Exposition Chefs d’oeuvre de la du Roi
L’écho du Caravage à Versailles
Château de Versailles
jusqu’au 16 juillet 2023
|
LEXNEWS |
05.05.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Pour les 400 ans du château de Versailles (1623-2023), une exposition
aussi exceptionnelle qu’unique permet d’admirer les tableaux du Roi Soleil
! La Chambre de Louis XIV est en effet actuellement en restauration et les
tableaux des plus grands maîtres de la peinture qui ornaient ses cimaises
à plusieurs mètres de hauteur ont été décrochés, restaurés et sont
aujourd’hui exposés pour la première fois à portée d’œil du visiteur…
À l’abri du tumulte des visiteurs, cette exposition permet en un court
mais néanmoins riche parcours d’entrer littéralement dans l’intimité du
monarque inspirateur de Versailles. Son goût pour les arts était sûr et la
sélection des plus belles œuvres pour orner le lieu à la fois de son repos
et de sa représentation publique en témoigne. C’est justement ce
qu’explique avec pédagogie la première salle du parcours soulignant le
rôle de la Chambre du Roi comme épicentre du pouvoir absolu appuyée par
une très belle maquette de Charles Arquinet réalisée en 1958 donnant un
aperçu instructif de l’ensemble des accrochages.

maquette Vue de la chambre du Roi © château de Versailles, T. Garnier
Puis vient la séduction suscitée par d’admirables portraits réunis en une
salle intimiste. Quatre dessus-de-porte dont l’ovalité renforce encore
l’éclat de leur beauté et qui furent naguère donnés pour être de Van Dyck,
Le Dominiquin ou encore Caravage, même si depuis leurs auteurs ont été
quelque peu réévalués (atelier de Van Dyck, Caracciolo…). Allant
crescendo, la troisième salle met en valeur trois autres œuvres
éblouissantes, un admirable Valentin de Boulogne – cet artiste intempestif
à la manière de Caravage dont il fut l’un des plus brillants continuateurs
- un Giovanni Lanfranco et un tableau attribué à Nicolas Tournier.
|
Ces œuvres témoignent des goûts de l’époque selon l’influence italienne
Caravage, Raphaël, le ténébrisme et autres peintures naturalistes.
L’ensemble pictural laisse l’impression d’être découvert pour la première
fois alors que l’on pensait pourtant connaître ces peintures, il est vrai,
trop haut placées et difficilement observables habituellement…

La Diseuse de bonne aventure Valentin de Boulogne (1591-1632), 1626-1628,
huile sur toile, Paris, musée du Louvre, département des Peintures.
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / A. Dequier
C’est ainsi une véritable découverte qu’offre cette exposition qui se
prolongera encore en une dernière salle réunissant des œuvres de Valentin
de Boulogne habituellement accrochées à l’attique, ce peintre d’origine
française ayant passé la plus grande partie de sa carrière en Italie, mort
tragiquement d’un excès de boisson…

Agar secourue par l’ange Giovanni Lanfranco (1582-1647), vers 1616, huile
sur toile,
château de Versailles, dépôt du musée du Louvre, 1949 © château de
Versailles, Dist. RMN © C. Fouin
Dans cet espace, le visiteur pourra admirer à loisir, et dans la
tranquillité, les quatre magnifiques Évangélistes qui entrèrent dans la
collection de Louis XIV en 1670. Ces peintures d’une délicatesse extrême
dans le rendu des traits des disciples du Christ ne pourront
qu’émerveiller le visiteur, justifiant ainsi pleinement la visite de cette
exposition à découvrir jusqu’au 16 juillet 2023 pouvant être complétée par
son passionnant catalogue paru aux éditions In Fine sous la direction de
Béatrice Sarrazin.

|
|
« Giovanni Bellini, Influences croisées »
Exposition jusqu'au 17 juillet 2023, Musée
Jacquemart-André, Paris
|

En entrant dans le cadre toujours intimiste du Musée Jacquemart-André, le
visiteur ne sera pas dépaysé en découvrant dans les salles d’exposition
tant de splendeurs vénitiennes autour et sur le peintre Giovanni Bellini.
Bellini, mais aussi Mantegna, son beau-frère, sont des habitués des
cimaises de l’auguste demeure qui fera prochainement l’objet d’importants
travaux… Véritable évènement de ce début de printemps 2023, « Giovanni
Bellini, Influences croisées », nous transporte instantanément au cœur de
la Sérénissime en ces XVe et XVIe s., époque déterminante pour Venise,
mais également pour l’orient avec la prise de Constantinople en 1453 qui
profitera aux Vénitiens dotés d’une importante flotte.
La première salle a fait le choix de présenter les modèles padouans du
jeune peintre, l’atelier de Jacopo Bellini son père, bien sûr, mais aussi
la présence de son frère aîné Gentile, sans oublier bientôt, l’influence
d’Andrea Mantegna, son beau-frère… Ces premières « influences croisées »
allaient très tôt imprégner l’art du jeune Giovanni, sans pour autant
étouffer son originalité qui ne cessera paradoxalement de croître au fil
de ces inspirations rencontrées. Le peintre témoignera en effet rapidement
de sa propre créativité en une rencontre habile de l’ancien et du moderne,
du legs byzantin qu’il parvient à merveille à restituer, sans l’enfermer,
tout en faisant éclater la lumière de ses couleurs au fil des tableaux
qu’il composera avec patience et rigueur. |
Neville Rowley, co-commissaire de l’exposition avec Pierre Curie, insiste
sur cet art bien particulier que Giovanni développera à partir des
influences flamandes venues du Nord, de la dimension sculpturale apportée
également par Donatello notamment à Padoue, sans omettre l’art byzantin
précédemment évoqué, Mantegna, Cima da Coneglio avant celles de ses plus
prestigieux élèves, Titien et Giorgione…

L’exposition parvient à restituer l’élégance de cet art ciselé qui donna
naissance à ces inoubliables Vierges à l’enfant dont certaines des plus
émouvantes ont été réunies pour l’évènement en une scénographie sobre et
raffinée d’Hubert Le Gall. Qu’il s’agisse de la Vierge sublimée par la
sensibilité spirituelle vénitienne ou des évocations plus tendues du «
Christ mort soutenu par deux anges » témoignant de la force dramatique de
Mantegna, Bellini émeut, Bellini séduit avec ses drapés éclatants, Bellini
étonne avec sa propension à magnifier la lumière. Une exposition qui
parvient à transmettre ce mystère de la plus belle des manières.
-Catalogue "Giovanni Bellini. Influences croisées" sous la direction de
Neville Rowley, Pierre Curie, Michel Hochmann, Sara Menato, Gennaro
Toscano, 192 p., 28 x 24 cm, Fonds Mercator, 2023.
-Giovanni Bellini e i pittori belliniani. Ediz. illustrata di Anchise
Tempestini, Nicomp Laboratorio Editoriale, 2021.
-Peter Humfrey « Giovanni Bellini, an introduction » Marsilio Editori,
2021. |
|
Musée de l’Homme - «
Art et préhistoire »
exposition jusqu’au 22 mai 2023
|
LEXNEWS |
31.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Lorsque l’art rencontre la préhistoire, cela donne naissance à une
exposition au Musée de l’Homme de Paris didactique pour les plus grands et
ludique pour les plus petits. Le Museum national d’Histoire naturelle a,
en effet, choisi pour cette exposition un thème à la fois porteur et
toujours délicat tant les sources dont nous disposons ne nous permettent
pas encore de connaître la véritable intention des auteurs de ces premiers
artefacts que l’on range sous le vocable d’art.

Plaquette de La Marche - © MNHN - J.-C. Domenech
Qu’il s’agisse de ces
admirables statuettes qualifiées de Vénus par les premiers préhistoriens
aux formes souvent généreuses et explicites ou encore ces bois gravés de
toute sorte d’animaux formant l’environnement de ces femmes et hommes du
paléolithique, sans oublier les multiples représentations sur parois (art parétial) ou rocher (art rupestre), tout fait signe sans que nous soyons
les premiers destinataires de ces messages. |
C’est justement l’intérêt et la richesse d’un tel questionnement que de
nous forcer à imaginer les raisons pour lesquelles ces premiers artistes
ont souhaité léguer ces témoignages du passé. S’agit-il de fonctions
sacrées ?
Des premières émotions face à une conscience de la beauté ? Ou encore de
procédés pour communiquer entre individus et nature ? Si des réponses
certaines ne pourront, certes, être apportées par cette exposition, la
mise en confrontation de ces œuvres permettra de mieux se familiariser
avec elles et d’enrichir ainsi notre propre questionnement.

Squame du mammouth de la Madeleine © MNHN - J.-C. Domenech
Pour ce faire la première partie de l’exposition a été consacrée à l’art
mobilier en réunissant ce que l’homo sapiens a su façonner de plus beau
depuis 40 000 ans avec notamment l’emblématique Vénus de Lespugue rarement
exposée. La deuxième partie quant à elle s’attache à exposer les
fondamentaux de l’art pariétal et rupestre avec ces admirables œuvres
peintes ou sculptées en parfaite osmose avec leur environnement et que les
multiples dispositifs multimédias parviennent à restituer le temps d’une
projection, éphémère quant à elle…
Enfin, le parcours se conclut par un hommage à la fameuse Vénus qui a su
inspirer au fil des décennies nos contemporains sous la forme de
réinterprétations d’artistes stimulés par cette icône préhistorique.
À noter qu’à partir du 8 février, une quatrième partie sera ouverte avec
l’exposition d’œuvres de Pablo Picasso associées à la préhistoire dans le
cadre de la « Célébration Picasso 1973-2023 » pour le cinquantenaire de sa
disparition. |
|
Guido Reni, « Le Divin » exposition au
Städel Museum
Francfort sur le Main
jusqu’au 5 mars 2023
|
LEXNEWS |
19.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Une ambitieuse exposition monographique consacrée au grand peintre du
baroque italien Guido Reni (1575-1642) vient d’ouvrir au Städel Museum de
Francfort, un peintre quelque peu injustement relégué à l’arrière-scène au
profit d’un certain…
Caravage, son contemporain. Pourtant, la fin du XVIe et la première moitié
du XVIe siècle italien allaient consacrer cet artiste célèbre dans
l’Europe entière ainsi qu’en témoigne cette belle exposition réalisée sous
le commissariat du Dr Bastian Eclercy (Head Italian, French, and Spanish
Paintings before 1800, Städel Museum) et d’Aleksandra Rentzsch (Assistant
Curator of Italian, French and Spanish paintings before 1800).

Guido Reni (1575–1642) Hippomenes and Atalanta, ca. 1615–18 Oil on canvas,
193 × 272 cm (later extended state 206 × 279 cm) Madrid, Museo Nacional
del Prado
Photo: Archivo Fotográfico Museo Nacional del Prado (José Baztán y Alberto
Otero)
Les plus grands mécènes tels le pape Paul V ou encore le duc de Mantoue se
sont, en effet, empressés de solliciter des commandes auprès de Guido Reni
avant qu’il ne tombe les siècles suivants quelque peu dans l’oubli. Pour
réparer cette infortune, le parcours de l’exposition a retenu pas moins de
130 œuvres du maître italien né et mort à Bologne. |
La part réservée à ses œuvres d’inspiration
religieuse retient particulièrement l’attention avec notamment son
émouvant Christ à la colonne dont le clair-obscur souligne avec une rare
intériorité le contraste entre le corps physique supplicié et la dimension
divine endurant l’épreuve ultime pour le rachat de l’humanité.

Guido Reni (1575–1642)
Assumption of the Virgin, ca. 1598/99
Oil on copper, 58 x 44,4 cm
Frankfurt, Städel Museum
Photo: Städel Museum
Guido Reni émeut et fascine par sa manière de rendre la dimension divine
dans chacun de ses traits, influençant ainsi de manière déterminante les
arts sacrés de son époque ainsi que l’exprime encore ce visage du Christ
couronné d’épines tournant son regard douloureux vers son Père… Mais,
Guido Reni se veut également peintre de la mythologie, ce qu’il réussit à
merveille comme le démontre également les somptueuses représentations de
Bacchus et d’Ariane en une déclinaison de couleurs audacieuses, saumon,
vert d’eau, jaune or sur fond bleu.
L’exposition du Städel Museum, à seulement quelques heures de Paris,
offrira au visiteur encore bien d’autres et belles découvertes !

Catalogue (en allemand ou en anglais) Guido Reni The Divine Ed. Bastian
Eclercy, text(s) by Maria Aresin, Babette Bohn, Aoife Brady, Sybille
Ebert-Schifferer, Bastian Eclercy 2022. 320 pp., 285 ills. Hardcover,
23.00 x 28.00 cm, Hatje Cantz éditions. |
|
KIMONO
Exposition Musée du quai Branly-Jacques Chirac
jusqu'au 28 mai 2023
|
LEXNEWS |
13.11.22
par Sylvie Génot Molinaro

Le kimono est le vêtement japonais le plus connu sur la planète et
certainement le plus décliné dans le monde de la mode. Il traverse les
cultures en s’adaptant à chaque fois sous les doigts des plus grands
créateurs depuis l’ère Edo (apogée de ces déclinaisons) jusqu’à
aujourd’hui. Ce vêtement traditionnel et raffiné de la culture japonaise
se laisse contempler avec une approche esthétique et historique nouvelle,
au musée du quai Branly Jacques Chirac. Découvrir l’histoire fascinante de
ce vêtement iconique, c’est se laisser happer par le froissement des
tissus, des soies de qualité, des broderies sublimes, des accessoires qui
lui sont attribués, des codes sociaux dont il est le reflet du plus simple
(paysans, pêcheurs) au plus somptueux (militaires, geishas, prostituées,
courtisanes, acteurs de Kabuki, riches marchands jusqu’aux plus hautes
marches du pouvoir). Les yeux sont ravis par tant de beauté, de détails,
de délicatesse, du mystère de son assemblage (animation 3D du montage d’un
kimono) aux mystères cachés sous les différentes couches des sur-kimonos.
Apparu pour la première fois au XIIIe siècle, le mot kimono le terme
d’origine « kosode » qui désignait dans l’ancien Japon un vêtement aux
manches tubulaires et aux emmanchures étroites, par opposition au « osode
» un vêtement aux manches larges.
C’est sa forme épurée et géométrique en T qui sied tant aux femmes qu’aux
hommes ne soulignant rien de l’anatomie des genres comme en Occident où le
vêtement doit souligner les formes des corps, qui séduit les esprits.
C’est certainement à l’ère Edo que la créativité autour du kimono a été la
plus remarquable, grâce au développement extraordinaire de l’art du
textile qui a permis la création de motifs remarquables et complexes sous
l’influence d’acteurs et courtisanes célèbres, créateurs de tendances. |
Émerge alors une classe de marchands de plus en plus aisés qui réclament
des modèles symboles de leur richesse et de celle de leur clientèle et du
raffinement pour cette haute classe sociale avide de briller aux yeux de
tous. Couleurs, motifs, nombre de kimono et sur-kimono portés évoluent à
travers les siècles constituant ainsi un code visuel très fort sur son
propriétaire, la saison (différentes déclinaisons de motifs de végétaux ou
fleurs) et autres scènes d’épopées guerrières ou de la vie quotidienne, de
rituels et festivités ( mariage, deuil, premier kimono…)
À l’ère Meiji, la tendance privilégie une élégance plus discrète, alors
qu’après la Seconde guerre mondiale, le port du kimono laisse la place au
costume plus occidental et codifié jusqu’à ce que de jeunes créateurs
contemporains se réapproprient ce vêtement et redonnent, comme à l’ère
Edo, l’influence cette fois-ci planétaire, du kimono. L’ouverture du Japon
à l’Occident sous l’époque Meiji (1868/1912) va favoriser l’éclosion d’un
courant artistique dans toute l’Europe. À cette époque de nombreux
collectionneurs font l’acquisition d’estampes d’Hokusai et d’Hiroshige, à
l’image de Monet, et l’on notera alors leur influence sur le mouvement
impressionniste.

©Outer-kimono
for a woman (uchikake), probably Kyoto, 1860-80 (© Victoria and Albert
Museum, London)
Si dans son histoire le kimono incarne toujours aux yeux de tous une
certaine forme de tradition immuable, et une forme d’érotisme à peine
dévoilé, le kimono, explique Bérénice Geoffroy-Schneider, historienne
d’art, n’a jamais cessé de refléter les mutations sociologiques et
économiques de son pays d’origine. Au point de devenir, dès l’aube du XXe
siècle, un habit résolument moderne. On en veut pour preuve la dernière
partie de l’exposition consacrée aux créateurs et couturiers contemporains
qui déclinent et actualisent ce vêtement et ses codes en créant des
passerelles entre les différentes cultures tout autour de la planète et
inscrivant ainsi le kimono dans l’histoire depuis le XIIIe siècle jusqu’à
aujourd’hui. |
|
« Dessins bolonais
du XVIe siècle dans les collections du Louvre »
jusqu’au 16 janvier 2023
Musée du Louvre
|
LEXNEWS |
12.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Exposition intimiste que celle consacrée aux « dessins bolonais du XVIe
siècle dans les collections du Louvre » conçue par Roberta Serra,
commissaire et ingénieur d’études au département des Arts graphiques du
musée du Louvre ; une collection riche et de qualité dont une belle
sélection se trouve ainsi accrochée le temps d’une exposition, ces œuvres
fragiles et délicates ne pouvant être exposées en permanence. Aussi
faudra-t-il profiter de cet exceptionnel accrochage pour apprécier et
admirer leur beauté et de leurs infimes détails témoignant de l’art et
dextérité de ces artistes du XVIe siècle à Bologne.

Orazio Samacchini, La Présentation au Temple
©Musée du Louvre dist. RMN Grand Palais_Laurent Chastel |
En une présentation concentrée mais néanmoins complète de quarante-quatre
feuilles, l’exposition parvient en effet à retracer l’évolution de l’art
du dessin bolonais au XVIe siècle, une période riche en artistes et en
œuvres de qualité.
Parallèlement à la parution du tome XII de l’Inventaire général des
dessins italiens consacré à ce siècle, le parcours distingue trois
périodes caractérisant les œuvres présentées. Des dessins qui raviront non
seulement les spécialistes et autres amateurs de cette période cruciale
pour le dessin, mais de manière générale pour les amoureux des beaux-arts
qui devraient goûter au bonheur de ces feuilles esquissées sous les doigts
d’artistes prestigieux du Cinquecento tels Francesco Francia,
Peregrino, da Cesena, Marcantonio Raimondi ou Amico Aspertini.
Miniatures enchantées, ombres et lumières saisies à l’envol, chaque œuvre
constitue un univers en soi qu’il appartiendra à chaque visiteur de
s’approprier le temps de la visite. Raffinements et élégance conduiront
certains artistes à de véritables décors que l’on retrouvera parallèlement
dans des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, les deux arts entretenant quelques
proches affinités.

Amico Aspertini, Hommes et chevaux embarqués sur le Danube, copie d'après
la colonne Trajane ©RMN Grand Palais Musée du Louvre_Thierry Le Mage
D’autres artistes moins connus, Innocenzo da Imola, Bagnacavallo, Biagio
Pupini ou encore Girolamo da Treviso, jettent les fondements d’un style
nouveau empreint de culture classique et largement influencé par le grand
Raphaël.
Le parcours réservera encore de belles découvertes avec ces feuilles
remarquables de Pellegrino Tibaldi, Prospero Fontana, Lorenzo Sabatini ou
encore Orazio Sammachini, des artistes qui chacun à leur manière
contribueront à la force et au prestige du dessin bolonais au XVIe siècle
ainsi qu’en témoigne cette très belle et intimiste exposition.
|
|
Ca'd'Oro, chefs-d'oeuvre de la Renaissance
à Venise
Hôtel de la Marine, Paris
jusqu’au 26 mars 2023
|
LEXNEWS |
08.01.23
par
Philippe-Emmanuel Krautter

La lagune vénitienne scintille au cœur de l’Hôtel de la Marine, place de
la Concorde, avec l’exposition Ca d’Oro organisée par la Collection Al
Thani. Les ors de la Sérénissime se sont
en effet invités le temps d’une exposition dans la capitale parisienne
alors que le magnifique Palazzo doit faire l’objet d’une restauration. En
un écho commun de l’élément marin, une sélection des plus beaux trésors de
la Renaissance a ainsi fait tout spécialement le voyage dans cet écrin
unique qu’offre aujourd’hui l’Hôtel de la Marine récemment restauré. Il
n’est en effet un secret pour personne que Venise a bâti sa notoriété et
sa richesse grâce à sa position stratégique et sa maîtrise des voies
commerciales. Cette prééminence lui a ainsi permis d’avoir très tôt accès
aux routes majeures maritimes et devenir un carrefour commercial
incontournable dès le XIVe siècle. Cette mainmise s’accompagnera de
richesses innombrables dont la cité regorgera dans ses palais rivalisant
tous de splendeur.

L’exemple du Palazzo Ca d’Oro illustre parfaitement cette hégémonie
marchande, et la présente exposition accueillie par la Collection Al
Thaini à l’Hôtel de la Marine en témoigne de la plus belle manière. Grâce
à un prêt exceptionnel de la Galleria Giorgio Franchetti alla Ca’ D’Oro en
cours de restauration, le public parisien peut aujourd’hui découvrir une
sélection représentative de ces splendeurs. On doit en effet au baron
Giorgio Franchetti (1865-1922), généreux mécène, d’avoir sauvé de la
perdition la Maison d’Or (Ca’ signifiant en vénitien Maison)… L’un des
plus prestigieux palais était en effet au XIXe siècle en ruines et
menaçait de disparaître à jamais sans l’intervention du collectionneur.
Éclatants témoins de la richesse de sa collection, les pièces rassemblées
pour l’exposition rivalisent de virtuosité au cœur même d’une scénographie
des plus réussies. Les chefs d’œuvre retenus offrent en effet un éventail
représentatif déployant l’étendue des arts de la Renaissance italienne –
et plus spécifiquement vénitienne. Gentile Bellini, Paris Bordon, Andrea
Mantegna, Andrea Riccio sont quelques un des artistes prestigieux dont les
œuvres éclairent le parcours de cette exposition invitant fort à propos
les arts de la sculpture, de la monnaie, sans oublier d’admirables
peintures du Tintoret, Titien et Paris Bordon… |
« Ca' d'Oro - Chefs-d'œuvre de la
Renaissance à Venise » de Claudia Cremonini, Philippe Malgouyres ;
Catalogue d'exposition, Éditions du Patrimoine, 2022.

A l’occasion de l’exposition Ca d’Oro à l’Hôtel de la Marine à Paris, les
éditions du Patrimoine ont eu l’heureuse initiative de faire paraître un
catalogue remarquable servant d’écrin à l’une des plus prestigieuses
collections de Venise. Nous faisant entrer de plain-pied au cœur du
Palazzo et de ses richesses innombrables, ce livre d’art accompagne non
seulement l’exposition installée jusqu’en mars 2023 au cœur de Paris, mais
en prolonge idéalement la visite en proposant au lecteur des analyses et
regards croisés sur cette Renaissance italienne centrée sur la
Sérénissime.

Décoré en page de garde d’une inspirante reproduction dorée de l’Apollon
du Belvédère du sculpteur Pier Jacopo Alari dit l’Antico, cet ouvrage à la
riche iconographie rend témoignage de cette beauté omniprésente de cette
collection unique livrée dans un cadre qui ne l’est pas moins…

Ces reflets d’une grandeur passée qui dura près d’une dizaine de siècles
avant de sombrer dans la crise économique au XIXe siècle et la dispersion
de ses précieux trésors éclairent chacune des pages de l’ouvrage dont la
première partie retrace l’histoire du Palazzo Ca d’Oro depuis le XVe
siècle. La seconde partie présente quant à elle les œuvres des plus grands
artistes vénitiens. Avec ce catalogue et ouvrage d’art, Claudia Cremonini
et Philippe Malgouyres parviennent à entretenir la magie et la splendeur
de Venise, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.
Commissaire de l'exposition Philippe Malgouyres, conservateur en chef du
patrimoine du département des Arts décoratifs du musée du Louvre. |
|
« Femme(s) ! »
exposition Maurice Denis
jusqu’au 2 juil. 2023.
|
LEXNEWS |
04.12.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

En découvrant la dernière exposition organisée par le musée Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye, le visiteur découvrira un univers feutré où la
dimension féminine s’avère omniprésente, non seulement dans le quotidien
de l’artiste mais y compris au cœur de sa création artistique dont son
épouse Marthe sera l’épicentre.
 |
Fort de ce constat, le musée a conçu un accrochage à la fois intimiste et
ouvert aux muses du peintre, que ces dernières appartiennent au cercle
direct de sa famille ou de son atelier. considéraient la présence
des femmes et la manière de rendre leur beauté, leurs émotions et traits
de caractère.
À partir d’œuvres appartenant aux collections du musée, pour certaines
bien connues comme le fameux portrait de « Madame Ranson au chat » réalisé
vers 1882 par Maurice Denis associant étroitement influences japonaises et
symbolisme, ou d’autres rarement exposées, le musée Maurice Denis convie
le visiteur à découvrir la manière dont l’artiste et ses contemporains
La foi n’est jamais éloignée d’une certaine part d’hédonisme chez le «
Nabi aux belles icônes » ainsi que l’avaient surnommé ses compagnons,
faisant tour à tour alterner influences extrêmes orientales, renaissances
ou encore mythologiques.

Artistes femmes élèves de Maurice Denis telles Madeleine Dines ou Raymonde
Heudebert et modèles alternent ainsi dans les œuvres retenues pour ce
parcours intimiste qui dévoile une partie de l’univers de Maurice Denis
dans le cadre toujours aussi inspirant du Prieuré récemment restauré et
qui a vu naître une grande part de sa création. |
|
Monet – Mitchell
Fondation Louis Vuitton Paris
jusqu’au 27.02.23
|
LEXNEWS |
04.12.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

C’est à un véritable et splendide dialogue auquel nous convie
l’incontournable exposition de la Fondation Louis Vuitton - Paris cet
automne-hiver en proposant une mise en rapport des œuvres de Claude Monet
et de l’artiste américaine Joan Mitchell. Si Monet n’est plus à présenter,
l’œuvre de Mitchell, bien connue des spécialistes, commence à être mieux
appréciée ces dernières années et l’exposition à la Fondation Louis
Vuitton réalisée sous le commissariat de Suzanne Pagé, Marianne Mathieu,
et Angeline Scherf devrait asseoir définitivement une réputation
justifiée.
Loin des parcours souvent artificiels confrontant des oeuvres en une même
exposition, le choix opéré ici relève d’un véritable entrelacs de
significations entre deux artistes mus par une même émotion à la lumière
et à la matière dans leur laboratoire respectif de l’ouest de l’Ile de
France. Si les regards divergent et se distinguent, Monet se fondant
littéralement avec le végétal et l’aquatique sublimés par des compositions
monumentales dont ses célèbres nymphéas, Mitchell entretient quant à elle
un lien plus combatif et émotionnel correspondant à sa personnalité en
quête de sens et d’introspection. Cette femme, artiste, ayant à combattre
pour faire reconnaître la place authentique de son art, n’eut en effet pas
un parcours toujours facile et les nombreuses blessures qu’elle eut à
connaître se laissent percevoir dans ses monumentales toiles réunies pour
l’exposition. Mais les deux artistes se rejoignent sur cette attraction
fatale de la lumière diffractée au gré des œuvres, cette irréparable perte
du réalisme conventionnel au profit d’une autre perception – certes
subjective – mais non moins présente du rapport à la nature et aux choses
par les multiples filtres de la couleur et de la lumière.

Joan Mitchell. South, 1989
© The Estate of Joan Mitchell
Le dialogue se trouve plus fertile encore entre les deux artistes grâce à
la très heureuse scénographie pensée et épurée réalisée par l’agence Bodin
& Associés, notamment cette deuxième salle du parcours avec ce jeu de
paravent à deux tableaux de Monet ouvrant par une trouée sur une œuvre en
miroir de Mitchell en contre-fond. Mémoires des sentiments pour Mitchell
projetés au sens propre et psychanalytique du terme, hypnotisme extatique
des éléments pour Monet repensés sur la toile, telles sont les émotions à
fleur de toiles qui sont proposées aux bienheureux visiteurs de cette
incontournable exposition Monet Mitchell de la Fondation Louis Vuitton
marquant cet automne – hiver 2022… |
« Monet Mitchell », Catalogue de l’exposition Fondation Louis Vuitton –
Paris ; 27 x 30 mm, 240 pages, Editions Hazan, 2022.

À l’évènement exceptionnel que représente l’exposition Monet Mitchell à la
fondation Louis Vuitton, il fallait assurément un catalogue à la hauteur
des deux artistes réunis ; Aussi, les éditions Hazan ont-ils décidé
d’inonder le lecteur de lumières et de matières avec cette publication
incontournable. Son format généreux (27 x 30 cm) parvient en effet dès les
premières pages – sans oublier sa couverture inspirée – à immerger le
lecteur dans cet univers unique restitué le temps d’une exposition et
donné à voir dans ces quelques 240 pages.
Ce sont deux expériences de la vie et de la nature qui se dessinent en
effet immédiatement avec ces photographies inspirantes de Monet à Giverny,
et de Mitchell à Vétheuil à quelques vols d’oiseaux de là. À la frontière
des Yvelines et de la Normandie, les cieux se reflètent sur les ondes
irisées des reflets des plantes aquatiques plantées par le maître et dont
les nymphéas sont les plus célèbres ambassadeurs. Joan Mitchell quant à
elle est en quête de ses racines en ces terres européennes.

Le catalogue réalisé sous la direction de Suzanne Pagé, Marianne Mathieu
et Angeline Scherf, convie le lecteur à cette expérience unique du prisme
de la lumière par la couleur en deux expériences à la fois distinctes et
se rejoignant dans leur traitement sublimé de l’abstraction.
Les différents essais réunis approfondissent avec justesse ces multiples
rapports évoluant au fil de la chronologie des deux artistes entre ces
matières, lumière et couleurs, jetant au gré des œuvres de nouveaux
paradigmes acquis de ce XXe siècle décidément fondateur. Servi par une
iconographie remarquable faisant entrer littéralement le lecteur dans
l’atelier de ces deux peintres et appuyé par des textes de qualité
permettant de mieux saisir l’originalité de leur démarche respective, ce
catalogue accompagnera idéalement le visiteur avant ou après la visite de
cette exposition qui se tient jusqu’en février 2023 à la Fondation Louis
Vuitton. |
|
BLACK INDIANS de la
Nouvelle-Orléans
Musée du quai Branly Jacques Chirac
Exposition jusqu’au 15 janvier 2023
|
LEXNEWS |
13.11.22
par Sylvie Génot Molinaro

C’est dans une ambiance de fête et de musiques de fanfares que défilent
les groupes des Black Indians de la Nouvelle-Orléans, dans leur incroyable
costume tout de plumes et de perles mais d’autres aussi forment les
cortèges, les institutions caritatives appelées Social Aid and Pleasure
Clubs et les fanfares des Second Lines comme les Baby Doll et les Skull
and Bone Gang…
Attention, ne pas se tromper car cette exposition haute en couleur relate
toute l’histoire moins joyeuse et festive qu’ont subie les Africains et
les communautés amérindiennes autochtones de La Nouvelle-Orléans et de la
Louisiane, réduites elles aussi à l’esclavage, vivant dans les plantations
et sous le joug de la même servitude que leurs frères de souffrances venus
d’Afrique. Ce pan de l’histoire esclavagiste et ségrégationniste de cette
région a duré des siècles depuis l’arrivée des colons en 1642 (René-Robert
Cavelier de La Salle sous couvert et pour le compte de Louis XIV), des
Français, des Espagnols, des Canadiens…
Cette histoire commune a laissé des traces pour ces deux peuples ayant
partagé le même sort. Le parcours de l’exposition évoque ainsi à travers
les différentes sections ce qui s’est joué sur ces terres de Louisiane et
de la Nouvelle-Orléans depuis l’arrivée des premiers colons jusqu’à
aujourd’hui (l’ouragan Katrina et après son passage.) Les visiteurs sont
témoins de cette histoire violente illustrée par différents objets,
maquettes de bateaux négriers, cartes, livres de commerce, archives,
costumes traditionnels amérindiens, armes, coiffes, graphiques de dates et
d’expéditions de colonisation des territoires et de déportations des
populations et autres documents audio qui ne laissent pas insensibles
quant aux conditions de vie et de travaux forcés des esclaves africains et
amérindiens jusqu’au « Code noir » (recueil de lois et de règles
auxquelles étaient soumis les esclaves noirs des colonies françaises ainsi
que leurs maîtres par ordonnance royale de 1685 mis en place en Louisiane
en 1724) dont un exemplaire est exposé. |
Triste capacité du genre humain à détruire son semblable… Mais tous ne se
laisseront pas faire comme les indiens Natchez qui lutteront jusqu’en 1731
avant la déportation vers Saint-Domingue des derniers représentants. Les
siècles suivants entraîneront les Noirs à subir tous les revers et les
terribles dérives du destin de la Louisiane (de l’esclavagisme aux lois
ségrégationnistes, la fin de l’esclavage, la guerre de Sécession en 1865,
la création du KKK et encore aujourd’hui les crises économiques et
sociales). Puis viendront les temps de la lutte pour les droits civiques
et l’organisation des communautés noires et amérindiennes dans de nombreux
quartiers de groupes d’entraide, leurs rassemblements étant l’occasion
d’évènements festifs autour de la musique et de la danse jusqu’aux «
funérailles jazz » accompagnant les défunts en musique jusqu’au cimetière.
La solidarité devient une façon de vivre en Louisiane. C’est en 1916 que
le premier groupe Africain-Américain « le Zulu » défilera en fanfare au
sein du carnaval dont les migrants européens avaient en 1872 codifié le
Mardi gras de La Nouvelle-Orléans.

Entre défi et mélanges culturels et, par-delà, la résilience de ces
peuples, les symboles historiques vont révéler à travers ces éblouissants
costumes un hommage aux Amérindiens et aux esclaves africains. Le Mardi
gras Indians est une explosion de couleurs ! Chaque tenue correspond à une
place dans la hiérarchie des tribus de Black Maskins Indians (celle des
Chiefs). Plumes aux couleurs éclatantes, véritables œuvres d’art réalisées
avec les milliers de perles de verre, de rubans, sequins qui composent ces
costumes renouvelés chaque année et donnant lieu parfois à des
compétitions. Ceux exposés dans la dernière partie de l’exposition datent
de 2006 car la plupart ont été détruits lors du passage de l’ouragan
Katrina. Il faut alors se pencher sur toutes les scènes historiques
emperlées sur les plastrons recto et verso des costumes et ressentir à
quel point les destins africains et amérindiens sont mêlés dans l’histoire
de la Louisiane. Symboles des couleurs, des thèmes, des formes, des
attitudes, des pas de danse et des mélodies jazzy inventées en 1900 par un
cornettiste Buddy Bolden, figure légendaire et mal connue, disparu en 1907
qui révolutionnera les rythmes en mêlant ceux de l’Afrique et de la
Caraïbe, musique devenue universelle dans toutes ses déclinaisons.
Une exposition didactique sur une région longtemps convoitée et partagée. |
|
Exposition Louis XV, Passions d’un roi
Château de Versailles
jusqu'au 19 février 2023
|
LEXNEWS |
13.11.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Il fallait le tricentenaire d’un sacre pour rendre cet hommage mérité à
l’une des grandes figures royales emblématiques du château de Versailles.
C’est chose faite avec cette exposition didactique consacrée aux passions
du monarque Louis XV dévoilant les multiples facettes d’un homme souvent
méconnu derrière des clichés convenus. C’est en effet autour de la
personne même du roi que se concentre le riche parcours conçu par les
commissaires de cette exposition explorant les différents visages de ces «
deux corps du roi » théorisé par l’historien Ernst Kantorowicz. Sa
dimension humaine, tout d’abord, transparaît de manière éclatante, lui qui
tout jeune enfant vit sa jeunesse entourée de deuils et funérailles de sa
royale famille. L’arrière-petit-fils de Louis XIV souhaitait, en effet,
oublier le violet qui obsédait son quotidien marqué par ces trop
nombreuses disparitions, d’où son goût pour la lumière, la profusion des
couleurs éclatantes et de l’art rocaille.

L’homme est réservé, préférant la compagnie d’un nombre restreint de
personnes retenues pour leur bonne compagnie et discrétion. Louis XV a la
réputation de compter parmi les plus beaux hommes du royaume et les
courtisanes ne manqueront pas dans son entourage. Mais au-delà des clichés
trop souvent réducteurs laissés par la Révolution et les siècles suivants,
Louis XV ne compte pas parmi ces libertins frivoles mus uniquement par le
jeu et les plaisirs, même si le monarque goûtait plus que quiconque les
divertissements de la chasse. Il fait preuve d’un goût immodéré pour les
sciences, les lettres et les arts ainsi qu’en témoignent également les
nombreuses pièces exceptionnelles réunies pour cette exposition telle
l’exceptionnelle pendule astronomique Passemant tout spécialement
restaurée pour l’évènement, une complication unique prévoyant le
calendrier jusqu’en 9999…

Le corps mystique du monarque – parallèlement à son corps physique – est
également évoqué au cours de cette exposition avec la dimension sacrée de
Louis XV qui à l’image de son auguste aïeul vouait un profond respect pour
les questions religieuses.
Au terme de cette riche déambulation dans l’intimité de ce monarque du
XVIIIe siècle, avant dernier roi de l’Ancien Régime, le visiteur aura le
sentiment de mieux connaître cette personnalité complexe, à la fois
mélancolique et rayonnante, réservée et dont les arts flamboyants
inonderont d’éclats un siècle de lumières… |
« Louis XV – Passions d’un roi » sous la
direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, Editions inFine, 2022.

Véritable somme accompagnant l’exposition éponyme se
déroulant actuellement au château de Versailles, le catalogue « Louis XV –
Passions d’un roi » paru aux éditions InFine ouvre littéralement les
portes de l’intimité de ce monarque appelé « Le bien aimé » et petit fils
de Louis XIV. Près de 500 pages et 458 illustrations parviennent en effet
pour la première fois à rendre cet univers longtemps resté secret et que
cet ouvrage partage sous la direction de Yves Carlier, Conservateur
général du patrimoine, musée national des Châteaux de Versailles et de
Trianon, et Hélène Delalex, également Conservatrice du patrimoine, musée
national des Châteaux de Versailles et de Trianon.

À l’image de l’exposition qu’il accompagne, ce fort volume embrasse –
ainsi que le suggère son titre, les multiples passions d’un roi né et mort
à Versailles qui fut souvent présenté de manière superficielle, se
rangeant derrière des généralités et idées préconçues que ces pages
écartent définitivement.
Louis XV apparaît certes comme un personnage mélancolique, préférant la
compagnie restreinte de fidèles aux fastes de la Cour. Épris des arts
comme de la chasse, Louis XV est cependant curieux de tout ainsi qu’en
témoignent les magnifiques pièces d’horlogeries présentées et autres
objets scientifiques précieux.

L’homme « privé » dans toutes ses dimensions fait
ainsi l’objet, dans la première partie, d’études détaillées qui
permettront au lecteur attentif de mieux connaître non seulement
l’entourage du roi mais également son intériorité notamment en matière
religieuse. Les deux chapitres suivants consacrés aux goûts et passions du
roi ainsi qu’aux arts offrent certainement les développements les plus
fastueux puisque ces pages abondamment illustrées ouvrent au lecteur les
portes des bibliothèques royales, des cabinets, mais aussi les créations
de style rocaille commandées tout spécialement pour lui, Louis XV.
Au terme de catalogue, la personnalité de ce grand monarque que fut Louis
XV semblera moins hiératique et distante, ce qui ne sera pas le moindre
mérite de cet ouvrage passionnant !
|
|
La Flottille
Château de Versailles
 |

C’est un air d’été indien qui règne sur Versailles en cette journée
d’automne, un été qui tarde agréablement à s’estomper et dont les nombreux
visiteurs du domaine royal goûtent les bienfaits tout au long du Grand
Canal. Ce dernier, majestueux, mène en effet à l’une des institutions des
lieux, le restaurant La Flottille, véritable étendard de la générosité et
du bon goût versaillais. Entre maison tout droit héritée de l’époque de
Marcel Proust qui aimait à arpenter les jardins avoisinants et brasserie
aux multiples facettes, La Flottille enchante depuis des générations
Versaillais et touristes internationaux.

Que l’on goûte aux plaisirs des jeux de miroirs sur l’onde à partir de
l’agréable terrasse bordant le canal, que l’on s’abrite à l’ombre des
tilleuls servant d’écrin à l’ancienne bâtisse ou encore que l’on leur
préfère les salles éclatantes de lumière filtrée par les vastes verrières
des salons intérieurs, chaque expérience passée à La Flottille sera
synonyme d’heures gourmandes et précieuses. Précieuses car toujours sous
le signe de cette générosité qui préside à l’accueil dès le seuil franchi
avec Frédéric, son aimable directeur, et toute son équipe qui n’aura qu’un
seul objectif : faire de chaque instant passé en ce lieu idyllique une
invitation au rêve et à l’évasion. |
Chaque détail soigné des assiettes de La Flottille convie l’hôte du
restaurant au plaisir d’une cuisine franche et généreuse, telle cette
sélection de saumon fumé avec sa crème et toasts grillés accompagnée d’un
fin Chablis Dampt-Frères vieilles vignes 2020. Service prévenant,
assiettes copieuses, La Flottille cultive l’art de la gastronomie
traditionnelle française avec des plats du jour choisis comme ces
brochettes de rougets et Saint-Jacques, riz sauvage et crème. Le fish &
chips affiche des pommes frites maison redoutablement croustillantes et un
poisson parfaitement pané pour une dégustation informelle, mais également
très gourmande. Sans oublier, les généreux Burgers maison, végétarien ou
non, très demandés et appréciés !

Alors que le soleil invite à déambuler dans les multiples labyrinthes du
jardin royal, nous resterons encore quelques instants à la Flottille pour
y déguster l’une de ses spécialités, la fameuse tarte Tatin et sa crème
fraîche, une recette fondante et parfaite, couronnant ces instants
plaisirs passés à l’une des belles et agréables adresses de la ville
royale !
 |
Parc du Château de Versailles, 78000 Versailles,
France
Tel : + 33 (0)1 39 51 41 58
https://laflottille.fr
|
«
L’arc et le sabre. Imaginaire guerrier du
Japon »
Musée Guimet jusqu’au 29 août 2022.
|
LEXNEWS |
01.07.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

L’image archétypale du samouraï en occident se réduit très souvent à des
approximations réductrices du guerrier sans peur, souvent associé à tort
aux non moins fameux kamikazes, se faisant « hara-kiri » au lieu et place
du terme approprié « seppuku »… L’actuelle exposition qui se tient au
musée Guimet fait la démonstration que l’imaginaire du guerrier médiéval
japonais s’avère beaucoup plus complexe et structuré qu’il n’y paraît.

En effet, à l’image de nombreux arts japonais, la guerre est considérée
comme un art martial et fait l’objet d’un code, le fameux Bushido pour
lequel ces guerriers redoutables que l’on nommait samouraï étaient prêts à
laisser leur vie.
C’est cet univers complexe et toujours difficile à saisir pour
l’occidental que les commissaires Sophie Makariou, présidente du MNAAG, et
Vincent Lefèvre, directeur de la conservation et des collections du MNAAG,
ont exploré en une exposition à la fois accessible et bénéficiant d’un
nombre important d’estampes remarquables dont le fameux cycle des 47
rônins. |
Armes antiques présentées avec le fameux katana, ou sabre japonais,
composé de tsubas, ces derniers éléments constituant la garde de la
poignée du sabre faisant l’objet des décorations les plus raffinées, sans
oublier les poignards courts ou tanto…

Avec cette exposition, « L’arc et le sabre », le musée Guimet parvient à
exposer cet « Imaginaire guerrier » de la société japonaise souvent mal
connu et pourtant présent jusqu’à l’ouverture Meiji.

Clin d’œil en guise de conclusion humoristique, le parcours réserve en
effet quelques vitrines au legs de la culture samouraï avec le manga et le
cinéma s’emparant de ce phénomène et ayant donné lieu à des films passés à
la postérité ainsi qu’à des personnages tel Goldorak, très lointain parent
de l’austère samouraï…
L’arc et le sabre. Imaginaire guerrier du Japon, coédition MNAAG /
RMN-GP 120 pages, 65 illustrations. |
|
Musée de
Cluny
Musée national du Moyen Âge - Paris
|
LEXNEWS |
08.06.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter
Après onze année de travaux et rénovations, le musée de Cluny a enfin
ré-ouvert ses portes le 12 mai dernier. Outre le nettoyage de la chapelle,
le musée offre aujourd’hui à ses visiteurs une nouvelle muséographie
entièrement revue et repensée.

Plus accessible aux personnes à mobilité réduite avec une mise à niveau
unifiée, le parcours se veut également bien plus lisible avec une
présentation avant tout chronologique de près de 1 600 œuvres
sélectionnées et présentées selon une rotation inévitable pour les plus
fragiles.

Surtout, ce chantier d’envergure a été l’occasion de nombreuses
restaurations (près de 500 œuvres) accompagnées de passionnantes
découvertes révélant tout l’attrait et le formidable savoir-faire du Moyen
Âge. |

Abandonnant un cheminement conçu il y a plus d’un demi-siècle à partir des
techniques et métiers du Moyen Âge au profit d’une évolution chronologique
au fil des siècles qui ont marqué la riche histoire du royaume, le musée
de Cluny offre ainsi un autre regard sur ses collections médiévales, plus
« parlantes » et surtout plus enchantées que naguère.

L’esthète comme le féru d’art, sans oublier l’amoureux des arts sacrés
trouveront leur bonheur dans ce musée répondant à l’esprit contemporain
avec une plus grande visibilité et lisibilité des œuvres. Qu’il s’agisse
des fameuses statues des Apôtres commandées par saint Louis pour les
croisades ou de la non moins célèbre tenture de chœur de la cathédrale
Notre-Dame d’Auxerre, aujourd’hui entièrement déployée dans une même
salle, les plus beaux trésors du musée de Cluny ont désormais trouvé un
écrin de choix pour un voyage passionnant dans le temps aux origines de
notre société. |
|
Giorgio
Vasari - Le Livre des dessins.
Destinées d’une collection mythique
Exposition musée du Louvre jusqu’au 18
juillet 2022
|
LEXNEWS |
21.05.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Dans le cadre intimiste de la Rotonde Sully, les commissaires Louis Frank,
musée du Louvre, et Carina Fryklund, Nationalmuseum de Stockholm, ont
conçu une exposition captivante consacrée à la fabuleuse collection de
dessins réunis par le célèbre et incontournable artiste et écrivain
italien Giorgio Vasari au XVIe siècle dans le non moins célèbre Livre des
dessins. Véritable icône de ce que l’art de la Renaissance pouvait réunir
de mieux en terme de dessin, ce Libro de’ disegni est paradoxalement
devenu légendaire au fil de son dispersement. Aussi est-ce à rebours que
les commissaires de cette exposition ont fait choix de partir sur cette «
piste » Vasari, une enquête bien plus complexe qu’il n’y paraît et qui
témoigne s’il en était besoin de la richesse de cette époque.

Marco del Moro, Diane et Endymion
Si nous avons gardé trace de l’ouvrage jusqu’au 29 juin 1574, soit deux
jours après la mort de Vasari, lorsqu’il fut remis par ses héritiers au
grand-duc de Toscane, le Libro disparaît cependant par la suite… Dès lors,
chaque siècle suivant connaîtra ces collectionneurs devenus plus ou moins
célèbres persuadés d’avoir retrouvé ces dessins légendaires, et la manière
dont ils avaient pu être montés, créant ainsi un archétype Vasari, plus
trompeur qu’il n’y paraît. |
Par-delà ces subtilités qui occupent les historiens de l’art, la présente
exposition offre une enquête détaillée sur le fondateur de l’histoire de
l’art moderne et artiste lui-même.
La recherche actuelle semble ainsi se diriger vers une position beaucoup
plus nuancée quant à ces encadrements somptueux et recherchés faits à la
plume et à l’encre brune où ornements, allégories et architectures
entourent le dessin ainsi mis en valeur. Longtemps considérés comme une
signature pour ou par Vasari, l’enquête démontre que ces certitudes ne
sont pas aussi assurées qu’il n’y paraît. Le visiteur pourra ainsi passer
d’un dessin à l’autre en opérant cette double lecture passionnante entre
dessins signés par les plus grands artistes de l’époque et ces profusions
architecturées où volutes et coquilles se disputent la prééminence,
véritable basse continue pour chaque œuvre.

Attribué à Léonard de Vinci,
Sept études de têtes saint Jean Baptiste enfant
Cette collection mythique convoquée le temps d’une exposition permettra
ainsi de s’immerger avec un rare plaisir dans ces miniatures
extraordinaires signées Léonard de Vinci, Uccello, Lippi, Mantegna,
Raphaël, Parmigianino et bien d’autres maîtres de la Renaissance que l’on
pourra retrouver et admirer tout à loisir dans le très complet catalogue
accompagnant l’exposition : « Giorgio
Vasari - le Livre des dessins » sous la direction de L. Frank et de C.
Fryklund, 240 p., 130 ill. coédition musée du Louvre éditions / Lienart,
2022.
 |
|
« Boldini, les plaisirs et les jours »
jusqu’au 24 juillet 2022. Petit Palais,
Paris.
|
LEXNEWS |
15.04.22
par
Philippe-Emmanuel Krautter

Le Petit Palais rend hommage au peintre italien Giovanni Boldini
(1842-1931) avec cette rétrospective complète consacrée à l’un des plus
fins observateurs de la société au tournant des XIXe s. et XXe s. Souvent
réduit à ses portraits mondains, Boldini démontre avec ce parcours des
plus esthétiques conçu par Servane Dargnies de Vitry et Barbara Guidi
qu’il sut imprimer à son art plus qu’une simple évocation des « Plaisirs
et des jours », titre de cette exposition.
Artiste à part entière, son destin aurait pu être tout autre s’il avait
suivi le mouvement des Macchiaioli, ces « tachistes » qui avaient jeté
leur dévolu sur les peintures d’extérieur et de paysage. Mais Boldini leur
préfère les intérieurs feutrés où sa palette peut à loisir saisir cette
fluidité des mouvements et ce bruissement des soieries qui lui vaudront
rapidement une notoriété incontestée dans la capitale parisienne où il
s’installe en 1871. Dans cette ville qui se pare de lumières, il saura en
effet rapidement s’inspirer de l’esprit qui anime la vie moderne avec ses
omnibus, ses multiples terrasses de café, sans oublier les concerts que ce
mélomane averti se plait à évoquer également sur ses toiles.

Boldini, Scène de fête au Moulin-Rouge, vers 1889, huile sur toile, Paris,
musée d’Orsay, accepté par l’État à titre de dation, 2010 © Musée d’Orsay,
Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Ses portraits intimes et officiels constitueront l’apothéose de son style,
à la fois réussite éclatante et peut-être également limite de son art.
Boldini n’hésitera pas en effet à reproduire à l’envi une recette qui lui
réussit manifestement, cet homme sachant comme aucun autre exalter ses
modèles à la mode. Qu’il s’agisse de l’incontournable Comtesse de
Greffulhe ayant inspiré à Marcel Proust la non moins célèbre duchesse de
Germantes dans la Recherche, ou encore du truculent comte Robert de
Montesquiou, personnage phare de la société parisienne de son temps, sans
oublier la sulfureuse marquise Luisa Casati, exquise dans ses tenues les
plus extravagantes, Boldini magnifie tout cet univers tendu vers
l’élégance et le raffinement.

La marchesa Luisa Casati con penne di pavone
La mondanité de ce tournant de siècle a ainsi trouvé son peintre et
Boldini, ambassadeur du bon goût de son temps, déclinera avec une frénésie
surprenante toutes les facettes de cette société feutrée qui s’abîme de
fête en fête jusqu’à en perdre le sens. C’est cette nostalgie, un brin
désillusionnée, qui transparaît parfois au terme de ce riche parcours,
l’art de Boldini pouvant laisser poindre en ses tableaux intimes la vanité
de cet univers. Modernité et lucidité peuvent alors surgir de sa toile en
d’étonnants élans qui pourront faire regretter que Boldini n’ait pas
consacré plus de temps à en explorer les pans suggérés…
Une exposition soyeuse et raffinée à découvrir absolument dans le cadre
plus qu’approprié du Petit Palais ! |
« Boldini. Les plaisirs et les jours » -
Catalogue d'exposition, 256 pages / 240 illustrations, Éditions Paris
Musées, 2022.

Il fallait à l’exposition du Petit Palais consacrée
au peintre Giovanni Boldini un catalogue à la hauteur et aux couleurs de
l’artiste italien. C’est chose faite avec la présente publication dirigée
par Barbara Guidi et Servane Dargnies de Vitry. Dès les premières pages,
de superbes illustrations des œuvres emblématiques du peintre de la
mondanité de la Belle Époque égayent cette monographie sur ce peintre à la
fois célèbre et méconnu.

Giovanni Boldini, Conversation au café, 1879, huile sur bois © Francesca
Dini Archive, Florence
Et justement, tout l’intérêt de cette publication – et de l’exposition qui
l’accompagne – est de nous faire entrer dans l’intimité de cet artiste
plus secret qu’il n’y paraît et cultivant un monde intérieur complexe que
ne le livrent ses toiles les plus radieuses.

Giovanni Boldini, Feu d'artifice, 1892-1895
©
Ferrare, Museo Giovanni Boldini
Francesca Dini rappelle que c’est à la source de la peinture italienne et
du courant des macchiaioli que ce jeune artiste a forgé ses pinceaux, une
voie importante dont il se démarquera cependant en découvrant Paris, la
Ville lumière. Philippe Thiébaut et Robert Jensen évoquent dans leur
contribution ses débuts puis sa consécration dans la capitale française où
tout ce qui compte de notoriétés cherchera à être portraituré par cet
artiste des élégances. Mais nous découvrons également dans cet ouvrage,
l’homme privé, plus secret et qui n’hésitera pas à livrer des vues
d’intérieur moins connues de l’artiste et qu’analyse Maria Luisa Pacelli.
Benedetta Craveri et Marion Lagrange explorent enfin dans le détail ce que
Boldini a pu laisser comme témoignage de ces temps de l’élégance et de la
mondanité, à la manière d’un autre génie, son contemporain, Marcel Proust,
avec sa plume. |
|
À LA RENCONTRE DU
PETIT PRINCE
Exposition au MAD (Musée des Arts Décoratifs)
jusqu’au 26 juin 2022
|
LEXNEWS |
10.04.22
par
Sylvie Génot Molinaro

« Le Petit Prince »…, presque toute la planète a lu à un moment ou un
autre ce livre écrit par Antoine de Saint-Exupéry. Presque tous les
adultes ont offert ce livre si délicatement illustré à un enfant, croyant
à un conte écrit pour eux. Traduit dans plus de 500 langues ou dialectes,
ce phénomène mondial de l’édition se vend à cinq millions d’exemplaires
chaque année, quel auteur ne rêverait pas d’un tel succès…

Le petit prince dans la roseraie (© Editions Gallimard)
Et pourtant du haut de sa planète, le Petit Prince est-il vraiment une
histoire pour enfant ? Cette interrogation ne sera sans doute jamais
tranchée, enfants comme adultes se retrouveront dans la force de son
propos, sa beauté poétique et les dessins ou images qu’il incarne
réveillant en chacun la part d’éternité des premières années de l’enfance
comme l’illustre Antoine de Saint-Exupéry en dessinant la frontière entre
l’enfance et l’âge adulte via le dialogue entre le Petit Prince et le
pilote. Ce texte, commandé par les éditeurs américains d’Antoine de
Saint-Exupéry est écrit entre 1941 et 1943 à New York, en plein conflit
mondial, n’est pas un conte de fées. C’est pourquoi le MAD propose aux
visiteurs nostalgiques de leur lecture d’enfant de se plonger dans la
genèse de l’écriture du texte même, montrant à quel point il est imprégné
de la vie de son auteur.
|
Au fil d’un parcours de huit séquences, le fil de l’histoire d’Antoine de
Saint-Exupéry laisse voir tout ce qui a pu nourrir son dernier texte,
comme-ci ce Petit Prince annonçait le testament littéraire de son auteur.
« Il ne faut pas écrire de conte de fées, j’écrirai un conte sur l’avion.
» Après le succès de son premier roman « Courrier Sud » et des suivants, «
Vol de nuit », « Terre des Hommes », « Pilote de Guerre », ou « Citadelle
», Antoine de Saint-Exupéry, en exil et en mauvaise santé, ne se sent plus
assez actif et il est à noter comme cet homme sans cesse en mouvement
contraste avec le calme apparent du Petit Prince. Il n’y a pas que le
manuscrit du Petit Prince que donne à voir la scénographie de ce parcours,
mais également les multiples lettres écrites par Antoine à sa mère, sa
femme, ses amis, elles sont toutes accompagnées de dessins incroyables où
on perçoit une recherche graphique pour inventer des personnages et créer
un mode plus fantasque, plus imaginaire.

Antoine de Saint-Exupéry chez Silvia Hamilton, 1942.
(© Coll. Succession Saint-Exupéry-d’Agay )
C’est, intrigués par tous ces dessins, que les éditeurs demandant à
Antoine de Saint-Exupéry de réfléchir à l’écriture de ce « conte ». Les
feuillets du manuscrit du Petit Prince, qui sont conservés à la Morgan
Library & Museum de New York, sont présentés pour la première fois en
France, enrichis d’esquisses inédites, de dessins préparatoires et
d’aquarelles originales, comme de nombreux indices qui mènent à une autre
lecture de notre livre d’enfance qui depuis la mort d’Antoine de
Saint-Exupéry, quelques semaines après la parution de son livre aux
États-Unis en 1943, laisse ce Petit Prince orphelin et unique ambassadeur
de ce dernier message humaniste qu’Antoine de Saint-Exupéry laisse à
l’humanité. |
|
Exposition Les trois
Pietà de Michel-Ange
Florence - Museo dell' Opera del Duomo
jusqu'au 1er août 2022
|

Interview Mgr Timothy Verdon 08/03/22

Le Museo dell’ Opera del Duomo de Florence confronte pour la première
fois l’original de la Pietà Bandini récemment restaurée aux deux moulages
de la Pietà Vaticana de Saint-Pierre et de la Pietà Rondanini dont les
originaux sont restés respectivement à Rome et à Milan. Ces œuvres
ont-elles été déjà réunies du vivant de Michel-Ange ? Et de quand datent
ces moulages ?
Mgr Timothy Verdon : "Les trois Pietà de Michel-Ange n’ont jamais
été vues ensemble du vivant de l’artiste. Celle de Saint-Pierre, la Pietà
Vaticana, était déjà à sa place avant la fin du XVe siècle, alors que
Michel-Ange n’avait encore que vingt-cinq ans. Les deux autres Pietà - la
Pietà Bandini de Florence et la Pietà Rondanini de Milan, appartiennent à
la vieillesse du maître, c’est à dire aux années 1550-60.
Mais, les moulages que le Vatican nous a prêtés datent, quant à eux, des
XIXe et XXe siècles ; celui de la Pietà Rondanini de Milan remonte aux
alentours de 1875 et celui de la Pietà Vaticana, a été réalisé un siècle
plus tard, en 1975, après l’acte de vandalisme perpétué en 1972. Le
moulage de 1975 a été, par ailleurs, fait non à partir de l’oeuvre
originale, mais d’un précédent moulage remontant à la Seconde Guerre
mondiale".
Une évolution caractérise ces Pietà dans l’œuvre du célèbre sculpteur
florentin, quels traits essentiels ressortent de l’art du maître pour ces
sculptures ? Et quelles évolutions quant à la spiritualité de l’artiste
peuvent être perçues dans ces trois œuvres au regard de la spiritualité de
son temps ?
Mgr Timothy Verdon : "L’évolution stylistique que l’on perçoit en
confrontant les trois versions du thème de la Pietà débute par l’art du
jeune artiste encore marqué par l’esprit du XVe siècle - avec cette
attention portée aux détails de Ghirlandaio, la douceur botticellienne, la
complexité dans les drapés de Verrocchio.

Moulage de la Pietà Vaticana
Avec les années, une tendance à l’épuration et à la simplification se
manifeste, alors même que le maniérisme s’imposait en cette moitié du XVIe
s. Il est possible de noter toutes ces différences entre une surface
parfaitement polie de la sculpture et l’infini quasi impressionniste du
dernier Michel-Ange, ce que l’on note d’ailleurs également chez Le Titien
âgé.
L’évolution interprétative quant à elle est également importante. D’une
lecture sentimentale mais conventionnelle du thème de la Pietà dans sa
jeunesse, l’artiste est passé à une recherche profondément personnelle
avec les dernières versions - la Pietà Bandini de Florence et la Pietà
Rondanini de Milan, qui s’inscrivent presque dans l’esprit ignatien de la
Contre Réforme romaine". |
Comment expliquer les différents
personnages tenant le corps du Christ ?
Mgr Timothy Verdon : "Le sujet de la Pietà est classiquement
composé de deux personnages: Marie et Jésus, la mère et son fils. C’est
une sorte de revisitation de la Vierge à l’Enfant, mais au moment de la
mort, et non de la Nativité, de la douleur et non de la joie. C’est
pleinement le sens de la Pietà Vaticana de Saint-Pierre.

Pietà Bandini - Florence
Pour la Pietà de Florence, la Pietà Bandini, la première des deux versions
de ce thème réalisées par un Michel-Ange déjà âgé, l’artiste se substitue
à la Vierge avec le personnage de Nicodème supportant le corps du
Crucifié. En fait, le visage même de Nicodème se trouve être
l’autoportrait de Michel-Ange… Marie est à notre droite, Marie Madeleine à
gauche, mais les deux principaux personnages sont représentés par le
Seigneur et l’artiste. Michel-Ange, croyant et déjà âgé, fait « naitre »
de son corps de vieillard le corps jeune mais mort de ce Jésus auquel il
s’adressait dans ses sonnets composés durant les mêmes années. Cette Pietà
de Florence est vraiment une Déposition, dans laquelle le drame de
l’événement est concentré à partir de Michel-Ange.

Moulage Pietà Rondanini - Milan
Avec, enfin, la Pietà Rondanini de Milan - dernière oeuvre de sa vie, à
laquelle il a continué à travailler quasiment jusqu’à son dernier jour –
Michel-Ange opère un retour au schéma traditionnel de la mère avec son
fils, mais en une composition renouvelée. Marie n’est plus assise avec
Jésus sur ses genoux, mais tous deux sont debout, la mère soutenant le
corps sans vie de son fils devant son ventre, comme si elle lui donnait
vie une dernière fois".

La notion de non finito semble importante dans le travail des
sculptures de Michel-Ange. Loin d’être un arrêt ou un inachèvement
involontaire, cette interruption voulue de la réalisation de l’œuvre ne
conduit-elle pas à la notion d’infini, ainsi que vous le soulignez pour
l’art de la renaissance ?
Mgr Timothy Verdon : "Dans ses dernières Pietà, la Pietà Bandini de
Florence et la Pietà Rondanini de Milan, Michel-Ange abandonne la
conception conventionnelle de la Pietà Vaticana de Saint-Pierre au profit
d’une recherche d’un sens tout aussi bien personnel qu’universel du sujet.
C’est cette recherche intérieure, il me semble, qui le fait abandonner
aussi ce goût renaissance pour la perfection de la surface et de la
définition des formes au profit d’un langage plus libre, « en devenir »,
ouvert à plusieurs solutions possibles. Le « non finito », ici,
devient en effet « infinito », infini dans ses multiples
implications. Michel-Ange délaisse cette prétention à tenter de « définir
» le rapport central de l’histoire du monde, entre Dieu qui s’est fait
homme et l’être humain qui, par la mort du Christ, connaît l’Amour divin". |
|
Guido Reni a Roma - Il Sacro e la Natura
Galleria Borghese
jusqu’au 22 mai 2022 |

La Galleria Borghese réserve au grand maître italien du XVIIe siècle,
Guido Reni, une exposition à l’occasion de la redécouverte d’un tableau
Danza campestre (daté vers 1605) entré dans les collections du musée
depuis un an. Ce tableau qui appartenait naguère au grand collectionneur,
le cardinal Scipione Borghese, avait été dispersé avec d’autres œuvres au
XIXe siècle, pour finalement réapparaître en 2008 comme un tableau d’un
Bolognais anonyme. Racheté en 2020, cette toile représente avec un charme
bucolique certain une danse champêtre sur un ciel nuageux d’une rare
délicatesse. Cette actualité a ainsi inspiré aux commissaires de
l’exposition un parcours évoquant la place du peintre à Rome au XVIIe
siècle à partir de plus de 30 œuvres réunies et retraçant notamment sa
relation au sujet champêtre et à la peinture de paysage, une dimension
jusqu’alors négligée.

Les premières années de Guido Reni à Rome seront pour lui l’occasion
d’affermir son art auprès des antiques et des maîtres incontournables de
la Renaissance. |
Son
profond respect et admiration pour Le Caravage qu’il connut marquera
également de manière sensible l’art de Guido Reni. Mais avant de souligner
cette dimension plus méconnue de l’artiste, le parcours s’ouvre dans le
grand hall d’entrée sur 4 retables majestueux de Guido Reni, des œuvres
témoignant de la force expressive de l’artiste dans ces représentations de
thèmes classiques tels cette Crucifixion de saint Pierre, le Martyre de
Sainte Catherine, une Trinité avec la Madone de Loreto ou encore le
Martyre de Sainte Cécile.

Les salles suivantes retracent la place occupée par les peintures romaines
de Reni avec des œuvres d’une rare intensité telle cette évocation du
Massacre des Innocents dont certains traits ne seront pas sans évoquer
l’influence du Caravage. La présence de couleurs contrastant avec la
pénombre, les mouvements suggérés et à peine stoppés par le pinceau
saisissent le spectateur pour leur force narrative.
C’est à l’étage, enfin, que le paysage s’immisce progressivement dans les
toiles de Guido Reni et révèle la place occupée par la nature à Rome avec
cette première décennie du XVIIe siècle. Ce sera l’occasion d’admirer la
toute dernière acquisition du maître, mais aussi des œuvres de Niccolò
dell'Abate, Agostino Carraci, Paul Bril, Carlo Saraceni, sans oublier des
peintres bolonais tel Francesco Albani et ces paysages peints pour
Scipione Borghese dans lesquels abondent avec luxuriance déesses et
nymphes en un décor où la nature se fait complice des passions…
Cette remarquable exposition se trouve complétée par un catalogue
publié aux éditions Marsilio avec des études passionnantes de Daniele
Benati, Raffaella Morselli et Maria Cristina Terzaghi sur l’œuvre de Guido
Reni et la réinterprétation de son travail notamment quant au paysage et à
la nature. |
|
« Louis Chéron -
L'ambition du dessin parfait »
Musée des Beaux-Arts de Caen du 4 décembre
2021 au 6 mars 2022.
|

Le musée des Beaux-Arts de Caen lève enfin le voile sur un artiste méconnu
Louis Chéron (1655-1725), un peintre et surtout un dessinateur hors pair
dont la destinée biographique a quelque peu occulté l’aura. C’est la
première fois qu’une rétrospective entière lui est consacrée, à ce titre
nous devons saluer cette initiative que nous devons à l’historien de l’art
François Marandet, Commissariat scientifique et à Emmanuelle Delapierre,
directrice du musée. Cette redécouverte sous la forme d’une belle
exposition retrace selon un parcours chronologique le destin bouleversé de
l’artiste entre la France, l’Italie et l’Angleterre où il passera le reste
de sa vie, exilé.
À partir d’une sélection d’une soixantaine (à vérifier) d’œuvres faisant
alterner dessins et rares peintures conservées de lui, le parcours
souligne, dès les premières œuvres, la qualité exceptionnelle du dessin de
Louis Chéron qui quitta la France en 1683 étant inquiété pour ses
convictions religieuses protestantes à l’époque même de la Révocation de
l’Édit de Nantes.

Les premiers espaces de l’exposition font ainsi la démonstration de la
sûreté du trait de Louis Chéron dans le plus pur style classique français.
Celui que l’on avait qualifié de « suiveur de Charles Le Brun » ne put
malheureusement voir son talent reconnu par le Royaume. |
Et c’est en Angleterre qu’il développera, pendant le reste de sa vie,
toutes les facettes de son art sous la forme d’études académiques, dessins
d’invention et vastes projets de décors peints pour lesquels il offrira
des études d’une rare précision. Son goût pour le trait, la finesse de ses
détails forcent l’admiration et l’on se prête à rêver d’un tel talent au
service de la cour de Versailles… Toujours est-il que c’est à Londres
qu’il occupera une place essentielle dans la scène artistique, ce qui
explique notamment sa méconnaissance, l’artiste ayant réalisé très peu de
tableaux de chevet au profit de décors peints de grande ampleur. Ainsi que
le soulignent les commissaires de l’exposition, à la fois prolifique et
précurseur Chéron vécut entre deux pays et deux siècles, raisons probables
de son relatif oubli. Nous réalisons cependant en déambulant dans
l’agréable parcours combien cet artiste annonce les décennies à venir,
ayant notamment créé dans son pays d’adoption, à Londres, une école d’art
introduisant notamment le nu féminin d’après modèle vivant qui influencera
des artistes majeurs tel William Hogarth.

À noter à l’occasion de l’exposition la publication du remarquable
catalogue réalisé par François Marandet consacré à Louis Chéron et dont le
titre « L’ambition du dessin parfait » souligne le trait majeur qui
caractérisera tout le parcours haut en couleur de l’artiste. Le catalogue
rappelle l’importance de sa formation en Italie, une formation éclairée
par l’exemple de Raphaël et le contact avec les plus grands maîtres lors
de ses séjours à Rome et à Venise. Après un retour à Paris, ce sera l’exil
définitif pour Londres et le temps des grands décors peints, dont beaucoup
ont malheureusement disparu mais rendant les rares témoignages restant de
ses grands décors précieux. L’ouvrage met surtout en évidence le legs
laissé par Chéron quant à cette quête éternelle du trait qui l’anima toute
sa vie, une énergie et une force qui étonnèrent ses contemporains et
raviront à n’en pas douter nos contemporains. |
|
Exposition Inferno - Jean
Clair
Scuderie del Quirinale Roma
jusqu'au 23 janvier 2022 |

2021 a célébré le 700e anniversaire de la mort du poète Dante, une date
anniversaire marquée par une exposition exceptionnelle prolongée jusqu’au
23 janvier 2022 et installée dans les anciennes écuries du palais du
Quirinal à Rome sous la direction de l’académicien et historien de l’art
Jean Clair (lire
notre interview) et de son épouse Laura Bossi, historienne et
neurologue.
C’est sous l’angle de l’enfer et de notre fascination pour le mal qu’a été
conçue cette exposition fleuve réunissant des chefs-d’œuvre des plus
grands musées du monde ainsi que de collections privées. Mais, comment
représenter ? Pas moins de 235 œuvres et documents se chargent de répondre
à cette question essentielle en plein cœur de la Ville Éternelle et à
quelques pas seulement de la cité du Vatican…

Pieter Huys Inferno, 1570, olio su tavola
Madrid, Museo Nacional del Prado, Inv. P002095
© Photographic Archive. Museo Nacional del Prado. Madrid
La fascination pour le mal s’est exercée depuis l’aube des temps,
association paradoxale de répulsion et d’attraction, plus ou moins
accentuée selon les époques et les individus. Cet effroi/attirance absente
d’autres notions voisines tel le paradis ou le purgatoire trouve son acmé
bien entendu avec l’enfer, ainsi que l’a démontré avec virtuosité le poète
Dante. Les artistes de manière générale ont eux aussi largement exploré
cette thématique comme en témoigne cette exposition bénéficiant d’une
scénographie sous la forme d’un itinéraire en dix sections.

Sandro Botticelli (Firenze, 1444/45-1510)
La Divina Commedia: la voragine infernale 1481-1488
Punta d'argento e inchiostro su pergamena
Città del Vaticano, Biblioteca
Apostolica Vaticana, inv. Reginense
Lat. 1896, pt. A, f. 101r
© Biblioteca Apostolica Vaticana, Città del Vaticano
À la manière du poète dans sa Divine Comédie, ces dix cercles se chargent
d’accompagner le visiteur dans les tréfonds du mal et de notre rapport à
lui.
Jean Clair fort de sa riche expérience en tant qu’ancien directeur du
musée Picasso à Paris et cofondateur du Centre Pompidou sans oublier les
nombreuses expositions qu’il a créées sur le thème de la mélancolie et du
mal déploie ainsi un éventail impressionnant de l'Inferno.
|
A travers les multiples représentations des enfers livrées par le Moyen
Âge jusqu’aux récentes œuvres d’art décrivant nos enfers plus
contemporains, ce sombre parcours offrira cependant un brin d’espoir à
l’issue dont on réservera la surprise aux visiteurs !

Cette histoire des représentations du mal par des peintres illustres tels
Bosch et Brueghel, se poursuit chez les romantiques ou encore les peintres
pompiers du XIXe siècle. L’exposition s’écarte souvent du plan établi par
le poète toscan pour explorer nos enfers terrestres, posant ainsi la
question des frontières entre l’enfer considéré sous l’angle de la foi et
de la transcendance et nos enfers quotidiens.

William Adolphe Bouguereau
Dante e Virgilio 1850 olio su tela
Parigi, Musée d'Orsay, acuis par
dation en 2010, Inv. 153692
© 2021.RMN-Grand Palais
L’exposition romaine ose ainsi reparler de notions souvent oubliées du
diable et de ses manifestations sous la forme des multiples holocaustes,
guerres et autres dévastations sur les deux niveaux de la Scuderie. Le
visiteur pourra déambuler dans ces multiples cercles allant du plâtre
complet des Portes de l’Enfer de Rodin tout spécialement dépêché à Rome
pour l’exposition aux œuvres d’Anselm Kieffer en passant par Gustave Doré,
William Bougereau, Goya, Otto Dix, Paul Richer… Ce riche parcours
accompagnera longtemps le visiteur après avoir franchi le seuil de
l’exposition en un contraste saisissant entre profondeurs de la noirceur
et beautés de la Ville Éternelle l’attendant à la sortie !

À l’occasion de l’exposition, les éditions Electa publient un
impressionnant catalogue à la mesure de la thématique retenue avec ses 480
pages reprenant le thème de l’Inferno et le développant par de nombreuses
contributions passionnantes sous la direction de Jean Clair et de Laura
Bossi. Suivant le fil directeur suggéré par le chant le plus connu du
grand poète Dante, ce catalogue richement illustré d’une iconographie
soignée relate le destin fécond de ces œuvres d’art du Moyen Âge à nos
jours. Métaphore de la souffrance humaine, l’enfer est ainsi entendu en un
sens plus large s’étendant à tous les maux connus sur terre. Terreurs,
effrois, beauté sinistre, tourments et déraisons se laissent ainsi
observés dans ce catalogue remarquable, faisant écho à l’exposition qu’il
complètera de manière idéale.
Emanuele Gozzi |
|
LES ANIMAUX DU ROI
Château de Versailles jusqu’au 13 février 2022 |

« Peut-on imaginer aujourd’hui le château de Versailles et ses jardins
regorgeant de vie animale ? Et pourtant les animaux de compagnie se
comptaient par dizaines dans le château où chiens, chats, oiseaux…
vivaient dans les appartements et les antichambres. La Ménagerie,
aujourd’hui disparue, abritait les animaux les plus rares, du coati au
couagga, du casoar à la grue couronnée. Dans le parc, le gibier était
abondant, 2000 chevaux étaient rattachés aux écuries royales et 300 chiens
de chasse logeaient dans le grand chenil. Les animaux apparaissaient aussi
partout dans les décors du château et des jardins, où ils sont représentés
pour leur symbolique mythologique ou politique. »

Difficile effectivement d’imaginer de nos jours un tel Versailles avec
toute cette faune en quasi liberté ! Et pourtant cette exposition révèle
la place importante occupée par les animaux à la cour du Roi Soleil.
Peintures, sculptures, fontaines, tapisseries, objets d’orfèvrerie,
meubles, porcelaines, vélins, près de 300 œuvres scénographiées par
Guicciardini & Magni Architetti. Un défilé d’ambiances et de thèmes variés
conçus par les deux commissaires de cet événement, Alexandre Maral,
conservateur général au château en charge notamment des sculptures, et
Nicolas Milovanovic, conservateur en chef du musée du Louvre département
des peintures françaises du XVIIe siècle. Tout commence par un jeu, un
labyrinthe, l’un des bosquets le plus fascinant du parc, avec ses 39
fontaines de plomb polychromes illustrant les Fables d’Ésope. |
Sur les 35 animaux actuellement conservés, une vingtaine apparait entre
treillages et recoins reconstitués, le tout dédié aux belles lettres et à
l’esprit. On regrette presque que ce bosquet ait disparu sous Louis XVI. À
la ménagerie édifiée entre 1662 et 1664 sur le domaine du château, au
milieu d’une grande réserve de chasse, le Roi accueillait des animaux
rares et pacifiques venus de pays lointains et favorisa un nouveau rapport
au monde animal s’opposant à la théorie cartésienne des animaux-machines.
C’est à cette époque, grâce aux observations et publications de Claude
Perrault, de la princesse Palatine ou encore de Claude-Adrien Helvétius et
Charles Georges Leroy, garde des chasses de Versailles, et auteur des
Lettres sur les animaux, que les précurseurs de l’éthologie développèrent,
en effet, un autre rapport à l’animal.

S’ils surprenaient les visiteurs tout en marquant le prestige du Roi
lui-même comme le lion animal devenu animal royal à cette époque,
détrônant l’ours, tous ces animaux ont été sujets d’études et de peintures
pour les artistes de la cour tels Pieter Boel ou Jean-Baptiste Oudry, des
artistes ayant favorisé l’émergence d’une école française de peinture
animalière au XVIIe siècle. Outre les animaux de prestige comme ces deux
éléphants qui ont vécu quelques années à Versailles (l’un deux originaire
du Congo fut offert par le futur roi du Portugal en 1668 et fut disséqué à
sa mort en présence du Roi, une large place était accordée aux animaux de
compagnie, chats, chiens et oiseaux de toutes sortes. Le chien fidèle
compagnon des rois et indispensable à la pratique de la chasse comme les
centaines de chevaux présents à Versailles ou à Marly, apparaissent, bien
sûr, prédominants dans les peintures et tapisseries présentées. Mais
au-dessus de tous, le cheval demeure l’animal qui symbolisa toute la
grandeur et la puissance du roi, et toutes ses représentations mettent en
scène cette magnificence.
C’est tout un pan de l’histoire du château et de ses habitants que l’on
découvre ainsi dans les salles pour le plus grand plaisir des visiteurs,
petits et grands, en déambulant dans les espaces consacrés aux joies
d’être entourés d’animaux.
Animations, conférences, visites guidées, catalogue en coédition Château
de Versailles/Liénart et livres permettront d’approfondir les
connaissances sur cette exposition.
Sylvie Génot Molinaro |
|
ALGUES MARINES
Palais de la Porte Doré
exposition jusqu’au 4 septembre 2022 |

Méconnues ou mal perçues, les algues marines sont pourtant déjà très
présentes dans notre vie quotidienne. C’est ce que confirme l’introduction
de l’espace consacré à cette nouvelle exposition du Palais de la Porte
Dorée, mettant en avant , dans une cuisine type, tous les produits que
nous pouvons consommer dans lesquels des algues font partie des
ingrédients de fabrication. Agar-agar, pâtes alimentaires, algues pour
maki, compléments alimentaires riches en iode en gélules, produits
biologiques, thé ou bière parfumée aux algues… dans nos produits
cosmétiques et de soins et jusque dans les mangeoires de notre bétail. Les
algues sont donc partout.
Au 6e siècle av. J.-C. les hommes utilisaient déjà les algues en Asie. Au
cours de l’histoire, les usages de ces végétaux ont été très différents
selon les lieux. Les algues comme aliment quasi divin au Japon, dernier
recours en cas de disette en Europe du Nord ou encore ingrédient essentiel
pour la fabrication du verre dès le 16e siècle. Mais connait-on vraiment
ces grandes algues marines ? Les vertes, les brunes et les rouges ? Quel
rôle jouent-elles dans la chaîne biologique ?
Comme les plantes terrestres, elles participent par la photosynthèse à la
production d’oxygène, elles sont un indicateur fiable de l’état écologique
de nos milieux et bien que cachées, elles protègent nos côtes des tempêtes
en formant de véritables forêts et nurseries sous-marines où peuvent se
développer faune et flore locales. Il est donc important de découvrir et
de comprendre le rôle essentiel que les algues jouent, depuis des millions
d’années, pour l’équilibre de la vie sur notre planète, à commencer par le
maintien de la biodiversité dans les mers et océans en captant le gaz
carbonique de l’atmosphère. |
Mais, comme de nombreux écosystèmes, elles sont aujourd’hui menacées par
l’activité humaine. Leur poids économique est grand puisque les algues se
retrouvent dans de nombreux produits de notre quotidien. Aussi, les
chercheurs étudient-ils toutes les possibilités d’utiliser ces végétaux
qui regorgent de possibilités infinies tant sur le plan alimentaire que
médical ou en alguoculture raisonnée. Pour cela, il faut inventorier
partout sur la planète toutes les espèces d’algues et leur rôle de
protection géographique des côtes ; les algues bretonnes, par exemple, ne
vont pas se développer autour de l’île de la Réunion. Elles ont un rôle de
stabilisateur dans les écosystèmes locaux comme sur l’équilibre du climat.

Il est donc urgent de les protéger car même si depuis 1683 des
scientifiques ou botanistes de renom tels René Antoine Ferchault de
Réaumur,Jean Vincent Félix Lamouroux, Anna Atkins ou encore Kathleen Mary
Drew-Baker y ont consacré leurs études, les moyens technologiques actuels
performants permettent de mieux mettre en valeur les qualités et bénéfices
de ces plantes et de les utiliser dans la pharmacopée, l’agriculture,
l’élevage ou en médecine préventive.
L’industrie s’intéresse aujourd’hui fortement au pouvoir des algues
jusqu’aux dernières expérimentations de biocarburants à partir des laisses
de mer, détritus naturels rejetés par les marées. Il faut une réelle
volonté politique environnementale, estiment les chercheurs pour que soit
exploitée cette ressource naturelle sans la surexploiter. Alors les algues
sauveront-elles l’humanité ? Elles suscitent en tous cas bien des espoirs.
Tout en apprenant, tout en s’amusant, cette exposition aussi didactique
que plaisante est à voir en famille jusqu’au 4 septembre 2022.
Sylvie Génot Molinaro |
|
Maurice Denis - Bonheur rêvé
jusqu'au 29 mai 2022
Musée Départemental Maurice Denis |

L’œuvre du peintre Maurice Denis (1870-1943) ne saurait pleinement
s’apprécier sans la découverte du cadre de vie dans lequel l’artiste
déploya son art une grande partie de sa vie. C’est désormais possible
depuis la réouverture du musée Maurice Denis au Prieuré de
Saint-Germain-en-Laye où Maurice Denis vécut de 1914 jusqu’à sa mort.
C’est en 1980 que cet ancien Hôpital général royal érigé sous Louis XIV
devint le musée Maurice Denis grâce au Département des Yvelines, un havre
de paix et de beauté qui vient de faire l’objet d’importants travaux de
restauration. « Le Nabi aux belles icônes », ainsi qu’il fut surnommé, sut
en ces murs pousser jusqu’aux limites son art d’associer couleurs et
formes en une sublimation initiée par les Impressionnistes. L’amour de la
vie irradie ses œuvres, des œuvres qui viennent de faire l’objet d’un
nouvel accrochage et qui bénéficie pour l’occasion de prêts remarquables
de tableaux rarement exposés.

Des œuvres qui traduisent une contemplation toujours renouvelée de la vie
prenant chez Maurice Denis une dimension spirituelle qui trouve son
apothéose dans la fameuse chapelle éclairée par ses fresques et vitraux.
Le visiteur pourra découvrir cette belle exposition rappelant les deux
dimensions croisées de la vie de l’artiste, entre ascèse créatrice et vie
bucolique avec sa famille au Prieuré, vie que l’on peut sans peine encore
imaginer en se promenant dans ces murs vibrants de cette atmosphère
inspirée, ainsi que dans les jardins attenants.
 |
Maurice Denis, amoureux de la vie, sait être un théoricien rigoureux
revisitant tous les codes traditionnels de la peinture sans pour autant
les renier.
Mais au classicisme, Maurice Denis ajoute cette modernité séduisante
sertie de couleurs éclatantes dont l’amour et la religion sont les fils
directeurs. L’harmonie des formes et des couleurs est dès lors rapidement
au cœur de la création de l’artiste à un point tel que le symbolisme perce
comme pour ce petit tableau « L’Autel jaune » habité d’une force sacrée
rayonnante.
Le Mystère se trouve ainsi explicitement visité par l’artiste dans ses
peintures aux lectures multiples. Amour profane et amour sacré n’ont plus
guère de sens pour le peintre qui les conjugue avec un rare bonheur
notamment dans les représentations de son épouse Marthe, omniprésente, et
des enfants qu’elle lui donna.

Ce sont toutes ces différentes facettes de la création artistique qui sont
ainsi rappelées dans ce beau parcours, de la période Nabi et des œuvres
symbolistes jusqu’à un retour à un certain classicisme dans les dernières
années.

Maurice Denis sut, en effet, aussi être un homme de son temps lorsque des
commandes lui font s’inscrire dans la mouvance de l’Art nouveau et des
arts décoratifs, notamment avec cet impressionnant ensemble décoratif «
L’Éternel Printemps » pour la salle à manger de Gabriel Thomas.
Décidément, le musée départemental Maurice Denis réserve bien des
surprises à seulement quelques kilomètres de la capitale, un lieu où se
trouve chaque jour entretenu avec inspiration et délicatesse l’esprit d’un
artiste majeur du XXe siècle.
Catalogue « Maurice Denis, Bonheur rêvé » sous la direction de Fabienne
Stahl, RMN, 2021. |
|
Botticelli Artiste et designer
Musée Jacquemart-André
jusqu’au 24 janvier 2022 |
LEXNEWS |
11.09.21
Philippe-Emmanuel Krautter

Alessandro di Mariano Filipepi, plus connu sous le nom de Sandro
Botticelli (1444/1445-1510), nous est familier par ces fameuses évocations
primesautières où de jeunes filles aux sourires mutins entament quelques
pas de danse, à moins que leur nudité n’émerge d’une coquille… Mais
derrière ces icônes passées à la postérité se cache le génie d’un artiste
au diapason de son temps, celui du fertile Quattrocento à Florence. Le
musée Jacquemart-André honore ce génie et ouvre les portes de son atelier
au public parisien en une rétrospective réunissant une quarantaine
d’œuvres de l’artiste sous le commissariat de Ana Debenedetti, directrice
expositions et culture, Culturespaces et Pierre Curie, conservateur en
chef du patrimoine.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Portrait de Julien
de Médicis, vers 1478–1480, tempera et huile sur bois, 59,5 × 39,3 cm,
Bergame, Accademia Carrara © Fondazione Accademia Carrara, Bergamo
Sous l’influence politique de la famille des Médicis, Botticelli, à
l’image des autres artistes de son temps, profite de conditions
exceptionnelles afin de déployer son art. Si sa vie reste quelque peu
mystérieuse, l’exposition a fait choix de mieux nous faire connaître son
atelier, le peintre, à l’image de ses contemporains, travaillant à l’aide
d’un grand nombre d’assistants. Contrairement à l’idée reçue, une œuvre de
cette époque masque souvent un grand nombre de « petites mains » qui,
parfois, à leur tour deviendront de futurs maîtres, tel Botticelli
lui-même qui fut formé par Filippo Lippi avant de devenir l’un des grands
maîtres du XVe siècle.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Vierge à l’Enfant
dite Madone Campana, vers 1467-1470, 72 x 51 cm, Avignon, Musée du Petit
Palais, dépôt du Musée du Louvre, 1976 Photo © RMN-Grand Palais /
René-Gabriel Ojéda |
Mais, avant d’acquérir son style personnel, le jeune artiste se doit
d’imiter les anciens, répéter à l’envie des chefs-d’œuvre reconnus du
maître d’atelier pour peut-être un jour mieux s’en détacher…
L’exposition suit alors le jeune homme au cœur de la mutation humaniste
qui gagne son siècle et les arts. Formé très jeune à l’art de
l’orfèvrerie, Sandro y acquiert cette attention de tous les instants qui
restera gravée au cœur de ses œuvres et de ses dessins. Le trait assuré
gagné à cette pratique cisèlera ses peintures avec cette poésie et cette
légèreté si sensibles qui le caractériseront.
Après les années d’apprentissage évoquées dans les deux premières sections
où les sujets religieux abondent ("Vierge à l’Enfant dite Madone Campana"
ou encore "Vierge à l’Enfant dite Madone au livre"), viendra le temps de
son propre atelier et des assistants se pressant autour du jeune maître.
Il faut imaginer cette Florence en pleine effervescence où les ateliers
des plus grands maîtres se jouxtent parfois de quelques dizaines de mètres
et où les échanges étaient incessants. Cette profusion d’idées et
d’initiatives donnera naissance aux plus grandes œuvres, et pour
Botticelli, ce sera bien sûr la fameuse « Naissance de Vénus » ou encore «
Le Printemps » quelques années auparavant.

Alessandro Filipepi dit Botticelli (vers 1445 – 1510), Venus pudica, vers
1485-1490, huile sur toile, 158,1 x 68,5 cm, Berlin, Staatliche Museen zu
Berlin, Gemäldegalerie, Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg
P. Anders
L’artiste sait faire évoluer son art au gré des commandes des puissants de
son temps, sans pour autant renier son propre style qui fera souvent écho
à la beauté sous les traits de sa « Figure allégorique dite La Belle
Simonetta » tout comme le thème récurrent de Vénus héritée de l’Antiquité,
sans oublier de superbes évocations religieuses tel le remarquable «
Couronnement de la Vierge ».

Botticelli et atelier, Le Couronnement de la Vierge avec saint Juste de
Volterra, le bienheureux Jacopo Guidi de Certaldo, saint Romuald, saint
Clément et un moine camaldule, vers 1492, Miami Beach, Collection of The
Bass © Photo by Zaire ArtLab
Ce subtil équilibre rythme ses œuvres où la part de l’atelier deviendra
après la maturité sans cesse croissante.
Après ces riches années qui firent sa célébrité, viendra cependant le
temps de l’oubli pendant quatre siècles avant que des esthètes eurent au
XIXe siècle l’heureuse initiative de redécouvrir ce grand maître
florentin. |
|
Interview Denis
Raisin Dadre
Paris, le 30/05/19. |
 |
 |
Lexnews
a eu le plaisir de rencontrer Denis Raisin Dadre à l'occasion de la sortie
de son splendide livre-disque consacré à Léonard de Vinci et la musique.
Fondateur de l'ensemble Doulce Mémoire et grand spécialiste de la musique
Renaissance qu'il honore par ses concerts et enregistrements
internationalement renommés, Denis Raisin Dadre nous a livré ses
confidences sur ce grand maître de la renaissance qui était également un musicien
talentueux !

uelle
a été votre première rencontre avec Léonard de Vinci et quel souvenir
avez-vous gardé de ses œuvres ?
Denis Raisin Dadre : "Curieusement, ce n’est pas la Joconde
qui a retenu en premier mon attention ! Mon caractère me portait plutôt
vers des choses moins connues. C’est à Florence que date cette première
rencontre, à une époque où je me rendais très souvent en Italie. C’est son
Annonciation qui, la première, m’a frappé. Je découvrais alors un
Vinci encore très marqué par la peinture flamande de son époque ainsi que
par l’atelier du Verrocchio où il a travaillé dès son plus jeune âge. Si
je connaissais déjà ce style de peinture, surtout celui de ses
contemporains de la fin du XVe siècle avec ce côté extraordinairement
minutieux des arrière-plans, cette première rencontre demeure pour moi
associée aux Offices de Florence, et cette Annonciation m’est
apparue mystérieuse, comme un grand nombre de ses œuvres d’ailleurs".
Quels sont les motifs qui vous
ont poussé à réaliser ce livre-disque sur Léonard alors même que vous
avouez qu’il ne nous reste aucun témoignage direct des musiques qu’il
pouvait jouer en tant que musicien talentueux ?
Denis Raisin Dadre : "Nous n’avons en effet pas de musique de
Léonard lui-même si ce n’est un petit canon, mais c’est également le cas
de tous les autres musiciens de lira da braccio de cette fin du XVe
siècle, car il s’agissait d’un instrument sur lequel on improvisait. Cette
lacune n’est donc pas liée à Léonard, mais à son instrument, cette lyre
sur laquelle les musiciens n’ont pas laissé de traces écrites. Ce qui est
intéressant et surtout frappant chez Vinci, c’est que beaucoup de ses
contemporains parlent de lui et de cette musique qu’il jouait, Vasari bien
entendu mais également d’autres sources. Ce n’était pas du tout un amateur
et il devait avoir une très haute maîtrise pour avoir été invité à Milan
non seulement comme peintre mais également comme joueur de lyre. À Milan,
lorsqu’il organise les fêtes du duc, il jouait lui-même de la lyre et
improvisait des vers en chantant. Cette période concerne essentiellement
ses années de jeunesse jusqu’à sa trentaine. Aussi, me suis-je demandé
avec Vincent Delieuvin, Conservateur en chef - chargé de la peinture
italienne du XVIe siècle chez Musée du Louvre, s’il n’y avait pas
justement une relation dans cette pratique de l’improvisation et cette
façon de peindre très spécifique à Vinci".
_____________
il existait aux XVe et XVIe siècles des
musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées à des
élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées
_____________
Pouvez-vous revenir sur cette
belle expression « musique secrète » des peintures de Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Deux références doivent être soulignées quant
à cette expression de « musique secrète ». Tout d’abord, une
référence musicale très précise, puisqu’il existait aux XVe et XVIe
siècles des musiques dites expressément « secrètes » qui étaient réservées
à des élites, et qui ne sortaient pas des lieux où elles étaient jouées.
La plus connue, même si cela est plus tardif, est celle recopiée par
Mozart à la Chapelle Sixtine. Cette pratique de musique secrète a lieu
également à la cour de Ferrare où les fameuses dames qui chantaient pour
le duc tous les soirs avaient interdiction de les divulguer, ce qui
explique qu’elles n’ont pas été éditées. L’autre grand exemple sont les
Prophéties des Sibylles de Lassus qui ont été composées dans sa
jeunesse et qui n’ont pas été éditées pendant longtemps parce que son
commanditaire ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée tellement cette
musique était exceptionnelle. La seconde référence à cette « musique
secrète » vient d’une citation expresse du critique d’art Marcel
Biron. Ce dernier avouait ne pas regretter la présence des anges musiciens
qui devaient encadrer en un retable de chaque côté la Vierge aux
rochers (qui se trouve actuellement à Londres) parce que la peinture
de Vinci était une peinture dans laquelle on entendait une musique… «Une
musique secrète » ! Cela m’a beaucoup marqué et a constitué le point
de départ de cette idée d’enregistrement".
La musique franco-flamande
prédomine en ce dernier tiers du XVe s. en Italie, peut-on dire que c’est
ce répertoire qu’a pu essentiellement entendre et jouer Léonard ?
Denis Raisin Dadre : "Entendre, c’est certain ! Car, après une
longue période de recherche sur les manuscrits, j’ai pu avoir une idée
assez précise des musiques de son époque lorsqu’il était dans l’atelier de
Verrocchio à Florence. Il est même assez étonnant de constater cette
omniprésence de la musique franco-flamande sans trouver une seule
référence italienne ! Il suffisait que Vinci entre dans une des églises de
Florence pour qu’il entende ce répertoire franco-flamand. Par contre,
lorsque Léonard jouait de la lira da braccio, il s’inscrivait dans
ce grand mouvement d’indépendance de la musique italienne contre cette
mainmise de la culture bourguignonne. Ses improvisations sur la lyre n’avaient rien à voir avec ces classiques établis par les grands maîtres franco-flamands".
Le début du XVIe s. voit la
naissance en Italie du premier livre de frottole et l’apparition de
musiciens italiens, prélude à la grande période du madrigal. En quoi ces
nouveautés seront-elles importantes pour la musique italienne ? Comment un
peintre tel que Léonard pouvait-il juger ces nouveautés ?
Denis Raisin Dadre : "J’ai puisé quelques pièces dans ces livres de
frottole (brève chanson profane italienne, à l’honneur de la fin du XVe
siècle jusqu’au milieu du XVIe s. ndlr) qui constituent des témoignages de
l’art de la lira de Vinci. Il s’agit de morceaux où il est indiqué «
Personetti », c'est-à-dire servant à l’improvisation, des sources
absolument rarissimes du début du XVIe siècle concernant cette pratique
née à la fin du XVe siècle avec une dizaine de grilles dont on se servait
pour réciter -« recitare » - à la lyra, véritable témoignage de
l’art de Léonard. D’autre part, nous savons que Léonard a été très
sollicité par Isabelle d’Este qui était la sœur de Béatrice, elle-même «
grande patronne » de la frottole résidant à Milan". |
Trois femmes puissantes sont ainsi à l’origine de l’émergence d’un art
proprement italien dans les cours : Isabelle, donc, et sa sœur Béatrice
d’Este sans oublier la duchesse d’Urbain. En encourageant les musiciens et
cette pratique de l’art de la frottole au début du XVIe siècle,
nous assistons dans les manuscrits à cette évolution vers des « proto
madrigaux » avant le fleurissement à part entière de l’art du madrigal
dans les années 1530. Léonard de Vinci a vu l’émergence de cet art protégé
par ces femmes exceptionnelles. Il est certain que cet esprit novateur a
puissamment inspiré et correspondu avec l’art de Léonard non seulement
dans la peinture, mais également vis-à-vis de la musique qu’il pratiquait.
La lira est un instrument d’expérimentation par excellence
puisqu’on ne joue pas de musique écrite. De nombreuses recherches
musicologiques ont d’ailleurs lieu actuellement sur cet art et je pense
que cela va permettre d’expliquer comment nous sommes passés de la
première mise en musique de l’Orfeo de Poliziano au XVe siècle à l’Orfeo
de Monteverdi, en 1607. La lira, instrument d’Orphée et de l’aède
grec qui récitait un texte, est sans aucun doute un des très grands
moteurs de l’émergence de l’opéra. Avec la lyra, seul le chant est
accompagné de l’instrument, alors que dans toute la musique du XVIe s., la
polyphonie prédomine avec la superposition de plusieurs voix répondant à
des règles complexes. On a longtemps sous-estimé l’importance de la
lyra et il ne faut pas oublier que, naguère, le public pleurait
littéralement sur les places de Florence où étaient jouées et récitées ces
épopées".
La technique du peintre,
notamment son fameux sfumato, rejoint-elle certains effets et
ornementations posés par la musique notamment avec la lira ?
Denis Raisin Dadre : "Je me suis permis de faire cette comparaison
– et cela n’a évidemment aucun caractère scientifique – car c’est un
ressenti qui m’a beaucoup frappé. Il est très troublant de constater que
la lyre autour de la voix crée un halo sonore qui n’a rien à voir avec la
façon dont on écoute la musique habituellement, d’autant plus que cet
instrument n’a pas de basse. Ordinairement, lorsque vous écoutez de la
musique, vous trouvez toujours une basse et des accords. Or avec la lyre,
il n’en est rien. De plus, cet instrument se place au-dessus de la voix de
l’homme ; en terme d’octave, la lyre est, en effet, plus aiguë que la voix
d’un homme. Ce système qui est à l’inverse de notre écoute habituelle avec
un accompagnement au-dessus et sans basse crée une sorte de « sfumato
sonore » qui estompe les lignes ainsi que notre écoute…"
_____________
C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous
_____________
Une très grande liberté présidait dans la composition et ses
déclinaisons en « jeux intellectuels », est-ce là encore un parallèle avec
les nombreuses variations, corrections et évolutions apportées par le
peintre à ses œuvres toute sa vie durant ?
Denis Raisin Dadre : "C’est une époque d’une extraordinaire
complexité notamment en terme musical avec des citations permanentes, des
thèmes entrecroisés, des jeux contrapuntiques absolument fous. Ce rapport
intellectuel à la musique n’a pu que séduire Léonard de Vinci qui lui-même
était un esprit complexe, érudit et scientifique. À son époque, on parle
véritablement d’une science de la musique, et nous savons combien ce génie
a fréquenté de nombreux mathématiciens qui étaient eux-mêmes des
musiciens. Lorsque vous lisez les traités de musique de cette période,
vous avez souvent l’impression de lire un traité de mathématique…"
Quel regard portez-vous sur la
dimension religieuse de certaines des œuvres de Léonard de Vinci ?
Denis Raisin Dadre : "Je crois que c’est quelque chose de très
original chez Léonard de Vinci, ne serait-ce que par les thèmes traités
comme celui de sainte Anne avec la Vierge, thème assez rare dans la
peinture. La première chose qui me frappe chez Léonard, c’est que nous
sommes vraiment aux antipodes d’une peinture qui exalterait la puissance
de l’Église, à la différence d’un Tintoret ou d’un Véronèse au XVIe siècle
qui se dirigeront, eux, plus vers des choses « baroques » exaltant cette
puissance institutionnelle. L’intimité des tableaux de Léonard semble à
mon avis l’élément marquant de son art sur le plan religieux. Un dialogue
est en quelque sorte instauré entre celui qui regarde et le tableau. Ce
genre relève d’ailleurs plus de la dévotion privée que de l’art officiel.
Il est d’ailleurs troublant de constater cette ambiguïté entre profane et
religieux, sainte Anne et sa fille laissent l’impression d’avoir le même
âge, son saint Jean-Baptiste apparaît sous les traits d’un joli jeune
homme… Léonard de Vinci fait preuve d’une liberté absolue dans la manière
dont il évoque ces personnages sacrés. Je fais d’ailleurs un parallèle
quant à cette liberté avec le Caravage dont les peintures religieuses
apparaîtront souvent scandaleuses car n’obéissant pas aux normes de son
époque. Cette approche religieuse est poussée à son paroxysme avec la
Cène et cette agitation extrême des disciples que personne n’avait osé
représenter ainsi auparavant. Dans la musique de la même époque, cette
intrication sacrée profane est usuelle, et même permanente, avec des
musiques sacrées écrites sur des chansons profanes. Un grand nombre de
musiques sacrées existait avec un double texte : un soprano ayant recours
au latin d’un Requiem pendant que le ténor récitait une chanson. Cette
distinction entre sacrée et profane n’existait pas à cette époque. Ce qui
me frappe surtout pour Léonard de Vinci, c’est cette liberté quant à
l’institution. C’est quelqu’un qui toute sa vie a fait ce qu’il voulait.
Le meilleur exemple étant peut-être Isabelle d’Este qui n’a jamais réussi
à obtenir son tableau alors même qu’elle n’a eu de cesse de relancer
Léonard à ce sujet !"
_____________
Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle
omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci.
_____________
Qu’avez-vous ressenti dans la pénombre de l’abbaye de Noirlac lors de
l’interprétation de ce programme composant votre dernier enregistrement ?
Denis Raisin Dadre : "Je dois avouer que ce programme a été
certainement l’un des problèmes les plus compliqués de toute mon existence
! Tout d’abord, ces tableaux sont très intimidants, et ce d’autant plus
que je ne souhaitais pas présenter une version purement intuitive, mais
aussi une proposition scientifique à partir de recherches sur les musiques
de cette époque. Et je dois avouer, comme souvent dans ces situations les
plus compliquées, qu’il peut y avoir des miracles ! Soudainement la
musique « apparaît » avec un lien très fort avec ces tableaux dont les
reproductions étaient devant nous. Je crois que nous avons retrouvé cette
immense tendresse et douceur dans la musique, à l’image de celle
omniprésente dans les œuvres de Léonard de Vinci. Cela a été rendu
possible par certaines couleurs musicales qui ont surgi et qui
correspondent bien à cette idée de tendresse, d’intimité et complexité du
peintre".
Propos recueillis par Philippe-Emmanuel Krautter
© Interview exclusive Lexnews
Tous droits réservés
|
www.doulcememoire.com
|
Présence de la peinture en France, 1974 -
2016
du 28 septembre au 30 octobre 2017
Mairie du Ve - Paris |
 
Interview Marc Fumaroli
Lexnews : "Comment est née l’idée de cette exposition ?"
Marc Fumaroli : "La peinture, un des arts les plus importants, a connu une crise grave à la
fin du XIXe siècle au moment où la photographie s’est répandue largement.
De nos jours, elle traverse une autre crise grave avec cette obsession et
conquête des esprits par les images technologiques. Or, la peinture ne se
sert pas de machine, mais de la main, de belles matières, de toiles, et
elle nous apprend en quelque sorte - et pour cela elle devrait tous les
jours être enseignée dans les écoles - à avoir un rapport délicat,
sensible, avec les autres, mais aussi avec la nature et le monde. C’est
pour cela qu’il m’a semblé que le moment était favorable pour monter une
telle exposition, il y a une sorte de prise de conscience de l’exagération
de notre confiance à l’égard des technologies. À la lecture de certains
livres, films et attitudes, les choses évoluent et le progrès a beau nous
donner des merveilles, il semble urgent de ne pas perdre ce que nos
ancêtres nous ont légué. Notre action a été à contre-courant, tout d’abord
en nous dirigeant vers les arts traditionnels, la peinture, la gravure, la
sculpture, loin de la puissance destructrice de l’industrie gigantesque
des images de série".
Marc Fumaroli :Nous avons travaillé pour l’honneur, pour l’amour de la cause, et ce d’une
manière totalement désintéressée financièrement. Par ailleurs, nous sommes
également à contre-courant en ne recherchant pas des plasticiens qui font
souvent du bruit pour quelque chose qui redouble le malheur des temps.
Malgré tout, bien que cela soit dans l’ombre et dans une certaine
marginalité, il y a une peinture qui n’est pas une avant-garde, qui ne
croit pas à la religion du progrès, tout en n’étant pas hostile à la
science. Le rôle de l’artiste n’est pas d’exagérer ces valeurs, de les
représenter d’une façon désespérante et désolante, mais de donner le
sentiment dans ce monde que tout n’est certes pas fête, mais qu’il y a
cependant des dispositions de la fête, ce que j’appellerai sans entrer
dans des considérations esthétiques : la beauté. Tel est l’axe de cette
exposition, avec l’espérance qu’elle aura un modeste, mais vrai succès".
Lexnews : "La beauté a-t-elle justement encore une place dans notre monde et l’art
?"
Marc Fumaroli :
"Un des arguments en faveur de l’art contemporain, et qui est d’ailleurs un
argument assez hypocrite, est qu’il dispense le plasticien contemporain de
véritables compétences, de véritables secrets de fabrication. Dans ces
conditions, si j’ose m’exprimer ainsi, la justification que l’on donne à
ces choses qui ne nous intéressent pas et qui ne nous attirent pas, est
qu’elles sont à l’image du monde dans lequel nous sommes. Nous assistons
ainsi à une compétition de la laideur et de la brutalité qui déstabilise
le public.
Nous devrions plutôt rechercher ce qui pourrait nous rassurer, nous
reconstruire et nous permettre de mieux traverser ce monde difficile et
terrifiant, comme toutes les générations l’ont fait avant nous. J’estime
qu’il ne revient pas à l’art de prendre comme maître unique un artiste,
par ailleurs talentueux contrairement à un grand nombre de plasticiens,
comme Francis Bacon, fasciné par la laideur. Les peintres ou graveurs
présentés dans cette exposition n’ont pas pour obsession cette laideur.
Boileau disait que le grand art est capable de rendre l’horreur
supportable. Avec l’art contemporain, on veut nous faire croire que l’on a
affaire à des gens qui pensent et qui ont des concepts de la situation
dans laquelle le monde se trouve… C’est peut-être beaucoup demander aux
plasticiens, et ce n’est certainement pas une raison pour abandonner les
artistes à leur sort ! J’ai eu l’occasion pour préparer cette exposition
de rencontrer un grand nombre d’artistes dans leur atelier, ce sont des
artistes pour qui l’art n’est pas une question de spéculation boursière,
ni publicitaire ou de bureaucratie culturelle, mais bien un véritable art
de vivre dirigé vers la beauté et un apprentissage de notre capacité au
bonheur. La quête de la beauté guérit, elle est salvatrice et salutaire ;
ce n’est qu’à ce titre que l’art mérite son nom".
J’ai bien conscience que nous ne sommes pas une puissance et qu’il n’est
pas en notre pouvoir de modifier le spectacle de notre monde, mais nous
sommes peut-être capables à plusieurs de faire comprendre que ces arts,
qui sont aussi des artisanats transmis par des traditions remontant aux
origines, aux grottes préhistoriques, font de nous des êtres de la nature,
et non pas de la technologie. J’espère, tout en ne me faisant pas trop
d’illusions, que ce mouvement pourra peut-être un peu modifier les choses
! Espérons…".
* * *
A l'initiative de Marc Fumaroli, avec le
parrainage de Jean Clair, Florence Berthout, Maire du 5e arrondissement,
est heureuse d’accueillir, du 28 septembre au 30 octobre, l’exposition
avec pour commissaire Vincent Pietryka présente dix artistes mettant à
l’honneur la peinture, la gravure, le dessin et la sculpture : André
Boubounelle, Érik Desmazières, Gérard Diaz, Philippe Garel, Denis Prieur,
Gilles Seguela, Sam Szafran, Ivan Theimer, Jean-Pierre Velly, Pascal
Vinardel.
L’exposition « Présence de la peinture en France, 1974 - 2016 » est née
d’un amour vrai pour l’art et de la joie que l’on trouve à fréquenter les
œuvres d’artistes féconds. La France en a vu apparaître dans les dernières
décennies, mais dans une relative discrétion. Si quelques galeristes
parisiens au regard aiguisé, des critiques et des collectionneurs
attentifs ne les ont pas ignorés, le grand public n’a pas eu cette chance.
Le souhait de Marc Fumaroli a été de réunir quelques-unes des plus belles
de leurs œuvres en un lieu unique, afin de les rendre enfin accessibles au
public, invité à cette occasion à les contempler, à entendre leurs
commentateurs et à rencontrer les artistes eux-mêmes. C’est dans ce cadre
que plusieurs entretiens se dérouleront lors de l’exposition, entre un
peintre et un écrivain, un musicien ou encore un critique d’art…
La sélection des 30 œuvres présentées a été constituée avec le désir de
montrer des pièces majeures qui rayonnent par leur beauté. Elles prennent
place dans l’histoire de l’art, dans la suite des meilleures œuvres du
passé et dans l’attente de celles du futur. Elles sauront toucher les yeux
amateurs comme ceux des avertis, inviter le spectateur à s’arrêter et à
entrer dans l’univers de la Colline à Volterra de Boubounelle, de Luigi de
Velly, des Portes du fleuve de Vinardel, des Deux coings de Seguela, de la
Tête de Méduse de Theimer…
Exposition du lundi au samedi de 10h à 18h
(catalogue disponible sur le lieu de l'exposition
avec des textes de Marc Fumaroli, Jean Claire et Lydia Harembourg)
|
|
Un chef-d’œuvre déstructuré

©
Musée Unterlinden © Th. Verdon
par Mgr. Timothy Verdon* |
"Je n’écris pas au titre de prêtre, mais en tant qu’historien d’art et
directeur d’un musée, celui de l’Œuvre de la Cathédrale de Florence,
récemment renouvelé sous ma responsabilité. Et j’écris avec un certain
embarras, puisque inévitablement ce que je vais dire ressemblera à un «
J’accuse ! ».

©
Musée Unterlinden
Dans un récent voyage à Strasbourg, j’ai fait un pèlerinage à Colmar au
Musée Unterlinden, pour revoir un des grands chefs-d’œuvre de la
Renaissance au nord des Alpes, le retable peint par Mathis Gothart Nithart
- connu comme de Grünewald – pour le couvent des Antonins à Issenheim
entre 1412-1516, avec les sculptures en bois polychrome de Nikolaus
Hagenauer. Il s’agit d’une énorme construction ouvrable qui permettait aux
fidèles de voir trois différentes séquences d’images : à l’extérieur,
quand les deux volets du retable étaient fermés, La Crucifixion ;
puis, après une première ouverture, quatre scènes : L’Annonciation,
Le Concert des Anges, Marie avec l’Enfant Jésus, et La
Résurrection ; puis, après une seconde ouverture, au niveau
intermédiaire (au centre) : trois statues parmi lesquelles celle de
Saint Antoine d’Alexandrie, patron céleste du couvent, qui était aussi
un hôpital pour des malades du « feu de Saint Antoine ».

Le Retable d’Issenheim fermé - La Crucifixion
© Musée Unterlinden
La nouvelle installation du retable, achevée en 2015, a complètement
déstructuré ce système visuel complexe, séparant les images du mécanisme
originel pour les présenter individuellement. Par conséquent, le visiteur
est privé de l’émotion de trouver, derrière la célèbre Crucifixion
avec son corps de Christ sombre et torturé (à l’extérieur au premier plan,
volets fermés), le corps lumineux et sain du Sauveur retourné à la vie. De
même, il sera privé de cette émotion de trouver derrière la Vierge
effondrée au pied de la croix de son fils (volets fermés), la jeune femme
de L’Annonciation. Les deux scènes du second niveau –
L’Annonciation et La Résurrection – étaient les revers des deux
volets de La Crucifixion ; ouvertes, elles encadraient et étaient
visibles à gauche et à droite de la composition du niveau intermédiaire
Le Concert des Anges et Marie avec L’Enfant. |
Maintenant complètement séparées d’elle, la composition de l’artiste est
rendue indéchiffrable : L’Annonciation et La Résurrection,
que Grünewald a pensées à gauche et à droite de la double scène du
Concert des Anges et de Marie avec l’Enfant, se trouvent
aujourd’hui l’une à côté de l’autre, et qui plus est en ordre inversé. On
retrouve la même option pour la seconde ouverture, où les scènes de la vie
de Saint Antoine se trouvent jointes et interverties, tandis qu’elles
étaient initialement séparées par les statues de Hagenauer.

Le Retable d’Issenheim 1ère ouverture -
L’accomplissement de la nouvelle Loi © Musée Unterlinden
Le musée a prévu de petites reconstructions du retable originel qui
permettent d’ouvrir, l’une après l’autre, les différentes strates, mais
presque personne ne le fait, à défaut d’explications. Je comprends bien
qu’il s’agisse d’impératifs de temps et d’espace : alors que le vieux
système - le retable qui s’ouvrait - imposait à chacun d’attendre les
ouvertures successives de chaque niveau, dorénavant tout le monde est
libre de se promener en se plaçant ad libidem devant l’une ou
l’autre scène. Mais on perd ainsi la logique de l’ensemble, et le musée
n’offre aucune assistance pour en saisir le sens. Qui plus est, en
inversant le rapport droite/gauche de certaines images, il transmet des
impressions fausses. Il conviendrait au minimum d’installer une vidéo qui
reconstruirait l’ordre et la succession des images.

Le Retable d’Issenheim 2e ouverture
-
le cœur du retable consacré à saint Antoine © Musée Unterlinden
Il est également dommageable que l’on n’explique nulle part la fonction
plus essentielle attribuée à un retable d’autel, qui consiste à
accompagner visuellement la messe. Le sang qui coule des pieds du Crucifié
et son corps étendu dans la prédelle devaient être vus en étant placés
juste au-dessus de l’autel, quand les religieux et les malades
participaient à l’Eucharistie, dont le pain et le vin rendent « présents »
le corps et le sang du Christ. Ne pas communiquer ces informations au
grand public revient à cacher une clé de lecture fondamentale ; il n’est
pas question de catéchiser mais de communiquer ! À vrai dire, dans
l’espace du musée, on aurait pu monter le retable sur une base en forme
d’autel, rendant immédiatement intelligible le rapport entre image et
rite, fondement même son histoire."
* Chanoine, Cathédrale de Florence et Directeur, Museo dell’Opera del
Duomo. |

|