside, et bien visible, une grande croix dorée. Nous sommes dans un lieu où l'horizontalité de notre monde, de notre histoire et de nos vies se croise avec la verticalité du Dieu tout puissant et tout bienveillant qui s'est porté à notre rencontre, et nous accueille chez lui.
Il me semble essentiel de garder à l’esprit cette idée de croisement, que vous releviez vous-même à juste titre. Imaginez la cathédrale de Strasbourg lors des grandes célébrations de l'année, avec deux ou trois mille personnes réunies sous ses voûtes ! C'est un espace très largement ouvert, à la différence des pyramides, des ziggourats, de la muraille de Chine, ou des aqueducs romains … C'est un édifice fait pour rassembler un peuple uni, heureux, et chantant. Y a-t-il tellement de lieux dans le monde où, quels que soient l'âge, la nationalité ou la classe sociale, on se rassemble en foule pour chanter ? Une cathédrale est au summum de ce qu'elle est et est appelée à être, lorsque l'évêque y préside, entouré de son presbyterium et des fidèles, et lorsque les orgues se mettent à sonner pour accompagner, et amplifier le chant de toute l'assemblée. À ce moment-là, la cathédrale n'est plus seulement un monument prestigieux ; c'est alors un édifice constitué de « pierres vivantes » comme dit l'Écriture, et dont toutes les pierres chantent. »

LEXNEWS : « Comment le jeune homme, puis le théologien et l’archevêque appelé aux plus hautes fonctions pastorales ont-ils successivement perçu ces édifices éternels ? »

Joseph Doré :
« Votre question me touche beaucoup ! Je n'aurais pourtant pas eu grand-chose à y répondre pendant de longues années de ma vie. Dans ma jeunesse, ce genre d'édifice ne m’était bien entendu pas inconnu, à cause de la cathédrale de Nantes, la ville de mes origines. Je connaissais du reste également un peu d'autres édifices comparables, tels ceux de Chartres ou de Paris ; mais à vrai dire, tout cela m'apparaissait bien grand, bien loin, et bien froid.
Á mon entrée au Séminaire, c'est par la figure de l'évêque que, progressivement, j'ai découvert la cathédrale comme le lieu d'une vie spécifique, d'ailleurs très largement dépendante de ce personnage que j'apprenais à situer. C'est à travers de grandes célébrations avec la maîtrise de la cathédrale de Nantes, à laquelle j'appartenais, que j'ai pu, d'une certaine manière, entrer un peu plus dans la compréhension de ce genre si remarquable de monument. Peu à peu, ma familiarité avec lui s'est développée, toujours lors de grandes célébrations, notamment à l'occasion de la Semaine Sainte. Ces bâtiments lointains ont ainsi fini par prendre pour moi une signification ecclésiale précise, autour de l'évêque qui y officiait.
Un troisième élément est cependant intervenu ensuite : ma spécialisation de théologien et d'enseignant de théologie pendant plus de trente ans. Je me suis en effet rendu compte que l'art avait à apporter sa contribution à la réflexion de la théologie, et cela m'a même conduit à fonder, un Institut des Arts sacrés, dans le cadre de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Institut catholique de Paris lorsque j'en étais le Doyen. Car il me semblait que l'art, à commencer par celui qui, justement, resplendit dans les cathédrales, pouvait et devait être mis à contribution aussi bien pour la compréhension que pour l'annonce de la foi.

Par contraste, j'ai été de plus en plus étonné de la distance qui m'apparaissait exister entre ces édifices si chargés de sens, et nos contemporains. Les grandes cathédrales restent certes de nos jours bien présentes dans le quotidien de nos villes, mais en même temps, comme elles apparaissent éloignées sinon scellées à tant d'hommes d'aujourd'hui ! Il m'a en conséquence semblé essentiel de fournir à qui le voudrait bien des clés pour leur compréhension. Il y a tant de choses à dire sur elles (y compris au plan théologique !)
Pour autant, mon chemin ne s'est pas arrêté là, puisque j'ai moi-même été appelé à l'épiscopat. Or devenir évêque est bel et bien, d'une certaine manière, se trouver « incorporé » à l'édifice appelé cathédrale : c'est précisément le fait de vous asseoir sur la « cathèdre » qui, au cœur du rituel de l'ordination, vous établit dans votre charge. Pour mon compte, j'ai de surcroît été ordonné évêque dans la cathédrale même du diocèse du diocèse de Strasbourg, auquel j'étais envoyé. Cela veut dire qu'avant de m'asseoir sur la cathèdre, j'ai eu à m'allonger de tout mon long à même le sol de la cathédrale, pendant que tous les présents suppliaient tous les saints du ciel de m'assister dans la charge en laquelle j'entrais ... Et voilà qu'à ce moment-là, j'ai réalisé qu'en cet endroit même je serai un jour enterré, puisque les caveaux des évêques défunts du diocèse se situent sous ce dallage du choeur sur lequel j'étais prosterné.»
 

LEXNEWS : « Votre émotion est particulièrement perceptible à cette seule évocation. »

Joseph Doré :
« Oui, en effet. Vous réalisez alors que votre existence se trouve en quelque sorte incorporée non seulement à l'édifice, mais également à l'Église diocésaine elle-même dont la cathédrale est le symbole. À ce moment-là, toute votre existence change de sens. Désormais, elle sera fondamentalement liée à celle du peuple tout entier auquel vous avez été envoyé, et que représente par excellence l'assemblée au sein de laquelle vous venez d'être ordonné évêque.

LEXNEWS : « Votre témoignage démontre s’il en était besoin que la cathédrale reste une réalité extrêmement vivante. »

Joseph Doré :
« Absolument ! Ces monuments sont porteurs d'une grande richesse de vie toujours actuelle. Certes, il y a les messes qui y sont célébrées ou la confession qu'on peut y pratiquer ; il y a surtout les grandes célébrations épiscopales que sont avant tout les ordinations de prêtres et de diacres et, chaque année, la messe chrismale. Je me réjouis bien évidemment de tout cela ; mais j'ai aussi à cœur que le plus grand nombre possible de personnes puisse avoir accès, avec mon aide si possible, au prodigieux héritage à la fois esthétique, artistique, culturel, et donc largement humain, que nous ont légué les siècles – et qui est là, en ces cathédrales, offert à tous et disponible à tous, croyants ou non, visiteurs d'un jour et touristes de passage. »

LEXNEWS : « Nous semblons de plus en plus avoir des difficultés à lire cette théologie minérale. En quoi la vaste entreprise lancée avec la collection « La grâce d’une cathédrale » des Editions La Nuée Bleue peut-elle atténuer ce hiatus ? »

Joseph Doré :
« Il me semble important, reprenant votre expression de théologie « minérale », de souligner qu'avec la cathédrale, le minéral devient vivant ! Nous avons certes la pierre dès le commencement, et rien ne se fera sans elle. Mais si vous considérez les choses de plus près, vous vous apercevez que cette pierre a été dès la carrière l'objet d'un choix soigneux : les trois ouvrages déjà parus à ce jour dans notre collection (sur les cathédrales de Strasbourg, de Reims et de Lyon) le montrent bien. Qu'il s'agisse du grès rose de la cathédrale de Strasbourg, de la lave si noire de celle de Clermont-Ferrand ou de la pierre tout ensoleillée d'Albi, vous avez, après la sélection dans la carrière, un traitement tout aussi soigneux qui, d'une certaine manière, va aboutir à « humaniser » cette pierre. En particulier, elle va faire l'objet d'une taille rigoureuse, où l'artisan – l'artiste plutôt – va étroitement dialoguer avec elle. Ensuite, l'assemblage de toutes les pierres ainsi travaillées va lui-même donner une vie à la construction, lui imprimer une certaine dynamique. Une fois édifié, le bâtiment pourra ensuite prendre pleinement vie grâce au peuple qui, après l'avoir construit, le fréquentera. Et le son des orgues pourra alors faire entrer assemblées et édifice en une profonde résonance.
Et puis, à la pierre, viendront s'ajouter les vitraux ; grâce à eux, la cathédrale, édifice de pierre, sera aussi foyer de lumière, chatoiement et rayonnement de couleurs. Ajoutez à cela les sculptures, les peintures, les tentures ... et vous aurez une véritable transfiguration de cette vaste construction de pierre. Si l'on peut dire que l'être humain est corps et âme, on peut aussi considérer que les cathédrales ont elles-mêmes un corps et une âme : un corps de pierre, et une âme de lumière et de couleurs, d'harmonie et de musiques.
Puisque telle est la richesse des cathédrales, on comprend bien que des clés soient utiles pour accéder à leur mystère, à leur âme. En proposer à un large public est justement l'intention qui anime la nouvelle collection que j'ai lancée avec les éditions La Nuée Bleue. Toute l'histoire sainte de Dieu avec son peuple, Ancien et Nouveau Testament, mais aussi toute l'histoire de l'Église et de ses Saints, sont inscrites dans les cathédrales. Ces dernières se présentent dès lors comme de véritables livres ouverts qu’il nous appartient de savoir lire et de donner à lire. Or, pour un grand nombre, une telle lecture n'est-elle pas devenue aujourd'hui quasiment impossible ? J'enrage – excusez l'expression – de constater que tant de gens manquent des indications et informations qui leur ouvriraient les portes de tant de trésors accumulés. Environ quatre millions de visiteurs entrent chaque année dans la cathédrale de Strasbourg. Or, malgré les nombreux guides et les nombreuses études techniques, malgré les albums de belles photos et les beaux livres tout pleins d'images, il n'y avait pas, me sembla-t-il, d'ouvrage suffisant pour permettre une véritable initiation à toutes les richesses d'un tel chef-d’œuvre. Aussi ai-je eu l'idée de proposer moi-même, avec l'aide d'une vingtaine de collaborateurs choisis, un livre qui fournisse toutes les clés de lecture nécessaires à une vraie découverte.
Cela m'a conduit à estimer utile de commencer par l'histoire de la construction de l'édifice ; on continue en présentant l'état actuel de la cathédrale sous tous ses aspects ; en troisième lieu, on fait état de tous les événements majeurs qui se sont déroulés dans l'édifice à travers plus de dix siècles. Inutile de vous préciser que la matière est ample, d'autant qu'on se trouve alors inévitablement conduit à évoquer toute l'histoire de la ville et même de la province environnantes – ce qu'aucun autre édifice ne permettrait pareillement !

LEXNEWS : « Les cathédrales ne sont pas que des sanctuaires historiques de la foi, elles ont un rôle à jouer dans une époque où le mot même de transcendance est quasi absent de notre vocabulaire. »

Joseph Doré :
« Je pense qu'avant toute chose elles sont un lieu de beauté, un lieu du Beau. De l'extérieur, vous les voyez de loin, mais vous ne les voyez pas sans tout ce qui les entoure. Certes, on s'est habitué à leur présence, mais lorsque vous en franchissez le seuil, vous êtes littéralement saisi ! Il y a là une richesse qu'il convient de mettre à portée de qui voudra bien les fréquenter. Je constate du reste avec joie que l'on s'y intéresse de plus en plus, y compris parmi les jeunes. Y compris aussi dans les sphères gouvernementales (n'oublions pas en effet qu'il s'agit de monuments historiques classés et dont, en France, le propriétaire est l'État lui-même).
Quand, même en dehors des célébrations liturgiques, vous entrez dans une cathédrale, vous pouvez y faire une expérience assez unique, et si de surcroît vous avez alors la chance que l'organiste joue pendant votre visite, vous avez tout à coup le sentiment d'être comme environné, saisi, emporté. Quelque chose vient vers vous, que vous n'avez manifestement pas construit vous-même et qui vous parle à la fois à l'esprit et au cœur. Vous êtes muet d'étonnement et d'admiration, et en même temps quelque chose vous dispose à l'écoute, à l'accueil, quelquefois même à l'exultation. Vous êtes environné de beauté, et cela vous « prend », vous « transporte », et vous met en paix avec vous-même et avec tout ce qui vous environne. Vous êtes comme visité par la grâce. Ce n'est pas pour rien, vous pensez bien, que j'ai souhaité retenir pour notre collection le titre « La grâce d'une cathédrale ».

LEXNEWS : « Et il est important de souligner que ce que vous évoquez se fait librement, sans contraintes… »

Joseph Doré :
« Absolument ! Il n'y a pas, là, de propagande ; et dans cette découverte, personne ne vient vous faire du prosélytisme. Il n'y a pas besoin de faire une profession de foi pour s'estimer « concerné », et c'est bien pour cela que je parle ici de grâce. Grâce à cette cathédrale que je visite aujourd'hui dans ma misère ou dans ma joie, je me découvre moi-même visité par quelque chose qui à la fois me déborde, m'apaise et m'enchante – bref, j'expérimente qu'une grâce m'advient. Et cette grâce peut de fait se renouveler en chaque cathédrale.
Je souhaite de tout cœur que quiconque fréquente les cathédrales fasse pour lui-même l'expérience de la grâce à laquelle elles peuvent donner accès tout simplement parce que, ayant présidé à leur construction, cette même grâce continue de les habiter, et qu'elles ne cessent jamais de l'offrir et de la diffuser. »

 

Mgr Doré est également l'auteur d'une autobiographie "A cause de Jésus" parue chez Plon sur laquelle nous reviendrons très prochainement.

Strasbourg, la grâce d’une cathédrale

sous la direction de Mgr Joseph Doré

 Editions La Nuée Bleue, 2010.

 

 



Surgie du sol par la grâce, élevée vers le ciel avec grâce, la cathédrale de Strasbourg est la première architecture de pierre à honorer la nouvelle collection dirigée par Monseigneur Joseph Doré aux éditions La Nuée Bleue. Et pourtant, les nombreux familiers de ce vénérable édifice multiséculaire auraient pu conclure trop rapidement : était-ce bien nécessaire ? Le monument si connu des Strasbourgeois avait-il encore besoin d’un livre de plus ? Si l’on interroge l’un de ceux qui la connaît le mieux, Joseph Doré, archevêque de ces dentelles de pierre édifiées depuis la fin du XII° siècle, les écrits, bien que nombreux, ne pouvaient satisfaire l’intelligence de la globalité de la cathédrale. Le pari audacieux et fou de cette nouvelle collection est en effet de réunir tous les points de vue imaginables afin d’édifier un livre à la manière des bâtisseurs de cathédrales. Pas moins de vingt-deux auteurs sont mis à contribution pour livrer leur lecture de la vaste construction.


La ligne droite, rappelle Georges Duby, est au cœur même de la cathédrale gothique et s’avère être le vecteur de la chrétienté en ces temps mouvementés. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la magnifique vision offerte par ce livre d’art et d’histoire du portail principal de la façade occidentale dont les portes sont exceptionnellement ouvertes pour l’occasion. Si les ogives assouplissent parfois la ligne, tout n’est qu’ode à la verticalité, à commencer par l’émouvante statue de la Vierge à l’Enfant sur qui repose l’ensemble du tympan du portail, juste en dessous du Christ en croix. Derrière cette statue emblématique, cathédrale à elle seule, se dessine dans la pénombre une véritable fugue de l’ordre divin, dont seule la musique sait en partager les échos.
Le lecteur, soucieux de mieux comprendre l’art des cathédrales, aura grand intérêt à partager l’avant-propos qui retrace en quelques pages concises et agréables à lire le phénomène unique des cathédrales, depuis la reconnaissance constantinienne de la religion chrétienne jusqu’à la cathédrale d’Evry terminée en 1995.
 

Une cathédrale avant d’être un édifice est tout d’abord un vaste chantier, au sens propre et figuré du terme, objet de la première partie du livre. Nous avons la chance de posséder de nombreuses archives qui ont rendu possible son histoire et la diffusion de nombreux détails sur l’art des cathédrales à partir des temps les plus anciens. Si une cathédrale est « élevée » de terre, il faut à jamais écarter de nos esprits ces fausses vues qui apparenteraient cette construction à celle des pyramides ! Nul esclave ici, point de longues cordées tirant des pierres à coup de fouet… Nous apprenons à notre plus grande surprise que le chantier médiéval ne réunissait guère plus qu’une cinquantaine de personnes, à peine plus que pour un vulgaire immeuble de trois étages en notre XXI° siècle… Et à partir de ces archives, nous feuilletons littéralement les pages de la cathédrale, qu’il s’agisse de son enfantement, du IV° au début du XIII° siècle, avant l’apothéose gothique des XIII° et XIV° siècles. Si l’on souhaite être encore surpris, ce ne sera pas la dernière fois, on découvrira les dessins d’architectures du XIV° siècle qui constituent un ensemble de plus de quatre mètres de hauteur ! Et là, le regard découvre, médusé, une cathédrale de papier où la rose et la galerie se dessinent en un subtil lavis rehaussé par de l’encre noire et de délicates couleurs qui soulignent les drapés des statues…

La grâce d’une cathédrale, c’est d’être ainsi le miroir de la beauté divine, le reflet de ce qui est impensable à l’homme et improbable aux éléments. Et pourtant, la cathédrale de Strasbourg a réussi, grâce à la foi de ses artistes, à dépasser ces limites humaines. Toutes les parures dont se revêt la cathédrale, qu’elles soient de pierre, de verre, d’or ou de bois, ont un lien avec la transcendance, celui de la beauté de ce qui dépasse l’homme et pourtant le constitue de la manière la plus intime. L’amour, dans un don absolu, a fait naître la beauté pour la magnifier et c’est cette intelligence de ce qui grandit toute œuvre qui a littéralement inspiré tous ces trésors habillant l’Eglise de pierre et l’Eglise humaine. Les pages qui constituent cette deuxième partie pourraient faire partie d’un musée si elles n’étaient le reflet d’une réalité bien vivante qui se renouvelle chaque jour, lorsque nos pas nous guident vers une cathédrale. Bien entendu, la cathédrale est vivante (troisième partie) notamment lors de ses instants les plus forts, ceux de ses célébrations liturgiques. Toutes les pages d’une année peuvent se vivre dans une cathédrale, à l’ombre des fêtes des saints et des martyrs, des grandes fêtes liturgiques (Avent, Noël, Pâques) et des grands moments de la vie de chacun, baptême, mariage, obsèques. La cathédrale n’est pas un musée, elle est au cœur de la cité avec laquelle elle a su toujours entretenir des liens privilégiés. Ces liens ont été tissés par des hommes qui ont marqué sa vie, notamment les évêques de la cathédrale qui ont su et savent encore – ce livre en témoigne - la préserver même pendant ses heures les plus sombres tel Mgr Ruch qui pendant la Seconde Guerre mondiale refusera de livrer son trésor aux nazis menaçants. Pour Monseigneur Doré, la cathédrale de Strasbourg est avant tout une présence incontournable de la ville qui attire puissamment le touriste tout aussi bien que le croyant. Elle est ainsi un lieu de convergence où le rassemblement est rendu possible avec toutes ses diversités. Pour ces seules et importantes raisons, il importe à l’homme du XXI° siècle de mieux connaître un lieu aussi symbolique…

Philippe-Emmanuel Krautter

www.nueebleue.com

 

 

 

DOSSIERS SPIRITUALITES

 

QU’EST-CE QUE LA LITURGIE DES HEURES ?

Notre revue tient à remercier tout spécialement Soeur Odette Sarda d'avoir accepté de rédiger cet article à l'attention de nos lecteurs.

Généralement, les chrétiens connaissent bien la messe mais la liturgie des heures, pourtant destinée à tous les baptisés, est moins pratiquée par eux (cf. Constitution sur la Sainte Liturgie, chapitre IV). La Liturgie des heures est la prière officielle de l’Eglise. Quant aux livres, elle se présente sous deux formes, soit Prière du Temps présent (en un volume), soit Liturgie des Heures (en quatre volumes). Prière du Temps présent a le même contenu que la Liturgie des heures sauf les lectures bibliques et patristiques de l’Office des lectures.
Dans l’Eglise, la prière s’exprime de diverses manières : le chrétien peut faire oraison et y progresser vers le silence profond ; il peut nourrir son recueillement par la répétition incessante de brèves formules (cf. la prière de Jésus) ; il peut pratiquer la lectio divina et s’y imprégner de la Parole de Dieu ; il peut aussi partager l’Evangile avec d’autres ou pratiquer les dévotions dites « populaires ».

1. La Liturgie des heures est une prière de louange et d’action de grâce

La Liturgie des heures est une forme de la prière à un titre tout à fait particulier et important : elle est reconnue comme le moment privilégié où le croyant reçoit dans l’Eglise le don de s’entretenir avec Celui qui l’a créé et sauvé. Elle comprend tous les actes par lesquels Dieu notre Père nous conforme à son Fils et nous habilite à la « louange de sa gloire », selon la belle et forte expression de saint Paul. L’Eglise y vit un moment important de son existence : la rencontre de Dieu et de son peuple pour la célébration de l’Alliance. Cela s’exprime particulièrement dans les psaumes qui sont une grande partie de la célébration des heures.
Temps présent, heures, désignent bien ce qui spécifie cette prière liturgique. L’Eucharistie et les autres sacrements transmettent la vie de Dieu sous des signes visibles, la Liturgie des heures est une Liturgie de la Parole déployée tout au long de la journée (et de la nuit), de la semaine, et de l’année pour les sanctifier dans la louange, l’adoration, l’action de grâce et l’intercession.


2. La Liturgie des heures est une prière communautaire dans le Christ

Nous pouvons évidemment, seuls, rendre grâce à Dieu sous différentes formes. Mais le devoir de la louange ne s’impose pas seulement aux individus : il s’impose à l’Eglise comme telle, et normalement il s’exprime dans la parole et le chant, et donc à des groupes. C’est bien le propre de la liturgie. L’étymologie de ce mot évoque une œuvre populaire, une action sacrée accomplie par le peuple (laos) de Dieu. Il n’y a liturgie que lorsque la communauté agit en tant qu’Eglise, et cela parce que l’Eglise elle-même le reconnaît, sous la motion du Saint-Esprit, qui est son âme et sa conscience : tel est le cas de la liturgie des heures comme de la messe. Et lorsque l’Eglise célèbre la liturgie, le Christ y est réellement présent (cf. Mt 18, 20).

3. La Liturgie des heures s’inscrit dans l’histoire du Salut

Quand l’Eglise, et le Christ présent en elle, célèbre la Liturgie des heures, nous ne nous contentons pas d’entretenir un souvenir et de célébrer jour après jour le même mystère, de redire la même prière. Par cette célébration qui se fonde et s’enracine pourtant dans un mémorial, l’Eglise vit, progresse, invente, prend conscience de sa situation présente et s’avance vers son avenir. Elle a ainsi une dimension universelle dans le temps et dans l’espace.

4. La Liturgie des heures donne un avant-goût du ciel

La Liturgie des heures nous fait louer Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit en union avec le ciel. Toutes celles et ceux qui célèbrent la Liturgie des heures, qu’ils soient moines, ministres ordonnés ou laïcs, ne se contentent pas d’accomplir un exercice de prière qui sanctifie leur vie terrestre et où ils trouveraient force et consolation : ils anticipent la vie du ciel et en savourent déjà un avant-goût. (Constitution sur la Liturgie, n. 83)
5. La Liturgie des heures est une école de prière
Dire que la liturgie des heures est la prière officielle pourrait faire croire à certains qu’elle est impersonnelle, ritualiste et dépourvue de sentiments. Il n’en est rien ! Il est vrai qu’elle est structurée et qu’elle existe avant de devenir la prière de chaque personne. Nous la recevons d’une Eglise de baptisés qui nous ont précédés : c’est en cela qu’elle est une école de prière. Elle est un trésor incomparable pour toutes celles et ceux qui la pratiquent et un modèle extraordinaire pour la prière privée. Elle nous forme comme à notre insu. Plus on la célèbre avec une communauté ou une autre plus on éprouve la joie profonde de faire partie de ce peuple de croyants qui loue son Seigneur.

 

Pour en savoir plus :

www.liturgiecatholique.fr

 

pour la Revue Lexnews,
Sœur Odette SARDA
Dominicaine
Conférence des Evêques de France
Faculté de Théologie – Institut Catholique de Paris

© Soeur Odette Sarda - Revue Lexnews

 

Vous souhaitez approfondir la Liturgie des Heures ?

 

pour plus de renseignements : odette.sarda@cef.fr

Comment prier l’Office divin ou Liturgie des heures ?

La Liturgie des heures en 4 volumes a été réalisée par l’A.E.L.F.
(Coéd. Cerf-Desclée-DDB-Mame 1996-1998)
- tome I : Avent-Noël-Temps Ord 1 à 9 (6 août 1980), 1799 p.
- tome II : Carême-Temps pascal (24 décembre 1979), 1718 p.
- tome III : Temps Ord 7 à 21 (25 avril 1980), 1620 p.
- tome IV : Temps Ord 22 à 34 (1erjuin 1980), 1492 p.

Cette réalisation importante de quatre volumes de plus de 6000 mille pages est incontournable pour tous ceux et celles qui veulent faire au quotidien cette prière. La longue présentation générale dans le premier volume (Avent-Noël-Temps Ord 1 à 9) fournira une aide précieuse aux lecteurs sur l’origine, les caractéristiques et l’importance de cette liturgie remise en avant par le Concile Vatican II. Chaque volume comprend les lectures bibliques et patristiques, l’Ordinaire, les temps spécifiques aux grandes fêtes de l’année, le choix des hymnes, les fêtes des saints, les propres nationaux, ainsi que les références des lectures bibliques. Cette édition exclusivement en français, très répandue, est celle retenue par de nombreux religieux.
(La version en un seul volume Prière du Temps Présent offre l’avantage de sa légèreté et d’un coût moindre, mais elle n’inclut pas les lectures bibliques).

 

 

 

INTERVIEW HANS KÜNG

11 avril 2007

 

Biographie

Né en 1928 à Sursee (Suisse), Hans Küng fait ses études de philosophie et de théologie à l'Université grégorienne de Rome. Il est ordonné prêtre en 1954. Assistant à Münster (1959-1960), professeur de théologie fondamentale (1960-1963), puis professeur de théologie dogmatique à Tübingen. Il dirige depuis 1980 l'Institut de théologie œcuménique rattaché à l'université de Tübingen.

Il consacrera une partie importante de ses travaux théologiques à l’œcuménisme et au dialogue interconfessionnel. Il participe activement en tant qu'expert aux travaux du IIe concile du Vatican,  notamment sur les questions d'ecclésiologie à incidence œcuménique.

Ses thèses sur l'infaillibilité de même que son livre Être chrétien nourriront de vives controverses. Hans KÜNG se verra adressé en 1975 une mise en garde par la Congrégation pour la doctrine de la foi. En 1979, la Congrégation le sanctionnera canoniquement en lui enlevant le droit d'enseigner. L'institut qu’il dirigeait sera alors détaché de la faculté de théologie catholique et placé directement sous l'autorité de l'Université de Tübingen. Ces épreuves le conduiront à la publication, en 1990, du Projet d'éthique planétaire, donnant une dimension plus universaliste à ses recherches. Une institution naîtra de ces travaux : en 1995 sera créée la Fondation Weltethos (Éthique mondiale). Hans KÜNG est l’une des figures marquantes de la théologie contemporaine.

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A l'occasion de la sortie de son premier volume de Mémoires (Éditions du Cerf), LEXNEWS a eu l'immense plaisir d'interviewer l'une des figures marquantes de la théologie en la personne de Hans KÜNG. Témoin et acteur du Concile Vatican II, intellectuel aussi raffiné que redoutable, Hans KÜNG ne peut laisser indifférent. Son parcours exceptionnel retracé dans ses Mémoires démontre que le courage de l'action ne va pas sans sacrifices, sacrifices qui paradoxalement peuvent amener à des voies supérieures. Démonstration avec un homme d'intelligence !

 

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LEXNEWS : « Votre formation au Pontificum Collegium Germanicum nous apparaît en ce début de XXI° siècle comme particulièrement rigoureuse, comment la jugez-vous aujourd’hui (au sens large) en comparaison à l’éducation des jeunes d’aujourd’hui ? Et en quoi  a-t-elle été déterminante dans vos recherches futures ? »

Hans KÜNG : « La méthode pédagogique du Collège germanique des années 48-55 est aujourd’hui tout à fait dépassée, y compris dans le cadre de ce même collège. Les belles soutanes rouges ont été abolies et pratiquement rien n’est resté tel que c'était à l'époque. Je dois préciser deux ou trois choses. Tout d'abord, je suis très heureux d'avoir reçu cette éducation tout à fait classique, non seulement du point de vue théologique, mais aussi du point de vue spirituel. Je me demande si l'on ne néglige pas trop aujourd'hui cette formation spirituelle qui était très importante pour nous à l'époque. Je vous donne un exemple : Je viens de recevoir aujourd'hui un très beau livre sur Ignace de Loyola et cela m'évoque immédiatement cette pratique des exercices spirituels, qui a été si importante pour moi. Précisément du fait de certaines contraintes, mais également à cause des conflits vécus, j'ai pu mûrir et d'une certaine manière être bien mieux préparé. Dans ce sens-là, pour citer Édith Piaf, je ne regrette rien ! 

Un certain climat d'ouverture d'esprit régnait à l'Université Grégorienne et dans notre Collège. Je n'ai eu aucune objection au choix de Jean-Paul Sartre comme sujet de petite thèse en licence de philosophie. On a trouvé cela assez normal et c'est d'ailleurs à ce moment que des cours spécifiques ont été créés pour répondre à des problèmes de l'époque. Ainsi, je me souviens d'un Père Arnou, un Français, qui faisait à l'époque des développements sur la nouvelle anthropologie, et en ce sens, il n'y avait pas de restrictions.

Je crois qu'il n'est pas possible de renouveler aujourd’hui cette même éducation qui nous avait été dispensée à l'époque. Néanmoins, je regrette beaucoup l’aspect universel de cette éducation, une éducation profondément humaniste que j'avais déjà reçue à Lucerne, au lycée. Je pense que l'on a trop négligé les oeuvres classiques pour être trop moderniste au bénéfice de la littérature triviale. Et il me semble que l'on n'a pas fait cet effort de poursuivre l'enseignement de ces humanités. J'ai gardé personnellement cet enseignement comme une dimension de ma vie tout entière. J'ai pu écrire tout autant sur l'origine de notre humanité, sur la biologie moléculaire, l'astrophysique, mais aussi sur la musique avec Mozart, Wagner, Bruckner,… et, entre la musique et la physique, j’ai traité presque tous les problèmes sur Dieu et le Monde. Cela présupposait déjà une éducation générale mais également une curiosité intellectuelle sans limite que j'ai gardée jusqu'à aujourd'hui. »

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 « Vous n'êtes pas né pour ce Collège, vous êtes né pour la vie ».

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LEXNEWS : « Vos premiers écrits revendiquent une rare liberté d’esprit pour un jeune théologien formé à l’école romaine. De même, votre volonté d’œcuménisme tranche sur un très grand nombre de vos contemporains suivant une voie plus « docile »… »

Hans KÜNG : « je pense que ma nationalité suisse, mes expériences pendant la seconde guerre mondiale, mon esprit antinazi, mon sens de liberté ont fortement influencé cette liberté. Cela a grandement joué dans ma résistance face à Rome lorsque l'on a cherché à me former d'une certaine manière excessive. Nous avions heureusement à l'époque au Collège un directeur spirituel jésuite qui a approuvé mon chemin. Il ne m'a jamais dit « non » ou « que cela était impossible ». Très tôt, il m'avait dit : « vous n'êtes pas né pour ce Collège, vous êtes né pour la vie ». Il signifiait par là, qu'il était tout à fait normal que je sois de moins en moins à l'aise dans le cadre de cet enseignement. Grâce à cela, j'ai trouvé mon chemin et évidemment, j'ai toujours été très heureux d'avoir reçu tous les talents  nécessaires pour faire ce chemin. Cela m'a aidé également à ne pas me révolter dans les conditions très difficiles que j'ai pu connaître par la suite avec un Dieu qui exige de trop, même si je connaissais déjà la réponse : tu as reçu tout ce qu'il te faut, ne te complains pas ! »

LEXNEWS : « Pourriez-vous nous rappeler l’importance de la question de la doctrine chrétienne de la justification à laquelle vous avez consacré un important travail de recherche et qui conduira à la publication d’un livre essentiel portant ce titre ? »

Hans KÜNG : « Cela n'est en fait pas si difficile que cela à comprendre. Un catholique a appris évidemment que les bonnes oeuvres sont importantes et que la foi sans les oeuvres n'est rien. J’ai tout d'abord étudié le Concile de Trente, puis la théologie de Karl Barth, et j'ai découvert une dimension [spirituelle] qui m'a beaucoup aidé dans la vie, et qui me semble également importante pour l’homme d'aujourd'hui. Il ne s'agit plus, de nos jours, des oeuvres pieuses comme au Moyen-Âge mais des oeuvres tout court, en allemand nous les nommons « Leistung », c'est-à-dire un accomplissement. Un homme aujourd'hui qui n'est pas performant n'est rien. J'ai appris que, devant Dieu, la perspective est différente. Cela ne dépend pas de vos accomplissements, même s'ils sont nécessaires. Ce n'est pas le critère majeur. Le critère final, et ce point est très important, c’est une confiance radicale en Lui, à l'image de Saint-Pierre sur l'eau. On ne va pas s’attacher aux tempêtes, mais on doit regarder le Seigneur et aller de l’avant. Pour moi, il était très important de savoir que j'avais cette relation immédiate qui me rend libre vis-à-vis des autorités ecclésiastiques, et de toute autorité de manière générale, ma dernière responsabilité étant celle de ma conscience envers Dieu. Mon attitude fondamentale est celle d'une conscience raisonnable, mais inébranlable, en Dieu. »

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«Je pense sincèrement que tous ces compromis ont joué dans les difficultés que connaît l'Église aujourd'hui».

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LEXNEWS : « Le Concile Vatican II, auquel vous avez participé activement en tant que conseiller, vous laisse à la fois l’impression d’œuvre inachevée, fruit de trop grands compromis, et en même temps, le sentiment d’être parvenu à un stade nouveau de non-retour dans l’évolution de l’Eglise. Quels sont vos sentiments aujourd’hui face aux difficultés de l’Eglise du XXI° siècle ? »

Hans KÜNG : « Oui, cela a été un changement fondamental pour l'Église catholique par rapport à deux autres changements de paradigme : à savoir celui de la Réforme et celui des Lumières. Je crois qu'il ne sera pas possible de revenir là-dessus. Certaines personnes évidemment à Rome essayent d'aller à contresens mais il ne sera jamais possible de revenir de nouveau au latin comme langue dominante de la messe. D'autre part, je dois dire que la Curie romaine, malheureusement, fait tout pour éviter que ce changement de paradigme soit pleinement réalisé.

Nous avons partout des compromis, des demi-mesures. L'exemple classique concerne précisément le latin. Il n'a pas été dit clairement : voilà nous célébrerons désormais en langue populaire. Déjà à l'époque, j'avais précisé que cela conduirait à une très grande confusion. Le deuxième exemple concerne le contrôle des naissances. Nous étions à l’époque totalement ambiguë quant au texte lui-même, ainsi que dans les notes où a pu être citée l'encyclique contre la contraception. Et il était évident à l'époque que cela entraînerait à l'avenir de nombreuses difficultés. D'autres sujets cruciaux ont été écartés comme ceux du célibat des prêtres et de l’intercommunion entre catholiques et protestants ; Je pense sincèrement que tous ces compromis ont joué dans les difficultés que connaît l'Église aujourd'hui. Si nous avions eu une discussion ouverte sur la contraception, je suis sûr que nous aurions eu le même vote que celui concernant la liberté religieuse. Cela avait été une très grande bataille et je pense que nous aurions pu obtenir le même nombre de voix pour un célibat volontaire. Mais, la Curie romaine savait cela à l'avance et a tout fait pour défendre une position conservatrice. Il était en effet prévisible que cela aurait des conséquences sérieuses après le Concile. J'étais très tôt convaincu que cela était catastrophique, et même suicidaire, pour l'Église elle-même. On voit très bien de plus en plus que cela conduit à une diminution des vocations et à des scandales sexuels dans le clergé. Même si cela n'est pas le seul facteur, cela reste un point central et symbolique de ne pas vouloir donner la liberté aux jeunes gens de choisir s'ils souhaitent être mariés ou pas. »

LEXNEWS : « Que pensez vous de la position du pape Benoît XVI, que vous avez bien connu, dans son exhortation Sacramentum caritatis  sur la confirmation de la doctrine de l’Eglise en matière de célibat sacerdotal ou l’impossibilité de sacrements aux divorcés remariés tout en saluant l’importance des réformes de Vatican II. De même, comment réagissez vous à la condamnation du théologien jésuite Jon Sobrino pour ces études sur Jésus manifestement peu appréciées du Vatican? »

Hans KÜNG : « J'ai beaucoup loué l’Encyclique sur la Charité, c'était surprenant, positif et constructif. Mais, je pense en même temps que cette exhortation Sacramentum caritatis ne tire pas suffisamment les conséquences que j'avais souhaitées en proposant une seconde encyclique sur les structures de l'église, sur le personnel,... C'est même plutôt le contraire, et malheureusement le Pape Ratzinger n'a pas cette liberté que l'on avait pu souhaiter. Nous attendons encore une action courageuse de lui.

Quant à Jon Sobrino, je le connais très bien. Il a participé à une série de 7 documentaires, qui existent d'ailleurs en français, sur les grandes religions du monde. J'ai précisément commencé le film sur le Christianisme au Salvador parce que j'ai voulu montrer que le Christianisme est une pratique et pas seulement une théorie. Lors de la réalisation du film, nous avons tourné dans une région très pauvre proche de l'église où l'évêque Romero avait été assassiné. J'ai alors demandé à mon ami Jon Sobrino s'il voulait lui-même célébrer la messe. Et alors qu'il avait été très enthousiasmé, il a fini par refuser de peur que cela lui nuise ! Évidemment, je connais ce genre de problème, et je comprends sa réaction.  En fait, on reproche à Jon Sobrino les mêmes choses que l'on reprochait à mon livre « Etre chrétien ». Je pense fondamentalement qu'il faut annoncer au monde Jésus Christ et non un énième concile ou une formule toute préparée. J’estime que cette démarche est courageuse, qu'il a fait un très grand effort pour présenter la figure de Jésus Christ dans le contexte de L'Amérique latine. Je trouve assez stupide de réagir aujourd'hui contre un livre publié il y a vingt ans ! Il est très décevant de constater que sous Benoît XVI, nous avons encore les mêmes méthodes inquisitoriales. Heureusement, aujourd'hui, tout cela a moins de portée qu'autrefois, ces mesures ne sont plus véritablement efficaces et n'empêchent nullement la parution de livres. Qui plus est, Il y a aujourd'hui toutes sortes de possibilités de parler, à la radio, à la télévision, sur Internet... »

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«J'ai été confronté très tôt à la nécessité d'un dialogue entre les religions.»

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LEXNEWS : « Nous passerons sur les nombreux conflits et trahisons qui ont jalonné votre vie, prix à payer d’une liberté chèrement acquise, pour souligner vos combats actuels. Vous insistez très tôt, dés vos premiers cours à l’Université de Tübingen (1960) sur l’évolution majeure de l’existence humaine ainsi que sur le changement essentiel de paradigme au cours du XX° siècle. En ce début de XXI° siècle, votre Fondation Weltethos pour une éthique planétaire poursuit-elle, et de quelle manière, cette profonde conviction ? »

Hans KÜNG : « Les choses ont changé. Dans mon second volume de mémoires que je viens de terminer et qui paraîtra en septembre en allemand sous le titre « Umstrittene Wahrheit », « Mon combat pour la vérité », on lira que mon histoire va devenir tout à fait dramatique. Je dois en effet raconter cette grande confrontation que j'ai dû subir face au Vatican en 1979. À cette époque, par un coup de force, on m’a enlevé le droit canonique d’enseigner. C'est une histoire très triste mais à la fin glorieuse parce que cela m'a libéré de beaucoup de choses et cela m'a donné des possibilités tout à fait nouvelles. Rome n'est pas arrivé à me dépouiller totalement de ma position à l'Université, j'ai gardé ma chaire, j'ai pu garder mon Institut ainsi que mon équipe et j'ai ainsi pu me diriger vers de nouvelles frontières. Dans ce sens, j'ai été confronté très tôt à la nécessité d'un dialogue entre les religions. Dès les années 80, j'ai pu mettre les fondements de toute la théorie en réalisant un dialogue concret avec le Judaïsme mais aussi l'Islam ainsi que les religions indiennes et chinoises. J'ai ainsi pu être très bien préparé pour une période nouvelle, et dans ce sens, ces quatre mois, même s’ils ont été les plus tristes pour moi en 1979, ont été la condition d'une liberté inouïe par la suite. Cela m'a en effet permis d'ouvrir des horizons vraiment nouveaux et d'aller plus loin. Si le dialogue des religions implique une dimension politique, cela va encore plus loin. J'ai en effet fait une découverte décisive : les différences dogmatiques, par lesquelles j'ai évidemment commencé venant de la discipline théologique, sont beaucoup plus grandes que dans l'éthique. Dans mes premiers livres, je n'avais pas fait beaucoup attention à l'éthique, on trouvait cela normal. Ce n'est que plus tard que j'ai observé que les échelons éthiques [élémentaires] dans les différentes religions étaient à peu près les mêmes : vous avez la règle d'or chez Confucius, vous avez tous ces grands impératifs humains pour que l'homme soit vraiment homme. Vous constatez ainsi dans toutes les grandes traditions religieuses les mêmes préceptes : ne pas tuer, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas abuser de la sexualité,... Cela a été à l'origine de l'idée d'une éthique planétaire qui peut être aujourd'hui la solution, y compris en France où il y a encore cette séparation très malheureuse opérée par la révolution française entre les cléricaux catholiques et les laïques. L'éthique planétaire donne pratiquement raison aux deux parties. Vous pouvez garder votre foi chrétienne, catholique, mais cela ne vous empêche pas non plus d'appliquer ces principes éthiques communs. Le pape Benoît XVI avait partagé cette opinion lorsque nous en avions parlé ensemble à Castel Gandolfo. D'autre part, les laïques qui sont toujours nerveux sur ces questions des religions pourraient accepter cette éthique planétaire sans être obligés d'accepter une religion. Un agnostique, un athée ou un laïc peuvent également adhérer à cette idée. »

LEXNEWS : « Est il possible de dire que par cette démarche vous allez encore plus loin que l’œcuménisme ? »

Hans KÜNG : « Oui, c'est en effet un oecuménisme entendu dans son sens le plus large. En fait j'ai travaillé en trois étapes. J'ai tout d'abord réfléchi à l'unité des églises puis, dans la deuxième période, j’ai travaillé pour la paix entre les religions et, finalement, mes dernières recherches ont porté sur la communauté des nations. J'ai en effet beaucoup travaillé avec les Nations Unies, pour l'Unesco…Si vous voulez du latin je pourrai ainsi résumer mon action : Unitas Ecclesiarum, Pax Religionum, et Unitas Nationum qui forment en fait pratiquement trois cercles de plus en plus élargis. »

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Retrouvez la Fondation Ethique Planétaire :

www.weltethos.org/dat_fra/indx_0fr.htm

              

 

 

LE SOUFISME, L'ISLAM ET LE CHRISTIANISME, Entretien avec

Faouzi SKALI   Paris, le 22/11/04

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LEXNEWS a rencontré un grand penseur à la croisée des chemins de la Foi à l'occasion de la sortie de son dernier livre chez ALBIN MICHEL, "Jésus dans la tradition soufie" (voir compte rendu après l'interview). Grand spécialiste du Soufisme, cet universitaire réputé a fait sienne une démarche consistant à rapprocher ce qui pourrait, par de mauvaises interprétations, séparer les cultures spirituelles. Découvrons, avec ce penseur captivant, des horizons riches d'enseignements qui feront voler les frontières de l'obscurantisme...

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Faouzi SKALI « Jésus dans la tradition soufie » ALBIN MICHEL SPIRITUALITES,

 

C’est un livre qui surprendra plus d’un lecteur pensant être au fait des questions spirituelles. La couverture déjà invite à la réflexion avec une représentation de Jésus sous forme de miniature turque où l’on peut découvrir deux anges ailés transporter le Christ au dessus de la ville de Damas.

Les découvertes seront nombreuses et auront toutes pour but d’ouvrir notre esprit, rétréci par le matérialisme ambiant, afin de regarder au-delà de nos dogmes absolus et réaliser que les traits communs entre le Christianisme et l’Islam sont bien plus nombreux que leurs seules différences. Il ne s’agit pas ici de prôner un quelconque syncrétisme réducteur et trop souvent constaté. Le respect de la foi est intact et le regard porté de part et d’autre est respectueux des convictions profondes de chacune des religions. Mais il est des ponts que l’homme du XXI° siècle ne saurait ignorer alors même que les premiers siècles de l’Islam en avaient fait une donnée manifeste. Redécouvrons avec Faouzi SKALI, ces surprenantes passerelles, les témoignages aussi profonds qu’émouvants sur le rôle de Marie essentiel pour l’Islam, mais également Jean Baptiste, l’Ange Gabriel et bien sûr la personne centrale de Jésus. Cette comparaison éclairée par un auteur qui puise sa foi au plus profond de l’expérience mystique a non seulement valeur d’authenticité mais également de témoignage d’un message d’espoir dans un monde où les différences exacerbées comptent bien souvent plus que les vérités primordiales communes.

 

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LEXNEWS : «  Comment la tradition soufie peut elle être appréhendée et dans quelle mesure se distingue-t-elle de l’Islam ? »

 

Faouzi SKALI : « la tradition soufie est une tradition spirituelle qui s’inscrit au cœur même de l’Islam, et qui est la dimension intérieure de cette religion. Je pense que toutes les religions revêtent un aspect extérieur caractérisé par un ordre, un corpus théologique, un aspect institutionnel, etc. et parallèlement un vécu spirituel dont rendent compte par exemple les saints, les mystiques et tous ceux qui sont parvenus grâce un cheminement personnel à cette quintessence du message religieux. Cela n’est possible qu’à partir d’une expérience personnelle, un approfondissement personnel. Et cette voie de l’approfondissement personnel au sein de l’Islam s’appelle le soufisme. Evidemment, il est clair que ce processus se retrouve dans n’importe quelle religion où certaines personnes décideront d’aller jusqu’au bout d’une expérience personnelle vécue intérieure. A partir de cette expérience, il sera possible de constater que ces pratiques ces attitudes sont porteuses de messages et d’enseignements universels. Je pense que tous les grands messages des traditions spirituelles convergent. Si l’on part du principe qu’il y a une vérité, cette vérité est une et elle est la même pour tout le monde ; Simplement, il y aura plusieurs chemins différents par lesquels l’appréhender. C’est un chemin qui ne revient pas seulement à donner des interprétations à sa propre tradition, mais bien plus généralement d’essayer de parvenir à une véritable sagesse et clarté intérieure, une certaine intelligence spirituelle. Assez singulièrement, plus cette expérience est personnelle et authentique et plus elle aura un caractère universel. C’est ainsi que l’on retrouve les grands traités de spiritualité qui ont été écrits par différents maîtres de spiritualité : des traités de métaphysique, des traités d’itinéraire spirituel, de la poésie spirituelle… Tout cela peut avoir une résonance auprès d’hommes de traditions différentes.

Il est certes possible de se contenter d’une adhésion conventionnelle à une religion : cela peut être une adhésion à la fois sociale, culturelle,…Mais, dès lors que l’on a une pratique et en même temps une certaine expérience, cela peut donner lieu à un approfondissement. Et c’est pour cela qu’on appelle cela la voix du cœur. A partir de cette expérience spirituelle, il sera possible d’accéder à une meilleure connaissance de soi.

D’une certaine manière, cette démarche va permettre de conduire vers l’essence de soi. Ces choses-là sont évidemment à l’origine même de toute expérience spirituelle, mais c’est quelque chose qui nécessite un certain enseignement. Cela nécessite une certaine initiation. Il y a un cercle, un certain nombre d’exercices spirituels sont pratiqués, il y a tout un apprentissage, toute une évolution qui se déroule au sein d’un groupe,…

De nombreux pièges et obstacles parsèment ce cheminement, il devient indispensable de prendre conscience des infirmités de son âme et de son ego, de toutes ces choses qui permettront d’aller vers cette vérité intérieure. C’est évidemment quelque chose qui n’est pas tout de suite accessible. »

 

LEXNEWS : « Cette dimension ne prend-elle pas une certaine part de mystère aux yeux des occidentaux dont cette foi mystique est très souvent éteinte par rapport au passé ? »

 

Faouzi SKALI : «Je pense, que ce type d’expérience raisonne au cœur de chacun, même si en effet elle peut prendre parfois une dimension un peu mystérieuse aujourd’hui. Je crois en effet que c’est au cœur de l’expérience humaine, plus ou moins enfouie, plus ou moins consciente, mais bien présente, que tout être humain aspire à mieux se connaître et à réaliser sa nature. C’est quelque chose que l’on retrouve bien évidemment dans l’enseignement de la tradition chrétienne avec Jésus. Son enseignement est tout à fait similaire à l’enseignement des maîtres du soufisme par rapport à leurs disciples. Cette façon de dire les choses en parabole conduit les gens à mener eux-mêmes leur propre chemin et à une certaine introspection. L’allusion est là pour donner une certaine indication, une certaine orientation vers un chemin qui reste à faire. Le fait de travailler sur l’intériorité, sur le cœur, sur la clarification intérieure, toutes ces choses-là se retrouvent tout à fait dans l’enseignement christique. Il est vrai que dans toute voie religieuse, il y a un moment où ce dynamisme peut se transformer en quelque chose d’institutionnalisé et qui se fige et qui perdra cette vitalité, ce sens premier que nous évoquions. Il est alors normal qu’il y ait une certaine volonté d’aller au-delà de cette chape et de retrouver le message profond. Je pense en effet que cette vitalité spirituelle a été un petit peu occulté ces derniers siècles en Occident.

 

LEXNEWS : « Quels sont les préjugés entretenus à l’égard du soufisme, et quelles seraient les meilleures clefs d’introduction à cette pensée ? »

 

Faouzi SKALI : « il y a beaucoup d’ouvrages qui sont traduits aujourd’hui et écrits directement en français sur le soufisme à l’image des autres voies spirituelles. De nombreux traités fondamentaux et de nombreuses études sur ce mouvement ont été écrits, et il y a un véritable public qui est de plus en plus intéressé par cela. La visibilité auprès des médias n’est pas forcément en corrélation avec cet intérêt. Dans les médias on ne parle que des mouvements politiques, idéologiques, extrémistes, etc. Ce sont pour la plupart du temps des mouvements qui ont perdu toute orientation spirituelle. Cette actualité occulte malheureusement la vraie spiritualité. Je crois que c’est un amalgame dangereux et qu’il est important aujourd’hui de revenir vers ces textes, vers ces témoignages de sainteté, de spiritualité, de sagesse. On s’intéresse plus à ceux qui posent les bombes qu’à ceux qui sont porteurs de message spirituel ! S’il est tout à fait normal qu’un individu soit tenté par une dimension politique, il n’est par contre pas souhaitable que cette dimension soit celle de la religion. C’est la profanation de n’importe quelle religion. Et ces dérives que nous observons actuellement, non seulement dans le monde musulman, mais également aux Etats-Unis au plus haut niveau, sont loin d’être majoritaires même si elles font beaucoup de mal. Ses minorités agissantes sont omniprésentes, et à force de ne parler que de cela, elles prennent une existence plus importante. L’aspect qualité n’a pas besoin d’être médiatisé : les personnes qui vivent spirituellement choisissent spontanément une attitude de recueillement et non une manifestation spectaculaire. Cet écueil est important, or pour beaucoup de gens n’existe que ce qui est visible. Cela a une répercussion sur la mentalité et la perception des gens et l’on finit par se trouver en porte-à-faux. Une mission biaisée qui repose sur des stéréotypes conduit obligatoirement à une incompréhension et à des situations conflictuelles extrêmement dangereuses.

Prendre connaissance des textes fondamentaux et de la pensée des grands auteurs permet incontestablement cette meilleure compréhension gage de  la connaissance de l’autre. Des textes comme ceux de Rûmî, Ibn ‘Arabî,  ….des études comme celles de Corbin, Massignon, … sont essentiels pour aborder cette tradition. »

 

LEXNEWS : « ces textes peuvent-ils être abordés par un lecteur néophyte ? »

 

Faouzi SKALI : « Il est vrai qu’il reste encore à faire un effort de vulgarisation. Cette densité d’expérience de maîtres s’étalant sur plusieurs centaines d’années n’est pas forcément facilement accessible. Cette richesse et cette densité inouïe doivent faire l’objet d’une véritable initiation. Quelques livres comme celui de Martin Lings « qu’est-ce que le soufisme ? », ainsi que « Le soufisme » de Jean Chevalier peuvent apporter des réponses. Mais je pense que la meilleure manière d’approcher le soufisme est d’approcher directement ceux qui le pratiquent. Cela ne conduit pas obligatoirement à embrasser cette croyance. C’est quelque chose qui existe déjà en France, et l’on peut dire que c’est l’un des effets de cette fameuse mondialisation pour une fois bénéfique ! Permettre ce genre de contact était impossible jusqu’alors. Les cultures coexistent partout aujourd’hui et il y a effectivement des confréries soufies qui sont largement répandues en Occident. »

 

LEXNEWS : « Est-il possible d’avoir un contact avec le soufisme à partir de sa propre foi, autre que celle de l’Islam, comme cela est couramment pratiqué avec le Zen par exemple ? »

 

Faouzi SKALI : « Tout à fait, comme pour le Zen, il y a plusieurs degrés d’intérêt ou même d’adhésion, et il est tout à fait possible de s’enrichir par la fréquentation d’une tradition spirituelle sans pour autant y adhérer totalement. Prenez l’exemple du yoga qui est quotidiennement pratiqué sans pour autant être hindouiste ! Bien sûr, si l’on souhaite pleinement s’intégrer à la foi soufie, la tradition de l’Islam s’avère vite essentielle. »  

 

LEXNEWS : « Comment êtes vous venu au soufisme et quelle part représente-t-il dans cette volonté de rapprocher des cultures qui s’ignorent encore trop souvent ? »

 

Faouzi SKALI : « le soufisme est intervenu à un moment assez important de ma vie. La spiritualité était une donnée très importante que j’avais trop longtemps méconnue et délaissée. C’est à une période de ma vie où il m’est apparu très clairement que sans spiritualité ce que je faisais n’aurait plus aucun sens. Je me suis rendu compte que la raison même de notre naissance tendait vers cette spiritualité. C’est une expérience de foi, il est vrai que je suis né dans une famille imprégnée de la culture soufie. J’ai passé mon enfance dans cet environnement, j’en ai gardé des souvenirs très très marquants sans pour autant pouvoir placer des mots sur ces expériences qui m’avait beaucoup frappé. Plus tard, lorsque j’ai laissé tout cela de côté et que je me suis tourné vers des études scientifiques où la religion n’avait pas une place sérieuse, c’est avec l’abandon et l’éloignement que j’ai senti tout l’intérêt et toute la signification de cette dimension spirituelle. Je me suis rendu compte qu’en définitive la raison et la rationalité étaient de bonnes choses mais ne répondaient pas aux questions existentielles. Tout cela s’est réalisé avec une certaine prise de conscience, une certaine « illumination ». J’ai ressenti le besoin à un moment donné de mon parcours de me rapprocher de l’humain et par là même de quitter les études scientifiques. La recherche universitaire et la recherche intérieure ont coïncidé. Et j’ai, pendant l’année 1977, rencontré mon maître au Maroc et progressé dans cette voie. A partir de cette période, j’ai parallèlement mené une voie universitaire et la pratique de ma foi, et d’ailleurs cette dernière dimension intérieure a particulièrement servi la compréhension de la dimension religieuse. Rendre compte de l’expérience religieuse est pour moi quelque chose d’essentiel. C’est ainsi que j’ai pu écrire mes premiers livres.

Mon expérience de la voie soufie m’a particulièrement aidé dans cette direction. Dans un premier temps, j’avais tendance à me retirer du monde extérieur et de me focaliser beaucoup plus sur ce travail de dimension intérieure. Au bout de plusieurs années, j’ai eu ce sentiment que cette spiritualité devait être partagée sur la place publique. Il m’apparut évident que la dimension religieuse était indispensable au monde. Je peux dire qu’elle fut un véritable retour vers ce qui se passait dans le monde alors même que je me désintéressais de l’actualité jusqu’alors. Je me suis profondément interrogé sur ce que la spiritualité pouvait apporter au monde et à une très modeste mesure j’ai initié le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde  au Maroc. Je souhaitais mettre l’accent sur les enjeux culturels et religieux mondiaux face à la mondialisation politique et économique trop souvent évoquée. Je crois que le fait de résister à un matérialisme pur et dur a été au centre de cette réaction. Les questions religieuses sont revenues au centre de la scène. L’anthropologie est une science d’actualité alors qu’auparavant elle pouvait être considérée comme une science du passé. Elle est même devenue une science nécessaire pour décrypter ce qui se passe aujourd’hui. A partir de ce moment-là, faire un festival comme celui-ci devenait une sorte d’anthropologie appliquée et en même temps un acte de politique majeur. Nous souhaitions par cet acte exprimer une certaine vision du monde. Nous pensons que des religions différentes ainsi que des cultures différentes peuvent coexister, chacune dans sa singularité, et peuvent s’enrichir mutuellement. Elles peuvent même apporter quelque chose à la marche du monde. C’est pour cela que parallèlement au Festival, nous avons institué un colloque qui s’intitule les Rencontres de Fès - «  Une âme pour la mondialisation » qui devrait aboutir d’ici l’année prochaine à la création d’un Institut de Diplomatie Interreligieux et Interculturel. Nous pensons à travers cet Institut réaliser des recherches afin de mieux appréhender les évolutions actuelles.  

 

LEXNEWS : « Avec votre livre, Jésus peut il être ce pont qui rapprocherait Islam et Chrétienté ? »

 

Faouzi SKALI : « Tout à fait, lorsqu’on réalise la proximité et sur de nombreux points même la quasi identité des enseignements qui sont relatifs au personnage de Jésus aussi bien dans la Chrétienté que dans l’Islam tout aussi bien dans le Coran, dans la tradition prophétique ou bien dans la tradition spirituelle du soufisme, on se dit qu’il est invraisemblable que cette réalité soit méconnue ! Si l’on porte le regard habituel sur les deux religions, trop souvent nous avons la fausse impression de deux univers totalement séparés voire même opposés quant à leur Dieu…Ces traits communs quant à la figure de Jésus dans les deux religions est la preuve même que cette position est fausse. Cette dernière image ne prend pas en compte ce patrimoine commun qui est si puissant et constitue une réalité intangible et fondamentale. A contrario, cela prouve la distance invraisemblable imposée par l’ignorance. Le rythme effréné a réussi à masquer ces évidences, nos contemporains n’ont plus souvent le temps de découvrir ces choses-là. Je pense qu’il est essentiel de pouvoir rétablir ce type de vérité parallèlement à ce déferlement d’idées toutes faites et cela à partir de la vérité historique des textes.

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